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Pour donner un avenir à notre société, ouvrons les universités

Nous vous invitons à vous associer aux 6989 signataires de cette tribune initiée par RogueESR et parue le 27 novembre 2020 dans plusieurs titres de la presse quotidienne régionale (Dernières Nouvelles d’Alsace, L’Alsace, Le Bien Public, Le Dauphiné libéré, L’Est Républicain, Le ProgrèsLe Républicain Lorrain, Vosges matin).

C’est un sentiment de sidération, puis de colère, qui a saisi mardi soir des dizaines de milliers d’étudiants et d’universitaires : tandis que les lieux de culte et les supermarchés rouvriront dès ce week-end, les universités ont été condamnées à rester portes closes jusqu’en février dans le meilleur des scénarios. Aucun plan B n’est prévu. C’est pourtant le même exécutif qui, entre mai et octobre, a ignoré les alertes des universitaires sur les risques de contamination dans les établissements du Supérieur, mais aussi les rapports scientifiques détaillant les moyens qui permettent d’ouvrir ces lieux de création et de transmission du savoir sans en faire des foyers infectieux. Ces préconisations n’ont toujours pas été appliquées. La décision présidentielle résonne comme un aveu, dans un contexte où les universités subissent des attaques de l’exécutif et de ses alliés. Cette défiance envers les étudiants et les enseignants ne fait qu’accompagner le glissement de notre société vers un obscurantisme dont le développement des théories complotistes n’est qu’une des manifestations les plus évidentes.

Le mythe de l’enseignement numérique s’est fracassé contre la réalité des conditions de confinement des étudiantes et des étudiants. Leurs situations, tant psychologiques que matérielles, ne cessent de nous alarmer : dépression, précarité matérielle et subjective, décrochage des études, en particulier pour les bacheliers qui doivent apprendre les méthodes de l’Université après avoir été en partie déscolarisés ce printemps. Une société qui maltraite ainsi sa jeunesse est une société qui se prive d’avenir. Ce sont les jeunes adultes d’aujourd’hui qui, dans les vingt années à venir, auront la charge de surmonter les crises économique, sociale, écologique et démocratique, laissées actuellement sans réponse. La réouverture de l‘Université n’est pas que l’affaire du monde académique : elle nous regarde toutes et tous, si nous voulons sortir notre société de l’ornière.

Peut-on faire en sorte de limiter la circulation du virus dans les universités, afin de les ouvrir dès janvier ? À cette question, comme scientifiques, comme citoyens, comme parents ou comme grand-parents, nous devons répondre par l’affirmative. Dans l’état actuel des connaissances, on ne peut exclure qu’une fraction importante des contaminations se fasse par voie aérosol, dans des milieux clos mal ventilés, même avec le port de masques ordinaires, toujours imparfait. Il aurait été nécessaire dès le printemps dernier de quantifier le taux de transmission des différentes voies de contamination. Cela n’a pas été fait.

Pour ouvrir enfin l’Université, et ne pas ajouter à l’angoisse d’un avenir fermé le désespoir des étudiants, il est possible d’adopter un protocole rationnel prenant en compte les lacunes actuelles de notre savoir sur la maladie et reprenant les meilleures pratiques en vigueur dans les pays qui ont réussi à limiter très tôt l’ampleur de la deuxième vague. Ainsi, des mesures systématiques des taux de CO2 permettent de déterminer le nombre de personnes admissibles dans chaque salle. En cas de ventilation mécanique insuffisante ou inexistante, il faut adjoindre des purificateurs d’air à filtre Hepa, comme ceux conçus en kit dans les écoles de santé publique de Harvard, Yale ou du Max Planck Institute. L’Allemagne a débloqué 500 millions € pour l’amélioration de la ventilation des lieux collectifs ; la France, pas un euro. Quant aux présidences des dix universités les plus dotées, qui demandent aujourd’hui à pouvoir rouvrir en premier, rappelons qu’elles ont refusé de procéder à tout investissement, s’enfermant dans le déni des contaminations dans les lieux publics. La réquisition de locaux additionnels peut compléter ce plan matériel d’urgence. Les équipes enseignantes comme les étudiants doivent être équipés de masques FFP2 non médicaux gratuits, et nettoyés sur les campus pour pouvoir être recyclés. Les tests salivaires collectifs et le suivi de la charge virale dans les eaux usées doivent être systématisés. Il faut enfin nettoyer et aérer les salles de cours ; repenser et fermer les lieux de restauration collective — voies principales de contamination — au profit du plein air. Enfin, pour recouvrer l’ensemble des étudiants après ces mois si pénibles, l’enseignement en petits groupes devra être privilégié.

Cela demande des moyens, nous dira-t-on, en particulier des recrutements. Oui. Le sort de notre jeunesse en dépend. Si nous voulons redonner un avenir à notre pays, redonnons-lui son université.

Les 100 premiers signataires

Jocelyn Achard, Sylvain André, Bruno Andreotti, Maïtena Armagnague, Jean-Luc Autran, Sakina Ayata, Christine Bailleux, Christophe Baticle, Gwladys Bernard, Olivier Berné, Magali Bessone, Thibaud Boncourt, Jean-Guillaume Bordes, Vincent Borrelli, Elise Brayet, Sylvie Brodziak, Yann Bugeaud, Guillaume Calafat, Inès Cazalas, Kristel Chanard, Pascale Chiron, Guillaume Coqui, Florent Coste, Hélène Cottet, Dominique Crozat, Pierre-Yves Dacheux, Louis Dautais, Natalie Depraz, Jean-Pierre Digard, Pascale Dollfus, Pascale Dubus, Vincent Duchêne, Claire Ducournau, Thomas Dufaud, Florence Elias, Catherine Fabre, Isabelle Faure, Anaïs Flechet, Jean-Louis Fournel, Gilles Frison, Irène Gayraud, Laurence Giavarini, Lucas Gierczak, Linda Gil, Anne-Florence Gillard-Estrada, Séverine Grélois, Michèle Guillemont, Emilie Guitard, Alexandrine Guyard-Nedelec, Jacques Haiech, Patrick Haillet, Elise Julien, Benoît R. Kloeckner, Alexis Ladreyt, Frédéric Lambert, Frédéric Landy, Martin Laviale, Francis Lazarus, Coline Leonard, Pascal Maillard, Sandrine Maljean-Dubois, Dominique Manchon, François Marchal, Laurent Marsan, Emmanuel Marty, Jean-Marie Merle, Pierre-Yves Milcent, Perola Milman, Pierre-Yves Modicom, Mathilde Monge, Pierre-Louis Montagard, Marc Monticelli, Olivia Munoz, Alexandre Niveau, Pascal Noble, Luc Paillard, Arnaud Plagnol, Alson Ramamamtsialonina, Marwan Rashed, Nicolas Rialland, Jérémy Rivière, Michel Rueher, Arnaud Saint-Martin, Franck Salaün, Sabine Santucci, Nicolas Schabanel, Sophie Servais, Tumba Shango Lokoho, Johanna Siméant-Germanos, Frédéric Soulu, Frederic Sounac, Fabien Stalport, Matthias Steinle, Antonin Thiébaut, Mathieu Tremblin, Grégoire Varillon, Miguel Angel Veganzones, Eric Verdeil, Chantal Zabus, Simon Zara.


Pour donner un avenir à notre société, ouvrons les universités

Liste des 6989 signataires

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« Nous avons besoin d’établissements universitaires à taille humaine, structurés en petites entités autonomes »

Pour répondre à l’augmentation du nombre d’étudiants et à la crise sanitaire, une tribune publiée le 28 septembre 2020 dans Le Monde et à laquelle ont contribué plusieurs membres de RogueESR propose un plan d’urgence pour 2021. Elle recommande notamment l’ouverture de trois nouvelles universités dans des villes moyennes.

À l’université, la rentrée prend des airs de cauchemar. Nous payons le fait qu’en dix ans, l’ensemble des instances locales de délibération et de décision, qui auraient été les plus à même d’anticiper les problèmes, ont été privées de leurs capacités d’action au profit de strates bureaucratiques.

Le pouvoir centralisé de celles-ci n’a d’égal que leur incapacité à gérer même les choses les plus simples, comme l’approvisionnement en gel hydroalcoolique et en lingettes. Le succès instantané du concept de « démerdentiel » est un désaveu cinglant pour ces manageurs qui ne savent que produire des communiqués erratiques jonglant entre rentrée en « présentiel » et en « distanciel ».

On sait pourtant à quelles conditions les universités, au lieu de devenir des foyers de contagion, auraient pu contribuer à endiguer la circulation du virus : des tests salivaires collectifs pour chaque groupe de travaux dirigés (TD), à l’instar de ce qui est mis en place à Urbana-Champaign, aux Etats-Unis ; la mise à disposition de thermomètres frontaux ; une amélioration des systèmes de ventilation de chaque salle et de chaque amphi, avec adjonction de filtres à air HEPA et de flashs UV [des rayons désinfectants] si nécessaire ; l’installation de capteurs de qualité de l’air dans chaque pièce, avec un seuil d’alerte ; la réquisition de locaux vacants et le recrutement de personnel pour dédoubler cours et TD, partout où cela est requis.

Les grandes villes ne manquent pas d’immeubles sous-exploités, souvent issus du patrimoine de l’Etat, qui auraient pu être très vite transformés en annexes universitaires. De brillants titulaires d’un doctorat capables d’enseigner immédiatement à temps plein attendent, par milliers, un poste depuis des années. Tout était possible en l’espace de ces huit derniers mois, rien n’a été fait.

De prime abord, on serait tenté d’attribuer ce bilan au fait que la crise sanitaire, inédite, a pris de court les bureaucraties universitaires, très semblables à celles qui, depuis vingt ans, entendent piloter les hôpitaux avec le succès que l’on a vu.

Mais une autre donnée vient éclairer cette rentrée : les universités accueillent 57 700 nouveaux étudiants, sans amphithéâtre ni salle supplémentaire, sans le moindre matériel, sans le plus petit recrutement d’universitaires et de personnel administratif et technique. Ces trois dernières années, le budget des universités a crû de 1,3 % par an, ce qui est inférieur à l’effet cumulé de l’inflation et de l’accroissement mécanique de la masse salariale.

Certains se prévaudront sans doute de l’« effort sans commune mesure depuis 1945 » qu’est censée manifester la loi de programmation de la recherche en discussion au Parlement. Las : le projet de budget du gouvernement ne prévoit qu’un accroissement, pour les universités, de 1,1 % en 2021… Du reste, les 8,2 milliards d’euros d’abondement sur dix ans du budget de l’université proviennent des 11,6 milliards d’euros qui seront prélevés dans les salaires bruts des universitaires, en application de la réforme des retraites.

Il y a quinze ans, les statistiques prévisionnelles de l’Etat annonçaient que la population étudiante allait croître de 30 % entre 2010 et 2025 (soit 400 000 étudiants en plus), pour des raisons démographiques et grâce à l’allongement de la durée des études. On aurait donc largement pu anticiper ces 57 700 nouveaux étudiants. Mais rien n’a été fait là non plus, hormis annoncer des « créations de places » jamais converties en moyens.

Le pic démographique n’est pas derrière nous ; nos étudiants sont là pour plusieurs années, et les gestes barrières pourraient devoir être maintenus durablement. Le ministère ne peut pas persévérer comme si de rien n’était, voire arguer qu’il est déjà trop tard.

Face à cette situation désastreuse, nous demandons une vaste campagne de recrutement de personnels titulaires dans tous les corps de métiers, tout en amorçant les réquisitions et réaménagements de locaux, afin d’aborder la rentrée 2021 dans des conditions acceptables.

Parallèlement, si nous ne voulons pas être en permanence en retard d’une crise, un saut qualitatif est nécessaire. Nous demandons donc, outre un plan d’urgence pour 2021, la création rapide de trois universités expérimentales de taille moyenne (20 000 étudiants), correspondant à ce qui aurait dû être fait pour accueillir 57 700 étudiants dans de bonnes conditions. Cela requiert le recrutement sous statut de 4 200 universitaires et 3 400 personnels d’appui et de soutien supplémentaires, soit un budget de 500 millions d’euros par an.

Nous avons besoin d’établissements à taille humaine, structurés en petites entités autonomes, mises en réseau confédéral, si besoin grâce au numérique ; d’établissements qui offrent à notre jeunesse maltraitée des perspectives d’émancipation vis-à-vis du milieu d’origine et de la sclérose intellectuelle qui frappe le pays ; d’établissements qui permettent une recherche autonome, collégiale et favorisant le temps long, ce qui nous a manqué dans l’anticipation et la prévention de la pandémie.

Pour cela, nous préconisons l’installation de ces trois universités dans des villes moyennes, hors des métropoles, en prenant appui sur le patrimoine bâti abandonné par l’Etat et sur les biens sous-utilisés des collectivités. En effet, celles-ci possèdent d’anciens tribunaux, des garnisons, voire des bâtiments ecclésiastiques qui tombent aujourd’hui en déshérence.

Réinvesti par l’université, ce patrimoine retrouverait une utilité sociale. Sur la base des dépenses de l’« opération Campus » [un plan lancé en 2008 en faveur de l’immobilier universitaire], la construction de ces pôles dotés de résidences étudiantes en nombre suffisant nécessiterait un milliard d’euros d’investissement, à quoi il faudrait ajouter cent millions d’euros de frais de maintenance et d’entretien. C’est le prix pour s’extraire du cauchemar. Le virus se nourrit de nos renoncements. Pour sortir les campus de l’ornière, nous devons retrouver l’ambition d’une université forte, exigeante, libre et ouverte.

Signataires

Stéphane André, professeur en ingénierie à l’université de Lorraine | Bruno Andreotti, professeur en physique à l’université de Paris | Pascale Dubus, maîtresse de conférences en histoire de l’art à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne | Julien Gossa, maître de conférences en informatique à l’université de Strasbourg | Jacques Haiech, professeur honoraire de biotechnologie à l’université de Strasbourg | Pérola Milman, directrice de recherche en physique quantique au CNRS | Pierre-Yves Modicom, maître de conférences en linguistique allemande à l’université Bordeaux-Montaigne | Johanna Siméant-Germanos, professeure en sciences politiques à l’Ecole normale supérieure.

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Résultats de la consultation sur l’état et l’avenir de l’ESR

Au sortir du confinement, nous vous avons proposé de répondre à une consultation en ligne sur l’état de l’enseignement supérieur et de la recherche et ses perspectives d’avenir. En moyenne, un peu plus de 2 500 personnes ont répondu à chaque question. Voici comme promis la synthèse des résultats. Le résumé ci-dessous en donne un bilan général et vous trouverez plus bas une fiche de synthèse contenant les éléments chiffrés les plus significatifs.

L’enjeu d’une telle consultation est de savoir où « nous » en sommes, c’est-à-dire « où en est le Nous » de la communauté scientifique. Tout, dans la dynamique amorcée il y a une quinzaine d’années, concourt à briser la collégialité et à faire diverger les intérêts. La rhétorique de la « co-construction », le système d’allocation des moyens, les dispositifs de précarisation subjective et objective, entretiennent notre atomisation. Le sondage en porte la trace : la défiance vis-à-vis des représentants élus, y compris des instances collégiales, est spectaculaire ; les intercesseurs traditionnels comme les sociétés savantes ne sont plus considérés par les répondants comme des acteurs ayant pris la mesure des problèmes majeurs auxquels nos métiers font face ; la majorité des répondants, eux-mêmes titulaires à 75%, reconnaissent aux titulaires une part de responsabilité dans le développement de la précarisation. Ces résultats sont le signe d’une prise de conscience individuelle qu’il s’agit maintenant d’articuler collectivement : nous constatons en nous-mêmes combien la mécanique de dépossession nous englue dans des positions professionnelles et éthiques divergentes et contradictoires, empêchant l’affirmation d’un dessein qui dépasserait les clivages entre corps de métier, statuts, entre disciplines et établissements. Redisons-le ici : cette fragmentation n’est pas un à-côté de ces réformes, mais elle en est le cœur. Reconnaître cette situation douloureuse fait donc partie du diagnostic à poser pour savoir quoi construire.

Il est d’autant plus intéressant de voir que plusieurs propositions recueillent des taux d’assentiment supérieurs à 90 voire à 95% et agglomèrent des groupes dont les réponses divergent sur d’autres sujets. Sans surprise, un tel rassemblement s’opère sur la question des recrutements sur des postes pérennes, sur celle des moyens budgétaires en général et sur le rejet de la LPPR. Notons que la concentration d’une éventuelle hausse des moyens financiers sur l’ANR, qui induirait un surcroît de précarisation, fait l’objet d’un rejet tout aussi massif que la LPPR elle-même. Le consensus est également écrasant pour affirmer que la précarisation n’est aucunement neutre du point de vue de la démarche scientifique collective et en obère la qualité, un constat diamétralement opposé au point de vue du ministère et de la direction du CNRS. Il en va de même pour affirmer la centralité de l’élection, le cas échéant panachée avec des modes de désignation autre que la nomination, dans la composition des instances supervisant les normes de probation savante.

Ces premières convergences sont autant de bornes sur lesquelles la dynamique d’atomisation vient buter : tout en étant conscients de la déconstruction effective de l’intérêt commun dans les réformes, nous réaffirmons notre volonté de rester une communauté solidaire dont les pratiques sont fondées sur l’égalité statutaire, sur le règlement démocratique du dissensus, sur l’exigence de rigueur, la patience et l’écoute. L’élaboration d’une méthode de répartition des moyens, non bureaucratique et scientifiquement fondée, prenant en compte les spécificités disciplinaires, en constitue l’illustration concrète. Nous voulons l’autonomie avec les conditions matérielles qu’elle présuppose. Mais dans le même temps, nous réfutons le sophisme qui voudrait que l’autonomie savante soit l’irresponsabilité, car c’est dans les mêmes proportions que les répondants déclarent vouloir repenser leurs pratiques pour tenir compte de la crise écologique et climatique, qui impose un nouveau fonctionnement savant, plus lent, plus raisonné, plus intègre, plus lucide sur lui-même — en un mot, plus en phase avec l’idéal qui n’aurait jamais dû cesser d’être celui de la science.

Cette convergence de principes fournira la trame des réflexions que nous vous invitons à lancer sur vos lieux de travail et dans vos villes à partir de cet automne. Les journées « Refonder l’université et la recherche » du 25-26 septembre le coup d’envoi de cette réagrégation théorique d’un « Nous ».

Le collectif RogueESR

Synthèse du sondage

Les répondants

2 500 personnes ont répondu au sondage ; 52% des répondants sont enseignants ou enseignants-chercheurs titulaires (dont trois présidents d’université ou d’établissement), et 24% sont chercheurs titulaires. 14% sont doctorants (contractuels, vacataires ou non-financés). Les personnels administratifs et techniques représentent 9% des répondants. Sur le plan disciplinaire, 42% des sondés exerçant une profession académique sont issus du domaines des Lettres, Langues et SHS, 19% des sciences biomédicales et 39% du groupe science, technologie, ingénierie et mathématiques. 44% se sont déclarés femme, 54% homme. 19% ont moins de 35 ans, 60% ont entre 36 et 55 ans, 21% ont 56 ans ou plus.

Situation sanitaire dans l’enseignement supérieur

Les premières questions du sondage demandaient une appréciation de la situation sanitaire du supérieur en période de déconfinement et en prévision de la rentrée. 70% des personnes interrogées ont fait part de leur pessimisme sur la rentrée, jugeant l’organisation d’une rentrée satisfaisante difficile voire impossible. La perspective du télétravail (« distanciel ») est jugée négativement par 57% des répondants, et seulement 13% expriment une opinion positive sur cette éventualité. 80% des répondants jugent que l’enseignement et l’évaluation à distance répondent à d’autres finalités que l’enseignement et l’évaluation « en présentiel ». Enfin, 85% jugent impossible ou difficile d’organiser une rentrée respectueuse des normes sanitaires requises sans recrutements supplémentaires, non-prévus par le ministère.

Bilan des politiques menées depuis 15 ans

Le bilan scientifique tiré de la vague de réformes amorcées il y a une quinzaine d’années dans toute l’OCDE confirme leur échec aux yeux des scientifiques : il ne sont qu’un tiers à considérer que la qualité des publications scientifiques a augmenté, dans le monde et en France (34% et 35%) ; une courte majorité absolue parle de stagnation voire de régression. Ce sentiment de stagnation et de régression est plus marqué concernant la France (54%) que concernant le reste du monde (50%).

Sans surprise, un grand consensus se dégage sur la question des moyens : neuf répondants sur dix jugent les moyens alloués à la recherche et à l’université insuffisants ou très insuffisants (89% pour la recherche, 91% pour l’université). Mais le consensus est tout aussi marqué sur la question du mode de management promu par les réformes, jugé négatif par 94% des répondants pour la recherche et 89% pour l’université. Dans ce contexte où 80% des répondants se déclarent suffisamment bien, voire très bien, informés sur le contenu de la Loi de Programmation Pluriannuelle pour la Recherche (LPPR), le volet managérial et statutaire de la LPPR est expressément rejeté à 81%.

Emploi et précarité

Trois questions visaient à estimer l’ampleur de la précarisation des professions scientifiques, par corps de métiers (enseignants et/ou chercheurs, personnels administratifs, personnels techniques). Au final, ces questions ont surtout permis de prendre la mesure de l’invisibilisation de cette question, avec à chaque fois plus de 30% des répondants se déclarant incapables d’estimer l’ampleur de la précarité sur leur lieu de travail – un constat qui souligne l’urgence de bilans sociaux sincères à tous les échelons, et d’une communication sur ce sujet. Cette invisibilisation de la précarité n’empêche pas 64% des répondants d’affirmer que les cursus universitaires ne seraient pas viables sans les enseignants précaires ; ils sont 70% à penser que des tâches vitales au fonctionnement de l’ESR reposent sur des personnels non-titulaires ; 85% des répondants pensent que la précarité d’une partie des personnels affecte la production scientifique de l’ensemble ; et 40% déclarent avoir vu des recherches dans leur unité affectées par le turn-over des précaires. En conséquence, ils sont plus de 90% à rejeter les termes avancés par le ministère dans ses négociations avec certains intercesseurs syndicaux et avec les sociétés savantes (augmentation du budget de l’ANR en échange d’un soutien au volet RH de la LPPR). Enfin, seuls 6% des répondants jugent que le ministère a été à la hauteur des difficultés rencontrées par les précaires durant le confinement.

Concernant la prise en compte de ces difficultés par les représentants de la communauté, si les deux tiers des répondants pensent que les syndicats ont suffisamment pris la mesure du problème, un tiers seulement considère qu’il en va de même des sociétés savantes, et moins d’un quart des répondants considère que les instances élues des universités et organismes ont perçu l’importance de ce sujet.

Concernant la responsabilité de cette situation, 96% des répondants attribuent une responsabilité forte à écrasante au ministère, mais également 75% aux directions des universités et organismes de recherche et aux agences de pilotage. A l’inverse, 85% jugent que les précaires n’ont aucune responsabilité ou une responsabilité minime dans leur situation, tandis qu’ils ne sont que 9% à dédouaner de la même les personnels titulaires du sort fait aux précaires (rappelons que 76% des répondants sont eux-mêmes titulaires).

Bureaucratie ou démocratie

Le sondage confirme l’état très inquiétant de la démocratie universitaire et scientifique : 83% des sondés se jugent insuffisamment associés aux décisions budgétaires de leur établissement d’exercice, et 60% ne sont pas associés du tout. 60% des sondés sont insuffisamment associés aux décisions pédagogiques à l’université, et 67% aux décisions scientifiques.

Si le principe même de l’existence d’une instance d’évaluation comme le Hcéres est critiqué par la moitié des répondants, contre un quart qui le juge positif, son mode de composition actuel, sans élection, ne satisfait que 2,4% des répondants. Les deux tiers des participants (65%) défendent soit l’élection intégrale, soit le panachage entre élection et tirage au sort.

Nous avons également demandé aux répondants d’estimer le nombre d’évaluations qu’ils devaient rendre chaque année pour ces instances, ce qui a fait apparaître un gouffre entre les 2,4% de répondants rendant 10 évaluations ou plus, avec un pic à 60, et le reste de la communauté, à commencer par les 55% de répondants pour qui la réponse est aucune.

Plus de 90% des répondants attribuent au ministère une responsabilité forte à écrasante dans cette situation, à parité avec les directions des universités et des organismes de recherche, tandis qu’ils ne sont “que” 86% à mettre en cause les agences et le Hcéres. A noter également que 37% des répondants considèrent que les personnels scientifiques titulaires occupant des fonction de pilotage ont une responsabilité dans cette évolution.

Répartition des moyens

L’estimation des coûts de production d’un article scientifique, hors salaires, témoigne de la possibilité de répartir rationnellement les moyens de sorte que tous les chercheurs puissent travailler, en évitant la chronophagie, la bureaucratie et le conformisme inhérents aux appels à projets. Ainsi, les répondants reconnaissent une gradation des besoins depuis les lettres et sciences humaines (quelques milliers d’€) jusqu’aux sciences du vivant (centaine de milliers d’€), selon une croissance qui suit la part de travail d’expérimentation nécessitant du matériel coûteux. Le nombre de signataires moyens suit la même progression entre disciplines. La variabilité des réponses témoigne de ce qu’une distribution strictement déterminée par le champ disciplinaire demeure, possiblement, légèrement sous-optimale. Cependant, elle constitue une première approximation qui permettrait de répartir efficacement l’essentiel des moyens.

Publications

Le diagnostic sévère porté sur l’évolution qualitative des publications trouve son corollaire dans le fait que la moitié des répondants (50%) avoue publier épisodiquement ou régulièrement des travaux inaboutis. 14% déclarent aussi l’avoir fait « une fois ». Plus des deux tiers (68%) disent ne pas avoir le temps de suivre l’état de la recherche dans leur domaine.

Concernant le financement des publications, près des deux tiers des répondants (64%) n’ont jamais fait payer de frais à leur institution pour publier un article dans une revue. Concernant les revues en Open Access, ils sont 53% à n’avoir jamais payé pour être publié, sur 85% de répondants ayant déjà publié en Open Access. Ce modèle de prédation reste donc largement extérieur aux pratiques scientifiques en France. Il est d’ailleurs jugé négativement par 89% des répondants.

A contrario, 57% des répondants se sont déjà procuré des publications sur des sites de piratage et 63% souhaiteraient que les associations savantes reprennent le contrôle des publications, quitte à en supporter les coûts (ils ne sont que 6% à s’y opposer).

Les métiers scientifiques et la crise écologique

La dernière série de questions visait à sonder la communauté scientifique sur la prise en compte de la crise écologique dans la formulation des priorités d’une politique scientifique.

Il en ressort que 84% des répondants pensent que la crise écologique et climatique doit entraîner une modifications des pratiques scientifiques ; 76% pensent que les pratiques actuelles induisent des déplacements trop nombreux et 81% estiment que la réduction de l’empreinte carbone des activités scientifiques doit devenir une priorité dans l’établissement des politiques universitaires et de recherche.

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Refonder l’Université et la Recherche pour retrouver prise sur le monde et nos vies

Appel du 20 mars 2020

Nous affrontons une crise sanitaire majeure qui vient nous rappeler la fragilité de nos vies et de nos sociétés et la nécessité de systèmes de solidarité organisés, solides et pérennes : école, santé, retraites… Il aura fallu la pandémie du Covid-19 pour que le pouvoir politique se souvienne brusquement de l’importance vitale d’institutions qu’il a pourtant détruites méthodiquement. En quarante ans, l’Hôpital français est passé de 11 à 6 lits pour mille habitants ; sur les seules six dernières années, 17 500 lits de nuit ont été supprimés. Les personnels hospitaliers sont en effectifs si réduits que des étudiants et des retraités sont aujourd’hui réquisitionnés comme forces supplétives. Alors même que les espoirs de traitement du virus dépendent des chercheurs, cela fait quinze ans que la recherche scientifique à l’Université et dans les grands organismes comme l’Inserm ou le CNRS subit le primat donné à des projets de court terme, pilotés bureaucratiquement, et concentrant sur quelques thèmes définis comme “porteurs” des moyens globalement en déclin. Quinze ans de démolition !

La pandémie agit comme un révélateur : elle confirme aux yeux de tous que l’Université et la recherche publique auraient dû rester une priorité pour nos sociétés et que la diversité des axes de recherche, le temps long et les financements pérennes sont les conditions de son bon développement. Nous voyons bien que les appels à projets lancés de manière improvisée en réaction à chaque crise tiennent plus de la communication impuissante que de la programmation éclairée. Le mal est profond : les procédures bureaucratiques de mise en concurrence ne favorisent que le conformisme quand la liberté de recherche permet des découvertes fondamentales. Ce qui était choquant en temps ordinaire est devenu obscène en temps de crise. La pandémie du coronavirus met ainsi à nu l’inconséquence des politiques menées ces dernières décennies, dont la responsabilité est partagée par tous les gouvernements qui les ont appliquées.

En plus de l’urgence sanitaire qui révèle la crise de notre système de santé, notre société doit affronter trois autres crises : environnementale, sociale et démocratique. La crise écologique et climatique, au gré des catastrophes toujours plus nombreuses qu’elle engendre, affecte un peu plus chaque jour nos vies. Pas plus que pour les épidémies, l’alerte des scientifiques et de la jeunesse du monde entier sur la gravité du réchauffement climatique n’a conduit à prendre les mesures radicales qui s’imposaient. Sur le plan social, les dernières décennies ont été marquées par le creusement d’inégalités matérielles, territoriales, fiscales et culturelles. Enfin, une crise démocratique et politique conduit les citoyens à se détourner massivement de dirigeants incapables de répondre à leurs attentes ou agissant contre l’intérêt général. Même si chaque jour de nouveaux secteurs de la société expriment une volonté de redonner du sens à l’existence et d’en finir avec l’individualisme et le repli sur la sphère privée, cette aspiration profonde à décider des règles collectives que la société se donne, cette volonté des citoyens conscients de ce qui les relie se heurtent à l’imprévoyance, à la cécité et à l’autoritarisme de gouvernants qui confisquent la décision.

Tous les savoirs scientifiquement construits par les recherches théoriques, par l’expérience, l’enquête, l’observation, la confrontation des hypothèses et des résultats, sont indispensables pour surmonter ces crises. Or, les institutions qui créent, transmettent, conservent et critiquent les savoirs, sortent exsangues de la période qui s’achève. Elles doivent être reconstruites sur de nouvelles bases, capables de faire vivre des sciences diverses et créatives, aptes à anticiper les défis auxquels notre société doit faire face. Ce travail de refondation de l’Université et de la recherche doit échapper à l’emprise des « experts » et des bureaucrates : il doit s’articuler à l’exigence démocratique et, en cela, il y a une affinité profonde entre le temps long de la science, son ancrage dans l’expérience et la controverse savantes, et l’exercice de la démocratie, impliquant la délibération et l’attention à l’expérience ordinaire des citoyens.

Pour nous, le temps est venu d’une refondation de l’Université et de la recherche reposant sur deux principes régulateurs. L’aspiration collective à déchiffrer l’inconnu suppose l’indépendance effective du monde savant vis-à-vis de tous les pouvoirs : cette autonomie doit être garantie par des moyens répartis entre les disciplines en fonction de leurs besoins, par des statuts protecteurs des libertés académiques et par le temps long nécessaire au développement de toute recherche. Le corollaire de l’autonomie du monde savant est son engagement sur un principe : sa responsabilité vis-à-vis de la société. L’usage politique, technique et industriel des travaux scientifiques doit se décider dans un cadre pluraliste et démocratique, en accord avec l’intérêt commun. Cela suppose de réinstituer l’Université comme lieu de formation des citoyens à une pensée autonome et aux savoirs critiques, et comme lieu de production et de transmission au plus grand nombre de connaissances scientifiques et techniques. À rebours des propensions récentes au conformisme, à la bureaucratie et à la généralisation d’une sélection prétendument darwinienne, cette institution implique aussi que l’Université éclaire le débat démocratique par l’élaboration de synthèses plurielles, établies par la confrontation savante, plutôt que par une évaluation technocratique, toujours en retard d’une crise.

Face à la gravité de la situation qui affecte nos vies, l’heure n’est pas aux mises en cause individuelles. Mais nous n’oublierons pas ce qui a permis que l’on en arrive là. Les morts de cette crise nous obligent. Et nous ne laisserons pas celles et ceux qui n’ont pas su la prévenir ou en réduire la portée, la résoudre par des mesures liberticides, ou mettre en place un énième plan d’austérité justifié par une dette que des politiques aveugles ont contribué à fabriquer. Le métier de scientifique ne consiste pas à aménager la crise ou climatiser l’enfer, ni à bâillonner la démocratie au nom du savoir expert.

Conscients des crises qui frappent notre société, nous appelons chacun et chacune à se mobiliser pour engager la refondation de notre monde abîmé. Ce printemps, dès la fin du confinement, nous nous engageons à repenser collectivement l’ensemble de nos institutions sociales, politiques et économiques et à poser les jalons d’une société conforme à nos aspirations et à nos besoins. Après l’été, nous convions l’ensemble des citoyens à des Assises de la Refondation, le 20 septembre 2020,  pour définir un programme visant à rompre de manière effective avec les politiques actuelles et à juguler les crises environnementale, sociale et démocratique qui menacent notre monde et nos vies. Nous devons à la jeunesse un horizon élargi, un avenir à nouveau ouvert.

Nous appelons tous les autres secteurs de la société à se joindre à notre démarche, et à écrire leur propre texte de refondation en adaptant ce paragraphe de conclusion.

La signature de ce texte appelant à repenser les liens entre science et société est ouverte à tous les citoyens et citoyennes, au-delà des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, étudiants, universitaires, chercheurs, techniciens, ingénieurs et administratifs.

Premiers signataires

Camille Noûs, Bruno Andreotti, Stéphane André, Marc Aymes, Nicole Belayche, Olivier Berné, Samuel Boissier, Anne Bory, Sébastien Boulay, Christophe Boëte, Antoine Chambert-Loir, Kristel Chanard, Amélie Coulbaut-Lazzarini, Lauric Cécillon, Christophe Dansac, Fabien Desage, Nadine Dieudonné-Glad, Hervé Diot, Jean-Pierre Djukic, Pascale Dubus, Hélène Débax, Florence Elias, Emmanuèle Gautier, Laurence Giavarini, Julien Gossa, Mathieu Grenet, Jacques Haiech, Philippe Huneman, Caroline Ibos, Pierrick Labbé, Joël Laillier, Alice Lebreton, Danouta Liberski, Pascal Maillard, Jean-Christophe Marcel, Aurélia Michel, Perola Milman, Pierre-Yves Modicom, Emmanuel Munch, Mustapha Nadi, Thomas Perrin, Joël Pothier, Paulette Roulon-Doko, Arnaud Saint-Martin, Johanna Siméant-Germanos, Michel Volovitch


Refonder l’Université et la Recherche pour retrouver prise sur le monde et nos vies

Liste des 7401 signataires

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M. Macron : on a trouvé 6 milliards pour financer l’enseignement supérieur et la recherche !

Monsieur Macron,

En ces temps de crise, enfin, surtout comme vous avez fait beaucoup de cadeaux à vos riches amis, l’Etat n’aurait plus d’argent. Du coup, pour bâtir une France-de-prospérité-retrouvée-et-de-progrès-pour-chacun ça va être un peu compliqué.. Mais ne vous inquiétez pas Monsieur le Président, avec les copains et les copines de RogueESR, on vous a trouvé 6 milliards d’euros.

Pensez à tout ce que vous allez pouvoir faire avec ça ! Vous allez même peut-être pouvoir terminer votre « premier chantier », celui de l’éducation et de la culture. Parce que vous qui vouliez « renforcer la cohésion sociale » et « remettre la transmission des savoirs fondamentaux au cœur de l’école et des université », jusqu’à présent vous avez surtout mis une sacré pagaille avec cette fâcheuse manie de vouloir faire des économies partout.

Prenons pas exemple un sujet qu’à Rogue ESR on connaît bien,  la mise en place de la loi ORE et de Parcoursup. Entre nous, nous savons bien que, fondamentalement, le véritable enjeu n’est pas de trouver un bon algorithme. Non, le fond du problème c’est que cela fait des années que plus personne n’investit dans les universités, ne construit des locaux ou ne recrute un nombre suffisant d’enseignants. Résultat : il n’y a plus assez de places pour accueillir tout.e.s celles et ceux qui souhaiteraient y poursuivre des études. Les algorithmes étant des formules mathématiques et pas des formules magiques, ils ne pourront pas résoudre cette équation insoluble sans moyens supplémentaires.  Toujours dans votre logique de faire des économies, vous avez plutôt cherché à empêcher les plus fragiles socialement de poursuivre des études, en expliquant que l’université n’était pas la solution pour tout le monde et en introduisant la sélection.

Comme vous êtes de la startup-nation, vous avez trouvé une astuce disruptive pour innover encore plus, à l’aide des suggestions de vos copains économistes-agiles : ce bon vieux Gary vous a filé le tuyaux de la généralisation des frais de scolarité dans les établissements publics, ce qui aurait le double avantage à la fois de renforcer la sélection sociale à l’entrée dans l’enseignement supérieur, et de permettre de réduire encore les dépenses de l’Etat. Quand à Philou, il vous a trouvé la justification parfaite pour le serrage de ceinture  : «  Nous sommes encore en procédure de déficit excessif avec Bruxelles, et donc encore contraints en matière budgétaire ».  Dans les salons, les potos qui touchent l’ISF viendront vous féliciter de ces économies réaffectées à l’allègement de leurs impôts.

Mais comme nous sentons, à RogueESR, que vous nous aimez bien, on voudrait vous faire une proposition : on vous révèle où trouver 6 milliards  et vous, en échange, vous les investissez dans l’enseignement supérieur et le recherche.

Allez on vous le dit : 6 milliards, c’est ce que coûte chaque année à l’Etat le Crédit Impôt recherche (CIR). Ce dispositif vieux de plus de trente ans permet aux entreprises de soustraire de leurs impôts 30% des coûts annuels associés à leurs activités de recherche, dans la limite de 100 millions d’euros de dépenses. Et donc, chaque année, l’Etat fait cadeau de 6 milliards d’euros d’impôts aux entreprises, l’équivalent de deux fois le budget annuel du CNRS.

Vous me direz, sur le fond, pourquoi pas, si cela peut aider la recherche et le développement dans le secteur privé (et c’est parfois le cas). Et là, nous vous dirons « oui, mais il y a quand même un léger souci ». Ce léger souci c’est qu’un rapport concernant (notamment) le CIR vient de sortir, et il n’est pas super positif :

« l’efficacité du CIR au regard de son objectif principal, l’augmentation de la dépense intérieure de recherche et développement des entreprises (DIRDE) reste difficile à établir »

Au bout de trente ans, c’est chaud non ? Qui a écrit ce rapport accablant ? Une bande de gauchistes hyper-politisés (nous n’en connaissons pas) ? Etttttt non, ce sont vos amis (encore !) haut-fonctionnaires de la Cours des Comptes… Bon, en plus, ce n’est pas la première fois qu’ils le font remarquer, et avant cela, il y avait eu d’autres organismes d’extrême gauche comme l’OCDE qui avaient pointé du doigt le mauvais fonctionnement du dispositif, et le risque de fraude fiscal (#oups). Il y a même un certaine Elise Lucet qui était venue vous voir à Bercy pour vous demander si vous trouviez normal que Sanofi touche plus de 100 millions de CIR tout en licenciant des chercheurs… On s’arrête là, je crois que c’est clair pour tout le monde, le dispositif est en gros un cadeau aux entreprises. Alors oui, on sait que c’est bien pratique car cela vous permet de le faire sans enfreindre les règles de concurrence européenne, et ouiiii, c’est vraiiiiit, c’est pratique, parce que du coup ça rajoute 0.3 points au pourcentage de PIB dépensé pour la recherche en France dans les statistiques de l’OCDE, ce qui permet d’être un poil moins ridicule et afficher 2.3%, face à l’Allemagne (3%), ou aux USA (2,8%). Mais bon, entre nous, le truc est quand même un tout petit peu une arnaque non ?

Encore récemment, vous  expliquiez qu’il n’y a pas « d’argent magique » à une soignante dans un CHU  qui se plaignait des conditions de travail et de soin dégradées, faute de moyens humains et matériels. Là du coup on a un peu envie de vous répondre « si si de l’argent magique il y en a, dans les caisses du patronat”, en l’occurrence c’est celui du CIR. Nous, on vous le donne, c’est cadeau.

Vous imaginez ce qu’on pourrait faire avec 6 milliards ? Si vous ne trouvez pas on peut vous aider : contactrogueesr.fr

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Frédérique Vidal se met hors la loi en refusant de diffuser le code source de Parcoursup

Par Jérémy Freixas, ATER à l’Université de Nantes

« Cette loi a été construite dans la concertation. Les gens, au lieu de regarder ce qu’elle va apporter, considèrent qu’elle pourrait être détournée » a déclaré Frédérique Vidal lors de son passage à sur LCI face à Audrey Crespo le 11 mai.

Sommes-nous donc aveugles au point de ne pas nous rendre compte des bienfaits merveilleux que vont apporter la loi ORE (Orientation et Réussite des Etudiants) ? Libre à chacun des membres de la communauté universitaire d’adhérer ou non au discours politique de notre ministre. Une chose est sûre : la nouvelle procédure d’admission dans l’enseignement supérieure ne pourra être claire dès lors qu’elle sera clairement communiquée. L’idée n’est pas nouvelle : l’association Droit aux Lycéens avait d’ores et déjà bataillé pour que transparence soit faite sur certaines fonctionnalités de l’ancienne plateforme APB (Admission Post Bac). Cette démarche s’était soldée par la diffusion d’une liasse de documents peu lisibles.

Depuis, des belles intentions ont été annoncées :

  • En 2017, Etalab, la mission coordonnant l’ouverture des données publiques, a recommandé d’aller plus loin dans l’ouverture du code source d’APB. Bien que non contraignante, cette déclaration reconnaît officiellement cette nécessité.
  • La communication des algorithmes de la plateforme Parcoursup a été soulevée plusieurs fois dans les débats parlementaires au sujet de loi ORE. De nombreuses déclarations ont été fait dans le sens de plus de transparence, jusqu’au président Macron, qui a rappelé lors de l’événement de communication autour de l’intelligence artificielle #AIforHumanity l’importance de la publication des algorithmes utilisés par les administrations de l’État « à commencer par Parcoursup ».

Le texte de loi va encore plus loin : le premier article affirme que « la communication, en application des dispositions du code des relations entre le public et l’administration, du code source des traitements automatisés utilisés pour le fonctionnement de la plateforme mise en place dans le cadre de la procédure nationale de préinscription prévue au I s’accompagne de la communication du cahier des charges présenté de manière synthétique et de l’algorithme du traitement ».

Rappelons encore une fois le calendrier : la plateforme a été ouverte le 15 janvier 2018, la loi adoptée le 8 mars 2018 et les premières affectations seront communiqués le 22 mai. Jusqu’ici le gouvernement a préféré faire le tour des plateaux télés et des matinales de radio plutôt de faire l’effort de donner des éléments clairs et concrets sur la procédure. Le code source reste en effet inconnu. Sur France Info, le 5 avril, la ministre reconnaissait même qu’il restait « une part d’information qui doit être donnée et être expliquée ».

L’exécutif ayant de nombreuses casseroles sur le feu, j’ai été compréhensif : je lui ai rappelé par un courrier sa promesse dans le cadre de la loi CADA (Commission d’accès aux données administratives, loi qui permet à tout citoyen et toute citoyenne de demander la diffusion de documents ou de données issus du travail de l’administration publique). Ma demande portait sur :

  • la diffusion du code source de la plateforme Parcoursup.
  • la diffusion du cahier des charges et des spécifications techniques ayant permis le développement de la plateforme Parcoursup.

Après un mois d’attente, le secrétariat des affaires juridiques a bien accusé réception de la demande mais n’a pu me donner de délai de réponse, ni même m’en assurer une. Ainsi, au regard de la loi CADA, le ministère a refusé de communiqué ces informations.

Résumons :

  • Ce projet de loi a été mis en place afin de mettre sur pieds « un processus plus fluide qui remet de l’humain dans la procédure» (F. Vidal, France Info, 15 mai).
  • Dès les débats parlementaires et jusqu’à l’écriture du texte de loi, la transparence a été l’un des arguments avancés pour justifier l’intérêt de Parcoursup.
  • Or, ces déclarations n’ont été suivies d’aucun acte concret. La plateforme fonctionne aujourd’hui : le cahier des charges a-t-il été perdu ? le code source est-il écrit dans un langage inconnu qui empêcherait son interprétation ?
  • La demande CADA n’a rien donnée (Xavier Berne de Next Impact n’a pas eu plus de succès) : au cas où l’on pourrait encore en douter, il ne s’agit pas d’une négligence mais bien d’un acte délibéré d’opacité.
  • La majorité à l’Assemblée Nationale est allée encore un cran au dessus en maintenant secret les algorithmes définis localement par les universités bien que le Sénat et la CNIL (Commission Nationale Informatique et Libertés) se soient prononcés pour la communication de tous les traitements informatiques dont feront les candidats et candidates feront l’objet.

La force (ou la faiblesse) de la loi ORE réside dans ce détail : le texte ne précise pas la procédure d’admission dans le supérieur mais fait référence à une « préinscription qui permet aux candidats de bénéficier d’un dispositif d’information et d’orientation qui, dans le prolongement de celui proposé au cours de la scolarité du second degré, est mis en place par les établissements d’enseignement supérieur ». La nature de cette étape de préinscription n’est pas définie dans la loi : elle n’a fait l’objet d’aucun examen par le Parlement. Elle est reléguée au rang de simple détail technique, alors que c’est le cœur même des questionnements qui font suite à l’abandon d’APB.

Pourquoi cette opacité ? Toutes les théories peuvent être envisagées, mais sans rentrer dans le complotisme, nous pouvons sans difficulté imaginer que le ministère ne souhaite montrer ce qui serait contraire à son argumentaire. La communication du code source de Parcoursup ferait glisser le débat du champ politique au champ technique : l’enfumage serait alors bien plus compliqué. Mais n’est-ce pas cela la transparence et la confiance ?

« Nous sommes à l’âge du cyberespace. Il possède lui aussi son propre régulateur, qui lui aussi menace les libertés. Mais, qu’il s’agisse d’une autorisation qu’il nous concède ou d’une conquête qu’on lui arrache, nous sommes tellement obnubilés par l’idée que la liberté est intimement liée à celle de gouvernement que nous ne voyons pas la régulation qui s’opère dans ce nouvel espace, ni la menace qu’elle fait peser sur les libertés.

Ce régulateur, c’est le code : le logiciel et le matériel qui font du cyberespace ce qu’il est. Ce code, ou cette architecture, définit la manière dont nous vivons le cyberespace. Il détermine s’il est facile ou non de protéger sa vie privée, ou de censurer la parole. Il détermine si l’accès à l’information est global ou sectorisé. Il a un impact sur qui peut voir quoi, ou sur ce qui est surveillé. Lorsqu’on commence à comprendre la nature de ce code, on se rend compte que, d’une myriade de manières, le code du cyberespace régule. » — Code is Law, Lawrence Lessig.

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L’université : dead ?

Par Frédéric Lordon (CNRS). Intervention au « colloque intempestif », à l’ENS, le 2 mai 2018

Quitte à prendre le risque de l’abstraction – mais après tout nous sommes à l’ENS… – je voudrais commencer en disant en toute généralité une ou deux choses sur les institutions, puisque l’université est une institution, et qu’elle en illustre exemplairement les propriétés essentielles. Telles qu’on peut les ramener aux deux propositions suivantes. Proposition 1 – si son énoncé est paradoxal – : la vie dans les institutions, c’est la mort. Malheureusement, proposition 2 : par institution, il faut entendre la forme même de la vie collective – pourvu bien sûr qu’on soit capable de donner à la catégorie d’institution toute son extension.

Que la juxtaposition de ces deux propositions soit au principe d’une pénible contradiction, la chose est assez évidente puisque, redisons-le : 1) Dans les institutions, on crève ; mais 2) collectivement, nous vivons nécessairement dans des agencements institutionnels. En réalité, la contradiction est soluble dans une sorte de prudence de la vie dans les milieux institutionnels dont la maxime pourrait s’énoncer ainsi : « Attention on va y crever, si on n’y fait pas gaffe ».

En tout cas, tout discours sur la vie collective qui ferait l’impasse sur l’une de ces deux propositions se condamnerait à l’erreur théorique et au désastre pratique, étant entendu que le désastre pratique peut prendre des formes différentes, diamétralement opposées même, selon la proposition ignorée. Quelle est, dans des proportions écrasantes, la proposition ignorée aujourd’hui, et quelle est la forme du désastre qui s’en suit, nous ne le savons que trop. La proposition ignorée, c’est que les institutions c’est la mort. Et la forme du désastre, c’est la mort. Cas d’application, l’université : dead.

En réalité, ici, il faut sortir de la généralité. Ce qui dans l’université pousse la propension mortifère à son comble, c’est la forme particulière que lui donne le néolibéralisme. Il y aurait bien sûr énormément à dire à ce sujet, je me contente de donner un échantillon. Dans le journal Les Échos, sous le titre « Ce que le prix Nobel Jean Tirole conseille à Macron », on peut lire ceci – c’est Tirole qui parle – : « Face aux grandes écoles, hautement sélectives, mieux dotées, et agiles grâce à une gouvernance plus souple, face à une forte concurrence internationale pour les étudiants et les chercheurs, l’université a des boulets aux pieds ».

Soyons objectifs et cliniques : nous avons là à l’évidence une phrase qui sent l’Institut médico-légal et le tiroir frigorifique. Quand je dis que les institutions c’est la mort, je pense exactement à des phrases comme ça. Il faut des individus totalement vidés de l’intérieur pour dire des choses pareilles, des individus évidés et re-remplis avec du fourrage institutionnel à la place, et dans la tête de la paille : de la paille de langue institutionnelle – ce qui, incidemment, donne à penser que nous pourrions envisager le néolibéralisme comme une gigantesque taxidermie, comme une entreprise de taxidermie générale, qui ne produit plus à la chaîne que des automates empaillés.

J’attire ici votre attention sur le mot « agile ». « Agile » est un mot qui a visiblement commencé son existence sociale comme une fin de soirée débraillée où Pierre Gattaz avait forcé sur la sangria : une trouvaille de pochtron rubescent, mais de pochtron managérial tout à sa joie d’avoir mis la main sur ce que ces gens-là appellent un « concept ». On en était là : l’« entreprise agile », c’est si grotesque, si débile, que seul Pierre Gattaz avait l’étoffe pour porter une chose pareille, éventuellement Emmanuel Lechypre sur BFM ou Nicolas Bouzou à peu près partout ailleurs. À ma grande stupéfaction, je dois le dire, j’ai vu le mot faire carrière. Et le voilà désormais répandu comme une catégorie honorable, avec laquelle on peut même faire dignement des énoncés. Or dans un état normal de l’intelligence collective, n’importe qui devrait avoir le rouge au front d’être surpris avec un machin pareil à la bouche. Mais non : tout le monde dit « agile » : des patrons évidemment, donc des journalistes évidemment, des hommes politiques bien sûr, donc des « managers publics » bien sûr. Et maintenant des chercheurs. Le propre du néolibéralisme, c’est donc, entre autres choses, de produire des prix Nobel d’économie qui parlent comme le vendeur de pin’s du Medef ou comme un éditorialiste décérébré de France Info ou de C’dans l’air. Accordons que la discipline prédispose. C’est donc peut-être par malice que les organisateurs m’avaient demandé d’intervenir en m’appuyant « sur mon expérience d’économiste ». J’ai fait semblant de croire que c’était au titre d’informateur indigène, considérant par ailleurs qu’il n’est jamais de très bonne méthode sociologique de céder aux catégories trop homogènes : il n’y a pas « les économistes » et, de même, si ce soir nous pouvions ajouter à la démonstration qu’il n’y a pas « les universitaires », nous n’aurions pas perdu notre temps.

Incontestablement, cependant, il y a Jean Tirole. Et il n’est pas seul de son genre. Si bien que, revenant à la demande des organisateurs, je me dis que ça n’était pas une mauvaise idée en principe d’attraper l’université qui va mal par une de ses disciplines qui va très mal. Quoique cette dernière (l’économie) ait elle-même le sentiment de se porter à merveille. Épistémologiquement sûre de son fait (ça depuis toujours), elle s’est au surplus vendue à tous les pouvoirs temporels, mais à un degré tel qu’elle vit maintenant sa compromission chronique avec le sentiment du parfait naturel et sans le moindre embarras de conscience. Entre le prix Nobel Jean Tirole, ou le professeur au Collège de France Aghion, et le président Macron, il n’y a rien d’autre que le plain-pied d’une grande histoire de complicité. Pendant ce temps, bon nombre de leurs collègues cachetonnent pour les banques ou dans des conseils d’administration – mais c’est peut-être cela qu’il fallait entendre par « valorisation et diffusion de la science »…

Mais je voudrais revenir aux méditations empaillées de Jean Tirole et, dans ses termes mêmes, redemander : avons-nous en effet, par manque d’agilité et gouvernance insuffisamment souple, des boulets aux pieds ? Je dirais plutôt que nous avons les boules au cou – d’entendre des indigences pareilles. Je dirais également qu’on a rarement la chance de tomber sur une manifestation aussi pénétrante et aussi involontaire de l’esprit de synthèse puisqu’en à peine trois lignes tout est dit, ou presque, du désastre universitaire. Il ne vous aura pas échappé que dans cette phrase – comme d’ailleurs dans le reste de l’article – on ne trouve pas un mot qui n’évoque l’écrasement d’un savoir libre par la compromission à des intérêts extrinsèques ou par le flot de boue managériale. Pour notre part, considérons plutôt que le savoir critique est le principe de vie propre à l’institution « université ». Et demandons à notre tour : dans quel état se trouve-t-elle quand ce principe est liquidé par ses responsables mêmes ? Dead– disais-je.

Comme souvent, ce sont les nouveaux entrants, pas encore ployés par l’habitude institutionnelle, qui savent être choqués de ce qui ne choque plus les autres. Et l’on mesurera ce que c’est que d’être ployé à ceci que, sauf erreur de ma part, les professeurs de Paris-1, université à laquelle je suis formellement rattaché, n’ont toujours pas fait entendre la demande explicite, formelle, et somme toute minimale, de démission de leur président, dont les exploits policiers et médiatiques devraient pourtant passer à la postérité.

Je vous rappelle l’espèce de prudence que j’avais essayé de formuler à l’usage de la vie dans les institutions : attention on va y crever, si on n’y fait pas gaffe. Parce que, précisément, ils sont encore suffisamment alertes pour faire gaffe, les étudiants qui occupent les universités auraient beaucoup de titres à être considérés comme des universitaires, si du moins l’on entend par là ceux qui sont intéressés à l’université – évidemment selon sa vocation première, où il entre constitutivement l’ouverture des savoirs à la société, et non comme seul champ de lutte pour les ressources ou le pouvoir mandarinal. C’est donc très inadéquatement qu’on dit d’étudiants aussi fidèles à l’idée de l’université qu’ils l’occupent. Ils sont chez eux en vérité. Ils n’en sont pas les occupants, mais les habitants, les habitants les plus légitimes d’ailleurs, et certainement les plus réveillés. L’occupation,  les occupants, ce sont les empaillés : les managers, les présidents. Eux ont mis la main sur quelque chose avec quoi, dans son principe, ils n’ont plus rien à voir. Mais c’est là le genre d’inversion bien à l’image d’une époque qui fait tout marcher sur la tête.

Si d’ailleurs nous remettions les choses sur leurs pieds, que verrions-nous ? Nous verrions qu’à défaut d’abolir l’institution « université », les étudiants se battent contre sa forme contemporaine, et pour qu’en soit réinventée une autre. Une autre à laquelle nous aurons fait gaffe dès le début et qui, parce que nous continuerions d’y faire gaffe, permettrait d’espérer que, quoique institution, toute vie ne s’en absente pas aussitôt.

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Mort de l’Université, vie du savoir

Par Johanna Siméant-Germanos (ENS, département de sciences sociales). Texte lu à l’occasion d’un « colloque intempestif» à l’ENS le 2 mai 2018. 

Si on m’a invitée à parler aujourd’hui, c’est je pense à cause d’un texte, « Démolition », écrit il y a quelques mois, et dont la circulation, la réception, m’ont surprise, parce que ce texte a semblé faire écho à des milliers d’autres expériences individuelles : j’avais essayé de décrire mon désarroi à l’égard de la mise en crise convergente de ce qui contribue à faire tenir, un peu, une société : les institutions de la santé, du social, des transports, du savoir… Pas seulement les institutions puisque ce qu’il me semblait observer, comme plein d’autres, c’était aussi la prolifération de tous ces dispositifs, algorithmes, badges, mises en règle, courses à la notation, formulaires de soumission (le mot parle de lui-même), d’une façon qui à tous les niveaux produit de l’avilissement, une façon de faire son travail moins bien et dans l’isolement. Comme si ce qui se jouait, c’était aussi le recul de nos capacités d’agir ensemble parce que chacun devient comme entrepreneur de son asservissement. Visiblement, je n’étais pas la seule à ressentir ce désarroi. Et l’avoir écrit autrement que du haut de ma science, mais à partir de ce qui était aussi ma tristesse d’avoir vu la vie des miens et mon propre métier changer, a pu rencontrer un écho chez d’autres.

Si on m’a invitée à parler aujourd’hui, c’est peut-être aussi parce que j’ai enseigné 22 ans à l’université avant d’arriver ici. Le temps de voir changer le métier, le temps de voir l’idée même de l’université être mise en crise. Et tout ça dans un contexte où chaque réforme, inspirée du processus de Bologne à la fin des années 90, de l’injonction à l’alignement sur la concurrence dans le marché international de l’enseignement supérieur, de la mise en place d’une soi-disant autonomie des universités, chaque réforme n’est jamais que la conjonction de la managérialisation et de la diminution des capacités de résistance des universités… autant de façons de faire reculer l’idée que l’université pourrait être un lieu d’émancipation.

Alors il faut bien un peu parler de la loi ORE et de ParcourSup, mais sans oublier que ça s’inscrit dans un processus de plus long terme.

Ce qu’il y a d’odieux dans ParcourSup, c’est évidemment le mensonge marketing de la façon dont cette réforme est présentée, cette façon d’insister sur ce qui serait le scandale d’un tirage au sort qui ne concernait en fait que 0.4% des anciens étudiants, ce qu’il y a d’odieux, c’est la mise en place d’une réforme avant même qu’elle ne soit adoptée au parlement, ce qu’il y a d’odieux c’est une réforme sans les moyens du peu de mieux qu’elle promettait : la ministre avait presque réussi à faire flancher des enseignants-chercheurs fatigués, conscients des taux d’échec dans une partie des parcours universitaires, et qui trouvaient que le « oui si » (proposer une remédiation à qui l’on jugeait plus fragile), ce n’était pas une si mauvaise idée. À ceci près qu’il n’y avait aucun véritable moyen de mettre en place ces fameuses filières de remédiation (on cherche toujours le milliard prétendument alloué !)… vu qu’il n’y a déjà pas assez de places qui ont été créées à l’université malgré les projections que n’importe quel bureaucrate un peu sérieux aurait pu effectuer à partir des statistiques sur le nombre de bacheliers… peut-être qu’il faudrait que les gens qui peuplent les cabinets ministériels soient un peu mieux frottés de sciences sociales et un peu moins de plans en deux parties / deux sous-parties…

Surtout, ce qu’il y a d’odieux dans ParcourSup, mais je crois que je ne vous apprends rien, c’est la façon dont cela va augmenter la polarisation sociale, les inégalités sociales, augmenter le chacun pour soi, augmenter le recours au privé pour garantir la meilleure scolarité à ses enfants… Juste un exemple : quand on est un collégien de la Courneuve, cela veut dire qu’on aura raté quatre mois d’anglais en cinquième, trois mois de maths en quatrième, deux mois d’histoire géo en troisième… et qu’évidemment, les algorithmes qui vont pondérer vos notes en fonction de votre lycée d’origine ne vous donneront pas grand chance d’accéder aux filières qui vous intéressent.

Bref, ce qu’il y a d’odieux dans ParcourSup, c’est le mélange de mensonge et d’incompétence, de gens qui soit ne savaient pas, soit ne savaient que trop bien… comme pour la question des lettres de motivation qui ne seront évidemment pas examinées, mais qui auront permis de décourager les plus fragiles là encore…

Prenez juste la question de l’algorithme… Parce que le plus important ce n’est pas les slogans dans cette affaire, « pour ou contre la sélection », le plus important ce sont les détails, les algorithmes, les timings, les financements annoncés et pas débloqués : l’algorithme précédent, celui d’APB, basé sur ce que l’on appelle en théorie des jeux la théorie des mariages stables, prenait en compte la hiérarchisation des choix des élèves, ce que ne fait pas ParcourSup, où l’on demande aux terminales de ne pas hiérarchiser (au début on croit à une blague…) : mais ce que ça veut dire, quand on propose de ne pas hiérarchiser, c’est que les institutions d’élite vont s’arracher les gens qu’elles considèrent les meilleurs parce que venus des meilleurs lycées (et comme elles les voudront, tous ces élèves pourront choisir entre plusieurs filières… donc pour eux ce sera encore plus confort, plus de choix), et que les autres continueront peut-être de façon pire qu’avant à se retrouver dans des endroits où ils ne veulent pas aller. Et que le storytelling de « trouver la bonne place pour les bonnes personnes » est bel et bien mensonger. Si vraiment le problème est de ne pas admettre les gens qui n’ont pas le niveau dans une filière, pourquoi limiter cette démarche aux seules filières sous tension, pourquoi ne pas instaurer des filières de remédiation dans toutes les filières ? À partir du moment où ce n’est pas le propos, où les moyens n’en sont pas donnés, c’est bien qu’il s’agit d’une gestion malthusienne et excluante de l’université qui est en marche. Donc derrière le mot valise de sélection, il faudrait se demander, avant de faire des choix sur des gens qui n’ont pas eu les mêmes chances, si on n’aurait pas plutôt pu se donner les moyens de restaurer, pour tous, leurs capacités de choix ? À voir l’état des collèges et des lycées, la réponse est, évidemment, non.

S’il ne s’agissait que d’une réforme mal fichue, le énième accident industriel de technocrate… dans un monde idéal, on leur ferait lire quelques bons sociologues de l’éducation et tout irait mieux. Mais la crise de l’université, de l’idée d’université, est plus profonde. Et cela, finalement, quelle que soit la conception qu’on a de l’université : soit que l’on rêve à une tour d’ivoire qui permet d’observer paisiblement le monde à distance ; ou que l’on rêve d’un savoir complètement impliqué dans la société, qui en procède et lui revienne pour lui servir.

Aucune de ces deux aspirations n’a la moindre chance d’être satisfaite par une évolution qui ne pourra satisfaire que les universitaires qui aspirent à devenir chefs de projet bureaucratiques ou employés du mois.

Ce qui nous menace aujourd’hui, c’est l’aggravation d’une offensive généralisée contre toute possibilité de dire le vrai sur le monde. Et ça ne concerne pas que l’université. Et ça ne vient pas que de l’État. On voit depuis quelques années les enquêtes en sciences sociales être menacées de façon croissante par des procédures qui barrent l’accès à certains terrains, censurent des résultats, des publications. On voit se développer le conformisme des Institutionnal Review Boardsdans les universités anglo-saxonnes, qui, sous couvert de respecter les gens auprès de qui l’on enquête (une question, celle du respect des publics, qu’on pose bien moins dans plein d’autres domaines des politiques publiques !), limitent les possibilités d’observations longues, de type ethnographique, d’enquêtes de qualité au long cours, etc.

Mais ça, c’est aussi ce que vivent les journalistes (enfin ceux qui essaient de faire leur travail !). C’est aussi ce qui menace les institutions qui tentent de produire des statistiques qui ne sont pas alignées sur les attentes des gouvernants. C’est aussi la loi sur le secret des affaires et la multiplication des procédures-bâillons à l’égard des lanceurs d’alerte. C’est une mise en crise de la presse telle qu’il n’y a même pas besoin de lui demander d’être conforme vu le conformisme que fabriquent la précarité et la quête de ressources publicitaires.

Je reviens à l’université : la question est donc bien loin de se limiter à pour ou contre la sélection. Le monde universitaire est devenu un monde où il faut devenir de plus en plus un entrepreneur de soi-même, où les chercheurs doivent se débrouiller pour accumuler les financements nécessaires à leurs recherches auprès de diverses institutions publiques ou privées (ANR, Europe, etc.) à coups de projets de recherche ad hocqui suintent le conformisme, tout ça pour se transformer en chefs de projets, et clientéliser des protégés dans des post-doctorats puisque de toute façon le nombre de créations de postes d’enseignants-chercheurs titulaires diminue… tout cela dans un processus général qui augmente la fragmentation, l’isolement, et l’anomie à l’université. Pourtant les livres de sciences sociales français les plus importants que j’ai eu l’occasion de lire ces dernières années n’ont rien à voir et ne devaient rien aux financements et à la bouillie secrétée par les bureaucraties de la recherche, le jargon de l’excellence bureaucratiquement définie (Idex, labex, equipex et j’en passe), l’alignement sur le classement de Shanghai ou autre.

Et c’est cela qui peut continuer à nous animer, l’idée que le savoir n’est ni une affaire de managers, ni de bureaucrates, mais l’affaire de celles, de ceux, qui entendent bien préserver la dignité de leur métier, qui est de produire et de diffuser des paroles vraies sur la société. Avec le maigre espoir que, parfois, dire le vrai puisse avoir encore son importance et nous engager.

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Organiser la résistance du monde universitaire et de la recherche

Des universitaires ont publié le 26 avril une tribune dans Le Monde invitant à soutenir le candidat d’« En Marche ! » Nous, salarié·e·s de l’enseignement supérieur et de la recherche, souhaitons répondre à ce texte par la tribune qui suit. Sa portée s’appréciera par le nombre de signataires : 1 588 depuis le 28 avril 2017. Ce texte a également vocation à nous rassembler pour organiser la résistance du monde universitaire et de la recherche face aux années difficiles qui s’annoncent.

Nous voterons Macron mais combattons son « projet » pour l’enseignement supérieur et la recherche

Nous qui travaillons dans l’enseignement supérieur et la recherche, nous tenons à nous désolidariser d’une tribune parue dans Le Monde, intitulée « Nous, universitaires et chercheurs, tenons à manifester notre soutien à Emmanuel Macron ». En surfant sur la vague de la « Marche pour les sciences » et sous couvert de front républicain, ce texte veut faire croire que la vision libérale de M. Macron est soutenue par une large communauté dans le monde universitaire et scientifique. La réalité est moins glorieuse : les 45 signataires, pour la majorité professeurs des universités, sont peu représentatifs de la diversité des disciplines et surtout des personnels qui font vivre l’université et les instituts de recherche. C’est donc l’occasion de remettre les points sur les i.

À l’université, dans la recherche : non au fascisme

Soyons clairs dès le début. Le résultat du premier tour des élections présidentielles a été pour nous un choc : celui de voir Marine Le Pen recueillir 21,30 % des voix sans que cela n’étonne qui que ce soit. Au second tour, nous avons décidé de voter E. Macron contre M. Le Pen, car le risque est trop grand de voir cette dernière l’emporter et imposer sa politique extrême-droitière qui affectera immédiatement les plus vulnérables, dont beaucoup n’ont pas la chance de voter. Le front national – et le fascisme de manière générale – reste notre principal adversaire. Nous voterons E. Macron, mais en étant conscients que ce « barrage » que nous contribuerons à former aura pour conséquence l’application d’une politique libérale qui contribuera à l’accroissement des inégalités et pourrait servir de marchepied au Front national pour continuer sa percée à brève échéance.

Si nous prenons position aujourd’hui, ce n’est pas tant pour dénoncer les attaques annoncées par E. Macron contre notre système de protection sociale ou contre le droit du travail, au nom de la « libéra[lisa]tion des énergies », ce n’est pas tant pour souligner la fragilisation à venir des classes populaires au bénéfice des possédants, que pour revenir sur ce que nous propose entre les lignes son programme dans les domaines de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il ne s’agit pas ici de défendre de simples intérêts sectoriels, puisque – et c’est le candidat d’« En marche ! » qui le dit lui-même, ou à tout le moins ses conseillers en la matière – « l’éducation et la culture » sont « la condition de notre cohésion nationale », et en tant que telles constitueront son « premier chantier ». Chantier, c’est bien le mot.

Universités : l’illusion de l’autonomie et de « l’excellence »

Macron l’a dit et redit : il veut accroître « l’autonomie des universités », poursuivant ainsi la politique initiée par Nicolas Sarkozy et continuée sous le quinquennat de François Hollande. Mais attendez, « autonomie » ? Mais pourquoi pas ? N’est-ce pas une valeur noble que chaque universitaire devrait chérir ? Que l’on ne s’y trompe pas néanmoins : l’autonomie mise en place sous Sarkozy a d’abord été de pair avec un appauvrissement des universités qui doivent faire face à une hausse mécanique – due à l’ancienneté – de leur masse salariale dont elles ont désormais la charge, sans hausse de leurs ressources propres. Dans le même temps, les effectifs étudiants, eux, n’ont cessé d’augmenter. De « faillites » budgétaires en faillites morales, les signes d’une lente déréliction sont tangibles, et nourrissent la chronique ordinaire de l’université. Le 7 avril dernier, le conseil d’administration de l’Université d’Orléans annonçait par exemple un gel de postes (enseignants et administratifs, bibliothécaires, agents de santé) ainsi qu’un risque de défaut de paiement des salaires pour juin 2018. Le 21 avril, l’université de Grenoble déclarait quant à elle la suppression de dix mille heures d’enseignements et d’une centaine d’emplois pour combler son déficit. Ces contraintes budgétaires décrétées sous couvert d’autonomie ont des conséquences terribles sur les conditions de travail et d’enseignement des enseignants-chercheurs, des personnels techniques et administratifs et des étudiants : outre la dégradation des locaux, des bâtiments vétustes aux amphis usés, le manque de moyens entraîne de nombreux burn out chez les personnels dont la charge de travail ne cesse d’augmenter.

Tout cela est connu, a été patiemment diagnostiqué dans d’innombrables rapports, des mobilisations ont eu lieu, organisées par les salariés contractuels et par les permanents ; mais néanmoins, E. Macron, n’a annoncé aucune revalorisation substantielle et nécessaire des budgets. Surtout, il propose d’approfondir cette patiente destruction de l’université qui s’est engagée depuis des décennies, et s’est accélérée ces dernières années. Accroître l’autonomie fantasmée par les chantres de l’université harvardisée ou MITisée (sans le budget considérable ni le prestige, cela va sans dire), c’est aussi du même coup accentuer la concurrence darwinienne entre les établissements, et la division brutale entre les universités dites d’« excellence » – qui, grâce au financement par appels à projets, recevront la majorité des crédits – et les autres, qui devront faire face à une véritable pénurie de moyens et s’assumer comme appartenant à une seconde division universitaire. Le vocabulaire macroniste est truffé de ces termes empruntés au néo-management : excellence, performance, compétitivité, innovation, défi, gouvernance par les plateformes… Si cette novlangue euphémise l’âpreté des luttes dans la cité scientifique, elle masque surtout l’inanité d’un projet politique pour l’enseignement supérieur et la recherche fondé sur la concurrence effrénée des établissements entre eux et la justification des réductions budgétaires.

Loin d’offrir « les mêmes chances pour tous nos enfants », comme le promet E. Macron sans y regarder de près, cette stratégie de courte vue contribuera encore à amplifier les inégalités sociales face à l’éducation et la formation. Ce n’est sans doute pas la proposition d’élargir les heures d’ouverture des bibliothèques qui permettra d’endiguer ce phénomène… Et quand bien même elles seraient ouvertes, sans plus de moyens pour y entreposer les nouvelles acquisitions de livres – doit-on rappeler que les coupes ont été désastreuses sur ces postes ? –, à quoi bon y étudier jusqu’à pas d’heure si les collections ne sont pas à jour ? De plus, n’est-il pas malhonnête et cynique de « vendre » aux étudiants des horaires plus étendus comme horizon d’une « modernisation » tout en imposant ces horaires aux bibliothécaires, et ainsi rejouer la lutte des classes au sein de la communauté universitaire ? Mais ce n’est pas tout. E. Macron entend accélérer la privatisation de l’enseignement supérieur. C’est patent lorsqu’il déclare vouloir diversifier les sources de financement, en « facilitant les possibilités de création de filiales universitaires, les capacités d’emprunt des universités ou encore les partenariats public-privé ». La « disruption » à tout va promet de sévir sur les ruines d’un milieu universitaire déjà lourdement endommagé par les réformes antérieures.

Recherche : l’indigence d’un pseudo programme

On aura beau jeu de nous objecter que M. Macron n’est pas la caricature que nous croquons. Profitant de l’écho mondial du mouvement citoyen la « Marche pour les sciences », le candidat n’a pas hésité à lancer un court appel vidéo tweeté aux scientifiques du monde entier – en particulier les « American researchers, entrepreneurs, engineers working on climate change » –, les invitant à venir se réfugier en France, « la patrie de l’innovation, de la recherche, du futur » pour faire de la France le « leader mondial de la recherche sur le réchauffement climatique ». Comme si ce n’était pas déjà le cas avec plusieurs scientifiques occupant des rôles majeurs au sein du GIEC en particulier, comme si également c’était une compétition sportive pour restaurer ce qu’il demeure d’influence française sur la scène diplomatique mondiale. Parce que le « programme » en matière de recherche (y compris sur le climat) du candidat est proprement indigent, il est difficile de ne pas interpréter cette prise de position comme relevant de la récupération opportuniste. Ces propos à l’emporte-pièce sont d’autant plus insupportables si l’on considère la difficulté structurelle dans laquelle se trouvent les jeunes enseignants-chercheurs et chercheurs en quête d’un poste titulaire dans la patrie de Pasteur. Sans même parler de l’irréalisme qui consiste à faire croire que l’on pourrait héberger les collègues étasuniens très bien payés et leurs programmes substantiellement financés dans les établissements français qui peinent à boucler leur budget de fonctionnement et à payer leurs factures de téléphone. En réponse à ces difficultés, bien réelles, l’ébauche de programme « recherche » de M. Macron n’apporte que des slogans mais aucune solution concrète. En fin de compte, la seule volonté claire qui ressort de la communication de campagne du candidat est celle de mettre la recherche au service de « l’innovation, [car elle est] la clé de la compétitivité et de la croissance ». Cette vision étriquée et court-termiste, épuisée jusqu’à l’os depuis le début des années 2000, trahit une méconnaissance profonde des activités de recherche. Elle l’assujettit à un utilitarisme atrophiant, elle mine l’autonomie intellectuelle. Non, le chercheur-entrepreneur qui rêve devenir milliardaire n’est pas la panacée. Non, la Silicon Valley n’est pas l’horizon indépassable de l’Humanité. Non, la science n’est pas une entreprise et la connaissance une marchandise à échanger sur des marchés. La science en actions boursières : non, non et non.

Nous sommes rogueESR

Parce qu’il est nécessaire de résister contre cette « modernisation » en trompe-l’œil, il ne faut pas s’en tenir à l’exercice de la vigilance en pantoufles, en attendant la prochaine « alternance » — qui pourrait s’avérer fatale. RogueESR s’inspire de la stratégie de rébellion expérimentée par les scientifiques étasuniens contre la mise au pas des mondes académiques. Contrer le FN est une priorité à court terme, et voter E. Macron c’est d’abord voter contre Le Pen. Nous espérons pour cela que le candidat d’« En marche ! » l’emportera le 7 mai prochain. Néanmoins, nous nous emploierons ensuite à lutter — par les mots, dans les urnes et dans la rue s’il le faut — contre son embryon de « programme » pour l’ESR, mais aussi contre les inégalités qui font les affaires du FN, et à proposer des alternatives.

Liste des 1 588 signataires