Posted on

Grêver est une joie pure !

« Réfractaires, mes camarades,
(…)
L’ennemi vous redoute. Vous ne devez pas le décevoir. Cependant ne commettez pas l’imprudence de vous offrir à lui. Nous devons rester vivants les derniers et le battre jusqu’au dernier. Réfractaires, rien ne m’inquiète. »

Le capitaine Alexandre (René Char).

Jamais l’Université — l’institution en charge de produire, conserver, diffuser les savoirs et les critiquer — n’a été plus évidemment nécessaire. L’effondrement rapide de la démocratie libérale états-unienne sous les coups de l’alliance entre libertariens, paléo-conservateurs et milieux d’affaire du capitalisme de rente n’est plus cette prédiction de Cassandre tant de fois répétée mais une réalité. Il nous indique ce que nous avons à réinstituer : l’idéal démocratique, le rationalisme sensible, un espace public de délibération et de pensée, les libertés publiques, l’égalité, les systèmes de solidarité, l’Ecole, l’Université et une certaine conception des sciences et de leur fonction sociale. Le cauchemar étatsunien nous montre aussi le rôle que, sans surprise, la bureaucratie de l’enseignement supérieur et de la recherche joue dans l’étouffement de la pensée, dans le musèlement de l’Université et dans la chasse aux sorcières maccarthystes : de Columbia à Berkeley, la bureaucratie s’adonne à la délation, collabore, quand elle ne devance pas les désirs d’écrasement des Thiel, des Trump, des Vance et des Musk.

Ici, comme redouté, l’été a conduit  à la mise en œuvre à bas bruit des “KeyLabs” par une énorme vague de désUMRisation. Partout, ce même chuchotement : les caisses sont vides, déjà, à la mi-septembre. Les associations de défense des intérêts de la bureaucratie (Udice et France Universités) contre ceux de l’Université déplorent un possible retard de l’examen du projet de loi Baptiste. L’actuel ministre de Shrödinger n’en cache pourtant même pas l’objet : « Le but du jeu n’est absolument pas de restreindre les libertés ou de taper sur l’enseignement supérieur privé, qu’il soit lucratif ou non. Le but du jeu, au contraire, c’est que ces formations et ces établissements se développent. »

Et pourtant, ces attaques n’entament pas la joie de l’enseignement et de la recherche, la conviction profonde que défendre un dire-vrai sur le monde n’est pas un luxe, mais une condition d’existence de la démocratie. Au contraire. La jeunesse, qui a constitué le gros du mouvement du 10 septembre pour la démocratie et contre l’austérité, a montré la possibilité, encore, d’étonner la catastrophe. Alors, grêvons dans la joie !

« Oh ! je sais qu’ils feront des mensonges sans nombre
Pour s’évader des mains de la Vérité sombre,
Qu’ils nieront, qu’ils diront : ce n’est pas moi, c’est lui. »

Victor Hugo. Jersey, le 13 novembre 1852.

“Liberté académique” washing

Il n’est plus un adversaire résolu de la liberté académique, plus un bureaucrate la piétinant au quotidien, qui ne prétende en être le garant.  A ce sujet, l’Association pour la liberté académique (ALIA) vient de faire paraître un communiqué au sujet de l’Appel pour la liberté de savoir publié par le supplément d’extrême-droite du Figaro, le Figaro Vox, le 4 septembre 2025 :

 http://liberte-academique.fr/communique-dalia-sur-lappel-pour-la-liberte-de-savoir/


« Ah ! Dex ! dist Charles, come ai le cuer grevé ! »

Cycle de Roncisvals

Dois-je me déclarer en grève ?

En aucun cas il ne faut se déclarer spontanément en grève. Se déclarer en grève c’est porter atteinte au droit de grève. Le préavis de grève couvre tout le monde et l’Enseignement Supérieur et la Recherche ne sont pas soumis au service minimum. Si le besoin de sacrifice est trop grand, donnez votre journée de salaire à l’une des caisses de grèves.

C’est à l’administration de recenser les personnels grévistes et de fournir la preuve qu’ils étaient en grève. Les appels à la délation se multiplient dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche et ne peuvent être tolérés. Il n’appartient aucunement aux responsables de collectifs de recherche (“chefs d’équipe”) ou d’enseignement de dénoncer des grévistes, quel que soit leur statut. Il n’appartient pas plus aux encadrants de thèse ou de post-doctorat de le faire. 

En quoi consiste le fait de faire grève ?

La grève n’est pas une fin mais un moyen, une tactique déployée dans un but stratégique. Elle ne consiste ni à “se compter” ni à “être comptés” par la presse, moyens notoirement inefficaces. Elle consiste encore moins à se sacrifier. La grève vise à arrêter l’appareil productif comme les barrages sur les routes ou devant les supermarchés servent à bloquer les flux de marchandises. Hors du secteur marchand, la grève sert à se libérer du temps à consacrer aux actions destinées à l’obtention du but fixé. Aussi la grève d’universitaires et de chercheurs pose-t-elle la question de leur utilité publique. Que pouvons-nous faire pour contribuer à l’objectif stratégique fixé? Tout d’abord sensibiliser et informer les étudiants en faisant le tour des amphis. Ensuite mettre ses savoirs et son intelligence critique au service des analyses et des actions collectives qui se construisent localement? Enfin créer politiquement, créer stratégiquement, créer collectivement, ce que les universitaires ont fini par oublier. Dans la situation présente, nous libérer du temps est la condition nécessaire à tenter d’élargir l’horizon.