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Jouer sur les maux

Ce billet comporte trois sections :

Lingua Novae Universitatis (LNU) — Fragments d’un discours universitaire

Chères et chers collègues,

Dans le cadre d’une approche orientée « rebranding » et destinée à réaffirmer les valeurs de notre projet humaniste dans la compétition des idées, RogueESR a le plaisir de vous annoncer le lancement du Grand Projet d’Avenir RoguExR™. RoguExR™ représente une opportunité inédite pour notre communauté : un véritable choc de simplification pour une culture de l’autonomie bien comprise, à l’aube de défis requérant toujours plus d’agilité pour inscrire l’Université au cœur des véritables enjeux stratégiques des mondes de demain.

Soutenabilité résiliente, rayonnement post-Lumières, collégialité disruptive, pédagogie innovante dématérialisée : c’est à ces conditions authentiques que nous pourrons valoriser la liberté académique comme elle le mérite auprès de l’ensemble des responsables politiques, mais aussi des actrices et acteurs au service de l’excellence. Pour cela, nous avons besoin de votre expertise et nous vous proposons d’intégrer un groupe de travail thématique pour penser la conduite du changement. La première réunion portera sur le choix des indicateurs pertinents pour l’octroi des primes et décharges reconnaissant votre engagement. Elle aura lieu demain de 12h30 à 12h45 dans l’auditorium Bernard Tapie. Une retransmission par Zoom sera également organisée.

Fidèlement,

Jean-Didier Petit, président, RogueExR™

Anne-Sylvie Charnier, VP aux Futurs Co-construits, RogueExR™


Le « nouveau management public » ambitionne d’administrer nos conduites en prenant appui sur nos désirs, pour obtenir que nous consentions à l’asservissement et à l’impuissance d’agir. Pour ce faire, il institue un ordre paradoxal qui exige des « acteurs » qu’ils soient responsables, indépendants, innovants, adaptables, résilients et flexibles, en un mot, « agiles », tout en créant les conditions de leur soumission à la mise en concurrence, érigée en norme de comportement, par la généralisation du projet (« call for proposals »), de l’évaluation (« benchmarking ») et du classement (« ranking »). La stratégie discursive du néo-management opère par abstraction, euphémisant la violence du consentement à la dépossession, par substitution au sens propre des mots du sens de leur antonyme ou encore par oblitération de sens. On peut même reconnaître une forme de génie (mauvais) à ceux qui eurent l’idée de baptiser « autonomie », la mise en pièces du principe d’autonomie de l’Université et de la science vis-à-vis des pouvoirs politique, religieux et économique.

Comment résister à cette précarisation subjective qui s’infiltre par le langage même ? En vivant, en pensant, en poursuivant notre travail avec éthique, exigence et liberté mais aussi, d’abord, en leur riant au nez, de ce rire franc, libérateur, irrépressible, qui emporte les larmes.

C’est ce que nous vous proposions dans un appel lancé en février 2020 en même temps que naissait Camille Noûs. Les bonnes volontés ont travaillé depuis à un ouvrage sous forme de glossaire, croisant des réflexions critiques, des contes satiriques, des chansons détournées, mais aussi des fragments utopiques imaginant la réinvention de l’Université et de la parole universitaire. Vous pouvez aujourd’hui prendre connaissance du résultat. 

LNU (Lingua Novæ Universitatis) — Fragments d’un discours universitaire, par Camille Noûs et par nous-mêmes, à commander d’urgence dans votre meilleure librairie ou sur le site de l’éditeur — peut-être aurez vous alors en cadeau un de nos authentiques « goodies » délicieux, durables et innovants, que vous pourrez mettre sous le sapin.

Depuis le temps que l’ombre de Delta plane

À la mi-juin, nous faisions paraître une tribune dans Le Monde pour prévenir des conditions de propagation épidémique analogues entre la rentrée de septembre 2021 et la rentrée précédente. Les vaccins existants préviennent les formes graves de pathologies mais ne limitent que marginalement la transmission par les voies respiratoires supérieures (via les fosses nasales). La cinquième vague épidémique est là, semblable à celle de l’an dernier, mais avec un mois de retard. Elle aurait pu être évitée. Le virus continue donc de circuler et de muter, laissant ainsi la possibilité d’émergence d’une souche présentant une résistance aux vaccins.

Prenant nos responsabilités de scientifiques, nous n’avons cessé d’appeler à la constitution d’un arsenal sanitaire large permettant non seulement d’endiguer cette épidémie-ci mais aussi celles qui se déclareront dans les années et décennies qui viennent. Cela passe par des moyens humains permettant de faire, à l’échelle des villages et des quartiers, de la prévention, de l’aide à l’isolement, de l’éducation sanitaire, de la détection de percée épidémique, etc. Cela passe aussi par une logistique pérenne permettant de produire des vaccins et leurs rappels sans générer de profits privés, et de participer à des campagnes vaccinales menées à l’échelle planétaire. Nous avons aussi appelé sans cesse, après que le consensus scientifique sur la transmission aéroportée de SARS-CoV-2 a été atteint, en juin 2020, à un investissement de l’Etat dans la qualité de l’air (ventilation des pièces de vie, suivi du taux de CO2 et purification de l’air) et à une campagne de sensibilisation sur le niveau de filtration des types de masques — donc à une campagne de promotion des FFP2 et de leur port correct.

Une circulaire de la directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP) sur la transmission aéroportée de SARS-CoV-2 a enfin été émise ce 19 novembre, avec 17 mois de retard sur les résultats scientifiques. Non seulement aucun investissement dans la réduction de risque n’a été consenti, mais la circulaire précise que le « dépassement des taux de CO2 recommandés n’est pas en soi un risque sanitaire », ce qui est scientifiquement faux et dangereux : le taux de CO2 permet la mesure du risque de transmission aéroportée.  La circulaire précise encore que « la mesure du taux de CO2 n’a pas à être déployée de manière systématique et permanente », et que « la politique à mettre en place dans les établissements en matière de taux de CO2 doit donc être appréciée au cas par cas ». On ne peut que rester pantois devant l’abîme qui sépare les résultats scientifiques et la politique sanitaire de l’exécutif. Un tel décalage en dit long sur l’ignorance de la recherche et sur le déni de la consultation scientifique qui prévalent dans les administrations centrales.

Séminaire Politique des sciences du jeudi 25 novembre (rappel)

À suivre en direct ou en différé sur la chaîne de Politique des Sciences.

« Enquêtes difficiles, données sous contrôle ? Quelques aperçus des transformations matérielles et normatives dans la recherche en SHS »

Jeudi 25 novembre de 16h30 à 20h30, Campus Jourdan de l’ENS, salle R1-07, 48 boulevard Jourdan, Paris 14ème.

Les sciences humaines et sociales (SHS) ont vu s’accumuler au cours des trente dernières années des tendances parfois contradictoires, entre banalisation de l’ethnographie, augmentation des corpus numériques, formes renouvelées de circulation des méthodes entre disciplines, mais aussi injonction à la protection des enquêtés « vulnérables » et formes bureaucratisées de l’éthique de la recherche (Institutional review boards et consent forms), augmentation des procès contre des chercheurs et chercheuses, appel à la science ouverte mais aussi à la protection des données sensibles… Si ces transformations ne concernent pas que les SHS, elles ont des effets bien particuliers sur celles-ci.

De quelle façon ces évolutions transforment-elles les formes de la recherche en SHS ? Le projet de cette séance est de faire part à la communauté scientifique d’un premier état des lieux —  à poursuivre dans d’autres séances — des problèmes spécifiques qui se posent en SHS, des risques nouveaux qu’affrontent aujourd’hui les chercheurs et chercheuses, de l’importance de ne pas appliquer mécaniquement dans ces disciplines des formats issus du monde des sciences biomédicales et expérimentales, faute de quoi ce serait non seulement leur inventivité qui pourrait s’en trouver affectée, et avec elle la possibilité de décrire le monde, mais aussi, peut-être, la liberté académique.

  • Johanna Siméant-Germanos — La littérature et le journalisme bientôt plus libres de décrire le monde que les SHS ? Quand l’enchevêtrement d’injonctions contradictoires entrave la recherche.
  • Etienne Ollion — Faire une enquête à l’heure des données numériques.
  • Mathilde Tarif — À qui appartient-il de définir le risque des terrains d’enquête difficiles ?
  • Marwan Mohammed — L’irruption de la violence durant l’enquête et ses effets en matière de protection des données et des sources.