Candidature collective à la présidence du Hcéres
Plusieurs milliers de chercheurs et d’universitaires déposent le 20 janvier une candidature collective à la présidence vacante du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur français (Hcéres). Leur objectif est de se réapproprier le contrôle sur les valeurs et le sens de leurs métiers. La profession de foi commune associée est disponible ci dessous, et a été publié dans le journal Le Monde daté du 21 janvier 2020.
Défendre l’autonomie de la recherche et des formations
C’est peu dire que les réformes de notre système de recherche menées depuis quinze ans au nom de l’excellence n’ont pas eu l’effet escompté. Ambitionnant de renforcer le statut de puissance scientifique de la France, elles n’ont mené qu’au décrochage de la part française des publications mondiales, l’indicateur de performance choisi par les réformateurs eux-mêmes. Il n’y a pas à s’étonner : l’évaluation statistique des politiques publiques montre que la quantité de publications scientifiques est proportionnelle à l’argent investi dans la recherche, mais qu’elle est pratiquement insensible aux réformes structurelles. Or pendant ces quinze ans, l’effort financier s’est focalisé sur une niche fiscale, le Crédit d’Impôt Recherche, destinée à contourner l’interdiction européenne des aides publiques directes aux entreprises. L’évaluation faite par France Stratégie de son intérêt pour la recherche est sans appel : son effet de levier sur l’investissement privé est… négatif.
Les réorganisations de l’Université et de la recherche ont aussi des effets systémiques profonds, mais qui ne sont observables que si l’on s’intéresse au savoir produit et transmis plutôt qu’au dénombrement bibliométrique. Les réformes structurelles ont conduit à une chute de la qualité et du niveau d’exigence de la production scientifique, dont les multiples scandales de fraude ne sont que la partie apparente. Cette crise institutionnelle du monde savant est d’autant plus dramatique qu’elle survient dans une phase de crise sociale, climatique et démocratique dont la résolution passe par la production, la transmission, la critique et la conservation des savoirs.
Parce qu’elle se fonde sur la poursuite de la vérité comme horizon commun, la science suppose l’autonomie des savants, chercheurs et universitaires, vis-à-vis des pouvoirs dont son exercice dépend, qu’ils soient politiques, économiques ou religieux. Cette liberté académique ne doit pas être pensée comme une absence d’entraves mais comme une liberté positive, garantie par des moyens effectifs. Le sursaut passe par la réaffirmation des conditions pratiques de cette autonomie.
La première condition est budgétaire : pour encourager l’inventivité et la création, il est indispensable de doter la recherche de financements récurrents, en rupture avec le formatage bureaucratique de la science par des « appels à projets » court-termistes, qui encouragent le conformisme et la recherche incrémentale.
La deuxième condition tient à cette autre ressource préalable à la recherche : le temps. Pour maintenir la biodiversité nécessaire à un écosystème de recherche florissant, il est nécessaire de garantir statutairement la possibilité du temps long. La sélection spencérienne promue en haut lieu, faite de fragmentation et de contractualisation généralisée des statuts, tue cette diversité et entretient la crise qualitative. La solution passe par un recrutement de qualité lié à des postes pérennes, condition de l’attractivité pour les jeunes chercheurs comme pour les personnels techniques, de façon à irriguer sans cesse le système d’idées et d’aspirations nouvelles.
La troisième condition est de réduire la division du travail savant, ce qui exclut la séparation entre des managers de la recherche exerçant le pouvoir, et des chercheurs et universitaires dépossédés et devenus de simples exécutants, séparation qui constitue la définition stricte d’une bureaucratie. Il est indispensable de procéder à un audit des structures empilées depuis quinze ans et au chiffrage de leur coût de fonctionnement afin de libérer des moyens en supprimant des strates inutiles, voire nuisibles.
Sur le plan des pratiques, l’exigence et l’originalité des travaux scientifiques sont garanties depuis des siècles par une norme, celle de la controverse collégiale (la disputatio des classiques) : la discussion contradictoire et libre au sein de la communauté des pairs. Ce principe de gratification sociale fondée sur la reconnaissance de la valeur intellectuelle des travaux est irréductible à une « évaluation » managériale dont les fondements reposent sur un système de normes quantitatives externes, déterminées par les intérêts d’investisseurs : toute métrique normative cesse vite d’être une simple mesure pour devenir elle-même l’objectif à atteindre. Obligation doit donc être faite à tout comité de suivi, de recrutement ou de promotion de baser ses délibérations sur la lecture des travaux, et non sur l’évaluation quantitative. Pour que ce soit faisable et probant, le nombre de travaux soumis à examen doit être limité drastiquement.
L’autonomie du monde savant nécessite enfin de ré-instituer des normes de probation scientifiques exigeantes, prenant en compte les spécificités contemporaines. Il est urgent de restituer aux communautés de chercheurs le contrôle des revues scientifiques, et de destituer l’oligopole de l’édition sur lequel se fondent techniquement et économiquement les politiques d’évaluation actuelles.
Pour procéder à ces réformes, nous nous portons candidats à la présidence de l’institution en charge de définir les normes et les procédures qui régulent, organisent et déterminent la production savante : le Hcéres. Notre candidature collective vise à renouer avec les principes d’autonomie et de responsabilité des savants qui fondent la science. Il ne saurait y avoir d’administration distincte dotée d’un « président » pour superviser ces pratiques : c’est l’ensemble du corps savant qui doit présider à l’évaluation qualitative de sa production.
Sans recherche autonome, nous n’avons pas d’avenir.
Cent premiers participants à la candidature collective, sur 5418
Emmanuel Agullo, informatique, INRIA | Bruno Andreotti, physique, Université Paris 7 | Dominique Archambault, informatique, Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis | Pierre Arnoux, mathémathiques, Aix-Marseille Université | Isabelle Backouche, histoire, EHESS | Anne-Sophie Beignon, biologie, CNRS, CEA/INSERM/Univ. Paris-Saclay | Olivier Berné, astrophysique, CNRS, Observatoire Midi-Pyrénées | Bertrand Binoche, philosophie,Université Paris 1 | Yann Bisiou, droit privé, Université Paul Valéry – Montpellier 3 | Alexis Blanchet, sciences de l’information et de la communication, Université Sorbonne nouvelle Paris 3 | François Bon, archéologie, Université de Toulouse Jean Jaurès | François Boulogne, physique, CNRS, Université Paris-Saclay | Catherine Bourgain, génétique humaine, INSERM | Guillaume Bridet, lettres, Université de Bourgogne | Mathieu Brunet, lettres, Université d’Aix-Marseille | Yann Bugeaud, mathématiques, Université de Strasbourg | Mathilde Carpentier, bioinformatique, Sorbonne Université | Antoine Chambert-Loir, mathématiques, Université de Paris | Francis Chateauraynaud, sociologie, EHESS | Guillaume Coqui, philosophie, université de Bourgogne | Fanny Cosandey, histoire, EHESS | Sandrine Costamagno, archéologie, CNRS, Université Toulouse Jean Jaurès | François-Xavier Coudert, chimie, CNRS | Françoise Crémoux, études hispaniques, Université de Paris 8 | Gabriella Crocco, philosophie, Université d’Aix-Marseille | Pascal David, physique, Université Paris Diderot | Steeves Demazeux, philosophie, Université Bordeaux-Montaigne | Pascale Dubus, histoire de l’art, Université Paris 1 | Sébastien Dutreuil, philosophie, CNRS, Centre Gilles Gaston Granger. | Florence Elias, physique, Université de Paris | Marianne Elias, biologie evolutive, CNRS, Paris | Estelle Forey, écologie, Université de Rouen | Jean-Louis Fournel, études italiennes/histoire de la pensée politique, Université de Paris 8 | Sara Franceschelli, épistémologie, ENS de Lyon | Claudia Fritz, acoustique, Sorbonne Université et CNRS | Nelly Frossard, pharmacologie, Université de Strasbourg | Fanny Gallot, historienne, Université Paris Est Créteil. | Jean-Luc Galzi, pharmacologie, Université de Strasbourg | Stéphane Gançarski, informatique, Sorbonne Université | Laurence Giavarini, lettres, Université de Bourgogne | Pierre Gilliot, physique, Université de Strasbourg | Julien Gossa, informatique, Université de Strasbourg | François Graner, physique, Université de Paris Diderot | Elie Haddad, histoire, CNRS/ EHESS | Jacques Haiech, biologie, Université de Strasbourg | Hugo Harari-Kermadec, économiste, ENS Paris-Saclay | Sarah Hatchuel, cinéma et audiovisuel, Université Paul Valéry Montpellier III | Myriam Housssay-Holzschuch, géographie, université Grenoble-Alpes | Philippe Huneman, philosophie, CNRS/Paris I | Yacine Iklef, physique, CNRS / Sorbonne Université | Sabina Issehnane, économie, Université Paris Diderot | Vincent Jacques, physique, Université Paris Saclay | Sophie Jallais, économie, Université Paris 1 | Chantal Jaquet, philosophie, Université Paris 1 | Philippe Jarne, écologie & évolution, CNRS, Montpellier | François Jarrige, histoire, Université de Bourgogne | Solenne Jouanneau, science politique, IEP de Strasbourg | Arne Keller, physique, Université Paris Saclay | Benoît Kloeckner, mathématiques, Université Paris-Est Créteil | Joël Laillier, sociologie, Université d’Orléans | Jérôme Lamy, histoire et sociologie, CNRS, UT2J | Sylvain Laurens, sociologie, EHESS | Guillaume Lecointre, systématique, Muséum national d’Histoire naturelle | Jacques Le Bourlot, physique, Université Paris-Diderot & Observatoire de Paris | Nathalie Lidgi-Guigui, sciences des matériaux, Université Sorbonne Paris Nord | Olivier Long, arts plastiques, Université Paris 1 | Jean-Marie Maillard, physique, CNRS et Sorbonne Université | Corinne Maitte, histoire, Université de Marne-la-Vallée | Christine Marcandier, lettres, Aix-Marseille Université | François Marchal, paléoanthropologie, CNRS, AMU, EFS | Christophe Martin, Littérature, Sorbonne Université | François Massol, écologie, CNRS | Hélène Michel, science politique, Université de Strasbourg | Monica Michlin, études américaines contemporaines, Université Paul Valéry Montpellier 3 | Christophe Mileschi, études italiennes, Université Paris Nanterre | Pérola Milman, physique, CNRS/Université de Paris. | Guillaume Miquelard-Garnier, science des matériaux, Conservatoire National des Arts et Métiers | Pierre-Yves Modicom, linguistique germanique, Bordeaux-Montaigne | François Munoz, écologie, Université Grenoble-Alpes | Magali Nachtergael, lettres, Université Sorbonne Paris Nord | Antonine Nicoglou, philosophie, Université de Tours | Christine Noille, lettres, Sorbonne Université | Georges Orfanoudakis, biologie, Université de Strasbourg | Hervé Perdry, génétique humaine, Université Paris-Saclay | Joël Pothier, bioinformatique, Sorbonne Université | Emmanuelle Porcher, écologie, Muséum national d’Histoire naturelle | Dominique Pradelle, philosophie, Sorbonne Université et CNRS | Sophie Rabau, littérature générale et comparée, Université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle | Christelle Rabier, histoire des sciences et des techniques, EHESS | Bertrand Rémy, mathématiques, École polytechnique | Frédéric Restagno, physique, CNRS et Université Paris-Saclay | Emmanuelle Rio, physique, Université Paris-Saclay | Dinah Ribard, histoire, EHESS | Antoine Roullet, histoire, CNRS | Marine Roussillon, lettres, Université d’Artois | Sophie Sacquin-Mora, biochimie, CNRS | Arnaud Saint-Martin, sociologie, CNRS | Johanna Siméant-Germanos, science politique, ENS | Barbara Stiegler, philosophie, Université Bordeaux Montaigne | Isabelle Théry-Parisot, bioarchéologie, CNRS, Université Côte d’Azur | Christian Topalov, sociologie, EHESS | Jean-Louis Tornatore, anthropologie, Université de Bourgogne | Nicolas Valdeyron, archéologie, Université Toulouse Jean Jaurès | Boris Valentin, archéologie, Université Paris 1 | Franck Varenne, philosophie, Université de Rouen | Nicolas Verzelen, mathématiques, INRAE | Guy Zuber, chimie, Université de Strasbourg.