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Palais de la Découverte et Loi Baptiste

Ce billet se compose de deux brèves et de deux analyses, l’une sur le Palais de la Découverte (il y a urgence à faire circuler et signer la pétition) et l’autre sur le projet de loi Baptiste (autrement plus destructeur).

Le projet de loi Baptiste peut être consulté ici :
https://rogueesr.fr/wp-content/uploads/2025/07/LoiBaptiste.pdf

On peut se référer à ces analyses très complètes en complément de la notre :
https://blog.educpros.fr/julien-gossa/2025/07/02/loi-baptiste-une-transformation-dampleur-lru/

https://blog.educpros.fr/julien-gossa/2025/07/03/loi-baptiste-une-lecture-en-marche-arriere/


« À l’ancien affranchissement de nécessités vitales et des contraintes, les philosophes ajoutèrent l’exemption d’activité politique (skholè), de sorte que l’exigence chrétienne cherchant à se libérer de tous les soucis et de toutes les affaires de ce monde eut une aïeule et trouva son origine dans l’apolitia philosophique de la fin de l’antiquité. Ce qui avait été un rare privilège passa désormais pour un droit universel. »

Hanna Arendt, Between Past and Future

Autonomie et temps libéré

Dans la Grèce antique, les hommes de la skholè étaient ceux qui n’étaient pas asservis au travail quotidien nécessaire à subvenir aux besoins vitaux, à la survie. Pierre Bourdieu définit la skholè comme un état « de loisir, de distance au monde et à la pratique », comme un « temps libre et libéré des urgences du monde qui rend possible un rapport libre et libéré à ces urgences, et au monde ». Aussi la skholè désigne-t-elle l’usage d’un temps libre et souverain, condition d’existence du travail de recherche, comme activité autonome de questionnement endogène sur le monde. Aussi la bureaucratie met-elle un point d’honneur à pourrir la fin du printemps et le début de l’été, ce moment de répit et de suspension temporelle où les universitaires pouvaient, jadis encore, s’adonner à la pensée. Tout en sachant cet idéal désormais inaccessible à une large fraction de la communauté académique, nous vous souhaitons à toutes et tous une joyeuse skholè. Nous vous donnons rendez-vous à la rentrée pour mettre fin au processus de démolition de l’Université et de la recherche et rouvrir l’horizon.


« Oui, l’âme a la couleur du regard. L’âme bleue seule porte en elle du rêve, elle a pris son azur aux flots et à l’espace. »

Maupassant

 

ASUR — Travail au livre blanc de refondation

Un peu plus de 80 personnes ont participé au premier atelier de l’Agora Sciences Université Recherche (ASUR) de la mi-juin. Il a permis de réfléchir collectivement et de dégager quelques grands axes consensuels pour une vision renouvelée de l’Université et de l’écosystème de recherche. Le travail d’écriture d’un livre blanc se fera de manière délocalisée, avec des outils numériques adaptés. La parution du livre blanc sera l’occasion d’un temps de restitution, ouvert à la presse, avant transformation en projets de loi.

Pour recevoir les informations ou contribuer :

https://agorasur.fr/

 

« La science remplace du visible compliqué par de l’invisible simple. »

Jean Perrin

Réinstituer le Palais de la Découverte

La communauté scientifique s’émeut à juste titre des attaques de l’exécutif contre le Palais de la Découverte, qui en menacent l’existence même. Il n’est pas anodin de rappeler que Jean Perrin a pris une part importante à la conception du Palais en 1934, dans le temps même où il adhérait au Comité de vigilance des intellectuels anti-fascistes, aux côtés de Paul Langevin. Il y a, dans l’attachement de nombre de scientifiques au Palais, une manière de totem. C’est d’autant plus évident désormais que l’alliance entre techno-fascistes et paléo-conservateurs menace frontalement les sciences.

Pourquoi ce musée consacré à l’éveil scientifique est-il aujourd’hui menacé ?  

De prime abord, la liquidation du Palais de la Découverte n’est qu’un dommage collatéral de la transformation du front de Seine en galerie marchande de luxe, telle qu’elle est promue par B. Arnault, F. Pinault et consorts, mais aussi par les industriels du bâtiment. Les tentatives de démantèlement de l’École des Beaux Arts et de la Monnaie de Paris s’inscrivent dans cette captation de l’espace public par des intérêts privés, publicisée par la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. La ministre actuelle en charge de la culture, Mme Dati, qui soutient sans réserve l’industrie du luxe depuis son passage par la Place Vendôme, semble donc l’adversaire principale du Palais de la Découverte. À ses côtés, M. Fusillier, président du Grand Palais, ne cache pas convoiter les surfaces et le budget (44 millions €) dévolus au musée des sciences.

Cependant, le ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a lui aussi un intérêt dans l’affaire. D’un côté, il espère encore utiliser le momentum de la mobilisation des scientifiques pour feindre de préserver le Palais de la Découverte en le transformant en Palais de l’IA. D’autres intérêts privés se mobilisent en effet pour faire du Palais de la Découverte un espace d’exposition reprenant l’imaginaire de la Silicon Valley, et en particulier les investisseurs de Mistral AI, conseillés par l’ancien secrétaire d’État Cédric O — notamment le fonds de venture capital américain Lightspeed Venture Partners, Xavier Niel et Eric Schmidt, ancien CEO de Google, que l’on retrouve dans le financement de programmes techno-solutionnistes à l’ENS Paris. D’un autre côté, M. Baptiste tente d’être celui qui portera la grande loi du quinquennat préparant la privatisation de larges pans de l’Université. C’est un texte destructeur, et il sait qu’il aura besoin du soutien de l’Académie des Sciences et des Sociétés Savantes. Le mouvement Stand Up for Science a conduit nombre d’académiciens et de figures publiques de la recherche à abandonner la posture désastreuse d’intercesseurs solitaires du pouvoir pour redevenir des collègues et réapprendre à dire « nous » avec les autres universitaires et chercheurs. Aussi M. Baptiste voit-il un intérêt indirect à défendre le projet de Palais de la Découverte conçu depuis quatre ans pour demeurer au sein du palais d’Antin : sembler œuvrer pour le bénéfice de la communauté scientifique le temps que “sa” loi passe.

Les prises de position en faveur du Palais de la Découverte fantasment le plus souvent un mythe du Palais, et vont jusqu’à en faire un totem rationaliste calcifié. Pourtant, si le Palais de la Découverte est attaqué, c’est parce qu’il était déjà affaibli par des années de nouveau management public et par la fusion avec la Cité des sciences et de l’industrie au sein d’Universcience. Ces dernières décennies, les scientifiques ont été exclus de la conception de ces musées, par les médiateurs comme par les muséographes : hier encore, collaborateurs du Palais, ils sont aujourd’hui de simples experts supposés valider le contenu d’expositions sans grand rapport ni avec les sciences, ni avec la recherche. Plus grave et plus douloureux sans doute, le Palais de la Découverte était déjà sclérosé avant cela, incapable de rendre compte de la recherche vivante, incapable de se remettre en question, incapable de constater l’absence de qualité scientifique derrière une muséographie vieillote. Malheureusement, le rapport du Sénat de 2007 est parfaitement exact:

https://www.senat.fr/rap/r06-354/r06-3541.pdf

Aussi, s’il faut sauver le Palais de la Découverte, il ne faut certainement pas le sauver dans sa forme issue de décennies de dévitalisation. Il faut le réinstituer, et le sortir du giron du ministère de la Culture. Le concept de “culture scientifique” est une imposture. Le Palais de la Découverte doit retrouver sa vocation d’éveil aux sciences (plurielles) qui vivent par la recherche, et d’initiation non seulement aux faits scientifiques mais aux modalités de raisonnement.

L’arbitrage de M. Macron entre les vues de Mme Dati et M. Fusillier, et celle de M. Baptiste aura lieu ce lundi. Ce qui est en jeu, c’est la surface dévolue aux sciences au Grand Palais et surtout le budget. Aussi devons nous mobiliser tous nos réseaux — les étudiantes et les étudiants en particulier — pour pousser M. Baptiste à défendre une réinstitution du Palais de la découverte… avant de combattre son projet de loi de privatisation de l’Université à la rentrée.

 Nous vous invitons à faire circuler et signer cette pétition :

https://www.change.org/p/sauvons-le-palais-de-la-d%C3%A9couverte


« Le recteur est un agent du gouvernement, une sorte de préfet des professeurs, chargé de veiller à l’exécution des règlements (…). Il n’est pas pensable qu’il prenne parti contre. »

Georges Gusdorf, L’Université en question (1964)

Que contient le projet de loi Baptiste?

M. Baptiste, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, est en charge du projet de loi du quinquennat, construit en complément des Contrats d’Objectifs, de Moyens et de Performance (COMP). Les COMP conditionnent le budget de service public à des indicateurs quantitatifs arbitraires, où n’entrent ni la qualité de l’enseignement, ni celle de la recherche. Il s’agit d’attaquer le statut de fonctionnaire — puisque les salaires pourront ne plus être couverts par le budget — et de permettre au secteur privé de faire concurrence à l’Université publique pour obtenir ces budgets. Expérimentés pendant la vague E du Hcérès, ces indicateurs bureaucratiques sont destinés à défavoriser le public au profit d’un secteur privé lucratif, dont on sait la médiocrité et le coût prohibitif,

Le projet de loi Baptiste ambitionne d’achever la prédation de l’enseignement supérieur par le secteur privé en supprimant le monopole public de la collation des grades et des titres universitaires, en liquidant la liberté d’enseignement et en mettant l’Université en laisse financière courte pour ouvrir une voie d’eau menant à la dérégulation des frais d’inscription. Si le projet de loi contribue à la phase terminale du projet de transformation théorisé par Aghion et Cohen en 2004, il comporte un élément de nouveauté. Il ne s’agit plus seulement de mettre en concurrence les “sites” universitaires pour labelliser une dizaine d’universités “de recherche” : il s’agit de procéder à une différenciation entre composantes à l’intérieur même des établissements, après y avoir fait rentrer un cheval de Troie privé. Les “composantes”, privées ou non, qui lèveront des frais d’inscription importants fleuriront. Les départements qui se plieront à une “professionnalisation” et à la crétinisation par “compétence” continueront de percevoir de l’argent public. Les universités actuelles, transformées en collèges universitaires, n’auront d’autre choix que de généraliser la précarisation et l’abandon des postes sous statut de fonctionnaires. Il s’agit du modèle (dysfonctionnel et en crise) mis au point à Saclay : faire entrer à l’intérieur d’établissements “expérimentaux” des écoles de second rang qui en captent les ressources et détruire l’autonomie principielle de la “composante” universitaire par la paupérisation, la précarisation et la soumission bureaucratique. 

La généralisation des établissements « expérimentaux » nécessaire au projet de privatisation se heurte à un problème : la suppression possible du Hcérès. Aussi le projet de loi Baptiste prévoit-il un super-Hcéres qui absorberait les instances d’accréditation des écoles d’ingénieurs, des écoles de gestion, des IUT et des formations privées. M. Baptiste adresse un signal clair aux parlementaires d’extrême-droite : il entend être celui qui parvient à dépasser l’échec du projet de loi Devaquet sur la dérégulation des frais d’inscription et à « liquider l’héritage de mai 68 ». Son projet de loi revient sur la loi Edgar Faure de 1968 en redonnant aux recteurs d’Académie les pleins pouvoirs de contrôle et de surveillance que leur conférait la loi du 10 juillet 1896. Pour le dire dans les termes de la commission du Conseil supérieur de l’Instruction publique de 1885 : « Notre commission a pensé qu’il était nécessaire de placer, à côté et au-dessus de tous ces corps élus, le représentant de la loi, le recteur, président de droit du conseil général des facultés. Le contrôle et la surveillance du recteur (…) seront (…) un frein aux empiétements (…) des assemblées et des professeurs. ». En fait de modernisation et d’autonomie, le retour de la figure du « préfet des professeurs » en charge de la soumission de l’Université aux pouvoirs politiques, économiques et religieux n’étonnera que celles et ceux qui ont cru voir dans la Loi Vidal la promesse d’un surcroît de budget ou qui voient aujourd’hui dans le Hcérès, un rempart de la liberté académique.

« Mais le non-vrai se convertit de lui-même dans l’enflure. »

Adorno