« Moratoire » — Vaste programme !
« Une aube apparaît, elle est encore bien grise. »
Geneviève de Gaulle Anthonioz
Le succès de la motion de défiance, qui a passé les 11 000 signatures, et des deux rassemblements du 27 janvier constituent un signe indicatif de ce que la communauté académique a les ressources pour sortir de la stupeur et de l’accablement et se mettre au travail pour rouvrir l’avenir. Nous avons, lors des billets précédents, replacé la réforme des KeyLabs dans le continuum de réformes à 20 ans et montré en particulier comment elle s’articule avec le projet de « Loi relative aux libertés et responsabilités des universités » (LRU) 2.0, baptisé par antiphrase « second volet de l’autonomie », qui suppose la mise en crise budgétaire de l’Université et le démantèlement du CNRS par sa transformation en agence de programmes. Concernant le moratoire sur les KeyLabs annoncé cette semaine, nous pouvons tenter de formuler une analyse en réduisant les différentes étapes du raisonnement à leurs 25% les plus significatifs. Et de fait, il se pourrait bien qu’exceptionnellement, cela suffise :
Udice
Démantèlement du CNRS
Captation du budget et des stars de la recherche
Passage en force estival
Sidération
Le cœur de ce billet porte sur une proposition de réappropriation collégiale des principes qui doivent définir ce qu’est un « bon laboratoire » et sur un message de solidarité à l’égard de nos collègues vivant aux États-Unis.
Nous apportons, sur une page séparée, une série de compléments d’information et d’analyse destinés à celles et ceux qui ont le goût des argumentaires complets ou auraient raté des épisodes :
- Mobilisation : Préférer la reconstruction collective aux ingérences solitaires
- Moratoire et porte-au-nez : la chronologie des faits
- Pour quelques KeyLabs de plus : le moratoire est une accélération
- Enfumage budgétaire
- Courte histoire de la mise au pas des laboratoires par des labellisations
« On ne se bat bien que pour les causes qu’on modèle soi-même et avec lesquelles on se brûle en s’identifiant. »
René Char
Instituer le label C-Lab pour certifier la collégialité, l’intégrité, l’éthique et la liberté des labos
Pour favoriser une réappropriation collective de nos laboratoires, nous invitons la communauté à réfléchir aux principes qui définissent un « bon laboratoire », de façon à déboucher sur un label volontaire d’intégrité et de collégialité : C-Lab.
Le point de départ de cette démarche est le respect des principes qui fondent l’Université moderne, entendue dans son sens le plus large, qui recouvre bien sûr les organismes de recherche : la communauté de pratique qui fédère des lieux d’interrogation et d’élaboration rationnelle illimitée, des lieux où les connaissances scientifiques et techniques se créent, se transmettent, se conservent et se critiquent, dans et par l’exercice de la dispute raisonnée.
Bien sûr, tout ceci implique de se détourner du personal branding et des Ego Labs stimulés par la course aux ERC, et de refuser la précarité croissante qui fragmente les collectifs : nous devons réapprendre à dire « Nous ». Ce « Nous » de la communauté académique doit transcender à la fois le carriérisme et les légitimes passions individuelles. Il s’exprime dans la circulation de l’information, la coopération entre personnes, entre unités de recherche, entre disciplines, entre lieux géographiques, entre pays. C’est d’abord ce « Nous » que nous entendons dans la clameur qui dit « Nous ne voulons pas des Keylabs. » C’est aussi ce « Nous » qui se donne à voir dans les centaines d’articles cosignés par Camille Noûs ou, plus discrètement, attribués au laboratoire Cogitamus. Ce « Nous » ne revendique pas une liberté abstraite et irresponsable : la liberté académique est une liberté positive.
Depuis le travail de théorisation auquel se livra Humboldt au début du 19ème siècle, on sait que la liberté académique s’organise dans des espaces soumis aux normes de probité et de rigueur que la communauté des pairs choisit de se donner, et qu’elle renégocie perpétuellement, à l’abri de l’ingérence de tous les pouvoirs. Ce que ne disait pas Humboldt et qu’il nous faut ajouter, c’est que cette liberté passe aussi par un statut uniformément protecteur. Cette autonomie procède directement de la responsabilité du monde savant devant la société : aucune organisation collective de la liberté n’est possible si les espaces dédiés à la poursuite de la vérité et à la production et à la diffusion des connaissances et des techniques sont bridés dans leur fonctionnement par des contraintes exogènes ou des intérêts particuliers.
Intégrité scientifique, autonomie statutaire et financière vis-à-vis de tous les pouvoirs, responsabilité démocratique accrue en contexte de crise environnementale : ce triptyque servira de base à la création du label C-Lab, qui pourra être attribué aux laboratoires s’engageant à respecter une charte issue de la consultation la communauté savante. Cette attribution ne saurait être le fait d’un comité théodule coopté : elle devra reposer sur la libre souscription à la charte des C-Labs.
(cliquez pour déplier).
Ce label fonctionnera également comme une contre-attaque au concept de KeyLabs : l’heure n’est plus seulement à s’opposer, mais à construire et à déterminer collectivement quelles sont nos aspirations. Au-delà de la contre-attaque, nous voulons donc dessiner un horizon alternatif crédible, débarrassé des impératifs quantitatifs imposés par la bureaucratie.
« Ce que le fascisme haït plus que toute autre chose : c’est l’intelligence ; le fascisme on le soigne en lisant, et le racisme en voyageant. »
Miguel de Unamuno
En soutien aux collègues des États-Unis
Vous pouvez signer la lettre de soutien ci-dessous à l’adresse suivante :
https://rogueesr.fr/in-solidarity/
Dear Colleagues in the USA,
We wish to express our unwavering support for you during these alarming times. From our positions as researchers and academics in Europe, we are observing with dismay the takeover of the federal government by Mr. Musk and Mr. Trump. They appear intent on dismantling democratic institutions and regulatory bodies, particularly in the realms of health, environment, and climate.
Far more so than during the first term, the initial decisions of the Trump administration have exerted an immediate and profound impact on research within the United States. Hiring, travel, grant evaluation committees, equipment purchases, and virtually all activities that make research possible have either been frozen or are at risk of being frozen, creating significant uncertainty.
The disruptions will have lasting effects on research in the United States. As John Holdren, the former U.S. science adviser, noted, “If somehow they get away with this, the disruption is almost incalculable.”
Hundreds of scientists have organized rallies and called on elected officials to reverse these decisions. The resilience and dedication of the scientific community are evident. Your work is vital for the creation, dissemination, and critique of knowledge on a global scale; it will represent an essential contribution to the broader project of rebuilding a democratic future based on self-determination.
Please be assured that we stand in solidarity with you and are willing to help in your actions to defend democracy, academic freedom, science, and scientific research.
In solidarity,
[Your name]
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