Posted on

Comprendre la réforme des KeyLabs

Ce billet, outre un rappel des deux séminaires de recherche réflexifs sur l’ESR, traite des « KeyLabs », ces laboratoires de référence que le président du CNRS, par un coup de force inédit, entend valoriser au détriment de tous les autres. Le billet vise d’une part à expliquer cette réforme, et d’autre part à mettre à la disposition de la communauté académique des outils de mobilisation et à promouvoir la motion de défiance la contestant, qui a déjà été signée par 5 000 chercheuses et chercheurs :

https://framaforms.org/motion-de-defiance-pdg-cnrs-1736518552

« Le Comité national aura pour mission essentielle de définir en session plénière la ligne générale des recherches et les méthodes de travail. À chaque section incombera la tâche d’orienter et de développer les recherches relevant de sa compétence. Ainsi, le Comité national ne sera pas un organisme purement consultatif, mais constituera une assemblée délibérante et agissante qui assumera de véritables responsabilités et participera effectivement par l’intermédiaire de ses sections et de commissions composées de membres de diverses sections à la réalisation des programmes généraux élaborés en séance plénière. Un directoire choisi parmi les membres du Comité national assurera de façon permanente la direction scientifique du Centre. »

Ordonnance n°45-2632 réorganisant le Centre national de la recherche scientifique. Journal officiel, 3 novembre 1945, p. 7192-7194.
Le texte est signé de Charles de Gaulle pour le Gouvernement provisoire de la République française, de René Capitant, ministre de l’Éducation nationale, et de René Pleven, ministre des Finances.

« Nous n’arrivons pas à harmoniser tous les statuts. Nous n’avons pas la main sur les carrières de tous les personnels, même si nous les payons. Cela reste un frein. Les chaires de professeur junior ont permis quelques avancées, mais cela reste limité. Certains organismes de recherche essaient d’ouvrir des postes de chercheurs avec un peu d’enseignement, pour développer des profils mixtes et harmonisés, mais, tant que nous n’avons pas la main sur les ressources humaines et les carrières, nous restons bloqués. »

François Germinet, conseiller spécial en charge des sujets transversaux (sic) du secrétaire d’État. Source. NDLR : dans cet extrait, « nous », c’est eux, la bureaucratie, et non nous, les praticiens.

Séminaires réflexifs

Le séminaire « Sociologie des réformes universitaires et du gouvernement de la recherche » reprend le 21 janvier avec un exposé de Charles Soulié. Programme à retrouver ici :

https://acides.hypotheses.org/3297

Nous rappelons la séance de Politique des sciences avec Quinn Slobodian, Estelle Delaine et Michel Feher sur l’actualité de la recherche sur l’extrême-droite et l’autoritarisme, le vendredi 31 janvier 2025, 16h30-19h, salle Cavaillès, ENS, 45 rue d’Ulm. La séance peut être suivie en live à cette adresse :

https://youtube.com/live/pPqqN5b4JEI

Une pré-inscription est demandée aux personnes extérieures à l’ENS-PSL par un mail à : Po_des_Sciences@proton.me afin de fournir la liste des invités à la loge d’entrée.

« Sur les arêtes de notre amertume, l’aurore de la conscience s’avance et dépose son limon. »

René Char

Motion de défiance

La motion de défiance contre le démantèlement en cours du CNRS par sa bureaucratie a déjà été signée par 5 000 chercheuses et chercheurs, tous statuts confondus. Nous invitons à signer et faire signer cette motion et à aller la déposer en mains propres à M. Philippe Baptiste au ministère dans quelques jours :

https://framaforms.org/motion-de-defiance-pdg-cnrs-1736518552

Sans doute faudra-t-il que trois quarts d’entre nous soient vêtus de haillons et un quart de tenues de chercheurs, pour faire écho à la décision du Président du CNRS, Antoine Petit, de flécher les crédits sur 25% des laboratoires, réputés être les plus performants, les fameux KeyLabs.

Pourquoi devons-nous arrêter ce processus de démantèlement ? Quatre raisons :

  • Il appartient aux universitaires et aux chercheurs et chercheuses de prendre collectivement en main les décisions engageantes (domaines stratégiques, recrutements, budget, etc.) de la recherche comme de l’enseignement. Nous devons rappeler la bureaucratie au principe de responsabilité, la discipliner : M. Petit ne peut pas rester en poste après une tentative aussi désastreuse que cavalière.
  • La réforme des KeyLabs est le prélude au démantèlement annoncé du CNRS par la dérégulation et la fusion des statuts et par la transformation en « organisme de programmes », ce vieux rêve qu’entretient la bureaucratie d’organisme de recherche sans chercheurs.
  • La recherche est un écosystème. Personne ne sera à l’abri des conséquences de cette mesure ubuesque, des coupes budgétaires et du décrochage scientifique et technique qu’elle induira. En concentrant les financements sur une minorité de laboratoires jugés « stratégiques » selon des critères clientélistes opaques, la réforme creuse les inégalités territoriales et disciplinaires et marginalise 75% des unités de recherche.
  • Cette transformation absurde et brutale, imposée de manière unilatérale par la bureaucratie du CNRS, a été décidée sans aucune concertation avec la communauté scientifique. Elle rompt avec les principes de collégialité, de démocratie et d’intelligence des processus de recherche qui ont toujours guidé le CNRS depuis sa création et elle amplifie la mise en compétition délétère entre les équipes.

Signer la motion de défiance n’est pas un acte de bravade, mais un premier geste indispensable pour défendre la liberté académique, la pérennité de nos métiers et l’avenir de la recherche publique, qui ouvre vers la possibilité de réinstituer un système de recherche et d’enseignement supérieur propre à juguler les crises que notre société doit affronter. Ouvrons l’horizon !

https://framaforms.org/motion-de-defiance-pdg-cnrs-1736518552

« Le premier ministre a bien mentionné devant les députés un « mouvement de réforme de l’action publique », qui passerait par une réduction du nombre et des crédits des agences et opérateurs de l’État, parmi lesquels les agences régionales de santé, Business France ou encore le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). »

Ademe, CNRS, ARS… Les agences publiques dans le viseur du gouvernement. Le Figaro, le 15 janvier 2025.

Logo et affiches

Dans un contexte où le mouvement pour juguler le décrochage scientifique et technique doit gagner en visibilité et en rayonnement, il est essentiel de se différencier en créant une identité visuelle spécifique. Cette évolution concerne le logo et la charte graphique que nous avons rendus plus disruptifs et véritablement impactants. Adoptez dès à présent notre nouvelle identité de marque, placée sous le signe du jaune, pour votre communication professionnelle, votre site web et les photos de profil de vos réseaux sociaux : téléchargez la Version pdf ou la version png. Avec le jaune, on affirme haut et fort l’originalité de notre modèle de sorte que, demain, les gens identifieront le jaune à nos institutions, parce que le jaune est aussi singulier que notre système. Le déploiement d’affiches dans les ascenseurs, les couloirs, près des machines à café et des photocopieuses se fera de manière progressive en fonction des besoins et des mises en production des unités, au regard de la taille et de la diversité de nos établissements et de leurs réseaux de communicants. In fine, nous espérons un élan collectif de tout le réseau pour adopter aussi vite que possible cette nouvelle identité visuelle, et faire entrer la communication du mouvement dans une belle dynamique de transformation.

Téléchargeons-les, imprimons-les et affichons-les dès à présent !

         

   

« Supprimer des agences, c’est une arlésienne, confie François Ecalle, ancien membre du Haut Conseil des finances publiques et président de l’association Fipeco. Mais si l’on veut faire de fortes économies, il faudrait supprimer des opérateurs qui coûtent cher comme les universités, le CNRS ou France Travail. »

Ces agences de l’État dans le viseur du gouvernement, Le Parisien, le 17 janvier 2025.

Comment comprendre la réforme des KeyLabs ?

Dans notre billet du 3 décembre 2024, nous faisions la prévision d’une attaque à venir contre le CNRS, soit neuf jours avant qu’elle ne se produise. De fait, le jeudi 12 décembre, M. Petit annonçait la réduction d’un facteur 4 du nombre d’unités de recherche soutenues par le CNRS, prélude à un démantèlement sous couvert de transformation en « agence de programmes ». L’objet de ce billet est d’expliquer la réforme des KeyLabs à celles et ceux qui ne suivent pas l’actualité de l’ESR, en prenant appui sur la méthode [*] qui nous permet d’interpréter et souvent d’annoncer par anticipation ce que produisent les réformes.

Depuis un mois, les KeyLabs nourrissent les discussions à la machine à café, d’où émerge le consensus suivant : il est inadmissible que la bureaucratie du CNRS, sans fondement ni procédure scientifique, prétende décider seule d’un pareil changement qui affectera l’ensemble de l’écosystème scientifique. La méthode choisie par M. Petit est évidemment contraire aux principes fondateurs de la recherche. Il importe cependant d’aller au-delà de cette critique de  méthode. Une erreur commune pour celles et ceux qui cherchent à comprendre, consiste à partir de la communication indigente des promoteurs de la réforme : CNRS_KeyLabs.pdf. Cette accumulation d’éléments de langage dans la communication du CNRS n’est pas destinée à éclairer la réforme mais à focaliser l’attention sur des détails et à créer une forme d’angoisse par une logique évanescente. C’est la méthode de management enseignée sous le nom de « précarisation subjective » : les « agents » sont placés sur le fil du rasoir par la force persuasive d’un dispositif qui remet en cause leur compétence professionnelle. Cela produit une séparation avec le réel et avec l’analyse systémique, holistique, pour ne laisser que cette question : « qu’est-ce que cette réforme, dans son détail technique, va changer pour moi ? »

Les réformes sont globalement cohérentes et s’inscrivent dans un projet de transformation continu, explicité dans des rapports ou lors de tables rondes, mais que la segmentation en mesures techniques rend peu lisible. C’est la stratégie dite de « réforme incrémentale » décrite et recommandée par MM. Aghion et Cohen en 2004. Une réforme est lancée lorsqu’une « fenêtre de tir » le permet. C’est ainsi que la haute fonction publique ministérielle qualifie la conjonction entre opportunité politique et faible potentiel de mobilisation contestataire. Les « ballons d’essai » servent ainsi à estimer la capacité de propagation de la colère au-delà de la frange critique. En cas d’alerte, une séance de pédagogie ministérielle infantilisante est organisée, pour qualifier de « procès d’intention » toute analyse qui reconstitue la place de cette réforme incrémentale dans le projet de transformation à 20 ans.

D’où vient l’idée des KeyLabs ? Il y a 20 ans, des économistes schumpétériens ont théorisé le fait qu’il fallait concentrer toute l’activité de recherche française au sein de dix universités conçues comme des entités privées. Les autres établissements étaient destinés à l’enseignement professionnel ou à jouer le rôle des Colleges étatsuniens. De fait, affichaient-ils, un tel système consommerait beaucoup moins d’argent public puisque ces collèges d’enseignement supérieur pourraient employer des enseignants contractuels à temps plein — pas de recherche et deux fois plus d’enseignement que ce que prévoit le statut des universitaires titulaires. Mieux, les Collèges Universitaires qui s’adapteraient le mieux à ce changement de doctrine pourraient eux-même être privatisés, s’ils s’avéraient suffisamment rentables. La concentration des « meilleurs » chercheurs et des moyens dans quelques établissements devaient garantir une amélioration fulgurante de la production scientifique, et engendrer un choc de croissance économique proprement schumpétérien. Les rares données affichées à l’appui de cette théorie étaient constituées de graphiques bidons figurant des corrélations médiocres entre indicateurs dépourvus de toute scientificité. Théorie donc dépourvue de tout fondement rationnel.

Pour comprendre les KeyLabs, il faut penser en réformateur : produire une séquence cohérente de réformes segmentées de sorte qu’aucune ne mette à la rue les étudiants ni ne perturbe le silence des charentaises du monde savant. Comment construire ces dix universités de recherche susceptibles de s’auto-financer par des frais de scolarité élevés, et privatisables en période de « crise » ? C’est évident : vous devez d’abord casser les capacités de résistance en dépossédant les universitaires de toute décision concernant l’enseignement et la recherche (priorités scientifiques, recrutements, budgets, etc.). Cela suppose de promouvoir une nouvelle classe gestionnaire, bureaucratie issue encore de la communauté académique, dont l’intérêt personnel contribue à servir les objectifs de l’idéologie prônant une marchandisation de l’ESR. A titre d’exemple, on lira avec profit la violence de la charge du rapport du Hcéres contre l’assemblée des professeurs du Collège de France, qui en est l’instance souveraine décidant, trois fois par an, des grandes orientations de l’établissement.

L’étape suivante consiste à casser le statut de fonctionnaires, au profit de contrats dérégulés, négociés au cas par cas. Pour fabriquer le consentement, voire la coproduction par les universitaires et les chercheurs, la parole managériale doit adopter un style fait de storytelling, d’énoncés cotonneux, niant tout antagonisme, donc user d’antiphrases : la dépossession, on la qualifiera d’« autonomie », la dérégulation statutaire d’« harmonisation » entre chercheurs et enseignant-chercheurs, et la médiocrité bureaucratique de « politique d’excellence ». En parallèle, on amorce le déplafonnement des frais d’inscription, de sorte à structurer les établissements en entités capables de générer du profit. Tout est mûr alors pour organiser un mercato des chercheurs de sorte à les concentrer dans les dix universités de recherche « intensives » ou « excellentes » — celles qui permettront ensuite un accroissement des frais d’inscriptions en Master. Ici, il faut diviser : flattez l’ego des chercheurs que vous désignerez comme « excellents » pour qu’ils vous appuient dans vos réformes avant d’en être eux-mêmes les acteurs et les victimes. C’est très exactement le stade où nous sommes arrivés, et dont l’opération Keylabs est une pièce essentielle.

On pourrait s’étonner de l’incapacité des middle-managers, par exemple les présidents de tel ou tel établissement, à voir qu’ils contribuent activement à des initiatives favorisant le démantèlement général, y compris quand ils se croient opposés aux réformes. C’est pourtant tout le sel de cette marche au désastre que de faire produire le mal par ses futures victimes, soigneusement enrôlées dans ce « projet » qu’est la grande comédie de la réforme. Telle est par exemple l’effet principal de la baisse des moyens que la bureaucratie du CNRS s’est habituée à consommer en pure perte. Cette coupe ne représente qu’une économie dérisoire pour l’État, mais elle enclenche un mouvement : la bureaucratie du CNRS, pour préserver son argent de poche, prélève dorénavant 10% des ressources propres banalisées des chercheurs. En retour, cette mise sous tension des unités favorise la généralisation des indicateurs quantitatifs de productivité et d’excellence. Elle produit simultanément le recrutement de bureaucrates supplémentaires de catégorie A, avec un enrobage du style « assistants de pilotage » ou « directeurs adjoints administratifs » alors que les unités demandent des informaticiens, des gestionnaires, des ingénieurs réseaux, des techniciens. Ces postes n’ont pas d’autre raison d’être que l’instauration d’un contrôle managérial, visant à entraver la sagesse qui fait tenir la machine jusqu’à présent, ce bricolage dont les « professionnels » de la bureaucratie ne parlent qu’avec dégoût. Différents laboratoires ont ainsi fait part de comportements de commissaires politiques ataviquement hostiles à la liberté académique. Alarmés par la nouvelle du projet Keylabs, même les scientifiques les  plus soucieux du bien public auront le réflexe humain de regarder si leur unité est dans la liste — alors même que les laboratoires épargnés aujourd’hui ont vocation à être sacrifiés d’ici deux ou trois ans.

Si les personnes que cette évolution cible, rendues anxieuses par la pénurie et par la pression des indicateurs, en arrivent à désirer elles-mêmes ce qui les écrasera, le paroxysme de la dépossession est atteint. La servitude volontaire règne en maître. C’est pour éviter cet enfermement et cette approbation de ce qui nous écrase que nous ne devons jamais oublier le point de fuite des réformes en cours : constituer un authentique marché de la connaissance et assembler 10 universités complètes de rang mondial dégageant du profit, libérant  une croissance supposément schumpéterienne, et limitant au passage l’accès à la connaissance.

« De nombreux établissements sont dans une situation budgétaire tendue aujourd’hui, il nous faut, c’est certain, faire des choix, établir des priorités dans chaque établissement, je sais que vous le faites déjà aujourd’hui, il faut sans doute aller encore plus loin. »

Philippe Baptiste

Le KeyLab pionnier du Professeur Raoult

Faut-il croire que la bureaucratie du CNRS est si incompétente qu’elle procède ainsi sur un coup de tête, sans expérimentation préalable ? En réalité, il y a bien sûr eu des tests à petite échelle. Il serait dommage de ne pas rappeler le glorieux bilan d’un des plus anciens et des plus connus : celui opéré par le Professeur Raoult qui, à la tête de l’université Aix-Marseille-II, en préleva les « meilleurs » chercheurs pour constituer ce qu’on n’appelait pas encore un KeyLab : l’IHU Méditerranée Infection. Le rayonnement de ce KeyLab fut tel qu’il fut salué par M. Elon Musk, le 16 mars 2020, par un tweet qui déclencha l’exaltation de la classe politique mondiale : « Maybe worth considering chloroquine for C19. » Le 19 mars 2020, M. Donald Trump déclarait en conférence de presse : « I get a lot of tremendously positive news on the hydroxy and I say “hey…”. You know the expression I used, John? “What do you have to loose, okay, what do you have to loose? » Le 21 mars 2020, il tweetait : « HYDROXYCHLOROQUINE & AZITHROMYCIN, taken together, have a real chance to be one of the biggest game changers in the history of medicine. » Le 9 avril 2020, sur les conseils insistants de M. Bernard Arnault, M. Macron rendait visite à la star mondiale autour de laquelle s’organisait ce KeyLab pionnier. Des mois plus tard, en septembre 2021, il rendrait publique son évaluation mûrement réfléchie: « Il faut rendre justice à Didier Raoult qui est un grand scientifique ». La même année, René Ricol (commissaire général à l’investissement) confirma le verdict : « Quoi qu’on en dise, l’IHU de Didier Raoult à Marseille est un succès ». Il faudrait des œillères épaisses, dans ces conditions, pour nier le bien fondé des KeyLabs.


* Note. Pour preuve de la valeur de la méthode d’analyse déployée ici, nous avons montré avant son adoption que la loi de programmation de la recherche (LPR) de 2020 programmait une baisse budgétaire, analysé le tour de passe-passe budgétaire avec les retraites, pointé que les chaires de professeur junior ne seraient pas des « postes en plus » mais, après baisse budgétaire, des postes en moins. Enfin, nous avons annoncé le contenu effectif de cette loi insincère, que Mme Retailleau résume ainsi aujourd’hui : « Il faut absolument continuer la mise en œuvre de la LPR. Tout est posé, allez-y. Les acteurs [la bureaucratie, NDLR] peuvent demander des contrats différents. » De fait : la LPR était une loi bureaucratique de dérégulation des statuts, de précarisation et de paupérisation.

Posted on

But then, it was too late

« Ce qui reste de liberté prend un caractère d’épiphénomène, relève d’une culture de la vie privée, ce n’est pas une liberté substantielle au sens où les hommes pourraient se déterminer eux-mêmes : on se contente de les laisser libres dans quelques secteurs seulement et jusqu’à nouvel ordre, pour que la vie ne leur paraisse pas complètement insupportable. »

Adorno, Leçons sur l’histoire et sur la liberté

45 au carré

2025 est un carré parfait — 45 au carré ; le précédent carré parfait était 1936. Ce tour de passe-passe arithmétique, propre à émerveiller des élèves de petites classes*, place l’année 2025 sous les augures de deux dates clés du combat contre le fascisme.

L’année 2024 a vu l’extrême-droite, souvent coalisée avec les droites affairiste et conservatrice, proliférer dans les pays occidentaux, suscitant adhésion et mouvement quand les partisans de la démocratie semblent tétanisés. En France, un gouffre s’est ouvert entre la responsabilité remarquable de la société et l’effondrement moral d’une large part du système médiatique, de la classe politique et des milieux d’affaires. Chacun, chacune, sent désormais le souffle de la bête dans le cou. Ni la société, ni l’histoire ne sont soumises à des lois déterministes et transcendantes. Le politique est affaire de création humaine, conditionnée mais non déterminée par la vie matérielle. La création, précisément, est ce qui ne se déduit pas de ce qui précède. Le moment a le mérite de la clarté : nous savons ce qu’il se produira si nous ne faisons rien, et si perdure le narcissisme, la solitude, l’apathie politique et le conformisme. Mais l’anomie n’a rien d’une fatalité. Il ne tient qu’à nous de faire vivre l’idéal démocratique visant à constituer une société réflexive faisant appel à l’activité lucide et éclairée de tous les citoyens pour se réimaginer sans cesse. Tel est l’enjeu de 2025 et des années suivantes : il revient désormais à la société civile, donc à chacun et chacune d’entre nous, de prendre ses responsabilités politiques.

« A tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir. La place demeure vide, mais le couvert reste mis. »

René Char

* Épatez les enfants autour de vous en leur montrant que 2025 est le carré de la somme des 9 premiers entiers et, en vertu du théorème de Nicomaque, la somme des cubes des 9 premiers entiers.

KeyLabs : motion de défiance

Vous trouverez ci-dessous le lien vers une motion de défiance dont nous nous faisons le relais, sans en assumer la responsabilité, et que nous vous invitons à relayer à votre tour au sein des unités et UFR. Voici le message du collectif de chercheuses et chercheurs du CNRS qui en est à l’initiative :

« Comme vous le savez, le PDG du CNRS vient de dévoiler sa volonté de développer un label de KeyLabs qui serait attribué à environ un quart des labos de France et sur lesquels viendraient se concentrer l’essentiel des moyens humains et financiers (et au détriment des 75 % de labos restants bien entendu). C’est une orientation qui, pour plusieurs d’entre nous, est totalement inacceptable. La brutalité avec laquelle A. Petit veut l’imposer nous semble appeler une réponse extrêmement ferme. Aussi, nous avons pris l’initiative de rédiger une “motion de défiance” envers A. Petit et appelons au retrait de ce projet et à sa démission. »

https://framaforms.org/motion-de-defiance-pdg-cnrs-1736518552

«  À cet instant où gisent à terre les politiciens en qui les adversaires du fascisme avait mis leurs espoirs, où ces politiciens aggravent leur défaite en trahissant leur propre cause, nous voudrions arracher l’enfant politique du monde aux filets dans lesquels ils l’avaient enfermé. »

Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire, 1940

Séminaire Politique des sciences

Le séminaire Politique des sciences reprend son cours en mettant à profit la parution d’ouvrages issus de trois disciplines des sciences humaines et sociales (science politique, histoire, philosophie) pour examiner aussi bien les stratégies institutionnelles du Rassemblement National que les terreaux économiques et sociaux à la fois modelés et investis par les libertariens radicaux, et qui contribuent au rêve d‘un monde sans démocratie.

Actualité de la recherche sur l’extrême-droite et l’autoritarisme (1)

Vendredi 31 janvier 2025, 16h30-19h, salle Cavaillès, ENS, 45 rue d’Ulm

Une pré-inscription est demandée aux personnes extérieures à l’ENS-PSL par un mail à : Po_des_Sciences@proton.me afin de fournir la liste des invités à la loge d’entrée.

Quinn Slobodian professeur d’histoire économique et politique globale à l’Université de Boston. Il publie Le Capitalisme de l’apocalypse ou le rêve d’un monde sans démocratie au Seuil et Hayek’s Bastards: Race, Gold, IQ, and the Capitalism of the Far Right chez Zone Books.

Estelle Delaine est maîtresse de conférences en science politique à l’Université de Rennes. Elle publie À l’extrême droite de l’hémicycle. Le RN au cœur de la démocratie européenne. chez Raison d’Agir.

Michel Feher est philosophe et fondateur de la maison d’édition new-yorkaise Zone Books. Il publie Producteurs et parasites. L’imaginaire si désirable du Rassemblement National. aux éditions La Découverte.

« La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat. »

Hannah Arendt

Science, com’ et réseaux sociaux 

En prévision du retour au pouvoir de M. Trump le 20 janvier, en compagnie des broligarques de l’extrême-droite libertarienne, ALIA, l’Association pour la Liberté Académique, a appelé en décembre les établissements d’enseignement supérieur et de recherche les universitaires et les chercheurs à quitter « X », le réseau de M. Musk  :

https://liberte-academique.fr/wp-content/uploads/2024/12/2024-12-16-Quitter-X-au-nom-de-lethique-de-la-science.pdf

Nous souscrivons à cet appel au boycott des plateformes du techno-féodalisme libertarien et, surtout, à son dernier paragraphe : nous invitons à notre tour à une réflexion collective de la communauté académique sur ce que le personal branding, la « com’ » et la « stratégie de marque » font à l’Université et à la science.

À intervalles réguliers, les universitaires et les salariés des EPST reçoivent dans leur boîte courriel des lettres d’actualités de leur(s) établissement(s) de tutelle, concoctées par leur service communication. La 4ème place régionale de l’innovation sociétale durable attribuée à un mémoire de master y est présentée comme le signe d’une ascension inéluctable vers les cimes de la recherche globale. Le portrait du chercheur du mois, choisi selon des critères mystérieux, y côtoie la mise en avant d’un passage sur France Culture et un communiqué de presse sur les avancées cruciales représentées par un article publié le mois précédent — des dizaines, voire des centaines d’autres, sont, par contraste, invisibilisés. On trouvera les mêmes communiqués de presse étrangement sélectifs, les mêmes portraits venus d’on ne sait où, les mêmes interviews lénifiantes de membres de l’équipe de direction sur les comptes facebook et linkedin de l’établissement. Généralement, il faut le reconnaître, ces messages ne sont pas lus : ils sont mis à la poubelle, et ne suscitent d’agacement significatif que lorsqu’ils annoncent triomphalement un nouveau logo, une nouvelle charte graphique ou tout autre emballage contraignant. Ce mélange général d’indifférence et d’hostilité n’empêchera pas le service communication de continuer son « travail », et parfois d’être le seul service de l’université dont les effectifs et le budget augmentent.

La stratégie de marque achève la transformation de l’Université en entreprise de ventes des diplômes en y important le culte du pitch et du teasing, plutôt que la culture du doute, l’évidence de la nuance et la nécessité du temps long. La recherche incrémentale, voire confirmatoire, permet aux structures de valorisation de générer un narratif présentant l’université comme l’élément clef dans une politique d’économie de la connaissance. Des concours locaux, régionaux et nationaux comme la thèse en 180 secondes sont des rustines pour “soigner” l’absence de postes et de débouchés. Les universitaires, pour essayer de donner quelques espoirs à leurs étudiants et à eux-mêmes, participent à la sape de leur propre métier, conformément au grand principe managérial : faire co-produire par les dominés leur propre système d’aliénation.

La réaction à la prise de contrôle de twitter, plateforme au rôle institutionnel pour les universités, les politiciens ou les journalistes, est symptomatique de la coupure entre bureaucratie et praticiens de la recherche et de l’enseignement. En ordre dispersé, nos établissements se sont interrogés sur les conséquences pour leur réputation et leur visibilité, plutôt que de mettre en débat les questions d’intégrité et d’exemplarité dans la diffusion des connaissances et informations. Les lentes migrations de comptes institutionnels procèdent d’une rationalité instrumentale et comptable, plutôt que de l’éthique académique. Les chercheuses et chercheurs qui étudient les réseaux sociaux, la désinformation ou le techno-féodalisme n’ont jamais été conviés à contribuer à une réponse commune des institutions académiques. En conséquence, nous restons démunis face à un problème chaque jour plus urgent.

Le départ de « X » n’est-il pas l’occasion de remettre en cause les stratégies de communication des établissements qui renversent les normes qui régissent la pratique de la science ? Faut-il vraiment encourager à la migration de comptes sur Bluesky, sans autre perspective ? N’est-il pas temps de participer, comme praticiens de la recherche, à la construction d’outils numériques sous contrôle citoyen, conformes aux aspirations démocratiques ?

« La liberté consiste d’abord à ne pas mentir. Là où le mensonge prolifère, la tyrannie s’annonce ou se perpétue. »

Albert Camus

But then, it was too late

I was a scholar, a specialist. Then, suddenly, I was plunged into all the new activity, as the university was drawn into the new situation; meetings, conferences, interviews, ceremonies, and, above all, papers to be filled out, reports, bibliographies, lists, questionnaires. And on top of that were the demands in the community, the things in which one had to, was ‘expected to’ participate that had not been there or had not been important before. It was all rigmarole, of course, but it consumed all one’s energies, coming on top of the work one really wanted to do. You can see how easy it was, then, not to think about fundamental things. One had no time. […]

The dictatorship, and the whole process of its coming into being, was above all diverting. It provided an excuse not to think for people who did not want to think anyway. I do not speak of your ‘little men,’ your baker and so on; I speak of my colleagues and myself, learned men, mind you. Most of us did not want to think about fundamental things and never had. There was no need to. […]

To live in this process is absolutely not to be able to notice it […] unless one has a much greater degree of political awareness, acuity, than most of us had ever had occasion to develop. Each step was so small, so inconsequential, so well explained or, on occasion, ‘regretted’: that, unless one were detached from the whole process from the beginning, unless one understood what the whole thing was in principle, what all these ‘little measures’ […] must some day lead to, one no more saw it developing from day to day than a farmer in his field sees the corn growing. One day it is over his head. […]

In the university community, in your own community, you speak privately to your colleagues, some of whom certainly feel as you do; but what do they say? They say, ‘It’s not so bad’ or ‘You’re seeing things’ or ‘You’re an alarmist.’

And you are an alarmist. You are saying that this must lead to this, and you can’t prove it. These are the beginnings, yes; but how do you know for sure when you don’t know the end, and how do you know, or even surmise, the end? On the one hand, your enemies, the law, the regime, the Party, intimidate you. On the other, your colleagues pooh-pooh you as pessimistic or even neurotic. You are left with your close friends, who are, naturally, people who have always thought as you have.

But your friends are fewer now. Some have drifted off somewhere or submerged themselves in their work. You no longer see as many as you did at meetings or gatherings. Informal groups become smaller; attendance drops off in little organizations, and the organizations themselves wither. Now, in small gatherings of your oldest friends, you feel that you are talking to yourselves, that you are isolated from the reality of things. This weakens your confidence still further and serves as a further deterrent to-to what? It is clearer all the time that, if you are going to do any- thing, you must make an occasion to do it, and then you are obviously a troublemaker. So you wait, and you wait.

But the one great shocking occasion, when tens or hundreds or thousands will join with you, never comes. That’s the difficulty. If the last and worst act of the whole regime had come immediately after the first and smallest, thousands, yes, millions would have been sufficiently shocked. […]

Suddenly it all comes down, all at once. You see what you are, what you have done, or, more accurately, what you haven’t done (for that was all that was required of most of us: that we do nothing). You remember those early meetings of your department in the university when, if one had stood, others would have stood, perhaps, but no one stood. A small matter, a matter of hiring this man or that, and you hired this one rather than that. You remember everything now, and your heart breaks. Too late. You are compromised beyond repair.

Milton Mayer, They Thought They Were Free The Germans, 1933-1945

Paru en 1955, cet ouvrage est fondé sur dix entretiens menés dans la ville de Hesse. Il raconte la montée du nazisme au quotidien.

Traduction.

« J’étais un universitaire, un spécialiste. Puis, soudainement, j’ai été plongé dans toutes ces nouvelles activités, alors que l’université était entraînée dans la nouvelle situation ; des réunions, des conférences, des interviews, des cérémonies, et, par-dessus tout, des papiers à remplir, des rapports, des bibliographies, des listes, des questionnaires. Et par-dessus tout cela, il y avait les exigences de la communauté, les choses auxquelles il fallait, on “s’attendait à ce que” l’on participe, qui n’étaient pas là auparavant ou qui n’étaient pas importantes. Tout cela n’était que du tralala, bien sûr, mais cela consumait toutes nos énergies, en plus du travail que l’on voulait vraiment faire. Vous pouvez voir à quel point il était facile, alors, de ne pas penser aux choses fondamentales. On n’avait pas le temps. […]

La dictature, et tout le processus de son avènement, faisait avant tout diversion. Elle fournissait une excuse pour ne pas penser à ceux qui ne voulaient pas penser de toute façon. Je ne parle pas de vos “petits hommes”, votre boulanger et ainsi de suite ; je parle de mes collègues et de moi-même, des hommes instruits, vous savez. La plupart d’entre nous ne voulaient pas penser aux choses fondamentales et ne l’avaient jamais fait. Il n’y avait pas besoin de le faire. […]

Vivre dans ce processus, c’est absolument ne pas pouvoir le remarquer […] à moins d’avoir un degré de conscience politique, d’acuité, beaucoup plus grand que la plupart d’entre nous n’avaient jamais eu l’occasion de développer. Chaque étape était si petite, si insignifiante, si bien expliquée ou, à l’occasion, “regrettée”, que, à moins d’être détaché de tout le processus dès le début, à moins de comprendre ce qu’était tout cela en principe, ce à quoi toutes ces ‘petites mesures’ […] devaient un jour mener, on ne voyait pas plus cela se développer de jour en jour qu’un fermier dans son champ ne voit le maïs pousser. Un jour, il est au-dessus de sa tête. […]

Dans la communauté universitaire, dans votre propre communauté, vous parlez en privé à vos collègues, dont certains ressentent certainement la même chose que vous ; mais que disent-ils ? Ils disent, “Ce n’est pas si grave” ou “Vous voyez des choses” ou “vous êtes un alarmiste.”

Et vous êtes un alarmiste. Vous dites que cela doit mener à cela, et vous ne pouvez pas le prouver. Ce sont les débuts, oui ; mais comment savez-vous avec certitude quand vous ne connaissez pas la fin, et comment savez-vous, ou même supposez-vous, la fin ? D’un côté, vos ennemis, la loi, le régime, le Parti, vous intimident. De l’autre, vos collègues vous traitent de pessimiste ou même de névrosé. Vous êtes laissé avec vos amis proches, qui sont, naturellement, des personnes qui ont toujours pensé comme vous.

Mais vos amis sont moins nombreux maintenant. Certains se sont éloignés quelque part ou se sont plongés dans leur travail. Vous ne voyez plus autant de personnes que vous voyiez lors des réunions ou des rassemblements. Les groupes informels deviennent plus petits ; la participation diminue dans les petites organisations, et les organisations elles-mêmes se flétrissent. Maintenant, dans de petits rassemblements de vos plus vieux amis, vous avez l’impression de parler à vous-mêmes, d’être isolés de la réalité des choses. Cela affaiblit encore plus votre confiance et sert de dissuasion supplémentaire à — à quoi ? Il devient de plus en plus clair que, si vous allez faire quelque chose, vous devez créer une occasion de le faire, et alors vous êtes évidemment un fauteur de troubles. Alors vous attendez, et vous attendez.

Mais l’occasion grande et choquante, où des dizaines ou des centaines ou des milliers de personnes se joindront à vous, n’arrive jamais. C’est la difficulté. Si le dernier et pire acte de tout le régime était venu immédiatement après le premier et le plus petit, des milliers, oui, des millions de personnes auraient été suffisamment choquées. […]

Soudain, tout s’effondre, tout à coup. Vous voyez ce que vous êtes, ce que vous avez fait, ou, plus précisément, ce que vous n’avez pas fait (car c’est tout ce qui était requis de la plupart d’entre nous : que nous ne fassions rien). Vous vous souvenez de ces premières réunions de votre département à l’université où, si quelqu’un s’était levé, d’autres se seraient levés, peut-être, mais personne ne s’est levé. Une petite affaire, une question d’embaucher cet homme ou cet autre, et vous avez embauché celui-ci plutôt que celui-là. Vous vous souvenez de tout maintenant, et votre cœur se brise. Trop tard. Vous êtes compromis au-delà de toute réparation. »

Posted on

Des Keybabs aux Cinque Stelle

les journées

     les journées distillent

⊗ le venin

     du renoncement

Jacques Roubaud, poète et mathématicien français, est décédé le 5 décembre 2024.

Projet de répartition des key-leurres, en dehors de toute instance collégiale. Document du 19 novembre 2024. Les noms des laboratoires ont été floutés par nos soins. Seuls 6% des directrices et directeurs de laboratoire soutiennent les « key-labs » (Source ADL).

C’est parce que les solstices se voudraient des temps suspendus qu’ils constituent des « fenêtres de tir » privilégiées pour les attaques de la bureaucratie contre l’Université et la recherche. L’attrition budgétaire programmée par la LPR, à laquelle nous avons consacré tant de billets, est désormais une évidence commune — au point que les managers de la démolition, bureaucrates de l’Udice, de France Universités ou des organismes nationaux de recherche (ONR) ont le culot de se camper en résistants. Mais l’accélération du programme de destruction de l’Université et de la recherche scientifique ne se donne encore à voir et à entendre que dans des petits cénacles. Redisons-le : l’achèvement du programme cohérent de bureaucratisation, de paupérisation et de dépossession initié il y a 20 ans s’attaque simultanément aux étudiants, aux ONR et aux universitaires. Cette semaine, M. Antoine Petit, président du CNRS, et Mme Sylvie Retailleau, ancienne ministre, ont explicitement articulé les trois derniers volets de ce programme :

Diapositive proposée par l’Hcéres en appui à nos enseignements — à moins qu’il ne s’agisse d’un apport. La bureaucratie managériale et le souverain grotesque (Trump, Milei…) sont deux formes duales de la terreur ubuesque, du pipikisme que Philip Roth définit comme cette « force anti-tragique qui transforme tout en farce, banalise et superficialise tout ». Pétition pour la suppression du Hcéres.

Lors de la convention des directrices et directeurs des unités, le jeudi 12 décembre, M. Petit a annoncé que 75% des unités de recherche seraient sacrifiées pour que 25% d’entre elles, appelées tantôt « keylabs », tantôt « cinq étoiles », retrouvent les moyens qu’elles avaient il y a quelques années — et en particulier leurs personnels de soutien à la recherche, ingénieurs, techniciens et administratifs (ITA). Le label ouvrant droit au soutien du CNRS, transformé en agence de moyens, sera attribué pour cinq ans — d’où l’enjeu du Hcéres : « Bien entendu, il n’est pas question que ces key labs forment un club fermé. » M. Petit a tenu à justifier le démantèlement : « Le CNRS a longtemps fait de l’aménagement du territoire, à la demande des communautés scientifiques et des universités et écoles, […] le CNRS a ainsi dilué son action et réduit sa plus-value. » M. Petit a détaillé les deux missions du CNRS devenu agence de moyens : « La première mission est d’animer et de coordonner les activités nationales de recherche dans plusieurs domaines scientifiques. Cela passe notamment par les infrastructures de recherche, les réseaux et groupements de recherche, les plates-formes scientifiques. […] La seconde grande mission du CNRS est d’opérer les unités de recherche. » Dans l’esprit de la bureaucratie, la recherche elle-même ne fait donc déjà plus partie des missions des organismes nationaux de recherche (ONR).

« La bêtise aime à gouverner. Lui arracher ses chances. Nous débuterons en ouvrant le feu sur ces villages du bon sens. »

René Char

Autre lieu. Même discours. Devant un parterre où aucun universitaire, aucun chercheur actif n’avait été convié, Mme Retailleau complétait la vision de M. Petit, au cours d’une séance d’auto-congratulation et d’appels du pied pour retrouver « son » ministère. Elle a souligné l’importance de l’impulsion donnée pendant son mandat à la transformation des ONR en agences de programmes « légitimées par des signatures interministérielles et par les acteurs [la bureaucratie, NDLR] eux-mêmes. […] Nous devons travailler en équipe de France. Les choses ont été posées. Si les acteurs [la bureaucratie, NDLR] veulent se prendre en main, ils ont ce qu’il faut, sauf contre-ordre d’un futur ministre. »

Mme Retailleau a par ailleurs synthétisé la manière dont, à bas bruit, la bureaucratie à été dotée des moyens d’absorber les personnels des organismes nationaux de recherche et de mettre fin aux statuts nationaux des enseignants-chercheurs et chercheurs : « Les acteurs [la bureaucratie, NDLR] ont ce qu’il faut. Commençons par confier, j’y étais prête, on l’avait discuté, les carrières et les postes au niveau de chaque opérateur. Les statuts des personnels chercheurs et enseignant-chercheurs doivent être discutés des deux côtés. Il faut absolument continuer la mise en œuvre de la LPR, […] qui doit être négociée en tenant compte de l’évolution des acteurs. Tout est posé, allez-y. […] Aujourd’hui, je crois que nous sommes à peu près le seul pays au monde à fonctionner avec les 192 heures devant les étudiants. » Mme Retailleau a appelé à supprimer les différences statutaires entre personnels des universités et des ONR au profit d’« un statut modulé. Ce processus est compliqué et il ne s’agit pas de le formaliser dans un tableau Excel ou des règles fixes. »

M. Germinet, directeur du pôle connaissance au Secrétariat général à l’investissement (SGPI), a cru bon d’ajouter, en écho : « Nous [la bureaucratie, NDLR] n’avons pas la main sur les carrières de tous les personnels, même si nous les payons. Cela reste un frein. Les chaires de professeur junior ont permis quelques avancées, mais cela reste limité. Tant que nous [la bureaucratie, NDLR] n’avons pas la main sur les ressources humaines et les carrières, nous restons bloqués. »

M. Rapp, président du jury Idex, lui aussi convié, a été plus direct encore : « en matière RH, les Idex et I-site pourraient être des premiers de cordée : sur l’évaluation régulière des E-C, la modification des cahiers des charges, pour tester l’abandon des 192 h. »

La bouillie provocatrice des lettres ouvertes du « Groupe Javier Milei » semble frappée d’obsolescence. Désormais, le discours de la bureaucratie constitue lui-même sa propre parodie. Missak et Mélinée Manouchian furent panthéonisés en pleine loi immigration ; dès lors, panthéoniser Marc Bloch pour le démantèlement de l’Université et de la recherche scientifique est pleinement cohérent.

 
La Venus de Milei — Interview de M. Philippe Aghion au Figaro : « Politiquement, je suis assez éloigné de Javier Milei, et j’ai beaucoup de désaccords avec lui. Mais il faut reconnaître qu’il a des résultats économiques et sociaux, et cela donne envie de s’intéresser à ce qu’il a fait. » Pauvreté endémique, effondrement de la production industrielle et naufrage scientifique. Obtenir en un an ce que les réformes théorisées par M. Aghion en 2004 ont produit en 20 ans en France est de nature à susciter l’admiration. Pétition : Investir dans la recherche et l’Université.
Posted on

Tirer le frein d’urgence

Ce billet se compose de trois parties. Dans la première, nous analysons les ballons d’essai sur l’enseignement supérieur et la recherche qui ont éclos ces dernières semaines dans la presse. Dans la deuxième, nous montrons que le curieux mouvement initié par les présidents d’université après la bataille ne fait que préparer les esprits à la réforme ultime : la dérégulation des frais d’inscription. Dans la troisième, nous rappelons l’invraisemblable gabegie d’argent public de la formation en alternance, argent qui fait défaut à l’Université.

« Comme ceux qui avoient part aux affaires n’avoient point de vertu, que leur ambition étoit irritée par le succès de celui qui avoit le plus osé, que l’esprit d’une faction n’étoit réprimé que par l’esprit d’une autre ; le gouvernement changeoit sans cesse ; le peuple étonné cherchoit la démocratie, & ne la trouvoit nulle part. »

Montesquieu, De l’esprit des lois.

Il devient urgent de poser les fondements d’un nouveau système d’Université et de recherche, reprenant l’idéal Humboldtien pour l’adapter aux crises que nos sociétés ont à juguler. Nous appelons la communauté académique à s’auto-saisir de l’organisation d’assises du supérieur et de la recherche, dès ce printemps. Nous vous invitons une nouvelle fois à signer la tribune-pétition demandant des moyens pour l’Université et la recherche en réformant CIR et formation en alternance,

https://rogueesr.fr/investir-recherche-universite/

et celle demandant la suppression du Hcérès,

https://rogueesr.fr/supprimons-le-hceres/

« Ce “quelque chose” qui est intervenu il y a une dizaine d’années, nous l’appellerons donc la “disparition des lucioles”. »

Pier Paolo Pasolini

Ballons d’essai

Le programme de transformation de l’Université et du système de recherche conçu il y a vingt ans, et baptisé « autonomie » par une antiphrase caractéristique du néo-management, se décline en quatre volets. L’autonomie administrative dote les universités d’un cadre juridique et d’un conseil d’administration inspirés des firmes de droit privé. L’autonomie de gestion des personnels place les universitaires sous la tutelle de la bureaucratie universitaire et remplace le statut national de fonctionnaires par des contrats locaux de droit privés. L’autonomie pédagogique soumet l’enseignement à la mise concurrence croisée des étudiants (principe de sélection) et des formations (marché éducatif). L’autonomie financière, enfin, substitue le financement privé des études (crédit étudiant ou financement par les familles) au financement par l’impôt. Après vingt ans de grignotage ininterrompu, il ne reste plus que trois mesures à mettre en œuvre pour boucler ce programme de bureaucratisation, de paupérisation et de dépossession destiné à promouvoir un secteur privé. Chacune a fait l’objet de ballons d’essais ces dernières semaines. 

(i) La dérégulation des statuts, la fin du statut de fonctionnaire et le recours systématique à la contractualisation. Le « volet RH » de la loi de programmation de la recherche (LPR) n’a fait qu’amorcer cette dérégulation. La fascination du camp présidentiel et en particulier de M. Kasbarian pour Elon Musk a relancé les attaques dans la presse contre le statut de fonctionnaire.

(ii) La suppression des organismes de recherche de sorte à placer leurs personnels sous la tutelle des universités. La volonté de transformer les organismes en « agences de moyens », grossièrement maquillées en « agences de programmes », ou la tribune récente appelant de facto à démanteler le CNRS, constituent de nouvelles tentatives de mener à bien cette mesure.

(iii) La dérégulation des frais d’inscription, réforme ultime, a fait l’objet d’un ballon d’essai du ministre, M. Hetzel, dans Les Échos. Elle constitue une réforme délicate de nature à enflammer la jeunesse étudiante, mais aussi à provoquer les effets délétères que l’on constate, par exemple, en Angleterre. Du point de vue des réformateurs, l’idéal serait que la communauté académique se mobilise pour demander elle-même cette mesure. Cela suppose tout d’abord de baisser abruptement les budgets en donnant l’illusion qu’il n’y a aucun autre moyen de financer la charge de service public universitaire. C’est très exactement le scénario auquel nous assistons depuis quelques jours.

« Avant que l’étincelle n’arrive à la dynamite, il faut couper la mèche qui brûle. »

Walter Benjamin, Avertisseur d’incendie, 1928.

La 25ème heure

Ce mardi, la communauté universitaire a été invitée à écouter retentir les alarmes incendie, pénétrée par le sentiment d’un authentique moment de vraie gravité et émue par la véritable mobilisation des présidents d’université. Le moment choisi par les associations de défense de la bureaucratie universitaire, France Universités et UDICE, est un symbole éloquent de leur résistance : à la 37ème minute de la 25ème heure précédant le test mensuel de ladite alarme. À onze heure et trente sept minutes pétantes.

De prime abord, la révolution des détecteurs de fumée n’a pas grand chose à envier aux applaudissements vespéraux dont les bourreaux de l’hôpital public gratifiaient les personnels de santé en mars et avril 2020. Mais si le lobby des bureaucrates tente d’enrôler les universitaires après la bataille, c’est que ces Lazare Carnot de l’alarme incendie ont un plan, que nous nous permettons de reproduire in extenso tant il force l’admiration :

« Si l’État refuse de prendre en compte ces revendications, les présidentes et présidents d’université n’auront d’autres choix que de :

  • baisser les capacités d’accueil sur Parcoursup et donc le nombre de places pour les futurs bacheliers,
  • fermer certains sites universitaires délocalisés,
  • réduire l’offre de formation,
  • revoir à la baisse, voire stopper la rénovation de son patrimoine immobilier,
  • diminuer le niveau de service, par exemple en réduisant le nombre de bibliothèques universitaires. »

La grève du zèle en somme, consistant à prendre en charge avec contrition la destruction de l’Université par attrition budgétaire programmée depuis 20 ans. Pourquoi ne pas avoir spécifiquement ciblé les disciplines de SHS honnies par l’Alt-Right pour affiner cette proposition de baisse des capacités d’accueil ? Pourquoi ne pas avoir pensé à offrir pour un euro symbolique les « sites universitaires délocalisés » à des officines privées de formation supérieure ? Pourquoi avoir omis de promettre de piétiner les franchises universitaires ?

Dans une tribune publiée fin octobre, en contre-feu de celle issue de la communauté académique, nos pompiers incendiaires menaçaient déjà « de supprimer de nombreux postes d’enseignants-chercheurs » et avaient dénoncé la « mise en cause des opportunités offertes aux universités pour obtenir de nouvelles ressources » comme les « contrats en apprentissage ». Une tribune au stade du Hetzel, en somme. Pour être juste, cette tribune contient bien d’autres choses plaisantes comme cette promesse de découvrir « de nouveaux dispositifs en cybersécurité et cyberdéfense », faite dans le temps même où l’université Paris-Saclay peinait à se relever de la cyberattaque perpétrée par un groupe de ransomware.

À quoi rime ce mouvement des résistants de la 25ème heure, lancé après l’examen par le parlement du projet de loi de finance ? Il frappe par sa cécité — volontaire ou non — devant les causes de la paupérisation délibérée de l’Université. Ainsi, la bureaucratie semble découvrir que les « Responsabilités et Compétences Élargies » n’avaient d’autre objet que de permettre à l’État de ne plus couvrir les dépenses par les subventions pour charge de service public. Elle découvre que la LPR est fondée sur un jeu de bonneteau avec les pensions de retraite, que nous avons analysé longuement alors que la bureaucratie universitaire s’esbaudissait devant cette paupérisation annoncée. Elle se refuse à dénoncer le pillage d’argent public par le Crédit d’Impôt Recherche et le financement public de l’alternance et de l’apprentissage — allant même jusqu’à en soutenir la reconduction.

Les managers d’établissements reçus en délégation au ministère n’ont pas compris ce que voulait leur faire entendre M. Hetzel lorsqu’il a eu la franchise de leur dire que pour Bercy, ils étaient « des punks à chien » (sic). Ainsi, l’un d’eux joue aux étonnés dans les colonnes du Monde: « Que met précisément le ministre derrière cette idée de revoir le modèle d’allocation des moyens ? ». Qu’il s’agisse de duplicité ou d’aveuglement, leur mouvement — dépourvu de toute analyse sur les 20 ans de réformes qui ont conduit au désastre actuel comme sur les moyens de reconstruire le système d’Université et de recherche — se résume à entraîner les universitaires à co-produire la réforme ultime : l’augmentation des frais d’inscription, qui sera présentée comme la solution à une crise que les bureaucraties persistent à vouloir réduire au budget. Avec cette augmentation des frais d’inscription, il ne s’agit pourtant pas d’un pis-aller, ni même d’une conséquence de ces réformes : elle en est l’aboutissement voulu et patiemment construit avec la complicité active de ceux qui aujourd’hui crient au loup.

« La liberté devient chétive et dérisoire, elle se réduit à la possibilité de préserver sa propre existence. L’humanité en est arrivée de nos jours au point où même les plus hauts postes de décision ne donnent plus de véritable joie à ceux qui les occupent parce que ceux-ci sont devenus en eux-mêmes les fonctions de leur propre fonction. »

Adorno, Leçons sur l’histoire et sur la liberté (1964-1965).

La gabegie de l’alternance

La politique de soutien à l’alternance a été initiée par M. Macron en 2017-2018, malgré l’opposition de Bercy. Elle a conduit à une augmentation du nombre d’apprentis de trois-cent-mille à un million en six ans au prix de prélèvements abyssaux dans les finances publiques et d’abus non régulés. La réforme de l’alternance a profité aux entreprises, qui trouvent dans les apprentis une main-d’œuvre bon marché: « ce contrat reste celui actuellement disponible sur le marché du travail dont le coût du travail est le plus faible » d’après l’OFCE. En particulier, la réforme permet aux entreprises, même florissantes, de s’offrir des diplômés à bas prix. Ainsi, 61,6% des entrées en apprentissage concernent désormais des étudiants préparant un diplôme d’études supérieures, alors qu’ils étaient minoritaires avant 2020. Les jeunes ni en emploi ni en formation (Neet) n’ont pas bénéficié de cette dynamique.

La dérégulation de l’alternance, auparavant gérée par les régions, a surtout profité aux centres de formation privés. Les fonds d’investissement ont tiré profit de cette situation, en se dotant d’organismes de formation permettant des taux de profit record, du fait de la générosité des subventions publiques. Ainsi, chez Galileo Global Education, l’employeur de Mme Pénicaud, ministre du travail au moment où fut votée la réforme de l’alternance (Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, LCAP 2018), un cadre rapporte que 20% seulement du financement d’une formation par le contribuable vont à l’enseignement. Un apprenti coûte environ 26 000 euros à l’État, soit deux fois plus que ce qui est consacré à chaque étudiant du supérieur, auquel il faut ajouter les subventions différées de la protection sociale. Les escroqueries sont légions : centres de formation virtuels, écoles pratiquant le surbooking, etc. Les garde-fous mis en place, comme la certification Qualiopi, sont insuffisants et facilement contournés. Les inspecteurs du travail, comme partout, sont en sous-effectifs.

France compétences (sic), l’organisme public gérant le budget de l’apprentissage, a vu son déficit se creuser, atteignant 5,9 milliards d’euros en 2022. L’État a dû renflouer les caisses à plusieurs reprises pour éviter la cessation de paiement. Les rapports de l’Inspection Générale des Finances et de la Cour des Comptes montrent que l’alternance a surtout permis d’arroser les entreprises d’argent public sans contrepartie, avec un effet limité sur l’accès à l’emploi. En somme l’alternance est l’homologue pour l’enseignement universitaire de ce qu’est le Crédit d’Impôt Recherche (7 milliards d’euros) pour la recherche scientifique. Le coût de l’aide aux entreprises embauchant des apprentis a été multiplié par 3,5 entre 2018 et 2024, atteignant environ 25 milliards d’euros par an. Ce calcul n’inclut pas certaines dépenses comme les cotisations de retraite, évaluées à 12 milliards d’euros par an.

Cette débauche d’argent public explique le succès du dispositif, avec 850 000 nouveaux contrats signés en 2023. Cependant, une grande partie de ces emplois sont attribuables à un effet de substitution, où des emplois classiques sont transformés en contrats d’apprentissage en raison de leur coût moindre pour l’employeur. Il faut également noter que l’apprentissage est pointé par plusieurs rapports comme principale source de la baisse de la productivité nationale. 

En plus du Crédit d’Impôt Recherche, il faut d’urgence réformer le financement public de l’alternance (20,4 milliards d’euros auxquels il faut ajouter 7,2 milliards d’euros d’apprentissage) et le réallouer au service public. Les économies budgétaires réalisables sur les aides directes aux actionnaires sont considérables : les CFA en société commerciales redistribuent 32,5% des excédents sous la forme de dividendes.

Elles permettraient facilement de sanctuariser le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche, dont la baisse programmée est de 1,3 milliards d’euros, une fois prise en compte l’inflation autour de 2,1%. La subvention pour charge de service public baisse de 430 millions d’euros alors qu’il manquait déjà 1 milliard d’euros de SCSP pour couvrir la masse salariale de l’ESR.

L’Université est sur la paille, c’est un fait. Nous n’en sortirons qu’en construisant un modèle alternatif à celui qui a conduit à 20 ans de décrochage scientifique, de précarisation, de paupérisation et d’insignifiance bureaucratique. Et non pas en cherchant refuge dans les feintes alertes ou la cécité volontaire.

https://rogueesr.fr/investir-recherche-universite/

Posted on

Un frémissement

« Comment serait-il possible […] d’empêcher la bureaucratie de devenir toute-puissante et présomptueuse ? Comment pourrait-on protéger les droits de l’individu et assurer un contrepoids démocratique au pouvoir de la bureaucratie ? »

Albert Einstein

Un frémissement

Chacun a gardé en mémoire l’élan puissant qui s’est fait jour au sein de la société, à l’amorce de l’été, pour refuser l’accession au pouvoir de l’extrême-droite et s’opposer à la poursuite d’une politique de prédation du bien commun par des intérêts privés. C’est sur cette impulsion qu’il nous faut construire pour imaginer des horizons florissants malgré le retour de bâton engendré par l’alliance entre droites et extrême-droite. On ne saurait parler encore de mouvement tant la situation provoque l’accablement, mais de frémissement, de frisson, de tremblement. 3500 signataires pour un texte d’une grande modération est loin d’être suffisant pour peser dans un débat public étouffé par les névroses identitaires et la haine de l’altérité. La question de l’avenir de notre société demeure devant nous.

https://rogueesr.fr/investir-recherche-universite/

Mais la revue Science s’en fait l’écho, le Times Higher Education rend compte du décrochage français, le président de l’Académie des Sciences, Alain Fischer, prend la parole, des lauréates et des lauréats de l’Institut Universitaire de France font entendre leur rejet de vingt ans de paupérisation et de reprise en main de l’Université. On peut prendre connaissance de leurs déclarations ici :
https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/201024/l-institut-universitaire-de-france-dit-son-opposition-au-ministre-patrick-hetzel

Frémissement, donc, quand la société étouffe des bruits de bottes et du silence des charentaises.

Nous relayons ci-dessous deux nouvelles initiatives en ce sens.

Sauvons les Beaux-Arts

Nombre d’établissements universitaires et hospitaliers ont connu ces fusions et ces restructurations managériales délétères, qui produisent partout bureaucratisation, perte de sens et dévitalisation. C’est aujourd’hui au tour des Beaux-Arts de connaître un projet de démantèlement, contre la volonté de sa communauté et de sa direction. Il s’inscrit dans une politique de normalisation et de diminution de l’enseignement artistique qui touche toutes les écoles d’art en France. Artistes, étudiants, enseignants se mobilisent sous forme d’une pétition ouverte à toutes les signatures :

https://rogueesr.fr/beauxarts/

Association Acadamia pour la transparence des contrats qui lient les établissements du supérieur aux intérêts privés

Les contrats de mécénat qui lient établissement d’enseignement supérieur et entreprises comportent souvent des clauses de non-dénigrement, ou la possibilité pour les grands groupes d’influer sur le choix des maquettes d’enseignements, des conférences et des thèses. Cette violation du principe d’autonomie de l’Université met notre système de formation et de recherche à la merci des marchands de doute, des désinformateurs et des « réinformateurs ». Une association de jeunes ingénieurs s’est constituée pour exiger la transparence des contrats qui lient les établissements du supérieur aux intérêts privés :

https://asso-acadamia.fr/campagne-mecenat/

Le journal Libération s’est fait l’écho de quelques-uns de ces contrats :

https://www.liberation.fr/societe/education/total-loreal-quand-des-multinationales-dictent-leur-loi-a-lenseignement-superieur-20241015_2Z7DMDKAY5ABNMZACYYHF6O62U/

Association pour la liberté académique (rappel)

L’association Alia compte déjà un nombre d’adhérentes et d’adhérents qui témoigne de l’importance prise par la liberté académique. Pour adhérer:

https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-liberte-academique/adhesions/adhesion-a-l-association-pour-la-liberte-academique-alia

Elle vous invite à apporter votre signature en soutien à l’adoption d’une charte pour la liberté académique dans le plus grand nombre d’établissements de recherche et d’enseignement supérieur :

https://liberte-academique.fr/soutenir-la-charte-pour-la-preservation-et-la-promotion-de-la-liberte-academique/

« Il n’y a que mon semblable, la compagne ou le compagnon, qui puisse m’éveiller de ma torpeur, déclencher la poésie, me lancer contre les limites du vieux désert afin que j’en triomphe. Aucun autre. Ni cieux, ni terre privilégiée, ni choses dont on tressaille. »

René Char, La bibliothèque est en feu

Analyse du projet de loi de finance 2025

Comme chaque année, nous avons analysé l’évolution des budgets de la recherche et de l’Université à partir des documents budgétaires, résumée par le graphique suivant :

Budget total de l’Université et de la recherche (programmes 150, 172 et 193) décomposé en trois parties : la charge de service public pour l’Université, la charge de service public pour la recherche et la part de budget transférée au privé ou à des institutions publiques. (A) Représentation sans compensation de l’inflation. (B) Représentation en euros de 2024, avec compensation de l’inflation (INSEE). (C) Budget de l’Université (programme 150) rapporté au nombre d’étudiants à l’Université, avec compensation de l’inflation (projections de la Banque de France).

En résumé : Depuis l’adoption de la loi de programmation de la recherche, les budgets pour l’Université et pour la recherche publique chutent rapidement, du fait de l’inflation. Cela se traduit par une poursuite de la baisse du budget par étudiant entamée depuis 15 ans. Le projet annuel de performances accélère son ambition de déclin rapide de la production scientifique française. La cible de production scientifique était de 1,3% de la production mondiale en 2023, de 1,2% en 2024. Elle est désormais de 0,9%. La cible de production scientifique était de 6,6% de la production européenne en 2023, de 6,2% en 2024. Elle est désormais de 5,2%. L’indicateur comparant la production scientifique française à celle de l’Allemagne et du Royaume-Uni a été supprimé. La haute fonction publique est donc consciente de ce que les réformes structurelles menées conduisent à un décrochage scientifique beaucoup plus rapide que la simple baisse des budgets — l’utilisation d’indicateurs quantitatifs ineptes n’enlève rien à ce constat.

Posted on

Le réel quelquefois désaltère l’espérance

« Le réel quelquefois désaltère l’espérance. C’est pourquoi, contre toute attente, l’espérance survit. »

René Char

Une charte pour défendre la liberté académique

L’Association pour la Liberté Académique (ALIA) vient d’achever sa phase de constitution en association autonome. Nous souhaitons aider cette association qui naît, en appelant à l’adhésion massive des universitaires, des chercheuses et des chercheurs, quel que soit leur statut, et en relayant le formulaire d’adhésion.

L’Association pour la Liberté Académique propose une charte (à télécharger ici) qui pose les principes de la liberté académique et appelle les établissements d’enseignement supérieur et les organismes de recherche à l’adopter et à s’engager ainsi à préserver et promouvoir institutionnellement la liberté académique. ALIA invite les collègues de la communauté d’enseignement et de recherche à apporter leur signature pour soutenir l’adoption de cette charte dans le plus grand nombre d’établissements.

« Plus nous serons nombreux et nombreuses à demander la protection et la promotion de la liberté académique, plus cet enjeu apparaîtra comme une priorité dont les établissements d’enseignement supérieur et de recherche doivent s’emparer. » écrit le Conseil d’administration d’Alia.

De fait, on ne saurait prendre l’enjeu à la légère tant les menaces sont devenues quotidiennes.

« Une nourriture indispensable à l’âme humaine est la liberté. La liberté, au sens concret du mot, consiste dans une possibilité de choix. Il s’agit, bien entendu, d’une possibilité réelle. Partout où il y a vie commune, il est inévitable que des règles, imposées par l’utilité commune, limitent le choix. »

Simone Weil

Investir dans la recherche et l’Université, pour juguler le décrochage économique, scientifique et technique

Nous sommes 3 500 universitaires, chercheuses et chercheurs, déjà, à avoir signé une tribune pour rouvrir l’horizon de notre société, en nous donnant les conditions nécessaires à juguler les crises démocratique, climatique, sociale, économique, donc en investissant aujourd’hui dans le savoir et ses institutions : l’École, l’Université, la recherche scientifique. Transformée en pétition, la tribune est ouverte à la signature de toutes et tous.

« L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme. »

Victor Hugo

Défendre l’École, l’Université, la recherche (premier volet)

L’examen du projet de loi de finances pour 2025 constitue l’occasion de renouer avec le débat démocratique autour de deux visions antagonistes de la société. Le redressement des finances publiques rend nécessaire un effort de 60 milliards d‘euros, qui correspond exactement aux baisses annuelles d’impôts accordées aux plus aisés depuis 7 ans. Les plus fervents défenseurs du chef de l’État s’accordent désormais sur le fait que la politique de l’offre théorisée par la « Macronomics » — mot valise construit par analogie à Reaganomics — a échoué à relancer l’activité économique. Nous avons donc le choix entre préserver des mesures fiscales en faveur des plus riches, après qu’elles ont échoué dans leurs promesses, garantir le niveau des dividendes et couper les budgets de la santé, de l’éducation, de la recherche, ou renouer avec un investissement dans des communs qui permettent de rouvrir des horizons florissants. Nous invitons chaque laboratoire, chaque UFR, chaque département, chaque conseil central à prendre position sur les choix budgétaires.

Deux points nous semblent cruciaux à défendre :

  • Les budgets de l’Université et de la recherche doivent être sanctuarisés, ce qui suppose qu’ils soient réévalués d’au moins le montant de l’inflation — ce qui n’est plus le cas depuis la loi de programmation de la recherche (LPR).

  • Les subventions pour charge de service public des établissements d’enseignement supérieur doivent au moins suivre les évolutions de la masse salariale.

Quelques propositions de réforme du crédit d’impôt recherche (CIR) permettant de compléter les financements de la recherche, de l’Université, de l’École publique, et plus généralement des services publics :

  • Le CIR doit être conditionné à l’embauche de docteurs pour une durée supérieure à celle de la période d’essai, en contrat à durée indéterminée (CDI).

  • Le CIR doit être conditionné au paiement d’impôts sur les sociétés (aujourd’hui, les crédits d’impôts sont reportables pendant 3 ans, en cas de non imposition).

  • Réduction du plafond de subventions des dépenses de 100 millions d’euros à 25 millions d’euros pour préserver les petites et moyennes entreprises.

  • Faire du CIR un levier par un plafond de subvention plus élevé pour les recherches et développement autour des énergies décarbonées, de la prévention, de la souveraineté sanitaire, etc.

Nous développerons dans un second volet des propositions de réformes de la formation en alternance (20,4 milliards d’euros auxquels il faut ajouter 7,2 milliards d’euros d’apprentissage) et de la formation des enseignants.

N.B. Cette troisième brève n’engage en aucune manière, ni les signataires de la tribune dont RogueESR est hébergeur, ni les adhérents de l’association Alia.

« Le verbe Résister doit toujours se conjuguer au présent. »

Lucie Aubrac

Posted on

L’hallali

« Aux branches claires des tilleuls
Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent parmi les groseilles.
Que notre sang rie en nos veines,
Voici s’enchevêtrer les vignes
. »

Arthur Rimbaud, Bannières de mai

« Neuf fois au nom de Cassandre
Je vais prendre
Neuf fois du vin du flacon
Afin de neuf fois le boire
En mémoire
Des neuf lettres de son nom.
 »

Pierre de Ronsard

Le gouvernement porté au pouvoir par l’alliance entre l’extrême-droite et les droites managériale et néoconservatrice a présenté un projet de loi de finance comportant un plan d’austérité de 40 milliards d’euros ainsi que 20 milliards de hausses d’impôts, à comparer aux 62 milliards d’euros de baisses annuelles des 7 dernières années, selon la Cour des comptes. Les aides publiques aux entreprises se sont envolées pendant la même période pour atteindre 200 milliards d’euros environ (entre 140 et 223 milliards d’euros selon le périmètre choisi). Ce plan d’austérité de 2% du PIB — le montant est comparable à celui qui fut imposé à la Grèce en mars 2010 — laisse augurer une possible récession en 2025.

Graphique produit par les services ministériels visant à masquer l’ampleur des coupes budgétaires programmées pour compenser la croissance rapide des aides publiques aux entreprises.

Pour l’enseignement supérieur et la recherche, la baisse graduelle de budget programmée par la LPR (loi Vidal de 2020) s’accentue. Le plafond d’emplois subit une baisse vertigineuse de 4900 postes. Pour frapper les esprits, le nombre de postes attribués à la « recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables » a été divisé par deux. Le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche baisse de 1,3 milliards d’euros , une fois prise en compte l’inflation autour de 2,1%. La subvention pour charge de service public (SCSP) isole la part du budget qui finance le bien commun plutôt que le secteur privé. Elle représente 25 milliards d’euros des 40 milliards d’euros du budget de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Cette subvention pour charge de service public baisse de 430 millions d’euros. En 2024, déjà, il manquait 1 milliard d’euros de SCSP pour couvrir la masse salariale de l’ESR, dont 900 millions d’euros pour les seules universités…

Différence entre les subventions pour charge de service public (SCSP) et la masse salariale, qui comprend les rémunérations des fonctionnaires et des contractuels (données 2024 temporaires). Source.

« Il vaut mieux pomper même s’il ne se passe rien que de risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas. »

Proverbe Shadok

Posted on

Barnum post-démocratique

C’est un événement suffisamment rare pour être salué : une nouvelle association nationale a vu le jour pour défendre la liberté académique et travailler à une vision renouvelée de l’Université et de la recherche, ALIA, l’Association pour la LIberté académique. Vous pouvez y adhérer ici. Nous lui souhaitons de beaux succès.

« Le racisme est la pire plaie de l’humanité. Il triomphe quand on laisse le fascisme prendre le pouvoir. »

Lucie Aubrac

Nous reviendrons dans de prochains billets sur les questions propres à l’Université et la recherche, et en particulier sur les conséquences de l’austérité budgétaire qui s’aggrave. Nous consacrons ce billet à deux questions dont on verra qu’elles éclairent aussi la nature de la nouvelle bureaucratie du supérieur. Pourquoi l’alliance entre la minorité présidentielle et l’extrême-droite était-elle si évidente que nous l’avions anticipée dans chacun de nos billets récents ? En quoi la bascule dans la post-démocratie est-elle directement liée à la situation économique ?

« En France, au scrutin des élections, il se forme des produits politico-chimiques où les lois des affinités sont renversées. »

Honoré de Balzac

Les élections législatives ont montré le très fort rejet de la politique économique et sociale menée par la droite managériale et le rejet tout aussi fort de l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite national-identitaire. Pourtant, après d’autres pays européens, c’est au tour de la France de voir une coalition entre les néolibéraux et l’extrême-droite, par l’entremise des néoconservateurs, arriver au pouvoir — s’en emparer, plutôt. Ce n’est pas une surprise ; avant les élections, nous avions analysé les logiques de situation qui poussaient à une alliance de gouvernement entre l’extrême-droite et la minorité présidentielle :

Étonner la catastrophe

Il n’y a pas un mot à changer. La presse internationale a unanimement souligné la gravité de l’effondrement moral et démocratique qui a eu lieu pendant l’été : l’illibéralisme de M. Macron a parachevé la bascule vers la post-démocratie. On qualifie de post-démocratique un régime qui obéit aux caractéristiques suivantes : (i) la subsistance d’élections qui se traduisent institutionnellement par des politiques contraires à la volonté majoritairement exprimée ; (ii) des violations répétées de l’État de droit et de la séparation des pouvoirs, et un piétinement des libertés publiques ; (iii) l’effondrement de tout espace public de délibération et de pensée au profit d’un brouillard de confusion et de désillusion généré par manipulation médiatique directe et par diffusion des sottises incohérentes produites en retour.

« La France est un pays qui adore changer de gouvernement à condition que ce soit toujours le même. »

Honoré de Balzac

Si M. Macron a refoulé le vote antifasciste de son électorat, c’est avant tout en raison de la situation macro-économique. L’Express rapporte ainsi ses propos : « Si je la nomme, elle ou un représentant du NFP, ils abrogeront la réforme des retraites, ils augmenteront le Smic à 1 600 €, les marchés financiers paniqueront et la France plongera. […] Une crise à la Liz Truss. » Cette phrase formule clairement la thèse selon laquelle les marchés financiers dicteraient les résultats admissibles des élections. Si le président de la République se soumet à l’emprise de l’extrême-droite, c’est, explique-t-il, parce qu’il n’est qu’exécutant (subordinate) d’une politique économique décidée par « les marchés financiers » qui deviennent, comme la religion autrefois, les instances de légitimation d’un pouvoir technocratique. C’est donc une forme de suffrage censitaire qui fait son retour, conférant à la période un parfum de Directoire que renforcent l’autoritarisme et l’usage d’un discours fondé sur la modération et sur le brouillage des repères politiques. Le président de la République se mettant en scène comme DRH de la nation auditionnant des candidats à Matignon, avant de prendre sa décision — à l’exact opposé du vote populaire — en offre une illustration saisissante. S’il contrevient aux mœurs, procédures et usages des démocraties libérales, c’est paradoxalement, nous dit-il, parce qu’il est frappé d’impuissance. Dès lors que l’État est placé au service et sous le contrôle du marché, le président de la République ne gouverne pas : il fait l’acteur. Soulignons que Mme Truss a été portée au pouvoir par une alliance entre libertariens, néoconservateurs et néofascistes, et en a été chassée par « les marchés financiers » après qu’elle a annoncé la suppression sans compensation de l’impôt sur la fortune, le creusement de la dette en conséquence et des coupes drastiques dans le budget de la sécurité sociale. Toute ressemblance…

« La démocratie, c’est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité : c’est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire, c’est un code moral. »

Pierre Mendès France

Le curieux alignement des sociétés occidentales qui voient arriver au pouvoir, les unes après les autres, des alliances entre néolibéraux et extrême-droite, est donc le fruit de la situation macro-économique. Le rapport Draghi sur la compétitivité européenne, fraîchement paru, analyse précisément les tendances lourdes du capitalisme contemporain : ralentissement des taux de croissance et affaissement des gains de productivité. Si cette longue dépression se fait sentir aux États-Unis et en Chine, c’est en Europe et en particulier en France que la situation se dégrade dangereusement. Dans un « jeu » à somme nulle, ou presque, la distribution des dividendes mondiaux a atteint un nouveau record, en hausse de 8% en un an — 6% en compensant les effets de change. Le taux de rendement des capitaux est largement supérieur au maigre taux de croissance de la production de richesses, ce qui induit une politique d’appauvrissement des salariés et de démolition des programmes sociaux. Les « marchés financiers » exigent des managers d’État qu’ils mènent des politiques de dérisquage de l’investissement : les États, mis en concurrence, se doivent de garantir le taux de rendement du capital par des aides directes aux entreprises (entre 160 et 200 milliards d’euros selon les critères retenus) et des mesures de défiscalisation des hauts revenus. Les réformes structurelles qu’ont exigé ces mêmes « marchés financiers » depuis des décennies n’ont pas produit la croissance promise par le dogme économique qui les a justifiées : la fiction obscurantiste du « ruissellement ». Nos sociétés sont entrées dans un infernal cercle d’autophagie : plus la polycrise démocratique, climatique, sociale et économique s’amplifie, plus le système qui la provoque s’en nourrit. Aussi les batailles à venir visent-elles à préserver le bien commun de l’emprise du marché : impôt sur la fortune, suppression des niches fiscales et des aides directes de l’État à l’actionnariat d’entreprise et défense d’un système de retraite public. Comment ne pas voir, en effet, dans la retraite par capitalisation, le symbole d’une société autophage, les salariés participant au travers des fonds de pension à la dévoration de leurs propres existences ?

« Si l’homme parfois ne fermait pas souverainement les yeux, il finirait par ne plus voir ce qui vaut d’être regardé. »

René Char

Nul doute que l’année d’instabilité institutionnelle et d’austérité qui s’annonce sera ponctuée de surprises artificielles, de trahisons, de rumeurs et de mises en scènes distillées en feuilleton par le Barnum médiatique. Il est plus que jamais nécessaire de nous soustraire à ce spectacle hypnotique et déplorable pour contrecarrer l’effondrement moral de la société et ouvrir un avenir qui ne soit pas désespérant pour les jeunes générations. L’Université a un rôle primordial à jouer pour réinstituer un espace public de pensée, de confrontation et de critique réciproque. Les campus doivent devenir des lieux ouverts, polycentriques, opérant en réseau, où s’élaborent les moyens de juguler la polycrise et où se réinvente une démocratie débarrassée des oripeaux monarchiques.

« Tout est fini. Ce pays n’existe plus… Et, enfin, comme il faut bien faire quelque chose, même quand il n’y a plus rien à faire, je suis des vôtres. »

Pierre Brossolette

Posted on

En attendant Gogo

« Vladimir (triomphant) — C’est Godot ! Enfin !
(Il embrasse Estragon avec effusion.)

Gogo ! C’est Godot ! Nous sommes sauvés ! »

« Vladimir.— Ceci devient vraiment insignifiant.
Estragon.— Pas encore assez.
»

Samuel Beckett, En attendant Godot

Jamais le sens de notre métier n’a été aussi évident, dans ce flottement généralisé. Nous vous souhaitons une bonne rentrée et vous invitons à participer au baromètre de l’ESR 2024. Il concerne tous les personnels de l’ESR, tous statuts, secteurs, disciplines, et métiers confondus et nécessite moins de 10 minutes.

Face au désarroi qui gagne une partie des authentiques progressistes, le Groupe Javier Milei a décidé de se reformer pour reprendre la plume dans la plaie et porter un message fort, empli d’optimisme et de détermination, aux antipodes du défaitisme ambiant.

N’ayons pas peur des mots : les élections législatives du mois de juillet ont été la fastueuse cérémonie d’ouverture d’une olympiade politique telle que la France n’en a plus connu depuis les Bonaparte. Après une course indécise, M. Emmanuel Macron a glorieusement remporté la médaille d’or de l’épreuve de saut d’obstacle disruptif, battant par son implacable « Finishing Lean To Win » son seul concurrent digne, l’ami et compañero Javier Milei. Quel sportsmanship, quelle élégance dans leur virile accolade à la veille de la compétition ! Voilà la concurrence telle que nous la voulons : sauvage avec les agneaux, mais reconnaissant les mérites des autres grands fauves. En queue de groupe, M. Donald Trump est passé totalement à côté de son rendez-vous, après avoir empilé les contre-performances depuis sa tentative de record du monde du Capitole. M. Emmanuel Macron, lui, a électrisé les foules, mis le feu disruptif au Stade Suprême en balançant sa grenade dégoupillée dans les jambes.

Les universitaires auront sans mal reconnu la clé du succès de ces législatives : tant il est vrai que l’Université fut un laboratoire de cet ordre nouveau où les élections produisent des instances collégiales fragmentées et ingouvernables autrement que par un rassemblement d’intérêts bien compris, loin des vaines illusions programmatiques et des promesses électorales d’un autre temps. Après le Hcéres, la DGRI et la DGESIP, dont la pratique dérégulée d’une gouvernance intérimaire permanente fait florès, voici maintenant que c’est l’Assemblée Nationale qui se met à l’école de Paris-Saclay, ce vaisseau amiral de l’excellence managériale : la démocratie disruptée accouche du règne sans partage du Cercle de la Raison. La haute administration peut enfin renoncer aux fausses pudeurs des chambres d’enregistrement. L’authentique démocratie parvient à l’excellence politique sur le marché des idées, non par de stériles engagements publics, mais par un libre jeu des intérêts qui transcende toute éthique individuelle ; la vraie politique, c’est la conduite scientifique de l’émergence d’un ordre spontané qui sublime la perfection; le seul programme possible, c’est l’optimum du marché. On comprend dès lors que la question de la coalition se règle d’elle-même, et que les esprits ne soient plus occupés que par cette seule question: Qui ? Quel manager vertueux ? Quel maquignon pour Matignon ? C’est ici, hélas, que des idées fausses, la confusion, la peur de la nouveauté peut-être, engendrent des erreurs de jugement et plongent le pays dans le désarroi.

Il ne s’agit aucunement pour le Souverain, de consentir à une cohabitation — tout au plus à une sous-location. D’aucuns semblent vouloir se laisser tenter par un Moscovici, un Migaud, un Beaudet, un Cazeneuve — il est vrai que, malgré ses convictions menchéviques, M. Cazeneuve n’a pas démérité pour se faire accepter des gens raisonnables comme M. Ciotti, notamment par le doigté dont il a su faire preuve dans l’affaire de Sivens. Name dropping sans substance: ces nominés exhalent un tel parfum de vieux monde ! Il faut donc voir ailleurs. Mme Valérie Pécresse est régulièrement citée, elle aussi, dans ce feuilleton qui nous tient en haleine. Nous gardons au cœur la mémoire de ce que nous lui devons. Les preuves d’amour dont elle nous a gratifiés ne seront jamais oubliées. Mais le feu sacré de la réforme a depuis longtemps quitté cette conservatrice chiraco-versaillaise, qui ne fut révolutionnaire que sous l’impulsion de la commission Attali-Macron. Alors qui ? Qui ?

Nous le savons: nombre de nos amis souhaitent ardemment la nomination de M. Martin Hirsch à la tête d’un gouvernement technique. Par son action sans concession comme bed manager in chief des Hôpitaux de Paris, l’ancien sous-ministre de Nicolas Sarkozy a en effet montré toutes ses capacités de leadership humain : nous y voyons, comme beaucoup, la marque de son long engagement dans le premier cercle dirigeant d’Emmaüs. Ne mérite-t-il pas lui aussi un droit au logement ? Mais M. Hirsch est aujourd’hui accaparé par sa tâche d’expansion de l’enseignement supérieur privé lucratif, une œuvre indispensable pour sauver les prochaines générations de l’emprise du marxisme culturel transcosmopolite et de la science sans conscience.

Victime de l’injuste intervention de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique, Mme Frédérique Vidal, flamboyante pionnière de la modernité disruptive, a été empêchée de suivre la même voie. A toute chose, malheur est bon : la pasionaria des instances paralysées, ange noir du management injustement déchue, est la candidate idéale pour Matignon. La première, elle sut concevoir que la première richesse de la formation, ce sont les frais d’inscription. La première, elle sut affirmer que la démocratisation, c’est la sélection, que le véritable internationalisme passe par la discrimination, qu’une bonne programmation pluriannuelle de la recherche se doit de n’être ni pluriannuelle, ni programmatique, mais d’opérer d’une main qui ne tremble jamais les coupes indispensables dans les budgets des temples de l’islamo-gauchisme et de l’anti-France. La première, elle sut dire que la solidarité, c’est la prédation, que la liberté académique, c’est le juste contrôle des pensées déviantes. Cette prophétesse de la symbiose bolsonaro-progressiste incarne depuis 2017 la vérité politique de notre camp, telle qu’elle trouve enfin à s’exprimer. Madame Vidal, pour vous, il n’y aura ni liste d’attente ni procédure complémentaire : c’est dès aujourd’hui que nous nous rallions à votre panache rutilant pour conduire la nation vers un avenir authentiquement darwinien.

Comme le déclarait ce grand apôtre de la liberté, Augusto Pinochet, « La démocratie porte en elle le germe de sa propre destruction. Un proverbe dit que « la démocratie doit de temps en temps se baigner dans le sang pour pouvoir continuer à être une démocratie ». Heureusement, ce n’est pas notre cas. Il n’y a eu que quelques gouttes. »

VIVA LA LIBERTAD, CARAJO.

Groupe Javier Milei

Posted on

Dire le vrai ne suffit pas, il faut dire le juste

« Le fascisme, c’est le mépris. Inversement, toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme. »

Albert Camus, L’Homme révolté, 1951

« Dire le vrai ne suffit pas, il faut dire le juste. »

Germaine Tillion, À la recherche du vrai et du juste, 2001

Passé le soulagement d’un soir, ne subsiste que l’immensité de la tâche à accomplir pour transformer quelques mois de sursis en une bifurcation historique qui éloigne durablement le spectre d’un gouvernement d’extrême-droite et rouvre l’horizon d’une aube démocrate.

Les travaux de sociologie politique montrent que le vote national-identitaire procède de la conjonction de plusieurs mécanismes : le racisme et sa politisation par la « préférence nationale » et le droit du sang ; la hantise du déclassement, conséquence directe de l’extension du marché et de la mise en concurrence à l’intégralité de la vie sociale ; la rhétorique dévoyées des « privilégiés » qui oppose un peuple autochtone désireux de vivre correctement du fruit de son labeur d’un côté aux élites intellectuelles et économiques et de l’autre aux « immigrés » et aux « assistés » supposés détourner à leur profit ce qui reste d’État providence ; le désir de préserver un mode de vie ou un « entre-soi ». Cette conjonction est favorisée par la reprise des thèmes et des éléments de langage de l’extrême-droite par une large partie de la classe politique, et par la sphère médiatique, notamment par des groupes possédés par des entrepreneurs politiques ; cette reprise, enfin, est elle-même facilitée par le soutien des franges libertariennes et néo-conservatrices des milieux d’affaire. Derrière l’émergence d’une extrême-droite hybride entre néolibéralisme autoritaire et suprémacisme national-identitaire dans l’ensemble des pays occidentaux, il y a de fait l’érosion tendancielle de la croissance et, en même temps, l’accroissement aux forceps du taux de profit : « France now has […] an unusually dominant billionaire class whose total wealth is equal to 22 per cent of GDP, ahead of even the US », résume ainsi le Financial Times

La minorité présidentielle porte ainsi une responsabilité écrasante dans la transition du FN/RN de 7 députés en 2021 à 143 aujourd’hui. Le pouvoir sortant s’est engagé dans une dérive illibérale interminable, au point d’avoir, le premier, noué une « coalition de projet » avec Mme Le Pen, en décembre dernier, pour faire adopter sa loi sur l’asile et l’immigration ; l’artisan de cet accord s’appelait… M. Ciotti. L’exigence de l’heure est donc de congédier « tous ces hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que de la honte » (V. Hugo) et leur monde fait d’arrangements sordides, de concessions à la xénophobie et de démagogie médiatique. Les rapports de force dans le futur hémicycle mettront du temps à devenir lisibles. Une chose est sûre, toutefois : le Parlement ne suffira pas à la tâche, et la société civile — associations, organisations non gouvernementales, syndicats, collectifs — doit prendre une part active à l’institution d’une démocratie propre à juguler la polycrise qui lamine nos existences. La Vème République est morte honteusement, au détour d’une manœuvre tactique du prétendu « maître des horloges ». Rendre un avenir à notre société impose d’en passer par un nouveau moment constituant et, sauf en pensée magique, la Constituante n’émergera pas spontanément d’un parlement ingouvernable issu de la décomposition d’un régime césariste.

Cette intervention directe de la société civile n’est donc pas une simple conséquence de l’impasse arithmétique d’une Assemblée divisée en trois blocs d’importance analogue. Elle vient de plus loin, de la faillite même de la monarchie élective sur laquelle se fondait la Vème République. Chaque élection abîme un peu plus notre société. L’abandon de toute forme d’attachement à la vérité par les prétendants au pouvoir conduit à ce que candidats et électeurs s’entre-déchirent, dans un spectacle navrant que la raison pousse à fuir. Les élections ne sont plus un moment d’expression et de résolution des contradictions qui habitent notre société, mais un moment de surdité et d’intensification de ces contradictions, dont la majorité des citoyens sort plus frustrée et inquiète qu’elle n’y est entrée. Une élection qui se joue sur les plateaux de MM. Drahi et Bolloré ne saurait offrir la délibération démocratique nécessaire à sortir de la société de l’insignifiance et à nous bâtir un avenir commun. La démocratie ne sera réinstituée que si la société civile organisée s’attèle à ce travail.

Les fronts sont multiples. Il y a urgence à défasciser la sphère médiatique, en s’inspirant des ordonnances de 1944 conçues par le Conseil national de la résistance (CNR) et en commençant par le renouvellement des fréquences TNT par l’Arcom. Place de la République hier soir, dans la douceur de ce bref soulagement, des slogans chantés par la jeunesse le disaient déjà : « Casse-toi Hanouna », « Bolloré la TNT c’est pas à toi ».

Il y a urgence aussi à ce que les organisations du mouvement démocratique, écologique et social interpellent les élus de centre-gauche pour empêcher la poursuite de la destruction de la société. Parce que l’École, de la maternelle à l’Université, est le lieu d’apprentissage de la citoyenneté et de la tolérance mais aussi parce qu’elle est devenue un lieu de mise en concurrence délétère, nous devons nous atteler à sa refondation. 

Le rôle de l’Université est primordial dans la construction d’un horizon démocratique pour les vingt ans à venir, condition sine qua non pour sortir notre société de l’ornière et bannir le fantôme du fascisme. Parce que la post-vérité trumpienne, la confusion et le bruit des bots ont envahi l’espace public, l’autonomie de la recherche vis-à-vis des pouvoirs politiques, économiques et religieux compte parmi les urgences. Cela impose que nous défendions la même conception exigeante de la liberté académique, et que nous nous engagions pour disposer des moyens institutionnels, statutaires et financiers pour la faire vivre. Cette défense de l’idéal universitaire signifie aussi, pour nous, un devoir et une responsabilité envers la jeunesse.

Il y a quatre ans, nous étions plus de 7 000 à signer :

« Il y a une affinité profonde entre le temps long de la science, son ancrage dans l’expérience et la controverse savantes, et l’exercice de la démocratie, impliquant la délibération et l’attention à l’expérience ordinaire des citoyens. »

« Le corollaire de l’autonomie du monde savant est son engagement sur un principe : sa responsabilité vis-à-vis de la société. L’usage politique, technique et industriel des travaux scientifiques doit se décider dans un cadre pluraliste et démocratique, en accord avec l’intérêt commun. Cela suppose de réinstituer l’Université comme lieu de formation des citoyens à une pensée autonome et aux savoirs critiques, et comme lieu de production et de transmission au plus grand nombre de connaissances scientifiques et techniques. Le métier de scientifique ne consiste pas à aménager la crise ou climatiser l’enfer, ni à bâillonner la démocratie au nom du savoir expert. »

« Nous devons à la jeunesse un horizon élargi, un avenir à nouveau ouvert. »

https://rogueesr.fr/retrouver-prise/

Quelles contributions concrètes pouvons-nous apporter à cet effort ?  Il est au moins un thème politique se situant au point d’articulation de la crise démocratique, sociale, économique et écologique : l’aménagement du territoire. Le prendre à bras-le-corps nécessite de tourner la page du bonapartisme et mettre à bas le mythe des métropoles intelligentes en concurrence avec les villes-mondes des autres pays de l’OCDE, qui contribue directement à offrir à l’extrême-droite les territoires relégués au rang d’arrière-pays paupérisé, vivier de travailleurs précaires et de salariés déclassés, où la jeunesse n’a pas d’avenir. Or la politique de différenciation territoriale des établissements universitaires est un aspect fondamental de cet aménagement à contresens, porteur de misère et de frustration. Cela signifie qu’il nous faut tourner la page des programmes de bureaucratisation et de concentration métropolitaine de l’Université conçus par M. Aghion et M. Cohen en 2004 puis par M. Merindol en 2012. Nous avons assez dit combien ces réformes ont érodé la liberté académique, provoqué le décrochage scientifique du pays et étendu le règne de l’insignifiance managériale ; mais elles ont aussi, et peut-être surtout, contribué à la montée du sentiment de déclassement de la jeunesse, dont se nourrit l’extrême-droite. 

Mais l’aménagement du territoire est aussi un enjeu pour la construction d’une société post-carbonée. Le réchauffement climatique implique de relocaliser la production de biens agricoles et manufacturés, conformes aux besoins de la population, au plus près de leur utilisation. Investir dans l’aménagement du territoire est à même de réunir un large consensus, incluant ce qui reste du centre-droit démocratique, dont les derniers bastions sont souvent dans des circonscriptions rurales et périurbaines.

Il nous faut donc édifier un système d’Université et de recherche scientifique qui ait du sens, et soit adapté à la société que nous devons construire. Nous l’avons déjà souligné à maintes reprises : rouvrir l’avenir du pays impose de réorganiser l’Université selon un modèle polycentrique. 

Cela passe par la construction de cinq ou six universités expérimentales, qui doivent être disséminées dans des villes moyennes voire des petites villes, en privilégiant des régions jusqu’à présent lésées par les politiques d’aménagement du territoire. Elles y réinsuffleront la vie tout en offrant à la recherche et à l’enseignement des perspectives inédites d’invention collégiale et d’intégration dans le tissu urbain, à l’image de ce qu’ont su faire non seulement l’université expérimentale de Vincennes mais surtout un grand nombre d’universités étrangères, sises dans des communes moyennes. Loin des collèges universitaires de proximité, il s’agit d’instituer des établissements nouveaux, humboldtiens, ouverts aux salariés non-bacheliers, où se pratique une recherche exigeante et audacieuse, appuyée sur la réalité mille fois démontrée : la recherche progresse quand elle s’organise en un réseau souple d’unités de taille intermédiaires et non sur quelques fleurons réputés d’excellence.

L’Université peut-elle rester en-dehors du grand mouvement constituant sans lequel le sursaut ne serait qu’un sursis ? Comment pourrait-on imaginer que l’institution vouée au débat rationnel, argumenté et contradictoire ne soit pas partie prenante de la reconstruction d’une démocratie effective, contre le règne du bavardage, de la post-vérité et du repli sur soi ? Il nous revient de faire œuvre d’imagination et de liberté pour redonner un avenir à notre société, pour retrouver prise sur nos vies.