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Martingale

« Dans une période où le doute sceptique s’est installé dans le monde, où, aux dires d’une bande de salauds, il n’est plus possible de discerner le sens du non-sens, il devient ardu de descendre à un niveau où les catégories de sens et de non-sens ne sont pas encore employées. »

Frantz Fanon

 

Après l’annonce du prochain séminaire Politique des Sciences sur l’actualité de la recherche sur l’extrême droite, ce billet reviendra sur une année de réveil collectif de la communauté universitaire face aux attaques sans précédent dont elle est l’objet. En réponse, en France, les pouvoirs ont adopté une tactique de communication marquée par l’apparence d’un lâcher-prise suivi par le redoublement des offensives. Il est temps pour l’Université et la recherche de renverser cette logique délétère et de se donner les moyens d’une refondation dont les rencontres ASUR des 16 et 17 juin marquent le premier acte. Nous vous invitons à nouveau vivement à y participer.

Séminaire Politique des Sciences

Après deux séances consacrées en janvier aux ouvrages récents d’Estelle Delaine, Michel Feher et Quinn Slobodian, et en mai, aux travaux de Nonna Mayer et Cécile Alduy, une troisième séance du séminaire Politique des Sciences sur l’actualité de la recherche sur l’extrême-droite et l’autoritarisme aura lieu

le 25 juin 2025 de 17h à 20h à l’Université Paris Cité,
Salle 229 du Campus Saint-Germain-des-Prés
45 rue des Saints-Pères 75006 Paris.

En distanciel :
https://u-paris.zoom.us/j/82535448590?pwd=RF8focVaQnF8wLbF3B5i4Lk4t4fHiV.1


Marlène Benquet, directrice de recherche au CNRS et membre de l’Irisso :

La finance autoritaire.

Sylvie Laurent, maîtresse de conférences à Sciences Po :

La contre-révolution californienne.

Mark Fortier, sociologie, membre de l’équipe éditoriale de Lux :

Devenir fasciste. Ma thérapie de conversion

Le séminaire reprendra à l’EHESS à la rentrée, sur une base mensuelle.

 

« Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. »

Aimé Césaire

 

La martingale politique

L’année scolaire qui se termine a été marquée par l’effondrement démocratique aux Etats-Unis. De manière moins spectaculaire, les atteintes à la liberté académique se sont multipliées dans tous les pays occidentaux et l’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche s’est érodé. La France ne fait pas exception, avec ses 1,5 milliards d’euros de baisse des crédits pour charge de service public, une fois corrigés de l’inflation, auxquels il faut déjà ajouter 1,6 milliards d’euros d’annulations de crédits pour 2025.  Le 11 juin, la sénatrice Vanina Paoli-Gagin, rapporteure spéciale des crédits de l’enseignement supérieur, a explicité l’évidence : la mise en déficit volontaire des universités est destinée à promouvoir l’augmentation des frais d’inscription — l’étape ultime des transformations prévues par Aghion et Cohen dans leur rapport de 2004.

La virulence des attaques aux Etats-Unis a participé cette année d’un réveil des consciences, modeste encore, parmi les universitaires et les chercheurs. Il convient de relativiser les victoires obtenues. Antoine Petit a ainsi récemment assuré les présidentes et présidents de section du CNRS que “les KeyLabs étaient une connerie” et qu’ils étaient déjà tombés dans l’oubli. Mais, dans le même temps, nous recevions un “tombé du camion” issu du cabinet ministériel alertant sur le retour programmé des KeyLabs sous un nouveau label.

Concernant la suppression du Hcéres, le vote en Commission Mixte Paritaire (CMP) est repoussé à la rentrée parlementaire d’automne — à moins qu’une nouvelle dissolution n’en interrompe l’examen. Les parlementaires des commissions économiques qui composent cette future CMP entendent supprimer un tiers des agences — donc le Hcéres, qui n’a de soutien qu’au sein de la bureaucratie. Mais plusieurs de ces parlementaires appellent aussi publiquement à supprimer les organismes nationaux de recherche, en particulier le CNRS — conformément, là encore, aux transformations prévues par Aghion et Cohen dans leur rapport de 2004. Qu’est-il advenu des promesses de réformes du Hcéres émises en chœur au sein de la bureaucratie de l’Université et de la recherche au début de l’année, devant la colère de la communauté universitaire? Rien, bien sûr. Sitôt la pression retombée, il a été argué qu’alléger l’évaluation des formations nécessiterait une réforme du code de l’éducation pour ne surtout rien faire. 

Voilà ce qu’écrivaient déjà C.Villani et ses cosignataires dans une tribune d’allégeance à la candidature de M. Macron, il y 8 ans: « Oui, il faut améliorer la procédure d’évaluation du HCERES et celle de l’attribution du CIR, dispositif fiscal dont l’efficacité laisse actuellement à désirer. Oui, certaines universités connaissent toujours précarité financière et souffrance administrative. Oui, il faut réaffirmer encore et toujours l’importance de la recherche fondamentale, des crédits de fonctionnement récurrents, et travailler à simplifier la vie des enseignants-chercheurs. Nous avons encore tant de progrès à faire ! »

21 ans ont passé depuis que le processus de paupérisation, de bureaucratisation et de précarisation a été théorisé. Chaque contestation a produit un recul de façade, avec digestion et appropriation du vocabulaire critique : la liberté académique a désormais remplacé l’excellence dans les discours officiels, pour promouvoir les politiques publiques qui la piétinent. Chaque pan des réformes temporairement abandonné revient en étant redoublé. Tant que la communauté académique ne se saisira pas du travail de refondation de l’Université et du système de recherche, la martingale demeurera.

« Nous menons encore et toujours les mêmes batailles, elles ne sont jamais gagnées une fois pour toutes, mais en luttant ensemble, en communauté, nous apprenons à entrevoir de nouvelles possibilités qui, autrement, n’auraient jamais été visibles à nos yeux. En même temps nous étendons et élargissons notre conception de la liberté. »

Angela Davis

Programme du premier atelier de l’Agora Sciences Université Recherche (ASUR)

L’Agora Sciences Université Recherche (ASUR) est un nouveau réseau de réflexion non partisan, issu de la communauté de l’Université et de la recherche. Il se donne comme objectif de produire une vision renouvelée de l’Université et de la recherche, de ses missions, de ses institutions et de ses procédures. Il mène une réflexion intellectuelle, politique et législative sur le système scientifique et universitaire à construire dans la décennie qui vient. ASUR tiendra sa réunion fondatrice les 16 et 17 juin sur le site des Cordeliers de l’Université Paris Cité.

Le programme du premier atelier d’ASUR est désormais en ligne:

https://agorasur.fr/colloque/

ASUR compte un peu plus de 350 inscrits mais, tout le monde n’étant pas présent aux deux journées, l’inscription demeure possible sur la page d’accueil du site. Le travail se poursuivra avec des outils collaboratifs en ligne jusqu’à l’automne.