Joyeux anniversaire, Camille Noûs
Deux sujets ce jour : le bilan de Camille Noûs pour son premier anniversaire et le calcul du risque de contamination à l’Université. Un communiqué de presse bilingue à propos de Camille Noûs est disponible ici.
Camille Noûs : refonder l’édition et l’évaluation de la recherche.
Le 20 mars a marqué l’anniversaire de deux initiatives concomitantes de réappropriation de notre métier : tout d’abord, l’appel à refonder l’Université et la recherche pour contribuer à la reconstruction d’une vie sociale plus démocratique, plus juste, plus solidaire et plus responsable sur le plan écologique, après la rupture que représente la crise sanitaire.
Le 20 mars est aussi la date de naissance de Camille Noûs, personnification de la communauté scientifique. En rupture avec la rhétorique de la trouvaille géniale et solitaire qui justifie le marketing de soi-même, la course au chiffre, l’évaluation à l’impact et la mise en concurrence des scientifiques, Camille Noûs incarne l’exigence d’intégrité intellectuelle, qui impose de reconnaître qu’aucune découverte scientifique significative n’est possible sans une contribution décisive de la communauté des pairs. La science se construit avec et contre les travaux antérieurs ; elle s’affine et s’objective dans la pratique de la dispute savante. Apposer la signature de Camille Noûs sur un article signifie qu’il n’y a pas de recherche à la première personne du singulier, pas de science sans un « Nous ».
Au cours de l’année écoulée, Camille a publié 180 articles dans 110 journaux à comité de lecture, et noué des collaborations avec 280 co-auteurs issus de 170 laboratoires différents dans 35 pays. Des dizaines d’autres articles sont en cours d’évaluation dans des revues appartenant à tous les champs disciplinaires. En outre, Camille a co-dirigé des numéros thématiques de revues. Nos plus vifs remerciements vont à toutes celles et tous ceux qui ont contribué à ce succès.
Cet anniversaire a été marqué par la parution d’un reportage dans la rubrique « actualités » de la revue Science, consultable en accès libre. Cet article ouvre une fenêtre de débat à l’international sur les problèmes systémiques que Camille Noûs entend mettre en lumière. C’est pour nous l’occasion de faire un point sur l’accueil qu’a rencontré cette initiative. Au sein de la communauté scientifique, les retours sont très majoritairement positifs et révèlent une excellente compréhension des revendications de Camille à l’international, ce qui traduit l’universalité des dérives de l’édition et de l’évaluation que nous constatons. L’article de Science a suscité de nombreux commentaires de collègues, qui ont exprimé dans toutes les langues leur sympathie pour ce personnage symbolique. Sans surprise, les réactions sont beaucoup plus fébriles du côté des représentants de l’oligopole de l’édition et de la bibliométrie, ainsi que de la minorité de savants ayant fait le choix de la valorisation solitaire de leurs travaux. Plusieurs grands éditeurs internationaux, alertés par des dénonciations anonymes, ont tenté de bloquer l’usage de la signature de Camille. Saluons ici les collègues qui leur ont résisté. Elles et ils ont aidé à affiner l’idée initiale et à plaider la cause de Camille Noûs auprès des éditeurs de journaux, des sociétés savantes ou des archives ouvertes, au fil de discussions souvent aussi riches que constructives.
Avec Noûs, ou sans nous. Les beaux résultats de cette première année, que nous résumons dans le communiqué joint, ne sont qu’un début : Camille Noûs continuera de co-signer nos publications à l’avenir. Nous encourageons tous ses co-auteurs à entrer dans une démarche de dialogue avec les éditeurs pour revendiquer cette allégorie du collectif, en l’annonçant explicitement dès la soumission. Ce gage de probité est primordial dans un contexte où toute action médiatisée est susceptible d’être affublée du qualificatif de « fake news ». Un auteur allégorique est-il pour autant un « faux » ? En aucun cas, si toutes les parties sont informées de sa signification, ainsi que des raisons pour lesquelles nous pensons légitime sa présence parmi les auteurs de nos travaux. Nombreux, nous pouvons nous ré-approprier la décision sur l’établissement des normes de publication de nos travaux, en convainquant les éditeurs que le label de qualité et d’intégrité « Camille Noûs » deviendra bientôt un prérequis pour que nous ayons recours à leurs services.
Certaines réserves, d’ordre éthique notamment, doivent cependant être prises au sérieux pour fédérer les sympathies et les convertir en actions.
Le reproche d’« inconduite » (misconduct), régulièrement formulé, repose essentiellement sur une divergence de principe : si certains, notamment dans le monde de l’édition, considèrent comme une « inconduite » le fait de reconnaître la part d’autrui à nos propres découvertes, nous pensons au contraire que la signature de Camille Noûs est porteuse d’une nouvelle exigence d’intégrité et de collégialité. D’aucuns avancent par ailleurs que d’autres moyens seraient intrinsèquement préférables à celui-là pour en finir avec la course délétère à la valorisation individuelle. Il nous semble que ce reproche sera en partie recevable que lorsque ces autres moyens seront concrètement nommés et mis en œuvre. Dans l’intervalle, force est de constater que le succès de Camille est bien plus efficace pour mettre en garde la communauté contre la sape des normes éthiques de la publication scientifique que ne le furent les initiatives antérieures, certes plus diplomatiques.
En revanche, l’exigence d’intégrité portée par Camille révèle une autre inquiétude formulée par certains collègues : comment assurer un suivi éthique des publications de Camille Noûs si cette signature rencontre le succès sur la durée ? Et comment garantir la transparence du secrétariat de Camille, nécessaire à la probité de l’initiative ?
Pour faire de Camille Noûs une garantie effective de l’intégrité et de la collégialité, au-delà de la déclaration de principes, le temps semble venu pour Rogue de confier la destinée de ce personnage symbolique à l’ensemble de la communauté académique, et d’avancer en son nom vers la constitution d’un réseau international de veille pour l’éthique scientifique des publications. Cogitamus, le laboratoire de Camille utilisable comme affiliation secondaire, avait d’emblée été proposé comme l’embryon d’une communauté de pratiques. Ce laboratoire pourrait devenir l’esquisse d’un tel réseau. Nous aimerions inviter la communauté à s’en saisir en créant un groupe international, ouvert, composé de volontaires déclarés, issus de tous les champs disciplinaires. Ce réseau pourrait fonctionner sur le principe d’un comité éditorial de revue ; toutefois sa fonction ne serait pas la sélection de travaux. Il assurerait en particulier la supervision éclairée de la correspondance de Camille et de sa charte déontologique, aux mains et sous l’œil bienveillant de la communauté académique internationale, en toute transparence dans les contacts avec les auteurs comme avec les maisons d’édition. Nous souhaitons ouvrir largement ce sujet à la discussion, y compris avec les autres mouvements déjà engagés vers une démarche dite « OpenScience », et nous recevrons avec intérêt les propositions pour construire ensemble ce projet à l’adresse : camille.nous@cogitamus.fr. Dans l’immédiat, nous continuerons de centraliser les réponses par nécessité pratique, mais nous annonçons d’ores et déjà notre volonté d’une émancipation précoce de Camille vers ce futur réseau.