Pour participer à la candidature collégiale à la présidence du CNRS, votre dossier doit être parvenu au ministère avant ce vendredi 1er octobre — on peut supposer que la date d’envoi du mail et le cachet de la poste feront foi. Il ne reste donc que trois jours…
Projet de loi de finance 2022
Nous avons lu le projet de loi de finance 2022 (PLF 2022), en attendant les « jaunes budgétaires », ces annexes détaillant la ventilation du budget, poste par poste, à paraître en octobre.
Comme chaque année, le stupéfiant dossier de presse du ministère présente des données chiffrées qui ne correspondent à aucune réalité budgétaire inscrite dans le projet de loi de finance lui-même.
Ainsi, il est annoncé cette année, en gros caractère, une hausse des effectifs de 650 postes (équivalents temps plein, ETPT). D’une part, le relèvement des plafonds d’emploi ne correspond pas à une hausse des effectifs lorsque le budget des établissements « autonomes » ne suit pas. D’autre part, le PLF 2022 indique que le plafond d’emplois (environ 260 000) baisse de 3 373 ETPT. Le plafond d’emploi du seul Hcéres est lui en augmentation de 128 ETPT.
L’essentiel tient dans la trajectoire de stabilité budgétaire, qui prévoit une baisse abyssale des dépenses publiques en ciblant l’investissement public, l’emploi statutaire (fonctionnaires) et la protection sociale. La mécanique générale de transfert des richesses vers la sphère privée, compensée par une diminution des dépenses liées aux systèmes de solidarité, est identique à celle de la crise bancaire de 2007-2008. Cependant, la cure d’austérité prévue dans le PLF pour les années à venir est d’une ampleur jusqu’ici inconnue en France.
Le budget de l’Université, comme prévu par la loi de programmation de la recherche (LPR), est stagnant : les 1,8% d’inflation sont très exactement compensés, ce qui fait passer le programme 150 de 13,91 Md€ à 14,16 Md€. À nouveau, l’augmentation du nombre d’étudiants à l’Université (34 000 étudiants en plus en 2021 par rapport à 2020 ; 59 600 étudiants en plus en 2020 par rapport à 2019) n’est nullement prise en compte : aucune nouvelle université n’a à ce jour été programmée et les recrutements d’universitaires sont en berne. Le Monde a publié un bilan chiffré qui corrobore nos données. Le bilan décennal (2011-2021) est limpide : le nombre de bacheliers faisant des études supérieures a crû de 42%, les effectifs étudiants dans le secteur public ont crû de 25% et les recrutements d’universitaires ont décru de 46%. L’investissement public par étudiant est en baisse pour la sixième année consécutive (-7,9% par rapport à 2009).
Les budgets de la recherche, hors université (programmes 172 et 193), suivent eux aussi la trajectoire prévue par la loi de programmation de la recherche (LPR). L’enveloppe globale croît, mais la part consacrée à la mission de service public devrait stagner elle aussi, c’est-à-dire avoir une croissance qui compense exactement l’inflation. Les transferts budgétaires (vers l’ANR et le CNRS notamment) à l’intérieur de cette enveloppe globale se font au détriment de l’emploi statutaire et vont donc creuser la précarisation de nos métiers. Enfin, aucune rupture vis-à-vis de la politique désastreuse menée depuis trois quinquennats en matière de recherche appliquée et d’innovation — on pense en particulier au crédit d’impôt recherche, dont l’effet de levier est nul voire légèrement négatif — n’est envisagée, malgré le choc qu’a occasionné l’incapacité de notre pays à se doter d’un vaccin contre SARS-CoV-2.
Postes ouverts au concours de Maître de conférences selon les quatre grands domaines disciplinaires Sciences et Technologies (ST), Pharmacie (Pharma), Lettres Langues Arts, Sciences Humains et Sociales (LLASHS) et Droit, Economie, Gestion (DEG) : Le nombre de postes de MCF ouverts au concours est passé de 2417 en 2002 à 1070 en 2019, soit une baisse de 56% sur la période.
Évolution des effectifs étudiants et enseignants, et du taux d’encadrement (nombre d’enseignants pour 100 étudiants) : Entre 2009 et 2018, les effectifs étudiants ont crû de 16% pendant que les effectifs enseignants stagnaient à la baisse de 1%. En conséquence, le taux d’encadrement a chuté de 15%.
Évolutions des effectifs enseignants-chercheurs nécessaires pour maintenir le taux d’encadrement de 2009, et réelle : À partir de 2011, l’évolution des effectifs enseignants-chercheurs décroche de l’évolution des effectifs étudiants. Le retard pris dans le recrutement est tel qu’il aurait fallu en 2018 recruter près de 10 000 enseignants-chercheurs simplement pour retrouver le taux d’encadrement, et donc les conditions d’études, de 2009. Depuis, la situation s’est lourdement aggravée.
De la situation des universitaires en Afghanistan
En Afghanistan, la liberté académique est désormais dans une situation dramatique. Selon l’organisation Scholars at risk, il était impératif d’évacuer plus de 700 universitaires afghans et seule une minorité l’ont effectivement été depuis août. Cet exode universitaire est comparable à celui en provenance des universités allemandes dans les années 1930, lorsque 500 à 1000 enseignants et chercheurs allemands ont trouvé asile dans la communauté académique mondiale.
Nos collègues afghans sont menacés en raison de leur activité académique : les Taliban, un mouvement issu des madrasas, ont régulièrement accusé les universités d’être un lieu de mœurs dissolues et de propagation des idées occidentales. Durant les deux dernières décennies de guerre, la poursuite d’une recherche académique et l’enseignement dans une institution universitaire sont donc devenus en soi une forme d’engagement contre l’insurrection. Et les universités ont été des cibles récurrentes, à l’exemple de l’attaque de 2016 contre l’Université américaine de Kaboul qui avait fait 13 morts et 53 blessés.
Depuis l’arrivée des Taliban au pouvoir, des centaines d’universitaires se terrent, de peur des représailles, à l’exemple de ce professeur de l’université d’Hérat qui a découvert qu’un de ses étudiants était associé aux Taliban. La reprise en main actuelle de l’université de Kaboul l’illustre, la plupart des universitaires afghans n’auront jamais de place dans le nouveau régime et nombre d’entre eux risquent leur vie s’ils restent dans le pays. Leur avenir est ici, en France, en Occident, dans les pays qui ont une responsabilité patente dans la situation actuelle de l’Afghanistan.
Or, lors de l’évacuation, improvisée de manière catastrophique, les universitaires afghans ont largement été oubliés. Ils et elles ne disposaient généralement pas des réseaux permettant d’obtenir une place sur les listes d’évacuation réalisées par le ministère des Affaires étrangères et ont donc été abandonnés à leur sort. De nombreuses universités françaises se sont pourtant proposées pour accueillir des universitaires afghans et, avec l’aide du programme Pause, de leur offrir un asile. Des collègues en France tentent d’aider individuellement des universitaires afghans, des efforts qui ont parfois été couronnés de succès, mais bien trop rarement.
Obtenir un visa dans une ambassade française à Islamabad, Tachkent, Dushanbe ou Téhéran relève de la gageure. Il faut ici que les déclarations de l’exécutif, à l’exemple de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, qui avait appelé à « mobiliser tous les leviers » pour aider les étudiants et chercheurs afghans, passent des paroles aux actes: les difficultés à obtenir visa et titre de séjour doivent cesser d’entraver l’expression de la solidarité des universités françaises avec nos collègues en Afghanistan.
Nous devons agir vite, dès la semaine prochaine, et vous proposerons dans notre prochain courrier des modalités concrètes de pression de la communauté académique sur le quai d’Orsay.
Comme annoncé la semaine dernière, vous trouverez ci-dessous les éléments d’un kit de candidature à la présidence du CNRS.
Si vous faites acte de candidature, nous vous demandons de compléter les deux passages personnalisés du courrier d’accompagnement. Nous vous conseillons également d’ajouter une brève phrase de votre facture en bas de la déclaration d’intention et de signer celle-ci à la main afin de garantir le caractère personnel de votre candidature et d’éviter une disqualification a priori. Si vous le souhaitez, vous pouvez nous faire part de votre candidature en envoyant un courriel vide à : rogueesr∂gmail.com avec vos nom et prénom dans le sujet.
Ce kit est à envoyer avant le premier octobre à la direction générale de la recherche et de l’innovation à la fois par courrier postal, en deux exemplaires, et par courriel accompagné d’un CV et de tout justificatif de statut professionnel ou de production scientifique dans le cadre de votre métier.
Madame Claire Giry Directrice Générale de la Recherche et de l’Innovation Ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation 1 rue Descartes 75231 Paris Cedex 5
[en-tête: prénom, nom, identifiant professionnel le cas échéant (Numen pour les universitaires)]
Madame Claire Giry Directrice Générale de la Recherche et de l’Innovation Ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation 1 rue Descartes 75231 Paris Cedex 5
Objet : Candidature à la présidence du CNRS / NOR : ESRR2119195V
Madame la directrice générale,
Le JORF n°0203 du 1er septembre 2021 a annoncé la vacance de la présidence du CNRS au 22 janvier 2022. J’ai l’honneur de déposer ma candidature, motivée par la promotion des principes de collégialité, de qualité et d’indépendance de la recherche. Vous trouverez avec ce courrier, en deux exemplaires :
Ma déclaration d’intention, élaborée collégialement et à laquelle je déclare personnellement souscrire
Mon curriculum vitæ détaillé
[tout justificatif de lien professionnel avec le monde de la recherche ; une simple déclaration sur l’honneur de votre statut, accompagnée de votre Numen ou de votre matricule, suffit, voire votre dernier article paru]
Je me tiens à la disposition de vos services pour la suite de la procédure.
En vous priant de bien vouloir agréer l’assurance de toute ma considération
Le Journal Officiel du 1er septembre courant a publié la vacance de la présidence du CNRS au 22 janvier 2022. Considérant que le CNRS, après plusieurs années de déclin, a besoin d’un sursaut collectif, j’ai l’honneur de vous faire part de ma candidature destinée à porter cette ambition. Mon engagement individuel répond à une exigence : faire prévaloir les conditions concrètes d’une science de qualité, fondée sur le temps long, l’indépendance statutaire et la collégialité. Ce programme général peut être décliné en trois points, relatifs aux missions du CNRS, à sa politique de recrutements et aux pratiques quotidiennes dans les laboratoires :
Missions du CNRS
La liberté de recherche et son inscription dans la durée ne sont pas négociables. Dans leur travail quotidien, toutes les instances du CNRS devront valoriser les travaux ambitieux plutôt que la productivité à court terme. Le suivi qualitatif et la reconnaissance de ce travail incombe directement aux pairs. C’est pourquoi j’invoquerai l’article L114-3-1 du Code de la Recherche et notifierai au Haut-Commissariat à l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (Hcéres) ma volonté de confier cette tâche au Comité National de la Recherche Scientifique (CoNRS), accompagné le cas échéant du Conseil National des Universités (CNU).
Le CNRS a une responsabilité d’animation de la recherche scientifique sur tout le territoire, en liaison avec les universités. La politique de pilotage inégalitaire consistant à utiliser le Centre comme un simple pourvoyeur de ressources stratégiques additionnelles au service d’une poignée d’universités d’excellence menace la raison d’être du CNRS en tant qu’établissement et constitue un non-sens géographique. L’allocation des moyens et les partenariats universitaires incluront la prise en compte d’un maillage scientifique, afin de garantir une forme de continuité territoriale dans la représentation des thématiques et des disciplines de recherche.
L’intégrité scientifique et la liberté académique ont un contenu positif en termes de responsabilité démocratique, environnementale et sociale. Le CNRS incarne une recherche au service de l’intérêt général et des principes organisateurs d’une démocratie. Les collaborations institutionnelles du CNRS seront donc réexaminées à l’aune de cette mission. Par exemple, le CNRS dénoncera immédiatement son nouveau « partenariat » avec l’Institut Sapiens. Cette organisation, en assimilant abusivement l’investigation rationnelle à la recherche du profit, en s’engageant systématiquement pour la destruction des services publics d’intérêt général, en cultivant un rapport a-critique et anti-déontologique à la science et à la technique et en promouvant un « transhumanisme » à forts relents eugénistes, bafoue les principes mêmes qui doivent régir l’action du CNRS et que je souhaite réaffirmer par ma candidature.
Recrutements
L’emploi pérenne est la condition de l’indépendance et de l’originalité, ainsi que de la conservation du savoir-faire professionnel. Sous ma présidence, le CNRS s’engagera en faveur d’une augmentation des recrutements pérennes dans les corps de recherche et de soutien (techniciens et ingénieurs).
La présidence du CNRS a aussi pour rôle de défendre et de représenter les agentes et agents de la recherche scientifique auprès de Bercy et du MESRI. Aujourd’hui, c’est trop souvent le contraire qui est le cas. Pour ma part, j’entends revenir à ce principe de représentation de la communauté scientifique auprès des instances ministérielles.
Les recrutements s’effectuent sur la base de la production savante et des idées. Je diminuerai donc le recours au fléchage des postes dans les campagnes d’emploi.
Les classements réalisés par les comités composés de pairs élus font loi. Ces dernières années, la communauté scientifique s’est émue à plusieurs reprises de leur retournement par la bureaucratie dirigeante et leur transformation en une simple liste de noms où les instances de « pilotage » viendraient piocher. Pour ma part, je m’engage à respecter ces classements et à rappeler leur intangibilité aux jurys d’admission. La composition de ceux-ci sera systématiquement soumise à l’approbation du CoNRS, à qui j’accorderai également un droit de contrôle sur les nominations à la tête des instituts du CNRS.
Vie des laboratoires et intégrité
Ces premières exigences sont liées à une conception intransigeante de nos métiers, fondée sur le modèle de chercheurs et chercheuses qui cherchent, au lieu de promouvoir la figure du Principal Investigator qui manage des « petites mains » en étant rarement à la paillasse ou sur le terrain. Sous ma présidence, le CNRS réaffirmera les principes de collégialité des pratiques scientifiques et d’égalité dans les relations entre pairs.
Le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) a relevé une « défaillance » du gouvernement en matière de prévention des inégalités entre femmes et hommes dans le milieu de la recherche à l’occasion du débat sur la Loi de programmation pour la recherche (LPR). En lien avec le CoNRS et avec la Conférence des Présidents du Comité National (CPCN), je me rapprocherai du HCE pour élaborer des réponses institutionnelles satisfaisantes à cette situation. Pour ce faire, j’entends m’appuyer sur l’expérience accumulée par la Conférence Permanente des chargé·es de mission égalité et diversité des établissements d’enseignement supérieur (CPED).
Si elle se cantonne à un registre punitif, la défense de l’intégrité scientifique sera toujours suspecte d’iniquité. L’augmentation des cas avérés de mauvaises pratiques laisse penser que les évolutions récentes les favorisent. Leur traitement cavalier ces dernières années suggère fortement que la direction actuelle du CNRS n’entend pas s’attaquer à leurs causes structurelles. En ce qui me concerne, c’est en amont que j’entends traiter cette question de l’intégrité scientifique, en promouvant une vigilance collective systématique qui ne peut s’exercer que sous la forme de l’analyse contradictoire et indépendante des publications par les pairs et la prééminence du travail collectif sur la notoriété individuelle.
Le titre de ce billet est issu du poème de Verlaine intitulé « En septembre ».
Ce billet s’accompagne d’un communiqué de presse à consulter ici.
Conditions sanitaires de rentrée
Les conditions de rentrée à l’Université sont extrêmement préoccupantes. Seuls quelques établissements ont procédé aux investissements relativement minimes en matière de ventilation et de purification de l’air sans lesquelles la vaccination ne suffira pas à contenir une prochaine vague. Les présidences d’université et les autorités ministérielles, comme à leur habitude, se défaussent les unes sur les autres et font étalage de toute leur impéritie. Par leur seule faute, dès aujourd’hui, le risque d’une nouvelle fermeture de l’Université est sur la table. Nous sommes de tout cœur avec les collègues et les étudiants, et saluons leur courage face à cette situation.
De passage dans l’émission de BFM Business baptisée « 60 Minutes Business », la ministre, Mme Vidal a illustré les conséquences de la politique d’excellence qu’elle a menée :
« La France est une grande nation scientifique : parmi les 10 publications scientifiques les plus citées au monde pendant cette crise, 2 étaient françaises : grâce à France Relance et à la loi « recherche », nous permettons un réinvestissement massif dans la recherche. »
En réalité, les données bibliométriques de WebOfScience (Clarivate Analytics) ne recensent qu’une unique publication dans les 50 publications les plus citées sur SARS-CoV-2, si décriée pour ses méthodes, ses résultats et son déficit d’intégrité qu’elle a été citée près de 2 500 fois, lui accordant la 25ème place :
Gautret et al. Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: results of an open-label non-randomized clinical trial. Int J Antimicrob Agents. 2020.
Présidence du CNRS
La présidence du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) est à pourvoir pour le 25 janvier prochain. L’appel à candidatures en vue de pourvoir la fonction de président du CNRS est disponible sur le Journal Officiel.
Le processus de désignation se caractérise une fois de plus par sa grande opacité et par la mise à l’écart de l’ensemble du jugement des pairs. Compte tenu de la place centrale du CNRS dans la recherche française, y compris à l’Université, cette nomination concerne toute la communauté académique. Le président-directeur général en place, M. Petit, a déjà fait acte de candidature pour un second mandat. Dans la foulée, il a entamé une campagne auprès des scientifiques du CNRS via les listes mails de l’organisme, pour tenter de retrouver un semblant de crédibilité deux ans après avoir été récusé par 15 000 scientifiques pour son apologie de l’inégalité et du darwinisme social dans la recherche. De fait, la procédure officielle ne suffira en aucune manière à légitimer la prochaine présidence du CNRS aux yeux de la communauté académique. Cette sélection en catimini est dans le droit fil de la stratégie d’élimination politique des instances délibératives du CNRS poursuivie depuis des années par des présidences interchangeables, comme dans tous les organismes scientifiques et toutes les universités.
Dans ces conditions, réaffirmer le contrôle des pairs sur les politiques scientifiques et rétablir les conditions de l’intégrité passe par une intervention collective dans le processus de désignation.
Au vu des attaques systématiques contre les instances représentant la communauté académique au sein du CNRS sous la mandature de M. Petit, il est de la responsabilité des membres de celle-ci de se montrer à la hauteur du mandat qui leur a été donné. Nous encourageons les membres du Comité National (CoNRS) et en particulier de sa Conférence des Présidents (CPCN) à construire une candidature d’opposition au moins-disant scientifique défendu par M. Petit ou tout autre candidature de remplacement en trompe-l’oeil que le ministère ou la présidence de la République voudraient susciter. De ce point de vue, il est également important d’appuyer ces instances en participant aux élections partielles prévues pour cet automne pour toutes celles et tous ceux qui en ont statutairement le droit.
Mais il est aussi indispensable, dans les mois et les années à venir, de répéter inlassablement que la science n’existe qu’à la condition de la liberté et de l’égalité des pairs : nous sommes la science, et nous ne reconnaissons pas de légitimité à une présidence cooptée dans des comités secrets. De ce point de vue, la situation évoque évidemment le précédent du Hcéres l’an dernier. Un sondage sur Twitter en forme de ballon d’essai a permis de réunir en l’espace de trois jours 761 réponses indiquant une approbation à 93% d’une candidature collégiale promue par RogueESR.
Les dossiers doivent parvenir au ministère pour le premier octobre. Nous vous enverrons le 20 septembre un kit de candidature comprenant une déclaration d’intention programmatique. D’ici là, nous vous invitons à vérifier que vous disposez d’un CV détaillé et d’un document quelconque attestant de votre lien professionnel avec le monde de la recherche, qui sont les deux autres pièces demandées. Soulignons qu’il n’est pas indispensable d’être directement employé par le CNRS pour présenter sa candidature. Compte tenu du poids institutionnel du CNRS, les universitaires et les scientifiques d’autres organismes sont légitimes à intervenir dans le processus de désignation.
Voici les lignes de force qui nous semblent devoir être réaffirmées par cette candidature :
Missions du CNRS
La liberté de recherche et son inscription dans la durée ne sont pas négociables. Cela demande de valoriser des travaux ambitieux plutôt que productifs à court terme.
Le CNRS a une responsabilité d’animation de la recherche scientifique sur tout le territoire, en liaison avec les universités. La politique de pilotage inégalitaire consistant à utiliser le Centre comme un simple pourvoyeur de ressources stratégiques additionnelles au service d’une poignée d’universités d’excellence menace la raison d’être du CNRS en tant qu’établissement et constitue un non-sens géographique. L’allocation des moyens et les partenariats universitaires doivent donc inclure une dimension de péréquation territoriale.
Pour nous, l’intégrité scientifique et la liberté académique ont un contenu positif en termes de responsabilité démocratique, environnementale et sociale. Le CNRS doit promouvoir une recherche au service de l’intérêt général et des principes organisateurs d’une démocratie. Cela signifie que le CNRS doit immédiatement renoncer à son nouveau « partenariat » avec l’Institut Sapiens, une officine politique défendant un « transhumanisme » à forts relents eugénistes.
Recrutements
L’emploi pérenne est la condition de l’indépendance et de l’originalité, ainsi que de la conservation du savoir-faire professionnel. Le CNRS doit s’engager en faveur d’une augmentation des recrutements pérennes dans les corps de recherche et de soutien (techniciens et ingénieurs).
La présidence du CNRS doit donc défendre et représenter les agentes et agents de la recherche scientifique auprès de Bercy et du MESRI, et non le contraire comme cela est aujourd’hui le cas.
Les recrutements doivent s’effectuer sur la base de la production savante et des idées, ce qui impose de diminuer le recours au fléchage des postes dans les campagnes d’emploi.
Ces premières exigences sont liées à une conception de ce que doivent être nos métiers. Il est important de revenir au modèle de chercheurs et chercheuses qui cherchent, au lieu de promouvoir la figure du Principal Investigator qui manage des « petites mains » sans jamais être à la paillasse ni sur le terrain.
Le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) a relevé une « défaillance » du gouvernement en matière de prévention des inégalités entre femmes et hommes dans le milieu de la recherche à l’occasion du débat sur la LPR. La prochaine présidence du CNRS, en lien avec le CoNRS et la CPCN, doit se rapprocher du HCE pour élaborer des réponses institutionnelles satisfaisantes au vu de ce déficit. Pour ce faire, le CNRS doit pouvoir s’appuyer sur la Conférence Permanente des chargé·es de mission égalité et diversité des établissements d’enseignement supérieur.
L’intégrité scientifique doit redevenir l’enjeu d’une vigilance collective exercée en amont, plutôt que de rester cantonnée à un registre punitif et toujours suspect d’inéquité. Le mandat du président actuel, qui a été entaché par l’étouffement de plusieurs scandales d’intégrité, illustre suffisamment la contradiction déontologique structurelle que les évolutions récentes favorisent.
Nous sommes en mesure de présenter une première image des résultats de votes sur la plateforme de propositions. Vous êtes plus de 700 à avoir donné votre avis, et nous vous en remercions. Vous trouverez les résultats du vote question par question ici.
Aucune proposition n’a été majoritairement rejetée, si bien que c’est toute la plateforme qui sera portée à la connaissance des candidates et des candidats à l’élection présidentielle. Toutefois, un coup d’œil rapide aux propositions ayant reçu un assentiment marqué avec une moyenne supérieure ou égale à 4, permet de dégager quelques lignes de force. Celles-ci se caractérisent par leur grande continuité avec les initiatives portées par des milliers de scientifiques pour réinstituer l’Université et la recherche depuis la candidature collective à la présidence du Hcéres en janvier 2020.
C’est d’abord l’exigence d’une autonomie académique effective qui se dégage, et qui passe par une garantie juridique de la liberté universitaire et scientifique (proposition A1), redoublée par des mesures permettant de libérer la recherche de l’influence des bailleurs de fonds privé (A4). Sans surprise, ce souci de ne pas mélanger les genres et de défendre un financement désintéressé et transparent se retrouve dans l’exigence d’un remplacement du Crédit d’Impôts Recherche par un dispositif d’aide aux PME (I44).
Cette conception pratique et positive de la liberté académique conduit logiquement à exiger une refonte du système de financement conforme aux valeurs d’autonomie et de qualité de la science. De ce fait, on observe un soutien massif au principe d’une dotation budgétaire récurrente par individu d’un montant moyen d’au moins 15 000 € modulé selon les disciplines, avec création d’une banque de moyens permettant les coopérations sur des grands projets (C9). Mais les conditions matérielles de la liberté impliquent des statuts protecteurs permettant de travailler en toute indépendance et sur un temps long, tant pour les métiers de recherche et d’enseignement que pour les métiers d’appui ; les universitaires et chercheurs, en particulier, doivent être titulaires de leurs postes, recrutés par des commissions nationales et rémunérés selon des grilles déchiffrables et resserrées (D13, D14, D15, D16). Enfin, les votants ont manifesté leur attachement au principe d’autonomie collégiale effective en plébiscitant toutes les mesures visant à démanteler les « instances de pilotages » et autres bureaucraties normatives nationales (Hcéres, agences de moyens : F26, F28, F29) mais aussi locales (instances de pilotage bureaucratique des établissements : F27). Plus généralement, il s’agit de rompre avec le paradigme de l’évaluation quantitative, ce qui implique également une reprise en main des pratiques de production et de diffusion des connaissances scientifiques, sous la forme des publications. Les votants demandent ainsi que les universités et établissements se retirent des classements internationaux (F32), tout en exprimant leur volonté de voir reconstruire un système éditorial libéré de la course à la quantité, géré par les pairs et favorisant l’accès ouvert et la dispute collégiale rendue publique (F33).
Nous vous souhaitons un été reposant et heureux, et nous vous retrouverons en septembre pour un approfondissement de cette plateforme programmatique, ainsi qu’un chiffrage des propositions phares.
Cinquante propositions pour l’Université et la recherche
Nous vous invitons à prendre connaissance ci-dessous des cinquante propositions programmatiques en vue des présidentielles 2022, visant à ce que la communauté académique, au sens large, fixe elle-même les priorités pour l’enseignement supérieur et la recherche.
Les graphes offrent un premier aperçu de l’adhésion que chacune d’elle a rencontrée lors de la consultation débutée fin juin. Les appréciations s’échelonnent entre 0 (« surtout pas ») et 5 (« proposition essentielle »). Les propositions les plus soutenues feront l’objet d’un chiffrage budgétaire rigoureux puis seront portées auprès des candidats et de leurs partis. Les candidats seront alors invités à prendre position sur ces propositions issues de la communauté scientifique.
1 — Garantir juridiquement l’autonomie des universitaires et des chercheurs vis-à-vis des pouvoirs politique, économique et religieux
Le principe d’indépendance de la recherche et de l’enseignement figure dans le bloc de constitutionnalité par le biais de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. Les remises en cause récentes de la liberté académique par le pouvoir politique, le dévoiement de cette notion dans le débat public mais aussi l’érosion de son contenu concret et positif sous l’effet des réformes de ces vingt dernières années, sont le signal de l’insuffisance de cette garantie jurisprudentielle. Le principe d’indépendance qui constitue le socle de la liberté académique doit donc faire l’objet d’une définition en droit positif, qui soit intégrée au bloc de constitutionnalité. Cette garantie juridique devra apporter aux universitaires et chercheurs une protection comparable à celle dont doivent bénéficier les lanceurs d’alerte. Elle ne saurait en outre être séparée de garanties statutaires et salariales, faisant à nouveau de l’emploi titulaire la norme des métiers de l’Université.
2 — Redéfinir les principes de l’Université et de la recherche
Les principes de l’Université et de la recherche dans le Code de l’Éducation et le Code de la Recherche doivent être redéfinis à partir du double principe d’autonomie et de responsabilité devant la société et de sa fonction première : créer, transmettre, conserver et critiquer les savoirs. L’Université, au sens large incluant la recherche, suppose une interrogation illimitée qui ne prend aucune fin pratique et monnayable comme préalable et qui se remet elle-même en cause par la dispute entre pairs. L’activité scientifique et universitaire repose sur un questionnement endogène et vise à créer le savoir comme un commun de la connaissance, qu’aucun intérêt particulier ne peut s’approprier. Il en découle un principe d’autonomie vis-à-vis de tous les pouvoirs, religieux, économiques et politiques. En particulier, l’Université vise à constituer des individus autonomes, en prise sur un monde qu’ils tentent de comprendre, et capables d’investir et réinventer les imaginaires sociaux. Les missions légales de l’Université doivent donc faire expressément référence à l’intérêt général et accorder une place plus juste à l’émancipation citoyenne, afin d’affronter la triple crise à laquelle nous faisons face : crise démocratique, crise écologique, crise sociale. Ces missions officielles doivent notamment inclure la diffusion large des résultats de recherches, le devoir d’alerte et d’explicitation des enjeux et des impacts possibles des recherches menées.
3 — Redéfinir les missions de l’Université et de la recherche
Les missions de l’Université et de la recherche dans le Code de l’Éducation et le Code de la Recherche doivent être redéfinies à partir du double principe d’autonomie et de responsabilité devant la société. Les politiques universitaires et scientifiques des gouvernements successifs reposent sur le principe d’un lien entre formation supérieure, qualification, innovation et emploi, issu de l’ère fordiste. Cette association est devenue intenable, et a conduit à une « crise de l’Université » dont il faut sortir en redéfinissant les missions de cette institution conformément à un projet de société. L’urgence environnementale impose de revoir les modes de production et de création de valeur ; les mutations économiques modifient les besoins de main-d’oeuvre et induisent un chômage structurel de masse et une désindustrialisation ; la crise démocratique, enfin, est alimentée par une stagnation éducative, dans un contexte où la maîtrise de l’information scientifique et technique devient pourtant de plus en plus cruciale pour le contrôle de nos vies. Ces nouveaux besoins rendent nécessaire une refondation institutionnelle, par la voie législative, conformément à des missions modifiées pour affronter les défis qui se posent à notre société. Une réorganisation humaine, budgétaire et administrative doit être entreprise à partir de ces missions : fonctionnement en réseau, modes de financement incitant à la coopération, création d’établissements expérimentaux, garanties statutaires et matérielles d’autonomie académique et étudiante.
4 — Libérer la recherche de l’influence des bailleurs de fonds
La raréfaction des financements publics de la recherche compromet son indépendance dans la définition des questions de recherche et la conduite même des études. En l’absence de ressources raisonnablement fournies par les institutions de tutelle ou les organismes de financement nationaux et européens, un nombre toujours croissant de travaux de recherche devient dépendant d’appels aux fonds privés d’origines diverses (AXA, Bayer, Huawei, Total, Gates, etc.), et parfois de fondations d’inspiration religieuse et spiritualiste telles que la Fondation Templeton, au risque de redessiner les contours des problématiques de recherche dans certains domaines. En effet, si le contrat implicite et souvent inaperçu spécifie que le prestige du chercheur vient renforcer la légitimité de la fondation donatrice, il s’ensuit également une déviation thématique du contenu de la recherche fondamentale : le simple fait de financer telles recherches et non d’autres constitue déjà une détermination extrinsèque de l’allocation des ressources cognitives des chercheurs. Il s’agit donc d’un détournement du cours de la recherche vers, éventuellement, des objets d’étude plus conciliants que d’autres envers des dogmes religieux, des idéologies politiques ou des intérêts industriels. Seule la généralisation d’un financement pérenne par laboratoire et par chercheur pourra affaiblir l’emprise de ces fondations aux visées hétéronomes. Par ailleurs, la législation devra limiter dans chaque domaine la portion de recherches ainsi finançables, en tenant également compte pour les recherches collaboratives de la part déjà financée à l’étranger par lesdites fondations.
5 — Réorganiser l’Université et la recherche par réticulation plutôt que par concentration, selon un modèle polycentrique
La « politique d’excellence » a consisté à ne donner les moyens de travailler qu’à une fraction de la communauté académique, définie par quotas. Cette politique a engendré le décrochage qu’elle prétendait juguler : la concentration des moyens dans quelques pôles est une absurdité géographique, économique et scientifique. La fragmentation du paysage universitaire, combinée à l’« autonomie » budgétaire, est préjudiciable à la diversité de l’enseignement et de la recherche, et au lien fondamental qui unit ces deux activités. La réorganisation de l’Université (entendue comme enseignement supérieur et recherche) doit se faire en orientant les flux humains et budgétaires selon un modèle polycentrique fondé sur deux organisations duales : des établissements universitaires en charge de la gestion administrative quotidienne, et un nouveau type d’institution, des réseaux thématiques ou géographiques. Ces réseaux seront les porteurs, aussi bien en enseignement qu’en recherche, de collaborations ne laissant personne sur le côté. Ils organiseront les circulations des idées, des universitaires, des chercheurs et des étudiants. Le pilotage des politiques de recherche et de formation doit être retiré aux établissements et confié à ces réseaux thématiques, qui doivent être astreints à une obligation de péréquation territoriale. Cette architecture établissements/réseaux suppose un investissement pour recruter universitaires, chercheurs et personnels de soutien et d’appui en cohérence avec le maillage scientifique. D’un point de vue matériel et immobilier, l’investissement portera sur les infrastructures numériques et immobilières pensées pour favoriser l’émergence de ce modèle polycentrique. Les réseaux constitueront l’ossature articulant les établissements publics à caractère scientifique et technologique aux établissements universitaires.
6 — Créer cinq universités expérimentales dans des villes de taille moyenne
Retrouver une ambition d’émancipation intellectuelle pour la jeunesse demande de lancer au plus vite la construction de cinq établissements universitaires expérimentaux de taille moyenne, réparties à travers le territoire et installées dans des villes moyennes disposant déjà de locaux vacants appartenant à l’État. Ces établissements devront être dotés de résidences universitaires en quantité importante, intégrées dans le tissu urbain. L’objectif n’est pas de construire des « universités de proximité » destinées à absorber le choc démographique, mais d’inventer des espaces inaugurant un nouveau rapport de l’Université à la ville : intégration urbanistique, présence de tiers lieux dévolus aux sciences participatives, programmes d’éducation populaire et de coopérations scientifiques et artistiques… Ces nouveaux campus doivent aussi inclure des havres de sociabilité étudiante, des programmes disciplinaires et interdisciplinaires neufs et une formation scientifique de pointe pour toutes et tous, à même d’irriguer le système universitaire français, voire européen.
7 — Rénover l’immobilier universitaire
Le parc immobilier universitaire et scientifique est vétuste : passoires thermiques, locaux dégradés, ventilation déficiente, faible accessibilité aux personnes handicapées… L’investissement planifié doit être une occasion de développer de nouvelles techniques de rénovation, d’isolation thermique, de qualité de l’air et de qualité de vie étudiante. La doctrine des universités « de proximité », fondée sur l’idée d’un hébergement des étudiantes et des étudiants dans leurs familles, n’a pas tenu ses promesses. L’émancipation suppose de sortir de son milieu familial, pour vivre une vie d’étudiant. Il faut dès aujourd’hui programmer des logements universitaires inscrits dans le paysage urbain, accessibles financièrement et environnés de lieux de vie culturelle, associative et festive, plutôt que les actuels blocs d’immeubles disséminés dans des campus excentrés. Cela passe aussi par la création de tiers-lieux d’expérimentation, d’espaces de création artistique et d’éducation populaire ouverts sur la ville et de nouvelles bibliothèques mixtes, à la fois municipales et universitaires. Ces quartiers à remodeler doivent être l’occasion d’expérimentations architecturales associant urbanisme démocratique, audace artistique et techniques adaptées aux défis énergétique, environnemental et climatique.
8 — Investir dans l’environnement culturel, sanitaire et social de l’Université
L’Université (recherche incluse) ne pourra retrouver son caractère émancipateur qu’à la condition de faire vivre des espaces de coopération, d’écoute et d’accueil pour l’ensemble de ceux qui la constituent. Ce plan doit comprendre trois volets : un programme d’investissement, une action réglementaire et une politique de réaménagement des locaux. Il est nécessaire d’investir pour garantir la permanence des soins sur les campus, qui sont trop souvent devenus des déserts médicaux. Il convient également d’augmenter les capacités des dispositifs de prévention de la précarité sanitaire, de la souffrance psychologique et des violences sexistes et racistes. Au plan réglementaire, cela demande de recruter des fonctionnaires à temps plein dans les services de santé des campus et établissements, et de mettre en place des dispositifs de suivi des conditions de travail strictement indépendants des bureaucraties locales, afin de pouvoir prononcer des sanctions dissuasives contre les abus de tous ordres, au terme d’une procédure de signalement simplifiée. Enfin, la prise en compte de la démographie universitaire dans la carte sanitaire doit faire partie intégrante d’un plan de réorganisation urbanistique qui transforme les campus en espace de vie sociale ouverts et intégrés à la cité : cela inclut la mise en place de crèches et le cas échéant d’écoles maternelles bénéficiant aussi aux habitants des quartiers environnants dans la ville, ainsi qu’un maillage dense de maisons de santé et de pharmacies ouvertes à tous.
9 — Allouer l’essentiel des moyens de la recherche fondamentale de manière récurrente, selon une grille disciplinaire
Le système de financements par appels à projets a tiré la science française vers le bas : en généralisant le recours à des moyens non-pérennes, il favorise les effets de mode, et contribue à l’augmentation des inconduites scientifiques. Il met en compétition à tous les niveaux des scientifiques et des structures de recherche dont l’intérêt serait de coopérer et de travailler en synergie. Il institutionnalise une précarité préjudiciable à la recherche de la vérité. Nous proposons de remplacer les agences de moyens par un système fondé sur l’octroi d’une dotation budgétaire par tête (esquisse formulée ici). En 2021, le milliard de l’ANR aurait permis une dotation de 15 k€ par chercheur titulaire (équivalent temps plein). Cette dotation individuelle devrait être allouée selon une grille disciplinaire adaptée à la diversité des besoins, à partir d’une enveloppe globale augmentée. Une fraction de cette dotation sera socialisée dans une banque de moyens administrée par les pairs, afin de financer les projets de coopération réticulaires.
10 — Créer des réseaux de recherche thématiques et une banque de moyens
L’organisation de la recherche, pour juguler le décrochage scientifique engendré par 20 ans de « réformes », doit être repensée à partir de l’idée de fructification de l’écosystème scientifique. Pour favoriser l’exigence, l’intégrité et l’originalité des travaux, il convient de favoriser l’entraide et la dispute entre pairs, la circulation des idées, la diversité. Le modèle des établissements-marque en concurrence a eu un effet destructeur sur l’éco-système français. Il faut donc un nouveau type d’institutions, le réseau universitaire, au sein duquel chacun est tenu responsable de la qualité de la production du réseau entier, sans que quiconque soit laissé au bord du chemin. Le second levier consiste à donner le contrôle des clés de répartition des moyens à la communauté des chercheurs eux-mêmes, en leur permettant toutes sortes d’opérations bancaires: l’épargne, le prêt, la mise en commun, etc.
11 — Renouer avec de grands programmes de recherche au service de l’intérêt général
La programmation des grands projets de recherche est régie par des mécanismes opaques et clientélistes, soumise à des effets de mode et capturée par des intérêts privés. Le financement récurrent doit redevenir la norme pour la recherche et l’Université, mais il convient aussi de prévoir les modalités de répartition des crédits supplémentaires dont bénéficieront les thématiques et programmes jugés prioritaires pour la collectivité. Ces priorités devront être fixées au terme d’un débat démocratique informé entre le corps civique, ses représentants et la communauté scientifique. Plusieurs modalités d’intervention sont possibles. Une convention de citoyens, inscrite dans la loi, organisée dans le respect d’une méthodologie rigoureuse et bénéficiant d’une formation pluraliste et contradictoire, pourrait ainsi proposer des thèmes prioritaires de recherche dotés de budgets spécifiques. Des conventions thématiques pourraient également être convoquées par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, associant scientifiques, associations et parlementaires, pour assurer un suivi public des programmes prioritaires. Ces domaines pourraient recouvrir par exemple les questions d’énergie, la transition écologique, les questions démographiques, la santé ou toute recherche sollicitée par la société qui fasse sens par rapport à celle-ci.
12 — Peser sur la politique européenne de recherche en faveur de réseaux
Les appels à projets de l’European Research Council ont fortement déstabilisé le modèle du savant à la française, au profit du modèle du manager de la science ne disposant plus de temps pour faire de la recherche et pilotant des équipes de précaires parfois pléthoriques. Le manager de la science est la figure complémentaire de celle du précaire. La concentration des moyens n’a que des défauts : elle contribue à la baisse globale de la qualité et de la quantité des travaux, encourage le conformisme et le déficit d’intégrité. En supprimant les débouchés académiques des jeunes chercheurs, en instaurant un mercato des chercheurs, c’est tout l’écosystème de formation des scientifiques qui est fragilisé. Selon un principe de subsidiarité, l’European Research Council doit être un outil réservé à la création de réseaux européens de recherche, et non parasiter les systèmes nationaux.
13 — Les missions d’appui et de soutien à la recherche doivent être assurées par des agents titulaires de leur poste
Exercer les missions de service public, dans une phase de transformation profonde de la société suppose un plan ambitieux de recrutement de personnels d’appui et de soutien sur des postes pérennes, adaptés aux métiers exercés, aux fonctions et aux missions du système universitaire et scientifique. Plutôt que de maintenir les agents dans la précarité, et les unités qui les emploient dans l’incertitude, les laboratoires doivent pouvoir compter sur des postes pérennes pour les métiers d’appui à la recherche et à l’enseignement afin d’en assurer la continuité et de préserver l’expérience acquise ; et ce, aussi bien pour les fonctions d’ingénieurs et techniciens dans les disciplines nécessitant un travail expérimental conséquent que pour l’accompagnement administratif et logistique de terrain. Les postes seront ouverts au plus près des besoins des services, en insertion dans des équipes, afin de contrecarrer la tendance à la centralisation administrative qui asservit actuellement les unités à une administration déconnectée. Les procédures de recrutement devront également avoir pour objectif, contre le fléchage actuel des postes d’appui expérimental vers des plateformes techniques, de réconcilier le développement méthodologique avec la pratique de la recherche. Ce plan d’embauche devra s’appuyer sur le vivier important de personnels d’appui contractuel, formé et compétent, que les vingt dernières années de politique dans l’ESR ont traité comme une variable d’ajustement budgétaire. Ce plan sera en partie financé par la suppression du grand nombre de fonctions superfétatoires créées depuis vingt ans par la technostructure dans les « instances de pilotage », à son seul profit.
14 — Résorber la précarité et garantir la possibilité du temps long pour les universitaires et les chercheurs
À l’Université, l’écart entre la hausse des besoins pendant la période 2010-2025, imputable à la démographie, et le nombre réel des recrutements correspond à un déficit de 15 000 postes d’universitaires titulaires. Ces besoins incompressibles sont très largement comblés par le recours aux vacations et contrats précaires de toute nature. L’Université suppose des universitaires dotés d’un statut leur conférant stabilité professionnelle, liberté académique et autonomie effective de l’enseignement comme de la recherche, pour pouvoir décalcifier l’institution et élaborer les cursus expérimentaux exigeants dont la société a besoin. Il est donc urgent de procéder à une campagne exceptionnelle de recrutement de fonctionnaires programmée sur dix ans, à hauteur du déficit mentionné plus haut, en utilisant ce volant d’emplois pour impulser le changement institutionnel nécessaire à sortir l’Université de l’ornière. Dans les unités de recherche, retrouver l’élan indispensable à des programmes de long terme, affranchis de la pression du sensationnalisme et des échéances à satisfaire, implique de rétablir 3 000 à 4 000 postes de chercheurs fonctionnaires à temps plein pour assurer les missions actuellement remplies par des scientifiques non-titulaires.
15 — Restituer le contrôle des recrutements scientifiques et universitaires aux pairs
Dans les organismes de recherche, la sphère managériale contrôlant les jurys d’admission supplante de plus en plus les jurys d’admissibilité, composés de pairs élus. Il est nécessaire de restituer le recrutement aux sections représentatives pour garantir la sincérité des classements. Dans les établissements universitaires, le contrôle bureaucratique s’effectue dans le choix des postes à pourvoir : il s’agit souvent de récompenser une composante sur des critères de loyauté politique. Même lorsque les postes correspondent aux besoins, les biais de gestion locale font que des champs entiers périclitent faute d’être jugés prioritaires par quelque établissement que ce soit. L’augmentation du nombre de postes ne suffira pas à effacer ces biais. Le primo-recrutement à l’Université doit être assuré par des jurys nationaux représentatifs et fréquemment renouvelés, dont la composition doit être rendue publique en amont et dont les choix doivent être justifiés par la rédaction de rapports de concours rendus publics. Après une phase sur dossier, l’admission dans les corps des universitaires doit comporter une audition devant le jury national, incluant une phase pédagogique. Enfin, l’affectation locale doit se faire dans un second temps, après avis conforme de l’établissement concerné. Ce système national est le seul permettant une moindre consommation de cette ressource précieuse qu’est le temps et une évaluation des candidatures sur la base de la lecture des travaux.
16 — Des grilles salariales resserrées et transparentes pour réaffirmer l’unité des corps de métiers
L’opacité et l’individualisation des rémunérations jouent un rôle important dans la dégradation des conditions du travail scientifique et pédagogique, du fait, en particulier, de la captation des ressources et des gratifications par la bureaucratie universitaire et scientifique : il s’ensuit une dégradation de la collégialité et un décrochage scientifique du pays. Le rétablissement de la norme de l’emploi statutaire doit aller de pair avec une refonte du système de rémunération incluant notamment la suppression de tout système de prime individuelle, au profit de grilles salariales resserrés, d’une reconstitution de la part socialisée du salaire (cotisations de retraites notamment) et, pour les universitaires, d’une limitation drastique des modulations de services, des heures complémentaires et des vacations, qui fragilisent la norme de l’emploi pérenne et sapent la parité de l’enseignement et de la recherche dans les obligations de service définissant la fonction universitaire.
17 — Accorder un statut, dual, aux doctorants
L’indépendance nécessaire au travail savant doit être accordée dès la formation doctorale, l’objectif étant d’atteindre la plus faible division du travail savant possible dans les équipes de recherche. En conséquence, les allocations de thèse doivent être accordées aux doctorants, assorties des droits sociaux du salariat, tout en permettant aux doctorants de choisir leur encadrant. Seules les thèses effectuées auprès de l’industrie doivent échapper à cette règle. Le doctorat doit devenir une période de formation exigeante, d’apprentissage, de transmission de gestes, de manières de faire, de styles, d’éthique intellectuelle, de mœurs, de standards d’exigence. Le travail de thèse n’est pas un travail d’exécutant au profit de l’encadrant.
18 — Briser le plafond de verre
Dans un rapport du MESRI sur le recrutement des femmes à l’Université, le rédacteur constatait : « Si le rythme moyen de progression est inchangé, le corps des MCF sera paritaire en 2027 et le corps des PU sera paritaire en 2068 ». Mettre un terme aux pratiques qui ralentissent la carrière scientifique des femmes est une urgence. Pour briser le plafond de verre, il est nécessaire de mettre en place une politique de valorisation incitative des pratiques vertueuses, en en faisant l’une des normes de l’évaluation des structures par les pairs. Les bilans sociaux devont obligatoirement comporter des statistiques fines sur les femmes chercheuses et enseignantes-chercheuses dans chaque discipline et seront rendus publics à l’intérieur comme à l’extérieur des institutions. Une évaluation nationale de l’efficacité des dispositifs mis en place pour faire évoluer les carrières sera effectuée tous les quatre ans. Parallèlement, une enquête nationale sera menée afin d’étudier les différences de délais entre la soutenance de thèse ou d’habilitation et l’obtention des postes de titulaires entre hommes et femmes, et d’évaluer les viviers pour les postes. Enfin, une mission dédiée devra déterminer précisément les charges administratives et les pratiques professionnelles quotidiennes qui grèvent la recherche des femmes ou contribuent à les exclure des collectifs de travail, en vue de les proscrire expressément. La refonte des structures institutionnelles et des pratiques collégiales dans l’Université et la recherche devra se faire en prenant spécifiquement en considération ces problèmes d’inégalités de genre.
19 — Assurer une rotation aux fonctions de direction
La professionnalisation des fonctions de direction est pour les scientifiques et les universitaires une cause essentielle de la dépossession de leur métier, et contribue à réduire la qualité de l’enseignement et de la recherche. Pour y mettre un terme, l’ensemble des mandats de direction dans les établissements et organismes doivent être non-renouvelables consécutivement. Un délai de réserve de cinq ans doit être observé après l’exercice d’une charge importante, comme une fonction de président ou de vice-président d’université ou la direction d’un institut du CNRS. Durant ce délai, aucune haute responsabilité administrative ne doit être autorisée, pas plus qu’une nomination dans une haute administration liée à l’ESR (Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, rectorats, directions générales, présidence d’une autorité administrative, poste en cabinet ministériel). La durée cumulée d’exercice de telles responsabilités dans une carrière individuelle doit être plafonnée à 8 ans. Les personnes concernées pourront bénéficier, dans l’année qui suit la fin de leur charge, d’un congé ou d’un temps partiel qui leur permettra de retrouver le niveau scientifique nécessaire à l’exercice de leur métier. Les rémunérations des fonctions de direction seront strictement encadrées.
20 — L’Assemblée plénière, instance suprême des établissements
La conduite stratégique de l’Université et de la recherche doit être transférée à des collèges thématiques et/ou disciplinaires composés de pairs dans le respect d’un principe de péréquation territoriale. De ce fait, rien ne justifie le maintien d’une organisation bureaucratique locale reposant sur la figure du président. Le mandat de président d’université ou d’organisme de recherche doit redevenir une charge honorifique de représentation de l’Assemblée plénière des universitaires (tous statuts confondus), seule habilitée à désigner et à révoquer le président, en veillant à une pondération équitable des différents corps de métiers de l’établissement, à l’exclusion de tout membre extérieur. L’exercice de la charge présidentielle doit être limité à un an (renouvelable une fois), avec une alternance homme-femme obligatoire et l’interdiction pour l’Assemblée plénière de désigner un président issu du même secteur disciplinaire que son prédécesseur immédiat.
21 — Suppression de l’agrément de la Conférence des Présidents d’Université
La relation de subordination hiérarchique n’est pas compatible avec le concept d’Université. L’existence même d’une structure bureaucratique permanente exerçant les prérogatives d’un syndicat patronal comme la Conférence des Présidents d’Université est une négation de l’Université. Son inutilité et son illégitimité étant établies, son agrément d’utilité publique doit être retiré. L’Agence de mutualisation des universités et établissements (AMUE) sera supprimée, son rôle de coopération étant inefficace. Les réseaux coopératifs en prendront les missions. À l’inverse, cet agrément doit pouvoir être accordé à des structures issues de la communauté universitaire, constituées en associations en dehors des instances représentatives existantes et ayant vocation à traiter des questions de l’Université du point de vue de ceux qui font exister concrètement ce secteur d’activités. Il en va de même pour les structures associatives encadrant la recherche participative.
22 — Interdire le recours à des cabinets de consultants et la labellisation
Le recours à des cabinets de conseil et d’expertise doit être interdit, que ce soit pour des rapports, des animations managériales ou la constitution de dossiers de candidature, de prospective ou autre. Aucun établissement d’enseignement supérieur et de recherche ne sera autorisé à utiliser une part quelconque de son budget pour obtenir des labels, pour influer ou pour communiquer autour de classements nationaux ou internationaux. Un audit de l’ensemble des dépenses budgétaires destinées à un autre usage que l’enseignement et la recherche devra avoir lieu pour encadrer strictement les prélèvements dans les budgets de l’enseignement et de la recherche. En particulier, le soutien à des structures privées d’information institutionnelle et scientifique devra être ré-examiné pour privilégier l’information ouverte.
23 — Réaffirmer le contrôle collégial des missions de l’Université
Les missions de l’Université et les choix pratiques à même d’y satisfaire doivent être un objet de débat démocratique informé et ouvert, animé par les universitaires, dans les limites fixées par la société et inscrites dans la constitution. L’appareil normatif mis en place depuis vingt ans soustrait à la délibération collégiale cette discussion sur la production, la critique et la transmission des savoirs, remplacée dans le meilleur des cas par la consultation d’intercesseurs cooptés. La réappropriation de l’Université passe par la mise en place d’assemblées larges, transparentes et ouvertes, strictement indépendantes des présidences, qui devront travailler à la fois en formation restreinte aux universitaires et en formation ouverte à tous les usagers. Elles devront produire une analyse publique périodique et contradictoire des stratégies locales, à l’aune de critères comme la protection des libertés académiques, le ratio enseignants titulaires/étudiants, la contribution à une formation exigeante et originale des étudiants, leur bien-être et celui des agents, et la part des activités de recherche fondamentale et finalisée dans les activités de l’établissement.
24 — Instaurer une subsidiarité descendante au sein des établissements
Les établissements universitaires ont connu dans la période récente une concentration des pouvoirs de décision dans les mains d’une techno-bureaucratie centrale (équipe présidentielle, directeurs généraux des services, etc). Il convient d’impulser une réorganisation des structures de décision conforme au principe d’autonomie des universitaires, selon un principe de subsidiarité descendante : les décisions doivent être confiées au niveau de granularité le plus petit possible : l’équipe pédagogique ou l’équipe de recherche, quand c’est possible ; au-dessus, le laboratoire ou l’UFR, etc. En conséquence, les services centraux doivent être réorganisés pour remplir des tâches techniques qui ne procèdent pas du travail d’équipe d’enseignement et de recherche, à l’exclusion de toute mission de pilotage ou de management. Par ailleurs, la réorganisation doit conduire à la plus faible division du travail possible dans les équipes de recherche et d’enseignement.
25 — Prévenir les conflits d’intérêts et les nominations politiques à la tête d’instances de contrôle des activités de recherche et d’enseignement supérieur
Les conflits d’intérêts entre public et privé ou au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche se sont multipliés, favorisés notamment par l’article L952-14-1 du code de l’éducation, et grèvent la confiance de l’opinion publique envers la science. Cet article du code de l’éducation doit être abrogé. En outre, pour des raisons éthiques et budgétaires et pour la qualité et l’intérêt du service, il convient de mettre un terme aux (auto)-nominations de membres de cabinets ministériels à des postes de pouvoir, aux renvois d’ascenseur et à l’établissement de lignes budgétaires de complaisance, autant d’errements qui se sont généralisés. Toute nomination ou promotion dans la hiérarchie décisionnelle doit être conditionnée à un contrôle des situations de conflits d’intérêts avec des fonctions passées ou actuelles. Enfin, la dispense élargie de doctorat remet en cause la compétence des candidats pour assumer les fonctions de recteur et favorise l’arbitraire politique. Il faut restaurer l’obligation de doctorat pour les fonctions de recteur d’académie, de chancelier des universités et de conseiller ministériel ESR.
26 — Supprimer l’évaluation managériale et ses institutions
Seule la pratique de la dispute collégiale garantit l’exigence intellectuelle et déontologique en matière de production, de critique et de transmission des savoirs. Les dispositifs institutionnels qui vident cette pratique de sa substance par des normes et des procédures hétéronomes à l’activité de recherche doivent être abandonnés. Cela passe notamment par une rupture avec les diverses bureaucraties dévolues à l’évaluation managériale permanente, notamment quantitatives, qui ont pu se constituer à l’échelle des différents établissements et opérateurs de l’ESR, en commençant par la dissolution du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres). Dans l’Université et les organismes de recherche, la probation de la qualité des travaux doit se faire par l’ensemble des pairs, de façon ouverte et contradictoire, via une instance nationale représentative de l’ensemble de la communauté scientifique, et sans lien institutionnel avec la gestion des carrières et l’octroi des financements de base.
27 — Interrompre le cycle des évaluations bureaucratiques des institutions
Les procédures d’évaluation normatives reposent sur la multiplication des formulaires et des questionnaires créés par les instances de « pilotage » bureaucratique pour nourrir des « indicateurs » généralement compilés sans méthode rigoureuse, erronés factuellement et biaisés selon des priorités jamais explicitées. Dans les organismes de recherche et les établissements d’enseignement supérieur, une réforme administrative doit être entreprise pour interdire l’usage de ces questionnaires et tableurs, remplacés par une base de données nationale contenant l’ensemble des informations budgétaires et salariales nécessaires et paradoxalement très difficiles d’accès. Les normes d’appréciation et de valorisation du travail académique doivent être révisées et explicitées pour se conformer aux missions confiées par la société à l’Université et au système de recherche.
28 — Supprimer le mille-feuille bureaucratique
Un grand nombre de strates bureaucratiques ont été accumulées depuis des années, en ajoutant à chaque mandature sans jamais en supprimer. Il est devenu nécessaire de supprimer le Secrétariat Général pour l’Investissement (SGPI), la Banque Publique d’Investissement (BPI), l’Inspection Générale de l’Education, du Sport et de la Recherche (IGESR). Les différents programmes d’initiatives dits d’excellence doivent être arrêtés. Le Haut-commissariat au plan et France Stratégie doivent être fusionnés. Les communautés d’universités et établissements (ComUE) et les fédérations d’établissements disposant d’un statut « expérimental » doivent être supprimées. Les moyens libérés seront affectés aux besoins de l’Université et de la recherche.
29 — Supprimer les micro-agences de moyens et instaurer le contrôle de gestion a posteriori
Le temps constitue une ressource précieuse. Aussi faut-il supprimer toutes les activités superflues qui ne concernent qu’indirectement l’enseignement et la recherche. Ainsi, il convient d’interdire tout appel à projets et tout appel d’offres dont le coût d’organisation et de suivi serait supérieur à 2% des sommes distribuées. Ces 2% sont entendus en coûts consolidés, incluant les salaires des universitaires siégeant dans les jurys, prorata temporis, les salaires des personnels de soutien mobilisés pour l’occasion, et les frais d’environnement. On conçoit aisément l’économie de moyens, le gain de temps et d’énergie, que représenterait le fait de limiter ainsi drastiquement le nombre de ces appels à projets qui nuisent à l’activité universitaire. Pour des raisons identiques, les contrôles et démarches administratives seront supprimés dès lors que le coût consolidé de la vérification est supérieur à 2% des dépenses. Le contrôle de gestion s’effectuera a posteriori, une journée par an, en justifiant de l’ensemble des achats et dépenses effectuées auprès d’un contrôleur.
Construire l’évaluation des structures de recherche et la gestion des carrières sur un principe de productivité conduit à une compétition stérile et encourage de manière systémique fraudes et inconduites scientifiques. Il est nécessaire de s’extraire de ce paradigme. La signature par les organismes de recherche des manifestes de Leiden et de San Francisco (DORA) implique de privilégier une analyse qualitative et l’abandon de critères quantitatifs. Lors des visites de laboratoire, le comité de visite doit prendre connaissance en profondeur des travaux les plus importants de l’équipe afin qu’un débat contradictoire, équilibré et constructif, puisse s’instaurer entre pairs. De ce fait, il convient de fixer un seuil national maximum du nombre de publications annuelles prises en compte. Ce chiffre maximum pourrait être lissé sur cinq ans pour tenir compte des calendriers de publication, et tenir compte de différents types de publication. Il devrait être établi à des niveaux différents selon les disciplines, par exemple via le Conseil National des Universités, afin d’aller vers une politique de diffusion du travail de recherche qui prenne en compte l’originalité, l’exigence, l’ampleur des preuves en favorisant le temps long. Les normes d’appréciation doivent encourager la division verticale du travail la plus faible possible de sorte à rendre caduc le modèle du manager de la science (PI) : les chercheurs doivent avant tout produire par eux-mêmes, dans un cadre coopératif.
31 — Rénover les modalités de vérification scientifique par les pairs
L’inflation constatée du nombre de publications académiques faiblement incrémentales quant à leur contenu scientifique est souvent la conséquence d’un impératif de positionnement recherché par les auteurs et, en deçà, résulte d’une pression institutionnelle.Nombre de publications visent à prendre date, à préempter un champ de recherche plutôt qu’à rendre compte de travaux aboutis. Une façon de répondre à cette demande et de limiter le nombre de publications à faible contenu scientifique serait de rendre possible la publication, sur une plateforme nationale ouverte et gratuite, de notes techniques, bases de données, codes ou autre forme de production scientifique afin de garantir aux auteurs une indexation et une diffusion de leurs travaux tout en autorisant un processus de disputatio en ligne ouvert et transparent, permettant le questionnement et l’annotation des travaux. La modération de cette plateforme serait assurée par les pairs via les réseaux thématiques universitaires qui en assureraient le bon fonctionnement. Le temps libéré permettrait de consacrer plus de temps au travail de contrôle des articles proprement dits.
32 — Se retirer de la course à la quantité et faire de la France un modèle d’intégrité scientifique
Le déficit d’intégrité scientifique est devenu un problème majeur, notamment dans les disciplines liées à de grands intérêts de pouvoir. Partout dans le monde, l’inflation du nombre de publications s’est accompagnée d’une inflation des inconduites scientifiques. Les réponses actuelles se limitent à une politique de prévention et de sanction, inefficace car inadaptée, voire renforçant l’emprise de mandarins peu intègres. Tant que l’intérêt des chercheurs sera de signer davantage de publications, sans valorisation de la qualité des preuves, de l’intégrité et de l’originalité, cette crise qualitative ne fera que s’accroître. Il s’agit donc de réformer notre système en nous libérant de l’obsession normative des systèmes étrangers, pour reconstruire ici un havre d’intégrité et de bonne science. Pour ce faire, les pressions à la publication doivent être supprimées au profit de gratifications sociales pour l’exigence, l’originalité, l’intégrité, la qualité des travaux, à tous les étages institutionnels en commençant par le doctorat. Cela suppose le retrait de tous les classements scientifiques internationaux, afin d’enclencher une dynamique vertueuse de promotion internationale de la qualité et de l’intégrité.
33 — Rétablir le contrôle des pairs sur l’édition scientifique
L’édition scientifique a pour rôle majeur la diffusion des travaux de recherche savante dans la communauté académique. Elle ne peut être régie, comme elle l’est aujourd’hui, par un modèle économique faisant du pôle éditorial une entreprise ayant pour seule finalité de dégager une marge bénéficiaire pour ses actionnaires et de l’article un produit de consommation — revendu à une clientèle captive constituée de ceux-là même qui produisent ce bien commun. Rétablir les standards d’intégrité éditoriale impose de rendre aux pairs le contrôle effectif des revues et plus généralement des maisons d’édition. Cela exige de développer, de moderniser les presses universitaires et d’encourager financièrement le contrôle des revues par les pairs, le cas échéant via des structures associatives ad hoc, qui peuvent être des sociétés savantes, ou des associations éditrices porteuses d’une revue, comme cela fut longtemps la norme. Le système de subvention à l’édition scientifique doit d’abord encourager les publications en accès libre et incluant des modules de réponse, de commentaire et de révision par les pairs après publication, comme le font déjà certaines revues.
34 — Garantir l’autonomie matérielle des étudiants
Toute personne résidant en France doit se voir garantir par la collectivité un droit minimal à trois années d’études supérieures au long de sa vie, dans des conditions d’autonomie matérielle décentes. Pour les étudiants en formation initiale, cela ne peut passer que par le versement d’un revenu d’autonomie d’un montant de référence de 1 000 € par mois, douze mois par an, pour toute la durée d’un cycle de formation, qui peut être de trois ou de quatre ans. Nous empruntons au collectif Acides sa proposition de financement de cette mesure par la branche « familles » de la Sécurité Sociale, abondée par les cotisations patronales et déjà en charge des aides personnelles au logement. Le montant mensuel pourra être révisé à la baisse si l’étudiant dispose déjà d’un hébergement, par exemple dans sa famille. Mais cette disposition a précisément pour objectif d’encourager les étudiants à s’émanciper des déterminations sociales.
35 — Création d’un grand service public propédeutique
L’Université a perdu sa place de référence dans l’enseignement supérieur en France, concurrencée qu’elle est, dès la première année, par les IUT, les classes de BTS et les classes préparatoires aux Grandes Écoles. Ces cursus doivent être rapprochés, sans toutefois les normaliser dans un dispositif autonome qui serait ipso facto coupé du reste de l’Université. Ce nouveau grand service public propédeutique, situé au sein de l’Université, devra lutter prioritairement contre un type d’échec en licence plus pernicieux que celui mesuré par les taux de diplomation en trois ans : celui de la maîtrise des concepts, des outils, des grammaires enseignés, qui peut se redoubler d’un échec à développer une pensée autonome. La propédeutique doit s’inscrire dans le contexte de ce qu’est l’Université : un lieu de responsabilité, d’exigence et de liberté. Le fait qu’un semestre raté soit suivi d’un autre semestre qui s’appuie sur le premier est un facteur important de décrochage, auquel il faut remédier en obligeant les universités à proposer la même offre de cours magistraux et de travaux dirigés essentiels à chaque semestre, ce qui faciliterait aussi grandement les réorientations après le premier semestre. Le surcoût induit, à traduire en embauches, viendrait en contrepartie d’un effet significatif sur les poursuites d’études.
36 — Affecter les bacheliers de manière plus juste et moins chronophage
La consommation de temps de Parcoursup n’est pas tenable, pas plus que son résultat : une gigantesque loterie dans l’attribution des formations. Parcoursup, au-delà de l’introduction de la sélection et de la dévalorisation du baccalauréat, est avant tout une mesure gestionnaire, destinée à décourager les bacheliers pour ne pas investir dans le système de formation supérieur : les rectorats contrôlent la part de la population qui arrive à chaque niveau de qualification, dans chaque discipline, par des capacités d’accueil et des quotas. La question de l’affectation des bacheliers est donc avant tout politique et peut donc être en grande partie résolue par l’ouverture de nouveaux établissements et par un changement profond des missions de l’Université qui en finisse avec l’idéologie du « capital humain » et avec la prétention à un pilotage par des dirigeants tournés vers le passé. Le système d’orientation doit être fondé sur une information objectivée sur les formations proposées et le public auquel elles s’adressent : cela suppose de refonder les services d’orientation, largement démantelés, pour produire cette information et la mettre à disposition. D’autre part, l’affectation doit se faire exclusivement à partir des appétences des futurs étudiants pour telle ou telle formation. L’admission doit donc être faite sur la base de vœux ordonnés, en nombre limités, émis par avance, suivi d’une liste non ordonnée de formations intéressantes de manière secondaire.
37 — Diversifier l’offre de formation par l’expérimentation
L’enseignement universitaire français reste extrêmement marqué par l’époque où l’Université visait essentiellement à la préparation disciplinaire à l’agrégation. Les réformes conférant une « autonomie » aux établissements universitaires ont en pratique accentué la dépossession des universitaires par différentes strates techno-bureaucratiques. Pour autant, l’idée d’expérimenter, de procéder à de nouveaux découpages disciplinaires, de répondre à une forme d’utilité vis-à-vis du corps social ne doit pas être abandonnée ; au contraire. Elle est consubstantielle à l’autonomie des universitaires, qui à bien des égards, est à l’opposé de l’« autonomie » des universités pour lequel « bureaucratisation » est plus approprié. La création de parcours expérimentaux ne visant pas à « attirer les meilleurs étudiants » mais à renouveler l’offre de formation offerte au plus grand nombre doit être valorisée, aussi bien au niveau institutionnel qu’au niveau des équipes pédagogiques. Cela suppose d’inclure dans le statut des universitaires, dotés de l’indépendance, des formes diverses de recherche et d’enseignement. À titre d’exemple, les enseignants des écoles d’art doivent devenir universitaires tout en protégeant leurs enseignements de toute dimension normative ou conformiste.
38 — Débureaucratiser l’accréditation des formations universitaires
Les procédures bureaucratiques d’accréditation des diplômes doivent être desserrées, avec des calendriers désynchronisés pour les différents niveaux de formation d’un même établissement et une durée de validité par défaut des maquettes portées à sept ans, avec possibilité de modifier et ré-accréditer une maquette au bout de quatre ans si le besoin s’en fait sentir. L’habilitation des formations par l’État devra comporter une annexe financière qui conduise, de manière contractuelle, à ce que l’État en assure le financement.
39 — Prérecrutement et engagement décennal pour les métiers prioritaires demandant une formation longue
La satisfaction des besoins sociaux impose de mettre en place un dispositif de pré-recrutement avec engagement décennal dans un certain nombre de formations demandant des études moyennes ou longues. Cela concerne notamment les métiers de la santé et du soin (médecine, maïeutique, soins infirmiers, psychologie). Les métiers de la transformation écologique requièrent également la mise en place de tels dispositifs, notamment pour les corps d’ingénieurs appelés à travailler dans l’aménagement du territoire et les nouvelles industries environnementales. Enfin, les métiers de l’Université et de la recherche eux-mêmes requièrent un pré-recrutement en fin de licence sous statut d’élèves-fonctionnaires permettant d’aller sereinement vers une thèse de doctorat : le système des Écoles normales supérieures (ENS) constitue un embryon de ce dispositif, qui doit être largement étendu sur tout le territoire.
40 — Refonder la formation des enseignants du premier et du second degré
La crise de la formation des enseignants affecte directement la transmission et la critique des savoirs académiques. Il est nécessaire de reconstituer un vivier de futurs enseignants et de mieux les accompagner très tôt dans leurs études. Pour cela, nous proposons d’introduire un pré-recrutement des enseignants sous statut d’élève-fonctionnaire dès la L2. Ce pré-recrutement donnera également accès à une formation initiale aux métiers de l’enseignement et à des stages d’observation. Placé en fin de licence, le concours de recrutement sera axé sur les savoirs disciplinaires et sera suivi d’une formation en alternance sous statut de fonctionnaire-stagiaire, incluant des éléments de formation disciplinaire (ce qui inclut une part de didactique), et de sciences de l’éducation. Enfin, la première année comme titulaire doit donner lieu à un service allégé, permettant ainsi d’améliorer l’entrée dans le métier. Dans le même temps, une formation universitaire tout au long de la vie doit être mise en place pour les enseignants déjà en poste.
41 — Lier la recherche et l’Université avec l’enseignement secondaire
La transmission des savoirs académiques au plus grand nombre impose de resserrer les liens entre la recherche, l’Université et l’enseignement secondaire. La refondation de la formation des enseignants par des cursus incluant une dimension de recherche, le cas échéant didactique, constitue une première étape mais elle doit être suivie de la mise en place d’un programme de formation scientifique et universitaire continue pour les enseignants du primaire et du secondaire. Ce dispositif doit inclure la facilitation des détachements et des congés de recherche pour les enseignants désireux de s’engager dans un doctorat. Les sections de techniciens supérieurs et les classes préparatoires doivent passer sous la tutelle du ministère de l’enseignement supérieur, qui doit être associé au suivi de la carrière des enseignants docteurs. À l’inverse, les services de l’enseignement primaire et secondaire doivent être intégrés au pilotage des programmes de recherche participative mis en place par ailleurs.
42 — Supprimer le RNCP et réformer du processus de Bologne
Le Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) est un moyen contestable de promotion de formations commerciales non-diplômantes destiné aux collectivités locales, aux chambres de commerce et au patronat. Le contrôle de qualité censé incomber à la commission nationale de la certification professionnelle n’est pas satisfaisant et laisse perdurer une confusion qui profite à des opérateurs marchands peu scrupuleux. Dans le même temps, la soumission des formations universitaires aux « référentiels » du RNCP conforte le nivellement intellectuel des formations sur les standards de l’edu-business, au détriment des étudiants et des équipes enseignantes. Cette soumission fait système avec la reprise en main de l’Université européenne connue sous le nom de « processus de Bologne ». La réinstitution de formations expérimentales audacieuses, démocratiques et émancipatrices à l’Université suppose donc la suppression du RNCP ainsi qu’un audit des réformes réglementaires « bolognaises » pouvant conduire à l’annulation de certaines d’entre elles.
43 — Garantir une formation universitaire des ingénieurs
Le système des Grandes Écoles est un héritage de l’ère napoléonienne systématisé dans le temps même où l’Allemagne inventait l’Université moderne, humboldtienne. La France a le seul système où les élites sociales, économiques et politiques ne sont pas formées dans le lieu d’élaboration du savoir, l’Université. La désindustrialisation rapide, l’immense retard en matière de recherche et développement, la faiblesse du tissu de petites et moyennes entreprises (PME) fondé sur l’innovation proviennent en partie de cet archaïsme. Le déficit de formation à la recherche des élites conduit à une incapacité structurelle à agir face à des situations inédites, et donc à affronter des crises comme la syndémie de Covid ou la crise climatique. Notre société a impérativement besoin d’adopter le modèle international du docteur-ingénieur, formé au sein de département universitaire d’ingénierie. Cela suppose de dissoudre la commission des titres d’ingénieurs, qui défend une conception surannée du lien entre industrie et formations supérieures et entretient l’absence de formation scientifique sérieuse des grands corps de l’Etat. Les écoles d’ingénieurs doivent devenir des départements largement autonomes d’établissements universitaires, mais surtout monter en puissance en recherche par intégration à des réseaux, de sorte à s’adapter à la condition de délivrance du titre d’ingénieur : le doctorat. Les classes préparatoires aux grandes écoles doivent participer du maillage territorial d’offre de formation, en participant d’une formation propédeutique exigeante.
44 — Réformer le Crédit d’Impôts Recherche en ciblant les PME
Le Crédit d’Impôt Recherche (CIR) doit être supprimé et remplacé par des aides de l’État à la recherche industrielle transparentes, évaluées, et ayant un effet d’entraînement sur le financement des entreprises dans leurs propres recherches. Ces aides doivent être réservées aux petites et moyennes entreprises (PME), les grandes entreprises ayant prouvé avec le CIR qu’elles s’en servent presque exclusivement à des fins de défiscalisation. Elles peuvent prendre la forme de programmes thématiques, d’aides à l’investissement (prise en charge des intérêts), d’aides remboursables en cas de succès, ou même d’aides fiscales ciblées vers les PME et les pôles de compétitivité. Elles viseront à promouvoir le modèle de l’ingénieur-docteur, en étant conditionnées à un travail de recherche effectif, effectué par des chercheurs titulaires d’un doctorat. Second critère, la création des PME qui manquent au système français, dans les secteurs stratégiques directement utiles à la société, sera encouragée par l’Etat pour favoriser une réindustrialisation conforme à la société décarbonée que nous devons construire. À titre d’exemple, la production de bien manufacturés robustes et réparables sera encouragée. Le modèle de PME coopérative sera tout particulièrement aidé.
45 — Garantir la formation scientifique et universitaire des hauts fonctionnaires
La pauvreté de la formation à la recherche des élites issues des grandes écoles est devenue un problème pour la réponse aux besoins économiques et environnementaux. Elle est entretenue par la séparation entre l’Université, les grandes écoles et les grands corps de l’Etat. La pandémie a montré l’incapacité des hauts fonctionnaires à la fois à suivre l’actualité scientifique et à apporter des réponses logistiques. L’inculture scientifique et pratique explique les errements de l’exécutif, y compris en matière d’adaptation aux défis environnementaux. La nécessité d’une haute fonction publique au service du bien commun et apte à affronter des crises implique des changements profonds de recrutement et de formation. Cela passe par la restructuration voire le démantèlement d’une fraction importante des « grands corps » au profit d’une fonction d’ingénieur-gestionnaires, compétents scientifiquement et techniquement, ayant pour mission de mettre en œuvre les politiques publiques décidées dans un cadre démocratique. Les hauts fonctionnaires doivent être formés spécifiquement à un haut niveau, dans des formations universitaires conjointes entre les départements de science politique et les autres secteurs disciplinaires, aussi bien dans les humanités et dans les sciences sociales qu’en sciences naturelles. La solution ne passe pas par des écoles généralistes pour toutologues, mais dans une formation à l’enquête, à l’expérimentation, à la critique, à la compilation de données savantes, à la capacité à décrypter les synthèses scientifiques et enfin, à mettre en œuvre.
46 — Créer un dispositif de publication ouverte de synthèses scientifiques pour une décision publique informée et démocratique
Dans une société où les évolutions techniques jouent un rôle politique majeur, l’exercice de la démocratie nécessite une formation des citoyens aux modalités de raisonnement et à la pensée critique, à la science et aux humanités. Cette formation doit être la pierre angulaire du système éducatif dans son ensemble. Les modalités d’information scientifique du débat public doivent reposer sur des preuves et sur le débat contradictoire plutôt que sur la notoriété d’individus supposés détenir une supériorité cognitive. La répartition de la parole scientifique publique entre des « experts » cooptés et définitifs et des bateleurs médiatiques porte préjudice à l’idée d’une délibération démocratique contradictoire scientifiquement étayée. Pour sortir de ce piège, il est nécessaire de réformer ou de supprimer les agences d’expertise de type de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), pour confier cette tâche au monde savant, selon les modalités scientifiques. Le GIEC peut servir dans un premier temps d’étalon pour procéder aux réformes nécessaires. Dans le principe, les pairs doivent pouvoir disposer librement des publications ouvertes, synthétisant l’état des connaissances sur certains sujets litigieux, par des revues critiques de la littérature pertinente et en se soumettant à une étape préalable de relecture collégiale avant la mise en ligne. Ces articles de synthèse, à la différence de celles déjà réalisées régulièrement, ne devront pas s’adresser aux pairs, mais aux non-spécialistes, et donner toute leur place à l’indétermination et au manque de connaissances. La soumission initiale d’une synthèse grand public de ce type serait soumise à des conditions strictes : signature collective par des pairs ayant publié sur le sujet ou sur un sujet attenant en cas de problème neuf apparaissant soudainement. Chaque contributeur devra remplir une déclaration publique d’intérêts.
47 — Refonder et promouvoir un rationalisme démocratique
L’engagement rationaliste, de la fin du XIXe siècle aux années 1970, fédérait la défense de l’investigation scientifique, l’exigence de liberté et le souci de l’intérêt général. Les réseaux rationalistes assuraient alors une liaison précieuse entre le monde savant, l’enseignement primaire et secondaire et la société. Aujourd’hui, la notion de rationalisme est trop souvent accaparée par un scientisme technophile de moins en moins compatible avec la réalité établie d’une crise écologique gravissime et imputable à l’activité humaine ; dans le même temps, la montée de l’autoritarisme contredit les idéaux politiques émancipateurs du rationalisme démocratique, tout en reprenant sa rhétorique lorsque les thèmes techno-scientifiques sont évoqués. Enfin, la croyance naïve selon laquelle l’innovation suffira toujours à résoudre les crises dans l’urgence constitue un retournement du rationalisme, à la fois contre la science et contre la démocratie. Face à cette situation, il est nécessaire de relancer l’engagement rationaliste démocratique, en mettant en place un programme d’éducation populaire associant les scientifiques, l’Éducation Nationale et le monde associatif. Dans le même temps, les associations scientifiques doivent être incluses dans les processions de décision publique dans un cadre transparent (avec publication de déclarations d’intérêts) et ouvert.
48 — Ouvrir et financer des tiers-lieux d’expérimentation et de débat
Une démocratie vivante passe par une appropriation des savoirs par l’ensemble des citoyens. Des lignes budgétaires doivent être dédiées à la recherche participative dans chaque organisme de recherche. Un fonds consacré aux recherches avec et pour les citoyens doit être créé et abondé de sorte à répondre aux enjeux sociaux et écologiques du monde contemporain. Il convient également d’encourager les dispositifs à l’interface entre science et société, telles que les Boutiques des Sciences, de faciliter l’établissement de conventions directes entre opérateurs de recherche et associations et de s’appuyer sur un réseau de conventions associatives de formation par la recherche. Enfin, un observatoire des sciences citoyennes responsables et solidaires doit être créé pour recenser et analyser les capacités de recherche et d’expertise de la société civile. Deux types de tiers-lieux seront encouragés et financés : des tiers-lieux destinés à mettre en œuvre des expérimentations de toute nature, selon des méthodes fiabilisées et rationalisées et des tiers lieux destinés à produire une mise en débat des questions techniques à partir des faits scientifiquement fondés et des lacunes de savoir, selon des modalités inspirées et adaptées de la méthode de véridiction savante.
49 — Valoriser la responsabilité de la recherche devant la société
Les chercheurs et enseignants-chercheurs sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à questionner le lien entre leur activité professionnelle et leur vie de citoyens, à entendre affirmer que l’activité savante est affaire de véridiction mais aussi de valeurs. L’urgence climatique, écologique, sociale, politique semble encourager un engagement actif des scientifiques dans l’espace public et politique. Cette transformation des relations entre sciences et politique pousse à une réflexion sur le sens de la recherche comme métier et comme fonction sociale. La formation des scientifiques doit inclure une réflexion sur les nouvelles missions d’intérêt général de l’Université et de la recherche, comme sur les engagements axiologiques implicites de leur activité, en y intégrant des enseignements sur les pratiques et les moyens pour expliciter ces valeurs et mettre en œuvre ces missions. La mobilité des chercheurs entre le secteur associatif d’intérêt général et les organismes de recherche doit être encouragée. Un comité national mixte composé de citoyens, de parlementaires et de chercheurs pourrait assurer le suivi de la programmation citoyenne d’une partie de la recherche répondant aux demandes de la société. Au sein des organismes de recherche, des comités paritaires auraient pour mission d’assurer la transparence et de l’intégrité des politiques de recherche et leur ouverture à la société.
50 — La création artistique dans la refondation de la recherche et de l’Université
Les pratiques individuelles et collaboratives de création artistique ont une place importante à prendre dans la reconstruction d’un imaginaire politique démocratique, et dans la transformation de notre rapport à notre environnement social, technique et géographique. Les laboratoires et l’Université doivent être encouragés comme lieux d’expérimentation artistique et de formation à la création. Pour cela, les écoles d’art actuellement fragilisées par un statut incertain et coupées du reste de l’enseignement supérieur doivent intégrer l’Université. La recherche-création doit être reconnue partout comme un mode de production de connaissances et incluse dans les services des chercheurs et enseignants-chercheurs concernés ainsi que dans les recherches doctorales. Le cas échéant, les futurs dispositifs de pré-recrutement sous statut d’élève-fonctionnaire ouverts à destination des carrières de la recherche doivent être ouverts aux étudiants-artistes. Enfin, le renforcement institutionnel des pratiques artistiques à l’Université et dans les laboratoires devra se manifester par un encouragement aux cursus interdisciplinaires et aux programmes de recherche transversaux sciences-techniques-création.
Pous pouvez encore évaluer chacune ce ces propositions, ici. N’hésitez pas à contact∂rogueesr.frnous contacter si vous rencontrez des difficultés.
Cinquante propositions pour l’Université et la recherche
Vous pouvez prendre connaissance ci-dessous des propositions programmatiques en vue des présidentielles 2022. L’objectif est que la communauté académique, au sens large, fixe elle-même les priorités pour l’enseignement supérieur et la recherche. Les propositions les plus soutenues feront l’objet d’un chiffrage budgétaire rigoureux puis seront portées auprès des candidats et de leurs partis. Les candidats seront alors invités à prendre position sur ces propositions issues de la communauté scientifique.
1 — Garantir juridiquement l’autonomie des universitaires et des chercheurs vis-à-vis des pouvoirs politique, économique et religieux
Le principe d’indépendance de la recherche et de l’enseignement figure dans le bloc de constitutionnalité par le biais de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. Les remises en cause récentes de la liberté académique par le pouvoir politique, le dévoiement de cette notion dans le débat public mais aussi l’érosion de son contenu concret et positif sous l’effet des réformes de ces vingt dernières années, sont le signal de l’insuffisance de cette garantie jurisprudentielle. Le principe d’indépendance qui constitue le socle de la liberté académique doit donc faire l’objet d’une définition en droit positif, qui soit intégrée au bloc de constitutionnalité. Cette garantie juridique devra apporter aux universitaires et chercheurs une protection comparable à celle dont doivent bénéficier les lanceurs d’alerte. Elle ne saurait en outre être séparée de garanties statutaires et salariales, faisant à nouveau de l’emploi titulaire la norme des métiers de l’Université.
2 — Redéfinir les principes de l’Université et de la recherche
Les principes de l’Université et de la recherche dans le Code de l’Éducation et le Code de la Recherche doivent être redéfinis à partir du double principe d’autonomie et de responsabilité devant la société et de sa fonction première : créer, transmettre, conserver et critiquer les savoirs. L’Université, au sens large incluant la recherche, suppose une interrogation illimitée qui ne prend aucune fin pratique et monnayable comme préalable et qui se remet elle-même en cause par la dispute entre pairs. L’activité scientifique et universitaire repose sur un questionnement endogène et vise à créer le savoir comme un commun de la connaissance, qu’aucun intérêt particulier ne peut s’approprier. Il en découle un principe d’autonomie vis-à-vis de tous les pouvoirs, religieux, économiques et politiques. En particulier, l’Université vise à constituer des individus autonomes, en prise sur un monde qu’ils tentent de comprendre, et capables d’investir et réinventer les imaginaires sociaux. Les missions légales de l’Université doivent donc faire expressément référence à l’intérêt général et accorder une place plus juste à l’émancipation citoyenne, afin d’affronter la triple crise à laquelle nous faisons face : crise démocratique, crise écologique, crise sociale. Ces missions officielles doivent notamment inclure la diffusion large des résultats de recherches, le devoir d’alerte et d’explicitation des enjeux et des impacts possibles des recherches menées.
3 — Redéfinir les missions de l’Université et de la recherche
Les missions de l’Université et de la recherche dans le Code de l’Éducation et le Code de la Recherche doivent être redéfinies à partir du double principe d’autonomie et de responsabilité devant la société. Les politiques universitaires et scientifiques des gouvernements successifs reposent sur le principe d’un lien entre formation supérieure, qualification, innovation et emploi, issu de l’ère fordiste. Cette association est devenue intenable, et a conduit à une « crise de l’Université » dont il faut sortir en redéfinissant les missions de cette institution conformément à un projet de société. L’urgence environnementale impose de revoir les modes de production et de création de valeur ; les mutations économiques modifient les besoins de main-d’oeuvre et induisent un chômage structurel de masse et une désindustrialisation ; la crise démocratique, enfin, est alimentée par une stagnation éducative, dans un contexte où la maîtrise de l’information scientifique et technique devient pourtant de plus en plus cruciale pour le contrôle de nos vies. Ces nouveaux besoins rendent nécessaire une refondation institutionnelle, par la voie législative, conformément à des missions modifiées pour affronter les défis qui se posent à notre société. Une réorganisation humaine, budgétaire et administrative doit être entreprise à partir de ces missions : fonctionnement en réseau, modes de financement incitant à la coopération, création d’établissements expérimentaux, garanties statutaires et matérielles d’autonomie académique et étudiante.
4 — Libérer la recherche de l’influence des bailleurs de fonds
La raréfaction des financements publics de la recherche compromet son indépendance dans la définition des questions de recherche et la conduite même des études. En l’absence de ressources raisonnablement fournies par les institutions de tutelle ou les organismes de financement nationaux et européens, un nombre toujours croissant de travaux de recherche devient dépendant d’appels aux fonds privés d’origines diverses (AXA, Bayer, Huawei, Total, Gates, etc.), et parfois de fondations d’inspiration religieuse et spiritualiste telles que la Fondation Templeton, au risque de redessiner les contours des problématiques de recherche dans certains domaines. En effet, si le contrat implicite et souvent inaperçu spécifie que le prestige du chercheur vient renforcer la légitimité de la fondation donatrice, il s’ensuit également une déviation thématique du contenu de la recherche fondamentale : le simple fait de financer telles recherches et non d’autres constitue déjà une détermination extrinsèque de l’allocation des ressources cognitives des chercheurs. Il s’agit donc d’un détournement du cours de la recherche vers, éventuellement, des objets d’étude plus conciliants que d’autres envers des dogmes religieux, des idéologies politiques ou des intérêts industriels. Seule la généralisation d’un financement pérenne par laboratoire et par chercheur pourra affaiblir l’emprise de ces fondations aux visées hétéronomes. Par ailleurs, la législation devra limiter dans chaque domaine la portion de recherches ainsi finançables, en tenant également compte pour les recherches collaboratives de la part déjà financée à l’étranger par lesdites fondations.
5 — Réorganiser l’Université et la recherche par réticulation plutôt que par concentration, selon un modèle polycentrique
La « politique d’excellence » a consisté à ne donner les moyens de travailler qu’à une fraction de la communauté académique, définie par quotas. Cette politique a engendré le décrochage qu’elle prétendait juguler : la concentration des moyens dans quelques pôles est une absurdité géographique, économique et scientifique. La fragmentation du paysage universitaire, combinée à l’« autonomie » budgétaire, est préjudiciable à la diversité de l’enseignement et de la recherche, et au lien fondamental qui unit ces deux activités. La réorganisation de l’Université (entendue comme enseignement supérieur et recherche) doit se faire en orientant les flux humains et budgétaires selon un modèle polycentrique fondé sur deux organisations duales : des établissements universitaires en charge de la gestion administrative quotidienne, et un nouveau type d’institution, des réseaux thématiques ou géographiques. Ces réseaux seront les porteurs, aussi bien en enseignement qu’en recherche, de collaborations ne laissant personne sur le côté. Ils organiseront les circulations des idées, des universitaires, des chercheurs et des étudiants. Le pilotage des politiques de recherche et de formation doit être retiré aux établissements et confié à ces réseaux thématiques, qui doivent être astreints à une obligation de péréquation territoriale. Cette architecture établissements/réseaux suppose un investissement pour recruter universitaires, chercheurs et personnels de soutien et d’appui en cohérence avec le maillage scientifique. D’un point de vue matériel et immobilier, l’investissement portera sur les infrastructures numériques et immobilières pensées pour favoriser l’émergence de ce modèle polycentrique. Les réseaux constitueront l’ossature articulant les établissements publics à caractère scientifique et technologique aux établissements universitaires.
6 — Créer cinq universités expérimentales dans des villes de taille moyenne
Retrouver une ambition d’émancipation intellectuelle pour la jeunesse demande de lancer au plus vite la construction de cinq établissements universitaires expérimentaux de taille moyenne, réparties à travers le territoire et installées dans des villes moyennes disposant déjà de locaux vacants appartenant à l’État. Ces établissements devront être dotés de résidences universitaires en quantité importante, intégrées dans le tissu urbain. L’objectif n’est pas de construire des « universités de proximité » destinées à absorber le choc démographique, mais d’inventer des espaces inaugurant un nouveau rapport de l’Université à la ville : intégration urbanistique, présence de tiers lieux dévolus aux sciences participatives, programmes d’éducation populaire et de coopérations scientifiques et artistiques… Ces nouveaux campus doivent aussi inclure des havres de sociabilité étudiante, des programmes disciplinaires et interdisciplinaires neufs et une formation scientifique de pointe pour toutes et tous, à même d’irriguer le système universitaire français, voire européen.
7 — Rénover l’immobilier universitaire
Le parc immobilier universitaire et scientifique est vétuste : passoires thermiques, locaux dégradés, ventilation déficiente, faible accessibilité aux personnes handicapées… L’investissement planifié doit être une occasion de développer de nouvelles techniques de rénovation, d’isolation thermique, de qualité de l’air et de qualité de vie étudiante. La doctrine des universités « de proximité », fondée sur l’idée d’un hébergement des étudiantes et des étudiants dans leurs familles, n’a pas tenu ses promesses. L’émancipation suppose de sortir de son milieu familial, pour vivre une vie d’étudiant. Il faut dès aujourd’hui programmer des logements universitaires inscrits dans le paysage urbain, accessibles financièrement et environnés de lieux de vie culturelle, associative et festive, plutôt que les actuels blocs d’immeubles disséminés dans des campus excentrés. Cela passe aussi par la création de tiers-lieux d’expérimentation, d’espaces de création artistique et d’éducation populaire ouverts sur la ville et de nouvelles bibliothèques mixtes, à la fois municipales et universitaires. Ces quartiers à remodeler doivent être l’occasion d’expérimentations architecturales associant urbanisme démocratique, audace artistique et techniques adaptées aux défis énergétique, environnemental et climatique.
8 — Investir dans l’environnement culturel, sanitaire et social de l’Université
L’Université (recherche incluse) ne pourra retrouver son caractère émancipateur qu’à la condition de faire vivre des espaces de coopération, d’écoute et d’accueil pour l’ensemble de ceux qui la constituent. Ce plan doit comprendre trois volets : un programme d’investissement, une action réglementaire et une politique de réaménagement des locaux. Il est nécessaire d’investir pour garantir la permanence des soins sur les campus, qui sont trop souvent devenus des déserts médicaux. Il convient également d’augmenter les capacités des dispositifs de prévention de la précarité sanitaire, de la souffrance psychologique et des violences sexistes et racistes. Au plan réglementaire, cela demande de recruter des fonctionnaires à temps plein dans les services de santé des campus et établissements, et de mettre en place des dispositifs de suivi des conditions de travail strictement indépendants des bureaucraties locales, afin de pouvoir prononcer des sanctions dissuasives contre les abus de tous ordres, au terme d’une procédure de signalement simplifiée. Enfin, la prise en compte de la démographie universitaire dans la carte sanitaire doit faire partie intégrante d’un plan de réorganisation urbanistique qui transforme les campus en espace de vie sociale ouverts et intégrés à la cité : cela inclut la mise en place de crèches et le cas échéant d’écoles maternelles bénéficiant aussi aux habitants des quartiers environnants dans la ville, ainsi qu’un maillage dense de maisons de santé et de pharmacies ouvertes à tous.
9 — Allouer l’essentiel des moyens de la recherche fondamentale de manière récurrente, selon une grille disciplinaire
Le système de financements par appels à projets a tiré la science française vers le bas : en généralisant le recours à des moyens non-pérennes, il favorise les effets de mode, et contribue à l’augmentation des inconduites scientifiques. Il met en compétition à tous les niveaux des scientifiques et des structures de recherche dont l’intérêt serait de coopérer et de travailler en synergie. Il institutionnalise une précarité préjudiciable à la recherche de la vérité. Nous proposons de remplacer les agences de moyens par un système fondé sur l’octroi d’une dotation budgétaire par tête (esquisse formulée ici). En 2021, le milliard de l’ANR aurait permis une dotation de 15 k€ par chercheur titulaire (équivalent temps plein). Cette dotation individuelle devrait être allouée selon une grille disciplinaire adaptée à la diversité des besoins, à partir d’une enveloppe globale augmentée. Une fraction de cette dotation sera socialisée dans une banque de moyens administrée par les pairs, afin de financer les projets de coopération réticulaires.
10 — Créer des réseaux de recherche thématiques et une banque de moyens
L’organisation de la recherche, pour juguler le décrochage scientifique engendré par 20 ans de « réformes », doit être repensée à partir de l’idée de fructification de l’écosystème scientifique. Pour favoriser l’exigence, l’intégrité et l’originalité des travaux, il convient de favoriser l’entraide et la dispute entre pairs, la circulation des idées, la diversité. Le modèle des établissements-marque en concurrence a eu un effet destructeur sur l’éco-système français. Il faut donc un nouveau type d’institutions, le réseau universitaire, au sein duquel chacun est tenu responsable de la qualité de la production du réseau entier, sans que quiconque soit laissé au bord du chemin. Le second levier consiste à donner le contrôle des clés de répartition des moyens à la communauté des chercheurs eux-mêmes, en leur permettant toutes sortes d’opérations bancaires: l’épargne, le prêt, la mise en commun, etc.
11 — Renouer avec de grands programmes de recherche au service de l’intérêt général
La programmation des grands projets de recherche est régie par des mécanismes opaques et clientélistes, soumise à des effets de mode et capturée par des intérêts privés. Le financement récurrent doit redevenir la norme pour la recherche et l’Université, mais il convient aussi de prévoir les modalités de répartition des crédits supplémentaires dont bénéficieront les thématiques et programmes jugés prioritaires pour la collectivité. Ces priorités devront être fixées au terme d’un débat démocratique informé entre le corps civique, ses représentants et la communauté scientifique. Plusieurs modalités d’intervention sont possibles. Une convention de citoyens, inscrite dans la loi, organisée dans le respect d’une méthodologie rigoureuse et bénéficiant d’une formation pluraliste et contradictoire, pourrait ainsi proposer des thèmes prioritaires de recherche dotés de budgets spécifiques. Des conventions thématiques pourraient également être convoquées par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, associant scientifiques, associations et parlementaires, pour assurer un suivi public des programmes prioritaires. Ces domaines pourraient recouvrir par exemple les questions d’énergie, la transition écologique, les questions démographiques, la santé ou toute recherche sollicitée par la société qui fasse sens par rapport à celle-ci.
12 — Peser sur la politique européenne de recherche en faveur de réseaux
Les appels à projets de l’European Research Council ont fortement déstabilisé le modèle du savant à la française, au profit du modèle du manager de la science ne disposant plus de temps pour faire de la recherche et pilotant des équipes de précaires parfois pléthoriques. Le manager de la science est la figure complémentaire de celle du précaire. La concentration des moyens n’a que des défauts : elle contribue à la baisse globale de la qualité et de la quantité des travaux, encourage le conformisme et le déficit d’intégrité. En supprimant les débouchés académiques des jeunes chercheurs, en instaurant un mercato des chercheurs, c’est tout l’écosystème de formation des scientifiques qui est fragilisé. Selon un principe de subsidiarité, l’European Research Council doit être un outil réservé à la création de réseaux européens de recherche, et non parasiter les systèmes nationaux.
13 — Les missions d’appui et de soutien à la recherche doivent être assurées par des agents titulaires de leur poste
Exercer les missions de service public, dans une phase de transformation profonde de la société suppose un plan ambitieux de recrutement de personnels d’appui et de soutien sur des postes pérennes, adaptés aux métiers exercés, aux fonctions et aux missions du système universitaire et scientifique. Plutôt que de maintenir les agents dans la précarité, et les unités qui les emploient dans l’incertitude, les laboratoires doivent pouvoir compter sur des postes pérennes pour les métiers d’appui à la recherche et à l’enseignement afin d’en assurer la continuité et de préserver l’expérience acquise ; et ce, aussi bien pour les fonctions d’ingénieurs et techniciens dans les disciplines nécessitant un travail expérimental conséquent que pour l’accompagnement administratif et logistique de terrain. Les postes seront ouverts au plus près des besoins des services, en insertion dans des équipes, afin de contrecarrer la tendance à la centralisation administrative qui asservit actuellement les unités à une administration déconnectée. Les procédures de recrutement devront également avoir pour objectif, contre le fléchage actuel des postes d’appui expérimental vers des plateformes techniques, de réconcilier le développement méthodologique avec la pratique de la recherche. Ce plan d’embauche devra s’appuyer sur le vivier important de personnels d’appui contractuel, formé et compétent, que les vingt dernières années de politique dans l’ESR ont traité comme une variable d’ajustement budgétaire. Ce plan sera en partie financé par la suppression du grand nombre de fonctions superfétatoires créées depuis vingt ans par la technostructure dans les « instances de pilotage », à son seul profit.
14 — Résorber la précarité et garantir la possibilité du temps long pour les universitaires et les chercheurs
À l’Université, l’écart entre la hausse des besoins pendant la période 2010-2025, imputable à la démographie, et le nombre réel des recrutements correspond à un déficit de 15 000 postes d’universitaires titulaires. Ces besoins incompressibles sont très largement comblés par le recours aux vacations et contrats précaires de toute nature. L’Université suppose des universitaires dotés d’un statut leur conférant stabilité professionnelle, liberté académique et autonomie effective de l’enseignement comme de la recherche, pour pouvoir décalcifier l’institution et élaborer les cursus expérimentaux exigeants dont la société a besoin. Il est donc urgent de procéder à une campagne exceptionnelle de recrutement de fonctionnaires programmée sur dix ans, à hauteur du déficit mentionné plus haut, en utilisant ce volant d’emplois pour impulser le changement institutionnel nécessaire à sortir l’Université de l’ornière. Dans les unités de recherche, retrouver l’élan indispensable à des programmes de long terme, affranchis de la pression du sensationnalisme et des échéances à satisfaire, implique de rétablir 3 000 à 4 000 postes de chercheurs fonctionnaires à temps plein pour assurer les missions actuellement remplies par des scientifiques non-titulaires.
15 — Restituer le contrôle des recrutements scientifiques et universitaires aux pairs
Dans les organismes de recherche, la sphère managériale contrôlant les jurys d’admission supplante de plus en plus les jurys d’admissibilité, composés de pairs élus. Il est nécessaire de restituer le recrutement aux sections représentatives pour garantir la sincérité des classements. Dans les établissements universitaires, le contrôle bureaucratique s’effectue dans le choix des postes à pourvoir : il s’agit souvent de récompenser une composante sur des critères de loyauté politique. Même lorsque les postes correspondent aux besoins, les biais de gestion locale font que des champs entiers périclitent faute d’être jugés prioritaires par quelque établissement que ce soit. L’augmentation du nombre de postes ne suffira pas à effacer ces biais. Le primo-recrutement à l’Université doit être assuré par des jurys nationaux représentatifs et fréquemment renouvelés, dont la composition doit être rendue publique en amont et dont les choix doivent être justifiés par la rédaction de rapports de concours rendus publics. Après une phase sur dossier, l’admission dans les corps des universitaires doit comporter une audition devant le jury national, incluant une phase pédagogique. Enfin, l’affectation locale doit se faire dans un second temps, après avis conforme de l’établissement concerné. Ce système national est le seul permettant une moindre consommation de cette ressource précieuse qu’est le temps et une évaluation des candidatures sur la base de la lecture des travaux.
16 — Des grilles salariales resserrées et transparentes pour réaffirmer l’unité des corps de métiers
L’opacité et l’individualisation des rémunérations jouent un rôle important dans la dégradation des conditions du travail scientifique et pédagogique, du fait, en particulier, de la captation des ressources et des gratifications par la bureaucratie universitaire et scientifique : il s’ensuit une dégradation de la collégialité et un décrochage scientifique du pays. Le rétablissement de la norme de l’emploi statutaire doit aller de pair avec une refonte du système de rémunération incluant notamment la suppression de tout système de prime individuelle, au profit de grilles salariales resserrés, d’une reconstitution de la part socialisée du salaire (cotisations de retraites notamment) et, pour les universitaires, d’une limitation drastique des modulations de services, des heures complémentaires et des vacations, qui fragilisent la norme de l’emploi pérenne et sapent la parité de l’enseignement et de la recherche dans les obligations de service définissant la fonction universitaire.
17 — Accorder un statut, dual, aux doctorants
L’indépendance nécessaire au travail savant doit être accordée dès la formation doctorale, l’objectif étant d’atteindre la plus faible division du travail savant possible dans les équipes de recherche. En conséquence, les allocations de thèse doivent être accordées aux doctorants, assorties des droits sociaux du salariat, tout en permettant aux doctorants de choisir leur encadrant. Seules les thèses effectuées auprès de l’industrie doivent échapper à cette règle. Le doctorat doit devenir une période de formation exigeante, d’apprentissage, de transmission de gestes, de manières de faire, de styles, d’éthique intellectuelle, de mœurs, de standards d’exigence. Le travail de thèse n’est pas un travail d’exécutant au profit de l’encadrant.
18 — Briser le plafond de verre
Dans un rapport du MESRI sur le recrutement des femmes à l’Université, le rédacteur constatait : « Si le rythme moyen de progression est inchangé, le corps des MCF sera paritaire en 2027 et le corps des PU sera paritaire en 2068 ». Mettre un terme aux pratiques qui ralentissent la carrière scientifique des femmes est une urgence. Pour briser le plafond de verre, il est nécessaire de mettre en place une politique de valorisation incitative des pratiques vertueuses, en en faisant l’une des normes de l’évaluation des structures par les pairs. Les bilans sociaux devont obligatoirement comporter des statistiques fines sur les femmes chercheuses et enseignantes-chercheuses dans chaque discipline et seront rendus publics à l’intérieur comme à l’extérieur des institutions. Une évaluation nationale de l’efficacité des dispositifs mis en place pour faire évoluer les carrières sera effectuée tous les quatre ans. Parallèlement, une enquête nationale sera menée afin d’étudier les différences de délais entre la soutenance de thèse ou d’habilitation et l’obtention des postes de titulaires entre hommes et femmes, et d’évaluer les viviers pour les postes. Enfin, une mission dédiée devra déterminer précisément les charges administratives et les pratiques professionnelles quotidiennes qui grèvent la recherche des femmes ou contribuent à les exclure des collectifs de travail, en vue de les proscrire expressément. La refonte des structures institutionnelles et des pratiques collégiales dans l’Université et la recherche devra se faire en prenant spécifiquement en considération ces problèmes d’inégalités de genre.
19 — Assurer une rotation aux fonctions de direction
La professionnalisation des fonctions de direction est pour les scientifiques et les universitaires une cause essentielle de la dépossession de leur métier, et contribue à réduire la qualité de l’enseignement et de la recherche. Pour y mettre un terme, l’ensemble des mandats de direction dans les établissements et organismes doivent être non-renouvelables consécutivement. Un délai de réserve de cinq ans doit être observé après l’exercice d’une charge importante, comme une fonction de président ou de vice-président d’université ou la direction d’un institut du CNRS. Durant ce délai, aucune haute responsabilité administrative ne doit être autorisée, pas plus qu’une nomination dans une haute administration liée à l’ESR (Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, rectorats, directions générales, présidence d’une autorité administrative, poste en cabinet ministériel). La durée cumulée d’exercice de telles responsabilités dans une carrière individuelle doit être plafonnée à 8 ans. Les personnes concernées pourront bénéficier, dans l’année qui suit la fin de leur charge, d’un congé ou d’un temps partiel qui leur permettra de retrouver le niveau scientifique nécessaire à l’exercice de leur métier. Les rémunérations des fonctions de direction seront strictement encadrées.
20 — L’Assemblée plénière, instance suprême des établissements
La conduite stratégique de l’Université et de la recherche doit être transférée à des collèges thématiques et/ou disciplinaires composés de pairs dans le respect d’un principe de péréquation territoriale. De ce fait, rien ne justifie le maintien d’une organisation bureaucratique locale reposant sur la figure du président. Le mandat de président d’université ou d’organisme de recherche doit redevenir une charge honorifique de représentation de l’Assemblée plénière des universitaires (tous statuts confondus), seule habilitée à désigner et à révoquer le président, en veillant à une pondération équitable des différents corps de métiers de l’établissement, à l’exclusion de tout membre extérieur. L’exercice de la charge présidentielle doit être limité à un an (renouvelable une fois), avec une alternance homme-femme obligatoire et l’interdiction pour l’Assemblée plénière de désigner un président issu du même secteur disciplinaire que son prédécesseur immédiat.
21 — Suppression de l’agrément de la Conférence des Présidents d’Université
La relation de subordination hiérarchique n’est pas compatible avec le concept d’Université. L’existence même d’une structure bureaucratique permanente exerçant les prérogatives d’un syndicat patronal comme la Conférence des Présidents d’Université est une négation de l’Université. Son inutilité et son illégitimité étant établies, son agrément d’utilité publique doit être retiré. L’Agence de mutualisation des universités et établissements (AMUE) sera supprimée, son rôle de coopération étant inefficace. Les réseaux coopératifs en prendront les missions. À l’inverse, cet agrément doit pouvoir être accordé à des structures issues de la communauté universitaire, constituées en associations en dehors des instances représentatives existantes et ayant vocation à traiter des questions de l’Université du point de vue de ceux qui font exister concrètement ce secteur d’activités. Il en va de même pour les structures associatives encadrant la recherche participative.
22 — Interdire le recours à des cabinets de consultants et la labellisation
Le recours à des cabinets de conseil et d’expertise doit être interdit, que ce soit pour des rapports, des animations managériales ou la constitution de dossiers de candidature, de prospective ou autre. Aucun établissement d’enseignement supérieur et de recherche ne sera autorisé à utiliser une part quelconque de son budget pour obtenir des labels, pour influer ou pour communiquer autour de classements nationaux ou internationaux. Un audit de l’ensemble des dépenses budgétaires destinées à un autre usage que l’enseignement et la recherche devra avoir lieu pour encadrer strictement les prélèvements dans les budgets de l’enseignement et de la recherche. En particulier, le soutien à des structures privées d’information institutionnelle et scientifique devra être ré-examiné pour privilégier l’information ouverte.
23 — Réaffirmer le contrôle collégial des missions de l’Université
Les missions de l’Université et les choix pratiques à même d’y satisfaire doivent être un objet de débat démocratique informé et ouvert, animé par les universitaires, dans les limites fixées par la société et inscrites dans la constitution. L’appareil normatif mis en place depuis vingt ans soustrait à la délibération collégiale cette discussion sur la production, la critique et la transmission des savoirs, remplacée dans le meilleur des cas par la consultation d’intercesseurs cooptés. La réappropriation de l’Université passe par la mise en place d’assemblées larges, transparentes et ouvertes, strictement indépendantes des présidences, qui devront travailler à la fois en formation restreinte aux universitaires et en formation ouverte à tous les usagers. Elles devront produire une analyse publique périodique et contradictoire des stratégies locales, à l’aune de critères comme la protection des libertés académiques, le ratio enseignants titulaires/étudiants, la contribution à une formation exigeante et originale des étudiants, leur bien-être et celui des agents, et la part des activités de recherche fondamentale et finalisée dans les activités de l’établissement.
24 — Instaurer une subsidiarité descendante au sein des établissements
Les établissements universitaires ont connu dans la période récente une concentration des pouvoirs de décision dans les mains d’une techno-bureaucratie centrale (équipe présidentielle, directeurs généraux des services, etc). Il convient d’impulser une réorganisation des structures de décision conforme au principe d’autonomie des universitaires, selon un principe de subsidiarité descendante : les décisions doivent être confiées au niveau de granularité le plus petit possible : l’équipe pédagogique ou l’équipe de recherche, quand c’est possible ; au-dessus, le laboratoire ou l’UFR, etc. En conséquence, les services centraux doivent être réorganisés pour remplir des tâches techniques qui ne procèdent pas du travail d’équipe d’enseignement et de recherche, à l’exclusion de toute mission de pilotage ou de management. Par ailleurs, la réorganisation doit conduire à la plus faible division du travail possible dans les équipes de recherche et d’enseignement.
25 — Prévenir les conflits d’intérêts et les nominations politiques à la tête d’instances de contrôle des activités de recherche et d’enseignement supérieur
Les conflits d’intérêts entre public et privé ou au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche se sont multipliés, favorisés notamment par l’article L952-14-1 du code de l’éducation, et grèvent la confiance de l’opinion publique envers la science. Cet article du code de l’éducation doit être abrogé. En outre, pour des raisons éthiques et budgétaires et pour la qualité et l’intérêt du service, il convient de mettre un terme aux (auto)-nominations de membres de cabinets ministériels à des postes de pouvoir, aux renvois d’ascenseur et à l’établissement de lignes budgétaires de complaisance, autant d’errements qui se sont généralisés. Toute nomination ou promotion dans la hiérarchie décisionnelle doit être conditionnée à un contrôle des situations de conflits d’intérêts avec des fonctions passées ou actuelles. Enfin, la dispense élargie de doctorat remet en cause la compétence des candidats pour assumer les fonctions de recteur et favorise l’arbitraire politique. Il faut restaurer l’obligation de doctorat pour les fonctions de recteur d’académie, de chancelier des universités et de conseiller ministériel ESR.
26 — Supprimer l’évaluation managériale et ses institutions
Seule la pratique de la dispute collégiale garantit l’exigence intellectuelle et déontologique en matière de production, de critique et de transmission des savoirs. Les dispositifs institutionnels qui vident cette pratique de sa substance par des normes et des procédures hétéronomes à l’activité de recherche doivent être abandonnés. Cela passe notamment par une rupture avec les diverses bureaucraties dévolues à l’évaluation managériale permanente, notamment quantitatives, qui ont pu se constituer à l’échelle des différents établissements et opérateurs de l’ESR, en commençant par la dissolution du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres). Dans l’Université et les organismes de recherche, la probation de la qualité des travaux doit se faire par l’ensemble des pairs, de façon ouverte et contradictoire, via une instance nationale représentative de l’ensemble de la communauté scientifique, et sans lien institutionnel avec la gestion des carrières et l’octroi des financements de base.
27 — Interrompre le cycle des évaluations bureaucratiques des institutions
Les procédures d’évaluation normatives reposent sur la multiplication des formulaires et des questionnaires créés par les instances de « pilotage » bureaucratique pour nourrir des « indicateurs » généralement compilés sans méthode rigoureuse, erronés factuellement et biaisés selon des priorités jamais explicitées. Dans les organismes de recherche et les établissements d’enseignement supérieur, une réforme administrative doit être entreprise pour interdire l’usage de ces questionnaires et tableurs, remplacés par une base de données nationale contenant l’ensemble des informations budgétaires et salariales nécessaires et paradoxalement très difficiles d’accès. Les normes d’appréciation et de valorisation du travail académique doivent être révisées et explicitées pour se conformer aux missions confiées par la société à l’Université et au système de recherche.
28 — Supprimer le mille-feuille bureaucratique
Un grand nombre de strates bureaucratiques ont été accumulées depuis des années, en ajoutant à chaque mandature sans jamais en supprimer. Il est devenu nécessaire de supprimer le Secrétariat Général pour l’Investissement (SGPI), la Banque Publique d’Investissement (BPI), l’Inspection Générale de l’Education, du Sport et de la Recherche (IGESR). Les différents programmes d’initiatives dits d’excellence doivent être arrêtés. Le Haut-commissariat au plan et France Stratégie doivent être fusionnés. Les communautés d’universités et établissements (ComUE) et les fédérations d’établissements disposant d’un statut « expérimental » doivent être supprimées. Les moyens libérés seront affectés aux besoins de l’Université et de la recherche.
29 — Supprimer les micro-agences de moyens et instaurer le contrôle de gestion a posteriori
Le temps constitue une ressource précieuse. Aussi faut-il supprimer toutes les activités superflues qui ne concernent qu’indirectement l’enseignement et la recherche. Ainsi, il convient d’interdire tout appel à projets et tout appel d’offres dont le coût d’organisation et de suivi serait supérieur à 2% des sommes distribuées. Ces 2% sont entendus en coûts consolidés, incluant les salaires des universitaires siégeant dans les jurys, prorata temporis, les salaires des personnels de soutien mobilisés pour l’occasion, et les frais d’environnement. On conçoit aisément l’économie de moyens, le gain de temps et d’énergie, que représenterait le fait de limiter ainsi drastiquement le nombre de ces appels à projets qui nuisent à l’activité universitaire. Pour des raisons identiques, les contrôles et démarches administratives seront supprimés dès lors que le coût consolidé de la vérification est supérieur à 2% des dépenses. Le contrôle de gestion s’effectuera a posteriori, une journée par an, en justifiant de l’ensemble des achats et dépenses effectuées auprès d’un contrôleur.
Construire l’évaluation des structures de recherche et la gestion des carrières sur un principe de productivité conduit à une compétition stérile et encourage de manière systémique fraudes et inconduites scientifiques. Il est nécessaire de s’extraire de ce paradigme. La signature par les organismes de recherche des manifestes de Leiden et de San Francisco (DORA) implique de privilégier une analyse qualitative et l’abandon de critères quantitatifs. Lors des visites de laboratoire, le comité de visite doit prendre connaissance en profondeur des travaux les plus importants de l’équipe afin qu’un débat contradictoire, équilibré et constructif, puisse s’instaurer entre pairs. De ce fait, il convient de fixer un seuil national maximum du nombre de publications annuelles prises en compte. Ce chiffre maximum pourrait être lissé sur cinq ans pour tenir compte des calendriers de publication, et tenir compte de différents types de publication. Il devrait être établi à des niveaux différents selon les disciplines, par exemple via le Conseil National des Universités, afin d’aller vers une politique de diffusion du travail de recherche qui prenne en compte l’originalité, l’exigence, l’ampleur des preuves en favorisant le temps long. Les normes d’appréciation doivent encourager la division verticale du travail la plus faible possible de sorte à rendre caduc le modèle du manager de la science (PI) : les chercheurs doivent avant tout produire par eux-mêmes, dans un cadre coopératif.
31 — Rénover les modalités de vérification scientifique par les pairs
L’inflation constatée du nombre de publications académiques faiblement incrémentales quant à leur contenu scientifique est souvent la conséquence d’un impératif de positionnement recherché par les auteurs et, en deçà, résulte d’une pression institutionnelle.Nombre de publications visent à prendre date, à préempter un champ de recherche plutôt qu’à rendre compte de travaux aboutis. Une façon de répondre à cette demande et de limiter le nombre de publications à faible contenu scientifique serait de rendre possible la publication, sur une plateforme nationale ouverte et gratuite, de notes techniques, bases de données, codes ou autre forme de production scientifique afin de garantir aux auteurs une indexation et une diffusion de leurs travaux tout en autorisant un processus de disputatio en ligne ouvert et transparent, permettant le questionnement et l’annotation des travaux. La modération de cette plateforme serait assurée par les pairs via les réseaux thématiques universitaires qui en assureraient le bon fonctionnement. Le temps libéré permettrait de consacrer plus de temps au travail de contrôle des articles proprement dits.
32 — Se retirer de la course à la quantité et faire de la France un modèle d’intégrité scientifique
Le déficit d’intégrité scientifique est devenu un problème majeur, notamment dans les disciplines liées à de grands intérêts de pouvoir. Partout dans le monde, l’inflation du nombre de publications s’est accompagnée d’une inflation des inconduites scientifiques. Les réponses actuelles se limitent à une politique de prévention et de sanction, inefficace car inadaptée, voire renforçant l’emprise de mandarins peu intègres. Tant que l’intérêt des chercheurs sera de signer davantage de publications, sans valorisation de la qualité des preuves, de l’intégrité et de l’originalité, cette crise qualitative ne fera que s’accroître. Il s’agit donc de réformer notre système en nous libérant de l’obsession normative des systèmes étrangers, pour reconstruire ici un havre d’intégrité et de bonne science. Pour ce faire, les pressions à la publication doivent être supprimées au profit de gratifications sociales pour l’exigence, l’originalité, l’intégrité, la qualité des travaux, à tous les étages institutionnels en commençant par le doctorat. Cela suppose le retrait de tous les classements scientifiques internationaux, afin d’enclencher une dynamique vertueuse de promotion internationale de la qualité et de l’intégrité.
33 — Rétablir le contrôle des pairs sur l’édition scientifique
L’édition scientifique a pour rôle majeur la diffusion des travaux de recherche savante dans la communauté académique. Elle ne peut être régie, comme elle l’est aujourd’hui, par un modèle économique faisant du pôle éditorial une entreprise ayant pour seule finalité de dégager une marge bénéficiaire pour ses actionnaires et de l’article un produit de consommation — revendu à une clientèle captive constituée de ceux-là même qui produisent ce bien commun. Rétablir les standards d’intégrité éditoriale impose de rendre aux pairs le contrôle effectif des revues et plus généralement des maisons d’édition. Cela exige de développer, de moderniser les presses universitaires et d’encourager financièrement le contrôle des revues par les pairs, le cas échéant via des structures associatives ad hoc, qui peuvent être des sociétés savantes, ou des associations éditrices porteuses d’une revue, comme cela fut longtemps la norme. Le système de subvention à l’édition scientifique doit d’abord encourager les publications en accès libre et incluant des modules de réponse, de commentaire et de révision par les pairs après publication, comme le font déjà certaines revues.
34 — Garantir l’autonomie matérielle des étudiants
Toute personne résidant en France doit se voir garantir par la collectivité un droit minimal à trois années d’études supérieures au long de sa vie, dans des conditions d’autonomie matérielle décentes. Pour les étudiants en formation initiale, cela ne peut passer que par le versement d’un revenu d’autonomie d’un montant de référence de 1 000 € par mois, douze mois par an, pour toute la durée d’un cycle de formation, qui peut être de trois ou de quatre ans. Nous empruntons au collectif Acides sa proposition de financement de cette mesure par la branche « familles » de la Sécurité Sociale, abondée par les cotisations patronales et déjà en charge des aides personnelles au logement. Le montant mensuel pourra être révisé à la baisse si l’étudiant dispose déjà d’un hébergement, par exemple dans sa famille. Mais cette disposition a précisément pour objectif d’encourager les étudiants à s’émanciper des déterminations sociales.
35 — Création d’un grand service public propédeutique
L’Université a perdu sa place de référence dans l’enseignement supérieur en France, concurrencée qu’elle est, dès la première année, par les IUT, les classes de BTS et les classes préparatoires aux Grandes Écoles. Ces cursus doivent être rapprochés, sans toutefois les normaliser dans un dispositif autonome qui serait ipso facto coupé du reste de l’Université. Ce nouveau grand service public propédeutique, situé au sein de l’Université, devra lutter prioritairement contre un type d’échec en licence plus pernicieux que celui mesuré par les taux de diplomation en trois ans : celui de la maîtrise des concepts, des outils, des grammaires enseignés, qui peut se redoubler d’un échec à développer une pensée autonome. La propédeutique doit s’inscrire dans le contexte de ce qu’est l’Université : un lieu de responsabilité, d’exigence et de liberté. Le fait qu’un semestre raté soit suivi d’un autre semestre qui s’appuie sur le premier est un facteur important de décrochage, auquel il faut remédier en obligeant les universités à proposer la même offre de cours magistraux et de travaux dirigés essentiels à chaque semestre, ce qui faciliterait aussi grandement les réorientations après le premier semestre. Le surcoût induit, à traduire en embauches, viendrait en contrepartie d’un effet significatif sur les poursuites d’études.
36 — Affecter les bacheliers de manière plus juste et moins chronophage
La consommation de temps de Parcoursup n’est pas tenable, pas plus que son résultat : une gigantesque loterie dans l’attribution des formations. Parcoursup, au-delà de l’introduction de la sélection et de la dévalorisation du baccalauréat, est avant tout une mesure gestionnaire, destinée à décourager les bacheliers pour ne pas investir dans le système de formation supérieur : les rectorats contrôlent la part de la population qui arrive à chaque niveau de qualification, dans chaque discipline, par des capacités d’accueil et des quotas. La question de l’affectation des bacheliers est donc avant tout politique et peut donc être en grande partie résolue par l’ouverture de nouveaux établissements et par un changement profond des missions de l’Université qui en finisse avec l’idéologie du « capital humain » et avec la prétention à un pilotage par des dirigeants tournés vers le passé. Le système d’orientation doit être fondé sur une information objectivée sur les formations proposées et le public auquel elles s’adressent : cela suppose de refonder les services d’orientation, largement démantelés, pour produire cette information et la mettre à disposition. D’autre part, l’affectation doit se faire exclusivement à partir des appétences des futurs étudiants pour telle ou telle formation. L’admission doit donc être faite sur la base de vœux ordonnés, en nombre limités, émis par avance, suivi d’une liste non ordonnée de formations intéressantes de manière secondaire.
37 — Diversifier l’offre de formation par l’expérimentation
L’enseignement universitaire français reste extrêmement marqué par l’époque où l’Université visait essentiellement à la préparation disciplinaire à l’agrégation. Les réformes conférant une « autonomie » aux établissements universitaires ont en pratique accentué la dépossession des universitaires par différentes strates techno-bureaucratiques. Pour autant, l’idée d’expérimenter, de procéder à de nouveaux découpages disciplinaires, de répondre à une forme d’utilité vis-à-vis du corps social ne doit pas être abandonnée ; au contraire. Elle est consubstantielle à l’autonomie des universitaires, qui à bien des égards, est à l’opposé de l’« autonomie » des universités pour lequel « bureaucratisation » est plus approprié. La création de parcours expérimentaux ne visant pas à « attirer les meilleurs étudiants » mais à renouveler l’offre de formation offerte au plus grand nombre doit être valorisée, aussi bien au niveau institutionnel qu’au niveau des équipes pédagogiques. Cela suppose d’inclure dans le statut des universitaires, dotés de l’indépendance, des formes diverses de recherche et d’enseignement. À titre d’exemple, les enseignants des écoles d’art doivent devenir universitaires tout en protégeant leurs enseignements de toute dimension normative ou conformiste.
38 — Débureaucratiser l’accréditation des formations universitaires
Les procédures bureaucratiques d’accréditation des diplômes doivent être desserrées, avec des calendriers désynchronisés pour les différents niveaux de formation d’un même établissement et une durée de validité par défaut des maquettes portées à sept ans, avec possibilité de modifier et ré-accréditer une maquette au bout de quatre ans si le besoin s’en fait sentir. L’habilitation des formations par l’État devra comporter une annexe financière qui conduise, de manière contractuelle, à ce que l’État en assure le financement.
39 — Prérecrutement et engagement décennal pour les métiers prioritaires demandant une formation longue
La satisfaction des besoins sociaux impose de mettre en place un dispositif de pré-recrutement avec engagement décennal dans un certain nombre de formations demandant des études moyennes ou longues. Cela concerne notamment les métiers de la santé et du soin (médecine, maïeutique, soins infirmiers, psychologie). Les métiers de la transformation écologique requièrent également la mise en place de tels dispositifs, notamment pour les corps d’ingénieurs appelés à travailler dans l’aménagement du territoire et les nouvelles industries environnementales. Enfin, les métiers de l’Université et de la recherche eux-mêmes requièrent un pré-recrutement en fin de licence sous statut d’élèves-fonctionnaires permettant d’aller sereinement vers une thèse de doctorat : le système des Écoles normales supérieures (ENS) constitue un embryon de ce dispositif, qui doit être largement étendu sur tout le territoire.
40 — Refonder la formation des enseignants du premier et du second degré
La crise de la formation des enseignants affecte directement la transmission et la critique des savoirs académiques. Il est nécessaire de reconstituer un vivier de futurs enseignants et de mieux les accompagner très tôt dans leurs études. Pour cela, nous proposons d’introduire un pré-recrutement des enseignants sous statut d’élève-fonctionnaire dès la L2. Ce pré-recrutement donnera également accès à une formation initiale aux métiers de l’enseignement et à des stages d’observation. Placé en fin de licence, le concours de recrutement sera axé sur les savoirs disciplinaires et sera suivi d’une formation en alternance sous statut de fonctionnaire-stagiaire, incluant des éléments de formation disciplinaire (ce qui inclut une part de didactique), et de sciences de l’éducation. Enfin, la première année comme titulaire doit donner lieu à un service allégé, permettant ainsi d’améliorer l’entrée dans le métier. Dans le même temps, une formation universitaire tout au long de la vie doit être mise en place pour les enseignants déjà en poste.
41 — Lier la recherche et l’Université avec l’enseignement secondaire
La transmission des savoirs académiques au plus grand nombre impose de resserrer les liens entre la recherche, l’Université et l’enseignement secondaire. La refondation de la formation des enseignants par des cursus incluant une dimension de recherche, le cas échéant didactique, constitue une première étape mais elle doit être suivie de la mise en place d’un programme de formation scientifique et universitaire continue pour les enseignants du primaire et du secondaire. Ce dispositif doit inclure la facilitation des détachements et des congés de recherche pour les enseignants désireux de s’engager dans un doctorat. Les sections de techniciens supérieurs et les classes préparatoires doivent passer sous la tutelle du ministère de l’enseignement supérieur, qui doit être associé au suivi de la carrière des enseignants docteurs. À l’inverse, les services de l’enseignement primaire et secondaire doivent être intégrés au pilotage des programmes de recherche participative mis en place par ailleurs.
42 — Supprimer le RNCP et réformer du processus de Bologne
Le Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) est un moyen contestable de promotion de formations commerciales non-diplômantes destiné aux collectivités locales, aux chambres de commerce et au patronat. Le contrôle de qualité censé incomber à la commission nationale de la certification professionnelle n’est pas satisfaisant et laisse perdurer une confusion qui profite à des opérateurs marchands peu scrupuleux. Dans le même temps, la soumission des formations universitaires aux « référentiels » du RNCP conforte le nivellement intellectuel des formations sur les standards de l’edu-business, au détriment des étudiants et des équipes enseignantes. Cette soumission fait système avec la reprise en main de l’Université européenne connue sous le nom de « processus de Bologne ». La réinstitution de formations expérimentales audacieuses, démocratiques et émancipatrices à l’Université suppose donc la suppression du RNCP ainsi qu’un audit des réformes réglementaires « bolognaises » pouvant conduire à l’annulation de certaines d’entre elles.
43 — Garantir une formation universitaire des ingénieurs
Le système des Grandes Écoles est un héritage de l’ère napoléonienne systématisé dans le temps même où l’Allemagne inventait l’Université moderne, humboldtienne. La France a le seul système où les élites sociales, économiques et politiques ne sont pas formées dans le lieu d’élaboration du savoir, l’Université. La désindustrialisation rapide, l’immense retard en matière de recherche et développement, la faiblesse du tissu de petites et moyennes entreprises (PME) fondé sur l’innovation proviennent en partie de cet archaïsme. Le déficit de formation à la recherche des élites conduit à une incapacité structurelle à agir face à des situations inédites, et donc à affronter des crises comme la syndémie de Covid ou la crise climatique. Notre société a impérativement besoin d’adopter le modèle international du docteur-ingénieur, formé au sein de département universitaire d’ingénierie. Cela suppose de dissoudre la commission des titres d’ingénieurs, qui défend une conception surannée du lien entre industrie et formations supérieures et entretient l’absence de formation scientifique sérieuse des grands corps de l’Etat. Les écoles d’ingénieurs doivent devenir des départements largement autonomes d’établissements universitaires, mais surtout monter en puissance en recherche par intégration à des réseaux, de sorte à s’adapter à la condition de délivrance du titre d’ingénieur : le doctorat. Les classes préparatoires aux grandes écoles doivent participer du maillage territorial d’offre de formation, en participant d’une formation propédeutique exigeante.
44 — Réformer le Crédit d’Impôts Recherche en ciblant les PME
Le Crédit d’Impôt Recherche (CIR) doit être supprimé et remplacé par des aides de l’État à la recherche industrielle transparentes, évaluées, et ayant un effet d’entraînement sur le financement des entreprises dans leurs propres recherches. Ces aides doivent être réservées aux petites et moyennes entreprises (PME), les grandes entreprises ayant prouvé avec le CIR qu’elles s’en servent presque exclusivement à des fins de défiscalisation. Elles peuvent prendre la forme de programmes thématiques, d’aides à l’investissement (prise en charge des intérêts), d’aides remboursables en cas de succès, ou même d’aides fiscales ciblées vers les PME et les pôles de compétitivité. Elles viseront à promouvoir le modèle de l’ingénieur-docteur, en étant conditionnées à un travail de recherche effectif, effectué par des chercheurs titulaires d’un doctorat. Second critère, la création des PME qui manquent au système français, dans les secteurs stratégiques directement utiles à la société, sera encouragée par l’Etat pour favoriser une réindustrialisation conforme à la société décarbonée que nous devons construire. À titre d’exemple, la production de bien manufacturés robustes et réparables sera encouragée. Le modèle de PME coopérative sera tout particulièrement aidé.
45 — Garantir la formation scientifique et universitaire des hauts fonctionnaires
La pauvreté de la formation à la recherche des élites issues des grandes écoles est devenue un problème pour la réponse aux besoins économiques et environnementaux. Elle est entretenue par la séparation entre l’Université, les grandes écoles et les grands corps de l’Etat. La pandémie a montré l’incapacité des hauts fonctionnaires à la fois à suivre l’actualité scientifique et à apporter des réponses logistiques. L’inculture scientifique et pratique explique les errements de l’exécutif, y compris en matière d’adaptation aux défis environnementaux. La nécessité d’une haute fonction publique au service du bien commun et apte à affronter des crises implique des changements profonds de recrutement et de formation. Cela passe par la restructuration voire le démantèlement d’une fraction importante des « grands corps » au profit d’une fonction d’ingénieur-gestionnaires, compétents scientifiquement et techniquement, ayant pour mission de mettre en œuvre les politiques publiques décidées dans un cadre démocratique. Les hauts fonctionnaires doivent être formés spécifiquement à un haut niveau, dans des formations universitaires conjointes entre les départements de science politique et les autres secteurs disciplinaires, aussi bien dans les humanités et dans les sciences sociales qu’en sciences naturelles. La solution ne passe pas par des écoles généralistes pour toutologues, mais dans une formation à l’enquête, à l’expérimentation, à la critique, à la compilation de données savantes, à la capacité à décrypter les synthèses scientifiques et enfin, à mettre en œuvre.
46 — Créer un dispositif de publication ouverte de synthèses scientifiques pour une décision publique informée et démocratique
Dans une société où les évolutions techniques jouent un rôle politique majeur, l’exercice de la démocratie nécessite une formation des citoyens aux modalités de raisonnement et à la pensée critique, à la science et aux humanités. Cette formation doit être la pierre angulaire du système éducatif dans son ensemble. Les modalités d’information scientifique du débat public doivent reposer sur des preuves et sur le débat contradictoire plutôt que sur la notoriété d’individus supposés détenir une supériorité cognitive. La répartition de la parole scientifique publique entre des « experts » cooptés et définitifs et des bateleurs médiatiques porte préjudice à l’idée d’une délibération démocratique contradictoire scientifiquement étayée. Pour sortir de ce piège, il est nécessaire de réformer ou de supprimer les agences d’expertise de type de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), pour confier cette tâche au monde savant, selon les modalités scientifiques. Le GIEC peut servir dans un premier temps d’étalon pour procéder aux réformes nécessaires. Dans le principe, les pairs doivent pouvoir disposer librement des publications ouvertes, synthétisant l’état des connaissances sur certains sujets litigieux, par des revues critiques de la littérature pertinente et en se soumettant à une étape préalable de relecture collégiale avant la mise en ligne. Ces articles de synthèse, à la différence de celles déjà réalisées régulièrement, ne devront pas s’adresser aux pairs, mais aux non-spécialistes, et donner toute leur place à l’indétermination et au manque de connaissances. La soumission initiale d’une synthèse grand public de ce type serait soumise à des conditions strictes : signature collective par des pairs ayant publié sur le sujet ou sur un sujet attenant en cas de problème neuf apparaissant soudainement. Chaque contributeur devra remplir une déclaration publique d’intérêts.
47 — Refonder et promouvoir un rationalisme démocratique
L’engagement rationaliste, de la fin du XIXe siècle aux années 1970, fédérait la défense de l’investigation scientifique, l’exigence de liberté et le souci de l’intérêt général. Les réseaux rationalistes assuraient alors une liaison précieuse entre le monde savant, l’enseignement primaire et secondaire et la société. Aujourd’hui, la notion de rationalisme est trop souvent accaparée par un scientisme technophile de moins en moins compatible avec la réalité établie d’une crise écologique gravissime et imputable à l’activité humaine ; dans le même temps, la montée de l’autoritarisme contredit les idéaux politiques émancipateurs du rationalisme démocratique, tout en reprenant sa rhétorique lorsque les thèmes techno-scientifiques sont évoqués. Enfin, la croyance naïve selon laquelle l’innovation suffira toujours à résoudre les crises dans l’urgence constitue un retournement du rationalisme, à la fois contre la science et contre la démocratie. Face à cette situation, il est nécessaire de relancer l’engagement rationaliste démocratique, en mettant en place un programme d’éducation populaire associant les scientifiques, l’Éducation Nationale et le monde associatif. Dans le même temps, les associations scientifiques doivent être incluses dans les processions de décision publique dans un cadre transparent (avec publication de déclarations d’intérêts) et ouvert.
48 — Ouvrir et financer des tiers-lieux d’expérimentation et de débat
Une démocratie vivante passe par une appropriation des savoirs par l’ensemble des citoyens. Des lignes budgétaires doivent être dédiées à la recherche participative dans chaque organisme de recherche. Un fonds consacré aux recherches avec et pour les citoyens doit être créé et abondé de sorte à répondre aux enjeux sociaux et écologiques du monde contemporain. Il convient également d’encourager les dispositifs à l’interface entre science et société, telles que les Boutiques des Sciences, de faciliter l’établissement de conventions directes entre opérateurs de recherche et associations et de s’appuyer sur un réseau de conventions associatives de formation par la recherche. Enfin, un observatoire des sciences citoyennes responsables et solidaires doit être créé pour recenser et analyser les capacités de recherche et d’expertise de la société civile. Deux types de tiers-lieux seront encouragés et financés : des tiers-lieux destinés à mettre en œuvre des expérimentations de toute nature, selon des méthodes fiabilisées et rationalisées et des tiers lieux destinés à produire une mise en débat des questions techniques à partir des faits scientifiquement fondés et des lacunes de savoir, selon des modalités inspirées et adaptées de la méthode de véridiction savante.
49 — Valoriser la responsabilité de la recherche devant la société
Les chercheurs et enseignants-chercheurs sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à questionner le lien entre leur activité professionnelle et leur vie de citoyens, à entendre affirmer que l’activité savante est affaire de véridiction mais aussi de valeurs. L’urgence climatique, écologique, sociale, politique semble encourager un engagement actif des scientifiques dans l’espace public et politique. Cette transformation des relations entre sciences et politique pousse à une réflexion sur le sens de la recherche comme métier et comme fonction sociale. La formation des scientifiques doit inclure une réflexion sur les nouvelles missions d’intérêt général de l’Université et de la recherche, comme sur les engagements axiologiques implicites de leur activité, en y intégrant des enseignements sur les pratiques et les moyens pour expliciter ces valeurs et mettre en œuvre ces missions. La mobilité des chercheurs entre le secteur associatif d’intérêt général et les organismes de recherche doit être encouragée. Un comité national mixte composé de citoyens, de parlementaires et de chercheurs pourrait assurer le suivi de la programmation citoyenne d’une partie de la recherche répondant aux demandes de la société. Au sein des organismes de recherche, des comités paritaires auraient pour mission d’assurer la transparence et de l’intégrité des politiques de recherche et leur ouverture à la société.
50 — La création artistique dans la refondation de la recherche et de l’Université
Les pratiques individuelles et collaboratives de création artistique ont une place importante à prendre dans la reconstruction d’un imaginaire politique démocratique, et dans la transformation de notre rapport à notre environnement social, technique et géographique. Les laboratoires et l’Université doivent être encouragés comme lieux d’expérimentation artistique et de formation à la création. Pour cela, les écoles d’art actuellement fragilisées par un statut incertain et coupées du reste de l’enseignement supérieur doivent intégrer l’Université. La recherche-création doit être reconnue partout comme un mode de production de connaissances et incluse dans les services des chercheurs et enseignants-chercheurs concernés ainsi que dans les recherches doctorales. Le cas échéant, les futurs dispositifs de pré-recrutement sous statut d’élève-fonctionnaire ouverts à destination des carrières de la recherche doivent être ouverts aux étudiants-artistes. Enfin, le renforcement institutionnel des pratiques artistiques à l’Université et dans les laboratoires devra se manifester par un encouragement aux cursus interdisciplinaires et aux programmes de recherche transversaux sciences-techniques-création.
Nous vous invitons à évaluer chacune ce ces propositions, ici. N’hésitez pas à contact∂rogueesr.frnous contacter si vous rencontrez des difficultés.
Nous avons reçu une cinquantaine de contributions potentielles à la plateforme de ré-institution de l’Université et du système de recherche. Le travail d’organisation des idées et de fusion des propositions semblables est en cours.
Dans ce billet, nous évoquons quelques points que l’on n’ose qualifier « d’actualité » tant ils traduisent la lancinante répétition du même, année après année. Il en va ainsi des dysfonctionnements chroniques du très chronophage Parcoursup, qui donnent lieu aux éléments de langage habituels de Mme Vidal sur « le tirage au sort ». Chacun sait que cette machine à décourager les bacheliers, aux effluves de loi Devaquet [1], n’est destinée qu’à gérer sans investissement public l’afflux massif d’étudiants nés pendant le baby boom de l’an 2000. Sortir l’Université et le système de recherche français de ce long purgatoire suppose de montrer que des alternatives réalistes existent, et qu’elles sont autrement plus porteuses d’avenir que les réformes nocives des deux dernières décennies.
Crédit d’impôt recherche
Il y a des événements qui produisent des électrochocs au sein de la haute fonction publique. Ainsi, l’apparition du classement de Shanghaï avait conduit les hauts fonctionnaires ENA-IGF et X-Mines à réaliser que les établissements où ils avaient reçu leur formation étaient « invisibles » internationalement, tout comme l’était HEC et toutes les autres grandes écoles. Cette année, ils ont pris conscience que la France était le seul pays du conseil de sécurité de l’ONU ayant été incapable de produire un vaccin contre le virus SARS-CoV-2 [2]. Un nouveau rapport de France Stratégie sur le crédit d’impôt recherche (CIR) [3] vient éclairer l’échec de la recherche finalisée : cette niche fiscale de 6,8 milliards € est inefficace pour générer une activité de recherche et développement en France. Elle a même un effet de levier légèrement négatif. Du reste, la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) n’a cessé de décroitre pendant que le volume budgétaire du crédit d’impôt recherche augmentait. Alors pourquoi ce dispositif qui grève le budget de l’État est-il maintenu ? Parce qu’il n’a jamais été conçu pour aider la recherche. Il s’agit purement et simplement d’un contournement des règlements européens sur les aides directes aux entreprises. Aussi, les conclusions du rapport sont-elles identiques à celles du rapport précédent [4] : le dispositif est inopérant et ne permet pas de reconstituer un appareil industriel qui réponde aux besoins de notre société ; mais il ne peut être abandonné sans déplaire aux investisseurs.
Nous pensons au contraire qu’il est temps d’en finir avec le déficit de rationalité des politiques qui ont conduit en vingt ans au décrochage scientifique de notre société.
Rentrée et SARS-CoV-2
Cela fait un an que la transmission aéroportée de SARS-CoV-2 fait l’objet d’un consensus scientifique — c’est le seul mode de contamination dans les espaces clos recevant du public, où le port du masque obligatoire élimine les autres voies de contamination (manuportée et grosses gouttelettes). Cela fait un an que l’on connaît les techniques de réduction du risque de la contamination aéroportée, à commencer par la révision des systèmes de ventilation. Cela fait un an que l’on sait qu’un investissement modeste aurait permis de conserver l’Université ouverte. La dernière vidéo du séminaire Politique des sciences fait le point sur ce sujet.
Nous avons obtenu un court entretien avec une conseillère de l’Élysée et avec un conseiller du ministère de la Santé — le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche refuse toujours tout dialogue. Le discours tenu sur l’année universitaire prochaine est en tout point semblable à celui de l’an passé, qui promettait une année « en présentiel ». L’exécutif table sur une situation sanitaire stabilisée, en particulier grâce à la vaccination. Or, selon toute probabilité, le variant Delta dit « indien » (B.1.671.2), entre 2 et 2,5 fois plus transmissible que la souche sauvage, Wuhan-1, qui prévalait en septembre dernier sera, comme en Angleterre, majoritaire en septembre prochain. Si 50 à 60% de la population était vaccinée (deux doses plus 15 jours) à la rentrée nous serions donc… dans une situation épidémique comparable à l’an dernier.
La seule note positive de l’entretien est l’idée, étudiée par l’exécutif, de mobiliser les étudiants de médecine pour vacciner les autres étudiants. Pour le reste, nous avons été stupéfaits du déni de transmission du SARS-CoV-2 par voie d’aérosol [détail en note 5] avec la conséquence suivante : l’exécutif n’est prêt à consentir aucun investissement dans la sécurisation sanitaire vis-à-vis de la transmission aéroportée. Du reste, la Conférence des Présidents d’Université, dans ses préconisations pour la rentrée, ignore elle aussi la nécessité d’investir dans la qualité de l’air pour prévenir épidémies et maladies respiratoires. Ce travail de rénovation de la ventilation des bâtiments universitaires présente pourtant un intérêt pérenne, plus large que la résolution de la pandémie actuelle.
Référé de la Cour des comptes sur le Hcéres
La Cour des comptes a montré, dans un référé adressé au Premier ministre Jean Castex, rendu public vendredi 4 juin 2021, que le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) est une entité de contrôle bureaucratique de l’activité académique qui engloutit une quantité invraisemblable d’argent public — l’équivalent de 300 postes permanents. On regrette que la Cour des comptes n’ait pas souhaité calculer le coût consolidé de cette institution. La chronophagie de l’évaluation managériale, sa prétention à un pilotage hétéronome de la production savante, son absence d’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique posent la question de l’utilité de cette agence dans l’écosystème de l’enseignement supérieur et de la recherche. Comme dans l’ensemble de ses rapports, la Cour des comptes préconise de pousser le curseur de la logique qui a conduit au décrochage scientifique de notre pays : concentrer les moyens sur un petit nombre de chercheurs, procéder à une notation et faire payer aux établissements leur évaluation bureaucratique.
Constatant l’effet négatif du Hcéres sur la qualité de la science française, nous pensons que l’évaluation doit être repensée sur de toutes autres bases.
Saisine des commissions du Parlement pour le contrôle des nominations au Hcéres
L’Assemblée des directions de laboratoires (ADL) a écrit, le 5 juin 2021, aux parlementaires des commissions culture et éducation de l’Assemblée nationale et du Sénat pour leur demander d’exercer leurs prérogatives de contrôle constitutionnel et d’investigation sur le Hcéres à propos de plusieurs nominations qui posent problème. À titre d’exemple, le renouvellement pour un « second » mandat du directeur du département d’évaluation de la recherche (en poste depuis 2011 à l’Aéres puis au Hcéres dans des fonctions identiques), s’est effectué dans des conditions qui semblent incompatibles avec les dispositions de la loi qui limitent à deux mandats de quatre ans la durée maximale à la tête d’un département.
[5] Le consensus scientifique a été qualifié d’« opinion de théoriciens » et rejeté à partir d’un unique argument. Le « bon sens du praticien au chevet du malade » lui permet de constater le faible nombre d’infections nosocomiales dans des hôpitaux où le masque chirurgical est majoritaire, et non le masque FFP2. Le masque chirurgical n’étant pas le masque recommandé contre des virus aéroportés, il s’ensuit que la contamination par voie d’aérosol est très exagérée. Cette « démonstration » nous a été infligée immédiatement après que nous avons rappelé :
que la cinétique du virus conduit à une baisse exponentielle de la charge virale de sorte que les patients hospitalisés sont peu infectieux ;
qu’il n’y avait aucune logique à fermer des espaces publics où le masque est obligatoire si l’on ne croit pas à la transmission aéroportée puisque tous les types de masques, même mal portés arrêtent les gouttelettes balistiques émises en parlant, en toussant, en éternuant.
L’unique référence mobilisée par les conseillers a été le professeur Pittet, à l’origine de l’argument ci-dessus « Aux HUG, nous n’avons pris aucune précaution contre une éventuelle transmission par aérosol (…). S’il y avait une forte transmission par aérosol, le virus se serait promené dans l’institution, nous aurions un grand nombre de contaminations nosocomiales, notamment chez le personnel. »
À l’occasion de la loi de programmation de la recherche (LPR) comme de la crise sanitaire, nous avons pu constater l’absence de relais de la communauté universitaire au sein de la sphère décisionnaire. Les programmes électoraux pour la présidentielle 2022 seront arrêtés dans quelques mois et il nous revient d’être des acteurs du débat public. Si nous ne faisons rien, l’Université et la recherche, le savoir et la science, risquent d’être absents des questions politiques.
Si c’est le cas, les programmes électoraux se contenteront de formulations ambiguës cachant mal la prochaine vague de contractualisation, de dérégulation et de bureaucratisation autoritaire. Autre danger : qu’une poignée de propositions, en se fondant sur des analyses biaisées des dysfonctionnements de la recherche liés à la crise Covid, ne vienne une fois de plus travestir le soutien à l’innovation privée comme un investissement dans la recherche publique. De façon générale, la sphère technocratique ne manquera pas de faire passer ses idées aux principaux candidats.
Pour reprendre la main sur l’agenda politique, la communauté académique doit donc se constituer en groupe de pression transpartisan. Pour ce faire, nous proposons de travailler en trois étapes :
Collecter un ensemble de points programmatiques dans un format imposé (un titre de moins de 150 caractères suivi d’un paragraphe de développement de 1 250 caractères maximum, espaces compris). Vous êtes invités à envoyer vos contributions d’ici au 24 mai 2021 à cette adresse :contact∂rogueesr.fr. Le paragraphe doit s’adresser aux citoyens plutôt qu’à la communauté académique. Si vous le souhaitez, vous pouvez également utiliser la fonction « commentaires » (bouton « view comments ») en bas de ce billet. À titre d’exemple, nous avons listé ci-dessous une première série de propositions tirées de nos précédents travaux et auxquelles nous vous invitons à joindre les vôtres. Les propositions doivent être constructives et porter sur un point précis, en s’abstenant de commentaires critiques généraux sur la politique suivie depuis deux décennies. Elles peuvent évidemment être des amendements d’autres propositions ou des contre-propositions sur un même thème.
Durant la première quinzaine de juin, nous vous proposerons de voter pour hiérarchiser les propositions collectées. Nous appellerons alors la communauté académique, au sens large, à fixer elle-même les priorités programmatiques à défendre. La représentation statistique du vote sera déterminante. Nous réaliserons une synthèse des propositions mi-juin.
Les propositions les plus soutenues feront l’objet d’un chiffrage budgétaire rigoureux puis seront portées auprès des candidats et de leurs partis. Nous demanderons aux équipes de campagne une réponse écrite concernant l’intégration de chacun des points dans leur plateforme programmatique. Nous rendrons publiques toutes les réponses reçues.
Nos pré-propositions pour 2022
I. Des garanties légales pour une Université et une recherche au service de l’intérêt général
1. Garantir juridiquement l’autonomie de la recherche vis-à-vis des pouvoirs politique, économique et religieux
Le principe d’indépendance de la recherche et de l’enseignement figure dans le bloc de constitutionnalité par le biais de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. Les remises en cause récentes de la liberté académique par le pouvoir politique, le dévoiement de cette notion dans le débat public mais aussi l’érosion de son contenu concret et positif sous l’effet des réformes de ces vingt dernières années, sont le signal de l’insuffisance de cette garantie jurisprudentielle. Le principe d’indépendance qui constitue le socle de la liberté académique doit donc faire l’objet d’une définition en droit positif, qui soit intégrée au bloc de constitutionnalité. Cette garantie juridique devra apporter aux universitaires et chercheurs une protection comparable à celle dont doivent bénéficier les lanceurs d’alerte. Elle ne saurait en outre être séparée de garanties statutaires et salariales, faisant à nouveau de l’emploi titulaire la norme de nos métiers.
2. Une Université et une recherche aptes à faire face aux crises économique, écologique et démocratique
Les politiques universitaires des gouvernements successifs reposent sur le principe d’un lien entre formation supérieure, qualification, productivité, croissance et emploi. Ce principe, aujourd’hui, n’est plus tenable. Les mutations économiques modifient les besoins de main-d’oeuvre et induisent un chômage structurel de masse ; l’urgence environnementale impose de revoir les modes de production et de création de valeur ; la crise démocratique, enfin, est alimentée par un début de stagnation éducative, avec des taux de bacheliers et de diplômés du supérieur dans une tranche d’âge qui ne progressent plus depuis une décennie. Les priorités de l’Université doivent donc être repensées pour faire une place plus juste à l’émancipation citoyenne, afin de former des groupes et des individus capables d’affronter cette triple crise à laquelle nous faisons face. Les missions officielles de l’Université doivent être expressément adaptées à cette situation. Une réorganisation humaine, budgétaire et administrative doit être entreprise autour de quelques piliers : fonctionnement en réseau, modes de financement incitant à la coopération, création d’établissements expérimentaux, garanties statutaires et matérielles d’autonomie académique et étudiante.
II. Une nouvelle organisation administrative et territoriale de la recherche
3. Réorganiser l’Université et la recherche par réticulation plutôt que par concentration, selon un modèle polycentrique
La « politique d’excellence » consiste à ne donner les moyens de travailler qu’à une fraction de la communauté académique, définie par quotas. Cette politique a engendré le décrochage qu’elle prétendait juguler : la concentration des moyens dans quelques pôles est une absurdité géographique, économique et scientifique. La fragmentation du paysage universitaire, combinée à l’autonomie budgétaire, est préjudiciable à la diversité de l’enseignement et de la recherche. La réorganisation de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) doit se faire en orientant les flux humains et budgétaires selon un modèle polycentrique fondé sur un nouveau type d’institutions : des réseaux valorisant les interactions. Pour cela, nous avons besoin d’un plan national de recrutement établi selon un principe de maillage scientifique national. D’un point de vue matériel et immobilier, il faut aménager de nouvelles infrastructures numériques et immobilières pensées pour favoriser l’émergence de ce modèle polycentrique. Enfin, le mode d’allocation des crédits de recherche doit être revu pour favoriser la coopération, et non le chacun pour soi (voir nos propositions au point III).
4. Créer cinq universités expérimentales dans des villes de taille moyenne
Retrouver une ambition d’émancipation intellectuelle pour la jeunesse demande de lancer au plus vite la construction de cinq universités expérimentales de taille moyenne, réparties à travers le territoire et installées dans des villes moyennes disposant déjà de locaux vacants appartenant à l’État. Ces établissements devront être dotés de résidences universitaires en quantité importante, intégrées dans le tissu urbain. L’objectif n’est pas tant de construire des « universités de proximité » destinées à absorber ce choc démographique, que d’inventer des espaces inaugurant un nouveau rapport de l’Université à la ville, incluant des havres de sociabilité étudiante, des programmes disciplinaires et interdisciplinaires neufs et une formation scientifique de pointe pour toutes et tous, à même d’irriguer le système universitaire français, voire européen.
5. Rénover l’immobilier universitaire
Le parc immobilier universitaire est vétuste : passoires thermiques, locaux dégradés, ventilation déficiente, etc. L’investissement planifié doit être une occasion de développer par l’expérimentation de nouvelles techniques de rénovation, d’isolation thermique, de qualité d’air et de qualité de vie étudiante. La doctrine des universités « de proximité », fondée sur l’idée d’un hébergement des étudiantes et des étudiants dans leurs familles, n’a pas tenu ses promesses. L’émancipation suppose de sortir de son milieu familial, pour vivre une vie d’étudiant. Il faut dès aujourd’hui programmer pour les décennies qui viennent, des logements universitaires inscrits dans le paysage urbain, accessibles financièrement et environnés de lieux de vie culturelle, associative et festive, plutôt que les actuels blocs d’immeubles disséminés dans des campus excentrés. Ces quartiers à remodeler doivent être, là encore, l’occasion d’audaces architecturales et urbanistiques. L’université a vocation à être un objet de recherche et un lieu d’expérimentation pour juguler les crises sociale, environnementale et démocratique.
III. Les conditions matérielles et statutaires de la liberté académique
6. Allouer l’essentiel des moyens de recherche de manière récurrente, selon une grille disciplinaire, pour tirer le meilleur de l’existant
Le système de financements par appels à projets a tiré la science française vers le bas : en généralisant le recours à des moyens non-pérennes, il favorise les effets de mode, et contribue à l’augmentation des méconduites scientifiques. Il met en compétition des scientifiques dont l’intérêt serait de coopérer. Il institutionnalise une précarité préjudiciable à la recherche de la vérité. Nous proposons de remplacer les agences de moyens par un système fondé sur l’octroi d’une dotation budgétaire par tête (esquisse formulée ici). En 2021, le milliard de l’ANR aurait permis une dotation de 15 k€ par chercheur titulaire (équivalent temps plein). Cette dotation individuelle devrait être allouée selon une grille disciplinaire adaptée à la diversité des besoins, à partir d’une enveloppe globale augmentée. Une fraction de cette dotation sera placée dans une banque de moyens administrée par les pairs, afin de financer les projets de coopération. Ce dispositif pourra être complété par des réseaux de recherche thématiques sur des questions jugées prioritaires et demandant des moyens supplémentaires.
7. Réaffirmer les garanties statutaires d’une recherche et d’une formation universitaire exigeantes
Vingt ans de contractualisation et de bureaucratisation ont hypothéqué les conditions humaines d’une recherche et d’un enseignement autonomes et de qualité. Cela se manifeste par l’inadéquation entre les missions de l’Université et de la recherche et le nombre et le statut des agents dont elle dispose. On observe notamment une rotation vertigineuse des jeunes chercheurs non-titulaires, qui va de pair avec une déperdition des savoir-faire et une grande précarité intellectuelle et matérielle. En outre, souvent, des qualifications sont utilisées à contre-emploi. Trop souvent, le seul bénéficiaire des garanties d’indépendance statutaire est en fait un manager de laboratoire déconnecté de la pratique quotidienne de la recherche. Pour retrouver les moyens de l’exigence et garantir la transmission de l’expérience, il faut procéder à un recrutement massif d’ingénieurs et de techniciens titulaires dans les laboratoires. De même, l’indépendance, l’intégrité et la qualité de la recherche, comme la continuité des enseignements, nécessitent des chercheurs et enseignants-chercheurs titulaires.
8. Débureaucratiser la recherche et l’enseignement supérieur
La professionnalisation des fonctions de direction est la cause essentielle de la dépossession des scientifiques et des universitaires de leur métier, et contribue à saper la qualité de l’enseignement et de la recherche. Pour y mettre un terme, l’ensemble des mandats de direction dans les établissements et organismes doivent être non-renouvelables consécutivement. Un délai de réserve de cinq ans doit être observé après l’exercice d’une charge importante, comme un poste dans une équipe présidentielle universitaire ou la direction d’un institut du CNRS. Durant ce délai, aucune haute responsabilité administrative ne doit être autorisée, pas plus qu’une nomination dans une haute administration liée à l’ESR (Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, rectorats, directions générales, présidence d’une autorité administrative). Les personnes concernées pourront bénéficier, dans l’année qui suit la fin de leur charge, d’un congé ou d’un temps partiel qui leur permettra de retrouver le niveau scientifique nécessaire à l’exercice de leur métier.
IV. Retrouver la pratique de la dispute collégiale
9. Organiser la dispute scientifique pour renouer avec une recherche et un enseignement exigeants, originaux et intègres
Seule la pratique de la dispute collégiale garantit l’exigence intellectuelle et déontologique en matière de production, de critique et de transmission des savoirs. Les dispositifs institutionnels qui vident cette pratique de sa substance par des normes et des procédures hétéronomes à l’activité de recherche doivent être abandonnés. Cela passe notamment par une rupture avec les diverses bureaucraties dévolues à l’évaluation managériale permanente, notamment quantitatives, qui ont pu se constituer à l’échelle des différents établissements et opérateurs de l’ESR, en commençant par la dissolution du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres). Dans l’Université et les organismes de recherche, la probation de la qualité des travaux doit se faire par l’ensemble des pairs, de façon ouverte et contradictoire, via une instance nationale représentative de l’ensemble de la communauté scientifique, et sans lien institutionnel avec la gestion des carrières et l’octroi des financements de base.
10. Course aux publications : revenir à la raison
Construire l’évaluation des structures de recherche et la gestion des carrières sur un principe de productivité conduit à une compétition stérile et pousse à la fraude scientifique. Il est nécessaire de s’extraire de ce paradigme. La signature par les organismes de recherche des manifestes de Leiden et de San Francisco (DORA) implique justement de privilégier une analyse qualitative et l’abandon de critères quantitatifs. Lors des visites de laboratoire, le comité de visite doit prendre connaissance en profondeur des travaux les plus importants de l’équipe afin qu’un débat contradictoire, équilibré et constructif, puisse s’instaurer entre pairs. De ce fait, le nombre de publications doit être limité : aller vers une politique de diffusion du travail de recherche qui prenne en compte l’originalité, l’exigence, l’ampleur des preuves en autorisant le temps long favorisera l’exercice de la disputatio.
11. Rétablir le contrôle des pairs sur l’édition scientifique
L’édition scientifique a pour rôle majeur la diffusion des travaux de recherche des scientifiques dans la communauté académique. Elle ne peut être régie par un modèle économique faisant de l’article un produit de consommation et du pôle éditorial une entreprise ayant pour seule finalité de dégager une marge bénéficiaire pour ses propriétaires. Rétablir les standards d’intégrité éditoriale impose de rendre aux pairs le contrôle effectif des revues et plus généralement des maisons d’édition. Cela exige de développer, de moderniser les presses universitaires et d’encourager financièrement le contrôle des revues par les pairs, le cas échéant via des structures associatives ad hoc (qui peuvent être des sociétés savantes, ou des associations éditrices porteuses d’une revue, comme cela fut longtemps la norme). Le système de subvention à l’édition scientifique doit d’abord encourager les publications en accès libre et incluant des modules de réponse, de commentaire et de révision par les pairs après publication, comme le font déjà certaines revues.
V. L’Université pour émanciper
12. Garantir l’autonomie matérielle des étudiants
Toute personne résidant en France doit se voir garantir par la collectivité un droit minimal à trois années d’études supérieures au long de sa vie. Pour les étudiants en formation initiale, cela ne peut passer que par le versement d’une allocation d’autonomie d’un montant de référence de 1 000 € par mois, douze mois par an, pour toute la durée d’un cycle de formation, ce qui doit inclure la possibilité d’une quatrième année de versement en cas de besoin. Nous empruntons au collectif Acides sa proposition de financement de cette mesure par la branche « familles » de la Sécurité Sociale, abondée par les cotisations patronales et déjà en charge des APL. Le montant mensuel pourra être révisé à la baisse si l’étudiant dispose déjà d’un hébergement, par exemple dans sa famille. Mais cette disposition a précisément pour objectif d’encourager les étudiants à s’émanciper de leur milieu d’origine.
13. Refonder la formation des enseignants du premier et du second degré
La crise de la formation des enseignants affecte directement la transmission et la critique des savoirs académiques. Il est nécessaire de reconstituer un vivier de futurs enseignants et de mieux les accompagner très tôt dans leurs études. Pour cela, nous proposons d’introduire un pré-recrutement des enseignants sous statut d’élève-fonctionnaire dès la L2. Ce pré-recrutement donnera également accès à une formation initiale aux métiers de l’enseignement et à des stages d’observation. Placé en fin de licence, le concours de recrutement sera axé sur les savoirs disciplinaires et sera suivi d’une formation en alternance sous statut de fonctionnaire-stagiaire, incluant des éléments de formation disciplinaire (ce qui inclut une part de didactique), et de sciences de l’éducation. Enfin, la première année comme titulaire doit donner lieu à un service allégé, permettant ainsi d’améliorer l’entrée dans le métier. Dans le même temps, une formation universitaire tout au long de la vie doit être mise en place pour les enseignants déjà en poste.
Dans notre billet précédent, nous évoquions la décision unilatérale d’Antoine Petit de ne plus publier sur le site du CNRS les résultats d’admissibilité du concours de recrutement chercheur sous la forme d’un classement « de mérite » établi par les sections du Comité National de la Recherche Scientifique (CoNRS), mais d’une liste alphabétique. Cette modification de la procédure laisserait le champ libre à la bureaucratie pour procéder à des reclassements et déclassements sauvages dans l’opacité la plus totale, et bouleverser ainsi à sa guise le classement établi par les instances démocratiques garantes de la qualité scientifique des candidats, et donc du concours, avant la publication des admissions.
Une stratégie évidente ? En début d’année 2020, alors que la ministre Frédérique Vidal fustigeait les opposants à la loi de programmation de la recherche (LPR) en les accusant de prêter au gouvernement toutes les intentions, Antoine Petit expliquait déjà la nécessité à ses yeux d’une loi inégalitaire et « darwinienne ». La loi qu’il appelait de ses vœux a bien été élaborée, au pas de charge à l’occasion du premier confinement, puis imposée aux principaux concernés sans discussion de fond, à la faveur de l’été puis d’une rentrée sous la contrainte du Covid. En fait de procès d’intention, le contenu de la loi a confirmé les craintes exprimées dès l’origine. La stratégie de ce gouvernement en matière d’ESR est donc transparente, et il nous a déjà montré sa détermination à réduire la concertation à un simple affichage. Il n’est plus temps d’attendre la confirmation de la prochaine « intention », mais d’amorcer sans délai la reprise en main du CNRS par la communauté scientifique.
L’enjeu des recrutements. La question des recrutements est en effet la pierre angulaire de la liberté académique au CNRS, garantie par le rôle de l’instance de représentation des pairs, le CoNRS. C’est une redéfinition complète du rôle de cette instance que M. Petit a mise à son agenda. La bureaucratie escompte probablement que la contestation ne soit pas suffisante pour entraîner un infléchissement politique notable. De fait, ce calcul paiera tant que nous ne nous engagerons pas collectivement dans une entreprise résolue de réappropriation complète de nos métiers, dans les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) comme à l’Université
La collégialité des procédures de recrutement n’est pas un enjeu spécifique au CNRS. À l’Université, dans de nombreuses disciplines, la campagne de recrutement synchronisée fournit en ce moment même le modèle d’une veille collective via des « wikis auditions » et autres « suivi des recrutements », nourris par les contributions informelles des membres de comités de sélection. Les sections du CoNRS pourraient-elles emprunter le même chemin, et rendre aux recrutements CNRS une transparence que M. Petit entend leur ôter ?
Quelle place pour le jugement des pairs au CNRS ? L’attaque qui vient d’être portée par A. Petit est en tous points éloquente. En changeant unilatéralement l’organisation du concours sans même en informer l’instance démocratique qu’est le CoNRS — via la conférence des présidents du comité national (CPCN) et son président —, le message est clair : « je me fiche de l’avis des pairs ».
Le calendrier de cette attaque est également lourd de sens. Au moment où les sections, pleinement engagées dans les concours, sont les moins réactives, A. Petit trouve une occasion rêvée d’imposer un changement sans remous. Il pourra par ailleurs exploiter le flottement inhérent à la transition entre les deux mandatures pour pérenniser cette décision, avant l’installation effective de la prochaine CPCN. Invitons les collègues nouvellement élus à rester sur leurs gardes en cette période charnière : Le CoNRS doit veiller à ne pas se départir de ses missions en laissant libre cours au « pilotage scientifique » de l’établissement par sa bureaucratie.
La prochaine mandature du CoNRS s’annonce donc comme une lutte pied à pied, afin de permettre aux chercheurs et chercheuses du CNRS de reprendre prise sur leur métier, et ce dès l’étape du recrutement. Dans la perspective des élections imminentes au CoNRS, tant les électeurs que les candidats devront s’emparer de la question des modalités concrètes de cette nécessaire réappropriation du CNRS. On ne saurait perdre de vue le rôle encore majeur que le CoNRS occupe dans l’évaluation de la recherche, et le levier qu’il représente pour réaffirmer les conditions inaliénables de la liberté académique. Si l’on néglige cette exigence impérieuse, la reprise en main bureaucratique de l’ESR ruinera définitivement les conditions d’exercice d’une recherche intègre, affranchie des pressions exercées par les pouvoirs économiques, religieux et politiques.
Ce billet est consacré à la notion de liberté académique. Auparavant, nous traitons succinctement de trois sujets d’actualité.
Maccarthysme — Depuis le 16 février, nous vivons une de ces séquences maccarthystes qui ont fait le quotidien des Bolsonaro, Trump, Johnson et autres Orbán,[1] et qui se répètent désormais dans le nôtre. L’attaque de l’exécutif contre les scientifiques a été déclenchée à l’approche des élections régionales par Mme Vidal, possiblement tête de liste à Nice. Cet épisode politicien consternant ouvre la campagne des présidentielles pour le chef de l’État ainsi que pour les autres ministres chargés de chasser sur les terres lexicales de l’extrême droite. La charge consiste à désigner comme non scientifiques certains domaines de la recherche et à les associer au terrorisme, par un nom chimérique construit sur le modèle de l’adjectif « judéo-bolchévique », de sinistre mémoire. La menace est réelle. Mais elle ne vient pas des travaux insufflés par une libido politique, qui innervent aujourd’hui un grand nombre de disciplines des sciences dures et humaines, elle vient de la stratégie politique qui accuse la recherche et l’Université d’être politisées tout en leur enjoignant ailleurs de légitimer les choix « sociétaux » des politiques[2] ou de répondre dans l’urgence à une crise par des appels à projet[3]. Elle s’entend dans ce lexique confusionniste et moraliste qui prétend dire ce qu’est la science sans en passer par la méthode scientifique. Elle se reconnaît à la fiction du débat qui occupe l’espace médiatique par tribunes de presse et, bien pire, sur les plateaux des chaînes de télévision singeant le modèle de Fox News et des médias ultraconservateurs états-uniens.
La menace nous appelle donc à forger de solides réseaux de solidarité pour les affronter et à nous réarmer intellectuellement, pour réinstituer l’Université.
Zéro Covid — Nous avons à nouveau demandé au Président de la République, au Premier Ministre et au Ministre de la santé de recevoir une délégation de chercheurs pour proposer une série de mesures de sécurisation sanitaire composant une stratégie globale Zéro Covid, conformément à la tribune signée, déjà, par plus de mille chercheuses et chercheurs.
Hcéres — Dans ce contexte, il peut être pertinent de revenir sur le fonctionnement du Hcéres, instance symptomatique s’il en est des menaces institutionnelles qui pèsent sur la liberté académique. Le collège du Hcéres réuni le 1er mars a entériné le recrutement de M. Larrouturou comme directeur du département d’évaluation des organismes nationaux de recherche (DEO). M. Larrouturou était, avant sa démission le soir de l’adoption de la loi de programmation de la recherche, à la tête de la Direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI). À ce titre, il a organisé la nomination de M. Coulhon à la présidence du collège du Hcéres. À qui en douterait encore, ce renvoi d’ascenseur confirme l’imbrication des différentes bureaucraties de la recherche et leur entre-soi conduisant au conflit d’intérêt permanent.
Certains militants d’une fausse liberté académique, dans une tribune récemment publiée, ont par ailleurs présenté le département d’évaluation de la recherche (DER) comme l’instance légitime pour une mission de contrôle politique des facultés. Il est donc intéressant de relever que ce département demeurera dirigé par un conférencier occasionnel de l’Action Française, le mouvement de Charles Maurras à qui l’on doit le mythe de l’Université inféodée aux quatre États confédérés (Juifs, Protestants, Francs-Maçons, « Métèques »).[4]
Enfin, trois membres d’instances nationales de La République en Marche apparaissent dorénavant dans l’organigramme du Hcéres, confortant les craintes de constitution d’un ministère Bis en charge de la reprise en main de la recherche.
[4] Les convictions politiques de la personne en question n’auraient pas vocation à apparaître sur la place publique s’il n’était pas précisément question de lui confier une mission de contrôle politique des universités. D’autre part, nous nous refusons à mentionner des liens vers des pages pointant vers des sites d’extrême-droite. Les lecteurs soucieux de vérification les trouveront sans peine.