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Répondre à l’effondrement des preuves par une salve d’avenir

« À chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d’avenir. »

René Char

Dans la tempête démocratique, socio-économique, sanitaire et climatique que la planète traverse, tempête accentuée par l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, il est de notre responsabilité de travailler, en plus de nos recherches et de nos enseignements, à sortir notre société de l’ornière. Nous avons peu de temps. Interpellés dans de nombreux courriers sur notre absence d’engagement partisan au cours des campagnes électorales, nous voulons clarifier ceci : nous ne nous connaissons aucun ennemi parmi celles et ceux qui défendent les libertés publiques et plus généralement le legs du libéralisme politique. A contrario, nous sommes très inquiets de la banalisation de l’extrême-droite et faisons nôtre ce principe minimal d’asepsie politique : « on ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages » (Jean-Pierre Vernant).

Pour l’heure, nous vous souhaitons un été plein de joie, entre repos et production savante.

Mme Vidal, ancienne ministre de l’enseignement supérieur, envisageait de devenir salariée de la Skema business school — l’une de ces écoles de commerce qui fleurissent sur la paupérisation de l’Université publique pour proposer des formations indigentes à prix d’or. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a rendu un avis défavorable, mais non public, à ce recrutement de Mme Vidal par le secteur privé dont elle a servi loyalement les intérêts.

Certifications en langues — Le 3 avril 2020, en plein confinement, Mme Vidal faisait paraître un arrêté et un décret rendant obligatoire de passer une certification externe en langue anglaise pour se voir reconnaître les diplômes universitaires de premier cycle. Cette décision, préparée depuis plusieurs mois sur injonction directe du Premier ministre, a défrayé la chronique pour de nombreuses raisons : la restriction du choix des langues vivantes à l’anglais, l’obligation de passer une certification mais pas de l’obtenir, le recours obligatoire au secteur privé, le coût de cette certification, la tentative d’appel d’offre national en faveur d’un prestataire inconnu adepte de l’optimisation fiscale, mais aussi et peut-être surtout le conditionnement inédit de la remise d’un grade académique à la passation d’une épreuve explicitement soustraite à la juridiction de l’Université. Suite à un recours collectif déposé par plusieurs associations professionnelles et sociétés savantes, le Conseil d’État a procédé à l’annulation de l’essentiel des textes d’avril 2020, en s’appuyant sur le principe de collation des grades par l’Université seule.

Au-delà des félicitations aux associations ayant déposé le recours, il convient de saluer cette décision de principe et de reconnaître sa valeur historique pour la différence de la liberté pédagogique en tant que liberté professionnelle collective : le Conseil d’État, par cette décision, réaffirme avec force que les jurys composés des équipes pédagogiques sont seuls souverains pour remettre les diplômes dans le respect des règles décidées collégialement par les instances académiques.

Covid et investissement dans la qualité de l’air — Cela fait désormais deux ans que la transmission aéroportée de SARS-CoV-2 fait consensus scientifiquement. Depuis la « dernière vague » annoncée le 1er janvier par M. Véran (Omicron BA.1), la vague épidémique du variant BA.2 a causé entre 8 000 et 9 000 morts, dans l’indifférence. Deux nouveaux variants (BA.4 et BA.5, ce dernier étant plus transmissible) sont en train de provoquer une septième vague épidémique que la vie en extérieur pendant l’été aura du mal à atténuer avant la reprise automnale. Les faits, irréfutables, donnent raison aux analyses scientifiques que nous avons portées : nous avons besoin d’un arsenal sanitaire large et en particulier d’un investissement dans la qualité de l’air intérieur. Du fait du déni de la transmission aéroportée par le cabinet ministériel, notre pays est l’un des pays riches où l’on a le moins investi dans la réduction du risque de transmission. Les travaux d’installation de purificateur d’air et de système d’aération efficace prennent du temps et l’été doit être mis à profit pour qu’après deux ans d’inaction, l’Université puisse faire sa rentrée dans de bonnes conditions.

Évolution comparée du point d’indice des fonctionnaires, de l’indice des prix à la consommation et des loyers.

La communauté scientifique ne connaît pas de frontières : soutien aux universitaires persécutés.

En une période où la liberté académique et les droits fondamentaux n’ont jamais été autant bafoués, il est essentiel de rappeler notre soutien à toutes les chercheuses et tous les chercheurs qui subissent des restrictions à leurs libertés, sont contraints à l’exil ou qui sont emprisonnés par des régimes autoritaires.

Nous pensons en particulier à notre collègue anthropologue Fariba Adelkhah, prisonnière scientifique depuis plus de trois ans à Evin en Iran, où elle purge une peine de 5 ans de prison, infligée sans procès et sur la base d’accusations invraisemblables.

Nous pensons aussi à la sociologue Pinar Selek persécutée depuis 24 ans par le pouvoir turc et contrainte à l’exil dans notre pays. Pinar Selek a été à nouveau condamnée ce 21 juin à la prison à perpétuité par la Cour suprême de Turquie alors que les faits dont on l’accuse sont une pure invention et qu’elle a été acquittée à quatre reprises. Le harcèlement judiciaire dont elle fait l’objet trouve son origine dans ses travaux de recherche sur les kurdes et dans son engagement pour la défense des droits humains en Turquie. Il est possible de soutenir les démarches juridiques que notre collègue va engager.

Nous pensons à tous les universitaires, étudiantes et étudiants d’Ukraine qui sont contraints à l’exil ou qui subissent la guerre dans leur pays. Nous réaffirmons aussi notre solidarité avec les chercheuses et chercheurs russes qui ont le courage de s’opposer à la guerre et en subissent les conséquences au plan de leur liberté individuelle et scientifique.

Nous appelons chaque membre de la communauté scientifique à agir chaque fois qu’il nous est possible de le faire, en apportant aide et soutien aux collègues et étudiants internationaux, en particulier en facilitant leur accueil dans nos établissements. Le savoir est universel : la communauté scientifique ne connaît pas de frontières.

Un texte de Philippe Cinquin sur le manque de déontologie dans les instances de nos institutions.

Un article signé par Camille Noûs et trois autres co-autrices reçoit le 1er prix biennal de la revue Food and History (Revue de l’Institut Européen d’Histoire de l’Alimentation) pour une publication parue en 2021.

Cette distinction est l’occasion de rappeler l’engagement collectif de Camille Noûs en faveur d’une éthique de recherche. En associant sa signature à leur production scientifique, des centaines de chercheuses et de chercheurs entendent témoigner de la dimension collective de la recherche et démentir les mythes individualistes entretenus par la bureaucratie évaluatrice et par l’oligopole de l’édition scientifique. Nous vous invitons à poursuivre le mouvement selon vos possibilités. Cette signature symbolique est complémentaire des initiatives heureuses visant à confier le processus d’approbation et de publication des communications scientifiques à la seule communauté de recherche, garante d’une évaluation indépendante, rigoureuse et éthique.

Les 27, 28 et 29 août, des journées d’été des savoirs engagés et reliés à l’École normale supérieure de Lyon pour travailler sur les relations entre science et société.

Deux nouvelles parties de l’entretien avec Michèle Leduc et Didier Gourier sur la chaîne Politique des sciences.

Sur l’intégrité scientifique.

Sur l’intérêt de la société à avoir une recherche.

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Comment réformer le système de recrutement des universitaires

« L’école, dans un pays démocratique, c’est d’elle que tout vient et c’est à elle que tout revient. »

Jean Zay, ministre de l’éducation nationale du Front populaire, assassiné par la Milice française le 20 juin 1944.

La phase électorale se referme. Nous avons choisi d’enjamber les spasmes de la campagne et ne regrettons pas ce choix. La crise politique que notre pays doit affronter s’est creusée. L’extrême droite sort renforcée de ces élections, après des années de normalisation institutionnelle et de banalisation de ses idées — la séquence maccarthyste orchestrée par M. Blanquer, M. Macron et Mme Vidal contre la liberté académique est exemplaire à cet égard. La tripartition de l’espace politique entre mouvement émancipateur social-écologiste, droite managériale et conservatrice et bloc d’extrême-droite national identitaire s’installe dans la durée, même s’il est frappant de voir qu’aucun de ces blocs politiques ne peut compter fermement sur l’adhésion de plus de 12 % de l’électorat.

Comme universitaires attachés à la liberté et à la rationalité, notre responsabilité propre est de dépasser la sidération et de poursuivre un travail de création politique sur l’Université et les institutions de recherche scientifique, contribuant à juguler les crises sanitaire, socio-économique, environnementale et démocratique.

Nous poursuivons donc cette tâche programmatique en revenant en détail sur un sujet déjà évoqué dans plusieurs billets : l’esquisse d’un système de recrutement des enseignants-chercheurs conforme à nos exigences pour une refondation de l’Université. La demande d’ouverture de poste pour M. Blanquer à l’université Paris-Panthéon-Assas après intervention au sommet de l’État, en dehors des dispositions prévues pour la réintégration dans son corps d’origine, illustre l’urgence d’une réforme en profondeur du mode de recrutement, de mutation et d’affectation des universitaires.

Recrutement des enseignants-chercheurs : articuler autonomie et système national d’Université et de recherche

L’annonce du démantèlement du CNRS par son président, ou du moins sa transformation en « agence de programmes » au service des établissements universitaires, traduit une volonté d’abandonner l’organisation nationale de la recherche et de l’Université au profit d’une logique de « marque ». Nous prenons ici le contrepied de cette idée : et si les recrutements pour l’Université se faisaient selon un principe reprenant ce qui fonctionne bien dans ceux du CNRS ou de l’INRAE ? Pour tenter de poser sereinement le débat, nous mettons à la discussion une organisation possible d’articulation entre le principe d’autonomie des universitaires auquel nous sommes attachés et l’idée d’une unité du système à l’échelle territoriale. Puis nous proposerons une étude d’impact de cette nouvelle organisation. Ce billet long complète nos analyses sur les moyens alloués à l’Université et à la recherche, et sur les conséquences de la précarisation et de la paupérisation du système.

Revenir aux fondements de l’Université

Pour redéfinir les procédures des recrutements universitaires, nous entendons partir de deux constats simples :

  1. La mission pédagogique de l’Université est de former la jeunesse du pays à l’argumentation rationnelle et critique dans l’ensemble des champs de la connaissance, afin de concourir à son émancipation. Parmi les moyens requis figure un maillage territorial étroit, incluant des établissements expérimentaux à taille humaine, accompagné de la construction de résidences universitaires et d’une allocation d’autonomie permettant aux étudiantes et aux étudiants de se consacrer entièrement à leurs cursus.
  2. La mission d’enseignement est liée à une activité de production et de critique des connaissances, à savoir la recherche scientifique, laquelle requiert l’indépendance statutaire et la possibilité de libres coopérations en réseaux. Cela passe par une réforme du financement de la recherche avec l’introduction d’une dotation pérenne par tête et d’une banque nationale de moyens. En outre, nous disposons des outils numériques permettant de fédérer les scientifiques au-delà d’un seul site, levant ainsi une des contraintes pesant sur tout projet de fonctionnement réticulaire.

La conséquence est double :

  1. Le recrutement dans les corps d’universitaires obéit à des nécessités pédagogiques et scientifiques irréductibles aux enjeux locaux de court terme. Il est absurde de recruter des universitaires fonctionnaires en partant des besoins pédagogiques (le « profil enseignement ») d’une seule offre quinquennale dans un seul établissement. L’exigence nécessaire au respect des besoins scientifiques nationaux ne peut être garantie que par des commissions très majoritairement — voire intégralement — composées de membres du domaine concerné, complétées par des représentants de domaines attenants.
  2. A contrario, l’affectation des universitaires sur un site donné dépend d’une politique collective des équipes pédagogiques, et dans certaines disciplines, des équipes scientifiques, qui ne sont pas forcément les mêmes.

Il y a là un double impératif à partir duquel il est possible de construire un nouveau système de recrutement et d’affectation répondant aux besoins de la société qui légitiment l’existence de l’Université. Les lignes qui suivent présentent une première proposition de système, destinée à produire un débat critique et des propositions alternatives. Ce dispositif a été pensé sans présupposer la rétrocession de la masse salariale des établissements au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, mais cette mesure serait bien évidemment dans le droit fil des aménagements que nous proposons. De même, si en théorie ce système est aveugle au nombre total de postes mis au recrutement, une augmentation massive de ceux-ci est nécessaire pour redonner à l’Université les moyens d’assurer ses missions.

Principes

Commençons par identifier les principes auxquels la solution technique doit obéir :

  • garantir le statut national des universitaires et mettre en œuvre des garanties des libertés académiques pour les personnels recrutés ;
  • mettre les recrutements à l’abri du clientélisme local ;
  • permettre les mutations et les rapprochements de conjoints ;
  • éviter ou diminuer la chronophagie des procédures de recrutement ;
  • garantir que les postes soient pourvus à la rentrée suivant la demande d’ouverture de la part de l’établissement ;
  • accroître la diversité des thèmes de recherche à l’échelle nationale et garantir la pérennité des disciplines et thématiques minoritaires ;
  • respecter un équilibre entre les intérêts d’ensemble de la communauté des enseignants-chercheurs et ceux des établissements ;
  • amortir les dérives propres à la mise en compétition des établissements.

Proposition de fonctionnement

Au vu de ces contraintes, on peut établir la procédure suivante pour un recrutement au 1er septembre, selon un calendrier synchronisé.

Composition et contour des commissions nationales

Pour des raisons à la fois logistiques et scientifiques, le périmètre des commissions nationales désignées par les pairs doit être aussi large que possible et aussi restreint que nécessaire pour garantir la possibilité d’auditions nationales. Le découpage des champs de compétence scientifique des commissions n’aura pas à correspondre au périmètre des actuelles sections du CoNRS ou du CNU. Si ces commissions ont vocation à être majoritairement élues, on peut envisager, pour une fraction de leurs membres, de recourir soit au tirage au sort, soit à la cooptation de collègues exerçant hors de France par les élus. Chaque commission nationale sera chargée, en dialogue avec sa communauté, de définir trois ou quatre spécialités découpant intelligemment le domaine, révisables en fonction des évolutions de ce dernier. Ces spécialités serviront de profil de recherche des postes ouverts.

Exemple

La section 28 (physique de la matière condensée) pourrait être constituée de trois spécialités (physique du solide, matière molle et biophysique) suffisantes pour couvrir le domaine.

Calendrier du processus

  1. Avant le 15/6 de l’année précédente : dépôt des demandes de mutation constituant la liste (B) du processus d’affectation.
  2. Du 15/6 au 15/7 de l’année précédente : demandes d’ouverture de poste.
  3. Du 1/9 au 15/10 de l’année précédente : examen des postes ouverts par les commissions nationales composées de pairs, qui formulent des demandes complémentaires dans les disciplines rares.
  4. Du 20/12 au 15/3 : les candidats déposent leurs dossiers au niveau national, sont auditionnés par les commissions nationales, et sont recrutés sur un poste encore indéterminé (A), mis sur liste complémentaire (C), ou non retenus.
  5. Du 15/1 au 25/3 : les candidats des listes (A), (B) et (C) formulent des vœux hiérarchisés pour leur affectation aux postes ouverts au concours, et à ceux susceptibles d’être libérés par une mutation.
  6. Du 30/3 au 10/5 : les commissions locales établissent un classement unique des candidats des listes (A) (néo-recrutés) et (B) (candidats à la mutation) ayant formulé un vœu pour ce poste. Dans un second temps, elles classent également les candidats de la liste (C) (complémentaire). Pour les postes potentiellement libérés par mutation, le titulaire sortant est systématiquement classé premier sur le poste qu’il souhaite quitter, afin d’éviter qu’il soit sans affectation s’il n’est appelé nulle part ailleurs.
  7. Le 15/5 (le jour J) : affectation pour les candidats des trois listes (A+B+C) sur l’ensemble des postes. Ouverture de la signature des contrats.
  8. Du 15/5 au 15/7 : gestion des changements d’affectations en cas de démissions et bilan de la procédure. Fin de la signature des contrats au 15/7.

Première phase, 15 juin – 15 octobre de l’année précédente : définition des besoins.

15 juin – 15 juillet de l’année précédente : demandes d’ouvertures de postes.

À l’intérieur des établissements, la procédure se fonde sur un principe de subsidiarité descendante, en passant par les laboratoires et les conseils des UFR ou facultés. Les composantes établissent une liste de besoins, en spécifiant les conséquences de l’obtention ou non du poste pour l’offre de formation et la recherche. La demande prend en considération les bilans sociaux des composantes et les taux de couverture dans les formations. Tout support libéré par un départ est déclaré disponible.

Le conseil académique de l’établissement étudie les demandes et les ordonne. Le conseil d’administration transmet une demande de subvention pour charge de service public au ministère, fondée sur les besoins et les conséquences des choix. Le ministère décide de la subvention pour charge de service public. Sur cette base, les établissements transmettent au ministère une liste comportant un nombre de postes à ouvrir égal au nombre de supports disponibles.

Par ailleurs, les candidates et les candidats à la mutation se déclarent avant le 15 juin au service du personnel de leur établissement. L’ensemble des personnes à affecter comprend donc les candidats recrutés et les universitaires demandant une mutation. Les affectations se font indifféremment sur les postes fraîchement ouverts et sur les postes libérés par les universitaires demandant une mutation. La procédure d’affectation est décrite ci-dessous.

Exemple

L’Université expérimentale de Prades fait remonter au ministère la liste suivante :

  1. Poste PR en Droit public (section 02) spécialité : droit constitutionnel
  2. Poste MCF en Informatique (section 27) spécialité : robotique/vision/langage naturel
  3. Poste MCF en Science politique (section 04) spécialité : théorie politique
  4. Poste MCF en Langue et littérature françaises (section 09) spécialité : littérature du XIXème
  5. Poste PR en Physique des Hautes énergies (section 29) spécialité : astro-particules
  6. Poste MCF en Mathématiques (section 25) spécialité : algèbre

Ainsi que les demandes de mutation de :

  • Jean C. MCF en Sociolinguistique (section 07) spécialité : dialectologie romane
  • Mme Elisabeth B. MCF en Sciences de gestion (section 06) spécialité : gestion de l’entreprise

1er septembre – 15 octobre de l’année précédente : définition des postes à pourvoir pour chaque commission nationale compétente.

Les commissions de recrutement nationales compétentes examinent les demandes de poste de leur périmètre et les demandes de mutations. Elles formulent au ministère des propositions de postes à ouvrir dans certaines disciplines rares (les disciplines-orchidées) à l’échelle nationale.

Le ministère, en liaison avec les présidents de commissions, arbitre les demandes après les avoir proposées aux établissements concernés. Les supports des postes ouverts sur des critères nationaux sont récupérés à l’échelle nationale lors des dialogues de gestion avec les établissements. Autour de 5 % des postes sont ainsi utilisés pour effectuer la politique scientifique nationale. La liste définitive des postes proposés au recrutement est publiée le 15 octobre.

Exemple

La commission de Mathématiques s’alarme de la disparition de la logique à l’échelle nationale et demande l’ouverture d’un poste MCF, en attirant l’attention du Ministère sur l’existence de laboratoires adaptés à leur accueil dans quelques établissements : université expérimentale de Prades, université de Montargis et université de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Deuxième phase, du 20 décembre au 15 mars : travaux des commissions nationales.

Les candidats aux postes ouverts déposent un dossier dématérialisé, selon le format demandé par la commission nationale à laquelle ils candidatent. Leur dossier peut inclure des propositions de projets susceptibles d’être menés à bien dans un ou plusieurs laboratoires précis, notamment les laboratoires de rattachement présomptif des postes déclarés à pourvoir depuis le 15 octobre (phase 1), sans que cela soit une obligation. Les commissions travaillent sur les dossiers de candidatures jusqu’à début février, pour une admissibilité proclamée autour du 5 février. Les auditions pourraient alors s’étaler sur deux à trois semaines, du 20 février au 15 mars, pour une publication des résultats le 20 mars.

La synchronisation stricte du calendrier permet d’envisager la banalisation de l’ensemble des enseignements dans toute l’Université sur la période concernée, afin que les personnes concernées par les auditions puissent se libérer de leurs obligations professionnelles. Les universitaires ne participant pas aux auditions pourront consacrer ce temps à d’autres travaux collectifs. De façon générale, la refonte des recrutements sur une base nationale va logiquement de pair avec une resynchronisation générale des calendriers universitaires, aux antipodes du chaos actuel, qui est préjudiciable aux coopérations et à la planification.

Les modalités de l’audition sont laissées à l’appréciation des communautés de pairs, et sont donc variables d’une commission nationale à l’autre.

Les auditions sont publiques. Elles se déroulent dans des locaux universitaires libérés par la banalisation des enseignements. Leur programme est consultable, et les doctorants et post-docs sont systématiquement invités à y assister pour leur formation professionnelle. En particulier, le programme des auditions de chaque commission nationale est transmis aux laboratoires et aux conseils d’UFR ou facultés concernés par les postes. De cette façon, des représentants de la commission locale d’affectation peuvent se joindre à l’auditoire, mais sans participer aux échanges ; comme des rapporteurs, ils pourront éclairer la commission locale d’affectation sur l’adéquation entre les candidatures retenues et les besoins locaux.

Les candidats retenus en liste principale non ordonnée (A) sont assurés d’avoir un poste. Cette liste principale s’accompagne d’une liste complémentaire non ordonnée de candidats (C), de même taille ou légèrement supérieure. Aucune de ces listes ne comporte de classement. La liste (B) des universitaires demandant leur mutation est ajoutée à la liste (A) pour constituer la liste (A+B).

Exemple

La section 06 (Sciences de gestion) a trois postes frais de MCF en Gestion de l’entreprise (Universités de Nice, Romorantin et Guéméné) et une demande de mutation (Université de Prades). Il y a donc quatre postes à attribuer dans cette spécialité.

Liste (A+B) :

Trois candidats sont retenus en liste principale (liste A) :

  • Mme Frédérique V.
  • M. Gabriel A.
  • Mme Sylvie R.

Candidate à la mutation (liste B) :

  • Mme Élisabeth B.

Trois candidats sont retenus en liste complémentaire (liste C) :

  • Mme Geneviève F.
  • M. Jean‑Michel B.
  • M. Bruno L.

Les autres candidats sont éliminés :

  • M. Damien A.
  • Mme Amélie M.

La commission procède à une restitution auprès de sa communauté de pairs en expliquant les qualités des recrutés, les raisonnements tenus et l’éventuelle gestion des conflits d’intérêts. Cette restitution permet non seulement d’établir un contre-pouvoir des pairs, mais aussi d’informer les laboratoires et les UFR sur les qualités des candidats retenus. Suite à cette restitution, si plus du tiers des inscrits relevant du champ d’exercice de la commission nationale expriment leur défiance par voie électronique, une nouvelle commission est désignée pour l’année suivante. Ce vote de défiance ne porte pas sur les listes de candidats (A) et (C), qui sont intangibles.

Troisième phase, 15 janvier – 15 mai : phase d’affectation par les commissions locales.

15 janvier – 25 mars : ouverture d’un portail de saisie des vœux recensant tous les postes à pourvoir au 1er septembre dans chaque établissement.

Les candidats sur liste principale (A) et sur liste complémentaire (C), ainsi que les universitaires demandant une mutation (B) formulent des vœux hiérarchisés d’affectation sur les postes à pourvoir. La liste (P) de ces postes inclut les postes fraîchement ouverts ainsi que les postes déjà pourvus mais qui seront possiblement (mais pas forcément) libérés par les candidats à la mutation. Les primo-entrants peuvent saisir leurs vœux avant de connaître l’avis de la commission nationale statuant sur leur candidature : ces vœux ne seront pris en compte qu’en cas de sélection lors de la phase de recrutement. La liste de vœux ordonnés d’un candidat peut ne pas comporter tous les postes ouverts (P). En cas de candidature dans deux spécialités ou plus, une seule liste de vœux est élaborée, pouvant comporter l’ensemble des postes de ces spécialités ou moins.

Exemple

Vœux de Mme Frédérique V.

  1. Nice 

Vœux de Mme Elisabeth B.

  1. Nice
  2. Romorantin
  3. Prades

Vœux de M. Gabriel A.

  1. Guéméné
  2. Romorantin
  3. Prades
  4. Nice

Vœux de Mme Sylvie R.

  1. Nice
  2. Guéméné
  3. Romorantin
  4. Prades

Vœux de Mme Geneviève F. (première en liste complémentaire B)

  1. Nice
  2. Guéméné
  3. Prades
  4. Romorantin

Vœux de M. Jean‑Michel B.

  1. Prades
  2. Guéméné

Vœux de M. Bruno L.

  1. Prades
  2. Guéméné

30 mars – 15 mai : travaux des commissions locales d’affectation et saisie des classements locaux.

La composition des commissions locales d’affectation est confiée au conseil de composante. Elle doit garantir une représentation de la composante où le poste est affecté, aussi bien en recherche qu’en enseignement. Ainsi, si un laboratoire de rattachement est pressenti, celui-ci est également représenté dans la commission locale d’affectation. Durant cette phase, la communication entre les candidats et les commissions locales est possible et encouragée. Les commissions locales peuvent demander un projet d’intégration pour évaluer l’adéquation des candidats avec les besoins locaux. En revanche, elles ne doivent pas chercher à évaluer les qualités académiques générales de ces candidats, cela ayant été fait au niveau national.

Chaque commission locale d’affectation classe les candidats des listes (A+B+C), la liste (C) étant impérativement classée après la liste (A+B). Les candidats à la mutation (liste B) sont systématiquement classés en premier sur le poste qu’ils sont susceptibles de quitter. Dans la plupart des cas, le dialogue entre commissions locales d’affectation et candidats à l’affectation conduira à un accord préalable se matérialisant par des premiers choix en correspondance.

L’algorithme de Gale-Shapley (détaillé en annexe, ci-dessous) est utilisé pour construire une affectation stable et optimale pour les candidats, sur la base des vœux des candidats et des classements des commissions locales. Par une configuration de l’algorithme, les candidats de la liste (B) (mutation) ont la garantie, au pire, de conserver leur affectation actuelle. Les candidats de la liste (A) ont la garantie d’être affectés à la condition d’avoir ordonné tous les postes disponibles (P). Ainsi, un candidat de la liste (A) ne peut rester sans affectation que s’il a souhaité refuser certains postes. Il n’est alors pas recruté, et un candidat de la liste (C) est affecté, si c’est possible. Il est impossible pour une commission locale de recruter un candidat de la liste (C) nationale, sur des critères locaux, s’il existe un candidat des listes (A) ou (B) au niveau national et qui souhaite prendre le poste.

15 mai : parution des premiers résultats d’affectation par croisement des vœux hiérarchisés des candidats et des classements des commissions locales.

Exemple

Les voeux des candidats sont les suivants :

Voeux Frédérique V.
(A)
Gabriel A.
(A)
Sylvie R.
(A)
Elisabeth B.
(B)
Geneviève F.
(C)
Jean‑Michel B.
(C)
Bruno L.
(C)
1 Nice Guéméné Nice Nice Nice Prades Prades
2   Romorantin Guéméné Romorantin Guéméné Guéméné Guéméné
3   Prades Romorantin Prades Prades    
4   Nice Prades   Romorantin    

Les commissions locales définissent les classements suivants :

Classement Nice Romorantin Prades Guéméné
1 (A+B) Elisabeth B. Frédérique V. Frédérique V. Sylvie R.
2 (A+B) Sylvie R. Sylvie R. Elisabeth B. Gabriel A.
3 (A+B) Gabriel A. Elisabeth B. Sylvie R. Elisabeth B.
4 (A+B) Frédérique V. Gabriel A. Gabriel A.  
5 (C) Jean‑Michel B. Bruno L. Bruno L. Geneviève F.
6 (C) Bruno L. Geneviève F. Geneviève F. Jean‑Michel B.
7 (C) Geneviève F. Jean‑Michel B. Jean‑Michel B. Bruno L.

Elisabeth B. est affectée à Nice parce que c’est son premier vœu et qu’elle y est classée première. Frédérique V., n’ayant pas eu Nice et n’ayant pas formulé d’autre vœu, n’est pas recrutée. Sylvie R. est affectée à Guéméné, son deuxième vœu après Nice. Gabriel A. est affecté à Romorantin, son deuxième vœu après Guéméné. Bruno L. est affecté à Prades parce que c’est son premier vœu et qu’il est classé devant les autres candidats en liste (C).

Quatrième phase, 15 mai – 15 juillet : phase manuelle et bilan.

À l’issue de l’affectation, deux situations peuvent contraindre à organiser une phase manuelle d’affectation. Si un candidat affecté sur un poste démissionne, par exemple en faveur d’un poste à l’étranger, le poste est proposé au candidat suivant dans la liste ordonnée de la commission locale. S’il préfère conserver le poste où il a été affecté, le poste est proposé au suivant sur la liste et ainsi de suite. S’il accepte le poste, il y est affecté. S’il libère ainsi un autre poste, on réitère le processus sur celui-ci.

Si un poste n’est pas pourvu, la commission nationale examine la possibilité d’étendre le bassin de recrutement l’année suivante, en faisant la publicité du poste ou en établissant une liste complémentaire (C) plus large.

Enfin, la commission nationale peut formuler des propositions de réorganisation inter-établissements. Ces propositions sont soumises à l’assentiment des collègues susceptibles d’être mutés par cette voie spécifique.

Exemple

La commission de langues et littératures anciennes propose la mutation du dernier PR de grec de l’université de Vire pour grossir les rangs de l’université de Guéméné, où se trouvent deux MCF en latin et en archéologie.

Analyse critique et alternatives

La procédure d’affectation ci-dessus se base sur un équilibre entre qualité intrinsèque des candidatures, évaluées au national, et adéquation du profil avec l’implantation évaluée en local, tout en simplifiant la phase d’affectation. Cet équilibre permet d’améliorer la confiance dans le concours. En revanche, il n’existe pas de garde-fou absolu contre tout féodalisme local.

D’autres procédures sont imaginables, qui mettent plus le poids sur la qualité intrinsèque, jugée au niveau national. Par exemple, on peut imaginer que les candidats recrutés en liste (A) choisissent leur affectation, par ordre de mérite. Mais le risque est de créer des déséquilibres au niveau local. Si l’on souhaitait maintenir davantage de localisme, au contraire, la commission nationale pourrait établir une liste des habilités (A+B+C) plus large que ce qui est proposé ici. Les commissions locales piocheraient dans cette liste pour leur recrutement. Mais dans ce cas, on perdrait les gains de temps. Enfin, pour donner plus de poids aux besoins locaux sans compromettre l’équilibre du dispositif, on peut également inverser la priorité de Gale-Shapley, en donnant plus d’importance aux classements des commissions locales et moins aux vœux des candidats.

Améliorations escomptées

  • garantir le statut national des universitaires et renforcer les libertés académiques des personnels recrutés : le statut national est garanti par un système unifié à l’échelle territoriale, mais il préserve aussi le principe de l’autonomie des universitaires par l’absence de pilotage ministériel. Il constitue une garantie de liberté académique et un garde-fou partiel contre les dérives du localisme.
  • mettre les recrutements à l’abri du clientélisme local : (1) il est impossible pour une commission locale de recruter un candidat local qui aura été éliminé au niveau national ; (2) il est impossible pour une commission locale de recruter un candidat local qui était en liste (C) au niveau national, s’il existe un candidat en liste (A) ou (B) qui veut le poste ; (3) noyauter le niveau national ne permet plus de préparer efficacement la nomination d’un candidat précis sur un poste local.
  • permettre les mutations et les rapprochements de conjoints: les mutations sont incorporées tout du long pour permettre, par exemple, les mutations croisées. Les candidats à la mutation, en liste (B), sont en compétition avec les candidats en liste (A) au niveau national mais ont priorité sur tous les autres.
  • éviter la chronophagie des recrutements: la claire séparation entre évaluation des qualités intrinsèques et évaluation de l’adéquation aux besoins locaux permet de diminuer drastiquement le nombre de dossiers, tant pour les évaluateurs que pour les candidats, tout en simplifiant leur évaluation. Concrètement, en 2020, on comptait 8 508 candidats pour 1 155 postes. Notre proposition aurait donc permis de diviser par 4 la charge des candidats et jurys d’un millier de commissions locales, soit des centaines de milliers d’heures de travail économisées.
  • garantir que les postes soient pourvus à la rentrée suivant la demande d’ouverture de la part de l’établissement : en 2020, 4,4 % des postes MCF n’ont pas été pourvus. En déplaçant la gestion de l’adéquation candidatures/postes au niveau national, et en obligeant les commissions locales à classer tous les admis, le problème des postes non pourvus est géré du mieux possible.
  • accroître la diversité des thèmes de recherche à l’échelle nationale et garantir la pérennité des disciplines et thématiques minoritaires : la concertation nationale sur l’ouverture des postes et le contingent national de postes permettent d’assurer que l’équilibre disciplinaire correspond aux besoins de la société, et ne néglige aucune discipline rare. Cette strate centrale est à la bonne position pour développer une stratégie scientifique nationale concertée.
  • respecter un équilibre de négociation entre la communauté des enseignants-chercheurs et les établissements : tout le processus est en réalité une négociation décentralisée entre les communautés disciplinaires et les établissements, chacun agissant à son juste niveau : entrée dans la profession pour les uns, adéquation aux besoins locaux pour les autres.
  • amortir les dérives propres à la mise en compétition des établissements : la compétition académique entre candidats est concentrée au niveau national, qui a des moyens de l’amortir. Les équipes scientifiques et pédagogiques n’ont plus à chercher le ou la « meilleure » dans l’absolu, juste la personne qui, dans un pool de candidats déjà recrutés, correspond le plus à ses besoins.
  • permettre aux candidats au primo-recrutement de s’informer en toute transparence : la publicité des auditions nationales et du rapport final offre la possibilité de se préparer en s’appuyant sur l’expérience des années précédentes ; les « profils » souvent cryptiques des fiches de poste actuelles sont remplacés par un cahier des charges national connu de tous, et la communication entre les candidats et les commissions locales et expressément encouragée lors de la phase d’affectation.

Annexe : algorithme d’affectation

La procédure d’affectation utilise deux fois l’algorithme de Gale-Shapley. La description de l’algorithme ci-dessous est virtuelle puisqu’il ne suppose l’intervention, ni des candidats, ni des commissions locales. Il se déroule automatiquement. De fait, les classements, qui sont les seules informations nécessaires à l’affectation, sont connus avant cette procédure. Lors de l’initialisation, chaque candidat reçoit l’affectation vide. En particulier, on considère que les candidats à la mutation ne sont pas initialement affectés au poste qu’ils sont susceptibles de quitter. Rappelons cependant que tout candidat à la mutation est classé premier sur le poste dont il est titulaire.

Dans un premier temps, seule la liste (A+B) des personnes à qui un poste est assuré, s’ils le souhaitent, est considérée. À chaque étape de l’algorithme, les candidats non encore affectés et qui n’ont pas épuisé leur liste de vœux se proposent (automatiquement) sur le poste qu’ils préfèrent parmi ceux auxquels ils ne se sont pas encore proposés ; chaque commission locale d’affectation, parmi les propositions qui lui sont faites (y compris celle qu’elle a peut-être temporairement acceptée précédemment), répond (virtuellement) « peut-être » au candidat qu’elle préfère et « non » à tous les autres. Après une étape sans proposition, l’algorithme se termine et les affectations temporaires deviennent définitives. Un candidat de la liste (A+B) non affecté, du fait qu’il a été refusé dans tous les établissements qu’il demandait, mais a refusé l’affectation dans certains établissements par une liste de vœux incomplète, n’est pas recruté.

Si les postes n’ont pas tous été affectés, on réitère l’algorithme sur la liste complémentaire (C) et l’ensemble des postes non encore affectés.

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L’échec de Shanghai et le pari perdu de Paris-Saclay

Au menu du billet de la semaine : une brève sur le recrutement des enseignants, l’annonce de la prochaine séance du séminaire Politique des sciences qui croise une actualité dramatique aux États-Unis, et un billet sur le classement de Shanghai, illustré par l’histoire de Paris-Saclay, qui s’achève par une version inédite du « Sonnet en X » de Mallarmé.

Refonder la formation des enseignants

La presse s’est fait l’écho ces derniers jours du lancement d’un dispositif de job dating (sic) pour le recrutement des enseignants contractuels du primaire et du secondaire. Il est difficile de ne pas y voir le symbole d’un échec qui remonte à loin et qui vient couronner une crise des vocations aux causes multiples, entretenue et aggravée par les politiques menées depuis vingt ans. Mais ce constat ne résout pas la question la plus importante : comment la société peut-elle se donner les moyens d’assurer une formation exigeante à tous les âges de la vie ? Nous avons déjà formulé des propositions à ce sujet : la refondation de l’Éducation nationale et de la formation des enseignants passe simultanément par un plan de titularisation des contractuels, par une revalorisation salariale, mais aussi par la mise en place d’un pré-recrutement dès la licence permettant d’assurer une formation disciplinaire de haut niveau dès le premier cycle, suivie d’une formation à la fois didactique et disciplinaire au niveau master, en bénéficiant des garanties d’un statut protecteur et en permettant une mise en responsabilité très progressive. Dans le même temps, il est urgent de déployer un plan de formation continue universitaire pour les enseignantes et enseignants déjà en poste, afin de garantir que les contenus dispensés restent en lien avec les avancées de la discipline. Sur ce sujet, nous vous renvoyons à notre note thématique du 10 février 2021.

Usages et mésusages de la génétique humaine

La prochaine séance du séminaire Politique des sciences aura lieu le vendredi 10 juin de 14h à 17h, à l’Institut des Systèmes Complexes, ISCV-PIF, 113 rue Nationale, 75013 Paris (Salle de séminaire), ou sur la chaîne de Politique des sciences.

Cette séance sera consacrée aux rapports entre avancées des connaissances en génétique humaine et leurs conséquences dans le champ sociopolitique, et plus particulièrement aux usages et mésusages de certains travaux.

Il y a deux semaines à Buffalo (NY) un suprémaciste blanc de 18 ans tuait dix personnes afro-américaines dans un supermarché. Comme il est d’usage en ces circonstances, le tueur de masse a rédigé un indigeste manifeste posté en ligne avant d’aller assassiner. 

Une étude parue quatre ans auparavant dans Nature Genetics — Lee, J.J., Wedow, R., Okbay, A. et al. Gene discovery and polygenic prediction from a genome-wide association study of educational attainment in 1.1 million individuals. Nat Genet 50, 1112–1121 (2018) — se retrouve, à la surprise de ses auteurs, citée par le tueur, parmi d’autres références académiques. Cette étude visait à détecter des polymorphismes nucléotidiques associés à la variance dans la réussite scolaire. Elle appartient à un ensemble d’études, en croissance régulière, qui utilisent de gigantesques bases de données pour traquer, via la méthode de Genome Wide Association Study, les variants génétiques associés à telle ou telle propriété cognitive ou sociologique. La nouvelle vague du « racisme scientifique » (récemment étudiée par Angela Saini, The return of race science, 2019) propose des interprétations causales de ces études, et infère du gène à la « race », afin de  montrer qu’existent des différences de capacités cognitives entre groupes ethniques. Évidemment, c’est un contresens scientifique.

L’un des membres du consortium à l’origine de cette étude et de nombreuses autres, Daniel Benjamin, économiste comportemental à UCLA, a exprimé sa consternation auprès d’un journaliste du journal bostonien Stat news en ces termes : « I’m horrified ». On le comprend. Ni lui, ni ses collègues ne sauraient être suspectés de vouloir faire avancer le suprémacisme blanc.

Mais, même si l’on réussit à retracer le cheminement tortueux qui conduit un tueur raciste à citer une étude qu’il ne saurait avoir ni lue ni comprise — un cheminement passant à travers les groupes bien connus de racistes scientifiques comme Emil Kierkegaard, Noah Carl ou Bo Winegard, frénétiques des réseaux sociaux, puis les clans suprémacistes sur Reddit, les sous-clans facebook, etc. —, on ne saurait balayer ensuite la chose d’un revers de main en distinguant la science « neutre, forcément neutre », et ses mésusages par des fanatiques incultes. 

« People kill people », répètent les aficionados de la NRA à chaque carnage à l’arme automatique pour rejeter l’idée intuitive que « guns kill people ». « GWAS don’t kill people », a d’ailleurs dit l’un des champions de ces études génétiques de « score de risque polygénique », pour enfoncer le clou d’une dichotomie radicale entre la science neutre et l’idéologie, seule coupable des horreurs faites au nom de la science. Or sans guns, les gens tueraient beaucoup moins de gens : l’argument de la NRA est clairement fallacieux, et le parallèle avec les GWAS laisse penser que, non, il ne suffira pas de dénoncer les idéologues détournant le sens de la science pour pouvoir continuer à dérouler tranquillement de la science neutre.

Cette séance du séminaire entend initier un tel examen de (con)science, urgemment requis par l’actualité. Il se trouve que depuis longtemps, des philosophes des sciences expliquent combien l’image de la « science neutre » est au mieux fausse, et, au pire, néfaste. Helen Longino en fait partie. Autrice d’un livre important sur la génétique comportementale (Studying Human Behavior: How Scientists Investigate Aggression and Sexuality, University of Chicago Press, 2013), discipline mère de toutes les études en question ici et de manière générale, pionnière de la critique de l’idée naïve de la science value-free, elle présentera certaines de ses conclusions sur ces questions. Hervé Perdry, généticien et statisticien, s’est penché sur l’histoire épistémologique de la génétique, les complexités de la modélisation mathématique de l’hérédité, et depuis ses débuts avec Galton et Fisher, l’entrelacement de celle-ci avec l’eugénisme. Il exposera certaines de ses analyses historiques et critiques lors de cette séance.

Programme.

14h. Helen Longino, Philosophe des sciences, Université de Stanford. The Sociality of Scientific Knowledge: Not Just an Academic Question (en anglais).

15h. Hervé Perdry, Enseignant chercheur en épidémiologie génétique, Université Paris-Saclay et Inserm (CESP). Mésusages de la notion d’héritabilité.

16h.  Conclusion et discussion.

La Dame de Shanghai

Michael O’Hara (O. Welles): When I start out to make a fool of myself, there’s very little can stop me. If I’d known where it would end, I’d never let anything start…

— La dame de Shanghai (1947)

Le problème du classement de Shanghai, c’est son existence. 

Valérie Pécresse — Figaro, 27/02/2008

Elsa (R. Hayworth): You can fight, but what good is it? Good bye…

Michael (O. Welles):  Do you mean we can’t win?

Elsa: No we can’t win. Give my love to the sunrise…

Michael: We can’t lose either, only if you quit.

— La dame de Shanghai (1947)

La nouvelle de ce mois, concernant l’Université et la recherche, est sans conteste l’abandon par la Chine des classements internationaux et en particulier de celui dit « de Shanghai ». Accompagnant le déplacement planétaire de la sphère productive vers l’Asie, la création d’établissements universitaires en Chine a été massive : on en compte aujourd’hui plus de 3 000. La Chine est devenue une immense puissance scientifique et se soucie désormais de développer un modèle universitaire original. En visite le 25 avril à l’université Renmin de Pékin, le président Xi Jinping a déclaré ceci : « La Chine est un pays avec une histoire unique, une culture distincte et un contexte national particulier […] Nous ne pouvons pas suivre aveuglément les autres ou nous contenter de copier les standards et les modèles étrangers lorsque nous construisons des universités de classe mondiale ». Cette déclaration a été immédiatement suivie d’effets, avec le retrait de plusieurs universités des classements internationaux, dont l’université Renmin — une décision saluée dans la foulée par le journal gouvernemental, le Quotidien du Peuple, ce qui ne laisse guère de doutes sur le caractère mûrement réfléchi du changement de cap national.

Plus qu’ailleurs, le modèle normatif promu par le « classement de Shanghaï », créé en 2003 et produit depuis 2009 par le cabinet Shanghai Ranking Consultancy (30 employés), a été utilisé en France comme outil de communication et comme argument palliant à bon compte un déficit de pensée critique et politique. De nombreux articles ont été consacrés à l’ineptie de la méthodologie employée (démontrée par exemple ici ou ), à commencer par ceci : le score composite fabriqué, mélangeant torchons et serviettes, n’est ni une variable intensive (indépendante de la « taille » de l’établissement mesurée par le budget, le nombre d’étudiants ou le nombre de chercheurs par exemple), ni une variable extensive (proportionnelle à cette « taille »). Il s’agit d’un bricolage sans rigueur, dépourvu de toute rationalité scientifique, « calibré » pour reproduire le classement symbolique des grandes universités privées états-uniennes. Du reste, comment la qualité de la formation et de la recherche scientifique pourrait-elle bien varier à l’échelle d’une année, sauf à se baser sur des indicateurs délirants ?

Le concours de circonstances qui a conduit à la fétichisation de ce classement par la technobureaucratie du supérieur a été analysé dans les travaux de Christine Barats, auxquels nous renvoyons, ainsi que dans l’ouvrage de Hugo Harari-Kermadec, Le classement de Shanghai. L’université marchandisée (2019).

La  réception de ce classement par l’élite des grands corps de l’Etat fut un dessillement : aucun de ses lieux de formation — ni Sciences Po Paris, ni HEC, ni l’ENA, ni Polytechnique — n’ont de reconnaissance internationale. Seule l’Université, où se situe la recherche scientifique, apparaît dans ce classement. Bien sûr, d’autres classements sont utilisés pour les Master of Business Administration (MBA) et en particulier ceux basés sur le bénéfice financier escompté (salaires des alumni), à mettre en regard du coût de la formation (classement Value for money). Mais cela reste un choc pour la haute fonction publique de découvrir que dans le monde entier, les élites sont formées par la recherche, à l’Université, mais que la France fait exception à l’idéal humboldtien du fait de l’héritage napoléonien des Grandes Ecoles. 

Ce dessillement a suscité des réactions contradictoires chez les tenants de « l’économie européenne de la connaissance » théorisée notamment par M. Philippe Aghion et a conduit certains secteurs de l’Etat à soutenir un projet historique visant à surmonter le legs napoléonien dans la formation des élites : le projet de Paris-Saclay, dans sa mouture initiale.

Sur le papier, jusqu’en 2015, beaucoup de conditions sont réunies pour un succès de ce projet, à condition bien sûr de se fixer un objectif clair : la construction d’une université expérimentale associant production, critique et transmission des savoirs scientifiques et techniques, en faisant le pari du soutien à l’émergence de PME industrielles à très haute valeur ajoutée, travaillant en bonne intelligence avec l’université. Loin de desservir le projet, le fait que le plateau de Saclay ne soit pas au cœur d’une métropole était un avantage. En effet, sa situation géographique permettait d’imaginer une ville-campus adaptée aux enjeux du XXIème siècle. Saclay pouvait donc être cette université où se rencontrent les élites scientifiques, économiques et politiques qui fait tant défaut au système français. Partant de ce constat partiel mais juste, l’État consacra un investissement de 5,3 milliards d’euros au projet d’université intégrée de Saclay en l’espace de dix ans. Disons-le : Paris-Saclay était alors le seul projet de regroupement universitaire intéressant. Tous les autres regroupements ne visaient qu’à produire des économies d’échelle dans les services centraux et à changer les statuts des établissements pour mettre les structures de décision hors d’atteinte des universitaires. On sait désormais que le surcoût de fonctionnement des mastodontes universitaires est exorbitant, qu’ils ont été dévitalisés et que le pouvoir y a été capté par une nouvelle bureaucratie managériale, au fonctionnement féodal, qui s’octroie une large part des ressources qui manquent à l’enseignement et à la recherche.

Ce qui, à Paris-Saclay, rendait cette expérience historique d’unification entre Université et Grandes Écoles possible, c’est l’obsolescence de l’École Polytechnique. Deux rapports de la cour des comptes et un rapport parlementaire avaient pointé l’absence de « stratégie » de l’État pour cet établissement, son inadaptation à la « concurrence internationale », sa « gouvernance » défaillante et l’absurdité de sa tutelle militaire. Polytechnique était devenu un boulet aux yeux d’une partie du bloc réformateur. L’humiliation infligée par les classements internationaux avait également mis en difficulté les secteurs les plus conservateurs de la bureaucratie polytechnicienne d’État et leurs relais pantoufleurs du CAC 40. Dans ce contexte de crise, un quatrième rapport, commandé à M. Attali par le premier ministre, préconisait la suppression du classement de sortie, la suppression de la solde et la création d’une nouvelle « École polytechnique de Paris » englobant les grandes écoles du plateau, au sein de Paris-Saclay. La voie semblait libre pour reconstruire à Saclay une formation des élites administratives et industrielles en lien avec la recherche universitaire.

Mais le 15 décembre 2015, cette expérience historique de dépassement des archaïsmes français tombe à l’eau. Plus exactement, « on » l’y pousse, à l’eau, les deux pieds coulés dans du béton. Quel « on » exactement conduit Paris-Saclay dans cette « impasse », pour reprendre le doux euphémisme de la Cour des Comptes ? Après que M. Le Drian, ministre de la Défense, a annoncé le 6 juin 2015 une « révolution » à Polytechnique, les président-directeurs généraux d’entreprises françaises du CAC 40 issus du corps des Mines s’activent au cœur de l’été

Une task-force est constituée autour de M. Pringuet, X-Mines et président de l’AFEP, le lobby des grands patrons français. S’il existe une rivalité entre l’Inspection des finances, nourrie par l’ENA, et le Corps des mines, alimenté par l’École Polytechnique, ENA-IGF et X-Mines partagent un même désir de perpétuation de la technostructure à la française, menacée par le projet d’intégration de Polytechnique dans Paris-Saclay. M. Pringuet, en liaison avec M. Macron depuis 2012 – son action de lobbying a abouti à la création du CICE -, obtient l’aide de celui-ci. Il est vrai que M. Macron, sous la mandature précédente, s’était déjà penché sur les questions d’« économie de la connaissance » comme rapporteur général de la commission Attali. L’enjeu des réformes universitaires, pour lui, n’est en aucun cas de dépasser l’archaïsme bonapartiste : bien au contraire, il s’agit de constituer une poignée de mastodontes internationalisés, dans la plus pure tradition des « fleurons » chers aux Grands Corps. C’est la fatalité des hauts fonctionnaires hexagonaux de rester désespérément français même (et surtout) lorsqu’ils croient singer le MIT… Lors de ce conseil d’administration du 15 décembre 2015, les deux ministres de tutelle de Polytechnique, M. Le Drian et M. Mandon sont accompagnés de M. Macron. Quand « Bercy » vient d’imposer des centaines de millions d’euros de coups de rabot dans le budget de l’Université, et même des milliards de coupes dans le contrat de plan État-régions, M. Macron apporte, ce 15 décembre 2015, 60 millions d’euros d’augmentation de budget à l’École Polytechnique… et consacre l’abandon du projet de Paris-Saclay, malgré son importance et son coût. 

Depuis, de reconfiguration en reconfiguration, Paris-Saclay n’est plus que l’avatar périurbain d’une politique qui n’avait probablement jamais cessé d’être la seule boussole des secteurs dirigeants de la bureaucratie : la différenciation des universités, fondée sur la séparation entre des établissements de proximité et une poignée d’universités-monstres supposément tournées vers la coopération internationale, et les yeux rivés vers des rankings sans substance. Ne reste qu’une question : les apparatchiks ont-ils entrevu ne serait-ce qu’un instant la signification libératrice du projet initial de Paris-Saclay ? Ou avaient-ils élaboré ce projet aussi inconsciemment qu’ils l’ont ensuite liquidé, en jouant à la dînette de Shanghai ?

Toujours est-il qu’au terme de ce rendez-vous manqué, l’administratrice de la faillite politique et intellectuelle de Paris-Saclay, Mme Sylvie Retailleau, a pu se gargariser de la seule chose qui lui reste : une progression de quelques places dans un classement déjà décrédibilisé, arrachée à coups de milliards d’euros qui auraient pu être dépensés ailleurs et autrement. Il y a quelques mois, la dame de Shanghai déclarait en effet : « Cette position dans [le classement de Shanghai] nous renforce aussi dans la conviction de la pertinence de notre trajectoire institutionnelle collective. » Cette faillite valait bien une promotion : Aux innocents les mains pleines.

Terminons cette histoire par quelques vers à la manière de Mallarmé, tirés de Lingua Novæ Universitatis, que vous pouvez encore vous procurer chez l’éditeur.

SonnEx 

Ses articles très haut magnifiant son index
Le patron éthéré maintient, thanatophore,
Maint projet filandreux porté par son Labex,
Mais ne recueille pas de budgétaire effort.

Sur le campus, au plateau vide, pas de X,
Bicorne pour toujours oublié loin dehors :
Les anciens sont allés menacer d’une rixe
Les conseillers nombreux qu’ils connaissent encore.

Mais dans sa fatuité insondable un butor
Se contemple au miroir, satisfait du décor.
Ivres de pouvoir, des présidents créent l’Udice,

Insolite vaisseau d’inanité sonore,
Quand dans la nuit tombée sur le Savoir, bouffissent
Les cénacles ronflants dont le Néant s’honore.