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Frédérique Vidal se met hors la loi en refusant de diffuser le code source de Parcoursup

Par Jérémy Freixas, ATER à l’Université de Nantes

« Cette loi a été construite dans la concertation. Les gens, au lieu de regarder ce qu’elle va apporter, considèrent qu’elle pourrait être détournée » a déclaré Frédérique Vidal lors de son passage à sur LCI face à Audrey Crespo le 11 mai.

Sommes-nous donc aveugles au point de ne pas nous rendre compte des bienfaits merveilleux que vont apporter la loi ORE (Orientation et Réussite des Etudiants) ? Libre à chacun des membres de la communauté universitaire d’adhérer ou non au discours politique de notre ministre. Une chose est sûre : la nouvelle procédure d’admission dans l’enseignement supérieure ne pourra être claire dès lors qu’elle sera clairement communiquée. L’idée n’est pas nouvelle : l’association Droit aux Lycéens avait d’ores et déjà bataillé pour que transparence soit faite sur certaines fonctionnalités de l’ancienne plateforme APB (Admission Post Bac). Cette démarche s’était soldée par la diffusion d’une liasse de documents peu lisibles.

Depuis, des belles intentions ont été annoncées :

  • En 2017, Etalab, la mission coordonnant l’ouverture des données publiques, a recommandé d’aller plus loin dans l’ouverture du code source d’APB. Bien que non contraignante, cette déclaration reconnaît officiellement cette nécessité.
  • La communication des algorithmes de la plateforme Parcoursup a été soulevée plusieurs fois dans les débats parlementaires au sujet de loi ORE. De nombreuses déclarations ont été fait dans le sens de plus de transparence, jusqu’au président Macron, qui a rappelé lors de l’événement de communication autour de l’intelligence artificielle #AIforHumanity l’importance de la publication des algorithmes utilisés par les administrations de l’État « à commencer par Parcoursup ».

Le texte de loi va encore plus loin : le premier article affirme que « la communication, en application des dispositions du code des relations entre le public et l’administration, du code source des traitements automatisés utilisés pour le fonctionnement de la plateforme mise en place dans le cadre de la procédure nationale de préinscription prévue au I s’accompagne de la communication du cahier des charges présenté de manière synthétique et de l’algorithme du traitement ».

Rappelons encore une fois le calendrier : la plateforme a été ouverte le 15 janvier 2018, la loi adoptée le 8 mars 2018 et les premières affectations seront communiqués le 22 mai. Jusqu’ici le gouvernement a préféré faire le tour des plateaux télés et des matinales de radio plutôt de faire l’effort de donner des éléments clairs et concrets sur la procédure. Le code source reste en effet inconnu. Sur France Info, le 5 avril, la ministre reconnaissait même qu’il restait « une part d’information qui doit être donnée et être expliquée ».

L’exécutif ayant de nombreuses casseroles sur le feu, j’ai été compréhensif : je lui ai rappelé par un courrier sa promesse dans le cadre de la loi CADA (Commission d’accès aux données administratives, loi qui permet à tout citoyen et toute citoyenne de demander la diffusion de documents ou de données issus du travail de l’administration publique). Ma demande portait sur :

  • la diffusion du code source de la plateforme Parcoursup.
  • la diffusion du cahier des charges et des spécifications techniques ayant permis le développement de la plateforme Parcoursup.

Après un mois d’attente, le secrétariat des affaires juridiques a bien accusé réception de la demande mais n’a pu me donner de délai de réponse, ni même m’en assurer une. Ainsi, au regard de la loi CADA, le ministère a refusé de communiqué ces informations.

Résumons :

  • Ce projet de loi a été mis en place afin de mettre sur pieds « un processus plus fluide qui remet de l’humain dans la procédure» (F. Vidal, France Info, 15 mai).
  • Dès les débats parlementaires et jusqu’à l’écriture du texte de loi, la transparence a été l’un des arguments avancés pour justifier l’intérêt de Parcoursup.
  • Or, ces déclarations n’ont été suivies d’aucun acte concret. La plateforme fonctionne aujourd’hui : le cahier des charges a-t-il été perdu ? le code source est-il écrit dans un langage inconnu qui empêcherait son interprétation ?
  • La demande CADA n’a rien donnée (Xavier Berne de Next Impact n’a pas eu plus de succès) : au cas où l’on pourrait encore en douter, il ne s’agit pas d’une négligence mais bien d’un acte délibéré d’opacité.
  • La majorité à l’Assemblée Nationale est allée encore un cran au dessus en maintenant secret les algorithmes définis localement par les universités bien que le Sénat et la CNIL (Commission Nationale Informatique et Libertés) se soient prononcés pour la communication de tous les traitements informatiques dont feront les candidats et candidates feront l’objet.

La force (ou la faiblesse) de la loi ORE réside dans ce détail : le texte ne précise pas la procédure d’admission dans le supérieur mais fait référence à une « préinscription qui permet aux candidats de bénéficier d’un dispositif d’information et d’orientation qui, dans le prolongement de celui proposé au cours de la scolarité du second degré, est mis en place par les établissements d’enseignement supérieur ». La nature de cette étape de préinscription n’est pas définie dans la loi : elle n’a fait l’objet d’aucun examen par le Parlement. Elle est reléguée au rang de simple détail technique, alors que c’est le cœur même des questionnements qui font suite à l’abandon d’APB.

Pourquoi cette opacité ? Toutes les théories peuvent être envisagées, mais sans rentrer dans le complotisme, nous pouvons sans difficulté imaginer que le ministère ne souhaite montrer ce qui serait contraire à son argumentaire. La communication du code source de Parcoursup ferait glisser le débat du champ politique au champ technique : l’enfumage serait alors bien plus compliqué. Mais n’est-ce pas cela la transparence et la confiance ?

« Nous sommes à l’âge du cyberespace. Il possède lui aussi son propre régulateur, qui lui aussi menace les libertés. Mais, qu’il s’agisse d’une autorisation qu’il nous concède ou d’une conquête qu’on lui arrache, nous sommes tellement obnubilés par l’idée que la liberté est intimement liée à celle de gouvernement que nous ne voyons pas la régulation qui s’opère dans ce nouvel espace, ni la menace qu’elle fait peser sur les libertés.

Ce régulateur, c’est le code : le logiciel et le matériel qui font du cyberespace ce qu’il est. Ce code, ou cette architecture, définit la manière dont nous vivons le cyberespace. Il détermine s’il est facile ou non de protéger sa vie privée, ou de censurer la parole. Il détermine si l’accès à l’information est global ou sectorisé. Il a un impact sur qui peut voir quoi, ou sur ce qui est surveillé. Lorsqu’on commence à comprendre la nature de ce code, on se rend compte que, d’une myriade de manières, le code du cyberespace régule. » — Code is Law, Lawrence Lessig.