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Ce que nous préférerions

Une série de brèves, cette semaine encore — des textes plus fouillés sont en préparation.

  1. Candidatures à la présidence du CNRS
  2. Position à adopter vis-à-vis des évaluations Hcéres
  3. Variant Omicron
  4. Annonce du prochain séminaire Politique des Sciences le 16 décembre.

Après sa parution il y a une dizaine de jours, le premier tirage de l’ouvrage Lingua Novæ Universitatis est en passe d’être épuisé. Une réimpression est en cours, vous pouvez donc continuer à commander le livre à l’éditeur.

1. Soutien à la candidature d’Olivier Coutard à la présidence du CNRS

Plusieurs candidats à la présidence du CNRS ont été auditionnés, les autres ayant été éliminés sans examen de leurs dossiers, dans la plus grande opacité. Il y a trois semaines, un appel à soutenir la candidature d’Olivier Coutard à la présidence du CNRS a été lancé, qui a réuni 500 chercheuses et chercheurs

Pour apporter votre soutien à cette candidature, vous avez quelques jours pour envoyer par courriel, Prénom — Nom — Fonction — Institution, à l’adresse suivante : presidencecoutardcnrsgmail.com.

2. Une résistance à la Bartleby face au Hcéres ?

Dans notre précédent billet « Les naufrageurs », nous souhaitions courage et résistance aux collègues qui vont devoir subir dès la « vague C » les normes et procédures édictées par le nouveau référentiel d’évaluation des unités de recherche Hcéres. À la suite de ce billet, l’abondance du courrier reçu et les premières remontées de terrain montrent que ces excès caricaturaux de bureaucratie, conjugués à un abandon total de la science dans l’évaluation, ne passent pas, même auprès des collègues habituellement disposés à se soumettre aux requêtes administratives les plus laborieuses.

Le moment semble donc opportun pour convenir des moyens collectifs de résistance à la farce bureaucratique du Hcéres et pour refonder collectivement les normes qualitatives de nos métiers. Nous détourner du Hcéres pourrait se traduire par cette action très simple, inspirée de Bartleby : ignorer purement et simplement le cadre du référentiel d’évaluation de cette institution hétéronome ; « je préfèrerais ne pas » utiliser le document d’autoévaluation formaté, « je préfèrerais ne pas » remplir les cases de tableur Excel, etc. Préférer ne pas faire suivant les préceptes rédactionnels du Hcéres ne signifie pas pour autant renoncer à toute forme de bilan et de prospective scientifique pour les unités de recherche. Pour reprendre la main sur des normes qualitatives adaptées aux pratiques et aux besoins réels des laboratoires, nous proposons de collecter vos propositions d’alternatives au référentiel du Hcéres, par retour de mail, puis de les soumettre au scrutin sur notre site. Sur la base des propositions les plus largement validées, une fiche pratique des modalités de résistance sera rédigée, proposant un ensemble d’éléments cohérents qui pourront servir d’ossature au travail rédactionnel des unités. Cette démarche conforme au principe d’autonomie de la recherche permettra à la communauté académique de fixer elle-même les modalités d’appréciation de ses laboratoires, discipline par discipline, modalités qui pourront s’appliquer dès la vague C, comme alternative à l’ensemble des procédures et documents réclamés par l’agence bureaucratique de l’évaluation.

Calendrier prévisionnel :

  • Date limite de retour par mail de vos propositions: 10 décembre
  • Vote du 13 au 17 décembre
  • Publication d’une fiche pratique : rentrée de janvier

3. Omicron près

Il est trop tôt pour connaître les conséquences de l’irruption en Afrique australe, puis à Hong Kong, en Israël et en Europe, de la nouvelle souche mutante B.1.1.529 (Omicron). L’analyse des dizaines de points de mutation de la protéine Spike ne permet pas d’écarter l’émergence possible d’une lignée virale capable d’échappement immunitaire et dotée d’une forte transmissibilité, ne saurait remplacer les données épidémiologiques[1] et vaccinales à venir dans les prochaines semaines. 

Il n’est pas trop tôt, en revanche, pour pointer que ni la vague hivernale du variant Delta, ni l’alerte sur la souche mutante Omicron ne sont des surprises, du point de vue scientifique. En juin, dans une tribune du Monde, nous expliquions (en vain) aux conseillers de l’Élysée et du ministère des Solidarités et de la Santé :

« Néanmoins nous pouvons d’ores et déjà anticiper que la vaccination ne suffira pas : le variant Delta — aujourd’hui une centaine de nouveaux cas par jour — est 2,5 fois plus transmissible que la souche sauvage. Avec une couverture vaccinale de 60 %, nous serions à la rentrée 2021 globalement dans la même situation vis-à-vis des risques d’une nouvelle flambée épidémique qu’à la rentrée 2020. Par ailleurs, nous devons nous préparer à la possibilité d’un variant disposant d’un échappement immunitaire important, tant qu’il existera un réservoir épidémique humain sur la planète. Il faudrait alors de longs mois pour mettre à jour les vaccins ARNm et reprendre la campagne vaccinale en commençant par les plus fragiles. Si cela devait advenir, ou que surgisse une toute autre épidémie, il serait indispensable de garder l’Université ouverte. Notre société doit consentir dès maintenant aux investissements permettant de réduire le risque de transmission épidémique. »

La vague du variant Delta comme l’irruption d’Omicron sont la conséquence des choix politiques des pays les plus riches : n’avoir pas suivi la stratégie Zéro Covid, n’avoir pas consenti aux investissements nécessaires à constituer un arsenal sanitaire large, n’avoir pas passé la production de vaccins dans le domaine public…

Dans le temps même où l’Institut Pasteur met à jour son étude sur les lieux de contamination révélant que « chez les plus de 40 ans, la présence d’enfants dans l’entourage a été associée à un sur-risque d’infection qui va de +30 % pour les collégiens à +90 % pour les très jeunes enfants (moins de trois ans) », le ministre de l’Éducation nationale annonce en finir avec les fermetures de classes au premier cas et remplace ce dispositif — qui rendait visible la progression des contaminations des moins de 10 ans — par un double test déjà expérimenté depuis début octobre dans dix départements (avec des résultats « variables » comme l’euphémise le ministre lui-même dans sa conférence de presse).

Une certitude à ce jour : les particules virales de la souche mutante Omicron doivent encore voyager dans les airs pour contaminer. Nous savons donc que les masques FFP2 ou FFP3 et la ventilation, pour lesquels aucun investissement ni aucune campagne d’information n’ont été consentis, seront précieux.

4. Séminaire Politique des sciences 

À qui appartient le ciel ? L’astronomie en prise avec l’accaparement mercantile des orbites basses

Le 16 décembre 2021 à 16h-20h, amphi Lavoisier A, Centre universitaire des Saint-Pères, 45 rue des Saints-Pères, Paris 6ème. Diffusion en direct sur la chaîne du séminaire Politique des sciences.

Des flottes composées de milliers mini-satellites en orbite basse terrestre (~300-500 km d’altitude) sont en cours de déploiement ou le seront bientôt. Ces services commerciaux promettent de connecter à Internet le monde entier. En guise de tête de gondole, le projet Starlink, filiale de l’entreprise SpaceX d’Elon Musk, illustre les méthodes et les objectifs mercantiles de ce segment de l’industrie spatiale relié au capitalisme numérique. Sa mise en place s’est réalisée à une cadence soutenue depuis 2018, et les caractéristiques techniques sont vertigineuses : entre autres, le service pourrait compter 12 000 satellites en fin de déploiement opérationnel vers 2025. Cet accaparement du ciel, s’il a emporté l’adhésion des premières dizaines de milliers d’abonnés anxieux de booster leur bande passante et des adeptes de la technolâtrie californienne, a néanmoins provoqué une pollution sans précédent du fait des sillons lumineux que laissent ces mini-satellites sur leurs passages. Ainsi, c’est la contemplation et l’observation du ciel qui seraient menacées par ces déploiements en marche forcée. En réaction, les communautés professionnelles et les amateurs d’astronomie se sont mobilisées pour alerter sur les impacts potentiellement désastreux de ces « méga-constellations » sur la pratique de l’astronomie — et au-delà, des usages de l’orbite basse, de plus en plus gênés par la prolifération des missions commerciales. 

Cette séance propose de faire le point sur ce problème rapidement devenu public. Cette séance alternera entre les diagnostics techniques sur le coût environnemental de ces infrastructures, les discussions autour des différents enjeux (technologiques, réglementaires, économiques, politiques, culturels, etc.) de leur développement, mais aussi les retours réflexifs sur les modes de mobilisation des professionnels et amateurs d’astronomie. Elle ouvrira aussi la réflexion sur les évolutions de notre rapport à l’environnement et au cosmos, et sur l’importance de défendre le ciel comme bien commun.

  • Faustine Cantalloube (CNRS) — « Les nouvelles pollutions du ciel » 
  • Roland Lehoucq (CEA) — « Dommages collatéraux des constellations de satellites »
  • Éric Lagadec (Observatoire de Nice, Président de la SF2A) — « Une mobilisation scientifique internationale inédite
  • Fabrice Mottez (Observatoire de Paris, Rédacteur en chef de l’Astronomie) — Titre à venir

[1] L’Afrique du Sud est à l’approche de l’été et dispose d’une couverture vaccinale autour de 25 %. Le temps de doublement épidémique du variant Omicron, constaté sur la dernière semaine, est autour de 4 jours. Les biais d’échantillonnage et les incertitudes sur la réduction de transmission par la vaccination ne permettent pas de déterminer le taux de reproduction épidémique et l’échappement immunitaire à ce stade.

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Jouer sur les maux

Ce billet comporte trois sections :

Lingua Novae Universitatis (LNU) — Fragments d’un discours universitaire

Chères et chers collègues,

Dans le cadre d’une approche orientée « rebranding » et destinée à réaffirmer les valeurs de notre projet humaniste dans la compétition des idées, RogueESR a le plaisir de vous annoncer le lancement du Grand Projet d’Avenir RoguExR™. RoguExR™ représente une opportunité inédite pour notre communauté : un véritable choc de simplification pour une culture de l’autonomie bien comprise, à l’aube de défis requérant toujours plus d’agilité pour inscrire l’Université au cœur des véritables enjeux stratégiques des mondes de demain.

Soutenabilité résiliente, rayonnement post-Lumières, collégialité disruptive, pédagogie innovante dématérialisée : c’est à ces conditions authentiques que nous pourrons valoriser la liberté académique comme elle le mérite auprès de l’ensemble des responsables politiques, mais aussi des actrices et acteurs au service de l’excellence. Pour cela, nous avons besoin de votre expertise et nous vous proposons d’intégrer un groupe de travail thématique pour penser la conduite du changement. La première réunion portera sur le choix des indicateurs pertinents pour l’octroi des primes et décharges reconnaissant votre engagement. Elle aura lieu demain de 12h30 à 12h45 dans l’auditorium Bernard Tapie. Une retransmission par Zoom sera également organisée.

Fidèlement,

Jean-Didier Petit, président, RogueExR™

Anne-Sylvie Charnier, VP aux Futurs Co-construits, RogueExR™


Le « nouveau management public » ambitionne d’administrer nos conduites en prenant appui sur nos désirs, pour obtenir que nous consentions à l’asservissement et à l’impuissance d’agir. Pour ce faire, il institue un ordre paradoxal qui exige des « acteurs » qu’ils soient responsables, indépendants, innovants, adaptables, résilients et flexibles, en un mot, « agiles », tout en créant les conditions de leur soumission à la mise en concurrence, érigée en norme de comportement, par la généralisation du projet (« call for proposals »), de l’évaluation (« benchmarking ») et du classement (« ranking »). La stratégie discursive du néo-management opère par abstraction, euphémisant la violence du consentement à la dépossession, par substitution au sens propre des mots du sens de leur antonyme ou encore par oblitération de sens. On peut même reconnaître une forme de génie (mauvais) à ceux qui eurent l’idée de baptiser « autonomie », la mise en pièces du principe d’autonomie de l’Université et de la science vis-à-vis des pouvoirs politique, religieux et économique.

Comment résister à cette précarisation subjective qui s’infiltre par le langage même ? En vivant, en pensant, en poursuivant notre travail avec éthique, exigence et liberté mais aussi, d’abord, en leur riant au nez, de ce rire franc, libérateur, irrépressible, qui emporte les larmes.

C’est ce que nous vous proposions dans un appel lancé en février 2020 en même temps que naissait Camille Noûs. Les bonnes volontés ont travaillé depuis à un ouvrage sous forme de glossaire, croisant des réflexions critiques, des contes satiriques, des chansons détournées, mais aussi des fragments utopiques imaginant la réinvention de l’Université et de la parole universitaire. Vous pouvez aujourd’hui prendre connaissance du résultat. 

LNU (Lingua Novæ Universitatis) — Fragments d’un discours universitaire, par Camille Noûs et par nous-mêmes, à commander d’urgence dans votre meilleure librairie ou sur le site de l’éditeur — peut-être aurez vous alors en cadeau un de nos authentiques « goodies » délicieux, durables et innovants, que vous pourrez mettre sous le sapin.

Depuis le temps que l’ombre de Delta plane

À la mi-juin, nous faisions paraître une tribune dans Le Monde pour prévenir des conditions de propagation épidémique analogues entre la rentrée de septembre 2021 et la rentrée précédente. Les vaccins existants préviennent les formes graves de pathologies mais ne limitent que marginalement la transmission par les voies respiratoires supérieures (via les fosses nasales). La cinquième vague épidémique est là, semblable à celle de l’an dernier, mais avec un mois de retard. Elle aurait pu être évitée. Le virus continue donc de circuler et de muter, laissant ainsi la possibilité d’émergence d’une souche présentant une résistance aux vaccins.

Prenant nos responsabilités de scientifiques, nous n’avons cessé d’appeler à la constitution d’un arsenal sanitaire large permettant non seulement d’endiguer cette épidémie-ci mais aussi celles qui se déclareront dans les années et décennies qui viennent. Cela passe par des moyens humains permettant de faire, à l’échelle des villages et des quartiers, de la prévention, de l’aide à l’isolement, de l’éducation sanitaire, de la détection de percée épidémique, etc. Cela passe aussi par une logistique pérenne permettant de produire des vaccins et leurs rappels sans générer de profits privés, et de participer à des campagnes vaccinales menées à l’échelle planétaire. Nous avons aussi appelé sans cesse, après que le consensus scientifique sur la transmission aéroportée de SARS-CoV-2 a été atteint, en juin 2020, à un investissement de l’Etat dans la qualité de l’air (ventilation des pièces de vie, suivi du taux de CO2 et purification de l’air) et à une campagne de sensibilisation sur le niveau de filtration des types de masques — donc à une campagne de promotion des FFP2 et de leur port correct.

Une circulaire de la directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP) sur la transmission aéroportée de SARS-CoV-2 a enfin été émise ce 19 novembre, avec 17 mois de retard sur les résultats scientifiques. Non seulement aucun investissement dans la réduction de risque n’a été consenti, mais la circulaire précise que le « dépassement des taux de CO2 recommandés n’est pas en soi un risque sanitaire », ce qui est scientifiquement faux et dangereux : le taux de CO2 permet la mesure du risque de transmission aéroportée.  La circulaire précise encore que « la mesure du taux de CO2 n’a pas à être déployée de manière systématique et permanente », et que « la politique à mettre en place dans les établissements en matière de taux de CO2 doit donc être appréciée au cas par cas ». On ne peut que rester pantois devant l’abîme qui sépare les résultats scientifiques et la politique sanitaire de l’exécutif. Un tel décalage en dit long sur l’ignorance de la recherche et sur le déni de la consultation scientifique qui prévalent dans les administrations centrales.

Séminaire Politique des sciences du jeudi 25 novembre (rappel)

À suivre en direct ou en différé sur la chaîne de Politique des Sciences.

« Enquêtes difficiles, données sous contrôle ? Quelques aperçus des transformations matérielles et normatives dans la recherche en SHS »

Jeudi 25 novembre de 16h30 à 20h30, Campus Jourdan de l’ENS, salle R1-07, 48 boulevard Jourdan, Paris 14ème.

Les sciences humaines et sociales (SHS) ont vu s’accumuler au cours des trente dernières années des tendances parfois contradictoires, entre banalisation de l’ethnographie, augmentation des corpus numériques, formes renouvelées de circulation des méthodes entre disciplines, mais aussi injonction à la protection des enquêtés « vulnérables » et formes bureaucratisées de l’éthique de la recherche (Institutional review boards et consent forms), augmentation des procès contre des chercheurs et chercheuses, appel à la science ouverte mais aussi à la protection des données sensibles… Si ces transformations ne concernent pas que les SHS, elles ont des effets bien particuliers sur celles-ci.

De quelle façon ces évolutions transforment-elles les formes de la recherche en SHS ? Le projet de cette séance est de faire part à la communauté scientifique d’un premier état des lieux —  à poursuivre dans d’autres séances — des problèmes spécifiques qui se posent en SHS, des risques nouveaux qu’affrontent aujourd’hui les chercheurs et chercheuses, de l’importance de ne pas appliquer mécaniquement dans ces disciplines des formats issus du monde des sciences biomédicales et expérimentales, faute de quoi ce serait non seulement leur inventivité qui pourrait s’en trouver affectée, et avec elle la possibilité de décrire le monde, mais aussi, peut-être, la liberté académique.

  • Johanna Siméant-Germanos — La littérature et le journalisme bientôt plus libres de décrire le monde que les SHS ? Quand l’enchevêtrement d’injonctions contradictoires entrave la recherche.
  • Etienne Ollion — Faire une enquête à l’heure des données numériques.
  • Mathilde Tarif — À qui appartient-il de définir le risque des terrains d’enquête difficiles ?
  • Marwan Mohammed — L’irruption de la violence durant l’enquête et ses effets en matière de protection des données et des sources.
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Les naufrageurs

Bilan budgétaire du quinquennat pour l’Université

Le ministère vient de faire paraître un communiqué de presse retraçant l’évolution du budget de l’Université au cours du quinquennat.[1]

Nous avons représenté la figure produite par le ministère à l’usage des journalistes, à gauche (vert), et les mêmes données, une fois l’inflation compensée (violet), en euros de 2017. Malgré l’effet d’affichage consistant à isoler en vert foncé un surcroît de budget — qui ne correspond à rien dans un projet de loi de finances — le graphique du ministère permet de se rendre compte que la loi de programmation de la recherche (LPR) n’a rigoureusement rien changé à la trajectoire budgétaire : les augmentations sont calculées par Bercy de sorte à compenser l’inflation (violet). L’unique loi du quinquennat n’aura fait miroiter un accroissement budgétaire (totalement fictif, donc) que pour précariser et bureaucratiser un peu plus l’enseignement supérieur et la recherche. Dernière entourloupe en date, le « CDI de mission scientifique » prévu par la LPR, s’avère dans le décret du 4 novembre 2021 être un contrat à durée prévisionnelle pour des missions non nécessairement scientifiques, qui peut être interrompu à tout moment.

Du fait du babyboom de l’an 2000, le nombre de bacheliers a fortement augmenté pendant le quinquennat, ce qui était prévisible 18 ans à l’avance. Le nombre d’étudiants aurait augmenté dans les mêmes proportions, s’il n’y avait pas eu une politique de découragement des études universitaires (Parcoursup en particulier). Le budget par étudiant est représenté en rouge, sur l’axe de droite, selon une convention permettant de le lire comme un budget effectif, compensé de l’accroissement du nombre d’étudiants, sur l’axe de gauche. Il est en baisse significative.

Le déclin de l’Université et de la recherche scientifique publique comme de la recherche appliquée privée est devenu, à l’occasion de la crise sanitaire, un fait documenté. Si ce déclassement touche la majorité du monde académique, certains en ont été préservés. Pourtant, parmi les universitaires et les chercheurs actifs, plus grand monde ne doute du lien de causalité entre les réformes de bureaucratisation, de paupérisation, de précarisation et ce déclin. Une refondation tournant la page de vingt ans d’une politique désastreuse[2] est devenue une nécessité pour freiner le délitement de notre écosystème de recherche et d’enseignement supérieur.

Le Hcéres, caricature de sa propre bureaucratie

Le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) vient de publier le référentiel d’évaluation des établissements, entités de recherche et formations de la « vague C » (Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val-de-Loire, Corse, Grand-Est, Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Nouvelle-Calédonie et Polynésie Française). Ce référentiel paraît un an après la nomination de M. Coulhon à la présidence du collège du Hcéres. Le 12 novembre 2021, l’ex-conseiller du président de la République déclarait : « Il faut trouver un équilibre entre la simplicité, la légèreté de l’évaluation, et son efficacité ». Promesses non tenues : le référentiel publié est caricatural dans ses excès bureaucratiques, abject dans la déclinaison de l’excellence académique qu’il prétend évaluer et chronophage dans son application : d’où, moins de temps pour la recherche et donc moins d’articles de qualité. Les dizaines de critères d’évaluation ainsi définis (et déjà numérotés pour un traitement dématérialisé des rapports d’autoévaluation) sont à la fois le résultat et la quintessence de vingt années de politique de sape bureaucratique de l’enseignement supérieur et de la recherche. Une nouvelle fois, nous réaffirmons que la réappropriation par la communauté académique des normes qualitatives de notre métier doit être une priorité. Aux malheureux collègues qui essuieront les plâtres de ces nouvelles normes et procédures bureaucratiques, nous souhaitons courage et résistance.

Séminaire Politique des sciences du jeudi 25 novembre

« Enquêtes difficiles, données sous contrôle ? Quelques aperçus des transformations matérielles et normatives dans la recherche en SHS »

Jeudi 25 novembre de 16h30 à 20h30, Campus Jourdan de l’ENS, salle R1-07, 48 boulevard Jourdan, Paris 14ème, et sur la chaîne de Politique des sciences.

Les sciences humaines et sociales (SHS) ont vu s’accumuler au cours des trente dernières années des tendances parfois contradictoires, entre banalisation de l’ethnographie, augmentation des corpus numériques, formes renouvelées de circulation des méthodes entre disciplines, mais aussi injonction à la protection des enquêtés « vulnérables » et formes bureaucratisées de l’éthique de la recherche (Institutional review boards et consent forms), augmentation des procès contre des chercheurs et chercheuses, appel à la science ouverte mais aussi à la protection des données sensibles… Si ces transformations ne concernent pas que les SHS, elles ont des effets bien particuliers sur celles-ci.

De quelle façon ces évolutions transforment-elles les formes de la recherche en SHS ? Le projet de cette séance est de faire part à la communauté scientifique d’un premier état des lieux — à poursuivre dans d’autres séances — des problèmes spécifiques qui se posent en SHS, des risques nouveaux qu’affrontent aujourd’hui les chercheurs et chercheuses, de l’importance de ne pas appliquer mécaniquement dans ces disciplines des formats issus du monde des sciences biomédicales et expérimentales, faute de quoi ce serait non seulement leur inventivité qui pourrait s’en trouver affectée, et avec elle la possibilité de décrire le monde, mais aussi, peut-être, la liberté académique.

  • Johanna Siméant-Germanos — La littérature et le journalisme bientôt plus libres de décrire le monde que les SHS ? Quand l’enchevêtrement d’injonctions contradictoires entrave la recherche.
  • Etienne Ollion — Faire une enquête à l’heure des données numériques.
  • Mathilde Tarif — À qui appartient-il de définir le risque des terrains d’enquête difficiles ?
  • Marwan Mohammed — L’irruption de la violence durant l’enquête et ses effets en matière de protection des données et des sources.

[1] Il s’agit techniquement de la subvention pour charge de service public au titre du programme 150, donnée qui a malheureusement disparu des jaunes budgétaires.

[2] « Valérie Pécresse cultive une forme de modernisme de bon aloi qui enrobe des convictions bien trempées qui laissent peu de place au doute. Comme ministre, elle s’est attelée à une réforme des universités qui ne méritait pas les cris d’orfraie de la gauche. Sous mon quinquennat, nous lui avons donné une dimension nouvelle, avec le regroupement des établissements d’enseignement supérieur car l’autonomie et l’excellence ne contredisent pas les objectifs de démocratisation et de professionnalisation des études supérieures. » François Hollande, Affronter, ed. Stock, 2021.