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Martingale

« Dans une période où le doute sceptique s’est installé dans le monde, où, aux dires d’une bande de salauds, il n’est plus possible de discerner le sens du non-sens, il devient ardu de descendre à un niveau où les catégories de sens et de non-sens ne sont pas encore employées. »

Frantz Fanon

Après l’annonce du prochain séminaire Politique des sciences sur l’actualité de la recherche sur l’extrême droite, ce billet reviendra sur une année de réveil collectif de la communauté universitaire face aux attaques sans précédent dont elle est l’objet. En réponse, en France, les pouvoirs ont adopté une tactique de communication marquée par l’apparence d’un lâcher-prise suivi par le redoublement des offensives. Il est temps pour l’Université et la recherche de renverser cette logique délétère et de se donner les moyens d’une refondation dont les rencontres ASUR des 16 et 17 juin marquent le premier acte. Nous vous invitons à nouveau vivement à y participer.

Séminaire Politique des sciences

Après deux séances consacrées en janvier aux ouvrages récents d’Estelle Delaine, Michel Feher et Quinn Slobodian, et en mai, aux travaux de Nonna Mayer et Cécile Alduy, une troisième séance du séminaire Politique des sciences sur l’actualité de la recherche sur l’extrême-droite et l’autoritarisme aura lieu :

le 25 juin 2025 de 17h à 20h à l’Université Paris Cité,
Salle 229 du Campus Saint-Germain-des-Prés
45 rue des Saints-Pères 75006 Paris.

En distanciel :

https://u-paris.zoom.us/j/82535448590?pwd=RF8focVaQnF8wLbF3B5i4Lk4t4fHiV.1

Marlène Benquet, directrice de recherche au CNRS et membre de l’Irisso :

La finance autoritaire.

Sylvie Laurent, maîtresse de conférences à Sciences Po :

La contre-révolution californienne.

Mark Fortier, sociologie, membre de l’équipe éditoriale de Lux :

Devenir fasciste. Ma thérapie de conversion.

Le séminaire reprendra à l’EHESS à la rentrée, sur une base mensuelle.

« Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. »

Aimé Césaire

La martingale politique

L’année scolaire qui se termine a été marquée par l’effondrement démocratique aux États-Unis. De manière moins spectaculaire, les atteintes à la liberté académique se sont multipliées dans tous les pays occidentaux et l’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche s’est érodé. La France ne fait pas exception, avec ses 1,5 milliards d’euros de baisse des crédits pour charge de service public, une fois corrigés de l’inflation, auxquels il faut déjà ajouter 1,6 milliards d’euros d’annulations de crédits pour 2025. Le 11 juin, la sénatrice Vanina Paoli-Gagin, rapporteure spéciale des crédits de l’enseignement supérieur, a explicité l’évidence : la mise en déficit volontaire des universités est destinée à promouvoir l’augmentation des frais d’inscription — l’étape ultime des transformations prévues par Aghion et Cohen dans leur rapport de 2004.

La virulence des attaques aux États-Unis a participé cette année d’un réveil des consciences, modeste encore, parmi les universitaires et les chercheurs. Il convient de relativiser les victoires obtenues. Antoine Petit a ainsi récemment assuré les présidentes et présidents de section du CNRS que » les KeyLabs étaient une connerie » et qu’ils étaient déjà tombés dans l’oubli. Mais, dans le même temps, nous recevions un » tombé du camion » issu du cabinet ministériel alertant sur le retour programmé des KeyLabs sous un nouveau label.

Concernant la suppression du Hcéres, le vote en Commission Mixte Paritaire (CMP) est repoussé à la rentrée parlementaire d’automne — à moins qu’une nouvelle dissolution n’en interrompe l’examen. Les parlementaires des commissions économiques qui composent cette future CMP entendent supprimer un tiers des agences — donc le Hcéres, qui n’a de soutien qu’au sein de la bureaucratie. Mais plusieurs de ces parlementaires appellent aussi publiquement à supprimer les organismes nationaux de recherche, en particulier le CNRS — conformément, là encore, aux transformations prévues par Aghion et Cohen dans leur rapport de 2004. Qu’est-il advenu des promesses de réformes du Hcéres émises en chœur au sein de la bureaucratie de l’Université et de la recherche au début de l’année, devant la colère de la communauté universitaire? Rien, bien sûr. Sitôt la pression retombée, il a été argué qu’alléger l’évaluation des formations nécessiterait une réforme du code de l’éducation pour ne surtout rien faire. 

Voilà ce qu’écrivaient déjà C. Villani et ses cosignataires dans une tribune d’allégeance à la candidature de M. Macron, il y 8 ans : » Oui, il faut améliorer la procédure d’évaluation du HCERES et celle de l’attribution du CIR, dispositif fiscal dont l’efficacité laisse actuellement à désirer. Oui, certaines universités connaissent toujours précarité financière et souffrance administrative. Oui, il faut réaffirmer encore et toujours l’importance de la recherche fondamentale, des crédits de fonctionnement récurrents, et travailler à simplifier la vie des enseignants-chercheurs. Nous avons encore tant de progrès à faire ! »

21 ans ont passé depuis que le processus de paupérisation, de bureaucratisation et de précarisation a été théorisé. Chaque contestation a produit un recul de façade, avec digestion et appropriation du vocabulaire critique : la liberté académique a désormais remplacé l’excellence dans les discours officiels, pour promouvoir les politiques publiques qui la piétinent. Chaque pan des réformes temporairement abandonné revient en étant redoublé. Tant que la communauté académique ne se saisira pas du travail de refondation de l’Université et du système de recherche, la martingale demeurera.

« Nous menons encore et toujours les mêmes batailles, elles ne sont jamais gagnées une fois pour toutes, mais en luttant ensemble, en communauté, nous apprenons à entrevoir de nouvelles possibilités qui, autrement, n’auraient jamais été visibles à nos yeux. En même temps nous étendons et élargissons notre conception de la liberté. »

Angela Davis

Programme du premier atelier de l’Agora Sciences Université Recherche (ASUR)

L’Agora Sciences Université Recherche (ASUR) est un nouveau réseau de réflexion non partisan, issu de la communauté de l’Université et de la recherche. Il se donne comme objectif de produire une vision renouvelée de l’Université et de la recherche, de ses missions, de ses institutions et de ses procédures. Il mène une réflexion intellectuelle, politique et législative sur le système scientifique et universitaire à construire dans la décennie qui vient. ASUR tiendra sa réunion fondatrice les 16 et 17 juin sur le site des Cordeliers de l’Université Paris Cité.

Le programme du premier atelier d’ASUR est désormais en ligne :

https://agorasur.fr/colloque/

ASUR compte un peu plus de 350 inscrits mais, tout le monde n’étant pas présent aux deux journées, l’inscription demeure possible sur la page d’accueil du site. Le travail se poursuivra avec des outils collaboratifs en ligne jusqu’à l’automne.

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Virer Debord

Après quelques brèves, ce billet porte sur le Hcéres et les statuts dérogatoires des « établissements publics expérimentaux ». Nous rappelons le texte à signer avant la nouvelle phase de discussions parlementaires :

https://rogueesr.fr/tribune-hceres/

« Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. »

Guy Debord

Politique des sciences

Le séminaire de formation à l’autodéfense numérique est désormais en ligne :

https://www.youtube.com/watch?v=u6jC_wSvpwI

Après une séance consacrée en janvier aux ouvrages récents d’Estelle Delaine, Michel Feher et Quinn Slobodian, une seconde séance du séminaire Politique des Sciences sur l’actualité de la recherche sur l’extrême-droite et l’autoritarisme aura lieu le Vendredi 16 mai 2025, 17h30-19h30, salle P 004, Département de sciences, 48 Bd Jourdan 75014 Paris. Cette séance pourra être suivie en visioconférence :

https://u-paris.zoom.us/j/85641485635?pwd=bKzRCBOpeKIQnYRpbHgJv2H9VNuz0o.1

  • Nonna Mayer (Directrice de recherche émérite au CNRS, CEE Sciences Po), pour une intervention intitulée : « Le vote RN au prisme du genre » ;
  • Cécile Alduy (Professeure de littérature à l’Université de Stanford), pour une intervention intitulée : « “Grand Remplacement lexical” au sein des extrêmes droites française et américaine » .

Pré-inscription demandée aux personnes extérieures à l’ENS-PSL à Po_des_Sciences@proton.me (afin de fournir la liste des invités à la loge).

« Il n’y a plus maintenant de beauté et de consolation que dans le regard qui se tourne vers l’horrible, s’y confronte et maintient, avec une conscience entière de la négativité, la possibilité d’un monde meilleur.

Theodor W. Adorno

Agora Sciences Université Recherche

L’Agora Sciences Université Recherche (ASUR) est une structure d’organisation transitoire destinée à mener un travail de réinstitution de l’Université et de la recherche en trois temps : un grand colloque en juin, un wiki préparant un livre blanc qui paraîtra à la rentrée, et des propositions de lois à la fin de l’automne. Plusieurs centaines de collègues ont d’ores et déjà annoncé leur participation à ASUR.

La participation la plus large est souhaitée et attendue, mais il s’agit aussi pour nous toutes et nous tous de prendre le temps de la réflexion de façon à pouvoir élaborer et rassembler des propositions construites. Les plus jeunes de nos collègues, qui n’ont pas traversé 25 ans de réforme, sont chaleureusement invités à s’approprier ASUR. Leur participation fera l’objet d’une attention particulière. Beaucoup ont l’expérience des systèmes étrangers, et de la façon dont ils ont pu ou pas préserver des parcelles de liberté, et de leurs dysfonctionnements : cette expérience est très importante pour l’élaboration de propositions nouvelles viables. Nous vous rappelons la date butoir du 28 mai pour préparer vos projets de contribution au colloque des 16 et 17 juin.

Pour nous rejoindre, merci de renseigner la fiche suivante :

https://agorasur.fr/

« Il ne s’agit cependant pas d’opposer le mensonge au mensonge, de tenter d’être aussi malin que lui, mais de travailler contre lui, réellement, en déployant la force décisive de la raison, en faisant appel à la vérité réellement non idéologique. »

Theodor W. Adorno

Les outils de l’illibéralisme contre l’Université et la recherche

L’Université et la recherche sont attaquées en Europe, partout où les partis d’extrême-droite participent aux alliances gouvernementales ou ont pris le pouvoir, de la Hongrie à l’Italie en passant par la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, la Finlande, les Pays-Bas, la Slovaquie, la Suède et peut-être bientôt la Roumanie. Où qu’elles soient, les offensives illibérales imposent une austérité budgétaire, la mise en concurrence des individus et des structures et le développement d’un secteur privé fort : en Europe centrale, un quart des étudiants y sont inscrits. En Hongrie et en Pologne, le développement d’universités et d’instituts de recherche privés, financés par de l’argent public, participe du développement d’une pseudo-science qui singe les procédures universitaires sans se plier aux normes de production savante. Ces institutions mènent bataille contre le régime de vérité scientifique en récupérant et en retournant la « liberté académique » pour en faire un droit de dire n’importe quoi (« free speech ») et donner un vernis pseudo-scientifique à un agenda idéologique. En Hongrie, le Mathias Corvinus Collegium, en constitue l’archétype; il a reçu en 2020 une dotation publique équivalente à l’ensemble de l’enseignement supérieur hongrois, soit un peu moins de la moitié du budget d’Oxford.

Les gouvernements illibéraux utilisent les outils du nouveau management : évaluation et financement par projet. Les agences d’évaluation donnent les moyens au pouvoir politique d’édicter des normes et des indicateurs de productivité du travail savant, dont les universitaires et les chercheurs réalisent trop tard qu’ils assurent un contrôle politique total, malgré leur absence de sens et de rationalité.

Les agences de financement permettent quant à elles de couper sélectivement les budgets sur la base de critères politiques. Ainsi, si l’offensive de l’administration Trump se déroule à un rythme inédit, le DOGE d’Elon Musk reprend les techniques managériales expérimentées en Hongrie ou en Pologne : alors que nombre d’agences de régulation fédérales sont démantelées, les agences de financement et d’évaluation sont préservées et utilisées pour discipliner universitaires et chercheurs, et couper sélectivement les subsides.

En complément, le contrôle illibéral passe par l’éloignement des universitaires et des chercheurs actifs des organes de décision des établissements. Ainsi, en Hongrie, les lois de 2011 et 2015 ont confié au ministre le soin de nommer les équipes présidentielles des universités. Depuis, les universités sont gérées par des « fondations »  qui signent un contrat d’objectifs et de moyens avec le pouvoir politique — ledit pouvoir siégeant dans leur conseil d’administration ; les universitaires ont perdu leur statut protecteur de fonctionnaire au profit de chaires contractuelles.

L’accélérationnisme qui sévit aux États-Unis entend mettre à bas l’État de droit et la démocratie en débordant les défenses immunitaires de la société. Il s’agit d’une tactique contre-révolutionnaire qui suggère une rupture. Pour autant, les politiques menées par les gouvernements illibéraux en Hongrie, en Pologne et ailleurs témoignent d’éléments de continuité dont la proximité avec le projet de LRU2.0 est évidente. La bataille pour la suppression du Hcéres et des contrats d’objectif, de moyens et de performance (COMP), et le mouvement pour reprendre le contrôle des normes, des procédures et des organes de décision sont aujourd’hui des priorités absolues.

« De toutes les techniques visant à mettre la vérité au service de la non-vérité, la plus importante est celle qui consiste à détacher et à isoler des observations vraies ou exactes de leur contexte. »

Theodor W. Adorno

Hcéres et fin des établissements « expérimentaux »

La loi LRU du 10 août 2007 a constitué le premier volet de deux décennies d’attaques contre le principe d’autonomie des universités. Les changements de composition des conseils d’administration ont durablement éloigné des décisions celles et ceux qui assurent au quotidien recherche et formation. L’ordonnance du 12 décembre 2018 a dérégulé les statuts des établissements issus de regroupements, et creusé la distance entre la communauté académique et la sphère décisionnaire. Ainsi les statuts de Saclay dépossèdent-ils les universitaires des moyens de travailler et de leurs capacités de décision, comme nous l’avions démontré dans un précédent billet :

https://rogueesr.fr/saclay-graal/

Dix-neuf établissements expérimentent ainsi des dérogations au code de l’éducation. Sorbonne Université, qui a fusionné et a obtenu un Idex, a choisi de son côté les statuts prévus par le code de l’éducation et n’est donc pas un établissement expérimental. Comme dans tous les établissements résultant d’une fusion, l’abandon d’une organisation à échelle humaine a conduit à des dysfonctionnements graves, ainsi que l’illustre cette lettre ouvertes des décanats :

https://rogueesr.fr/wp-content/uploads/2025/05/Lettre_decanats_SU.pdf

Contrairement à ce qu’affirment ministère et présidences d’université, la sortie de l’expérimentation sous forme d’université classique, selon les statuts prévus par le code de l’éducation, est possible, sans nouvelle phase d’expérimentation. Les services juridiques du ministère ont dû en convenir par écrit dans un courrier récent :

https://rogueesr.fr/wp-content/uploads/2025/05/DGESIP_Experimentation.pdf

Notons aussi que le jury Idex n’existe plus : pour gérer le budget, la mise en œuvre des Idex s’appuie sur un contrat ANR imposant de passer par des appels à projets clientélistes et des opérations non pérennes. Les Idex n’imposent plus de contraintes sur les structures de décision des établissements et ne constituent donc pas des conditions déterminantes pour adopter tels ou tels statuts. 

L’ordonnance sur les établissements expérimentaux fait reposer la pérennisation des statuts dérogatoires sur le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres). On constate à partir de cet exemple que le Hcéres est bel et bien un instrument de contrôle politique. Sa suppression conduirait à un retour, de facto, à des statuts conformes au code de l’éducation — une raison de plus de signer ce texte avant la commission mixte paritaire de juin :

https://rogueesr.fr/tribune-hceres

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Requiem pour un COMP

Après quelques brèves, ce billet est consacré au lancement d’un nouveau pan de la LRU2.0 : les contrats d’objectif, de moyens et de performance, les COMP, conçus comme des outils de contrôle politique direct des établissements d’enseignement supérieur et de recherche.

« Quand on mettra les COMP sur orbite t’as pas fini de tourner… »

Réplique de Jean Gabin extraite du film Le Pacha de Georges Lautner.

Notre désir de voir s’élargir l’horizon

Le frémissement perceptible à l’automne est devenu bouillonnement en ce début de printemps. Devant les menées de l’alliance entre technofascisme et conservatisme chauvin aux Etats-Unis, devant aussi les politiques austéritaires des gouvernements d’alliance entre droites et extrême-droite en Europe, la communauté scientifique et universitaire a manifesté son désir de voir s’élargir l’horizon. Elle peut se prévaloir d’une série de mobilisations réussies par leur ampleur et leur unité : KeyLabs, Hcéres, In Solidarity et Stand Up for Science. L’enjeu des prochains mois est de cristalliser ce momentum en une réinstitution de l’Université et la recherche.

Le réseau polycentrique Stand Up for Science a produit dans son manifeste une esquisse programmatique autour d’une première question : quelles solidarités et quelles résistances mettre en œuvre contre l’attaque de l’écosystème scientifique planétaire ? Pour peser dans les médias et auprès de la représentation nationale, il importe de faire circuler ce manifeste et d’accumuler le plus possible de signatures avant le 5 mai :

https://standupforscience.fr/tribune/

« La grande beauté est de faire venir, imprévues, fragiles mais vivaces, comme les herbes qui poussent entre les pavés, les questions que la plupart, sans s’en rendre compte, foulent du pied, tout simplement en avançant. »

Annie Lebrun

Choose France for Austerity and Bureaucracy

La communication sur le programme d’accueil des chercheuses et chercheurs travaillant aux États-Unis, Choose France for Science, était déjà concomitante avec la divulgation d’une division par deux des crédits alloués au programme PAUSE. Une semaine plus tard, le gouvernement a annoncé une nouvelle annulation de 600 millions d’euros de crédits 2025,

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000051520778

répartis en 225 M€ sur la mission « Investir pour la France de 2030 » et 387 M€ sur la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Le reste des annulations de crédits (3,1 milliards d’euros au total) vise l’écologie, le réchauffement climatique, les adaptations nécessaires du tissu agro-industriel.

La représentation nationale avait voté 1,5 milliard d’euros de baisse du budget de l’ESR en 2025, une fois corrigés de l’inflation. Les annulations de crédits s’élevaient déjà à 1,1 milliards d’euros pour 2025, avant même le projet de loi de finances de fin de gestion 2024. Signalons enfin que les universités, à ce jour, n’ont toujours pas reçu leur notification budgétaire pour 2025, ce qui les place d’office en régime de douzièmes provisoires avec des restrictions d’usage importantes sur leur subvention pour charge de service public. Budget initial en baisse, douzièmes provisoires artificiellement prolongés, annulations printanières : c’est donc la troisième coupe budgétaire en cinq mois pour l’Université.

Rappelons enfin que les annonces du 5 mai s’inscrivent sur fond de liquidation des programmes européens de recherche :

https://rogueesr.fr/fin-des-keylabs-et-des-programmes-europeens/

« Parce que la France est porteuse d’une ambition renforcée en matière de recherche »

Site de Choose France for Science

En finir avec Ubu, rond de cuir

Il ne reste plus pour défendre la fiction d’une réforme vertueuse du Hcéres qu’une petite poignée de bureaucrates. Il est vrai que ceux-ci, ne faisant effectivement ni recherche ni enseignement, ne risquent pas d’en subir l’arbitraire, les indicateurs hors sol et l’opacité. Après les évaluations caviardées de la vague E, Mme Chevallier, présidente du Haut comité, avait annoncé quelques réformes qu’aucun texte un tant soit peu contraignant n’est venu étayer à ce jour. La pièce centrale en aurait été l’abandon de l’évaluation des formations en tant que telles, cette évaluation étant transférée aux établissements. Les dernières annonces du ministre révèlent que ces mesures sont en fait motivées par la nécessité d’aligner le Hcéres sur les besoins des contrats d’objectif, de moyens et de performance (COMP). Rétrospectivement, cette nécessité éclaire aussi les remarques sibyllines de Mme Chevallier sur les COMP lors de son audition à l’Assemblée Nationale. Il n’y a donc, à ce stade, aucun recul de sa part, mais au contraire une accélération.

Le Hcérès, qui n’a jamais eu d’autre objet que le contrôle politique de l’Université et de la recherche, est irréformable. 4 500 universitaires et chercheurs ont déjà signé la tribune demandant sa suppression, parue dans le Monde du 16 avril :

https://rogueesr.fr/tribune-hceres/

La Commission Mixte Paritaire (CMP) qui décidera ou non de maintenir la suppression du Hcéres ne se réunira que mi-juin, avant le vote final. Il importe pour convaincre les parlementaires de continuer à faire signer largement la tribune du 16 avril. Notons que Philippe Baptiste a choisi in extremisde retirer sa propre tribune, qui aurait dû se situer en regard de la nôtre, pour la publier ailleurs. Il a sans doute bien fait ; sa prose évoque irrésistiblement les pastiches du groupe Javier Milei :

https://rogueesr.fr/20231214/

https://rogueesr.fr/20240902/

https://rogueesr.fr/il-existe-un-printemps-inoui/

La suppression du Hcéres constituerait un moment fort de rupture avec 21 ans de sclérose bureaucratique, de paupérisation et de décrochage scientifique et technique. Cette perspective nous donne d’ores et déjà l’élan nécessaire pour rompre avec le fatalisme, ce lent glissement qui nous entraîne vers l’un des variants de l’extrême-droite, et pour nous mettre au travail.

« J’avais la chance d’être avec France Universités il y a quelques jours, on parlait de nos fameux COMP. (…) C’est vrai que quand on regarde en vrai ce qu’avec ces contrats on pilote comme vraies dépenses au total, on a envie de se dire que les gens qui sont prêts à les préparer, à les documenter et les évaluer sont des héros, c’est les meilleurs COMP. »

Discours du président Macron, le 7 décembre 2023
https://www.elysee.fr/front/pdf/elysee-module-22053-fr.pdf

Pourquoi les COMP sont-ils si dangereux ?

Les contrats d’objectifs, de moyens et de performances (COMP) sont au cœur de la LRU2.0, nouvelle étape de la transformation du supérieur théorisée en 2004 dans le rapport Education & Croissance. Aghion et Cohen y préconisaient de procéder par réforme incrémentale en n’explicitant jamais la manière dont un dispositif s’inscrit dans un continuum de réformes dont l’objectif est pourtant explicite : déclasser toutes les universités publiques sauf une dizaine, requalifiées en “universités de recherche” et restructurées en singeant les universités privées étatsuniennes. M. Macron a présenté les trois « piliers » de la LRU2.0 dans son discours du 7 décembre 2023 : « pilotage », « évaluation » et « statuts » des enseignants et chercheurs.

« transformer nos grands organismes nationaux de recherche en de vraies agences de programmes […] faisons des vraies agences de financement qui arrêtent de gérer directement les personnels »

Le « pilotage » est le pilier du contrôle centralisé de l’Université et de la recherche : il suppose le démantèlement des organismes nationaux de recherche par transfert aux « universités de recherche » des personnels scientifiques pour ne conserver des anciennes institutions transformées en agences que le management bureaucratique et la gestion financière. Comme l’ont montré les Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), promus par le PDG du CNRS pour leur approche top-down, les agences de programmes soumettent la recherche à un contrôle politique centralisé, conférant à l’exécutif et aux lobbies le droit de décider de ce sur quoi portent les recherches, de qui peut les mener et, surtout, d’éliminer les recherches contraires aux convictions des pouvoirs politique, économique et religieux en place. La ministre Montchalin a choisi les médias du groupe Bolloré pour annoncer que « d’ici la fin de l’année […] un tiers des agences et des opérateurs [de l’État] qui ne sont pas des universités [allaient être] fusionnés ou supprimés ». Parmi ces opérateurs, ceux de la mission Recherche et enseignement supérieur sont principalement : ANR, Académie des technologies, ACTA/ACTIA, BRGM, CEA, CIRAD, CEA, CNES, CNRS, IFPEN, IFREMER, INED, INRAE, INRAP, INSERM, IPEV, IRD, LNE et CROUS.

« c’est au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche […] de faire de la stratégie, du pilotage et de l’évaluation »

L’« évaluation » constitue le second pilier du contrôle bureaucratique : elle discipline les équipes et les établissements en conditionnant les budgets à des indicateurs de performance édictés et calculés par l’administration ministérielle ou par des agences. Introduire ces indicateurs sans rapport avec la qualité de la recherche et de l’enseignement a été la raison des caviardages et réécritures par la bureaucratie du Hcéres des évaluations de vague E. C’est le principe des contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP) : « Les budgets des universités seront arbitrés, non plus en reconduisant ceux des années précédentes, comme c’était fait depuis très longtemps, ni en utilisant un modèle mathématique ou une feuille Excel, mais dans une discussion au premier euro. ». Telle est la définition exacte d’une allocation des moyens discrétionnaires, aux mains du Ministre en exercice, qui pourra ensuite déléguer aux recteurs les « discussions » qui ne l’intéressent pas. L’introduction d’indicateurs quantitatifs arbitraires, contraires à l’éthique scientifique et universitaire, répond à un objectif : préparer la mise en concurrence entre établissements publics et privés pour l’obtention des contrats publics. Les formations privées étant dispendieuses et de qualité médiocre, seuls des critères ad hoc peuvent leur permettre d’apparaître comme concurrentielles.

« Les statuts ne sont pas des protections aujourd’hui, ce sont devenus des éléments de complexité »

La liberté académique repose sur les financements pérennes des formations, des recherches et des salaires. À l’inverse, le contrôle politique centralisé suppose de démanteler les statuts des chercheurs et enseignants-chercheurs au profit de contrats individuels échappant aux règles de la fonction publique d’État : contrôle des missions, du temps de travail, des rémunérations et soumission au contrôle politique. Les COMP conditionnant l’intégralité des budgets (100%), salaires compris, leur mise en œuvre suppose la suppression des statuts de fonctionnaires [1].

« Mort aux COMP ! Vaste programme ! »

(Presque) Charles de Gaulle

Les tactiques déployées par le DOGE de M. Musk contre les universités et les agences gouvernementales nous aident paradoxalement à prendre la mesure du danger. Aux États-Unis, la contractualisation facilite les baisses budgétaires et les licenciements des institutions fédérales de recherche et de régulation. Les universités privées et publiques sont contrôlées au travers des outils de contrôle du management par agence : les projets et l’évaluation. La méthode est simple et terrifiante : imposer de nouvelles normes d’évaluation à même de censurer toute recherche ayant des conséquences sur la prévention sanitaire, la régulation environnementale, la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou les dispositifs d’atténuation des inégalités. Les trois leviers programmés de la LRU2.0 sont donc ceux-là même qui sont utilisés par l’alliance entre nationalisme MAGA et technofascisme : politique d’austérité, contrôle politique direct par contractualisation et contrôle politique indirect par les agences de financement et d’évaluation, après édiction de normes exogènes.

En conclusion, il faut le réaffirmer : jamais en 21 ans, la communauté scientifique et universitaire n’a été ainsi unie et n’a affirmé aussi clairement la nécessité d’une réinstitution complète. Nous devons dès maintenant prendre le temps de reposer les fondements de l’Université et des sciences, comme piliers de la démocratie. À quoi sert l’Université ? Pourquoi la société a-t-elle besoin d’institutions de savoir indépendantes des pouvoirs ? Pourquoi l’autonomie et ce qui la garantit, la liberté académique, sont-elles les conditions d’exercice du métier d’universitaire ?

Nous appelons les sociétés savantes, les collectifs, les associations, les syndicats à définir les modalités et le calendrier de cette réinstitution de l’Université et de la recherche par la communauté académique elle-même, avec un moment fondateur courant juin.


[1] COMP100% : les universités libres d’obéir :

https://blog.educpros.fr/julien-gossa/2025/04/22/comp100-les-universites-libres-dobeir/

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L’espoir d’un renouveau pour les sciences, l’Université et la recherche

L’objet de ce billet est un appel à signer la tribune parue dans Le Monde daté du 16 avril et intitulée L’espoir d’un renouveau pour les sciences, l’Université et la recherche, dont vous trouverez le texte ci-dessous.

Le « Projet de loi de simplification de la vie économique », porté par l’alliance entre droites et extrême-droite, s’inspire directement des dérégulations opérées par les administrations Milei et Trump : la tronçonneuse autoritaire au nom de la simplification. C’est à cette aune qu’il faut comprendre l’ardeur du Rassemblement National à contribuer à cette loi en supprimant, dès l’article 1, toujours plus de comités consultatifs et d’organismes de régulation. Par un curieux paradoxe, cette fureur musko-trumpiste a conduit aussi l’extrême-droite à voter la suppression de ce qui serait son meilleur outil pour caporaliser l’université, une fois arrivée au pouvoir : le Hcéres. Cette erreur d’appréciation repose sans doute sur le fait que ce jour-là ses députés n’avait d’attention que pour leur propre opération de déstabilisation du travail parlementaire en collusion avec le magazine suprémaciste Frontières.

Le ministre et ses alliés se sont engouffrés dans cette brèche pour présenter le Hcéres en rempart exclusif de la liberté académique contre un pouvoir d’extrême-droite : cette liberté constitutionnelle, à les écouter, ne serait garantie que par un comité Théodule — pourtant renversable par un simple amendement. Le ministre n’a sans doute pas d’autre but, dans sa communication de crise, que d’essayer de trianguler l’adversaire en reprenant les catégories et les concepts qui articulent l’indignation du monde universitaire : la liberté académique, l’autonomie nécessaire aux universitaires et aux scientifiques, la défense des sciences comme bien commun et comme pilier de la démocratie. Cet emploi des mots pour leur faire dire le contraire de ce qu’ils signifient normalement est une tactique sémantique éculée destinée à faire obstacle à la compréhension. Son usage indique en creux une terrible vérité : le Hcéres n’a rien d’un contre-pouvoir. Il est au contraire la clé de voûte du contrôle politique déployé depuis vingt ans, et c’est lui qui expose l’Université et la recherche aux menées d’une future domination de l’extrême-droite. Difficile en tout cas d’imaginer aveu plus clair de l’état réel de la liberté académique : démunie, assujettie à la bureaucratie, et in fine, dans la main des financeurs quels qu’ils soient.

Le Hcéres, ou ce qu’il en reste, ne saurait être une protection face à l’extrême-droite. Reconstruire des défenses efficaces est donc une urgence : la responsabilité démocratique du monde savant dépend aujourd’hui de sa capacité à se réinventer. Le parlement ayant détruit le miroir aux alouettes d’une institution indépendante et protectrice, cette reconstruction de la liberté académique et des sciences comme bien commun, nécessaire et urgente, devient enfin possible. C’est le sens de l’appel paru dans le journal Le Monde. Le Ministre, M. Baptiste, aurait souhaité nous répondre par une tribune en regard.

Nous sommes plus de 4 400, déjà, à avoir signé cette tribune. Nous vous invitons également à la signer et à la partager avec les collègues de votre entourage.

Donnons-nous rendez-vous dès le retour des vacances de printemps pour définir le calendrier et les modalités du travail de réinstitution devant mener à un changement de cap et une vision renouvelée pour l’Université et la recherche.

« Le Haut Conseil de l’évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur étant devenu irréformable, il fallait le supprimer »

Dans une tribune au Monde, un collectif de plus de 3 000 praticiens de la communauté académique salue la suppression du Haut Conseil de l’évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, et y voit l’espoir d’un renouveau pour les sciences, l’Université et la recherche.

Répondant à un souhait très largement exprimé par les universitaires et les chercheurs, les députés ont validé la suppression du Haut Conseil de l’évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (Hcéres) après des années de paupérisation, de bureaucratisation, dans le cadre du « Projet de loi de simplification de la vie économique ». Les missions de l’université et de la recherche scientifique supposent de démêler deux notions confondues sous le vocable d’« évaluation » : l’évaluation des enseignements et des travaux scientifiques et l’évaluation des politiques publiques.

L’évaluation des travaux scientifiques fait partie du quotidien des chercheuses et des chercheurs. Le régime de vérité scientifique, fondé sur la preuve et sur la critique mutuelle, suppose d’être à l’abri des pressions de tous ordres. Par la nature même de leur activité, universitaires et chercheurs doivent disposer d’une autonomie vis-à-vis des pouvoirs politiques, économiques et religieux. C’est la raison pour laquelle les laboratoires et les formations doivent être évalués par des chercheurs et des universitaires en activité, selon des normes propres à l’Université et la recherche.

L’évaluation des politiques publiques ou des décisions prises par les présidences des établissements est destinée quant à elle à apporter aux parlementaires et aux citoyens une information transparente et objective, afin d’améliorer la qualité globale du service public. Pour des raisons démocratiques, cette évaluation ne doit pas être soumise au pouvoir politique, ni directement — par le ministère — ni indirectement — par le Hcéres ou toute autre instance dont l’indépendance ne serait que de façade. C’est le sens judicieux de l’obligation européenne d’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche par une autorité indépendante.

Or, le Hcéres, dont la direction est souvent proche du pouvoir exécutif, est très directement lié au pouvoir politique. Cette dépendance en a fait l’outil central d’un projet bureaucratique plus global de « gouvernement par agences » qui a entraîné déclin scientifique et technique, aggravé l’échec des politiques de réussite et d’insertion, et favorisé l’essor d’un secteur privé lucratif de qualité médiocre échappant à toute évaluation publique.

La faillite politique et morale du Hcéres est confirmée par la Cour des comptes, qui souligne la lourdeur et l’utilité « marginale » de ses rapports, tout en déplorant l’absence de « réel effort de maîtrise de ses dépenses » — rappelons que le budget annuel du Hcéres était de 24 millions d’euros pour 2024. Le Hcéres a multiplié les procédures opaques, chronophages, et parfois absurdes, utilisant des indicateurs contraires aux normes scientifiques et universitaires. Les tentatives de simplification et de rationalisation de cette institution ont précipité la catastrophe de la « vague E », ruinant sa réputation et sa légitimité auprès des universitaires et du grand public. En plus d’avoir réécrit les avis des évaluateurs, la direction du Hcéres a donné à voir toute l’injustice des critères d’accréditation des formations : taux d’insertion professionnelle trop bas des jeunes dans les territoires défavorisés, taux de poursuite trop élevé des études au sortir d’IUT, impossibilité pour la philosophie d’entrer dans les normes bureaucratiques ubuesques de l’agence d’évaluation, entre autres. Aucun de ces critères ne reflète la qualité de l’enseignement dispensé, mais seulement la conséquence de situations géographiques particulières, de spécificités disciplinaires ou de réformes incohérentes. Le Hcéres étant devenu irréformable, inutile pour les uns et nuisible pour les autres, il fallait le supprimer.

Le ministre lui-même ne croit plus au Hcéres : preuve en est l’annonce, le 8 avril, du projet de soumettre la totalité des subventions des établissements d’enseignement supérieur et de recherche à la signature d’un contrat d’objectifs, de moyens et de performances (COMP) avec l’État. Au contraire de répondre au besoin pressant de financements pérennes du travail académique, ces COMP conditionnent les budgets à l’arbitraire d’objectifs chiffrés, tels que le taux de diplomation en trois ans, l’insertion professionnelle à 12 mois ou, pourquoi pas, le nombre de publications scientifiques. En phase d’austérité, il s’agit d’un projet de soumission illibérale de l’université et de la recherche à des priorités gouvernementales pouvant varier arbitrairement, édictées en tout cas sans débat ni transparence. Pire encore, les COMP retournent contre les formations et les laboratoires les manquements de l’action publique et l’inconséquence des choix politiques gouvernementaux. Cette réforme parachève l’inféodation de l’Université et de la recherche au pouvoir politique. Cette nouvelle atteinte au principe d’autonomie et à la liberté académique est particulièrement inquiétante dans un contexte international marqué par les attaques menées par Elon Musk et Donald Trump contre les sciences et la démocratie.

La suppression du Hcéres n’est pas un saut dans l’inconnu : elle ouvre au contraire la voie à la reconstruction des normes probatoires mises à mal, mais aussi à un débat démocratique sur le rôle de l’université et de la recherche dans l’espace politique. Mieux, elle porte l’espoir de tourner la page de vingt ans de paupérisation et de promotion d’une « excellence » auto-proclamée et anachronique, dont il est vérifiable qu’elle n’a porté aucun fruit. Il faut en finir aussi bien avec l’inertie institutionnelle qu’avec le corset technocratique imposé par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il suffit pour cela de prolonger toutes les accréditations actuelles de deux ans et de profiter de ce délai de latence pour construire, en s’appuyant sur l’expérience de la communauté, un nouveau système collégial de probation académique, ainsi qu’un dispositif transparent de contrôle des politiques scientifiques et universitaires. C’est à ces seules conditions que la France pourra, enfin, instaurer la liberté et la responsabilité de la recherche et de l’Université.

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Fin des keylabs et des programmes européens

Ce billet comprend deux brèves : l’abandon officiel des keylabs et l’annonce gouvernementale à venir, clinquante et vide, en récupération de Stand Up for Science. Il est suivi d’une information exclusive qui nous est parvenue en « tombé du camion » de la part de hauts fonctionnaires du ministère, inquiets du tournant annoncé de la politique européenne de recherche.

« Les ailes ne sont liberté que lorsqu’on les déploie pour voler.
Repliées sur le dos, elles ne sont qu’un fardeau.
»

Marina Tsvetaieva

Abandon officiel des keylabs

Cela reste fragile encore, mais depuis quelques mois, la communauté scientifique et universitaire réapprend à dire nous. La nécessité d’un investissement dans l’Université et la recherche, le démantèlement par paliers des organismes nationaux de recherche, les menées bureaucratiques du Hcéres, la liberté académique et la solidarité internationale en matière scientifique et universitaire ont donné lieu à d’amples engagements transpartisans, après des années de traversée du désert. Pour la première fois depuis des décennies, nous assistons à un largage de lest et à des témoignages d’anxiété du cabinet ministériel devant une communauté académique unie.

Premier signe, le projet de keylabs est abandonné : il n’y aura pas de label déclassant les trois quarts des unités de recherche pour inciter au regroupement des personnels CNRS au sein des universités de recherche. Aucune vision renouvelée n’a évidemment émergé de ce recul, qui tournerait la page de 21 ans de bureaucratisation, de paupérisation et de décrochage. Ainsi, en lieu place du label, il est question désormais de trajectoire discutée avec chaque laboratoire pour produire le même effet. Le programme conçu en 2004 demeure inchangé : mettre fin au statut de fonctionnaire, regrouper les meilleurs chercheurs et universitaires sous contrat dans les universités de recherche, démanteler les organismes nationaux de recherche pour en faire des agences de programmes au service du secteur privé, et déréguler les frais d’inscription.

Second signe, le ministère semble pris de panique devant la possibilité d’une suppression du Hcéres, après le scandale des évaluations caviardées de la vague E. En témoignent la frénésie des changement de procédures, des argumentaires d’autolégitimation et des communiqués des bureaucrates de France Universités qui deviennent difficilement distinguables de leurs parodies du Groupe Javier Milei.

Troisième signe de nervosité, la ministre de la Culture a interdit aux médiateurs scientifiques d’Universcience de contribuer à la seconde journée de Stand Up for Science pendant que le ministre de l’Intérieur faisait fermer Jussieu et envoyait 1500 CRS à la manifestation parisienne, le cortège nourri d’étudiantes et d’étudiants se faisant molester pour quelques fumigènes et une Tesla en carton.

Le printemps, déjà là, reste fragile encore.

« L’air maintenant, parfois, semble porter,
                             tremblante, une charge invisible.
Mais nous, il faut que nous nous contentions
                           du visible ; si grand que soit notre désir,
                                                      d’atteindre, derrière les jours et la vie,
Jusqu’à ce souffle imprégné de retour. »

Rainer Maria Rilke

Une poignée de chaires en guise de solidarité

La communauté scientifique et universitaire a témoigné de sa solidarité avec les collègues aux États-Unis et partout où la liberté académique est menacée ou inexistante.

https://rogueesr.fr/in-solidarity/

Les attaques de MM. Trump, Thiel, Vance et Musk contre les universités et les organismes de recherche et de régulation appellent un arsenal de mesures concrètes que le réseau Stand Up for Science a commencé de recenser dans son manifeste :

https://standupforscience.fr/tribune/

Alors que le programme PAUSE a été amputé de 60% de ses moyens, l’obsession de la bureaucratie universitaire et du ministère semble être de promouvoir le système des chaires contractuelles, dépourvues de protections statutaires, en prétendant « attirer les meilleurs talents » des États-Unis. Or, ces chaires sont notoirement dépourvues de l’attractivité que tente de leur conférer les récupérateurs de Stand Up for Science. Le bilan du programme clinquant « Make Our Planet Great Again » parle de lui même :

https://www.makeourplanetgreatagain.fr/

43 contrats principalement acceptés par des Français ou des Européens, pour 30 millions d’euros. Par comparaison, la baisse budgétaire et les annulations de crédits des mois derniers s’élèvent à 3,1 Milliards d’euros, soit 100 fois plus. Les collègues travaillant aux États-Unis ne rêvent pas d’une chaire sous-payée en France, sans moyen pour travailler, et soumis à une bureaucratie proliférante. Peut-être serait-il sage de leur demander comment nous pouvons concrètement aider à la résistance… En tout état de cause, pour aider l’écosystème scientifique mondial, il faut investir dans la recherche et l’Université et réinstituer le système pour affronter les grandes crises planétaires :

https://rogueesr.fr/investir-recherche-universite/


« La vieille Europe ; elle ne revivra jamais : La jeune Europe offre-t-elle plus de chances ? »

François René de Chateaubriand

 

Un tournant de la politique européenne de recherche

La presse s’est fait l’écho du récent rapport sur la compétitivité de l’Union Européenne rédigé par un groupe d’experts que présidait Mario Draghi : ce rapport pointait du doigt la faiblesse et l’inefficacité des politiques européennes de soutien à l’économie réelle et le sous-investissement dans l’enseignement supérieur, la recherche et ce qu’il nomme « l’innovation ». Ce rapport s’insérait dans une série de trois. Le premier rapport de l’année 2024, coordonné par Enrico Letta, portait sur l’approfondissement du marché unique européen. Le troisième, dit rapport Heitor, portait plus spécifiquement sur l’avenir du Framework Programme for Research and Technological Development au-delà de la période actuelle, 2021-2027. Ce « FP9 » est plus connu sous son nom publicitaire, Horizon Europe. Le « FP8 » s’appelait lui « Horizon 2020 » ou H2020. Comprendre cette architecture des trois rapports permet d’anticiper ce qui va suivre : l’avenir du programme-cadre pour la recherche, Horizon Europe, est entièrement subordonné à la politique d’innovation industrielle de l’Union Européenne dans un contexte de tensions économiques et commerciales qui étaient déjà critiques avant la mise en place des barrières douanières de M. Trump aux États-Unis.

L’actuel plan budgétaire pluriannuel de l’UE arrive à échéance fin 2027. Les rapports de force politiques complexes qu’implique l’élaboration de ces budgets font que la négociation du programme suivant commence, les États membres abattant peu à peu leurs cartes, tandis que la Commission a déjà transmis ses propres plans. Porter l’état actuel des discussions à la connaissance de la communauté permettra d’éclairer certaines annonces récentes, à commencer par la déclaration de M. Macron réclamant un accueil de scientifiques états-uniens sur les fonds de l’ERC et du Programme Marie Curie, c’est-à-dire sur les fonds du FP9 : dans deux ans et demi, ces fonds arriveront à échéance. Or en l’état actuel des négociations, tout suggère qu’il n’y aura pas de FP10 et que ces programmes sont menacés dans leur existence même, ceci avec l’aval du gouvernement français.

La Commission dirigée par Mme von der Leyen demande que le budget de l’UE soit dorénavant divisé en trois grands blocs, contre sept actuellement. Le premier serait un bloc « programmes de cohésion et programmes décentralisés » dont les deux principaux piliers seraient les fonds structurels et de développement régional, et la politique agricole commune. Le deuxième, un « fonds de compétitivité » intégré, fonctionnant comme un guichet unique et censé répondre aux demandes du rapport Draghi en encourageant une économie des soft skills (théorie du capital humain) adossée aux doctrines schumpétériennes de croissance par l’innovation. Le troisième bloc serait la politique extérieure et de défense de l’Union Européenne, avec une nette augmentation des budgets de défense et d’armement. Pour la Commission, le programme-cadre pour la recherche doit faire partie des outils à supprimer et à fondre dans le grand « guichet unique pour la compétitivité », dans un sous-pôle « innovation ». Le programme-cadre pour les formations supérieures, Erasmus+, est absent des discussions mais au moins pour son volet de soutien direct aux formations, son sort semble avoir été scellé : il rejoindrait selon toute vraisemblance un pôle « développement d’une économie des soft skills » du fonds de compétitivité. 

Certains États membres renâclent à sacrifier ainsi l’enseignement supérieur et la recherche à la politique économique. Mais hormis l’Espagne, il s’agit essentiellement de petits États. La France n’a pas encore formellement notifié sa position, en raison de l’instabilité politique de la fin 2024. Toutefois, les arbitrages essentiels ont été rendus. Les directions générales des organismes nationaux de recherche ainsi que lobby de l’Udice ont certes réussi à convaincre le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche de plaider pour le maintien des programmes « d’excellence » de l’ERC via un FP10 autonome, mais la rue Descartes ne pèse pas grand chose face à Bercy, qui s’est positionné pour la mise en place d’un fonds de compétitivité dont les deux priorités seraient la « recherche collaborative » (l’euphémisme consacré pour parler de la mise à disposition du secteur privé des infrastructures de recherche publique) et la « recherche duale » (c’est-à-dire civilo-militaire). Plusieurs inspirateurs de la politique du gouvernement, notamment MM. Tirole et Aghion, soutiennent cette position de principe. De l’aveu d’un représentant du Groupe de Coimbra, l’équivalent européen de l’Udice, le FP10 « n’est sans doute plus sauvable ». 

La discussion se déplace maintenant sur deux questions : celle des cinq à six thématiques retenues pour le sous-programme « recherche et innovation » du fonds de compétitivité, et celle de « la gouvernance du fonds ». La France demandera que les thématiques retenues soient celles mises en avant par M. Macron il y a quelques mois : intelligence artificielle, énergie, valorisation et commercialisation des biotechnologies, quantique, espace. 

Quant à la « gouvernance », c’est-à-dire l’éventuel maintien de sous-programmes-cadres sous le chapeau du « fonds de compétitivité », des documents préparatoires tombés du camion le mois dernier suggèrent que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a renoncé à maintenir un programme-cadre global pour la recherche mais va tenter de satisfaire l’Udice et la direction des organismes de recherche en demandant de sauver quelques bribes de l’ERC et du programme Marie Curie.

Pour cela, le ministère s’est replié sur une position intermédiaire dans l’espoir de rallier quelques soutiens supplémentaires (dont potentiellement M. Aghion) : la Commission ne serait « pas équipée pour gérer un tel fonds » qui devrait donc être divisé en « opérations » ; afin de « ne pas arrêter le pipeline de la recherche », la France demanderait qu’une de ces opérations soit consacrée à « l’excellence en recherche fondamentale » avec comme objectif d’ « attirer les meilleurs talents internationaux ». C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’opération de récupération de Stand Up For Science par la bureaucratie de l’Udice, du CNRS et du ministère : Bercy renâclant encore à appuyer cette demande de préservation d’un fragment de politique scientifique indépendante des intérêts industriels, la bureaucratie de la recherche tente de poser des faits accomplis en profitant de l’aubaine trumpienne.

Ce jeu de bonneteau ne doit pas masquer les éléments objectifs de similitude avec la situation états-unienne, ou au moins argentine : Bercy, c’est-à-dire la France, va bel et bien demander que le gros des fonds de la politique scientifique soit fléchés vers le complexe militaro-industriel et que les politiques de soutien à la recherche se concentrent sur quatre ou cinq thèmes valorisables et commercialisables. Si le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche n’obtient pas quelques concessions, la panique qui gagne l’Udice ou le CNRS nous vaudra probablement une tribune en défense de l’ERC, comme ce fut le cas jadis en défense de l’ANR, du Hcéres ou de la LPR. Nous nous permettrons d’y voir la preuve par le fait de ce que chacun subodore depuis des années : il n’y a que des perdants au « jeu » de la différenciation et de l’excellence, et les « acteurs » qui croient sauver leur statut en « jouant le jeu » se retrouveront demain gros-jean comme devant.

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Il existe un printemps inouï

« Il existe un printemps inouï éparpillé parmi les saisons et jusque sous les aisselles de la mort. »

René Char

Brèves

Séminaire Politique des sciences

La prochaine séance du séminaire Politique des sciences sera consacrée à la manière dont les outils numériques sont utilisés à des fins de contrôle et de surveillance, et aux manières de se protéger pour préserver effectivement les libertés publiques, qu’elles soient professionnelles, individuelles ou collectives.

Séminaire Politique des sciences
Olivier Ricou — Auto-défense numérique
Vendredi 4 avril 2025, 16h-18h, salle R-202,
Département de sciences, 48 Bd Jourdan 75014 Paris 

Entrée libre dans la limite des places disponibles — celles et ceux qui maîtrisent les outils de protection numériques sont particulièrement bienvenus pour le temps de discussion-formation. Pré-inscription demandée aux personnes extérieures à l’ENS-PSL à Po_des_Sciences@proton.me  (afin de fournir la liste des invités à la loge).

Le séminaire sera retransmis en direct sur Zoom :

https://u-paris.zoom.us/j/86927788520?pwd=ILPEh3afXXU6x901Ezxx4cDhr3obDR.1

et sur la chaîne Youtube :

https://www.youtube.com/@politiquedessciences7602

Communiqué de presse sur la suppression du Hcéres

Le 25 mars 2025, les députés ont adopté en commission un amendement supprimant le Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (Hcéres) dans le cadre du projet de loi sur « la simplification de la vie économique ». Une adoption en séance, le 8 avril 2025, marquerait une rupture avec vingt ans de bureaucratisation de l’enseignement supérieur et de la recherche. Retrouvez notre communiqué de presse sur la suppression du Hcéres :

https://rogueesr.fr/pourquoi-la-suppression-du-hceres-est-elle-necessaire/

Stand Up for Science

Le 3 avril, une nouvelle journée de mobilisation nationale Stand Up for Science est organisée. Vous trouverez des informations ainsi que la liste des événements prévus dans les centres universitaires et académiques de France sur le site :

https://standupforscience.fr/la-journee-du-3-avril/

« The very word “war”, therefore, has become misleading. It would probably be accurate to say that by becoming continuous war has ceased to exist. […] A peace that was truly permanent would be the same as a permanent war. This […] is the inner meaning of the Party slogan: War is Peace. »

George Orwell, Nineteen Eighty-Four

Le Groupe Javier Milei se lève pour la science

Nous le devons à notre histoire, à notre souveraineté, à notre compétitivité : nous, du groupe Javier Milei, soutenons en véritables progressistes le programme Stand Up for Science proposé par le Hcéres, l’Udice et la présidence du CNRS, en faveur d’une authentique charité bien ordonnée avec les vrais scientifiques états-uniens. Quelques esprits chagrins du wokisme jugeront qu’il est bien tard pour soutenir des marches ayant eu lieu il y a bientôt un mois. Les avancées du retournement temporel à ordinateur quantique piloté par I.A. n’ont manifestement pas encore irrigué la paire de neurones du cortex paléo-arriéré des partisans de la secte sociologiste. Ne nous crispons pas, la tronçonneuse génétique palliera bientôt ce problème qui affecte la compétitivité cognitive de l’hexagone.

Les disrupteurs schumpétériens que sont Elon Musk et Peter Thiel offrent à la France une vraie belle opportunité : inséré dans un mercato dynamisé, le brain drain des meilleurs P.I. des USA permettra d’essaimer une innovation réticulaire agile et transnationale. Les meilleures pratiques s’en trouveront accélérées, telle une navette SpaceX à propulsion bionique. 

Voir les anciens protecteurs du professeur Raoult se placer à la pointe de ce mouvement ne manquera pas de rassurer celles et ceux qui partagent notre attachement au dépassement des cadres, à l’audace politique, et à une conception révolutionnaire de l’intégrité scientifique. Nul doute que la nouvelle diaspora états-unienne trépigne d’impatience à l’idée de rejoindre les riants campus bétonnés des universités françaises, justement dotées en proportion de leur rayonnement et gouvernées avec un esprit de libéralité et de collégialité légendaire. Grâce à l’accueil des winners de Californie, nous aurons enfin notre Silicon Valley à la française, en attendant d’avoir, à notre tour, notre Musk. 

Le recours à l’ERC aurait sans doute permis de rallier au projet Giorgia Meloni, Geert Wilders et Victor Orban. Mais puisque l’Union européenne tarde à se mobiliser, nos espoirs reposent sur notre DOGE à la française : le Hcéres, qui est véritablement le vaisseau amiral de l’excellence hexagonale dans tous les domaines de la politique scientifique. Nous devons pratiquer une solidarité internationale servant d’abord notre compétitivité ; nous devons mener le combat pour la survie des plus forts dans l’intérêt même des plus faibles. Qui mieux que la nouvelle gouvernance du Hcéres saura mener cette lutte pour le véritable progrès ?

C’est un impératif de justice qui nous anime quand nous demandons ainsi à la France de n’accueillir que les superstars américaines préretraitées : l’exigence de l’heure, c’est de développer une culture darwinienne au bénéfice de chacune et chacun ; c’est de guider la sélection naturelle au profit de ceux qu’elle élimine. La confiance se nourrit de la compétition, la solidarité n’existe que par la guerre de tous contre tous, et la science se renforce en s’épurant. Alors debout, les damnés de la terre ! Debout pour l’authentique liberté, debout pour la vraie science : debout pour la compétitivité et l’excellence. 

¡Viva la libertad, carajo!

Groupe Javier Milei

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Tribune et calendrier de Stand Up for Science

Dans ce billet, nous relayons une tribune ouverte à la signature issue du réseau Stand Up for Science.

Calendrier

Jeudi 27 mars : manifestations à l’appel de l’intersyndicale pour la défense du service public d’enseignement supérieur et de recherche.

Jeudi 3 avril : deuxième journée de Stand Up for Science, tournée vers les campus et vers les citoyennes et les citoyens.

Fin mai : assemblée instituante / agora polycentrique sur les sciences, la recherche, l’enseignement, l’Université.

Juin : troisième journée de Stand Up for Science, avec pour but d’élargir le mouvement et d’initier une solidarité internationale

Il est essentiel d’obtenir des conseils centraux des universités des journées banalisées pour les évènements de Stand Up for Science.

« Le printemps est venu : comment, nul ne l’a su. »

Antonio Machado

Stand Up for Science

L’arrivée au pouvoir aux États-Unis de la coalition emmenée par Trump, Musk et Thiel a rompu l’abattement du milieu universitaire et scientifique français. Le succès de la journée du 7 mars témoigne d’un élan de solidarité avec les collègues aux États-Unis, mais aussi d’une prise de conscience sur la fragilité de notre système après 21 ans de paupérisation, de bureaucratisation et de précarisation qui ont conduit au décrochage.

Les outils de contrôle utilisés par les techno-fascistes du DOGE pour assujettir universités et agences de régulation sont exactement ceux mis en place ici : contractualisation, financement par projet, contrôle bureaucratique de type Hcérès, plateformes numériques, etc. La mobilisation du 7 mars, massive en France, témoigne de la solidité de la tradition de contestation civile dans notre pays. Si nous nous sommes mis debout, c’est que nous savons encore le faire. Mais l mouvement Stand Up for Science a deux dimensions nouvelles : il est horizontal, polycentrique, confédéral, chaque ville ayant une coordination autonome ; d’autre part, il s’agit d’un mouvement pluriel animé par un attachement fort à l’idéal démocratique et aux sciences comme bien commun — toutes les sciences, en incluant les disciplines du sens.

Nous appelons à signer massivement la tribune du réseau Stand Up for Science parue dans le journal Libération, qui sert de manifeste :

https://standupforscience.fr/tribune

Vous en trouverez également le texte en fin de billet. Une signature solidaire importante de la communauté académique permettra d’obtenir une couverture médiatique puis de faire signer le texte beaucoup plus largement au sein de la société — à commencer par les étudiantes et les étudiants. L’objectif de la tribune est d’abord de proposer des moyens d’aider à la résistance aux USA : nous ne pouvons abandonner une génération d’étudiantes et d’étudiants sans socle intellectuel et devons trouver tous les moyens d’aider les universités à tenir tête et maintenir l’accès aux formations universitaires ; nous ne pouvons laisser détruire des programmes de recherche fondamentaux à l’échelle planétaire. Par ailleurs, il est devenu évident pour l’ensemble de la communauté académique que notre système, abîmé par 25 ans de bureaucratie managériale, doit être intégralement réinstitué à partir de nos pratiques, des crises que la société doit affronter et des mutations géopolitiques.

« La pensée originale pose/crée des figures autres, fait être comme figure ce qui jusqu’alors ne pouvait pas l’être – et cela ne peut pas aller sans un déchirement du fond existant, de l’horizon donné, et sa recréation. »

Cornelius Castoriadis, Les Carrefours du Labyrinthe I

Tribune du réseau Stand Up for Science — Quelles résistances déployer face aux crises planétaires et à l’attaque des sciences comme savoirs communs ?

Depuis son retour au pouvoir, Donald Trump mène une offensive éclair d’une ampleur inédite contre les institutions démocratiques et les sciences. En combinant censure idéologique, prise de contrôle et destruction des données et des systèmes informatiques, suppression de financements, purges, intimidation voire terreur, l’Université et la recherche scientifique sont violemment attaquées. L’usage de termes comme « changement climatique », « historiquement », « minorités », « racisme » ou « femme » suffit à provoquer l’arrêt d’un programme de recherche, tandis que les agences fédérales subissent des coupes budgétaires violentes et délétères, entraînant des milliers de licenciements. En parallèle, la répression s’intensifie avec des menaces directes contre un grand nombre de scientifiques, d’universitaires, d’étudiantes et d’étudiants mais aussi contre des journalistes, des juges, des avocats, parce que les faits qu’ils mettent en évidence gênent les intérêts économiques ou contreviennent aux croyances du pouvoir et de ses soutiens, ou simplement parce qu’étrangers. Ces événements, dont on observe les analogues dans de nombreux pays autoritaires, nous rappellent l’extrême fragilité de la liberté académique lorsqu’elle n’est pas garantie par des statuts, la pérennité des financements et des protections effectives contre les ingérences des pouvoirs politique, économique et religieux.

La journée Stand Up for Science du 7 mars a donné lieu à une mobilisation citoyenne et scientifique inédite pour témoigner de la solidarité avec les universitaires aux États-Unis, en Argentine et ailleurs. Il s’agit désormais d’aider concrètement les résistances, de mettre en œuvre les moyens effectifs de ces solidarités, mais aussi de constituer et de rendre viable un écosystème scientifique et universitaire mondial. La France, qui pourrait apparaître comme un refuge, est en réalité frappée par des coupes budgétaires qui s’accumulent depuis plus de 20 ans, menaçant la viabilité de son propre système. Une fois l’inflation prise en compte, le dernier budget pour l’enseignement supérieur et la recherche a baissé de 1,5 milliard d’euros, tandis que 1,6 milliard d’euros de crédits ont été annulés pour 2024 et 2025. La précarisation s’est installée comme une norme : non seulement les jeunes scientifiques peinent à trouver des perspectives de carrière mais les statuts des scientifiques et universitaires titulaires sont eux aussi menacés. Avec son budget public fortement raboté cette année, le programme Pause ne pourra financer l’accueil que de 70 scientifiques et artistes exilés contre 170 en 2024. Enfin, si la France ne connaît pas aujourd’hui une offensive obscurantiste de l’ampleur de celle menée aux États-Unis, nul ne peut ignorer que l’Université et la recherche y font l’objet d’attaques : accusation du monde universitaire d’avoir “cassé la République en deux”, atteintes contre la liberté académique, violation du principe millénaire de franchise universitaire, droits de scolarité dissuasifs pour les étudiants étrangers hors UE, appels à démanteler le CNRS, l’office français de la biodiversité (OFB) ou l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et dégradation matérielle d’instituts de recherche comme INRAE. En clair, ni la France ni l’Europe ne sont actuellement les havres d’épanouissement scientifique et universitaire dont la société a pourtant besoin pour affronter les crises démocratique, économique, sanitaire, climatique et environnementale.

Être à la hauteur de ce moment de bascule planétaire ne peut consister à usurper le nom de « Stand Up For Science » pour accueillir une poignée de « stars » sur des contrats aux noms prestigieux — « chaires d’excellence » — reproduisant ainsi la gestion de la pénurie par la mise en compétition des scientifiques. Comme si, face à la crise climatique, on choisissait d’envoyer quelques élus sur Mars plutôt que de préserver les conditions de vie sur Terre. Accueillir des scientifiques menacés en exil est une nécessité, mais il faut commencer par appuyer tous les mouvements de résistance sur place. C’est la protection effective de l’écosystème scientifique mondial qu’il faut mettre en œuvre. Cela nécessite de réaffirmer certaines de ses valeurs fondamentales, à commencer par un attachement philosophique et politique à la vérité. Cela suppose également un ensemble de transformations visant à protéger la recherche et l’Université d’assauts directs et immédiats, comme ceux en cours, mais aussi d’attaques dans la durée, fragilisant ses institutions et ses statuts : garantir la préservation et l’accès aux données en mettant en place des infrastructures de stockage de données décentralisées; pérenniser le financement de programmes de recherches et de formations universitaires pour réduire la dépendance au pouvoir politique que confèrent les financements compétitifs ; accorder aux étudiants un statut reconnaissant leur contribution essentielle dans la production collective des savoirs et favoriser l’insertion des docteurs dans le secteur public comme privé; renouer avec un système d’édition scientifique public sous le contrôle de la communauté scientifique, mettant fin au marché captif des revues payantes générant des milliards d’euros de profits pour les éditeurs privés. Concevoir une Université et des institutions de recherche à la hauteur des défis du XXIème siècle nécessite de repenser leur ancrage sur le territoire conformément à un monde décarboné, permettant aux citoyennes et aux citoyens de pouvoir se former à l’Université tout au long de la vie, quel que soit leur milieu d’origine et leur lieu de naissance. Cela suppose d’investir dans la création de dizaines de milliers de postes stables garantissant l’autonomie vis-à-vis des pouvoirs. Ces emplois d’universitaires, de scientifiques, de personnels de soutien à l’enseignement et la recherche permettront à la fois d’accueillir celles et ceux en situation difficile en exil ou ailleurs, mais aussi d’assurer la production, la transmission et la préservation des savoirs pour les rendre disponibles au plus grand nombre. Financer cet investissement pourrait impliquer de réallouer des moyens considérables des dispositifs d’aide directe ou indirecte au secteur privé (crédit d’impôt recherche, alternance etc.), qui mobilisent des sommes considérables, sans bénéfice collectif à la hauteur du financement.

C’est aujourd’hui que nous devons concevoir les institutions qui feront des savoirs un bien commun, contribuant à rouvrir des horizons florissants.

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Je veux me battre partout où il y a de la vie

« The ideal subject of totalitarian rule is not the convinced Nazi or the convinced Communist, but people for whom the distinction between fact and fiction (i.e., the reality of experience) and the distinction between true and false (i.e., the standards of thought) no longer exist. »

Hannah Arendt, Totalitarianism

« Le sujet idéal de la domination totalitaire n’est ni le nazi convaincu ni le communiste convaincu, mais celui pour qui les distinctions entre fait et fiction (c’est-à-dire la réalité de l’expérience) et entre vrai et faux (c’est-à-dire les normes de la pensée) n’existent plus. »

Ce billet signale deux échéances importantes dans la semaine qui vient, dresse un bilan des mobilisations Stand Up for Science du 7 mars et esquisse la perspective d’un mouvement instituant qui prolongerait ce succès par des rencontres Debout pour les sciences.

Calendrier

Après le moment fort des rassemblements Stand Up for Science du 7 mars, deux échéances arrivent rapidement et constitueront un point d’appui pour la suite : le 11 mars, une journée de mobilisation aura lieu pour réclamer un budget à la hauteur des enjeux de l’enseignement supérieur et de la recherche, au lieu d’une énième saignée.

Le samedi 15 mars à 14h, un appel invite à nous retrouver à l’université Paris 8 pour travailler aux réponses qu’il convient d’apporter à la double attaque que représentent les velléités de KeyLabs au CNRS et les désaccréditations massives engagées par le Hcéres dans les universités d’Île-de-France, du nord de la France et des Outremers.

« La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement. »

Rosa Luxemburg

Stand Up for Science

La droite extrême qui est désormais au pouvoir aux États-Unis ne cache plus son jeu. Il n’aura fallu que quelques semaines pour saisir que la coalition nationaliste et libertarienne irait cette fois jusqu’au bout de son programme et entendait l’imposer vite et brutalement, en provoquant terreur et sidération. Dans cette perspective, les universités et les scientifiques ont été identifiés comme des ennemis et sont devenus une cible prioritaire :

Ceux qui tiennent à ne plus se référer qu’à des opinions, du ressenti ou des faits alternatifs, au gré de leur convenance, ne peuvent que nourrir une hostilité irréductible envers la poursuite méthodique de la vérité comme horizon commun. Stand Up for Science est né justement de la conviction que défendre les sciences — les sciences humaines et sociales et les sciences exactes comme les sciences de la nature — constituait aujourd’hui une exigence cruciale.

Voilà pourquoi vendredi 7 mars, nous avons été entre 13 000 et 16 000 à le dire haut et fort dans toute la France. Nous avons été 2 000 à manifester à Toulouse, 5 100 au Quartier latin, 800 à Montpellier, plusieurs autres milliers encore dans les rassemblements organisés spontanément par les universitaires et les chercheurs dans une quarantaine de villes, et jusqu’au fond de la Grotte Chauvet. Chacun de ces événements a fait vivre un discours simple et clair : la défense des sciences et de l’Université est un des piliers de la défense de la démocratie, de la liberté et d’un avenir vivable pour notre planète.

Cette mobilisation a ceci de remarquable qu’elle repose sur l’engagement de collègues dont c’était parfois la première mobilisation, et qui ont su travailler avec une diversité d’organisations et de collectifs : doctorants, précaires, syndicalistes, membres d’associations comme Alia ou Labos 1point5, collectifs comme le nôtre… Une satisfaction particulière est d’avoir vu les membres des sociétés savantes et les académiciens rompre avec un tropisme historique qui en faisait trop souvent des intercesseurs solitaires, redevenir des collègues et réapprendre à dire « nous » avec les autres universitaires et chercheurs — et c’est tout à leur honneur. Cette convergence est la réponse à un sentiment légitime, celui d’une solidarité forte avec nos collègues étasuniens, mais aussi d’une urgence démocratique dans notre propre pays : dans les rassemblements, il était souvent question de la situation française.

Aujourd’hui, nous porter à la hauteur de cet enjeu démocratique suppose d’aller plus loin dans ce que nous avons commencé le 7 mars : dépasser l’effet de sidération face à la stratégie du chaos. Nous ne pouvons plus nous laisser imposer le tempo des ennemis du savoir. Nous devons restaurer la possibilité de faire valoir notre propre temporalité.

Quelques interventions de la journée du 7 mars :

Johanna Siméant, Face à l’autoritarisme : défendre les sciences et le monde qui permet d’en faire.

Michaël Zemmour, Brève note après la journée Stand Up for Science (07/03/2025).

« Je veux me battre partout où il y a de la vie. »

Clara Zetkin

Rester debout, changer de tempo

La solidarité avec les scientifiques d’outre-atlantique se construit aussi par et dans la solidarité avec les universités françaises et les organismes de recherche malmenés par les coupes budgétaires, par les restructurations (KeyLabs), par les atteintes de plus en plus nombreuses à la liberté académique et, enfin par les tendances muskiennes du Haut conseil à l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), le nouveau comité de la hache. Nous devons d’urgence questionner l’usage que feraient un Musk, un Thiel ou un Milei de l’ensemble des institutions et des procédures en vigueur, du Hcéres à l’ANR, de Parcoursup à l’ERC. Pour gêner les menées d’une possible majorité extrême-droite/conservateurs en juillet, il nous faut commencer par obtenir la suppression du Hcéres :

https://rogueesr.fr/supprimons-le-hceres/

Le désastre étatsunien agit comme un révélateur de la visée des dirigeants néolibéraux (fascisés ou non) : contrôler la production de savoirs et leur transmission, et pour cela précariser matériellement et subjectivement celles et ceux qui sont l’Université. Ils conçoivent l’écosystème d’Université et de recherche comme une force antagoniste, qui s’oppose à leur relation élastique à la vérité. Comment comprendre sinon les déchaînements de discours haineux contre les sciences humaines et sociales ? Comment comprendre qu’un président de groupe parlementaire de la majorité demande la dissolution de l’Office français pour la biodiversité et que des forces gouvernementales livrent les spécialistes des sciences du vivant à la vindicte ?

C’est à cette aune qu’il faut comprendre les coups de tronçonneuse du Hcéres, une autorité publique supposée être indépendante. Si cet organe de la bureaucratie normative est devenu aussi outrancièrement hors-sol, ce n’est pas par un accident de construction : c’est par nécessité politique. Sa fonction est de faire peser une contrainte extérieure sur les disciplines, sur les savoirs et sur les personnes. Jusqu’à présent, cette fonction d’hétéronomie n’était sans doute pas évidente dans l’esprit de celles et ceux qui se prêtent au fonctionnement de la machine, mais elle l’est assurément dans les têtes de celles et ceux qui les dirigent.

Voilà pourquoi ils se permettent de changer les avis des comités de pairs, théoriquement en charge de l’évaluation, afin de mieux coller à une politique établie a priori. Voilà pourquoi ils imposent aux membres de leurs comités le secret sur le déroulé de leurs procédures, sous peine de poursuite pénale. Voilà pourquoi ils nous imposent des calendriers qu’ils sont les premiers à ne pas respecter. Voilà pourquoi ils nous épuisent à travailler dans l’urgence pour rédiger des rapports dans lesquels ils n’iront chercher que quelques mantras : la professionnalisation, l’approche par compétences — dont on sait les dégâts qu’elle peut produire dans l’enseignement primaire et secondaire —, la mobilité internationale, les indicateurs sacrés et chronophages, etc.

Le soutien revendiqué des directions du Hcéres et du CNRS à Stand Up for Science, dans le temps même où elles organisent le démantèlement de l’écosystème universitaire et scientifique, sont des injures à la vérité et à l’intégrité intellectuelle. Être debout pour la science, c’est être debout contre ces managers tristes et gris qui serviront les Trump français sans le moindre état d’âme. Comme France Université et l’Udice, ils se sont sentis obligés de jouer une fois de plus aux résistants de la 25ème heure, témoignant avant tout qu’ils n’admettent pas que nous soyons la science et l’Université. Le moratoire sur les KeyLabs comme le dialogue sur les avis Hcéres sont des pièges destinés à monnayer quelques concessions, et peut-être quelques postes pour les intercesseurs qui s’y prêteront. Il serait surprenant que France Université, l’Udice et le Hcéres ne tentent pas de lancer de nouvelles Assises pour couper l’herbe sous les pieds des initiatives venues de la base et pour rétablir la légitimité de pilotage que la bureaucratie a dilapidée ces derniers mois. Nous ne serons pas « assis » avec eux : nous resterons debout.

Nous ne devons plus répondre à leurs injonctions et à leurs exigences, encore moins à leur tempo qui n’est pas le nôtre. La crainte de notre réaction collective est parfaitement perceptible dans leurs dernières prises de positions publiques. Si nous sommes unis, si nous écartons les réponses sectorielles et parcellaires, si nous revendiquons et tenons un discours commun, une réponse politique qui ouvre des horizons plus créatifs et joyeux que les leurs, alors nous pourrons réinstituer une liberté académique effective. Une première rencontre de coordination est proposée en ce sens à l’Université Paris 8 le samedi 15 mars entre 14h et 18h.

La tribune « Dire non à la disparition de la philosophie » est désormais disponible en ligne :

https://rogueesr.fr/dire-non-a-la-disparition-de-la-philosophie/

Références sur l’approche par compétences :

E. Bautier, Savoirs et compétences, mise en œuvre curriculaire et inégalités d’apprentissage.

S. Bonnéry, Comment l’approche par compétence a-t-elle changé les pratiques à l’école française ?

Rencontres Debout pour les sciences

Au-delà de cette urgence, il est temps pour nous de poser les modalités possibles d’une Assemblée Instituante de l’Université et de la Recherche. Pour engager cette dynamique instituante, nous proposons d’organiser des Rencontres Debout pour les sciences sur le même principe que la journée Stand Up for Science à partir de quatre principes :

  • les Rencontres Debout pour les sciences ne doivent pas être confisquées par la bureaucratie de l’ESR, comme ce fut le cas pour les « Assises » de 2012 ;
  • les Rencontres Debout pour les sciences doivent dépasser les clivages partisans ;
  • les Rencontres Debout pour les sciences doivent conduire à un processus instituant très majoritairement partagé au sein de la communauté académique ;
  • les Rencontres Debout pour les sciences doivent s’appuyer sur la pratique de l’enseignement et de la recherche, donc sur les laboratoires, les UFR et plus généralement les collectifs de travail qui ont échappé au processus de séparation entre bureaucrates et exécutants.

Comment articuler ces principes concrètement ? Nous soumettons au débat de la communauté d’enseignement et de recherche les propositions de modalités suivantes :

  • constituer par tirage au sort une assemblée recevant mandat pour formuler un projet instituant ;
  • les mandatés reçoivent le soutien de leur institution de tutelle sous forme d’une décharge leur permettant d’effectuer le travail ;
  • les travaux de l’Assemblée instituante sont nourris de séminaires accessibles par vidéoconférence à l’ensemble de la communauté ;
  • le rapport est soumis à l’approbation par le vote de l’ensemble de la communauté académique.

« Notre “État” actuel est la dictature du mal. On me répond peut-être : “Nous le savons depuis longtemps, que sert-il d’en reparler ?” Mais alors, pourquoi ne vous soulevez-vous pas, et comment tolérez-vous que ces dictateurs, peu à peu, suppriment tous vos droits, jusqu’au jour où il ne restera rien qu’une organisation étatique mécanisée dirigée par des criminels et des salopards ? Êtes-vous à ce point abrutis pour oublier que ce n’est pas seulement votre droit, mais aussi votre devoir social, de renverser ce système politique ? Qui n’a plus la force de faire respecter son droit, doit, en toute nécessité, succomber. Nous mériterons de nous voir dispersés sur la terre, comme la poussière l’est par le vent, si nous ne rassemblons pas nos forces et ne retrouvons, en cette douzième heure, le courage qui nous a manqué jusqu’ici. Ne cachez pas votre lâcheté sous le couvert de l’intelligence. Votre faute s’aggrave chaque jour, si vous tergiversez et cherchez des prétextes pour éviter la lutte. »

Extrait du troisième des six tracts de la Weiße Rose (1942)

Sophie Scholl fut exécutée le 22 février 1943 après avoir été remise à la Gestapo par des personnels de l’université de Munich, où elle venait de lancer des tracts.

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Au point de bascule

Un billet en quatre temps. Pourquoi faut-il participer à « Debout pour les sciences » le 7 mars ? Suivent une brève sur les attaques de l’enseignement (Hcéres) et de la recherche (KeyLabs) et une autre sur le budget d’austérité. Le billet se termine par une synthèse sur la coalition au pouvoir aux États-Unis et sur les raisons de son attaque contre les sciences et la démocratie.

Pourquoi faire mouvement ce 7 mars ?

En écho à la journée Stand-up for science initiée aux États-Unis, des manifestations sont organisées le 7 mars dans chaque grande ville universitaire de France. Retrouvez toutes les informations et inscrivez-vous pour participer à l’organisation sur le site de Stand Up for Science France.

L’Association pour la Liberté Académique (ALIA) appelle à élargir les raisons de manifester.

RogueESR appelle à son tour au mouvement du 7 mars pour servir de porte-voix aux collègues travaillant aux États-Unis, en Argentine et ailleurs, mais aussi pour fédérer les mobilisations qui concernent les KeyLabs, les attaques contre nos formations par la bureaucratie du Hcéres, les budgets d’austérité, premiers volets de la mise en application de la LRU 2.0. Rappelons les buts visés : suppression du statut de fonctionnaire, démantèlement des organismes de recherche, augmentation des frais d’inscription.

Il y a sans doute une raison qui prime : nous devons tout faire pour aller contre le cours de choses. Les élections en Allemagne nous le confirment : ce temps de crise est favorable électoralement aux extrêmes droites, dans le cadre d’alliances socio-politiques pour lesquelles la coalition arrivée au pouvoir aux États-Unis constitue un modèle. Ce modèle n’est pas seulement une inspiration de stratégie électorale : c’est une épure programmatique, par la vitesse et l’efficacité de sa destruction de la démocratie, des institutions universitaires et scientifiques, des droits civiques et des instances de régulation. Pour échapper à ce désastre, notre société a besoin d’un sursaut démocratique porté par un mouvement issu de la société civile ; une partie du monde étudiant tente d’emprunter cette voie, et il nous faut l’appuyer. Pour nous donner une chance d’« étonner la catastrophe », il nous faut cesser nos activités ordinaires ce 7 mars et faire mouvement. Nous avons une opportunité unique de faire de ce jour un moment pluraliste en faveur de la démocratie, des sciences, de la liberté académique et d’un modèle d’Université qui renoue avec le projet humaniste humboldtien. Nous avons besoin de retisser des solidarités avant qu’il soit trop tard, de nous retrouver, de juguler l’atomisation du monde académique. Nous n’avons pas mieux à faire le 7 mars : à quoi bon nous épuiser à nos tâches quotidiennes si le monde s’effondre dans l’indifférence ?

Nous appelons à utiliser chaque début de cours et de travaux dirigés pour inviter les étudiantes et les étudiants à participer au mouvement. Nous invitons toutes les bonnes volontés à concevoir, imprimer et distribuer des tracts chaque midi, sur tous les campus, à apposer des affiches partout où c’est possible :

https://standupforscience.fr/

Ce billet constitue une mise-à-jour des analyses sur l’ensemble des sujets que nous traitons.

« I need the kind of generals that Hitler had. »

Donald Trump

« J’ai besoin du type de généraux qu’avait Hitler. »

Hcéres et KeyLabs

Le déclassement arbitraire d’un grand nombre de formations par la bureaucratie du Hcérès et le démantèlement de 75% des laboratoires par le président du CNRS participent de la même visée politique, théorisée il y a plus de 20 ans. Il est symptomatique que l’attaque du Hcéres contre les sciences humaines et sociales n’épargne plus la philosophie, qui avait pu sembler relativement protégée par sa place particulière dans l’imaginaire collectif et dans nos institutions scolaires. Même le démantèlement du baccalauréat par M. Blanquer au profit d’un « portefeuille de compétences » s’était gardé d’attaquer frontalement la sacro-sainte épreuve de philosophie. Vous pourrez retrouver ici une tribune à ce sujet dans les colonnes du journal Le Monde.

La bureaucratie du CNRS, quant à elle, après avoir été contrainte à un recul tactique, a tenu à réaffirmer son intention de mener à bien la réforme des KeyLabs — quel que soit le nom sous lequel elle fera retour cet été. M. Petit a envoyé une lettre dont les fautes de français agrémentent la vacuité.

Une seule phrase importe : « Comment le CNRS doit-il identifier les unités les plus stratégiques qui ont vocation à être les plus à même de répondre aux exigences internationales et à être des fers de lance du rayonnement du CNRS et de la recherche française ? »

Plus explicite encore fut la journée des directeurs d’unité de biologie, marquée par des huées et des sifflets, tant le ton injurieux même et l’indigence pathétique des discours managériaux furent reçus comme une marque de mépris. En substance : « Puisque vous ne voulez parler que de KeyLabs, allons-y, vous n’y avez rien compris. » En quelques heures, c’est la frange du monde académique a priori la plus réceptive à la réforme qui a été saisie par la vulgarité trumpienne d’un « franc-parler » aussi odieux que dépourvu de vision. Sur le fond, aucune nouveauté sinon cette confirmation : si la présidence du CNRS tient à créer un label de différenciation, ce n’est pas tant pour une question de moyens que pour concentrer chercheuses et chercheurs au sein d’un petit nombre d’unités, en grande majorité localisées dans la dizaine d’« universités de recherche intensive » privatisables.

« The thing that I kept thinking about liberalism in 2019 and 2020 is that these guys have all read Carl Schmitt — there’s no law, there’s just power. And the goal here is to get back in power. »

J.D. Vance

« Ce que je n’ai cessé de penser à propos du libéralisme en 2019 et 2020, c’est que ces types ont tous lu Carl Schmitt — il n’y a pas de loi, il n’y a que le pouvoir. Et l’objectif ici est de revenir au pouvoir. »

Budget d’austérité

Il ne fait plus de doute pour quiconque que l’Université et la recherche publique subissent des coupes budgétaires abyssales. Les financements existent, pourtant : ils ont été détournés vers deux programmes dispendieux et inefficaces, le Crédit d’Impôt Recherche et la formation par alternance, que l’exécutif se refuse à remplacer par des mesures moins coûteuses qui pourraient avoir, elles, un effet réel de transformation de l’économie.

Le montant exact du plan d’austérité, destiné à amorcer la dérégulation des frais d’inscription, est difficile à établir pour une raison simple : les lois de finance sont systématiquement devenues insincères. Le principe de sincérité a été défini par le Conseil constitutionnel comme « absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre déterminé par la loi de finances ». De fait, la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) reposait dès son adoption sur un déficit de financement, et les annulations de crédits qui reprennent des budgets dûment votés par la représentation nationale sont devenues systématiques. Dès lors, comment rendre compte des évolutions budgétaires ? Faut-il accepter ce recours systématique aux annulations de crédit et les soustraire au budget, au risque de normaliser l’insincérité budgétaire ? La solution la plus simple consiste à énumérer les baisses budgétaires et les annulations de crédits.

La loi de finance a aggravé de 376 millions les coupes budgétaires par rapport au projet de loi de finances initial. Au final, la représentation nationale a voté 1,5 milliard d’euros de baisse de budget, une fois corrigés de l’inflation (-929 millions d’euros sans prise en compte de l’inflation).

Les annulations de crédits ont été de 904 millions d’euros par décret du 21 février 2024 puis de 215 millions d’euros lors du projet de loi de finances de fin de gestion 2024, soit 1,1 milliard d’euros d’annulation de crédits pour 2024.

Il faut encore soustraire 0,5 milliards d’euros d’annulation de crédits de paiement de la mission « Investir pour la France de 2030 ». Votées en 2024, ces annulations concernent principalement en 2025 les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), les programmes prioritaires de recherche et les équipements structurants de recherche.

« A lot of people think of government and corporations as different, but the government is simply the worst form of a corporation in the limit, in that it that cannot go bankrupt without bankrupting the people and has a monopoly on violence. »

Elon Musk

« Beaucoup de gens considèrent que le gouvernement et les entreprises sont de nature distincte, mais le gouvernement est tout simplement la pire forme d’entreprise qui soit, en ce sens qu’il ne peut pas faire faillite sans mettre le peuple en faillite et qu’il a le monopole de la violence. »

La triple alliance étatsunienne

Vous trouverez ici une liste d’articles de presse sur la situation aux États-Unis mise à jour.

La coalition qui a pris le pouvoir aux États-Unis articule trois courants politiques qui trouvent leur compte dans les menées du DOGE de M. Musk :

  • les milieux d’affaires du capitalisme de rente et de prédation (numérique, FinTech, énergies fossiles, cryptoactifs) qui entendent maximiser leur taux de profit ; cela suppose de vassaliser l’économie concurrentielle pour en extraire de la valeur et de supprimer toute régulation. Ils militent pour un management public fait de rightsizing et de cost-killing. Au fond, la meute techno-fasciste du DOGE, qui prend d’assaut les machines du gouvernement fédéral, menace et licencie à tour de bras, n’est qu’une forme radicalisée des managers que nous subissons depuis des années : une bureaucratie sous stéroïdes.
  • les think tanks paléo-conservateurs hostiles au programmes sociaux (New Deal) qui souhaitent annihiler les droits civiques et entraver l’État pour le rendre incapable de justice sociale. Les MAGA militent contre l’impôt et dénoncent l’emprise des parasites d’en-bas sur l’État, attaquent les droits des femmes et s’en prennent aux migrants, aux minorités sexuelles et à leurs défenseurs, y compris universitaires. C’est à cette composante que l’on doit la stratégie de la « merde dans le ventilo » (flood the zone) consistant à sidérer par le déploiement permanent de la souveraineté grotesque (voir la citation de M. Foucault ci-dessous) et du free speech.
  • les « accélérationnistes de la décadence », les fondamentalistes du Dark Enlightenment (NRx) et la composante « anarco-capitaliste » du libertarianisme, qui souhaitent mettre à bas l’État fédéral au profit d’un patchwork décentralisé d’entités privées. Ces micro-pays souverains et indépendants au sein desquels les acteurs privés produisent des lois et des juridictions conformes à leurs besoins personnels s’apparentent à des technomonarchies. Ils constitueraient les nœuds (nexus) articulant les flux de capitaux, de marchandise et d’informations.

Ces trois composantes trouvent leur compte dans le blitzkrieg corporate contre :

  • les institutions démocratiques et la société civile américaine,
  • les organismes de régulation climatique, environnementale, sanitaire et agro-industrielle,
  • les droits civiques,
  • les institutions scientifiques accusées de produire le fondement scientifique des régulations, de soutenir les droits des minorités sexuelles et ethniques, de documenter les inégalités et les injustices économiques et sociales.

Elles gèrent harmonieusement leurs différences en matière géopolitique puisqu’il s’agit :

  • de vassaliser des pays étrangers à des fins de prédation de matières premières et de captation de valeur par inféodation (IA, Gafam, etc.) pour constituer un Großraum eurasien,
  • de soutenir les alliances entre extrême-droite et conservateurs partout en occident pour éradiquer le progressisme et les aspirations démocratiques,
  • d’étendre l’archipel d’enclaves dérégulées et soumises à des lois privées.

On le constate, l’alliance fasciste au pouvoir aux États-Unis n’a pas les mêmes caractéristiques que l’extrême-droite de la famille Le Pen, de B. Retailleau ou de G. Darmanin et nécessite un travail d’analyse spécifique pour la combattre. Une certitude, déjà : nous vivons un moment de bascule générale et nous avons très peu de temps pour tenter de juguler le désastre.

« […] quand je dis « grotesque », je voudrais l’employer en un sens sinon absolument strict, du moins un petit peu serré ou sérieux. J’appellerai « grotesque » le fait, pour un discours ou pour un individu, de détenir par statut des effets de pouvoir dont leur qualité intrinsèque devrait les priver. Le grotesque, ou, si vous voulez, l’« ubuesque », ce n’est pas simplement une catégorie d’injures, ce n’est pas une épithète injurieuse, et je ne voudrais pas l’employer dans ce sens. Je crois qu’il existe une catégorie précise ; on devrait, en tout cas, définir une catégorie précise de l’analyse historico-politique, qui serait la catégorie du grotesque ou de l’ubuesque. La terreur ubuesque, la souveraineté grotesque ou, en d’autres termes plus austères, la maximalisation des effets de pouvoir à partir de la disqualification de celui qui les produit : ceci, je crois, n’est pas un accident dans l’histoire du pouvoir, ce n’est pas un raté de la mécanique. Il me semble que c’est l’un des rouages qui font partie inhérente des mécanismes du pouvoir. Le pouvoir politique, du moins dans certaines sociétés et, en tout cas, dans la nôtre, peut se donner, s’est donné effectivement la possibilité de faire transmettre ses effets, bien plus, de trouver l’origine de ses effets, dans un coin qui est manifestement, explicitement, volontairement disqualifié par l’odieux, l’infâme ou le ridicule. Après tout, cette mécanique grotesque du pouvoir, ou ce rouage du grotesque dans la mécanique du pouvoir, est fort ancien dans les structures, dans le fonctionnement politique de nos sociétés. Vous en avez des exemples éclatants dans l’histoire romaine, essentiellement dans l’histoire de l’Empire romain, où ce fut précisément une manière, sinon exactement de gouverner, du moins de dominer, que cette disqualification quasi théâtrale du point d’origine, du point d’accrochage de tous les effets de pouvoir dans la personne de l’empereur ; cette disqualification qui fait que celui qui est le détenteur de la majestas, de ce plus de pouvoir par rapport à tout pouvoir quel qu’il soit, est en même temps, dans sa personne, dans son personnage, dans sa réalité physique, dans son costume, dans son geste, dans son corps, dans sa sexualité, dans sa manière d’être, un personnage infâme, grotesque, ridicule. De Néron à Héliogabale, le fonctionnement, le rouage du pouvoir grotesque, de la souveraineté infâme, a été perpétuellement mis en œuvre dans le fonctionnement de l’Empire romain.

Le grotesque, c’est l’un des procédés essentiels à la souveraineté arbitraire. Mais vous savez aussi que le grotesque, c’est un procédé inhérent à la bureaucratie appliquée. Que la machine administrative, avec ses effets de pouvoir incontournables, passe par le fonctionnaire médiocre, nul, imbécile, pelliculaire, ridicule, râpé, pauvre, impuissant, tout ça a été l’un des traits essentiels des grandes bureaucraties occidentales, depuis le XIXe siècle. Le grotesque administratif n’a pas simplement été l’espèce de perception visionnaire de l’administration qu’ont pu avoir Balzac, Dostoïevski, Courteline ou Kafka. Le grotesque administratif, c’est en effet une possibilité que s’est réellement donnée la bureaucratie. « Ubu rond de cuir » appartient au fonctionnement de l’administration moderne, comme il appartenait au fonctionnement du pouvoir impérial à Rome d’être entre les mains d’un histrion fou. Et ce que je dis de l’Empire romain, ce que je dis de la bureaucratie moderne, on pourrait le dire de bien d’autres formes mécaniques de pouvoir, dans le nazisme ou dans le fascisme. Le grotesque de quelqu’un comme Mussolini était absolument inscrit dans la mécanique du pouvoir. Le pouvoir se donnait cette image d’être issu de quelqu’un qui était théâtralement déguisé, dessiné comme un clown, comme un pitre.

Il me semble qu’il y a là, depuis la souveraineté infâme jusqu’à l’autorité ridicule, tous les degrés de ce que l’on pourrait appeler l’indignité du pouvoir. Vous savez que les ethnologues — je pense en particulier aux très belles analyses que Clastres vient de publier — ont bien repéré ce phénomène par lequel celui à qui l’on donne un pouvoir est en même temps, à travers un certain nombre de rites et de cérémonies, ridiculisé ou rendu abject, ou montré sous un jour défavorable. S’agit-il, dans les sociétés archaïques ou primitives, d’un rituel pour limiter les effets du pouvoir ? Peut-être. Mais je dirais que, si ce sont bien ces rituels que l’on retrouve dans nos sociétés, ils ont une tout autre fonction. En montrant explicitement le pouvoir comme abject, infâme, ubuesque ou simplement ridicule, il ne s’agit pas, je crois, d’en limiter les effets et de découronner magiquement celui auquel on donne la couronne. Il me semble qu’il s’agit, au contraire, de manifester de manière éclatante l’incontournabilité, l’inévitabilité du pouvoir, qui peut précisément fonctionner dans toute sa rigueur et à la pointe extrême de sa rationalité violente, même lorsqu’il est entre les mains de quelqu’un qui se trouve effectivement disqualifié. Ce problème de l’infamie de la souveraineté, ce problème du souverain disqualifié, après tout, c’est le problème de Shakespeare ; et toute la série des tragédies des rois pose précisément ce problème, sans que jamais, me semble-t-il, on ait fait de l’infamie du souverain la théorie. Mais, encore une fois, dans notre société, depuis Néron (qui est peut-être la première grande figure initiatrice du souverain infâme) jusqu’au petit homme aux mains tremblantes qui, dans le fond de son bunker, couronné par quarante millions de morts, ne demandait plus que deux choses : que tout le reste soit détruit au-dessus de lui et qu’on lui apporte, jusqu’à en crever, des gâteaux au chocolat — vous avez là tout un énorme fonctionnement du souverain infâme. »

Michel Foucault, Les Anormaux, cours de 1974-1975 au Collège de France.

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Debout pour les sciences

Ce billet se compose de quelques brèves suivies de deux analyses. La première porte sur l’offensive bureaucratique du Hcéres contre les formations universitaires, qui suit jusqu’au mimétisme celle des KeyLabs. La seconde porte sur la nécessité de défendre l’intégrité scientifique et de combattre la désinformation, ce qui nous donne l’occasion d’un retour sur le Paris-Saclay Summit organisé par Le Point.

« Lorsque quelqu’un frappe à la porte, il y a ceux qui ouvrent et ceux qui n’ouvrent pas. Celui qui ouvre, c’est celui qui se sait en dette. »

Germaine Tillion

Brèves

  • L’heure est grave et nous devons saisir chaque opportunité de mouvement pour tenter de juguler le glissement à l’extrême-droite. Le mouvement Stand up for science du 7 mars, qui vient d’être lancé en France, constitue une tentative de réunir toutes les composantes de la communauté académique avec une attention particulière au monde étudiant. Renseignements et inscription pour coorganiser le mouvement dans votre ville à cette adresse :
    https://standupforscience.fr/
  • Des mobilisations et des assemblées générales se préparent dans de nombreux établissements, le 6 mars en particulier. L’enjeu est aujourd’hui d’unifier les mobilisations contre les KeyLabs, le Hcéres, l’austérité budgétaire et la LRU 2.0 mais aussi de rouvrir l’horizon. L’ensemble de la communauté académique (syndicats, sociétés savantes, collectifs, etc) doit réagir pour mettre un terme au programme de destruction en cours. À cette fin, Rogue appelle aux mobilisations des 6 et 8 mars, puis à une Coordination nationale le 15 mars pour poser les fondements de la contre-offensive qui s’impose.
  • L’association Alia a fait paraître une tribune sur les violations de la liberté académique aux États-Unis :
    https://liberte-academique.fr/tribune-de-la-democratie-en-amerique/
  • L’analyse bibliométrique fétichisée par la bureaucratie documente le déclassement de la France dans la production scientifique, qui passe du 6ème au 13ème rang mondial en 15 ans :
    https://www.hceres.fr/sites/default/files/media/downloads/ost-position-scientifique-france-2024.pdf
    Qui aurait pu prévoir que vingt-et-un ans de réformes de bureaucratisation, de différenciation, de dépossession, de précarisation et de paupérisation conduirait au déclin scientifique et technique ?

« Il serait injuste d’imputer aux petits personnages des facultés ou des ministères la responsabilité d’une situation qui fait qu’un si grand nombre de médiocres jouent incontestablement un rôle considérable dans les universités. Il faut plutôt en chercher la raison dans les lois mêmes de l’action concertée des hommes, surtout dans celle de plusieurs organismes. »

Max Weber, Le savant et le politique, 1919.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés

Depuis la mi-février, les établissements évalués par le Hcéres dans le cadre de la « vague E » connaissent les résultats de la « phase bilan » de cette évaluation. Ils essuient en effet les plâtres d’une énième mouture du processus, qui présente le signe distinctif des tours de vis autoritaires et bureaucratiques : avoir été vendue comme une « simplification ». Dorénavant, pour les formations, les « bilans » et les « projets » sont évalués séparément, par deux dossiers distincts, ce qui revient essentiellement à étendre la période de montagnes russes des collègues responsables de ces dossiers. L’assentiment des universitaires a été acheté par la promesse que les formations bénéficiant d’un avis favorable sur le bilan seraient exemptées de phase projet. 

Le réel est venu frapper à la porte entre le 14 et le 17 février : la proportion d’avis défavorables sur le bilan a explosé. Le couperet est tombé pour plus du quart des formations dispensées en Île-de-France, dans les Hauts-de-France et outremer. Dans certaines UFR, les trois quarts des étudiants sont inscrits dans des formations recevant un avis défavorable. Ce chiffre magique de 75% de déclassement évoque immédiatement les KeyLabs, et de fait, l’ivresse muskienne des caciques du Hcéres n’a d’égale que celle de la direction du CNRS.

Mais la similitude avec la crise des KeyLabs au CNRS est plus profonde. Sur la méthode, en particulier. Depuis la publication des résultats, on assiste au même théâtre d’ombres : les relais statutaires de la domestication aux réformes, réunis au sein de France Universités, se sont émus d’avoir été aussi ouvertement humiliés. Ce mouvement d’humeur a aussitôt suscité une réaction de la directrice du département d’évaluation des formations du Hcéres, Mme Franjié, et de la toute nouvelle présidente de cette officine, Mme Chevallier, dont nous avions prédit la nomination politique dès novembre dernier. Sans surprise, l’antienne est la même que dans l’opération de déminage menée par le ministre sur le front du CNRS : la porte est ouverte à une négociation avec les « acteurs », comprendre les bureaucrates de l’Udice et de France Universités, qui se targueront, le cas échéant, d’avoir obtenu… un moratoire.

De ce fait, les tronçonneurs du Hcéres font savoir que l’évaluation n’est pas achevée — ce que l’on ne peut que confirmer : l’évaluation à la mode Hcéres est perpétuelle et infinie, la remise en cause du travail des collègues permanente, la déstabilisation aussi. La ronde incessante des protocoles changés tous les quatre ou cinq ans symbolise cette évaluation permanente qui ne poursuit que deux buts : aggraver la précarisation subjective de celles et ceux qui font vivre l’Université et la recherche et occuper des apparatchiks.

Place, donc, à un script dont la suite est connue : les impétrants devront aller à Canossa, expliquer pourquoi ils sont coupables du fait que le taux de départ des étudiants à l’étranger est directement corrélé à la sociologie de leur vivier de recrutement ; pourquoi ils ont trop peu de titulaires à placer devant les étudiants ; pourquoi leurs « blocs de compétences » ne sont pas immédiatement au diapason de la dernière mode ; et par quelle démarche-qualité innovante et co-construite ils comptent y remédier. On se doute bien que les réponses sincères ne sont pas particulièrement souhaitées. Au terme du processus, la plupart recevront un avis favorable sous conditions, car, après tout, il faut bien accueillir tous ces étudiants. 

Il en restera l’inquiétude, la blessure intime des collègues mis en cause dans leur rigueur, et surtout le stigmate des formations de second choix, et demain, si le souhait de Mme Chevallier est entendu et que les évaluations portent à conséquence pour les établissements (comprendre : pour leur dotation budgétaire), le risque permanent d’un définancement. Soit très exactement le sort que la réforme des KeyLabs promet aux laboratoires non-homologués. Comme dans l’affaire des KeyLabs, le couperet et le stigmate auront valeur d’avertissement pour les élus d’aujourd’hui, qui vivront dorénavant dans la crainte d’être les sacrifiés de demain. On a suffisamment décrit ces mécanismes de précarisation subjective pour ne pas y revenir.

Comme nous l’écrivions au lendemain du « moratoire » annoncé par le ministre, M. Baptiste, cette manoeuvre dilatoire ne doit pas faire oublier que toutes les réformes menées depuis vingt-et-un ans à l’Université et au CNRS visent à entériner une différenciation drastique entre les établissements privatisables susceptibles de monnayer leurs diplômes à prix d’or et de se positionner sur un marché global du savoir, et des établissements déqualifiés fournissant un marché de stagiaires et d’alternants tout en sortant la jeunesse populaire des statistiques du chômage. Si l’on en doutait encore, cette analyse est confortée par l’annonce concomitante du déclassement de pans entiers de la formation d’établissements universitaires recrutant leurs étudiants dans les régions les plus défavorisées du pays. Nous vous invitons donc à reprendre et à partager cet appel à supprimer le Hcéres :

https://rogueesr.fr/supprimons-le-hceres/ 

Plus que jamais, il nous revient la responsabilité de reprendre en main le contrôle de nos normes de qualité ; d’affirmer l’irréductibilité de la liberté académique aux procédures de la bureaucratie triomphante ; de tenir tête aux champions de la tronçonneuse pour défendre le pacte qui lie la science et la démocratie. Cela ne passera pas par une énième nouvelle mouture de la grille d’évaluation du Hcéres, mais par un processus constituant, qui trouve à s’incarner dans des Assises de l’Université et de la Recherche.

« Dans la “République des Lettres“, il y a — il y avait avant la montée des imposteurs — des mœurs, des règles et des standards. Si quelqu’un ne les respecte pas, c’est aux autres de le rappeler à l’ordre et de mettre en garde le public. Si cela n’est pas fait, on le sait de longue date, la démagogie incontrôlée conduit à la tyrannie. Elle engendre la destruction – qui progresse devant nos yeux – des normes et des comportements effectifs, publics sociaux que présuppose la recherche en commun de la vérité. »

Cornelius Castoriadis, L’industrie du vide, 1979.

In solidarity : comment agir ?

Le silence ne protégera pas scientifiques et universitaires des menées des droites extrêmes coalisées. Dans un temps où les pouvoirs politiques, économiques et religieux tentent de déformer, supprimer ou coopter les connaissances scientifiques à des fins idéologiques, nous avons le devoir d’agir pour soutenir les collègues aux États-Unis et en Argentine. C’est le sens du mouvement In solidarity auquel plusieurs sociétés savantes se sont associées, et qui prendra toute sa place lors de la journée du 7 mars :

https://rogueesr.fr/in-solidarity/

De nombreux scientifiques qui travaillent aux USA craignent que le fait de s’exprimer ne mette en péril leur carrière, leurs financements, voire leur sécurité personnelle. Aussi nous faut-il porter la parole de ces voix étouffées, défendre la protection des scientifiques confrontés à des représailles politiques et possiblement créer les conditions pour les accueillir en exil. Mais agir, cela suppose avant tout de combattre les mensonges, les manipulations, la désinformation et ce que Castoriadis a appelé l’imposture publicitaire. Nous devons défendre pied à pied l’intégrité scientifique. 

Aussi est-il essentiel de revenir sur le Paris-Saclay Summit, non du fait de son importance, très relative, mais parce qu’il constitue un exemple archétypique. Le Paris-Saclay Summit n’est aucunement un colloque de nature académique, mais un meeting politique en zone grise. Le concept de zone grise désigne cet espace mondain de l’Université qu’affectionnent les présidences et qui mêle aux exposés scientifiques vulgarisés des prises de position politiciennes, des enfilages de perles de bureaucrates ainsi que des interventions d’experts auto-proclamés, de marchands de sable et de marchands de doute. Malgré les polémiques, ces usurpateurs en retirent l’aura d’un cadre académique prestigieux. Bénéficiant de la liberté académique, universitaires et chercheurs sont parfaitement libres a priori de présenter leur travaux lors de meetings en zone grise. Celui-ci était destiné à promouvoir les vues de Mme Pécresse et du Point, qui ont applaudi de concert aux attaques de M. Musk, de M. Trump et de M. Milei contre la science. Le Point s’est spécialisé depuis longtemps dans une forme de désinformation scientifique qui passe par l’administration conjointe de poison et d’antidote. Dans le cas présent, l’hebdomadaire feint la critique libérale de Trump pour mieux saluer son « coup de génie » lorsqu’il dérégule l’usage du plastique ou pour accréditer une supposée « révolution énergétique qui se propage aux États-Unis ». Cela donne une petite musique du « nous ne sommes pas pour les excès populistes mais il faut bien reconnaître que… », suivie d’une promotion des menées du techno-fascisme corporate.

Pendant le meeting, Mme Woessner, figure centrale du confusionnisme du Point, a trouvé le temps de harceler Valérie Masson-Delmotte dans une interminable logomachie diffamatoire sur les réseaux sociaux X et Bluesky, l’accusant de « désinformation », de « soutien à l’ultra-violence », de « participation à des cabales », de « malhonnêteté intellectuelle », de « mépris des faits, et de la science », de « très forte imprégnation idéologique », de « manoeuvres » et de « piétinement de la science pour servir un agenda trotskiste ». Notons qu’en droit de la presse, l’animosité personnelle est l’une des notions juridiques clés qui permettent de distinguer la bonne foi de la diffamation.

Dans le même temps, son compère, M. Seznec, écrivait une lettre de menaces à un universitaire, contributeur de Wikipedia depuis 18 ans, qui documentait la page consacrée au Point en y ajoutant quelques exemples de désinformation scientifique qui truffent sa rubrique « science ». Wikipedia fait l’objet d’attaques incessantes de la part de l’extrême-droite ; c’est même une obsession des réseaux de désinformation libertariens. Ce qui rend Wikipedia insupportable à Elon Musk ou Peter Thiel, c’est son caractère décentralisé : contrairement à une plateforme comme X ou à un hebdomadaire comme Le Point, il ne peut pas être racheté. Aussi la communauté Wikipedia a-t-elle réagi très vivement aux intimidations contre un contributeur bénévole en écrivant, fait exceptionnel, une lettre ouverte signée par près de 1 000 contributeurs :

Lettre ouverte : non à l’intimidation des contributeurs bénévoles

Dans quelques mois, il est possible que l’extrême-droite coalisée avec la droite conservatrice devienne majoritaire au parlement français. Nous pensons important de rappeler inlassablement que la collaboration avec des forces anti-démocratiques qui piétinent la liberté scientifique constitue une faute morale et une violation de l’éthique académique : on ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages.

« L’inferno dei viventi non è qualcosa che sarà; se ce n’è uno, è quello che è già qui, l’inferno che abitiamo tutti i giorni, che formiamo stando insieme. Due modi ci sono per non soffrirne. Il primo riesce facile a molti: accettare l’inferno e diventarne parte fino al punto di non vederlo più. Il secondo è rischioso ed esige attenzione e apprendimento continui: cercare e saper riconoscere chi e cosa, in mezzo all’inferno, non è inferno, e farlo durare, e dargli spazio. »

Italo Calvino, Le città invisibili

« L’enfer des vivants n’est pas quelque chose qui sera ; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons en étant ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première est facile pour beaucoup : accepter l’enfer et en faire partie au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et requiert une attention et un apprentissage constants : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui donner de l’espace. »

Italo Calvino, Les villes invisibles.