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Courrier au Premier ministre

Vous trouverez ci-dessous le courrier envoyé ce jour au premier ministre, suite à l’éviction sans examen de nos candidatures à la présidence du Hcéres, annoncée… par l’entremise de deux agences de presse.

À l’attention de :

M. Édouard Philippe, Premier ministre

CC/ Mme Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation
M. Thierry Coulhon, conseiller éducation, enseignement supérieur, recherche et innovation du président de la République
M. Philippe Baptiste, conseiller éducation, enseignement supérieur, jeunesse et sports du Premier ministre
Mme Anne-Sophie Barthez, directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle
M. Bernard Larrouturou, directeur général de la recherche et de l’innovation

Objet : Irrégularités dans le concours en vue de pourvoir la présidence du Hcéres

Monsieur le Premier ministre,

Un appel à candidature en vue de pourvoir la fonction de président ou de présidente du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) est paru au Journal officiel le 26 décembre 2019. Plus de 1 350 candidates et candidats ont transmis leur dossier de candidature pour occuper cette fonction, avec un objectif commun : réaffirmer les principes de collégialité et de disputatio entre pairs au fondement de la recherche scientifique. 5418 universitaires et chercheurs se sont associés à cette démarche visant à renouer avec une recherche exigeante, réaffirmant la responsabilité des chercheurs vis-à-vis de la société et l’autonomie du monde savant vis-à-vis de tous les pouvoirs dont l’exercice de la science dépend. Ces candidatures, parfaitement recevables individuellement, ont en partage une même profession de foi, parue sous la forme d’une tribune dans Le Monde, le 20 janvier 2020.

Par l’entremise de deux agences de presse privées, le ministère a annoncé le rejet de ces candidatures à la présidence du Hcéres, avant même d’envoyer des courriers aux candidats. À notre connaissance, seule une infime partie des candidats a reçu un accusé de réception par voie électronique. Le ministère a été jusqu’à refuser de délivrer les récepissés des candidatures déposées en mains propres, valant recommandé avec accusé de réception.

Ces graves anomalies invitent à penser que tous les dossiers n’ont pas été traités de manière équitable par l’administration, ce qui fait peser une incertitude juridique réelle sur le déroulement de la procédure. Aucune réponse n’a été apportée à notre courrier, en date du 3 février, demandant à connaître le détail de la procédure d’évaluation des dossiers de candidatures. On peut légitimement douter de l’existence de critères objectifs permettant d’éliminer plus de 99,9% des candidats, et supposer de forts biais idéologiques. Dès lors, le déficit patent de transparence du concours de recrutement à la présidence de l’institution en charge de l’évaluation de la recherche et des formations est un aveu de l’absence d’indépendance de cette institution, en rupture avec l’autonomie nécessaire à la démarche scientifique.

Le courrier des directions générales aux candidats — que l’agence de presse News Tank s’est procuré mais que nous n’avons pas reçu — ne contient aucun motif justifiant le rejet des candidatures. Cette omission conforte les analyses formulées dans la profession de foi commune : les instances ministérielles ne sont pas compétentes pour examiner la qualité de travaux savants, n’ont pas la légitimité pour statuer sur la qualité des formations. L’agence de presse privée AEF fait état de trois candidatures qui n’auraient pas été écartées. Vue l’absence de transparence dans le déroulement du concours, aucune de ces trois personnes ne pourra assumer les responsabilités de présidente ou de président de l’Hcéres. Nous pensons donc qu’elles auront à cœur de suspendre leur propre candidature.

Dans notre courrier du 3 février, nous proposions à Madame la ministre et aux directions générales une rencontre publique, assortie de garanties minimales. Nous réitérons notre offre et serions évidemment disposés à débattre avec les trois autres candidats. Nous demandons au préalable que soient dévoilés la procédure et les critères objectifs de sélection d’un président ou d’une présidente de l’Hcéres garant de l’autonomie nécessaire du monde savant et des libertés académiques. Nous réaffirmons, enfin, les conditions effectives de cette autonomie détaillées dans la profession de foi collective.

Avec nos respectueux hommages, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre très haute considération.

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Le 5 mars, on arrête tout, on réfléchit…

Dur Alex, sed lex

Nous avons dépouillé le sondage sur l’opération Alex et discuté la centaine de mails reçus à cette occasion :

  • 2 000 collègues sont prêts à participer à l’opération : les conditions du succès sont donc réunies ;
  • Le prénom « Alex » ne convainc pas ; il faut donc proposer de nouveaux choix dans un sondage à venir ;
  • Nous est le seul nom de famille qui emporte une large adhésion ;
  • Une majorité se dégage en faveur de l’effet de surprise ;
  • Beaucoup de collègues souhaiteraient conférer à « Alex » une légitimité — sinon une légalité — d’auteur collectif, comme cela se pratique dans les grandes collaborations, en lui conférant un rôle spécifique dans les articles : celui de la communauté savante, garante d’exigence et de normes d’éthique intellectuelle. L’élaboration de cette “collaboration” inspirée de la physique des grands instruments exige un peu de temps pour en étudier la faisabilité ;
  • L’engagement dans un « Nous » que certifie la présence d’« Alex » parmi les auteurs demande à être explicité en prenant en compte les spécificités disciplinaires.

Appel à contributions

Nous souhaitons ouvrir le collectif RogueESR. L’occasion nous est offerte grâce au projet de deux ouvrages que nous souhaitons penser et écrire collectivement dans la période qui vient :

  • un dictionnaire intitulé « Eux / Nous » définissant de manière précise, et parfois ironique, à la manière de Candide, les mots en usage dans la novlangue qui contamine notre métier mais aussi les mots qui seraient porteurs d’une nouvelle conception de l’Université et de la recherche. Une attention toute particulière sera accordée aux faux-amis — ces termes dont la forme est commune aux deux langues, la nôtre et la leur, mais dont le sens diverge.
  • un ouvrage (en français puis en traduction anglaise) de création politique sur le système d’Université et de recherche que nous entendons instituer et faire vivre.

Le 5 mars, on arrête tout, on réfléchit…

La candidature collective à la présidence du Hcéres, les prises de position nombreuses dans la presse écrite, les interpellations votées par les conseils d’unités de formation et les laboratoires, mais aussi par certaines sociétés savantes et certaines revues, l’appel à interrompre totalement les activités des universités et des laboratoires le jeudi 5 mars ou le refus, individuel ou collectif, de participer aux vagues d’évaluation en cours, sont autant de signes d’une volonté du monde savant de réaffirmer ses valeurs fondatrices : l’autonomie et la responsabilité vis-à-vis de la société.

Nous co-organisons un troisième séminaire exceptionnel sur l’histoire de l’Université, pensé comme une contribution à ce temps suspendu. La séance est ouverte. Elle aura lieu à l’EHESS, de 17 à 21h, le 5 mars, en salle Lombard, 96 bd Raspail, à Paris, et sera retransmise en direct.

Depuis sa naissance au XIIIe siècle, l’Université a connu une alternance de phases où elle a su se réinventer et se réinstituer, en renouant avec l’idée fondatrice d’autonomie du monde savant, et de reprises en main par le pouvoir. L’histoire politique, sociale et institutionnelle permet de saisir ce qui, dans la situation présente, hérite des siècles passés — il suffit de penser à ce qui persiste de la partition de l’Europe entre systèmes napoléonien et humboldtien. Mais l’histoire fonctionne aussi comme réservoir de possibles. Elle permet de réaffirmer les valeurs fondatrices du monde académique, dans un travail de création politique visant à imaginer un système d’Université et de recherche qui puisse contribuer à affronter la triple crise inégalitaire, climatique et démocratique que traversent nos sociétés.

Nathalie Gorochov : Libertés académiques, contestation et grève dans les premières universités d’Europe (1200-1231).

Christophe Charle : Pourquoi les gouvernements n’arrivent-ils pas à gérer l’enseignement supérieur depuis les années 50 ? Pourquoi les universitaires ne savent-ils pas ce qu’ils veulent et ne savent-ils pas se défendre ?

Emmanuelle Picard : Histoire institutionnelle de la profession académique contemporaine.

Charles Soulié : La refondation de l’université française après 68.

Pour recevoir les annonces, une fois par mois du séminaire Politique des sciences, vous de vous inscrire à sa liste de diffusion.

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Opération Alex

Les participants à la candidature collective à la présidence du Hcéres ont reçu une proposition d’entretien avec un conseiller ministériel spécialisé dans l’évaluation. Ils ont adressé le courrier suivant à la ministre, Mme Vidal, signé de nos 5418 noms.

Aucune réponse n’a été apportée à ce jour. Ni les récépissés, ni les accusés de réception n’ont été délivrés, malgré les promesses de M. Monetti, chef de cabinet de la ministre, en partance pour Nice comme colistier de M. Estrosi. Nous préparons donc des recours administratifs et envisageons d’interpeller l’exécutif et la représentation nationale.

De nombreuses propositions nous sont parvenues pour réaffirmer les valeurs collégiales de la science, revendiquer un « nous », constitutif de la communauté savante, le seul à même d’instituer les modalités de la disputatio et les normes de probation scientifique. Une suggestion est apparue comme pouvant être immédiatement mise en œuvre : ajouter un/une scientifique imaginaire, allégorique, au prénom épicène, à la liste des auteurs de nos publications, quand cela est possible ; un nom identique dans toutes les disciplines, avec rattachement à la même unité de recherche fictive. La conséquence la plus immédiatement visible sera qu’en l’espace de quelques mois des centaines d’articles feront de ce nom le premier publiant de la planète, et de son faux laboratoire la première unité de recherche mondiale, avec pour conséquence de fausser une partie des statistiques bibliométriques et de démontrer l’absurdité de l’évaluation quantitative individuelle. Surtout, à plus long terme, cette signature fonctionnera comme un label de collégialité et donc de qualité, dont les principes seront explicités en plusieurs langues sur un site dédié. Un tel label vaudra réaffirmation, au cœur même du dispositif de mise en concurrence des individus et des institutions, d’un « nous » scientifique associé à un ensemble de pratiques communes. Cette signature tiendra lieu d’engagement à des pratiques intègres, à une éthique intellectuelle, à une exigence vis-à-vis des normes de probation scientifique.

La perte d’autonomie de la communauté académique n’est pas spécifiquement française. C’est pourquoi il nous semble important de faire vivre un « nous » que les collègues étrangers pourront s’approprier s’ils le souhaitent, ce qui implique de choisir un prénom épicène international ; après examen, nous proposons Alex.

Une telle initiative ne sera couronnée de succès que si nous avons l’assurance que d’autres collègues, en nombre, y contribuent. Nous vous proposons de répondre à un questionnaire afin de nous dire si vous pensez que l’idée doit, ou non, être mise en œuvre et, le cas échéant, afin d’en affiner les modalités et d’arrêter le choix de ce nom « commun ».

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Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

Premières analyses du texte

La loi de programmation pluriannuelle de la recherche, essentielle pour notre avenir, a été rédigée dans l’opacité la plus grande, après une phase de consultation étriquée. Le ministère n’a, à ce jour, pas souhaité dévoiler ce projet de loi à la communauté académique. Il s’est contenté d’une communication maladroite destinée à désamorcer le mouvement de réaffirmation de l’autonomie et de la responsabilité du monde savant qui se développe partout, des syndicats aux sociétés savantes, des laboratoires de biologie aux Facultés de droit et de science politique, en passant par toutes les disciplines des sciences humaines et sociales. De toutes parts monte un même appel à la création de postes pérennes, à des crédits récurrents, à une suppression de la bureaucratie et à une réinstitution des libertés académiques.

Nous en appelons au Président de la République pour que cessent cette conduite blessante de la réforme et cette gestion confuse et désordonnée de la rédaction de la loi. L’Université et la recherche méritent respect, éthique intellectuelle, transparence et intégrité, toutes valeurs qui fondent nos traditions académiques et que nous entendons défendre et incarner.

Nous produisons ici une première analyse de cette loi en traitant successivement de sa portée d’ensemble, du financement de la recherche, du statut des universitaires et des chercheurs et enfin de la question de l’évaluation, inséparable de celle des libertés académiques. Notre analyse repose principalement sur deux sources que nous confrontons : la version courte du projet de la loi, datée du 9 janvier 2020, et la communication de la ministre devant les nouveaux directeurs et directrices d’unités, le 4 février dernier. Les propos de Mme Vidal sont en contradiction manifeste avec le texte du projet de loi.

La ministre, pour lever les inquiétudes et apaiser les colères, défend une représentation irénique de la loi, visant à en réduire la portée : « Cette loi n’est pas une loi de programmation thématique ou une loi de structures. C’est une loi de programmation budgétaire. » Dans sa version du 9 janvier, le projet de loi se compose de cinq parties dont seule la première est budgétaire, alors que les quatre suivantes organisent des bouleversements structurels. Alors que la deuxième partie de la loi instaure la dérégulation des statuts des jeunes chercheurs et met à mal l’indépendance de la recherche en permettant de contourner le recrutement par les pairs, la troisième partie conforte l’évaluation punitive et l’injonction aux résultats pour toutes les formes de contractualisation. La quatrième partie comporte des dispositions sur le cumul d’activités visant, comme la loi sur les retraites, à accroître la porosité entre le secteur public et le secteur privé. La cinquième partie contient les autorisations à légiférer par ordonnance sur un ensemble de dérégulations qui vont du transfert au privé de prérogatives de l’enseignement public aux règles de fonctionnement des fondations de coopération scientifique, en passant par les modalités de recrutement des chercheurs et des universitaires. Il est à souligner qu’une version plus longue de la loi, postérieure à la version du 9 janvier, réintègre une partie des ordonnances du Titre V dans le texte de loi lui-même. Quels sont les arbitrages qui ont conduit la ministre à affirmer que la LPPR serait réduite à la seule question budgétaire (Titre I), en l’amputant de ses quatre autres parties, sans en informer ni la communauté universitaire ni les parlementaires ? Est-ce à dire que le reste de la loi fera l’objet de décrets, d’ordonnances, voire de simples dispositions réglementaires ? Le hiatus irresponsable entre la communication ministérielle et le texte du projet de loi peut-il être expliqué par le départ de Mme Vidal du ministère dans les mois qui viennent ?

En l’état, l’article 2 du projet de loi prévoit la programmation budgétaire pour 2021-2027, mais n’engage aucunement l’État au-delà de l’année budgétaire — dans le cas contraire, le Conseil d’État a rappelé que le projet serait inconstitutionnel. Cet article 2 propose de réaffecter une partie des sommes que l’État ne dépensera plus en cotisations pour les retraites en revalorisations indemnitaires — c’est-à-dire en primes plutôt qu’en revalorisation du point d’indice. Le salaire d’entrée d’un universitaire ou d’un chercheur est aujourd’hui, après reconstitution de carrière, de 1,8 SMIC en moyenne. Son salaire socialisé, qui comprend la cotisation de l’Etat pour sa retraite, baissera de 1,2 SMIC en 15 ans, comme prévu par l’article 18 de la loi sur les retraites. La revalorisation du salaire net à 2 SMIC ne restitue qu’une petite partie de cette somme (0,2 SMIC). La raréfaction des postes pérennes et la titularisation décalée de cinq à six ans, induite par les dispositifs de type tenure track, introduisent trouble et confusion dans l’annonce de revalorisation pour les futurs recrutés. Quant au soutien de base des laboratoires qui aurait désormais les faveurs de la ministre (« Nous avons besoin de soutien de base mais aussi de financement sur projet »), il est contredit par la loi : l’article 2 du projet de loi prévoit bien un accroissement des appels à projet, le budget de l’ANR étant augmenté par ponction dans les cotisations de retraites des universitaires et des chercheurs. Or la consultation en amont de la préparation de la loi a fait apparaître que neuf chercheurs et universitaires sur dix sont en faveur d’une augmentation des crédits récurrents et d’une limitation des appels à projet. Dans sa version du 9 janvier, la loi n’en tient nullement compte.

Le statut des personnels des universités et de la recherche est au cœur de la loi. Nous devons accorder la plus grande attention au fait que les Titres II à V traitent tous de cette question. La LPPR vise en priorité une modification profonde des métiers, des missions, des catégories et des statuts des personnels. Le point le plus sensible est dans le Titre V : les modalités de recrutement des enseignants-chercheurs seraient modifiées par ordonnance. Sont en jeu le caractère national des concours, le contournement du CNU et la part des recrutements locaux. Une telle disposition, qui revient à statuer sans aucun débat parlementaire – et plus encore sans aucune consultation des chercheurs et des universitaires eux-mêmes – s’apparenterait à un coup de force revenant sur une tradition de collégialité longue de huit siècles selon laquelle les universitaires sont recrutés par leurs pairs. L’AUREF elle-même (Alliance des universités de recherche et de formation) a cru utile de redire dans son communiqué du 31 janvier dernier « son attachement au statut national de l’enseignant-chercheur et à l’évaluation par les pairs ». Au lieu de garantir et de consolider les statuts et le cadre national des concours de recrutement, qui sont les garants fondamentaux de l’équité, de l’exigence et de la qualité de l’Université et de la recherche, le projet de loi multiplie les nouveaux statuts dérogatoires, au risque d’aggraver la précarité qui mine notre système. Ainsi l’article 4 du projet de loi instaure les chaires de professeur junior (tenure track) d’une durée de cinq ou six ans et introduit par là-même un contournement des recrutements sur des postes statutaires pérennes. L’article 5 révise le cadre juridique du contrat doctoral et l’article 6 prévoit un nouveau mode de recrutement échappant à la collégialité, aux statuts et aux droits associés : le « CDI de mission scientifique ». Par ailleurs, les articles 7 et 11 du projet de loi prévoient la dérégulation du cumul d’activités, permettant l’emploi par le secteur privé de salariés du public, hors de tout contrôle. Dérégulations et contractualisation ne peuvent avoir pour conséquence qu’une précarisation et une dépossession accrues des métiers de l’enseignement et de la recherche. Si l’on en croit la ministre, « la recherche française souffre d’une baisse de l’attractivité de ses carrières », mais la loi qu’elle conçoit ne fera qu’aggraver la situation, en sacrifiant une génération de jeunes chercheurs.

En initiant une candidature collective à la présidence du Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), nous avons ciblé avec justesse l’instance qui jouera un rôle cardinal dans la nouvelle architecture de l’ESR. Plus encore que la seule carrière des universitaires et les modifications statutaires, l’évaluation définira et structurera tout l’enseignement supérieur et la recherche. Toute contractualisation se fera avec une rétroaction de l’évaluation sur les moyens, amplifiant ainsi l’obligation de résultats quantitatifs. Les articles 8 à 10 instaurent un conditionnement fort des moyens alloués aux résultats obtenus : l’évaluation-sanction des laboratoires, des établissements et des formations (Hcéres), comme celle des chercheurs (ANR), deviendra la norme. Selon la ministre, « ce qui fait la spécificité de notre communauté, c’est d’être dans une compétition qui implique un travail d’équipe. C’est ce qu’on appelle “coopétition” — ce mot-valise qui mêle compétition et coopération — traduit bien l’émulation collective qui définit la recherche ». Non. Ce sont la collaboration fertile et la disputatio qui fondent la recherche. La compétition, quel que soit le nom par lequel on la désigne, dénature le travail des universitaires, accroît les inconduites scientifiques et met en difficulté les laboratoires, les composantes et les services. En outre, fondée presque exclusivement sur une pratique exacerbée de l’évaluation quantitative, elle favorise la reproduction, le conformisme, les situations de rente et les pouvoirs installés. La science a pour seule vocation la société qui la sollicite et pour seul objet l’inconnu qui est devant elle. Elle a besoin du temps long. Une loi de programmation qui la soumet à la seule concurrence, aux évaluations-sanctions permanentes et aux impératifs de rentabilité à court terme, la conduit à sa perte.

Dès lors, quel peut être l’avenir d’une telle loi ? A-t-elle même encore un avenir ? La défiance de la haute fonction publique et de la technostructure politique vis-à-vis des universitaires et des chercheurs a gâché l’occasion historique d’écrire enfin une loi de refondation d’une Université et d’une recherche à la hauteur des enjeux démocratique, climatique et égalitaire de notre temps.

Une telle loi impliquerait des mesures énergiques de refinancement, un grand nettoyage de la technostructure administrative accumulée depuis quinze ans et un retour aux sources de l’autonomie du monde savant et des libertés académiques. Ainsi que l’a fort bien dit le président du Sénat, M. Larcher, au sujet de la LPPR : « Il faut d’abord trouver un agenda, un contenu et des moyens, mais peut-être aussi une méthode d’approche. » De tout ceci le ministère s’est bien peu soucié, et c’est la communauté académique qui en paiera  le prix fort.  Nous devons tout recommencer.

Car, parmi les trois scénarios désormais envisageables, aucun n’est satisfaisant. Soit la loi ne comprendra in fine que la partie budgétaire et se concentrera sur la réaffectation d’une partie des cotisations de retraites que l’État ne versera plus. Soit elle sera retirée afin de soustraire un gouvernement très affaibli à une fronde des universitaires et des chercheurs qui, laissant leurs différences partisanes de côté, se montrent aujourd’hui prêts à réaffirmer les fondements de leurs métiers. Soit les réformes structurelles et statutaires passeront par des décrets, par des cavaliers législatifs et par des ordonnances, ou par une combinaison de ces trois voies. Ce serait le pire scénario, car il supprimerait toute occasion d’un débat public et contradictoire sur la politique de la recherche en France.

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La « soumission » de projet : bureaucratie, management et capital humain

À l’occasion de la candidature collective à la présidence de l’Hcéres, nous avons co-organisé avec Politique des sciences deux séminaires exceptionnels. Vous pouvez retrouver la vidéo du premier séminaire, ici :

Séance du 30 janvier 2020 : Que faire ? Analyse, critique, stratégie et tactique.

La captation sera prochainement découpée pour isoler les huit exposés. Vous avez été nombreux à nous demander les transparents de la présentation de F. Métivier, mettant en évidence que la production d’articles scientifiques ne dépend que de l’investissement budgétaire.

Séance du 6 février 2020 : La « soumission » de projet. Bureaucratie, management et capital humain.

Le second séminaire exceptionnel aura lieu à l’EHESS, le 6 février, de 17 à 21h, en salle 13, au 105 bd Raspail, à Paris. Il sera retransmis en direct.

Johan Giry, Défaire ou refaire l’autonomie scientifique ? Retour sur un conflit d’interprétations à propos de la genèse de l’Agence nationale de la recherche.

Béatrice Hibou, Chercher par projet: bureaucratisation néolibérale et liberté académique ?

Michel Feher, Facteur de production, entreprise, portefeuille : les métamorphoses du capital humain.

Johann Chapoutot,« Celui qui attribue un chiffre à des lettres est un con », ou comment le management saisit l’Université.

Interroger les fondements et l’efficace des dispositifs de financement et de recrutement qui affectent la manière de travailler des scientifiques, tel est le propos de la seconde séance de Politique des sciences, en partenariat avec RogueESR. Si les managers de la recherche, et avec eux certains scientifiques, ne semblent plus avoir pour horizon favorable de la recherche que d’augmenter le taux de sélection de l’Agence Nationale de la Recherche (l’ANR), c’est le signe qu’il faut remettre sur le métier ce qui semble aller de soi dans cette manière de concevoir la dite excellence scientifique.

À quel  moment est-il devenu évident que le projet devait être l’élément majeur de l’appréciation de la valeur des scientifiques, et la base légitime du financement de leurs recherches ? Comment peut-on accepter que notre métier soit le seul dans lequel, après de longue études et un processus de sélection étroit, on ne reçoive pas les moyens de l’exercer ?

Pour démêler ce que ces processus doivent aussi bien aux schèmes du New Public Management qu’à des théories qui se sont arrimées à autant de pratiques, on examinera à la fois une agence, l’ANR, des théories, celles du capital humain, des techniques de gestions et de contrôle, le management, et un processus, celui de la bureaucratisation néolibérale, qui tend à coloniser les subjectivités, dans la recherche et en dehors, avec parfois l’enthousiasme gourmand de ceux qui « soumissionnent ».

Pour recevoir les annonces, une fois par mois, du séminaire Politique des sciences, abonnez-vous à sa liste de diffusion.