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Que faire ? Analyse, critique, stratégie et tactique

Vous avez été 5418 à soutenir la candidature collective à la présidence du Hcéres, et près de 1 400 à effectivement envoyer votre dossier.

Il faut désormais faire pression sur le ministère pour obtenir une procédure d’évaluation transparente de ces candidatures, conforme aux exigences portées par le monde savant. Une opération symbolique de jet de rapports d’évaluation de toutes natures est organisée sur l’esplanade Vidal Naquet du campus de Paris Diderot (Paris 13ème), ce jeudi 30 janvier à 14h.

L’évènement sera à populariser par le hashtag: #BalanceTonRapport. Venez nombreux !

Jeudi 30 janvier, de 17 à 21h, en salle Lombard de l’EHESS (96 bd Raspail, à Paris), une séance exceptionnelle du séminaire Politique des Sciences est organisée. Elle sera consacrée à l’analyse stratégique de la situation. Vous trouverez les résumés des exposés ci-dessous.

Comment nous ressaisir collectivement de nos métiers ? Comment engendrer des transformations des institutions de recherche et de formation conformes aux exigences de la pensée scientifique ? Comment mettre fin à une période de reprise en main du monde savant et de précarisation ? Nous avons donc convié plusieurs collectifs et associations (AFS, ASES, Facs et labos en lutte, Groupe Jean-Pierre Vernant, RogueESR, Sauvons l’Université), ainsi que des figures du mouvement syndical, pour mettre en commun analyses, critiques et propositions stratégiques. QSF a décliné notre invitation. Il sera question de rassembler nos connaissances sur le projet de loi programmation pluriannuelle pour la recherche (LPPR), son calendrier et ses modalités d’adoption (cavaliers législatifs, ordonnances, 49.3, loi). Par ailleurs, la question se pose de déployer une réflexion collective qui se saisisse des problèmes réels du système d’enseignement supérieur et de recherche.

Johanna Siméant introduira le principe du séminaire Politique des sciences (PdS) et l’objet de cette séance particulière.

I. Analyses

Une perspective historique sur les problèmes de l’Université et de la recherche.

Bruno Andreotti, Université Paris 7

L’histoire ne fonctionne pas seulement comme un réservoir de possibles ; elle structure le présent et l’avenir. L’histoire sociale, politique et institutionnelle de l’Université permet de mettre à jour quelques problèmes globaux qui se posent à notre époque, ainsi que quelques particularismes du système français. Les institutions d’enseignement et de recherche français sont à bien des égards marquées par le modèle napoléonien, fondé sur le Lycée, sur le concours, sur des écoles professionnelles et sur la concentration parisienne. Pendant le même temps, en Allemagne, s’inventait l’Université moderne, humboldtienne, fondée sur la création, la transmission, la conservation et la critique des savoirs, ainsi que sur l’autonomie du savant vis-à-vis de tous les pouvoirs dont l’exercice  de la science dépend. Jamais, au cours du XXème siècle, le système universitaire n’a pu être réformé pour en finir avec l’archaïsme hérité du XIXème siècle (1793-1896). À partir des évolutions globales pendant les ères fordiste et néolibérale, je ferai l’hypothèse selon laquelle la spécificité du système français tient à l’incapacité de la communauté savante à constituer un « Nous » susceptible d’instituer un système d’Université et de recherche conforme aux aspirations d’autonomie, d’exigence et de liberté qui fondent la démarche scientifique, et répondant en responsabilité aux grandes crises qui frappent la société contemporaine.

Compétition scientifique internationale : on n’a que ce qu’on paye.

François Métivier, Université de Paris

Nous développons un modèle théorique simple, basé sur l’agrégation de fonctions individuelles de production de connaissances. Ce modèle prédit l’existence d’une loi de puissance stable, qui met en relation la part mondiale de la production scientifique d’un pays avec sa part mondiale d’investissement dans la recherche scientifique. Nous testons cette prédiction, en utilisant des données bibliométriques et financières pour les pays de l’OCDE, sur la période 1996-2015. Notre analyse montre que production et citation ne sont, au premier ordre, que le reflet de l’investissement financier qu’un pays consent à sa recherche.

Une perspective philosophique commune entre la LPPR et Parcoursup. 

Annabelle Allouch, pour l’ASES et Cédric Lomba, pour l’AFS

Malgré sa technicité apparente, la nature des mesures préconisées dans les trois rapports préparatoires (fin du CNU, mise en place de la modulation de service sans accord préalable, des tenure tracks, de CDI de projets, etc.) souligne à quel point il ne s’agit pas d’une réforme isolée, propre au fonctionnement de la recherche ou relevant du seul statut des enseignants-chercheurs. Elle s’inscrit au contraire dans la continuité de toutes les lois précédentes (LRU et ORE en tête) qui ont visé depuis maintenant plus de dix ans à réorganiser l’enseignement supérieur et la recherche et à faire, selon les mots d’Antoine Petit, PDG du CNRS, du darwinisme social et de la compétition de tous contre tous, le principe d’organisation majeur de nos professions, mais aussi comme fil conducteur des parcours de nos étudiant.e.s.

Car dans le cas du réagencement des modes de financement de la recherche comme dans la loi ORE, ce sont les inégalités qui sont érigées non pas comme un dysfonctionnement des services publics ouverts à tous et toutes, mais comme un instrument acceptable et revendiqué de régulation de l’enseignement supérieur et de la recherche.

À partir d’éléments empiriques tirés de recherches en cours sur le fonctionnement et les effets de Parcoursup (notamment mises en œuvre par l’Association des Sociologues de l’Enseignement Supérieur (ASES) et présentés lors des Etats Généraux de l’Association Française de Sociologie (AFS) en Août 2019, mais aussi sur les filières dites sélectives dans le supérieur français et à l’étranger (Grande-Bretagne/USA), on souhaiterait remettre en perspective les logiques institutionnelles de la LPPR (et ses conséquences sociales) et leur lien évident avec la loi de 2018 Orientation et Réussite des Étudiants.

Le calendrier de la LPPR.

Elie Haddad, EHESS-CRH

Il s’agira de faire le point sur ce que l’on sait du calendrier de la LPPR et sur les différents acteurs à l’oeuvre dans la préparation de cette réforme, sur leurs positions, tels qu’on peut les déterminer à travers les grandes orientations des rapports préliminaires à la LPPR remis en septembre à la ministre. Cela permettra de décrypter la stratégie de communication gouvernementale et les annonces faites par Frédérique Vidal ces derniers jours.

Échanges : 30 min.
Pause de 10 min.

II. Stratégies

Quelle stratégie et quelle tactique déployer pour éviter de reproduire les défaites passées ?

Pascal Maillard, Université de Strasbourg

Après quelques rappels théoriques sur le couple notionnel stratégie/tactique et le paradigme oppositionnel dans lequel il s’inscrit (théorie/pratique, pensée/action, temporalité longue/courte), je ferai l’hypothèse que les logiques d’échec des mouvements de lutte dans l’ESR reposent principalement sur trois facteurs :

  1. Des tactiques sans stratégie (spontanéisme, mouvementisme…) et des stratégies sans tactique (idéalisme naïf).
  2. Une méconnaissance des stratégies politiques et des tactiques des différents pouvoirs que les acteurs en lutte doivent affronter (présidences, technostructures, instances universitaires, CPU, ministère, médias…).
  3. Une hétérogénéité des acteurs de l’ESR en lutte (sociologie professionnelle), de leurs intérêts, de leurs objectifs  et de leurs modalités d’action.

Une brève analyse des forces et faiblesses du mouvement de 2009 soulignera le double écueil du refus de la radicalité et du syndrome syndical des fins de grève. Enfin quelques observations sur le mouvement en cours dans l’ESR (acteurs, nouveaux outils et nouvelles formes d’actions, diversité des objets de mobilisation, divergence des stratégies et des objectifs) se prolongeront par quelques questions ouvertes :

  1. Comment conduire une  guerre éclair » pour obtenir le retrait de réformes destructrices (mot d’ordre de 2009 : « L’Université s’arrête ») et œuvrer dans la durée à la reconception et à la (re)-construction de l’Université (exemple de L’Université volante) ?
  2. Quelles stratégies et tactiques inventer pour combattre les inerties et les ravages provoqués par les années post-LRU (individualisme, dépolitisation, servitude volontaire, management autoritaire, crise de la pensée critique…) qui ont conduit à ceci que les premiers agents de la destruction de l’ESR ont été certainement les universitaires eux-mêmes ?
  3. Constatant que l’une des spécificités du mouvement naissant est l’écart qu’il y a entre d’un côté « Fac et Labos en luttes », collectif qui fait de la lutte contre la précarité un axe central des combats à mener, et d’autre part l’expression des sociétés savantes, de directeurs de labos et de certaines organisations syndicales qui soutiennent le principe d’une Loi de programmation pluriannuelle de la Recherche, une question qui se pose est de savoir comment fédérer des acteurs des mobilisations aussi hétérogènes et qui adoptent des formes d’action très différentes.
  4. Ce faisant, l’alternative Coordination nationale des universités / États généraux de l’ESR doit-elle déboucher sur une juxtaposition de ces formes hétérogènes ou bien être dépassée par l’invention d’un nouveau dispositif, à même de rassembler plus largement la communauté d’enseignement et de recherche ?
Le précédent des « États-Généraux » : risques et enjeux.

Jean-Louis Fournel, ENS de Lyon

Les différents moments où furent organisés des « états généraux » ou des « assises » ont en commun plusieurs choses. J’en évoquerai au moins six :

  1. poser le fait que les décisions finales seront fondées sur une consultation, voire sur une mobilisation, de l’ensemble de la communauté universitaire et de recherche, en dépassant le cadre des traditionnelles négociations avec les syndicats comme représentants officiels des collègues et donc en remettant en cause en partie la logique des corps intermédiaires.
  2. partir d’un constat partagé d’une nécessité de changements lourds dans l’ESR et donc d’une forme de crise ou d’insuffisance de l’existant
  3. faire à chaque fois le lien entre trois choses : des réformes d’ordre institutionnel, des revendications concernant le budget et l’emploi scientifique et, à un degré moindre, une réflexion plus large (ou plus vague) sur la place de la science et de la communauté scientifique dans la communauté nationale.
  4. poser comme horizon des décisions réglementaires fortes (en 2004) ou encore le vote d’une nouvelle loi (en prétendant, ou en faisant semblant de vouloir corriger une loi considérée comme dépassée – la loi Faure par exemple ne répondant plus aux logiques de massification de l’ESR – ou comme (tout ou partie) discutable – la loi LRU dont la critique était au coeur de la revendication ou de l’acceptation des assises en 2012 (mais qui est un cas d’école de retournement radical de la perspective de départ, la loi finalement voté ne faisant que renforcer les logiques de la loi précédente et configurant comme nous avons été nombreux et nombreuses à le dire une LRU 2).
  5. s’inscrire soit dans une logique d’alternance politique, supposée ou réelle ce n’est pas mon propos ici, comme en 1981 et 2012 (donc sur une réaction et une prise de position par rapport à la politique des gouvernements précédents), soit sur un mouvement des universitaires (2004 – en l’occurrence l’initiative des DU scientifiques et de l’ultimatum posé en janvier 2004 annonçant les démissions massives à venir faut de décisions sur les budgets, la politique des emplois scientifiques et l’ouverture d’un débat global sur la recherche). On remarquera en passant que si l’autre grand mouvement de l’ESR, celui de 2009, n’a pas donné lieu immédiatement à de telles rencontres (ce n’était pas d’ailleurs pas alors une de nos revendications claires, à tort ou à raison), on peut considérer que, probablement, sans le mouvement de 2009, le lancement des assises de l’ESR en 2012 n’aurait pas été une priorité.
  6. last but not least, laisser au gouvernement le soin de trancher en dernière instance ce qui sera fait et ne sera pas fait (ce qui en soi n’est pas problématique sur le plan institutionnel mais qui pose quand même un double problème d’adéquation des décisions aux préconisations des débats et d’absence de discussion / retour a posteriori du gouvernement auprès de la communauté pour débattre de ce degré d’adéquation).

Cette situation complexe est à l’origine de la plupart des illusions et des manoeuvres associées à ces moments singuliers de mobilisation et d’échanges. Elle explique par exemple et pêle-mêle sans hiérarchisation des questions :

  • une certaine confusion parfois entre positions institutionnelles (internes à l’ESR ou gouvernementales) et positions militantes – la constitution du comité d’initiatives et de propositions en 2004 en étant une illustration.
  • l’absence quasi totale de maîtrise par les mouvements de l’ESR du calendrier et du résultat final
  • la manipulation des revendications et des constats partageables conduisant à légitimer des décisions d’un autre ordre.
  • l’intervention, parallèlement aux travaux des rencontres citées, d’élaborations conçues dans d’autres espaces à savoir les cabinets ministériels (ce qui est attendu et même compréhensible) mais aussi et surtout la CPU qui dans les quinze dernières années a revendiqué, hélas avec succès, un statut différent, ce qui l’a conduit à inspirer et à co-porter les différentes réformes et a conduit la plupart des présidents à se présenter toujours moins comme des élus et donc des représentants d’une communauté universitaire et toujours plus comme des rouages d’un système de direction de l’ESR (ce que dans notre jargon nous nommons « managérial »).
  • le détournement de certaines propositions pour justifier des réformes systémiques dont les effets à long terme sont lourds pour l’ESR ; dans cette affaire, les deux exemples bien connus sont ceux de la création en 2006 des agences nationales dont la place et le rôle ne cessent de croître dans l’ESR (ce dont les textes préparatoires à la LPPR se font largement l’écho) : en effet, l’utilisation du discours sur l’intérêt d’une évaluation régulière de la recherche a étayé la création de l’AERES en 2006 et celui sur la nécessité d’une souplesse plus grande des financements pour la recherche a été utilisée pour la création de l’ANR, et donc pour légitimer le déséquilibre croissant entre crédits récurrents et crédits dépendant d’appels à projets ; mais on ne doit pas oublier l’acceptation voire la préconisation des pôles de recherche qui va déboucher sur les PRES, antichambre des COMUE et des fusions et de la logique des « masses critiques » et des classements internationaux. Ces détournements peuvent aussi prendre la forme d’une modification cosmétique et purement nominale pour faire semblant d’écouter les revendications les plus fortes (on pourrait citer le passage de l’AERES ou HCERES après les assises de 2012).
Une candidature collective à la présidence de l’HCERES, pour rompre la clôture du sens.

Laurence Giavarini, Université de Dijon

Par son ampleur (5418 participants dont 1 370 candidatures effectives) et son écho, la candidature collective à la présidence du HCERES a donné une visibilité et un sens remarquable à ce qui pouvait passer d’abord pour une « grosse blague » : réaffirmer les valeurs fondatrices du monde savant pour recréer un « Nous » et retourner humoristiquement ses propres armes contre la bureaucratie. Il s’agira d’expliciter la visée stratégique de cette action, en pointant les surprises et les bénéfices inattendus ou inespérés.

Comment poursuivre ce travail transpartisan de création et d’auto-institution d’un système d’enseignement et de recherche conforme non seulement aux aspirations de ceux qui exercent les métiers d’universitaires, de chercheurs comme des personnels techniques (Biatss, ITA, etc) mais capable de (re)politiser la profession et d’inventer les normes d’une recherche capable de répondre aux défis du présent et de l’avenir.

La coordination des 1 et 2 février.

Gilles Martinet, Mina Kleiche et Hugo Harari-Kermadec

Il s’agira de relater les expériences de Facs et labos en lutte, puis d’expliquer le principe et la visée stratégique de la Coordination Nationale qui se tiendra à la bourse du travail de Saint-Denis, les 1 et 2 février.

Échanges centrés sur les perspectives : 60 min.

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