Le CoNRS dans le collimateur
Dans notre billet précédent, nous évoquions la décision unilatérale d’Antoine Petit de ne plus publier sur le site du CNRS les résultats d’admissibilité du concours de recrutement chercheur sous la forme d’un classement « de mérite » établi par les sections du Comité National de la Recherche Scientifique (CoNRS), mais d’une liste alphabétique. Cette modification de la procédure laisserait le champ libre à la bureaucratie pour procéder à des reclassements et déclassements sauvages dans l’opacité la plus totale, et bouleverser ainsi à sa guise le classement établi par les instances démocratiques garantes de la qualité scientifique des candidats, et donc du concours, avant la publication des admissions.
Alors que le processus électoral pour le renouvellement des sections du CoNRS vient justement de commencer, il convient de revenir sur cette attaque et d’attirer l’attention de tous sur un point essentiel : l’initiative du PDG du CNRS est un jalon dans une stratégie évidente de prise de contrôle politique sur l’évaluation de l’ESR, après la nomination de Thierry Coulhon à la tête de l’Hcéres dans des conditions ubuesques, et le travail de sape du Conseil National des Universités (CNU).
Une stratégie évidente ? En début d’année 2020, alors que la ministre Frédérique Vidal fustigeait les opposants à la loi de programmation de la recherche (LPR) en les accusant de prêter au gouvernement toutes les intentions, Antoine Petit expliquait déjà la nécessité à ses yeux d’une loi inégalitaire et « darwinienne ». La loi qu’il appelait de ses vœux a bien été élaborée, au pas de charge à l’occasion du premier confinement, puis imposée aux principaux concernés sans discussion de fond, à la faveur de l’été puis d’une rentrée sous la contrainte du Covid. En fait de procès d’intention, le contenu de la loi a confirmé les craintes exprimées dès l’origine. La stratégie de ce gouvernement en matière d’ESR est donc transparente, et il nous a déjà montré sa détermination à réduire la concertation à un simple affichage. Il n’est plus temps d’attendre la confirmation de la prochaine « intention », mais d’amorcer sans délai la reprise en main du CNRS par la communauté scientifique.
L’enjeu des recrutements. La question des recrutements est en effet la pierre angulaire de la liberté académique au CNRS, garantie par le rôle de l’instance de représentation des pairs, le CoNRS. C’est une redéfinition complète du rôle de cette instance que M. Petit a mise à son agenda. La bureaucratie escompte probablement que la contestation ne soit pas suffisante pour entraîner un infléchissement politique notable. De fait, ce calcul paiera tant que nous ne nous engagerons pas collectivement dans une entreprise résolue de réappropriation complète de nos métiers, dans les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) comme à l’Université
La collégialité des procédures de recrutement n’est pas un enjeu spécifique au CNRS. À l’Université, dans de nombreuses disciplines, la campagne de recrutement synchronisée fournit en ce moment même le modèle d’une veille collective via des « wikis auditions » et autres « suivi des recrutements », nourris par les contributions informelles des membres de comités de sélection. Les sections du CoNRS pourraient-elles emprunter le même chemin, et rendre aux recrutements CNRS une transparence que M. Petit entend leur ôter ?
Quelle place pour le jugement des pairs au CNRS ? L’attaque qui vient d’être portée par A. Petit est en tous points éloquente. En changeant unilatéralement l’organisation du concours sans même en informer l’instance démocratique qu’est le CoNRS — via la conférence des présidents du comité national (CPCN) et son président —, le message est clair : « je me fiche de l’avis des pairs ».
Le calendrier de cette attaque est également lourd de sens. Au moment où les sections, pleinement engagées dans les concours, sont les moins réactives, A. Petit trouve une occasion rêvée d’imposer un changement sans remous. Il pourra par ailleurs exploiter le flottement inhérent à la transition entre les deux mandatures pour pérenniser cette décision, avant l’installation effective de la prochaine CPCN. Invitons les collègues nouvellement élus à rester sur leurs gardes en cette période charnière : Le CoNRS doit veiller à ne pas se départir de ses missions en laissant libre cours au « pilotage scientifique » de l’établissement par sa bureaucratie.
La prochaine mandature du CoNRS s’annonce donc comme une lutte pied à pied, afin de permettre aux chercheurs et chercheuses du CNRS de reprendre prise sur leur métier, et ce dès l’étape du recrutement. Dans la perspective des élections imminentes au CoNRS, tant les électeurs que les candidats devront s’emparer de la question des modalités concrètes de cette nécessaire réappropriation du CNRS. On ne saurait perdre de vue le rôle encore majeur que le CoNRS occupe dans l’évaluation de la recherche, et le levier qu’il représente pour réaffirmer les conditions inaliénables de la liberté académique. Si l’on néglige cette exigence impérieuse, la reprise en main bureaucratique de l’ESR ruinera définitivement les conditions d’exercice d’une recherche intègre, affranchie des pressions exercées par les pouvoirs économiques, religieux et politiques.