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L’espoir d’un renouveau pour les sciences, l’Université et la recherche

L’objet de ce billet est un appel à signer la tribune parue dans Le Monde daté du 16 avril et intitulée L’espoir d’un renouveau pour les sciences, l’Université et la recherche, dont vous trouverez le texte ci-dessous.

Le « Projet de loi de simplification de la vie économique », porté par l’alliance entre droites et extrême-droite, s’inspire directement des dérégulations opérées par les administrations Milei et Trump : la tronçonneuse autoritaire au nom de la simplification. C’est à cette aune qu’il faut comprendre l’ardeur du Rassemblement National à contribuer à cette loi en supprimant, dès l’article 1, toujours plus de comités consultatifs et d’organismes de régulation. Par un curieux paradoxe, cette fureur musko-trumpiste a conduit aussi l’extrême-droite à voter la suppression de ce qui serait son meilleur outil pour caporaliser l’université, une fois arrivée au pouvoir : le Hcéres. Cette erreur d’appréciation repose sans doute sur le fait que ce jour-là ses députés n’avait d’attention que pour leur propre opération de déstabilisation du travail parlementaire en collusion avec le magazine suprémaciste Frontières.

Le ministre et ses alliés se sont engouffrés dans cette brèche pour présenter le Hcéres en rempart exclusif de la liberté académique contre un pouvoir d’extrême-droite : cette liberté constitutionnelle, à les écouter, ne serait garantie que par un comité Théodule — pourtant renversable par un simple amendement. Le ministre n’a sans doute pas d’autre but, dans sa communication de crise, que d’essayer de trianguler l’adversaire en reprenant les catégories et les concepts qui articulent l’indignation du monde universitaire : la liberté académique, l’autonomie nécessaire aux universitaires et aux scientifiques, la défense des sciences comme bien commun et comme pilier de la démocratie. Cet emploi des mots pour leur faire dire le contraire de ce qu’ils signifient normalement est une tactique sémantique éculée destinée à faire obstacle à la compréhension. Son usage indique en creux une terrible vérité : le Hcéres n’a rien d’un contre-pouvoir. Il est au contraire la clé de voûte du contrôle politique déployé depuis vingt ans, et c’est lui qui expose l’Université et la recherche aux menées d’une future domination de l’extrême-droite. Difficile en tout cas d’imaginer aveu plus clair de l’état réel de la liberté académique : démunie, assujettie à la bureaucratie, et in fine, dans la main des financeurs quels qu’ils soient.

Le Hcéres, ou ce qu’il en reste, ne saurait être une protection face à l’extrême-droite. Reconstruire des défenses efficaces est donc une urgence : la responsabilité démocratique du monde savant dépend aujourd’hui de sa capacité à se réinventer. Le parlement ayant détruit le miroir aux alouettes d’une institution indépendante et protectrice, cette reconstruction de la liberté académique et des sciences comme bien commun, nécessaire et urgente, devient enfin possible. C’est le sens de l’appel paru dans le journal Le Monde. Le Ministre, M. Baptiste, aurait souhaité nous répondre par une tribune en regard.

Nous sommes plus de 4 400, déjà, à avoir signé cette tribune. Nous vous invitons également à la signer et à la partager avec les collègues de votre entourage.

Donnons-nous rendez-vous dès le retour des vacances de printemps pour définir le calendrier et les modalités du travail de réinstitution devant mener à un changement de cap et une vision renouvelée pour l’Université et la recherche.

« Le Haut Conseil de l’évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur étant devenu irréformable, il fallait le supprimer »

Dans une tribune au Monde, un collectif de plus de 3 000 praticiens de la communauté académique salue la suppression du Haut Conseil de l’évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, et y voit l’espoir d’un renouveau pour les sciences, l’Université et la recherche.

Répondant à un souhait très largement exprimé par les universitaires et les chercheurs, les députés ont validé la suppression du Haut Conseil de l’évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (Hcéres) après des années de paupérisation, de bureaucratisation, dans le cadre du « Projet de loi de simplification de la vie économique ». Les missions de l’université et de la recherche scientifique supposent de démêler deux notions confondues sous le vocable d’« évaluation » : l’évaluation des enseignements et des travaux scientifiques et l’évaluation des politiques publiques.

L’évaluation des travaux scientifiques fait partie du quotidien des chercheuses et des chercheurs. Le régime de vérité scientifique, fondé sur la preuve et sur la critique mutuelle, suppose d’être à l’abri des pressions de tous ordres. Par la nature même de leur activité, universitaires et chercheurs doivent disposer d’une autonomie vis-à-vis des pouvoirs politiques, économiques et religieux. C’est la raison pour laquelle les laboratoires et les formations doivent être évalués par des chercheurs et des universitaires en activité, selon des normes propres à l’Université et la recherche.

L’évaluation des politiques publiques ou des décisions prises par les présidences des établissements est destinée quant à elle à apporter aux parlementaires et aux citoyens une information transparente et objective, afin d’améliorer la qualité globale du service public. Pour des raisons démocratiques, cette évaluation ne doit pas être soumise au pouvoir politique, ni directement — par le ministère — ni indirectement — par le Hcéres ou toute autre instance dont l’indépendance ne serait que de façade. C’est le sens judicieux de l’obligation européenne d’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche par une autorité indépendante.

Or, le Hcéres, dont la direction est souvent proche du pouvoir exécutif, est très directement lié au pouvoir politique. Cette dépendance en a fait l’outil central d’un projet bureaucratique plus global de « gouvernement par agences » qui a entraîné déclin scientifique et technique, aggravé l’échec des politiques de réussite et d’insertion, et favorisé l’essor d’un secteur privé lucratif de qualité médiocre échappant à toute évaluation publique.

La faillite politique et morale du Hcéres est confirmée par la Cour des comptes, qui souligne la lourdeur et l’utilité « marginale » de ses rapports, tout en déplorant l’absence de « réel effort de maîtrise de ses dépenses » — rappelons que le budget annuel du Hcéres était de 24 millions d’euros pour 2024. Le Hcéres a multiplié les procédures opaques, chronophages, et parfois absurdes, utilisant des indicateurs contraires aux normes scientifiques et universitaires. Les tentatives de simplification et de rationalisation de cette institution ont précipité la catastrophe de la « vague E », ruinant sa réputation et sa légitimité auprès des universitaires et du grand public. En plus d’avoir réécrit les avis des évaluateurs, la direction du Hcéres a donné à voir toute l’injustice des critères d’accréditation des formations : taux d’insertion professionnelle trop bas des jeunes dans les territoires défavorisés, taux de poursuite trop élevé des études au sortir d’IUT, impossibilité pour la philosophie d’entrer dans les normes bureaucratiques ubuesques de l’agence d’évaluation, entre autres. Aucun de ces critères ne reflète la qualité de l’enseignement dispensé, mais seulement la conséquence de situations géographiques particulières, de spécificités disciplinaires ou de réformes incohérentes. Le Hcéres étant devenu irréformable, inutile pour les uns et nuisible pour les autres, il fallait le supprimer.

Le ministre lui-même ne croit plus au Hcéres : preuve en est l’annonce, le 8 avril, du projet de soumettre la totalité des subventions des établissements d’enseignement supérieur et de recherche à la signature d’un contrat d’objectifs, de moyens et de performances (COMP) avec l’État. Au contraire de répondre au besoin pressant de financements pérennes du travail académique, ces COMP conditionnent les budgets à l’arbitraire d’objectifs chiffrés, tels que le taux de diplomation en trois ans, l’insertion professionnelle à 12 mois ou, pourquoi pas, le nombre de publications scientifiques. En phase d’austérité, il s’agit d’un projet de soumission illibérale de l’université et de la recherche à des priorités gouvernementales pouvant varier arbitrairement, édictées en tout cas sans débat ni transparence. Pire encore, les COMP retournent contre les formations et les laboratoires les manquements de l’action publique et l’inconséquence des choix politiques gouvernementaux. Cette réforme parachève l’inféodation de l’Université et de la recherche au pouvoir politique. Cette nouvelle atteinte au principe d’autonomie et à la liberté académique est particulièrement inquiétante dans un contexte international marqué par les attaques menées par Elon Musk et Donald Trump contre les sciences et la démocratie.

La suppression du Hcéres n’est pas un saut dans l’inconnu : elle ouvre au contraire la voie à la reconstruction des normes probatoires mises à mal, mais aussi à un débat démocratique sur le rôle de l’université et de la recherche dans l’espace politique. Mieux, elle porte l’espoir de tourner la page de vingt ans de paupérisation et de promotion d’une « excellence » auto-proclamée et anachronique, dont il est vérifiable qu’elle n’a porté aucun fruit. Il faut en finir aussi bien avec l’inertie institutionnelle qu’avec le corset technocratique imposé par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il suffit pour cela de prolonger toutes les accréditations actuelles de deux ans et de profiter de ce délai de latence pour construire, en s’appuyant sur l’expérience de la communauté, un nouveau système collégial de probation académique, ainsi qu’un dispositif transparent de contrôle des politiques scientifiques et universitaires. C’est à ces seules conditions que la France pourra, enfin, instaurer la liberté et la responsabilité de la recherche et de l’Université.

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Fin des keylabs et des programmes européens

Ce billet comprend deux brèves : l’abandon officiel des keylabs et l’annonce gouvernementale à venir, clinquante et vide, en récupération de Stand Up for Science. Il est suivi d’une information exclusive qui nous est parvenue en « tombé du camion » de la part de hauts fonctionnaires du ministère, inquiets du tournant annoncé de la politique européenne de recherche.

« Les ailes ne sont liberté que lorsqu’on les déploie pour voler.
Repliées sur le dos, elles ne sont qu’un fardeau.
»

Marina Tsvetaieva

Abandon officiel des keylabs

Cela reste fragile encore, mais depuis quelques mois, la communauté scientifique et universitaire réapprend à dire nous. La nécessité d’un investissement dans l’Université et la recherche, le démantèlement par paliers des organismes nationaux de recherche, les menées bureaucratiques du Hcéres, la liberté académique et la solidarité internationale en matière scientifique et universitaire ont donné lieu à d’amples engagements transpartisans, après des années de traversée du désert. Pour la première fois depuis des décennies, nous assistons à un largage de lest et à des témoignages d’anxiété du cabinet ministériel devant une communauté académique unie.

Premier signe, le projet de keylabs est abandonné : il n’y aura pas de label déclassant les trois quarts des unités de recherche pour inciter au regroupement des personnels CNRS au sein des universités de recherche. Aucune vision renouvelée n’a évidemment émergé de ce recul, qui tournerait la page de 21 ans de bureaucratisation, de paupérisation et de décrochage. Ainsi, en lieu place du label, il est question désormais de trajectoire discutée avec chaque laboratoire pour produire le même effet. Le programme conçu en 2004 demeure inchangé : mettre fin au statut de fonctionnaire, regrouper les meilleurs chercheurs et universitaires sous contrat dans les universités de recherche, démanteler les organismes nationaux de recherche pour en faire des agences de programmes au service du secteur privé, et déréguler les frais d’inscription.

Second signe, le ministère semble pris de panique devant la possibilité d’une suppression du Hcéres, après le scandale des évaluations caviardées de la vague E. En témoignent la frénésie des changement de procédures, des argumentaires d’autolégitimation et des communiqués des bureaucrates de France Universités qui deviennent difficilement distinguables de leurs parodies du Groupe Javier Milei.

Troisième signe de nervosité, la ministre de la Culture a interdit aux médiateurs scientifiques d’Universcience de contribuer à la seconde journée de Stand Up for Science pendant que le ministre de l’Intérieur faisait fermer Jussieu et envoyait 1500 CRS à la manifestation parisienne, le cortège nourri d’étudiantes et d’étudiants se faisant molester pour quelques fumigènes et une Tesla en carton.

Le printemps, déjà là, reste fragile encore.

« L’air maintenant, parfois, semble porter,
                             tremblante, une charge invisible.
Mais nous, il faut que nous nous contentions
                           du visible ; si grand que soit notre désir,
                                                      d’atteindre, derrière les jours et la vie,
Jusqu’à ce souffle imprégné de retour. »

Rainer Maria Rilke

Une poignée de chaires en guise de solidarité

La communauté scientifique et universitaire a témoigné de sa solidarité avec les collègues aux États-Unis et partout où la liberté académique est menacée ou inexistante.

https://rogueesr.fr/in-solidarity/

Les attaques de MM. Trump, Thiel, Vance et Musk contre les universités et les organismes de recherche et de régulation appellent un arsenal de mesures concrètes que le réseau Stand Up for Science a commencé de recenser dans son manifeste :

https://standupforscience.fr/tribune/

Alors que le programme PAUSE a été amputé de 60% de ses moyens, l’obsession de la bureaucratie universitaire et du ministère semble être de promouvoir le système des chaires contractuelles, dépourvues de protections statutaires, en prétendant « attirer les meilleurs talents » des États-Unis. Or, ces chaires sont notoirement dépourvues de l’attractivité que tente de leur conférer les récupérateurs de Stand Up for Science. Le bilan du programme clinquant « Make Our Planet Great Again » parle de lui même :

https://www.makeourplanetgreatagain.fr/

43 contrats principalement acceptés par des Français ou des Européens, pour 30 millions d’euros. Par comparaison, la baisse budgétaire et les annulations de crédits des mois derniers s’élèvent à 3,1 Milliards d’euros, soit 100 fois plus. Les collègues travaillant aux États-Unis ne rêvent pas d’une chaire sous-payée en France, sans moyen pour travailler, et soumis à une bureaucratie proliférante. Peut-être serait-il sage de leur demander comment nous pouvons concrètement aider à la résistance… En tout état de cause, pour aider l’écosystème scientifique mondial, il faut investir dans la recherche et l’Université et réinstituer le système pour affronter les grandes crises planétaires :

https://rogueesr.fr/investir-recherche-universite/


« La vieille Europe ; elle ne revivra jamais : La jeune Europe offre-t-elle plus de chances ? »

François René de Chateaubriand

 

Un tournant de la politique européenne de recherche

La presse s’est fait l’écho du récent rapport sur la compétitivité de l’Union Européenne rédigé par un groupe d’experts que présidait Mario Draghi : ce rapport pointait du doigt la faiblesse et l’inefficacité des politiques européennes de soutien à l’économie réelle et le sous-investissement dans l’enseignement supérieur, la recherche et ce qu’il nomme « l’innovation ». Ce rapport s’insérait dans une série de trois. Le premier rapport de l’année 2024, coordonné par Enrico Letta, portait sur l’approfondissement du marché unique européen. Le troisième, dit rapport Heitor, portait plus spécifiquement sur l’avenir du Framework Programme for Research and Technological Development au-delà de la période actuelle, 2021-2027. Ce « FP9 » est plus connu sous son nom publicitaire, Horizon Europe. Le « FP8 » s’appelait lui « Horizon 2020 » ou H2020. Comprendre cette architecture des trois rapports permet d’anticiper ce qui va suivre : l’avenir du programme-cadre pour la recherche, Horizon Europe, est entièrement subordonné à la politique d’innovation industrielle de l’Union Européenne dans un contexte de tensions économiques et commerciales qui étaient déjà critiques avant la mise en place des barrières douanières de M. Trump aux États-Unis.

L’actuel plan budgétaire pluriannuel de l’UE arrive à échéance fin 2027. Les rapports de force politiques complexes qu’implique l’élaboration de ces budgets font que la négociation du programme suivant commence, les États membres abattant peu à peu leurs cartes, tandis que la Commission a déjà transmis ses propres plans. Porter l’état actuel des discussions à la connaissance de la communauté permettra d’éclairer certaines annonces récentes, à commencer par la déclaration de M. Macron réclamant un accueil de scientifiques états-uniens sur les fonds de l’ERC et du Programme Marie Curie, c’est-à-dire sur les fonds du FP9 : dans deux ans et demi, ces fonds arriveront à échéance. Or en l’état actuel des négociations, tout suggère qu’il n’y aura pas de FP10 et que ces programmes sont menacés dans leur existence même, ceci avec l’aval du gouvernement français.

La Commission dirigée par Mme von der Leyen demande que le budget de l’UE soit dorénavant divisé en trois grands blocs, contre sept actuellement. Le premier serait un bloc « programmes de cohésion et programmes décentralisés » dont les deux principaux piliers seraient les fonds structurels et de développement régional, et la politique agricole commune. Le deuxième, un « fonds de compétitivité » intégré, fonctionnant comme un guichet unique et censé répondre aux demandes du rapport Draghi en encourageant une économie des soft skills (théorie du capital humain) adossée aux doctrines schumpétériennes de croissance par l’innovation. Le troisième bloc serait la politique extérieure et de défense de l’Union Européenne, avec une nette augmentation des budgets de défense et d’armement. Pour la Commission, le programme-cadre pour la recherche doit faire partie des outils à supprimer et à fondre dans le grand « guichet unique pour la compétitivité », dans un sous-pôle « innovation ». Le programme-cadre pour les formations supérieures, Erasmus+, est absent des discussions mais au moins pour son volet de soutien direct aux formations, son sort semble avoir été scellé : il rejoindrait selon toute vraisemblance un pôle « développement d’une économie des soft skills » du fonds de compétitivité. 

Certains États membres renâclent à sacrifier ainsi l’enseignement supérieur et la recherche à la politique économique. Mais hormis l’Espagne, il s’agit essentiellement de petits États. La France n’a pas encore formellement notifié sa position, en raison de l’instabilité politique de la fin 2024. Toutefois, les arbitrages essentiels ont été rendus. Les directions générales des organismes nationaux de recherche ainsi que lobby de l’Udice ont certes réussi à convaincre le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche de plaider pour le maintien des programmes « d’excellence » de l’ERC via un FP10 autonome, mais la rue Descartes ne pèse pas grand chose face à Bercy, qui s’est positionné pour la mise en place d’un fonds de compétitivité dont les deux priorités seraient la « recherche collaborative » (l’euphémisme consacré pour parler de la mise à disposition du secteur privé des infrastructures de recherche publique) et la « recherche duale » (c’est-à-dire civilo-militaire). Plusieurs inspirateurs de la politique du gouvernement, notamment MM. Tirole et Aghion, soutiennent cette position de principe. De l’aveu d’un représentant du Groupe de Coimbra, l’équivalent européen de l’Udice, le FP10 « n’est sans doute plus sauvable ». 

La discussion se déplace maintenant sur deux questions : celle des cinq à six thématiques retenues pour le sous-programme « recherche et innovation » du fonds de compétitivité, et celle de « la gouvernance du fonds ». La France demandera que les thématiques retenues soient celles mises en avant par M. Macron il y a quelques mois : intelligence artificielle, énergie, valorisation et commercialisation des biotechnologies, quantique, espace. 

Quant à la « gouvernance », c’est-à-dire l’éventuel maintien de sous-programmes-cadres sous le chapeau du « fonds de compétitivité », des documents préparatoires tombés du camion le mois dernier suggèrent que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a renoncé à maintenir un programme-cadre global pour la recherche mais va tenter de satisfaire l’Udice et la direction des organismes de recherche en demandant de sauver quelques bribes de l’ERC et du programme Marie Curie.

Pour cela, le ministère s’est replié sur une position intermédiaire dans l’espoir de rallier quelques soutiens supplémentaires (dont potentiellement M. Aghion) : la Commission ne serait « pas équipée pour gérer un tel fonds » qui devrait donc être divisé en « opérations » ; afin de « ne pas arrêter le pipeline de la recherche », la France demanderait qu’une de ces opérations soit consacrée à « l’excellence en recherche fondamentale » avec comme objectif d’ « attirer les meilleurs talents internationaux ». C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’opération de récupération de Stand Up For Science par la bureaucratie de l’Udice, du CNRS et du ministère : Bercy renâclant encore à appuyer cette demande de préservation d’un fragment de politique scientifique indépendante des intérêts industriels, la bureaucratie de la recherche tente de poser des faits accomplis en profitant de l’aubaine trumpienne.

Ce jeu de bonneteau ne doit pas masquer les éléments objectifs de similitude avec la situation états-unienne, ou au moins argentine : Bercy, c’est-à-dire la France, va bel et bien demander que le gros des fonds de la politique scientifique soit fléchés vers le complexe militaro-industriel et que les politiques de soutien à la recherche se concentrent sur quatre ou cinq thèmes valorisables et commercialisables. Si le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche n’obtient pas quelques concessions, la panique qui gagne l’Udice ou le CNRS nous vaudra probablement une tribune en défense de l’ERC, comme ce fut le cas jadis en défense de l’ANR, du Hcéres ou de la LPR. Nous nous permettrons d’y voir la preuve par le fait de ce que chacun subodore depuis des années : il n’y a que des perdants au « jeu » de la différenciation et de l’excellence, et les « acteurs » qui croient sauver leur statut en « jouant le jeu » se retrouveront demain gros-jean comme devant.