Posted on

Le CAS(se) du siècle

« Steve said, ‘Have you ever noticed that when they need us, they talk about duty, but when we need them, they talk about budgets ?’

‘What are we supposed to do about it?’

‘Fight,’ Steve said.

Danny shook his head. ‘Whole world’s fighting right now. France, fucking Belgium, how many dead ? No one even has a number. You see progress there?’ »

Dennis Lehane, The given day

Comme chaque année, nous avons analysé l’évolution des budgets de la recherche et de l’Université à partir des documents budgétaires, résumée par le graphique suivant :

Budget total de l’Université et de la recherche (programmes 150, 172 et 193) décomposé en trois parties : la subvention pour charge de service public de l’Université publique (triangles orange), la subvention pour charge de service public de la recherche publique (écart entre triangles jaunes et carrés bleus) et la part de budget transférée au privé ou à des institutions publiques (écart entre carrés bleus et rond rouges). La subvention pour charge de service public de l’Université (triangles orange) comprend la contribution employeur du CAS pension, dont le taux a crû de 74,6% à 82,6% entre 2024 et 2026. Pour rendre compte du budget mobilisé pour l’Université et la recherche, les triangles verts montrent le budget obtenu en ramenant le taux de contribution employeur du CAS Pensions à 41,1%, selon la convention choisie par la Cour des Comptes.
(A) Représentation sans compensation de l’inflation, en euros courants.
(B) Représentation en euros de 2025, avec compensation de l’inflation (INSEE et projections macroéconomiques de la Banque de France).
(C) Budget de l’Université (programme 150) rapporté au nombre d’étudiants à l’Université, avec compensation de l’inflation).

L’analyse budgétaire nécessite de calculer au plus juste le budget réel affecté aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche pour effectuer leurs missions de service public. Cela suppose de prendre garde à trois artefacts qui polluent les données budgétaires brutes :

  • la (large) part de budget public qui finance le secteur privé,
  • la part du budget fictivement affecté à l’Université et la recherche mais qui finance tout autre chose, l’archétype étant le budget d’équilibrage du CAS Pension,
  • l’inflation.

Le jeu de bonneteau du CAS pension

Qu’est-ce que le CAS pension ? Il s’agit du Compte d’Affectation Spécial où sont versées les pensions de retraites des ex-fonctionnaires. Il comprend à la fois l’homologue des cotisations des employeurs du secteur privé, mais aussi le financement de dispositifs de solidarité ainsi qu’une subvention permettant au solde cumulé du CAS pension de ne jamais être déficitaire. Cette convention comptable est neutre pour le solde public puisqu’il s’agit de versements internes à l’État. Mais elle augmente artificiellement le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche (et de l’École dans son ensemble) alors qu’il s’agit de financer l’ensemble des pensions des retraités de la fonction publique civile et militaire, y compris ceux des services publics privatisés (Orange, PTT, etc) ou transférés aux collectivités territoriales dans le cadre de la décentralisation. Non seulement le budget affecté aux missions de l’Université et de la recherche publique est surévalué, mais deux années de suite, le taux de contribution employeur du CAS pension a été artificiellement augmenté de 4 points, passant de 74,6% en 2024 à 82,6% en 2026, contre 16,46% pour le secteur privé. En clair, l’artifice comptable permet à Bercy de baisser les budgets réels et d’inciter la bureaucratie de l’Université et de la recherche à l’embauche de contractuels plutôt que de fonctionnaires.

Le tour de passe-passe du CAS pension n’a rien de nouveau : comme nous l’avons longuement expliqué à l’époque, il était au cœur de la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) dont l’objet était la baisse des budgets et surtout la dérégulation des statuts pour priver universitaires et chercheurs de leur protections statutaires. Pour effectuer des comparaisons entre pays, ou d’une année sur l’autre, il faut soustraire l’effet des augmentations de la subvention d’équilibre au CAS pension (triangles verts). Les courbes sont éloquentes : si le budget apparent est stagnant, le budget réel, déjaugé de l’inflation et du CAS pension chute rapidement depuis l’adoption de la Loi de Programmation de la Recherche. Alors que l’inflation liée à l’augmentation du prix de l’énergie après ouverture à la concurrence a été jugulée, la baisse du budget par étudiant entamée depuis 15 ans se poursuit.

Quels objectifs politiques les choix budgétaires traduisent-ils ?

Le projet de loi de finances (PLF 2026) concocté par la nouvelle alliance majoritaire poursuit sans surprise la politique menée précédemment. En période de stagnation économique, la priorité est accordée à préserver les dividendes par plus de 200 milliards d’euros d’aides directes aux entreprises. Concernant la recherche, les 8 milliards d’euros de Crédit d’Impôt Recherche, dont les services d’évaluation de l’État certifient qu’ils ne servent à développer l’innovation qu’à la marge, seront sanctuarisés. La réforme du système de financement de l’apprentissage conduit à une baisse de 31% de l’aide financière aux employeurs d’apprentis (3,4 milliards d’euros en 2025 contre 2,3 milliards d’euros au PLF 2026). La prime à l’embauche d’alternants instaurée en 2020, d’un montant de 6 000 € euros, est conservée. Elle profite essentiellement au développement d’un secteur privé lucratif de très mauvaise qualité, au coût exorbitant. Un apprenti coûte ainsi 26 000 d’euros d’argent public, largement captés par le secteur privé, contre 5 500 € en moyenne pour un étudiant de l’Université. Il importe d’avoir les grandes masses budgétaires en tête : la subvention pour charges de service public de l’Université et de la recherche s’élève à 21 milliards d’euros, le crédit d’impôts recherche à 8 milliards d’euros et l’alternance à 25 milliards d’euros. Si le secteur public reçoit une part du budget dévolu au soutien de l’alternance, l’intégralité de la montée en charge du dispositif a été captée par le secteur privé.

Concernant l’enseignement supérieur et la recherche publique, les choix budgétaires traduisent deux objectifs politiques à temps court : (i) l’augmentation des frais d’inscription et (ii) la mise en extinction du statut de fonctionnaire pour les universitaires et les chercheurs. Il faut y ajouter la mise en œuvre à bas bruit et sans débat public de (iii) la mise en liquidation des organismes nationaux de recherche. Derrière ces trois objectifs, il s’agit de préparer (iv) la privatisation des secteurs rentables de l’Université. C’est l’objet du projet de loi Baptiste, qui a été présenté le 30 juillet en conseil des ministres. Le calendrier initial prévoyait un examen du projet de loi le 27 octobre par la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport du Sénat.

Ces objectifs n’ont rien de nouveau : ils figurent dans le rapport Aghion-Cohen de 2004 qui se déroule depuis de manière imperturbable, par delà les alternances politiques. Dogmatique, dénué de tout fondement rationnel, ce rapport ambitionnait de transformer le système français issu de la Résistance pour le rapprocher des systèmes états-uniens et britanniques… qui s’effondrent aujourd’hui. Les faits sont cruels : les 21 ans, déjà, de réformes inspirées de ce rapport ont produit le décrochage scientifique et technique du pays. En 2000, l’Union européenne faisait presque jeu égal avec les États-Unis. Vingt-cinq ans plus tard, elle est devenue une colonie technologique, incapable d’innovation, et son retard dans tous les domaines économiques la frappe de vassalation. Cet effondrement scientifique, technique, industriel et économique, désastreux alors qu’il y a urgence à préparer la société à affronter le choc climatique et l’effondrement du vivant, a une cause centrale : le renoncement politique à toute ambition, à toute originalité, et la soumission intégrale au dogme d’un marché étendu à l’ensemble des activités humaines.

Tenir tête

Lorsqu’Aghion et Cohen ont théorisé la nécessité de réformer de manière « incrémentale » par étapes insensibles et difficilement lisibles, ils voulaient neutraliser par avance tout mouvement social porté par la jeunesse, prévenir des fiascos analogues à celui du projet de loi Devaquet. C’est aussi pourquoi le récent  mouvement #BloquonsTout, constitué presque exclusivement de jeunes, a suscité tant de contre-feux, jusqu’à provoquer par anticipation la chute du gouvernement Bayrou. Nous sommes parvenus à l’avant-dernière étape du programme de transformation d’Aghion et Cohen : l’autonomie financière, c’est-à-dire  l’augmentation des frais d’inscription. Les deux associations de défense de la bureaucratie universitaire, l’Udice et France Universités, y sont évidemment favorables. Loin d’être isolés, les mouvements de la « GenZ » font irruption un peu partout, de la Corée du Sud au Maroc, en passant par la Serbie ou Madagascar, pour porter l’idéal démocratique. La dérégulation des frais d’inscription constitue le déclencheur possible d’un mouvement de la jeunesse, imprédictible par nature. Notre devoir d’universitaires serait alors de nous porter à ses côtés pour tenter ensemble d’élargir l’horizon.

Posted on

Politique des Sciences 2025-2026

Les vidéos des séances du séminaire “Politique des sciences” consacrées à l’actualité des recherches sur l’extrême-droite (Marlène Banquet, Estelle Delaine, Michel Feher, Mark Fortier, Sylvie Laurent, Nonna Mayer,  Quinn Slobodian) sont disponibles en ligne :

https://www.youtube.com/@politiquedessciences7602/videos


Les séances du séminaire “Politique des sciences” auront lieu en 2025-2026 à l’EHESS, 54 boulevard Raspail, 75014 Paris, de 18h à 20h30,  en salle BS1_05/BS1_28 (niveau -1, c’est à-dire au premier sous-sol).

Le séminaire « Politique des sciences » propose, depuis une quinzaine d’années, un lieu de réflexion sur les réformes universitaires en cours et sur les menaces qui pèsent sur l’autonomie savante. Devenu itinérant en 2022, il est devenu un espace incontournable pour de nombreux collègues tant en sciences sociales qu’en sciences de la nature pour prendre du recul sur leur métier. Le séminaire revient à compter de la rentrée à l’EHESS.

Celui-ci se déploiera en 2025-2026 sous la forme de huit séances ouvertes à l’ensemble des membres de la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il s’agira d’alterner des interventions analytiques – fondées sur des enquêtes en cours portant sur les politiques de l’enseignement supérieur en France et ailleurs – et des prises de parole réflexives de la part de chercheurs témoignant de leurs conditions de recherche. Le détour par l’espace nord-américain, notamment les recompositions autoritaires observables depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, constituera l’un des points d’appui pour penser les glissements affectant également l’Europe, et singulièrement la France, où le climat institutionnel actuel ne cesse de susciter des interrogations croissantes quant à la possibilité même du maintien de certaines libertés académiques.

Séance 1 – Mercredi 15 octobre
L’économie entre science et débat public

La taxe Zucman est-elle le fait d’un économiste “d’extrême-gauche” comme le clame Bernard Arnault au Sunday Times ? L’économie n’est-elle qu’affaire d’idéologie et de choix de société ? Peut-on faire valoir les impératifs scientifiques d’une science de l’économie auprès du gouvernement sans endosser la figure de l’expert au service des politiques publiques du moment ? Les choix en matière économique ne sont pas sans effets sur l’état de la distribution des richesses dans notre société. Il s’en suit logiquement que pour les économistes intervenir dans l’espace public pour y rappeler quelques faits et corrélations revient nécessairement à s’exposer à l’accusation d’être partial. 

Cela est vrai pour les politiques en direction des entreprises comme des politiques de santé ou  d’éducation. Les choix budgétaires affectent l’ensemble de l’état des services publics et de-là déterminent l’accès à des ressources pour l’ensemble des citoyens. Ils déterminent aussi en dernière instance l’état de la science en délimitant le volume des financements récurrents affectés aux universités, aux laboratoires, aux instituts de recherche et aux formations.

• Michael Zemmour, économiste, professeur à l’Université de Lyon 2, chercheur au laboratoire Triangle et chercheur associé à Sciences Po.
La Science économique face au budget (et au politique)

• Isabelle This Saint-Jean, économiste, professeure à l’université Sorbonne Paris Nord et chercheuse au CEPN.
Le budget de l’Université et de la recherche (encore un « effort »)

Séance 2 – Mercredi 12 novembre
La capture du récit historique par l’extrême droite 

L’offensive réactionnaire actuelle n’est pas sans effet sur les usages publics de l’histoire et la communauté historienne. D’une part, l’histoire est plus que jamais l’objet d’usages publics éloignés de ce que le consensus professionnel admet comme la vérité historique et on ne compte plus les ouvrages censés vulgariser l’histoire des croisades, les parcs à thèmes revisitant l’histoire de la révolution française ou de la “nation”. D’autre part, les historien.nes tentant d’intervenir dans la Cité pour y apporter un minimum d’éclairage utile au débat public sont de plus en plus harcelés sur les réseaux sociaux voire traînés en justice. Pour cette deuxième séance de l’année, le séminaire Politique des sciences reviendra en compagnie de plusieurs témoins sur plusieurs affaires récentes qui ont touché à cette capture du récit historique par l’extrême-droite et le mouvement ultra-conservateur.

• Mathilde Larrère, historienne, Autour de l’ouvrage “Le Puy du faux”

• Thomas Lemahieu, journaliste, Retour sur les “Murmures de la Cité”, le mini “Puy du Fou” dans l’Allier financé par Pierre-Edouard Stérin

• Michèle Riot-Sarcey et Natacha Coquery, historiennes, Retour sur le procès en diffamation fait au Comité de Vigilance sur les Usages de l’Histoire

Séance 3 – Mercredi 3 décembre  : Ce que l’Intelligence Artificielle fait à l’Université et à la recherche

On entend parler quotidiennement de l’IA (prononcer “YA”) tant du côté des effets que ces nouvelles technologies pourraient avoir sur l’enseignement que sur la transformation de nos métiers. Proposant un espace de réflexivité sur les transformations en cours du monde de la recherche, le séminaire Politique des sciences propose dans cette troisième séance de l’année un moment d’analyse autour des effets du développement de l’Intelligence artificielle pour la communauté scientifique elle-même. Dans quelle mesure ces outils ont-ils dépossédés les chercheurs de certains aspects de leur métier et à l’inverse quels sont les applications d’ores et déjà pertinentes de ces outils dans nos espaces de recherche.

• David Larousserie, journaliste au journal Le Monde

• Claire Mathieu, directrice de recherche au CNRS,  informaticienne

• Dominique Boullier, professeur à Sciences Po Paris, sociologue

Séance 4 – Jeudi 8 Janvier
L’INRAE emmuré ; les relations entre le monde agricole et le monde scientifique

Le 27 novembre 2024, à l’appel de la FNSEA de Seine et Marne, une centaine d’agriculteurs érigeaient un mur autour des locaux de l’INRAE. Cette action militante, condamnée immédiatement par la direction de l’Institut, n’a pas entraîné de condamnations de la part du monde politique ni de communiqués du gouvernement défendant les chercheurs ainsi montrés du doigt. Dans quelle mesure, cet épisode marque-t-il une évolution plus large des rapports entre science agronomique et monde agricole ? Cette quatrième séance du séminaire Politique des sciences sera l’occasion de revenir sur l’histoire longue des savoirs agricoles et environnementaux dans leur rapport à l’agriculture.

Tamara Ben Ari, chercheuse en agronomie à l’INRAE

Ivan Bruneau, universitaire en Science Politique à l’Université Lyon 2

François Dedieu, sociologue à l’INRAE

Christian Huyghes, ex-directeur scientifique à l’INRAE

Séance 5 – Mercredi 18 février
Une constituante est-elle la solution ?

Lauréline Fontaine, professeure en droit, Sorbonne Nouvelle (autrice de la Constitution au XXIe siècle)

Samuel Hayat, CNRS, politiste, Retour sur 1848 et le “moment constituant”

Renaud Baumert, professeur en droit, Université de Cergy

Séance 6 – Mercredi 25 mars 

Séance 7- Jeudi 9 avril

Séance 8 – Mercredi 20 mai 

Séance 9 – Jeudi 11 juin

Posted on

Grêver est une joie pure !

« Réfractaires, mes camarades,
[…]
L’ennemi vous redoute. Vous ne devez pas le décevoir. Cependant ne commettez pas l’imprudence de vous offrir à lui. Nous devons rester vivants les derniers et le battre jusqu’au dernier. Réfractaires, rien ne m’inquiète.
 »

Le capitaine Alexandre (René Char).

Jamais l’Université — l’institution en charge de produire, conserver, diffuser les savoirs et les critiquer — n’a été plus évidemment nécessaire. L’effondrement rapide de la démocratie libérale états-unienne sous les coups de l’alliance entre libertariens, paléo-conservateurs et milieux d’affaire du capitalisme de rente n’est plus cette prédiction de Cassandre tant de fois répétée mais une réalité. Il nous indique ce que nous avons à réinstituer : l’idéal démocratique, le rationalisme sensible, un espace public de délibération et de pensée, les libertés publiques, l’égalité, les systèmes de solidarité, l’Ecole, l’Université et une certaine conception des sciences et de leur fonction sociale. Le cauchemar états-unien nous montre aussi le rôle que, sans surprise, la bureaucratie de l’enseignement supérieur et de la recherche joue dans l’étouffement de la pensée, dans le musèlement de l’Université et dans la chasse aux sorcières maccarthystes : de Columbia à Berkeley, la bureaucratie s’adonne à la délation, collabore, quand elle ne devance pas les désirs d’écrasement des Thiel, des Trump, des Vance et des Musk.

Ici, comme redouté, l’été a conduit  à la mise en œuvre à bas bruit des « KeyLabs » par une énorme vague de désUMRisation. Partout, ce même chuchotement : les caisses sont vides, déjà, à la mi-septembre. Les associations de défense des intérêts de la bureaucratie (Udice et France Universités) contre ceux de l’Université déplorent un possible retard de l’examen du projet de loi Baptiste. L’actuel ministre de Shrödinger n’en cache pourtant même pas l’objet : « Le but du jeu n’est absolument pas de restreindre les libertés ou de taper sur l’enseignement supérieur privé, qu’il soit lucratif ou non. Le but du jeu, au contraire, c’est que ces formations et ces établissements se développent. »

Et pourtant, ces attaques n’entament pas la joie de l’enseignement et de la recherche, la conviction profonde que défendre un dire-vrai sur le monde n’est pas un luxe, mais une condition d’existence de la démocratie. Au contraire. La jeunesse, qui a constitué le gros du mouvement du 10 septembre pour la démocratie et contre l’austérité, a montré la possibilité, encore, d’étonner la catastrophe. Alors, grêvons dans la joie !

« Oh ! je sais qu’ils feront des mensonges sans nombre
Pour s’évader des mains de la Vérité sombre,
Qu’ils nieront, qu’ils diront : ce n’est pas moi, c’est lui. 
»

Victor Hugo. Jersey, le 13 novembre 1852.

« Liberté académique » washing

Il n’est plus un adversaire résolu de la liberté académique, plus un bureaucrate la piétinant au quotidien, qui ne prétende en être le garant. À ce sujet, l’Association pour la liberté académique (ALIA) vient de faire paraître un communiqué au sujet de l’Appel pour la liberté de savoir publié par le supplément d’extrême-droite du Figaro, le Figaro Vox, le 4 septembre 2025 :

http://liberte-academique.fr/communique-dalia-sur-lappel-pour-la-liberte-de-savoir/

« Ah ! Dex ! dist Charles, come ai le cuer grevé ! »

Cycle de Roncisvals

Dois-je me déclarer en grève ?

En aucun cas il ne faut se déclarer spontanément en grève. Se déclarer en grève c’est porter atteinte au droit de grève. Le préavis de grève couvre tout le monde et l’Enseignement Supérieur et la Recherche ne sont pas soumis au service minimum. Si le besoin de sacrifice est trop grand, donnez votre journée de salaire à l’une des caisses de grèves.

C’est à l’administration de recenser les personnels grévistes et de fournir la preuve qu’ils étaient en grève. Les appels à la délation se multiplient dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche et ne peuvent être tolérés. Il n’appartient aucunement aux responsables de collectifs de recherche (« chefs d’équipe ») ou d’enseignement de dénoncer des grévistes, quel que soit leur statut. Il n’appartient pas plus aux encadrants de thèse ou de post-doctorat de le faire. 

En quoi consiste le fait de faire grève ?

La grève n’est pas une fin mais un moyen, une tactique déployée dans un but stratégique. Elle ne consiste ni à « se compter » ni à « être comptés » par la presse, moyens notoirement inefficaces. Elle consiste encore moins à se sacrifier. La grève vise à arrêter l’appareil productif comme les barrages sur les routes ou devant les supermarchés servent à bloquer les flux de marchandises. Hors du secteur marchand, la grève sert à se libérer du temps à consacrer aux actions destinées à l’obtention du but fixé. Aussi la grève d’universitaires et de chercheurs pose-t-elle la question de leur utilité publique. Que pouvons-nous faire pour contribuer à l’objectif stratégique fixé? Tout d’abord sensibiliser et informer les étudiants en faisant le tour des amphis. Ensuite mettre ses savoirs et son intelligence critique au service des analyses et des actions collectives qui se construisent localement. Enfin créer politiquement, créer stratégiquement, créer collectivement, ce que les universitaires ont fini par oublier. Dans la situation présente, nous libérer du temps est la condition nécessaire à tenter d’élargir l’horizon.

Posted on

Palais de la Découverte et Loi Baptiste

Ce billet se compose de deux brèves et de deux analyses, l’une sur le Palais de la Découverte (il y a urgence à faire circuler et signer la pétition) et l’autre sur le projet de loi Baptiste (autrement plus destructeur).

Le projet de loi Baptiste peut être consulté ici :
https://rogueesr.fr/wp-content/uploads/2025/07/LoiBaptiste.pdf

On peut se référer à ces analyses très complètes en complément de la notre :
https://blog.educpros.fr/julien-gossa/2025/07/02/loi-baptiste-une-transformation-dampleur-lru/

https://blog.educpros.fr/julien-gossa/2025/07/03/loi-baptiste-une-lecture-en-marche-arriere/


« À l’ancien affranchissement de nécessités vitales et des contraintes, les philosophes ajoutèrent l’exemption d’activité politique (skholè), de sorte que l’exigence chrétienne cherchant à se libérer de tous les soucis et de toutes les affaires de ce monde eut une aïeule et trouva son origine dans l’apolitia philosophique de la fin de l’antiquité. Ce qui avait été un rare privilège passa désormais pour un droit universel. »

Hanna Arendt, Between Past and Future

Autonomie et temps libéré

Dans la Grèce antique, les hommes de la skholè étaient ceux qui n’étaient pas asservis au travail quotidien nécessaire à subvenir aux besoins vitaux, à la survie. Pierre Bourdieu définit la skholè comme un état « de loisir, de distance au monde et à la pratique », comme un « temps libre et libéré des urgences du monde qui rend possible un rapport libre et libéré à ces urgences, et au monde ». Aussi la skholè désigne-t-elle l’usage d’un temps libre et souverain, condition d’existence du travail de recherche, comme activité autonome de questionnement endogène sur le monde. Aussi la bureaucratie met-elle un point d’honneur à pourrir la fin du printemps et le début de l’été, ce moment de répit et de suspension temporelle où les universitaires pouvaient, jadis encore, s’adonner à la pensée. Tout en sachant cet idéal désormais inaccessible à une large fraction de la communauté académique, nous vous souhaitons à toutes et tous une joyeuse skholè. Nous vous donnons rendez-vous à la rentrée pour mettre fin au processus de démolition de l’Université et de la recherche et rouvrir l’horizon.


« Oui, l’âme a la couleur du regard. L’âme bleue seule porte en elle du rêve, elle a pris son azur aux flots et à l’espace. »

Maupassant

 

ASUR — Travail au livre blanc de refondation

Un peu plus de 80 personnes ont participé au premier atelier de l’Agora Sciences Université Recherche (ASUR) de la mi-juin. Il a permis de réfléchir collectivement et de dégager quelques grands axes consensuels pour une vision renouvelée de l’Université et de l’écosystème de recherche. Le travail d’écriture d’un livre blanc se fera de manière délocalisée, avec des outils numériques adaptés. La parution du livre blanc sera l’occasion d’un temps de restitution, ouvert à la presse, avant transformation en projets de loi.

Pour recevoir les informations ou contribuer :

https://agorasur.fr/

 

« La science remplace du visible compliqué par de l’invisible simple. »

Jean Perrin

Réinstituer le Palais de la Découverte

La communauté scientifique s’émeut à juste titre des attaques de l’exécutif contre le Palais de la Découverte, qui en menacent l’existence même. Il n’est pas anodin de rappeler que Jean Perrin a pris une part importante à la conception du Palais en 1934, dans le temps même où il adhérait au Comité de vigilance des intellectuels anti-fascistes, aux côtés de Paul Langevin. Il y a, dans l’attachement de nombre de scientifiques au Palais, une manière de totem. C’est d’autant plus évident désormais que l’alliance entre techno-fascistes et paléo-conservateurs menace frontalement les sciences.

Pourquoi ce musée consacré à l’éveil scientifique est-il aujourd’hui menacé ?  

De prime abord, la liquidation du Palais de la Découverte n’est qu’un dommage collatéral de la transformation du front de Seine en galerie marchande de luxe, telle qu’elle est promue par B. Arnault, F. Pinault et consorts, mais aussi par les industriels du bâtiment. Les tentatives de démantèlement de l’École des Beaux Arts et de la Monnaie de Paris s’inscrivent dans cette captation de l’espace public par des intérêts privés, publicisée par la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. La ministre actuelle en charge de la culture, Mme Dati, qui soutient sans réserve l’industrie du luxe depuis son passage par la Place Vendôme, semble donc l’adversaire principale du Palais de la Découverte. À ses côtés, M. Fusillier, président du Grand Palais, ne cache pas convoiter les surfaces et le budget (44 millions €) dévolus au musée des sciences.

Cependant, le ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a lui aussi un intérêt dans l’affaire. D’un côté, il espère encore utiliser le momentum de la mobilisation des scientifiques pour feindre de préserver le Palais de la Découverte en le transformant en Palais de l’IA. D’autres intérêts privés se mobilisent en effet pour faire du Palais de la Découverte un espace d’exposition reprenant l’imaginaire de la Silicon Valley, et en particulier les investisseurs de Mistral AI, conseillés par l’ancien secrétaire d’État Cédric O — notamment le fonds de venture capital américain Lightspeed Venture Partners, Xavier Niel et Eric Schmidt, ancien CEO de Google, que l’on retrouve dans le financement de programmes techno-solutionnistes à l’ENS Paris. D’un autre côté, M. Baptiste tente d’être celui qui portera la grande loi du quinquennat préparant la privatisation de larges pans de l’Université. C’est un texte destructeur, et il sait qu’il aura besoin du soutien de l’Académie des Sciences et des Sociétés Savantes. Le mouvement Stand Up for Science a conduit nombre d’académiciens et de figures publiques de la recherche à abandonner la posture désastreuse d’intercesseurs solitaires du pouvoir pour redevenir des collègues et réapprendre à dire « nous » avec les autres universitaires et chercheurs. Aussi M. Baptiste voit-il un intérêt indirect à défendre le projet de Palais de la Découverte conçu depuis quatre ans pour demeurer au sein du palais d’Antin : sembler œuvrer pour le bénéfice de la communauté scientifique le temps que “sa” loi passe.

Les prises de position en faveur du Palais de la Découverte fantasment le plus souvent un mythe du Palais, et vont jusqu’à en faire un totem rationaliste calcifié. Pourtant, si le Palais de la Découverte est attaqué, c’est parce qu’il était déjà affaibli par des années de nouveau management public et par la fusion avec la Cité des sciences et de l’industrie au sein d’Universcience. Ces dernières décennies, les scientifiques ont été exclus de la conception de ces musées, par les médiateurs comme par les muséographes : hier encore, collaborateurs du Palais, ils sont aujourd’hui de simples experts supposés valider le contenu d’expositions sans grand rapport ni avec les sciences, ni avec la recherche. Plus grave et plus douloureux sans doute, le Palais de la Découverte était déjà sclérosé avant cela, incapable de rendre compte de la recherche vivante, incapable de se remettre en question, incapable de constater l’absence de qualité scientifique derrière une muséographie vieillote. Malheureusement, le rapport du Sénat de 2007 est parfaitement exact:

https://www.senat.fr/rap/r06-354/r06-3541.pdf

Aussi, s’il faut sauver le Palais de la Découverte, il ne faut certainement pas le sauver dans sa forme issue de décennies de dévitalisation. Il faut le réinstituer, et le sortir du giron du ministère de la Culture. Le concept de “culture scientifique” est une imposture. Le Palais de la Découverte doit retrouver sa vocation d’éveil aux sciences (plurielles) qui vivent par la recherche, et d’initiation non seulement aux faits scientifiques mais aux modalités de raisonnement.

L’arbitrage de M. Macron entre les vues de Mme Dati et M. Fusillier, et celle de M. Baptiste aura lieu ce lundi. Ce qui est en jeu, c’est la surface dévolue aux sciences au Grand Palais et surtout le budget. Aussi devons nous mobiliser tous nos réseaux — les étudiantes et les étudiants en particulier — pour pousser M. Baptiste à défendre une réinstitution du Palais de la découverte… avant de combattre son projet de loi de privatisation de l’Université à la rentrée.

 Nous vous invitons à faire circuler et signer cette pétition :

https://www.change.org/p/sauvons-le-palais-de-la-d%C3%A9couverte


« Le recteur est un agent du gouvernement, une sorte de préfet des professeurs, chargé de veiller à l’exécution des règlements (…). Il n’est pas pensable qu’il prenne parti contre. »

Georges Gusdorf, L’Université en question (1964)

Que contient le projet de loi Baptiste?

M. Baptiste, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, est en charge du projet de loi du quinquennat, construit en complément des Contrats d’Objectifs, de Moyens et de Performance (COMP). Les COMP conditionnent le budget de service public à des indicateurs quantitatifs arbitraires, où n’entrent ni la qualité de l’enseignement, ni celle de la recherche. Il s’agit d’attaquer le statut de fonctionnaire — puisque les salaires pourront ne plus être couverts par le budget — et de permettre au secteur privé de faire concurrence à l’Université publique pour obtenir ces budgets. Expérimentés pendant la vague E du Hcérès, ces indicateurs bureaucratiques sont destinés à défavoriser le public au profit d’un secteur privé lucratif, dont on sait la médiocrité et le coût prohibitif,

Le projet de loi Baptiste ambitionne d’achever la prédation de l’enseignement supérieur par le secteur privé en supprimant le monopole public de la collation des grades et des titres universitaires, en liquidant la liberté d’enseignement et en mettant l’Université en laisse financière courte pour ouvrir une voie d’eau menant à la dérégulation des frais d’inscription. Si le projet de loi contribue à la phase terminale du projet de transformation théorisé par Aghion et Cohen en 2004, il comporte un élément de nouveauté. Il ne s’agit plus seulement de mettre en concurrence les “sites” universitaires pour labelliser une dizaine d’universités “de recherche” : il s’agit de procéder à une différenciation entre composantes à l’intérieur même des établissements, après y avoir fait rentrer un cheval de Troie privé. Les “composantes”, privées ou non, qui lèveront des frais d’inscription importants fleuriront. Les départements qui se plieront à une “professionnalisation” et à la crétinisation par “compétence” continueront de percevoir de l’argent public. Les universités actuelles, transformées en collèges universitaires, n’auront d’autre choix que de généraliser la précarisation et l’abandon des postes sous statut de fonctionnaires. Il s’agit du modèle (dysfonctionnel et en crise) mis au point à Saclay : faire entrer à l’intérieur d’établissements “expérimentaux” des écoles de second rang qui en captent les ressources et détruire l’autonomie principielle de la “composante” universitaire par la paupérisation, la précarisation et la soumission bureaucratique. 

La généralisation des établissements « expérimentaux » nécessaire au projet de privatisation se heurte à un problème : la suppression possible du Hcérès. Aussi le projet de loi Baptiste prévoit-il un super-Hcéres qui absorberait les instances d’accréditation des écoles d’ingénieurs, des écoles de gestion, des IUT et des formations privées. M. Baptiste adresse un signal clair aux parlementaires d’extrême-droite : il entend être celui qui parvient à dépasser l’échec du projet de loi Devaquet sur la dérégulation des frais d’inscription et à « liquider l’héritage de mai 68 ». Son projet de loi revient sur la loi Edgar Faure de 1968 en redonnant aux recteurs d’Académie les pleins pouvoirs de contrôle et de surveillance que leur conférait la loi du 10 juillet 1896. Pour le dire dans les termes de la commission du Conseil supérieur de l’Instruction publique de 1885 : « Notre commission a pensé qu’il était nécessaire de placer, à côté et au-dessus de tous ces corps élus, le représentant de la loi, le recteur, président de droit du conseil général des facultés. Le contrôle et la surveillance du recteur (…) seront (…) un frein aux empiétements (…) des assemblées et des professeurs. ». En fait de modernisation et d’autonomie, le retour de la figure du « préfet des professeurs » en charge de la soumission de l’Université aux pouvoirs politiques, économiques et religieux n’étonnera que celles et ceux qui ont cru voir dans la Loi Vidal la promesse d’un surcroît de budget ou qui voient aujourd’hui dans le Hcérès, un rempart de la liberté académique.

« Mais le non-vrai se convertit de lui-même dans l’enflure. »

Adorno

Posted on

Martingale

« Dans une période où le doute sceptique s’est installé dans le monde, où, aux dires d’une bande de salauds, il n’est plus possible de discerner le sens du non-sens, il devient ardu de descendre à un niveau où les catégories de sens et de non-sens ne sont pas encore employées. »

Frantz Fanon

Après l’annonce du prochain séminaire Politique des sciences sur l’actualité de la recherche sur l’extrême droite, ce billet reviendra sur une année de réveil collectif de la communauté universitaire face aux attaques sans précédent dont elle est l’objet. En réponse, en France, les pouvoirs ont adopté une tactique de communication marquée par l’apparence d’un lâcher-prise suivi par le redoublement des offensives. Il est temps pour l’Université et la recherche de renverser cette logique délétère et de se donner les moyens d’une refondation dont les rencontres ASUR des 16 et 17 juin marquent le premier acte. Nous vous invitons à nouveau vivement à y participer.

Séminaire Politique des sciences

Après deux séances consacrées en janvier aux ouvrages récents d’Estelle Delaine, Michel Feher et Quinn Slobodian, et en mai, aux travaux de Nonna Mayer et Cécile Alduy, une troisième séance du séminaire Politique des sciences sur l’actualité de la recherche sur l’extrême-droite et l’autoritarisme aura lieu :

le 25 juin 2025 de 17h à 20h à l’Université Paris Cité,
Salle 229 du Campus Saint-Germain-des-Prés
45 rue des Saints-Pères 75006 Paris.

En distanciel :

https://u-paris.zoom.us/j/82535448590?pwd=RF8focVaQnF8wLbF3B5i4Lk4t4fHiV.1

Marlène Benquet, directrice de recherche au CNRS et membre de l’Irisso :

La finance autoritaire.

Sylvie Laurent, maîtresse de conférences à Sciences Po :

La contre-révolution californienne.

Mark Fortier, sociologie, membre de l’équipe éditoriale de Lux :

Devenir fasciste. Ma thérapie de conversion.

Le séminaire reprendra à l’EHESS à la rentrée, sur une base mensuelle.

« Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. »

Aimé Césaire

La martingale politique

L’année scolaire qui se termine a été marquée par l’effondrement démocratique aux États-Unis. De manière moins spectaculaire, les atteintes à la liberté académique se sont multipliées dans tous les pays occidentaux et l’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche s’est érodé. La France ne fait pas exception, avec ses 1,5 milliards d’euros de baisse des crédits pour charge de service public, une fois corrigés de l’inflation, auxquels il faut déjà ajouter 1,6 milliards d’euros d’annulations de crédits pour 2025. Le 11 juin, la sénatrice Vanina Paoli-Gagin, rapporteure spéciale des crédits de l’enseignement supérieur, a explicité l’évidence : la mise en déficit volontaire des universités est destinée à promouvoir l’augmentation des frais d’inscription — l’étape ultime des transformations prévues par Aghion et Cohen dans leur rapport de 2004.

La virulence des attaques aux États-Unis a participé cette année d’un réveil des consciences, modeste encore, parmi les universitaires et les chercheurs. Il convient de relativiser les victoires obtenues. Antoine Petit a ainsi récemment assuré les présidentes et présidents de section du CNRS que » les KeyLabs étaient une connerie » et qu’ils étaient déjà tombés dans l’oubli. Mais, dans le même temps, nous recevions un » tombé du camion » issu du cabinet ministériel alertant sur le retour programmé des KeyLabs sous un nouveau label.

Concernant la suppression du Hcéres, le vote en Commission Mixte Paritaire (CMP) est repoussé à la rentrée parlementaire d’automne — à moins qu’une nouvelle dissolution n’en interrompe l’examen. Les parlementaires des commissions économiques qui composent cette future CMP entendent supprimer un tiers des agences — donc le Hcéres, qui n’a de soutien qu’au sein de la bureaucratie. Mais plusieurs de ces parlementaires appellent aussi publiquement à supprimer les organismes nationaux de recherche, en particulier le CNRS — conformément, là encore, aux transformations prévues par Aghion et Cohen dans leur rapport de 2004. Qu’est-il advenu des promesses de réformes du Hcéres émises en chœur au sein de la bureaucratie de l’Université et de la recherche au début de l’année, devant la colère de la communauté universitaire? Rien, bien sûr. Sitôt la pression retombée, il a été argué qu’alléger l’évaluation des formations nécessiterait une réforme du code de l’éducation pour ne surtout rien faire. 

Voilà ce qu’écrivaient déjà C. Villani et ses cosignataires dans une tribune d’allégeance à la candidature de M. Macron, il y 8 ans : » Oui, il faut améliorer la procédure d’évaluation du HCERES et celle de l’attribution du CIR, dispositif fiscal dont l’efficacité laisse actuellement à désirer. Oui, certaines universités connaissent toujours précarité financière et souffrance administrative. Oui, il faut réaffirmer encore et toujours l’importance de la recherche fondamentale, des crédits de fonctionnement récurrents, et travailler à simplifier la vie des enseignants-chercheurs. Nous avons encore tant de progrès à faire ! »

21 ans ont passé depuis que le processus de paupérisation, de bureaucratisation et de précarisation a été théorisé. Chaque contestation a produit un recul de façade, avec digestion et appropriation du vocabulaire critique : la liberté académique a désormais remplacé l’excellence dans les discours officiels, pour promouvoir les politiques publiques qui la piétinent. Chaque pan des réformes temporairement abandonné revient en étant redoublé. Tant que la communauté académique ne se saisira pas du travail de refondation de l’Université et du système de recherche, la martingale demeurera.

« Nous menons encore et toujours les mêmes batailles, elles ne sont jamais gagnées une fois pour toutes, mais en luttant ensemble, en communauté, nous apprenons à entrevoir de nouvelles possibilités qui, autrement, n’auraient jamais été visibles à nos yeux. En même temps nous étendons et élargissons notre conception de la liberté. »

Angela Davis

Programme du premier atelier de l’Agora Sciences Université Recherche (ASUR)

L’Agora Sciences Université Recherche (ASUR) est un nouveau réseau de réflexion non partisan, issu de la communauté de l’Université et de la recherche. Il se donne comme objectif de produire une vision renouvelée de l’Université et de la recherche, de ses missions, de ses institutions et de ses procédures. Il mène une réflexion intellectuelle, politique et législative sur le système scientifique et universitaire à construire dans la décennie qui vient. ASUR tiendra sa réunion fondatrice les 16 et 17 juin sur le site des Cordeliers de l’Université Paris Cité.

Le programme du premier atelier d’ASUR est désormais en ligne :

https://agorasur.fr/colloque/

ASUR compte un peu plus de 350 inscrits mais, tout le monde n’étant pas présent aux deux journées, l’inscription demeure possible sur la page d’accueil du site. Le travail se poursuivra avec des outils collaboratifs en ligne jusqu’à l’automne.

Posted on

Virer Debord

Après quelques brèves, ce billet porte sur le Hcéres et les statuts dérogatoires des « établissements publics expérimentaux ». Nous rappelons le texte à signer avant la nouvelle phase de discussions parlementaires :

https://rogueesr.fr/tribune-hceres/

« Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. »

Guy Debord

Politique des sciences

Le séminaire de formation à l’autodéfense numérique est désormais en ligne :

https://www.youtube.com/watch?v=u6jC_wSvpwI

Après une séance consacrée en janvier aux ouvrages récents d’Estelle Delaine, Michel Feher et Quinn Slobodian, une seconde séance du séminaire Politique des Sciences sur l’actualité de la recherche sur l’extrême-droite et l’autoritarisme aura lieu le Vendredi 16 mai 2025, 17h30-19h30, salle P 004, Département de sciences, 48 Bd Jourdan 75014 Paris. Cette séance pourra être suivie en visioconférence :

https://u-paris.zoom.us/j/85641485635?pwd=bKzRCBOpeKIQnYRpbHgJv2H9VNuz0o.1

  • Nonna Mayer (Directrice de recherche émérite au CNRS, CEE Sciences Po), pour une intervention intitulée : « Le vote RN au prisme du genre » ;
  • Cécile Alduy (Professeure de littérature à l’Université de Stanford), pour une intervention intitulée : « “Grand Remplacement lexical” au sein des extrêmes droites française et américaine » .

Pré-inscription demandée aux personnes extérieures à l’ENS-PSL à Po_des_Sciences@proton.me (afin de fournir la liste des invités à la loge).

« Il n’y a plus maintenant de beauté et de consolation que dans le regard qui se tourne vers l’horrible, s’y confronte et maintient, avec une conscience entière de la négativité, la possibilité d’un monde meilleur.

Theodor W. Adorno

Agora Sciences Université Recherche

L’Agora Sciences Université Recherche (ASUR) est une structure d’organisation transitoire destinée à mener un travail de réinstitution de l’Université et de la recherche en trois temps : un grand colloque en juin, un wiki préparant un livre blanc qui paraîtra à la rentrée, et des propositions de lois à la fin de l’automne. Plusieurs centaines de collègues ont d’ores et déjà annoncé leur participation à ASUR.

La participation la plus large est souhaitée et attendue, mais il s’agit aussi pour nous toutes et nous tous de prendre le temps de la réflexion de façon à pouvoir élaborer et rassembler des propositions construites. Les plus jeunes de nos collègues, qui n’ont pas traversé 25 ans de réforme, sont chaleureusement invités à s’approprier ASUR. Leur participation fera l’objet d’une attention particulière. Beaucoup ont l’expérience des systèmes étrangers, et de la façon dont ils ont pu ou pas préserver des parcelles de liberté, et de leurs dysfonctionnements : cette expérience est très importante pour l’élaboration de propositions nouvelles viables. Nous vous rappelons la date butoir du 28 mai pour préparer vos projets de contribution au colloque des 16 et 17 juin.

Pour nous rejoindre, merci de renseigner la fiche suivante :

https://agorasur.fr/

« Il ne s’agit cependant pas d’opposer le mensonge au mensonge, de tenter d’être aussi malin que lui, mais de travailler contre lui, réellement, en déployant la force décisive de la raison, en faisant appel à la vérité réellement non idéologique. »

Theodor W. Adorno

Les outils de l’illibéralisme contre l’Université et la recherche

L’Université et la recherche sont attaquées en Europe, partout où les partis d’extrême-droite participent aux alliances gouvernementales ou ont pris le pouvoir, de la Hongrie à l’Italie en passant par la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, la Finlande, les Pays-Bas, la Slovaquie, la Suède et peut-être bientôt la Roumanie. Où qu’elles soient, les offensives illibérales imposent une austérité budgétaire, la mise en concurrence des individus et des structures et le développement d’un secteur privé fort : en Europe centrale, un quart des étudiants y sont inscrits. En Hongrie et en Pologne, le développement d’universités et d’instituts de recherche privés, financés par de l’argent public, participe du développement d’une pseudo-science qui singe les procédures universitaires sans se plier aux normes de production savante. Ces institutions mènent bataille contre le régime de vérité scientifique en récupérant et en retournant la « liberté académique » pour en faire un droit de dire n’importe quoi (« free speech ») et donner un vernis pseudo-scientifique à un agenda idéologique. En Hongrie, le Mathias Corvinus Collegium, en constitue l’archétype; il a reçu en 2020 une dotation publique équivalente à l’ensemble de l’enseignement supérieur hongrois, soit un peu moins de la moitié du budget d’Oxford.

Les gouvernements illibéraux utilisent les outils du nouveau management : évaluation et financement par projet. Les agences d’évaluation donnent les moyens au pouvoir politique d’édicter des normes et des indicateurs de productivité du travail savant, dont les universitaires et les chercheurs réalisent trop tard qu’ils assurent un contrôle politique total, malgré leur absence de sens et de rationalité.

Les agences de financement permettent quant à elles de couper sélectivement les budgets sur la base de critères politiques. Ainsi, si l’offensive de l’administration Trump se déroule à un rythme inédit, le DOGE d’Elon Musk reprend les techniques managériales expérimentées en Hongrie ou en Pologne : alors que nombre d’agences de régulation fédérales sont démantelées, les agences de financement et d’évaluation sont préservées et utilisées pour discipliner universitaires et chercheurs, et couper sélectivement les subsides.

En complément, le contrôle illibéral passe par l’éloignement des universitaires et des chercheurs actifs des organes de décision des établissements. Ainsi, en Hongrie, les lois de 2011 et 2015 ont confié au ministre le soin de nommer les équipes présidentielles des universités. Depuis, les universités sont gérées par des « fondations »  qui signent un contrat d’objectifs et de moyens avec le pouvoir politique — ledit pouvoir siégeant dans leur conseil d’administration ; les universitaires ont perdu leur statut protecteur de fonctionnaire au profit de chaires contractuelles.

L’accélérationnisme qui sévit aux États-Unis entend mettre à bas l’État de droit et la démocratie en débordant les défenses immunitaires de la société. Il s’agit d’une tactique contre-révolutionnaire qui suggère une rupture. Pour autant, les politiques menées par les gouvernements illibéraux en Hongrie, en Pologne et ailleurs témoignent d’éléments de continuité dont la proximité avec le projet de LRU2.0 est évidente. La bataille pour la suppression du Hcéres et des contrats d’objectif, de moyens et de performance (COMP), et le mouvement pour reprendre le contrôle des normes, des procédures et des organes de décision sont aujourd’hui des priorités absolues.

« De toutes les techniques visant à mettre la vérité au service de la non-vérité, la plus importante est celle qui consiste à détacher et à isoler des observations vraies ou exactes de leur contexte. »

Theodor W. Adorno

Hcéres et fin des établissements « expérimentaux »

La loi LRU du 10 août 2007 a constitué le premier volet de deux décennies d’attaques contre le principe d’autonomie des universités. Les changements de composition des conseils d’administration ont durablement éloigné des décisions celles et ceux qui assurent au quotidien recherche et formation. L’ordonnance du 12 décembre 2018 a dérégulé les statuts des établissements issus de regroupements, et creusé la distance entre la communauté académique et la sphère décisionnaire. Ainsi les statuts de Saclay dépossèdent-ils les universitaires des moyens de travailler et de leurs capacités de décision, comme nous l’avions démontré dans un précédent billet :

https://rogueesr.fr/saclay-graal/

Dix-neuf établissements expérimentent ainsi des dérogations au code de l’éducation. Sorbonne Université, qui a fusionné et a obtenu un Idex, a choisi de son côté les statuts prévus par le code de l’éducation et n’est donc pas un établissement expérimental. Comme dans tous les établissements résultant d’une fusion, l’abandon d’une organisation à échelle humaine a conduit à des dysfonctionnements graves, ainsi que l’illustre cette lettre ouvertes des décanats :

https://rogueesr.fr/wp-content/uploads/2025/05/Lettre_decanats_SU.pdf

Contrairement à ce qu’affirment ministère et présidences d’université, la sortie de l’expérimentation sous forme d’université classique, selon les statuts prévus par le code de l’éducation, est possible, sans nouvelle phase d’expérimentation. Les services juridiques du ministère ont dû en convenir par écrit dans un courrier récent :

https://rogueesr.fr/wp-content/uploads/2025/05/DGESIP_Experimentation.pdf

Notons aussi que le jury Idex n’existe plus : pour gérer le budget, la mise en œuvre des Idex s’appuie sur un contrat ANR imposant de passer par des appels à projets clientélistes et des opérations non pérennes. Les Idex n’imposent plus de contraintes sur les structures de décision des établissements et ne constituent donc pas des conditions déterminantes pour adopter tels ou tels statuts. 

L’ordonnance sur les établissements expérimentaux fait reposer la pérennisation des statuts dérogatoires sur le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres). On constate à partir de cet exemple que le Hcéres est bel et bien un instrument de contrôle politique. Sa suppression conduirait à un retour, de facto, à des statuts conformes au code de l’éducation — une raison de plus de signer ce texte avant la commission mixte paritaire de juin :

https://rogueesr.fr/tribune-hceres

Posted on

Requiem pour un COMP

Après quelques brèves, ce billet est consacré au lancement d’un nouveau pan de la LRU2.0 : les contrats d’objectif, de moyens et de performance, les COMP, conçus comme des outils de contrôle politique direct des établissements d’enseignement supérieur et de recherche.

« Quand on mettra les COMP sur orbite t’as pas fini de tourner… »

Réplique de Jean Gabin extraite du film Le Pacha de Georges Lautner.

Notre désir de voir s’élargir l’horizon

Le frémissement perceptible à l’automne est devenu bouillonnement en ce début de printemps. Devant les menées de l’alliance entre technofascisme et conservatisme chauvin aux Etats-Unis, devant aussi les politiques austéritaires des gouvernements d’alliance entre droites et extrême-droite en Europe, la communauté scientifique et universitaire a manifesté son désir de voir s’élargir l’horizon. Elle peut se prévaloir d’une série de mobilisations réussies par leur ampleur et leur unité : KeyLabs, Hcéres, In Solidarity et Stand Up for Science. L’enjeu des prochains mois est de cristalliser ce momentum en une réinstitution de l’Université et la recherche.

Le réseau polycentrique Stand Up for Science a produit dans son manifeste une esquisse programmatique autour d’une première question : quelles solidarités et quelles résistances mettre en œuvre contre l’attaque de l’écosystème scientifique planétaire ? Pour peser dans les médias et auprès de la représentation nationale, il importe de faire circuler ce manifeste et d’accumuler le plus possible de signatures avant le 5 mai :

https://standupforscience.fr/tribune/

« La grande beauté est de faire venir, imprévues, fragiles mais vivaces, comme les herbes qui poussent entre les pavés, les questions que la plupart, sans s’en rendre compte, foulent du pied, tout simplement en avançant. »

Annie Lebrun

Choose France for Austerity and Bureaucracy

La communication sur le programme d’accueil des chercheuses et chercheurs travaillant aux États-Unis, Choose France for Science, était déjà concomitante avec la divulgation d’une division par deux des crédits alloués au programme PAUSE. Une semaine plus tard, le gouvernement a annoncé une nouvelle annulation de 600 millions d’euros de crédits 2025,

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000051520778

répartis en 225 M€ sur la mission « Investir pour la France de 2030 » et 387 M€ sur la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Le reste des annulations de crédits (3,1 milliards d’euros au total) vise l’écologie, le réchauffement climatique, les adaptations nécessaires du tissu agro-industriel.

La représentation nationale avait voté 1,5 milliard d’euros de baisse du budget de l’ESR en 2025, une fois corrigés de l’inflation. Les annulations de crédits s’élevaient déjà à 1,1 milliards d’euros pour 2025, avant même le projet de loi de finances de fin de gestion 2024. Signalons enfin que les universités, à ce jour, n’ont toujours pas reçu leur notification budgétaire pour 2025, ce qui les place d’office en régime de douzièmes provisoires avec des restrictions d’usage importantes sur leur subvention pour charge de service public. Budget initial en baisse, douzièmes provisoires artificiellement prolongés, annulations printanières : c’est donc la troisième coupe budgétaire en cinq mois pour l’Université.

Rappelons enfin que les annonces du 5 mai s’inscrivent sur fond de liquidation des programmes européens de recherche :

https://rogueesr.fr/fin-des-keylabs-et-des-programmes-europeens/

« Parce que la France est porteuse d’une ambition renforcée en matière de recherche »

Site de Choose France for Science

En finir avec Ubu, rond de cuir

Il ne reste plus pour défendre la fiction d’une réforme vertueuse du Hcéres qu’une petite poignée de bureaucrates. Il est vrai que ceux-ci, ne faisant effectivement ni recherche ni enseignement, ne risquent pas d’en subir l’arbitraire, les indicateurs hors sol et l’opacité. Après les évaluations caviardées de la vague E, Mme Chevallier, présidente du Haut comité, avait annoncé quelques réformes qu’aucun texte un tant soit peu contraignant n’est venu étayer à ce jour. La pièce centrale en aurait été l’abandon de l’évaluation des formations en tant que telles, cette évaluation étant transférée aux établissements. Les dernières annonces du ministre révèlent que ces mesures sont en fait motivées par la nécessité d’aligner le Hcéres sur les besoins des contrats d’objectif, de moyens et de performance (COMP). Rétrospectivement, cette nécessité éclaire aussi les remarques sibyllines de Mme Chevallier sur les COMP lors de son audition à l’Assemblée Nationale. Il n’y a donc, à ce stade, aucun recul de sa part, mais au contraire une accélération.

Le Hcérès, qui n’a jamais eu d’autre objet que le contrôle politique de l’Université et de la recherche, est irréformable. 4 500 universitaires et chercheurs ont déjà signé la tribune demandant sa suppression, parue dans le Monde du 16 avril :

https://rogueesr.fr/tribune-hceres/

La Commission Mixte Paritaire (CMP) qui décidera ou non de maintenir la suppression du Hcéres ne se réunira que mi-juin, avant le vote final. Il importe pour convaincre les parlementaires de continuer à faire signer largement la tribune du 16 avril. Notons que Philippe Baptiste a choisi in extremisde retirer sa propre tribune, qui aurait dû se situer en regard de la nôtre, pour la publier ailleurs. Il a sans doute bien fait ; sa prose évoque irrésistiblement les pastiches du groupe Javier Milei :

https://rogueesr.fr/20231214/

https://rogueesr.fr/20240902/

https://rogueesr.fr/il-existe-un-printemps-inoui/

La suppression du Hcéres constituerait un moment fort de rupture avec 21 ans de sclérose bureaucratique, de paupérisation et de décrochage scientifique et technique. Cette perspective nous donne d’ores et déjà l’élan nécessaire pour rompre avec le fatalisme, ce lent glissement qui nous entraîne vers l’un des variants de l’extrême-droite, et pour nous mettre au travail.

« J’avais la chance d’être avec France Universités il y a quelques jours, on parlait de nos fameux COMP. (…) C’est vrai que quand on regarde en vrai ce qu’avec ces contrats on pilote comme vraies dépenses au total, on a envie de se dire que les gens qui sont prêts à les préparer, à les documenter et les évaluer sont des héros, c’est les meilleurs COMP. »

Discours du président Macron, le 7 décembre 2023
https://www.elysee.fr/front/pdf/elysee-module-22053-fr.pdf

Pourquoi les COMP sont-ils si dangereux ?

Les contrats d’objectifs, de moyens et de performances (COMP) sont au cœur de la LRU2.0, nouvelle étape de la transformation du supérieur théorisée en 2004 dans le rapport Education & Croissance. Aghion et Cohen y préconisaient de procéder par réforme incrémentale en n’explicitant jamais la manière dont un dispositif s’inscrit dans un continuum de réformes dont l’objectif est pourtant explicite : déclasser toutes les universités publiques sauf une dizaine, requalifiées en “universités de recherche” et restructurées en singeant les universités privées étatsuniennes. M. Macron a présenté les trois « piliers » de la LRU2.0 dans son discours du 7 décembre 2023 : « pilotage », « évaluation » et « statuts » des enseignants et chercheurs.

« transformer nos grands organismes nationaux de recherche en de vraies agences de programmes […] faisons des vraies agences de financement qui arrêtent de gérer directement les personnels »

Le « pilotage » est le pilier du contrôle centralisé de l’Université et de la recherche : il suppose le démantèlement des organismes nationaux de recherche par transfert aux « universités de recherche » des personnels scientifiques pour ne conserver des anciennes institutions transformées en agences que le management bureaucratique et la gestion financière. Comme l’ont montré les Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), promus par le PDG du CNRS pour leur approche top-down, les agences de programmes soumettent la recherche à un contrôle politique centralisé, conférant à l’exécutif et aux lobbies le droit de décider de ce sur quoi portent les recherches, de qui peut les mener et, surtout, d’éliminer les recherches contraires aux convictions des pouvoirs politique, économique et religieux en place. La ministre Montchalin a choisi les médias du groupe Bolloré pour annoncer que « d’ici la fin de l’année […] un tiers des agences et des opérateurs [de l’État] qui ne sont pas des universités [allaient être] fusionnés ou supprimés ». Parmi ces opérateurs, ceux de la mission Recherche et enseignement supérieur sont principalement : ANR, Académie des technologies, ACTA/ACTIA, BRGM, CEA, CIRAD, CEA, CNES, CNRS, IFPEN, IFREMER, INED, INRAE, INRAP, INSERM, IPEV, IRD, LNE et CROUS.

« c’est au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche […] de faire de la stratégie, du pilotage et de l’évaluation »

L’« évaluation » constitue le second pilier du contrôle bureaucratique : elle discipline les équipes et les établissements en conditionnant les budgets à des indicateurs de performance édictés et calculés par l’administration ministérielle ou par des agences. Introduire ces indicateurs sans rapport avec la qualité de la recherche et de l’enseignement a été la raison des caviardages et réécritures par la bureaucratie du Hcéres des évaluations de vague E. C’est le principe des contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP) : « Les budgets des universités seront arbitrés, non plus en reconduisant ceux des années précédentes, comme c’était fait depuis très longtemps, ni en utilisant un modèle mathématique ou une feuille Excel, mais dans une discussion au premier euro. ». Telle est la définition exacte d’une allocation des moyens discrétionnaires, aux mains du Ministre en exercice, qui pourra ensuite déléguer aux recteurs les « discussions » qui ne l’intéressent pas. L’introduction d’indicateurs quantitatifs arbitraires, contraires à l’éthique scientifique et universitaire, répond à un objectif : préparer la mise en concurrence entre établissements publics et privés pour l’obtention des contrats publics. Les formations privées étant dispendieuses et de qualité médiocre, seuls des critères ad hoc peuvent leur permettre d’apparaître comme concurrentielles.

« Les statuts ne sont pas des protections aujourd’hui, ce sont devenus des éléments de complexité »

La liberté académique repose sur les financements pérennes des formations, des recherches et des salaires. À l’inverse, le contrôle politique centralisé suppose de démanteler les statuts des chercheurs et enseignants-chercheurs au profit de contrats individuels échappant aux règles de la fonction publique d’État : contrôle des missions, du temps de travail, des rémunérations et soumission au contrôle politique. Les COMP conditionnant l’intégralité des budgets (100%), salaires compris, leur mise en œuvre suppose la suppression des statuts de fonctionnaires [1].

« Mort aux COMP ! Vaste programme ! »

(Presque) Charles de Gaulle

Les tactiques déployées par le DOGE de M. Musk contre les universités et les agences gouvernementales nous aident paradoxalement à prendre la mesure du danger. Aux États-Unis, la contractualisation facilite les baisses budgétaires et les licenciements des institutions fédérales de recherche et de régulation. Les universités privées et publiques sont contrôlées au travers des outils de contrôle du management par agence : les projets et l’évaluation. La méthode est simple et terrifiante : imposer de nouvelles normes d’évaluation à même de censurer toute recherche ayant des conséquences sur la prévention sanitaire, la régulation environnementale, la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou les dispositifs d’atténuation des inégalités. Les trois leviers programmés de la LRU2.0 sont donc ceux-là même qui sont utilisés par l’alliance entre nationalisme MAGA et technofascisme : politique d’austérité, contrôle politique direct par contractualisation et contrôle politique indirect par les agences de financement et d’évaluation, après édiction de normes exogènes.

En conclusion, il faut le réaffirmer : jamais en 21 ans, la communauté scientifique et universitaire n’a été ainsi unie et n’a affirmé aussi clairement la nécessité d’une réinstitution complète. Nous devons dès maintenant prendre le temps de reposer les fondements de l’Université et des sciences, comme piliers de la démocratie. À quoi sert l’Université ? Pourquoi la société a-t-elle besoin d’institutions de savoir indépendantes des pouvoirs ? Pourquoi l’autonomie et ce qui la garantit, la liberté académique, sont-elles les conditions d’exercice du métier d’universitaire ?

Nous appelons les sociétés savantes, les collectifs, les associations, les syndicats à définir les modalités et le calendrier de cette réinstitution de l’Université et de la recherche par la communauté académique elle-même, avec un moment fondateur courant juin.


[1] COMP100% : les universités libres d’obéir :

https://blog.educpros.fr/julien-gossa/2025/04/22/comp100-les-universites-libres-dobeir/

Posted on

L’espoir d’un renouveau pour les sciences, l’Université et la recherche

L’objet de ce billet est un appel à signer la tribune parue dans Le Monde daté du 16 avril et intitulée L’espoir d’un renouveau pour les sciences, l’Université et la recherche, dont vous trouverez le texte ci-dessous.

Le « Projet de loi de simplification de la vie économique », porté par l’alliance entre droites et extrême-droite, s’inspire directement des dérégulations opérées par les administrations Milei et Trump : la tronçonneuse autoritaire au nom de la simplification. C’est à cette aune qu’il faut comprendre l’ardeur du Rassemblement National à contribuer à cette loi en supprimant, dès l’article 1, toujours plus de comités consultatifs et d’organismes de régulation. Par un curieux paradoxe, cette fureur musko-trumpiste a conduit aussi l’extrême-droite à voter la suppression de ce qui serait son meilleur outil pour caporaliser l’université, une fois arrivée au pouvoir : le Hcéres. Cette erreur d’appréciation repose sans doute sur le fait que ce jour-là ses députés n’avait d’attention que pour leur propre opération de déstabilisation du travail parlementaire en collusion avec le magazine suprémaciste Frontières.

Le ministre et ses alliés se sont engouffrés dans cette brèche pour présenter le Hcéres en rempart exclusif de la liberté académique contre un pouvoir d’extrême-droite : cette liberté constitutionnelle, à les écouter, ne serait garantie que par un comité Théodule — pourtant renversable par un simple amendement. Le ministre n’a sans doute pas d’autre but, dans sa communication de crise, que d’essayer de trianguler l’adversaire en reprenant les catégories et les concepts qui articulent l’indignation du monde universitaire : la liberté académique, l’autonomie nécessaire aux universitaires et aux scientifiques, la défense des sciences comme bien commun et comme pilier de la démocratie. Cet emploi des mots pour leur faire dire le contraire de ce qu’ils signifient normalement est une tactique sémantique éculée destinée à faire obstacle à la compréhension. Son usage indique en creux une terrible vérité : le Hcéres n’a rien d’un contre-pouvoir. Il est au contraire la clé de voûte du contrôle politique déployé depuis vingt ans, et c’est lui qui expose l’Université et la recherche aux menées d’une future domination de l’extrême-droite. Difficile en tout cas d’imaginer aveu plus clair de l’état réel de la liberté académique : démunie, assujettie à la bureaucratie, et in fine, dans la main des financeurs quels qu’ils soient.

Le Hcéres, ou ce qu’il en reste, ne saurait être une protection face à l’extrême-droite. Reconstruire des défenses efficaces est donc une urgence : la responsabilité démocratique du monde savant dépend aujourd’hui de sa capacité à se réinventer. Le parlement ayant détruit le miroir aux alouettes d’une institution indépendante et protectrice, cette reconstruction de la liberté académique et des sciences comme bien commun, nécessaire et urgente, devient enfin possible. C’est le sens de l’appel paru dans le journal Le Monde. Le Ministre, M. Baptiste, aurait souhaité nous répondre par une tribune en regard.

Nous sommes plus de 4 400, déjà, à avoir signé cette tribune. Nous vous invitons également à la signer et à la partager avec les collègues de votre entourage.

Donnons-nous rendez-vous dès le retour des vacances de printemps pour définir le calendrier et les modalités du travail de réinstitution devant mener à un changement de cap et une vision renouvelée pour l’Université et la recherche.

« Le Haut Conseil de l’évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur étant devenu irréformable, il fallait le supprimer »

Dans une tribune au Monde, un collectif de plus de 3 000 praticiens de la communauté académique salue la suppression du Haut Conseil de l’évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, et y voit l’espoir d’un renouveau pour les sciences, l’Université et la recherche.

Répondant à un souhait très largement exprimé par les universitaires et les chercheurs, les députés ont validé la suppression du Haut Conseil de l’évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (Hcéres) après des années de paupérisation, de bureaucratisation, dans le cadre du « Projet de loi de simplification de la vie économique ». Les missions de l’université et de la recherche scientifique supposent de démêler deux notions confondues sous le vocable d’« évaluation » : l’évaluation des enseignements et des travaux scientifiques et l’évaluation des politiques publiques.

L’évaluation des travaux scientifiques fait partie du quotidien des chercheuses et des chercheurs. Le régime de vérité scientifique, fondé sur la preuve et sur la critique mutuelle, suppose d’être à l’abri des pressions de tous ordres. Par la nature même de leur activité, universitaires et chercheurs doivent disposer d’une autonomie vis-à-vis des pouvoirs politiques, économiques et religieux. C’est la raison pour laquelle les laboratoires et les formations doivent être évalués par des chercheurs et des universitaires en activité, selon des normes propres à l’Université et la recherche.

L’évaluation des politiques publiques ou des décisions prises par les présidences des établissements est destinée quant à elle à apporter aux parlementaires et aux citoyens une information transparente et objective, afin d’améliorer la qualité globale du service public. Pour des raisons démocratiques, cette évaluation ne doit pas être soumise au pouvoir politique, ni directement — par le ministère — ni indirectement — par le Hcéres ou toute autre instance dont l’indépendance ne serait que de façade. C’est le sens judicieux de l’obligation européenne d’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche par une autorité indépendante.

Or, le Hcéres, dont la direction est souvent proche du pouvoir exécutif, est très directement lié au pouvoir politique. Cette dépendance en a fait l’outil central d’un projet bureaucratique plus global de « gouvernement par agences » qui a entraîné déclin scientifique et technique, aggravé l’échec des politiques de réussite et d’insertion, et favorisé l’essor d’un secteur privé lucratif de qualité médiocre échappant à toute évaluation publique.

La faillite politique et morale du Hcéres est confirmée par la Cour des comptes, qui souligne la lourdeur et l’utilité « marginale » de ses rapports, tout en déplorant l’absence de « réel effort de maîtrise de ses dépenses » — rappelons que le budget annuel du Hcéres était de 24 millions d’euros pour 2024. Le Hcéres a multiplié les procédures opaques, chronophages, et parfois absurdes, utilisant des indicateurs contraires aux normes scientifiques et universitaires. Les tentatives de simplification et de rationalisation de cette institution ont précipité la catastrophe de la « vague E », ruinant sa réputation et sa légitimité auprès des universitaires et du grand public. En plus d’avoir réécrit les avis des évaluateurs, la direction du Hcéres a donné à voir toute l’injustice des critères d’accréditation des formations : taux d’insertion professionnelle trop bas des jeunes dans les territoires défavorisés, taux de poursuite trop élevé des études au sortir d’IUT, impossibilité pour la philosophie d’entrer dans les normes bureaucratiques ubuesques de l’agence d’évaluation, entre autres. Aucun de ces critères ne reflète la qualité de l’enseignement dispensé, mais seulement la conséquence de situations géographiques particulières, de spécificités disciplinaires ou de réformes incohérentes. Le Hcéres étant devenu irréformable, inutile pour les uns et nuisible pour les autres, il fallait le supprimer.

Le ministre lui-même ne croit plus au Hcéres : preuve en est l’annonce, le 8 avril, du projet de soumettre la totalité des subventions des établissements d’enseignement supérieur et de recherche à la signature d’un contrat d’objectifs, de moyens et de performances (COMP) avec l’État. Au contraire de répondre au besoin pressant de financements pérennes du travail académique, ces COMP conditionnent les budgets à l’arbitraire d’objectifs chiffrés, tels que le taux de diplomation en trois ans, l’insertion professionnelle à 12 mois ou, pourquoi pas, le nombre de publications scientifiques. En phase d’austérité, il s’agit d’un projet de soumission illibérale de l’université et de la recherche à des priorités gouvernementales pouvant varier arbitrairement, édictées en tout cas sans débat ni transparence. Pire encore, les COMP retournent contre les formations et les laboratoires les manquements de l’action publique et l’inconséquence des choix politiques gouvernementaux. Cette réforme parachève l’inféodation de l’Université et de la recherche au pouvoir politique. Cette nouvelle atteinte au principe d’autonomie et à la liberté académique est particulièrement inquiétante dans un contexte international marqué par les attaques menées par Elon Musk et Donald Trump contre les sciences et la démocratie.

La suppression du Hcéres n’est pas un saut dans l’inconnu : elle ouvre au contraire la voie à la reconstruction des normes probatoires mises à mal, mais aussi à un débat démocratique sur le rôle de l’université et de la recherche dans l’espace politique. Mieux, elle porte l’espoir de tourner la page de vingt ans de paupérisation et de promotion d’une « excellence » auto-proclamée et anachronique, dont il est vérifiable qu’elle n’a porté aucun fruit. Il faut en finir aussi bien avec l’inertie institutionnelle qu’avec le corset technocratique imposé par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il suffit pour cela de prolonger toutes les accréditations actuelles de deux ans et de profiter de ce délai de latence pour construire, en s’appuyant sur l’expérience de la communauté, un nouveau système collégial de probation académique, ainsi qu’un dispositif transparent de contrôle des politiques scientifiques et universitaires. C’est à ces seules conditions que la France pourra, enfin, instaurer la liberté et la responsabilité de la recherche et de l’Université.

Rejoindre la liste des signataires

Posted on

Fin des keylabs et des programmes européens

Ce billet comprend deux brèves : l’abandon officiel des keylabs et l’annonce gouvernementale à venir, clinquante et vide, en récupération de Stand Up for Science. Il est suivi d’une information exclusive qui nous est parvenue en « tombé du camion » de la part de hauts fonctionnaires du ministère, inquiets du tournant annoncé de la politique européenne de recherche.

« Les ailes ne sont liberté que lorsqu’on les déploie pour voler.
Repliées sur le dos, elles ne sont qu’un fardeau.
»

Marina Tsvetaieva

Abandon officiel des keylabs

Cela reste fragile encore, mais depuis quelques mois, la communauté scientifique et universitaire réapprend à dire nous. La nécessité d’un investissement dans l’Université et la recherche, le démantèlement par paliers des organismes nationaux de recherche, les menées bureaucratiques du Hcéres, la liberté académique et la solidarité internationale en matière scientifique et universitaire ont donné lieu à d’amples engagements transpartisans, après des années de traversée du désert. Pour la première fois depuis des décennies, nous assistons à un largage de lest et à des témoignages d’anxiété du cabinet ministériel devant une communauté académique unie.

Premier signe, le projet de keylabs est abandonné : il n’y aura pas de label déclassant les trois quarts des unités de recherche pour inciter au regroupement des personnels CNRS au sein des universités de recherche. Aucune vision renouvelée n’a évidemment émergé de ce recul, qui tournerait la page de 21 ans de bureaucratisation, de paupérisation et de décrochage. Ainsi, en lieu place du label, il est question désormais de trajectoire discutée avec chaque laboratoire pour produire le même effet. Le programme conçu en 2004 demeure inchangé : mettre fin au statut de fonctionnaire, regrouper les meilleurs chercheurs et universitaires sous contrat dans les universités de recherche, démanteler les organismes nationaux de recherche pour en faire des agences de programmes au service du secteur privé, et déréguler les frais d’inscription.

Second signe, le ministère semble pris de panique devant la possibilité d’une suppression du Hcéres, après le scandale des évaluations caviardées de la vague E. En témoignent la frénésie des changement de procédures, des argumentaires d’autolégitimation et des communiqués des bureaucrates de France Universités qui deviennent difficilement distinguables de leurs parodies du Groupe Javier Milei.

Troisième signe de nervosité, la ministre de la Culture a interdit aux médiateurs scientifiques d’Universcience de contribuer à la seconde journée de Stand Up for Science pendant que le ministre de l’Intérieur faisait fermer Jussieu et envoyait 1500 CRS à la manifestation parisienne, le cortège nourri d’étudiantes et d’étudiants se faisant molester pour quelques fumigènes et une Tesla en carton.

Le printemps, déjà là, reste fragile encore.

« L’air maintenant, parfois, semble porter,
                             tremblante, une charge invisible.
Mais nous, il faut que nous nous contentions
                           du visible ; si grand que soit notre désir,
                                                      d’atteindre, derrière les jours et la vie,
Jusqu’à ce souffle imprégné de retour. »

Rainer Maria Rilke

Une poignée de chaires en guise de solidarité

La communauté scientifique et universitaire a témoigné de sa solidarité avec les collègues aux États-Unis et partout où la liberté académique est menacée ou inexistante.

https://rogueesr.fr/in-solidarity/

Les attaques de MM. Trump, Thiel, Vance et Musk contre les universités et les organismes de recherche et de régulation appellent un arsenal de mesures concrètes que le réseau Stand Up for Science a commencé de recenser dans son manifeste :

https://standupforscience.fr/tribune/

Alors que le programme PAUSE a été amputé de 60% de ses moyens, l’obsession de la bureaucratie universitaire et du ministère semble être de promouvoir le système des chaires contractuelles, dépourvues de protections statutaires, en prétendant « attirer les meilleurs talents » des États-Unis. Or, ces chaires sont notoirement dépourvues de l’attractivité que tente de leur conférer les récupérateurs de Stand Up for Science. Le bilan du programme clinquant « Make Our Planet Great Again » parle de lui même :

https://www.makeourplanetgreatagain.fr/

43 contrats principalement acceptés par des Français ou des Européens, pour 30 millions d’euros. Par comparaison, la baisse budgétaire et les annulations de crédits des mois derniers s’élèvent à 3,1 Milliards d’euros, soit 100 fois plus. Les collègues travaillant aux États-Unis ne rêvent pas d’une chaire sous-payée en France, sans moyen pour travailler, et soumis à une bureaucratie proliférante. Peut-être serait-il sage de leur demander comment nous pouvons concrètement aider à la résistance… En tout état de cause, pour aider l’écosystème scientifique mondial, il faut investir dans la recherche et l’Université et réinstituer le système pour affronter les grandes crises planétaires :

https://rogueesr.fr/investir-recherche-universite/


« La vieille Europe ; elle ne revivra jamais : La jeune Europe offre-t-elle plus de chances ? »

François René de Chateaubriand

 

Un tournant de la politique européenne de recherche

La presse s’est fait l’écho du récent rapport sur la compétitivité de l’Union Européenne rédigé par un groupe d’experts que présidait Mario Draghi : ce rapport pointait du doigt la faiblesse et l’inefficacité des politiques européennes de soutien à l’économie réelle et le sous-investissement dans l’enseignement supérieur, la recherche et ce qu’il nomme « l’innovation ». Ce rapport s’insérait dans une série de trois. Le premier rapport de l’année 2024, coordonné par Enrico Letta, portait sur l’approfondissement du marché unique européen. Le troisième, dit rapport Heitor, portait plus spécifiquement sur l’avenir du Framework Programme for Research and Technological Development au-delà de la période actuelle, 2021-2027. Ce « FP9 » est plus connu sous son nom publicitaire, Horizon Europe. Le « FP8 » s’appelait lui « Horizon 2020 » ou H2020. Comprendre cette architecture des trois rapports permet d’anticiper ce qui va suivre : l’avenir du programme-cadre pour la recherche, Horizon Europe, est entièrement subordonné à la politique d’innovation industrielle de l’Union Européenne dans un contexte de tensions économiques et commerciales qui étaient déjà critiques avant la mise en place des barrières douanières de M. Trump aux États-Unis.

L’actuel plan budgétaire pluriannuel de l’UE arrive à échéance fin 2027. Les rapports de force politiques complexes qu’implique l’élaboration de ces budgets font que la négociation du programme suivant commence, les États membres abattant peu à peu leurs cartes, tandis que la Commission a déjà transmis ses propres plans. Porter l’état actuel des discussions à la connaissance de la communauté permettra d’éclairer certaines annonces récentes, à commencer par la déclaration de M. Macron réclamant un accueil de scientifiques états-uniens sur les fonds de l’ERC et du Programme Marie Curie, c’est-à-dire sur les fonds du FP9 : dans deux ans et demi, ces fonds arriveront à échéance. Or en l’état actuel des négociations, tout suggère qu’il n’y aura pas de FP10 et que ces programmes sont menacés dans leur existence même, ceci avec l’aval du gouvernement français.

La Commission dirigée par Mme von der Leyen demande que le budget de l’UE soit dorénavant divisé en trois grands blocs, contre sept actuellement. Le premier serait un bloc « programmes de cohésion et programmes décentralisés » dont les deux principaux piliers seraient les fonds structurels et de développement régional, et la politique agricole commune. Le deuxième, un « fonds de compétitivité » intégré, fonctionnant comme un guichet unique et censé répondre aux demandes du rapport Draghi en encourageant une économie des soft skills (théorie du capital humain) adossée aux doctrines schumpétériennes de croissance par l’innovation. Le troisième bloc serait la politique extérieure et de défense de l’Union Européenne, avec une nette augmentation des budgets de défense et d’armement. Pour la Commission, le programme-cadre pour la recherche doit faire partie des outils à supprimer et à fondre dans le grand « guichet unique pour la compétitivité », dans un sous-pôle « innovation ». Le programme-cadre pour les formations supérieures, Erasmus+, est absent des discussions mais au moins pour son volet de soutien direct aux formations, son sort semble avoir été scellé : il rejoindrait selon toute vraisemblance un pôle « développement d’une économie des soft skills » du fonds de compétitivité. 

Certains États membres renâclent à sacrifier ainsi l’enseignement supérieur et la recherche à la politique économique. Mais hormis l’Espagne, il s’agit essentiellement de petits États. La France n’a pas encore formellement notifié sa position, en raison de l’instabilité politique de la fin 2024. Toutefois, les arbitrages essentiels ont été rendus. Les directions générales des organismes nationaux de recherche ainsi que lobby de l’Udice ont certes réussi à convaincre le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche de plaider pour le maintien des programmes « d’excellence » de l’ERC via un FP10 autonome, mais la rue Descartes ne pèse pas grand chose face à Bercy, qui s’est positionné pour la mise en place d’un fonds de compétitivité dont les deux priorités seraient la « recherche collaborative » (l’euphémisme consacré pour parler de la mise à disposition du secteur privé des infrastructures de recherche publique) et la « recherche duale » (c’est-à-dire civilo-militaire). Plusieurs inspirateurs de la politique du gouvernement, notamment MM. Tirole et Aghion, soutiennent cette position de principe. De l’aveu d’un représentant du Groupe de Coimbra, l’équivalent européen de l’Udice, le FP10 « n’est sans doute plus sauvable ». 

La discussion se déplace maintenant sur deux questions : celle des cinq à six thématiques retenues pour le sous-programme « recherche et innovation » du fonds de compétitivité, et celle de « la gouvernance du fonds ». La France demandera que les thématiques retenues soient celles mises en avant par M. Macron il y a quelques mois : intelligence artificielle, énergie, valorisation et commercialisation des biotechnologies, quantique, espace. 

Quant à la « gouvernance », c’est-à-dire l’éventuel maintien de sous-programmes-cadres sous le chapeau du « fonds de compétitivité », des documents préparatoires tombés du camion le mois dernier suggèrent que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a renoncé à maintenir un programme-cadre global pour la recherche mais va tenter de satisfaire l’Udice et la direction des organismes de recherche en demandant de sauver quelques bribes de l’ERC et du programme Marie Curie.

Pour cela, le ministère s’est replié sur une position intermédiaire dans l’espoir de rallier quelques soutiens supplémentaires (dont potentiellement M. Aghion) : la Commission ne serait « pas équipée pour gérer un tel fonds » qui devrait donc être divisé en « opérations » ; afin de « ne pas arrêter le pipeline de la recherche », la France demanderait qu’une de ces opérations soit consacrée à « l’excellence en recherche fondamentale » avec comme objectif d’ « attirer les meilleurs talents internationaux ». C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’opération de récupération de Stand Up For Science par la bureaucratie de l’Udice, du CNRS et du ministère : Bercy renâclant encore à appuyer cette demande de préservation d’un fragment de politique scientifique indépendante des intérêts industriels, la bureaucratie de la recherche tente de poser des faits accomplis en profitant de l’aubaine trumpienne.

Ce jeu de bonneteau ne doit pas masquer les éléments objectifs de similitude avec la situation états-unienne, ou au moins argentine : Bercy, c’est-à-dire la France, va bel et bien demander que le gros des fonds de la politique scientifique soit fléchés vers le complexe militaro-industriel et que les politiques de soutien à la recherche se concentrent sur quatre ou cinq thèmes valorisables et commercialisables. Si le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche n’obtient pas quelques concessions, la panique qui gagne l’Udice ou le CNRS nous vaudra probablement une tribune en défense de l’ERC, comme ce fut le cas jadis en défense de l’ANR, du Hcéres ou de la LPR. Nous nous permettrons d’y voir la preuve par le fait de ce que chacun subodore depuis des années : il n’y a que des perdants au « jeu » de la différenciation et de l’excellence, et les « acteurs » qui croient sauver leur statut en « jouant le jeu » se retrouveront demain gros-jean comme devant.

Posted on

Il existe un printemps inouï

« Il existe un printemps inouï éparpillé parmi les saisons et jusque sous les aisselles de la mort. »

René Char

Brèves

Séminaire Politique des sciences

La prochaine séance du séminaire Politique des sciences sera consacrée à la manière dont les outils numériques sont utilisés à des fins de contrôle et de surveillance, et aux manières de se protéger pour préserver effectivement les libertés publiques, qu’elles soient professionnelles, individuelles ou collectives.

Séminaire Politique des sciences
Olivier Ricou — Auto-défense numérique
Vendredi 4 avril 2025, 16h-18h, salle R-202,
Département de sciences, 48 Bd Jourdan 75014 Paris 

Entrée libre dans la limite des places disponibles — celles et ceux qui maîtrisent les outils de protection numériques sont particulièrement bienvenus pour le temps de discussion-formation. Pré-inscription demandée aux personnes extérieures à l’ENS-PSL à Po_des_Sciences@proton.me  (afin de fournir la liste des invités à la loge).

Le séminaire sera retransmis en direct sur Zoom :

https://u-paris.zoom.us/j/86927788520?pwd=ILPEh3afXXU6x901Ezxx4cDhr3obDR.1

et sur la chaîne Youtube :

https://www.youtube.com/@politiquedessciences7602

Communiqué de presse sur la suppression du Hcéres

Le 25 mars 2025, les députés ont adopté en commission un amendement supprimant le Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (Hcéres) dans le cadre du projet de loi sur « la simplification de la vie économique ». Une adoption en séance, le 8 avril 2025, marquerait une rupture avec vingt ans de bureaucratisation de l’enseignement supérieur et de la recherche. Retrouvez notre communiqué de presse sur la suppression du Hcéres :

https://rogueesr.fr/pourquoi-la-suppression-du-hceres-est-elle-necessaire/

Stand Up for Science

Le 3 avril, une nouvelle journée de mobilisation nationale Stand Up for Science est organisée. Vous trouverez des informations ainsi que la liste des événements prévus dans les centres universitaires et académiques de France sur le site :

https://standupforscience.fr/la-journee-du-3-avril/

« The very word “war”, therefore, has become misleading. It would probably be accurate to say that by becoming continuous war has ceased to exist. […] A peace that was truly permanent would be the same as a permanent war. This […] is the inner meaning of the Party slogan: War is Peace. »

George Orwell, Nineteen Eighty-Four

Le Groupe Javier Milei se lève pour la science

Nous le devons à notre histoire, à notre souveraineté, à notre compétitivité : nous, du groupe Javier Milei, soutenons en véritables progressistes le programme Stand Up for Science proposé par le Hcéres, l’Udice et la présidence du CNRS, en faveur d’une authentique charité bien ordonnée avec les vrais scientifiques états-uniens. Quelques esprits chagrins du wokisme jugeront qu’il est bien tard pour soutenir des marches ayant eu lieu il y a bientôt un mois. Les avancées du retournement temporel à ordinateur quantique piloté par I.A. n’ont manifestement pas encore irrigué la paire de neurones du cortex paléo-arriéré des partisans de la secte sociologiste. Ne nous crispons pas, la tronçonneuse génétique palliera bientôt ce problème qui affecte la compétitivité cognitive de l’hexagone.

Les disrupteurs schumpétériens que sont Elon Musk et Peter Thiel offrent à la France une vraie belle opportunité : inséré dans un mercato dynamisé, le brain drain des meilleurs P.I. des USA permettra d’essaimer une innovation réticulaire agile et transnationale. Les meilleures pratiques s’en trouveront accélérées, telle une navette SpaceX à propulsion bionique. 

Voir les anciens protecteurs du professeur Raoult se placer à la pointe de ce mouvement ne manquera pas de rassurer celles et ceux qui partagent notre attachement au dépassement des cadres, à l’audace politique, et à une conception révolutionnaire de l’intégrité scientifique. Nul doute que la nouvelle diaspora états-unienne trépigne d’impatience à l’idée de rejoindre les riants campus bétonnés des universités françaises, justement dotées en proportion de leur rayonnement et gouvernées avec un esprit de libéralité et de collégialité légendaire. Grâce à l’accueil des winners de Californie, nous aurons enfin notre Silicon Valley à la française, en attendant d’avoir, à notre tour, notre Musk. 

Le recours à l’ERC aurait sans doute permis de rallier au projet Giorgia Meloni, Geert Wilders et Victor Orban. Mais puisque l’Union européenne tarde à se mobiliser, nos espoirs reposent sur notre DOGE à la française : le Hcéres, qui est véritablement le vaisseau amiral de l’excellence hexagonale dans tous les domaines de la politique scientifique. Nous devons pratiquer une solidarité internationale servant d’abord notre compétitivité ; nous devons mener le combat pour la survie des plus forts dans l’intérêt même des plus faibles. Qui mieux que la nouvelle gouvernance du Hcéres saura mener cette lutte pour le véritable progrès ?

C’est un impératif de justice qui nous anime quand nous demandons ainsi à la France de n’accueillir que les superstars américaines préretraitées : l’exigence de l’heure, c’est de développer une culture darwinienne au bénéfice de chacune et chacun ; c’est de guider la sélection naturelle au profit de ceux qu’elle élimine. La confiance se nourrit de la compétition, la solidarité n’existe que par la guerre de tous contre tous, et la science se renforce en s’épurant. Alors debout, les damnés de la terre ! Debout pour l’authentique liberté, debout pour la vraie science : debout pour la compétitivité et l’excellence. 

¡Viva la libertad, carajo!

Groupe Javier Milei