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La voix de l’Université et de la recherche

Quatre brèves cette semaine : (i) une nouvelle voix pour défendre l’Université et la recherche, (ii) le rappel du séminaire Politique des sciences sur l’irrationalité, (iii) la tribune appelant à constituer, enfin, un arsenal sanitaire et (iv) une pétition contre le contrôle intégral des primes et des promotions par les bureaucraties universitaires.

I. Une nouvelle voix pour défendre l’Université et la recherche

Il manquait une voix transpartisane pour défendre l’Université et la recherche dans le débat public. La bureaucratie de l’enseignement supérieur et de la recherche s’est dotée depuis longtemps d’associations pour défendre ses intérêts propres, contre l’intérêt général, au premier chef la Coordination des universités de recherche intensive françaises (CURIF, dont Mme Vidal était la trésorière) transformée depuis en « Udice », et la Conférence des Présidents d’Université, devenue récemment « France Universités ». Rappelons que ces associations sont financées par des cotisations réglées par les établissements et dont le montant n’est pas divulgué au commun des mortels : si certains d’entre vous disposent de documents permettant de les établir, nous nous engageons à les porter à la connaissance de la communauté. Nous invitons les présidents à payer désormais ces cotisations sur leurs deniers personnels, en faisant usage de leurs primes exécutives récemment revalorisées à 18 000€ annuels : l’austérité pour l’Université, c’est aussi le lucre pour ses liquidateurs.

Dans l’intervalle, les millions d’étudiants, d’universitaires, de chercheuses et de chercheurs, de personnels de soutien (ITA, BIATSS) sont dépouillés de représentation institutionnelle. Il faut le rappeler inlassablement : nous ne sommes pas les employés de l’Université, nous sommes l’Université.

Nous mettons donc à disposition de la communauté une plateforme de représentation : France Université & Recherche.

https://www.franceuniversite.fr/

Nous pensons cette plateforme comme une force de proposition et de visibilisation auprès de la sphère politique. À cette fin, nous y avons déposé les 50 propositions transpartisanes élaborées collégialement au printemps dernier. Le chiffrage peut être consulté ici. Nous publierons également les réponses des organisations politiques à cette interpellation, ainsi qu’une analyse des programmes présidentiels et législatifs pour l’ESR. Ces travaux ne suivront qu’un seul objectif : défendre l’autonomie concrète du monde savant vis-à-vis des pouvoirs politique, économique et religieux, c’est-à-dire promouvoir à la fois l’idée et les moyens d’une liberté académique positive (statuts, moyens de recherche pérennes, éthique et intégrité). Avec vous, nous porterons ces propositions pour sortir de 20 ans de contre-réformes de bureaucratisation, de précarisation et de paupérisation du supérieur.

Vous pouvez retrouver France Université & Recherche :

II. Séminaire de Politique des sciences : « Irrationalité » (rappel)

Le 24 janvier 2022, de 16h à 20h, Université de Lutèce, Amphithéâtre Lavoisier, Campus Saint-Germain-des-Prés, 45 rue des Saints-Pères, Paris 6ème.

Le séminaire sera retransmis sur la chaîne de Politique des sciences.

Le programme et l’annonce sont à retrouver sur le site de PdS.

  • Philippe Huneman, Philosophe, IHPST (CNRS) — Introduction
  • Sarah Troubé, Psychologue clinicienne, Maître de conférences en psychologie clinique et psychopathologie, Université Côte d’Azur, LIRCES — L’irrationalité, entre psychopathologie et idéologie
  • Marion Vorms, Philosophe, Université Paris I Panthéon Sorbonne — La crédulité en doute
  • Pierre France, Sociologue, Université Paris I Panthéon Sorbonne & Orient Institut, Beirut. — Complotisme et scientisme — Les idées conservatrices incidentes de la profession et de l’idéal technoscientifique

III. Un arsenal sanitaire large pour en finir avec la pandémie et prévenir les suivantes

« Pardon, qu’ils quittent deux secondes leur bureau et qu’ils regardent ce qui se passe dehors : le Zéro Covid est une utopie que même les îles totalement coupées du monde peinent à appliquer. »

Oliver Véran, Le Parisien, 20 mars 2021.

La tribune parue dans Libération a été ouverte à la signature de toutes et tous après que 1 700 universitaires et chercheurs l’ont signée.

Nous vous invitons à la faire circuler largement.

Pour répondre à certaines interrogations, nous voudrions prendre ici l’exemple d’un pays ayant mis en œuvre un arsenal sanitaire large : la Nouvelle-Zélande. La France a connu 127 000 décès dus au Covid (avec 20 % environ de sous-déclaration) et passé les 13 millions de cas confirmés, pour 67 millions d’habitants. Les proportions sont identiques en Guadeloupe et en Martinique, comparables en Corse, montrant que l’insularité n’est pas un paramètre pertinent. La Nouvelle-Zélande a connu, elle, 52 décès et 15 000 cas confirmés pour 5 millions d’habitants. Un rapport 100 (pour ne pas ergoter) ne peut venir exclusivement de conditions environnementales différentes : la politique sanitaire, et c’est heureux, a un effet.

Nous reviendrons prochainement dans un texte long sur les implications stratégiques d’une éventuelle transition vers l’endémie.

IV. Extension du féodalisme bureaucratique

Les vagues de réformes de l’Université ont été théorisées par Aghion et Cohen en 2004[1] en reprenant et complétant le contenu de la loi Devaquet de 1986. Elles ont ensuite été intégrées de manière programmatique dans le rapport de la commission Attali de 2008.[2] Elles visent d’une part à accentuer la différenciation des établissements d’enseignement supérieur de sorte à créer un marché par la mise en concurrence et d’autre part à leur donner une conformation d’entreprise privée. Elles s’articulent en quatre volets baptisés — quelle ironie ! — « autonomies » :

  • l’« autonomie » administrative : les établissements sont dotés d’un cadre juridique dérégulé, d’un conseil d’administration inspiré des sociétés de droit privé et entrent dans une « logique » de marques.
  • l’« autonomie » de recrutement, d’évaluation et de gestion des personnels : les recrutements, les primes et les promotions sont soumis à la technostructure universitaire plutôt qu’aux pairs, avec des contrats de droit privés (sortie de la fonction publique), une dérégulation des salaires et des primes et une généralisation de la précarité.
  • l’« autonomie » pédagogique : les filières universitaires sont organisées en marché par une mise en concurrence croisée des étudiants par les formations (sélection) et des formations par les étudiants, ce qui impose de mettre fin au cadre national des diplômes.
  • l’« autonomie » financière : dérégulation des frais d’inscription pour substituer le financement privé au financement par l’Etat, avec une phase transitoire de généralisation du crédit pour les étudiants et les établissements.

Sans surprise, les dernières déclarations de M. Macron devant la Conférence des Présidents d’Université égrènent tous ces poncifs, en appelant à « des gouvernances fortes », en reprenant une opposition éculée entre la « professionnalisation » dans des « filières courtes » et les politiques de recherche intensive, dans le but de mieux « exprimer les différences » entre établissements, et en posant de nouveaux jalons vers une dérégulation des frais d’inscription.

L’ensemble de ce projet managérial de long terme va à l’encontre du principe d’autonomie du monde savant vis-à-vis des pouvoirs politiques, économiques et religieux et de la liberté académique. C’est l’idée même d’Université qui est vidée de son sens. Comme on pouvait s’y attendre, le premier effet de cette politique, en dehors de la bureaucratisation, de la paupérisation et de la précarisation, est un décrochage scientifique de notre pays.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la suppression de toute instance nationale pour les primes de recherche et pour les promotions, en défense desquelles une pétition a été mise en ligne :

https://www.wesign.it/fr/education/carrieres-universitaires–pour-lequilibre-entre-le-local-et-le-national


[1] Philippe Aghion et Elie Cohen, Éducation et croissance. Rapport public du conseil d’analyse économique (2004).

[2] Jacques Attali et al. Rapport de la commission pour la libération de la croissance française (2007-2010).