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Appel à propositions pour 2022 : quelle Université et quel système de recherche voulons-nous ?

À l’occasion de la loi de programmation de la recherche (LPR) comme de la crise sanitaire, nous avons pu constater l’absence de relais de la communauté universitaire au sein de la sphère décisionnaire. Les programmes électoraux pour la présidentielle 2022 seront arrêtés dans quelques mois et il nous revient d’être des acteurs du débat public. Si nous ne faisons rien, l’Université et la recherche, le savoir et la science, risquent d’être absents des questions politiques.

Si c’est le cas, les programmes électoraux se contenteront de formulations ambiguës cachant mal la prochaine vague de contractualisation, de dérégulation et de bureaucratisation autoritaire. Autre danger : qu’une poignée de propositions, en se fondant sur des analyses biaisées des dysfonctionnements de la recherche liés à la crise Covid, ne vienne une fois de plus travestir le soutien à l’innovation privée comme un investissement dans la recherche publique. De façon générale, la sphère technocratique ne manquera pas de faire passer ses idées aux principaux candidats.

Pour reprendre la main sur l’agenda politique, la communauté académique doit donc se constituer en groupe de pression transpartisan. Pour ce faire, nous proposons de travailler en trois étapes :

  • Collecter un ensemble de points programmatiques dans un format imposé (un titre de moins de 150 caractères suivi d’un paragraphe de développement de 1 250 caractères maximum, espaces compris). Vous êtes invités à envoyer vos contributions d’ici au 24 mai 2021 à cette adresse : contactrogueesr.fr. Le paragraphe doit s’adresser aux citoyens plutôt qu’à la communauté académique. Si vous le souhaitez, vous pouvez également utiliser la fonction « commentaires » (bouton « view comments ») en bas de ce billet. À titre d’exemple, nous avons listé ci-dessous une première série de propositions tirées de nos précédents travaux et auxquelles nous vous invitons à joindre les vôtres. Les propositions doivent être constructives et porter sur un point précis, en s’abstenant de commentaires critiques généraux sur la politique suivie depuis deux décennies. Elles peuvent évidemment être des amendements d’autres propositions ou des contre-propositions sur un même thème.
  • Durant la première quinzaine de juin, nous vous proposerons de voter pour hiérarchiser les propositions collectées. Nous appellerons alors la communauté académique, au sens large, à fixer elle-même les priorités programmatiques à défendre. La représentation statistique du vote sera déterminante. Nous réaliserons une synthèse des propositions mi-juin.
  • Les propositions les plus soutenues feront l’objet d’un chiffrage budgétaire rigoureux puis seront portées auprès des candidats et de leurs partis. Nous demanderons aux équipes de campagne une réponse écrite concernant l’intégration de chacun des points dans leur plateforme programmatique. Nous rendrons publiques toutes les réponses reçues.

Nos pré-propositions pour 2022

I. Des garanties légales pour une Université et une recherche au service de l’intérêt général 

1. Garantir juridiquement l’autonomie de la recherche vis-à-vis des pouvoirs politique, économique et religieux

Le principe d’indépendance de la recherche et de l’enseignement figure dans le bloc de constitutionnalité par le biais de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. Les remises en cause récentes de la liberté académique par le pouvoir politique, le dévoiement de cette notion dans le débat public mais aussi l’érosion de son contenu concret et positif sous l’effet des réformes de ces vingt dernières années, sont le signal de l’insuffisance de cette garantie jurisprudentielle. Le principe d’indépendance qui constitue le socle de la liberté académique doit donc faire l’objet d’une définition en droit positif, qui soit intégrée au bloc de constitutionnalité. Cette garantie juridique devra apporter aux universitaires et chercheurs une protection comparable à celle dont doivent bénéficier les lanceurs d’alerte. Elle ne saurait en outre être séparée de garanties statutaires et salariales, faisant à nouveau de l’emploi titulaire la norme de nos métiers.

2. Une Université et une recherche aptes à faire face aux crises économique, écologique et démocratique

Les politiques universitaires des gouvernements successifs reposent sur le principe d’un lien entre formation supérieure, qualification, productivité, croissance et emploi. Ce principe, aujourd’hui, n’est plus tenable. Les mutations économiques modifient les besoins de main-d’oeuvre et induisent un chômage structurel de masse ; l’urgence environnementale impose de revoir les modes de production et de création de valeur ; la crise démocratique, enfin, est alimentée par un début de stagnation éducative, avec des taux de bacheliers et de diplômés du supérieur dans une tranche d’âge qui ne progressent plus depuis une décennie. Les priorités de l’Université doivent donc être repensées pour faire une place plus juste à l’émancipation citoyenne, afin de former des groupes et des individus capables d’affronter cette triple crise à laquelle nous faisons face. Les missions officielles de l’Université doivent être expressément adaptées à cette situation. Une réorganisation humaine, budgétaire et administrative doit être entreprise autour de quelques piliers : fonctionnement en réseau, modes de financement incitant à la coopération, création d’établissements expérimentaux, garanties statutaires et matérielles d’autonomie académique et étudiante.

II. Une nouvelle organisation administrative et territoriale de la recherche

3. Réorganiser l’Université et la recherche par réticulation plutôt que par concentration, selon un modèle polycentrique

La « politique d’excellence » consiste à ne donner les moyens de travailler qu’à une fraction de la communauté académique, définie par quotas. Cette politique a engendré le décrochage qu’elle prétendait juguler : la concentration des moyens dans quelques pôles est une absurdité géographique, économique et scientifique. La fragmentation du paysage universitaire, combinée à l’autonomie budgétaire, est préjudiciable à la diversité de l’enseignement et de la recherche. La réorganisation de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) doit se faire en orientant les flux humains et budgétaires selon un modèle polycentrique fondé sur un nouveau type d’institutions : des réseaux valorisant les interactions. Pour cela, nous avons besoin d’un plan national de recrutement établi selon un principe de maillage scientifique national. D’un point de vue matériel et immobilier, il faut aménager de nouvelles infrastructures numériques et immobilières pensées pour favoriser l’émergence de ce modèle polycentrique. Enfin, le mode d’allocation des crédits de recherche doit être revu pour favoriser la coopération, et non le chacun pour soi (voir nos propositions au point III).

4. Créer cinq universités expérimentales dans des villes de taille moyenne

Retrouver une ambition d’émancipation intellectuelle pour la jeunesse demande de lancer au plus vite la construction de cinq universités expérimentales de taille moyenne, réparties à travers le territoire et installées dans des villes moyennes disposant déjà de locaux vacants appartenant à l’État. Ces établissements devront être dotés de résidences universitaires en quantité importante, intégrées dans le tissu urbain. L’objectif n’est pas tant de construire des « universités de proximité » destinées à absorber ce choc démographique, que d’inventer des espaces inaugurant un nouveau rapport de l’Université à la ville, incluant des havres de sociabilité étudiante, des programmes disciplinaires et interdisciplinaires neufs et une formation scientifique de pointe pour toutes et tous, à même d’irriguer le système universitaire français, voire européen.

5. Rénover l’immobilier universitaire

Le parc immobilier universitaire est vétuste : passoires thermiques, locaux dégradés, ventilation déficiente, etc. L’investissement planifié doit être une occasion de développer par l’expérimentation de nouvelles techniques de rénovation, d’isolation thermique, de qualité d’air et de qualité de vie étudiante. La doctrine des universités « de proximité », fondée sur l’idée d’un hébergement des étudiantes et des étudiants dans leurs familles, n’a pas tenu ses promesses. L’émancipation suppose de sortir de son milieu familial, pour vivre une vie d’étudiant. Il faut dès aujourd’hui programmer pour les décennies qui viennent, des logements universitaires inscrits dans le paysage urbain, accessibles financièrement et environnés de lieux de vie culturelle, associative et festive, plutôt que les actuels blocs d’immeubles disséminés dans des campus excentrés. Ces quartiers à remodeler doivent être, là encore, l’occasion d’audaces architecturales et urbanistiques. L’université a vocation à être un objet de recherche et un lieu d’expérimentation pour juguler les crises sociale, environnementale et démocratique. 

III. Les conditions matérielles et statutaires de la liberté académique

6. Allouer l’essentiel des moyens de recherche de manière récurrente, selon une grille disciplinaire, pour tirer le meilleur de l’existant

Le système de financements par appels à projets a tiré la science française vers le bas : en généralisant le recours à des moyens non-pérennes, il favorise les effets de mode, et contribue à l’augmentation des méconduites scientifiques. Il met en compétition des scientifiques dont l’intérêt serait de coopérer. Il institutionnalise une précarité préjudiciable à la recherche de la vérité. Nous proposons de remplacer les agences de moyens par un système fondé sur l’octroi d’une dotation budgétaire par tête (esquisse formulée ici). En 2021, le milliard de l’ANR aurait permis une dotation de 15 k€ par chercheur titulaire (équivalent temps plein). Cette dotation individuelle devrait être allouée selon une grille disciplinaire adaptée à la diversité des besoins, à partir d’une enveloppe globale augmentée. Une fraction de cette dotation sera placée dans une banque de moyens administrée par les pairs, afin de financer les projets de coopération. Ce dispositif pourra être complété par des réseaux de recherche thématiques sur des questions jugées prioritaires et demandant des moyens supplémentaires.

7. Réaffirmer les garanties statutaires d’une recherche et d’une formation universitaire exigeantes

Vingt ans de contractualisation et de bureaucratisation ont hypothéqué les conditions humaines d’une recherche et d’un enseignement autonomes et de qualité. Cela se manifeste par l’inadéquation entre les missions de l’Université et de la recherche et le nombre et le statut des agents dont elle dispose. On observe notamment une rotation vertigineuse des jeunes chercheurs non-titulaires, qui va de pair avec une déperdition des savoir-faire et une grande précarité intellectuelle et matérielle. En outre, souvent, des qualifications sont utilisées à contre-emploi. Trop souvent, le seul bénéficiaire des garanties d’indépendance statutaire est en fait un manager de laboratoire déconnecté de la pratique quotidienne de la recherche. Pour retrouver les moyens de l’exigence et garantir la transmission de l’expérience, il faut procéder à un recrutement massif d’ingénieurs et de techniciens titulaires dans les laboratoires. De même, l’indépendance, l’intégrité et la qualité de la recherche, comme la continuité des enseignements, nécessitent des chercheurs et enseignants-chercheurs titulaires.

8. Débureaucratiser la recherche et l’enseignement supérieur

La professionnalisation des fonctions de direction est la cause essentielle de la dépossession des scientifiques et des universitaires de leur métier, et contribue à saper la qualité de l’enseignement et de la recherche. Pour y mettre un terme, l’ensemble des mandats de direction dans les établissements et organismes doivent être non-renouvelables consécutivement. Un délai de réserve de cinq ans doit être observé après l’exercice d’une charge importante, comme un poste dans une équipe présidentielle universitaire ou la direction d’un institut du CNRS. Durant ce délai, aucune haute responsabilité administrative ne doit être autorisée, pas plus qu’une nomination dans une haute administration liée à l’ESR (Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, rectorats, directions générales, présidence d’une autorité administrative). Les personnes concernées pourront bénéficier, dans l’année qui suit la fin de leur charge, d’un congé ou d’un temps partiel qui leur permettra de retrouver le niveau scientifique nécessaire à l’exercice de leur métier.

IV. Retrouver la pratique de la dispute collégiale

9. Organiser la dispute scientifique pour renouer avec une recherche et un enseignement exigeants, originaux et intègres

Seule la pratique de la dispute collégiale garantit l’exigence intellectuelle et déontologique en matière de production, de critique et de transmission des savoirs. Les dispositifs institutionnels qui vident cette pratique de sa substance par des normes et des procédures hétéronomes à l’activité de recherche doivent être abandonnés. Cela passe notamment par une rupture avec les diverses bureaucraties dévolues à l’évaluation managériale permanente, notamment quantitatives, qui ont pu se constituer à l’échelle des différents établissements et opérateurs de l’ESR, en commençant par la dissolution du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres). Dans l’Université et les organismes de recherche, la probation de la qualité des travaux doit se faire par l’ensemble des pairs, de façon ouverte et contradictoire, via une instance nationale représentative de l’ensemble de la communauté scientifique, et sans lien institutionnel avec la gestion des carrières et l’octroi des financements de base.

10. Course aux publications : revenir à la raison

Construire l’évaluation des structures de recherche et la gestion des carrières sur un principe de productivité conduit à une compétition stérile et pousse à la fraude scientifique. Il est nécessaire de s’extraire de ce paradigme. La signature par les organismes de recherche des manifestes de Leiden et de San Francisco (DORA) implique justement de privilégier une analyse qualitative et l’abandon de critères quantitatifs. Lors des visites de laboratoire, le comité de visite doit prendre connaissance en profondeur des travaux les plus importants de l’équipe afin qu’un débat contradictoire, équilibré et constructif, puisse s’instaurer entre pairs. De ce fait, le nombre de publications doit être limité : aller vers une politique de diffusion du travail de recherche qui prenne en compte l’originalité, l’exigence, l’ampleur des preuves en autorisant le temps long favorisera l’exercice de la disputatio

11. Rétablir le contrôle des pairs sur l’édition scientifique

L’édition scientifique a pour rôle majeur la diffusion des travaux de recherche des scientifiques dans la communauté académique. Elle ne peut être régie par un modèle économique faisant de l’article un produit de consommation et du pôle éditorial une entreprise ayant pour seule finalité de dégager une marge bénéficiaire pour ses propriétaires. Rétablir les standards d’intégrité éditoriale impose de rendre aux pairs le contrôle effectif des revues et plus généralement des maisons d’édition. Cela exige de développer, de moderniser les presses universitaires et d’encourager financièrement le contrôle des revues par les pairs, le cas échéant via des structures associatives ad hoc (qui peuvent être des sociétés savantes, ou des associations éditrices porteuses d’une revue, comme cela fut longtemps la norme). Le système de subvention à l’édition scientifique doit d’abord encourager les publications en accès libre et incluant des modules de réponse, de commentaire et de révision par les pairs après publication, comme le font déjà certaines revues.

V. L’Université pour émanciper

12. Garantir l’autonomie matérielle des étudiants

Toute personne résidant en France doit se voir garantir par la collectivité un droit minimal à trois années d’études supérieures au long de sa vie. Pour les étudiants en formation initiale, cela ne peut passer que par le versement d’une allocation d’autonomie d’un montant de référence de 1 000 € par mois, douze mois par an, pour toute la durée d’un cycle de formation, ce qui doit inclure la possibilité d’une quatrième année de versement en cas de besoin. Nous empruntons au collectif Acides sa proposition de financement de cette mesure par la branche « familles » de la Sécurité Sociale, abondée par les cotisations patronales et déjà en charge des APL. Le montant mensuel pourra être révisé à la baisse si l’étudiant dispose déjà d’un hébergement, par exemple dans sa famille. Mais cette disposition a précisément pour objectif d’encourager les étudiants à s’émanciper de leur milieu d’origine.

13. Refonder la formation des enseignants du premier et du second degré

La crise de la formation des enseignants affecte directement la transmission et la critique des savoirs académiques. Il est nécessaire de reconstituer un vivier de futurs enseignants et de mieux les accompagner très tôt dans leurs études. Pour cela, nous proposons d’introduire un pré-recrutement des enseignants sous statut d’élève-fonctionnaire dès la L2. Ce pré-recrutement donnera également accès à une formation initiale aux métiers de l’enseignement et à des stages d’observation. Placé en fin de licence, le concours de recrutement sera axé sur les savoirs disciplinaires et sera suivi d’une formation en alternance sous statut de fonctionnaire-stagiaire, incluant des éléments de formation disciplinaire (ce qui inclut une part de didactique), et de sciences de l’éducation. Enfin, la première année comme titulaire doit donner lieu à un service allégé, permettant ainsi d’améliorer l’entrée dans le métier. Dans le même temps, une formation universitaire tout au long de la vie doit être mise en place pour les enseignants déjà en poste.