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Virer Debord

Après quelques brèves, ce billet porte sur le Hcéres et les statuts dérogatoires des « établissements publics expérimentaux ». Nous rappelons le texte à signer avant la nouvelle phase de discussions parlementaires :

https://rogueesr.fr/tribune-hceres/

« Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. »

Guy Debord

Politique des sciences

Le séminaire de formation à l’autodéfense numérique est désormais en ligne :

https://www.youtube.com/watch?v=u6jC_wSvpwI

Après une séance consacrée en janvier aux ouvrages récents d’Estelle Delaine, Michel Feher et Quinn Slobodian, une seconde séance du séminaire Politique des Sciences sur l’actualité de la recherche sur l’extrême-droite et l’autoritarisme aura lieu le Vendredi 16 mai 2025, 17h30-19h30, salle P 004, Département de sciences, 48 Bd Jourdan 75014 Paris. Cette séance pourra être suivie en visioconférence :

https://u-paris.zoom.us/j/85641485635?pwd=bKzRCBOpeKIQnYRpbHgJv2H9VNuz0o.1

  • Nonna Mayer (Directrice de recherche émérite au CNRS, CEE Sciences Po), pour une intervention intitulée : « Le vote RN au prisme du genre » ;
  • Cécile Alduy (Professeure de littérature à l’Université de Stanford), pour une intervention intitulée : « “Grand Remplacement lexical” au sein des extrêmes droites française et américaine » .

Pré-inscription demandée aux personnes extérieures à l’ENS-PSL à Po_des_Sciences@proton.me (afin de fournir la liste des invités à la loge).

« Il n’y a plus maintenant de beauté et de consolation que dans le regard qui se tourne vers l’horrible, s’y confronte et maintient, avec une conscience entière de la négativité, la possibilité d’un monde meilleur.

Theodor W. Adorno

Agora Sciences Université Recherche

L’Agora Sciences Université Recherche (ASUR) est une structure d’organisation transitoire destinée à mener un travail de réinstitution de l’Université et de la recherche en trois temps : un grand colloque en juin, un wiki préparant un livre blanc qui paraîtra à la rentrée, et des propositions de lois à la fin de l’automne. Plusieurs centaines de collègues ont d’ores et déjà annoncé leur participation à ASUR.

La participation la plus large est souhaitée et attendue, mais il s’agit aussi pour nous toutes et nous tous de prendre le temps de la réflexion de façon à pouvoir élaborer et rassembler des propositions construites. Les plus jeunes de nos collègues, qui n’ont pas traversé 25 ans de réforme, sont chaleureusement invités à s’approprier ASUR. Leur participation fera l’objet d’une attention particulière. Beaucoup ont l’expérience des systèmes étrangers, et de la façon dont ils ont pu ou pas préserver des parcelles de liberté, et de leurs dysfonctionnements : cette expérience est très importante pour l’élaboration de propositions nouvelles viables. Nous vous rappelons la date butoir du 28 mai pour préparer vos projets de contribution au colloque des 16 et 17 juin.

Pour nous rejoindre, merci de renseigner la fiche suivante :

https://agorasur.fr/


« Il ne s’agit cependant pas d’opposer le mensonge au mensonge, de tenter d’être aussi malin que lui, mais de travailler contre lui, réellement, en déployant la force décisive de la raison, en faisant appel à la vérité réellement non idéologique. »

Theodor W. Adorno

Les outils de l’illibéralisme contre l’Université et la recherche

L’Université et la recherche sont attaquées en Europe, partout où les partis d’extrême-droite participent aux alliances gouvernementales ou ont pris le pouvoir, de la Hongrie à l’Italie en passant par la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, la Finlande, les Pays-Bas, la Slovaquie, la Suède et peut-être bientôt la Roumanie. Où qu’elles soient, les offensives illibérales imposent une austérité budgétaire, la mise en concurrence des individus et des structures et le développement d’un secteur privé fort : en Europe centrale, un quart des étudiants y sont inscrits. En Hongrie et en Pologne, le développement d’universités et d’instituts de recherche privés, financés par de l’argent public, participe du développement d’une pseudo-science qui singe les procédures universitaires sans se plier aux normes de production savante. Ces institutions mènent bataille contre le régime de vérité scientifique en récupérant et en retournant la « liberté académique » pour en faire un droit de dire n’importe quoi (« free speech ») et donner un vernis pseudo-scientifique à un agenda idéologique.  En Hongrie, le Mathias Corvinus Collegium, en constitue l’archétype; il a reçu en 2020 une dotation publique équivalente à l’ensemble de l’enseignement supérieur hongrois, soit un peu moins de la moitié du budget d’Oxford.

Les gouvernements illibéraux utilisent les outils du nouveau management : évaluation et financement par projet. Les agences d’évaluation donnent les moyens au pouvoir politique d’édicter des normes et des indicateurs de productivité du travail savant, dont les universitaires et les chercheurs réalisent trop tard qu’ils assurent un contrôle politique total, malgré leur absence de sens et de rationalité.

Les agences de financement permettent quant à elles de couper sélectivement les budgets sur la base de critères politiques. Ainsi, si l’offensive de l’administration Trump se déroule à un rythme inédit, le DOGE d’Elon Musk reprend les techniques managériales expérimentées en Hongrie ou en Pologne : alors que nombre d’agences de régulation fédérales sont démantelées, les agences de financement et d’évaluation sont préservées et utilisées pour discipliner universitaires et chercheurs, et couper sélectivement les subsides.

En complément, le contrôle illibéral passe par l’éloignement des universitaires et des chercheurs actifs des organes de décision des établissements. Ainsi, en Hongrie, les lois de 2011 et 2015 ont confié au ministre le soin de nommer les équipes présidentielles des universités. Depuis, les universités sont gérées par des « fondations »  qui signent un contrat d’objectifs et de moyens avec le pouvoir politique — ledit pouvoir siégeant dans leur conseil d’administration ; les universitaires ont perdu leur statut protecteur de fonctionnaire au profit de chaires contractuelles.

L’accélérationnisme qui sévit aux Etats-Unis entend mettre à bas l’Etat de droit et la démocratie en débordant les défenses immunitaires de la société. Il s’agit d’une tactique contre-révolutionnaire qui suggère une rupture. Pour autant, les politiques menées par les gouvernements illibéraux en Hongrie, en Pologne et ailleurs témoignent d’éléments de continuité dont la proximité avec le projet de LRU2.0 est évidente. La bataille pour la suppression du Hcéres et des contrats d’objectif, de moyens et de performance (COMP), et le mouvement pour reprendre le contrôle des normes, des procédures et des organes de décision sont aujourd’hui des priorités absolues.

« De toutes les techniques visant à mettre la vérité au service de la non-vérité, la plus importante est celle qui consiste à détacher et à isoler des observations vraies ou exactes de leur contexte. »

Theodor W. Adorno

Hcéres et fin des établissements “expérimentaux”

La loi LRU du 10 août 2007 a constitué le premier volet de deux décennies d’attaques contre le principe d’autonomie des universités. Les changements de composition des conseils d’administration ont durablement éloigné des décisions celles et ceux qui assurent au quotidien recherche et formation. L’ordonnance du 12 décembre 2018 a dérégulé les statuts des établissements issus de regroupements, et creusé la distance entre la communauté académique et la sphère décisionnaire. Ainsi les statuts de Saclay dépossèdent-ils les universitaires des moyens de travailler et de leurs capacités de décision, comme nous l’avions démontré dans un précédent billet :

https://rogueesr.fr/saclay-graal/

Dix-neuf établissements expérimentent ainsi des dérogations au code de l’éducation. Sorbonne Université, qui a fusionné et a obtenu un Idex, a choisi de son côté les statuts prévus par le code de l’éducation et n’est donc pas un établissement expérimental. Comme dans tous les établissements résultant d’une fusion, l’abandon d’une organisation à échelle humaine a conduit à des dysfonctionnements graves, ainsi que l’illustre cette lettre ouvertes des décanats :

https://rogueesr.fr/wp-content/uploads/2025/05/Lettre_decanats_SU.pdf

Contrairement à ce qu’affirment ministère et présidences d’université, la sortie de l’expérimentation sous forme d’université classique, selon les statuts prévus par le code de l’éducation, est possible, sans nouvelle phase d’expérimentation. Les services juridiques du ministère ont dû en convenir par écrit dans un courrier récent :

https://rogueesr.fr/wp-content/uploads/2025/05/DGESIP_Experimentation.pdf

Notons aussi que le jury Idex n’existe plus : pour gérer le budget, la mise en œuvre des Idex s’appuie sur un contrat ANR imposant de passer par des appels à projets clientélistes et des opérations non pérennes. Les Idex n’imposent plus de contraintes sur les structures de décision des établissements et ne constituent donc pas des conditions déterminantes pour adopter tels ou tels statuts. 

L’ordonnance sur les établissements expérimentaux fait reposer la pérennisation des statuts dérogatoires sur le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres). On constate à partir de cet exemple que le Hcéres est bel et bien un instrument de contrôle politique. Sa suppression conduirait à un retour, de facto, à des statuts conformes au code de l’éducation — une raison de plus de signer ce texte avant la commission mixte paritaire de juin :

https://rogueesr.fr/tribune-hceres