Rouvrons l’Université, pour de bon !
Le texte de cette tribune a été publié dans le quotidien Le Monde le 21 juin 2021 : Covid-19 : « La qualité de l’air à l’intérieur des universités doit être considérée comme un bien commun. » En complément, vous trouverez ici une annexe sur les données épidémiques.
« Nous sommes au bout du rouleau. » Tel est le diagnostic partagé par les étudiants, les enseignants et les personnels qui assurent le bon fonctionnement de l’Université. Les enquêtes menées auprès des étudiants ne laissent aucun doute : les conséquences de trois semestres de fermeture physique de l’Université et de l’enseignement à distance sont désastreux. À Paris-Saclay, une enquête menée auprès de 1 000 étudiants a montré que 20 % des répondants seulement qualifient leur état psychologique de « bon » à « très bon » ; 40 % le qualifient de mauvais, voire très mauvais, et attribuent leur état à la situation sanitaire en général (70 %) ainsi qu’aux difficultés d’apprentissage liées aux cours à distance (60 %). À Bordeaux-Montaigne, deux tiers des 4 700 étudiants ayant répondu à une enquête disent avoir rencontré de sérieuses difficultés : la moitié des répondants a songé à abandonner son cursus au premier semestre. Partout en France, les réponses de dizaines de milliers d’étudiants ont révélé de profondes difficultés matérielles et morales, provoquées ou aggravées par le confinement. Malgré les moyens informatiques mis à la disposition des étudiants, malgré les efforts des enseignants pour rendre attractifs leurs cours en ligne, malgré les formations à l’enseignement à distance proposées dans la plupart des universités, il faut se rendre à l’évidence : l’enseignement en distanciel est un enseignement profondément dégradé. Après trois semestres de cours à distance ou en mode hybride, les étudiantes et les étudiants sont épuisés et les universitaires au bord du burn-out, comme le signalait déjà Le Monde en février dernier [1]. Les témoignages personnels des étudiants révèlent un fort besoin d’écoute et de prise en compte de leur précarisation matérielle et psychologique par l’institution universitaire.
Il n’est pas envisageable de subir une année supplémentaire en mode dégradé.
Maintenir l’Université ouverte est pourtant chose facile, à la condition d’accepter le consensus scientifique sur la transmission aéroportée de SARS-CoV-2. En prenant des mesures pour limiter les risques de contamination par voie aérienne, les fermetures des locaux universitaires qui ont rythmé l’année universitaire étaient évitables, et ce n’est pas un constat a posteriori. Le milieu scientifique a alerté dès septembre 2020, et proposé des solutions chiffrées pour maintenir un enseignement de qualité, en maîtrisant les risques de contamination. Ces recommandations n’ont pas été entendues et la jeunesse étudiante comme les universitaires en ont fait les frais.
Nous le répétons : il n’est pas possible de subir une année supplémentaire en mode dégradé.
Aujourd’hui, l’existence de vaccins change la donne par rapport à la rentrée précédente. Nous demandons un plan détaillé de vaccination des étudiantes et des étudiants, pour pouvoir assurer dès septembre des enseignements de qualité qui s’appuient sur l’expérience sensible et sur l’interaction, sans médiation par des écrans. Néanmoins nous pouvons d’ores et déjà anticiper que la vaccination ne suffira pas : le variant Delta — aujourd’hui une centaine de nouveaux cas par jour — est 2,5 fois plus transmissible que la souche sauvage. Avec une couverture vaccinale de 60 %, nous serions à la rentrée 2021 globalement dans la même situation vis-à-vis des risques d’une nouvelle flambée épidémique qu’à la rentrée 2020. Par ailleurs, nous devons nous préparer à la possibilité d’un variant disposant d’un échappement immunitaire important, tant qu’il existera un réservoir épidémique humain sur la planète. Il faudrait alors de longs mois pour mettre à jour les vaccins ARNm et reprendre la campagne vaccinale en commençant par les plus fragiles. Si cela devait advenir, ou que surgisse une toute autre épidémie, il serait indispensable de garder l’Université ouverte. Notre société doit consentir dès maintenant aux investissements permettant de réduire le risque de transmission épidémique.
Le SARS-CoV-2 est mondialement reconnu depuis juin 2020 comme un virus aéroporté, se propageant par l’intermédiaire de très fines gouttelettes émises dans l’air expiré par une personne infectée, et pouvant rester en suspension dans l’air pendant plusieurs heures en conservant leur pouvoir infectieux. Si elles ne sont pas évacuées, ces gouttelettes transmettent efficacement le SARS-CoV-2 lorsqu’elles sont inhalées. Ainsi, la réduction du risque de transmission épidémique repose sur l’investissement dans une ventilation fonctionnelle des espaces clos recevant du public, en mettant en œuvre les techniques les plus innovantes. La mesure du risque de contamination à l’aide de capteurs de CO2 est une solution simple et peu coûteuse pour vérifier la bonne ventilation d’une pièce. Fournir au personnel et aux étudiants des masques de qualité permet de réduire le risque d’un facteur 10 à 50. L’exécutif doit consentir à ces investissements modestes au regard du coût social et économique de la syndémie, aisément mis en œuvre, et qui seront amortis sur le long terme puisqu’ils contribueront à assurer une meilleure qualité de l’air ambiant : moins de pathogènes dans l’air, moins de maladies respiratoires.
La qualité de l’air à l’intérieur des bâtiments doit désormais être considérée comme un bien commun, à l’instar de la qualité de l’eau comme de l’Université elle-même. Cette nouvelle approche implique un investissement dans la sécurisation sanitaire des établissements pour retrouver un enseignement de qualité où les outils numériques ne se substituent plus à la pédagogie. Après avoir subi trois semestres d’enseignement en mode dégradé, nous en appelons à l’exécutif pour que cette alternative à la fermeture des locaux universitaires, raisonnée, fondée en science, soit financée et mise en œuvre pendant l’été, pour prévenir un possible regain épidémique à l’automne.
Ne sacrifions pas l’avenir de notre société.
Rouvrons l’Université, pour de bon !
Rouvrons l’Université, pour de bon !
Premiers signataires
Ismael Abdourahamane, étudiant | Bruno Andreotti, universitaire, physique (Université de Paris) | Corinne Augier, universitaire, physique (UCB Lyon 1) | Jean-Luc Autran, universitaire, physique (Aix-Marseille Université) | Manel Beghdadi, étudiante | Jack Berat, étudiant | Guillaume Blanc, universitaire, physique (Université de Paris) | Joel Carles-Gonzalez, étudiant | Pierre Cavalier, étudiant | Kristel Chanard, chercheuse, Géophysique (Université de Paris) | Paul Colcombet, doctorant | Jean-François Coupechoux, doctorant | Françoise Crémoux, universitaire, littérature et civilisation hispaniques (Université Paris 8) | Pierre Crétois, universitaire, philosophie (Université Bordeaux-Montaigne) | Philippe Da Costa, doctorant | Hélène Dessales, universitaire, archéologie (ENS Paris) | Pascale Dubus, universitaire, histoire de l’art (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne) | Pierre-Alexandre Duverne, doctorant | Florence Elias, universitaire, physique (Université de Paris) | Catherine Even, universitaire, physique (Université Paris-Saclay) | Francis Feytout, BIATSS (Université Bordeaux-Montaigne) | Jean-Louis Fournel, universitaire, littérature et civilisation italiennes (Université Paris 8) | Laurence Giavarini, universitaire, lettres (université de Bourgogne) | Louis Genain, étudiant | Dyna Hadroug, étudiante | Jacques Haïech, universitaire, biotechnologie (Université de Strasbourg) | Elise Julien, enseignante-chercheuse, histoire (Sciences Po Lille) | Vincent Klein, ingénieur, enseignant vacataire (CNRS) | Elise Lemercier, universitaire, sociologie (Université de Rouen Normandie) | Clara Lepastourel, étudiante | Pascal Maillard, universitaire, littérature française (Université de Strasbourg) | Sandrine Mariot, ITRF (Université Paris-Saclay) | Pierre-Yves Modicom, universitaire, linguistique germanique (Université Bordeaux-Montaigne) | Laurence Morel, étudiante | Annliese Nef, universitaire, histoire médiévale (Université de Paris I) | Joelle Nelson, BIATSS (Aix-Marseille) | Florian Poydenot, doctorant (Paris Science et Lettres) | Frédéric Restagno, chercheur, physique (CNRS) | Catherine Rideau-Kikuchi, universitaire | Yannic Simon, ITRF (Université Paris-Saclay) | Jean-Baptiste Stiegler, étudiant | Cécile Terreaux-Scotto, universitaire, études italiennes (Université de Grenoble Alpes) | Marjolaine Vincent, étudiante.
Liste des 2823 signataires
[1] Le Nevé, S. Universités : enseignants au bord du burn-out. Le Monde, 5 février 2021.