Des Keybabs aux Cinque Stelle

les journées

     les journées distillent

⊗ le venin

     du renoncement

Jacques Roubaud, poète et mathématicien français, est décédé le 5 décembre 2024.

C’est parce que les solstices se voudraient des temps suspendus qu’ils constituent des « fenêtres de tir » privilégiées pour les attaques de la bureaucratie contre l’Université et la recherche. L’attrition budgétaire programmée par la LPR, à laquelle nous avons consacré tant de billets, est désormais une évidence commune — au point que les managers de la démolition, bureaucrates de l’Udice, de France Universités ou des organismes nationaux de recherche (ONR) ont le culot de se camper en résistants. Mais l’accélération du programme de destruction de l’Université et de la recherche scientifique ne se donne encore à voir et à entendre que dans des petits cénacles. Redisons-le : l’achèvement du programme cohérent de bureaucratisation, de paupérisation et de dépossession initié il y a 20 ans s’attaque simultanément aux étudiants, aux ONR et aux universitaires. Cette semaine, M. Antoine Petit, président du CNRS, et Mme Sylvie Retailleau, ancienne ministre, ont explicitement articulé les trois derniers volets de ce programme :

Diapositive proposée par l’Hcéres en appui à nos enseignements — à moins qu’il ne s’agisse d’un apport. La bureaucratie managériale et le souverain grotesque (Trump, Milei…) sont deux formes duales de la terreur ubuesque, du pipikisme que Philip Roth définit comme cette « force anti-tragique qui transforme tout en farce, banalise et superficialise tout ». Pétition pour la suppression du Hcéres.

Lors de la convention des directrices et directeurs des unités, le jeudi 12 décembre, M. Petit a annoncé que 75% des unités de recherche seraient sacrifiées pour que 25% d’entre elles, appelées tantôt « keylabs », tantôt « cinq étoiles », retrouvent les moyens qu’elles avaient il y a quelques années — et en particulier leurs personnels de soutien à la recherche, ingénieurs, techniciens et administratifs (ITA). Le label ouvrant droit au soutien du CNRS, transformé en agence de moyens, sera attribué pour cinq ans — d’où l’enjeu du Hcéres : « Bien entendu, il n’est pas question que ces key labs forment un club fermé. » M. Petit a tenu à justifier le démantèlement : « Le CNRS a longtemps fait de l’aménagement du territoire, à la demande des communautés scientifiques et des universités et écoles, […] le CNRS a ainsi dilué son action et réduit sa plus-value. » M. Petit a détaillé les deux missions du CNRS devenu agence de moyens : « La première mission est d’animer et de coordonner les activités nationales de recherche dans plusieurs domaines scientifiques. Cela passe notamment par les infrastructures de recherche, les réseaux et groupements de recherche, les plates-formes scientifiques. […] La seconde grande mission du CNRS est d’opérer les unités de recherche. » Dans l’esprit de la bureaucratie, la recherche elle-même ne fait donc déjà plus partie des missions des organismes nationaux de recherche (ONR).

« La bêtise aime à gouverner. Lui arracher ses chances. Nous débuterons en ouvrant le feu sur ces villages du bon sens. »

René Char

Autre lieu. Même discours. Devant un parterre où aucun universitaire, aucun chercheur actif n’avait été convié, Mme Retailleau complétait la vision de M. Petit, au cours d’une séance d’auto-congratulation et d’appels du pied pour retrouver « son » ministère. Elle a souligné l’importance de l’impulsion donnée pendant son mandat à la transformation des ONR en agences de programmes « légitimées par des signatures interministérielles et par les acteurs [la bureaucratie, NDLR] eux-mêmes. […] Nous devons travailler en équipe de France. Les choses ont été posées. Si les acteurs [la bureaucratie, NDLR] veulent se prendre en main, ils ont ce qu’il faut, sauf contre-ordre d’un futur ministre. »

Mme Retailleau a par ailleurs synthétisé la manière dont, à bas bruit, la bureaucratie à été dotée des moyens d’absorber les personnels des organismes nationaux de recherche et de mettre fin aux statuts nationaux des enseignants-chercheurs et chercheurs : « Les acteurs [la bureaucratie, NDLR] ont ce qu’il faut. Commençons par confier, j’y étais prête, on l’avait discuté, les carrières et les postes au niveau de chaque opérateur. Les statuts des personnels chercheurs et enseignant-chercheurs doivent être discutés des deux côtés. Il faut absolument continuer la mise en œuvre de la LPR, […] qui doit être négociée en tenant compte de l’évolution des acteurs. Tout est posé, allez-y. […] Aujourd’hui, je crois que nous sommes à peu près le seul pays au monde à fonctionner avec les 192 heures devant les étudiants. » Mme Retailleau a appelé à supprimer les différences statutaires entre personnels des universités et des ONR au profit d’« un statut modulé. Ce processus est compliqué et il ne s’agit pas de le formaliser dans un tableau Excel ou des règles fixes. »

M. Germinet, directeur du pôle connaissance au Secrétariat général à l’investissement (SGPI), a cru bon d’ajouter, en écho : « Nous [la bureaucratie, NDLR] n’avons pas la main sur les carrières de tous les personnels, même si nous les payons. Cela reste un frein. Les chaires de professeur junior ont permis quelques avancées, mais cela reste limité. Tant que nous [la bureaucratie, NDLR] n’avons pas la main sur les ressources humaines et les carrières, nous restons bloqués. »

M. Rapp, président du jury Idex, lui aussi convié, a été plus direct encore : « en matière RH, les Idex et I-site pourraient être des premiers de cordée : sur l’évaluation régulière des E-C, la modification des cahiers des charges, pour tester l’abandon des 192 h. »

La bouillie provocatrice des lettres ouvertes du « Groupe Javier Milei » semble frappée d’obsolescence. Désormais, le discours de la bureaucratie constitue lui-même sa propre parodie. Missak et Mélinée Manouchian furent panthéonisés en pleine loi immigration ; dès lors, panthéoniser Marc Bloch pour le démantèlement de l’Université et de la recherche scientifique est pleinement cohérent.

 
La Venus de Milei — Interview de M. Philippe Aghion au Figaro : « Politiquement, je suis assez éloigné de Javier Milei, et j’ai beaucoup de désaccords avec lui. Mais il faut reconnaître qu’il a des résultats économiques et sociaux, et cela donne envie de s’intéresser à ce qu’il a fait. » Pauvreté endémique, effondrement de la production industrielle et naufrage scientifique. Obtenir en un an ce que les réformes théorisées par M. Aghion en 2004 ont produit en 20 ans en France est de nature à susciter l’admiration. Pétition : Investir dans la recherche et l’Université.