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L’espoir d’un renouveau pour les sciences, l’Université et la recherche

L’objet de ce billet est un appel à signer la tribune parue dans Le Monde daté du 16 avril et intitulée L’espoir d’un renouveau pour les sciences, l’Université et la recherche, dont vous trouverez le texte ci-dessous.

Le « Projet de loi de simplification de la vie économique », porté par l’alliance entre droites et extrême-droite, s’inspire directement des dérégulations opérées par les administrations Milei et Trump : la tronçonneuse autoritaire au nom de la simplification. C’est à cette aune qu’il faut comprendre l’ardeur du Rassemblement National à contribuer à cette loi en supprimant, dès l’article 1, toujours plus de comités consultatifs et d’organismes de régulation. Par un curieux paradoxe, cette fureur musko-trumpiste a conduit aussi l’extrême-droite à voter la suppression de ce qui serait son meilleur outil pour caporaliser l’université, une fois arrivée au pouvoir : le Hcéres. Cette erreur d’appréciation repose sans doute sur le fait que ce jour-là ses députés n’avait d’attention que pour leur propre opération de déstabilisation du travail parlementaire en collusion avec le magazine suprémaciste Frontières.

Le ministre et ses alliés se sont engouffrés dans cette brèche pour présenter le Hcéres en rempart exclusif de la liberté académique contre un pouvoir d’extrême-droite : cette liberté constitutionnelle, à les écouter, ne serait garantie que par un comité Théodule — pourtant renversable par un simple amendement. Le ministre n’a sans doute pas d’autre but, dans sa communication de crise, que d’essayer de trianguler l’adversaire en reprenant les catégories et les concepts qui articulent l’indignation du monde universitaire : la liberté académique, l’autonomie nécessaire aux universitaires et aux scientifiques, la défense des sciences comme bien commun et comme pilier de la démocratie. Cet emploi des mots pour leur faire dire le contraire de ce qu’ils signifient normalement est une tactique sémantique éculée destinée à faire obstacle à la compréhension. Son usage indique en creux une terrible vérité : le Hcéres n’a rien d’un contre-pouvoir. Il est au contraire la clé de voûte du contrôle politique déployé depuis vingt ans, et c’est lui qui expose l’Université et la recherche aux menées d’une future domination de l’extrême-droite. Difficile en tout cas d’imaginer aveu plus clair de l’état réel de la liberté académique : démunie, assujettie à la bureaucratie, et in fine, dans la main des financeurs quels qu’ils soient.

Le Hcéres, ou ce qu’il en reste, ne saurait être une protection face à l’extrême-droite. Reconstruire des défenses efficaces est donc une urgence : la responsabilité démocratique du monde savant dépend aujourd’hui de sa capacité à se réinventer. Le parlement ayant détruit le miroir aux alouettes d’une institution indépendante et protectrice, cette reconstruction de la liberté académique et des sciences comme bien commun, nécessaire et urgente, devient enfin possible. C’est le sens de l’appel paru dans le journal Le Monde. Le Ministre, M. Baptiste, aurait souhaité nous répondre par une tribune en regard.

Nous sommes plus de 4 400, déjà, à avoir signé cette tribune. Nous vous invitons également à la signer et à la partager avec les collègues de votre entourage.

Donnons-nous rendez-vous dès le retour des vacances de printemps pour définir le calendrier et les modalités du travail de réinstitution devant mener à un changement de cap et une vision renouvelée pour l’Université et la recherche.

« Le Haut Conseil de l’évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur étant devenu irréformable, il fallait le supprimer »

Dans une tribune au Monde, un collectif de plus de 3 000 praticiens de la communauté académique salue la suppression du Haut Conseil de l’évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, et y voit l’espoir d’un renouveau pour les sciences, l’Université et la recherche.

Répondant à un souhait très largement exprimé par les universitaires et les chercheurs, les députés ont validé la suppression du Haut Conseil de l’évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (Hcéres) après des années de paupérisation, de bureaucratisation, dans le cadre du « Projet de loi de simplification de la vie économique ». Les missions de l’université et de la recherche scientifique supposent de démêler deux notions confondues sous le vocable d’« évaluation » : l’évaluation des enseignements et des travaux scientifiques et l’évaluation des politiques publiques.

L’évaluation des travaux scientifiques fait partie du quotidien des chercheuses et des chercheurs. Le régime de vérité scientifique, fondé sur la preuve et sur la critique mutuelle, suppose d’être à l’abri des pressions de tous ordres. Par la nature même de leur activité, universitaires et chercheurs doivent disposer d’une autonomie vis-à-vis des pouvoirs politiques, économiques et religieux. C’est la raison pour laquelle les laboratoires et les formations doivent être évalués par des chercheurs et des universitaires en activité, selon des normes propres à l’Université et la recherche.

L’évaluation des politiques publiques ou des décisions prises par les présidences des établissements est destinée quant à elle à apporter aux parlementaires et aux citoyens une information transparente et objective, afin d’améliorer la qualité globale du service public. Pour des raisons démocratiques, cette évaluation ne doit pas être soumise au pouvoir politique, ni directement — par le ministère — ni indirectement — par le Hcéres ou toute autre instance dont l’indépendance ne serait que de façade. C’est le sens judicieux de l’obligation européenne d’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche par une autorité indépendante.

Or, le Hcéres, dont la direction est souvent proche du pouvoir exécutif, est très directement lié au pouvoir politique. Cette dépendance en a fait l’outil central d’un projet bureaucratique plus global de « gouvernement par agences » qui a entraîné déclin scientifique et technique, aggravé l’échec des politiques de réussite et d’insertion, et favorisé l’essor d’un secteur privé lucratif de qualité médiocre échappant à toute évaluation publique.

La faillite politique et morale du Hcéres est confirmée par la Cour des comptes, qui souligne la lourdeur et l’utilité « marginale » de ses rapports, tout en déplorant l’absence de « réel effort de maîtrise de ses dépenses » — rappelons que le budget annuel du Hcéres était de 24 millions d’euros pour 2024. Le Hcéres a multiplié les procédures opaques, chronophages, et parfois absurdes, utilisant des indicateurs contraires aux normes scientifiques et universitaires. Les tentatives de simplification et de rationalisation de cette institution ont précipité la catastrophe de la « vague E », ruinant sa réputation et sa légitimité auprès des universitaires et du grand public. En plus d’avoir réécrit les avis des évaluateurs, la direction du Hcéres a donné à voir toute l’injustice des critères d’accréditation des formations : taux d’insertion professionnelle trop bas des jeunes dans les territoires défavorisés, taux de poursuite trop élevé des études au sortir d’IUT, impossibilité pour la philosophie d’entrer dans les normes bureaucratiques ubuesques de l’agence d’évaluation, entre autres. Aucun de ces critères ne reflète la qualité de l’enseignement dispensé, mais seulement la conséquence de situations géographiques particulières, de spécificités disciplinaires ou de réformes incohérentes. Le Hcéres étant devenu irréformable, inutile pour les uns et nuisible pour les autres, il fallait le supprimer.

Le ministre lui-même ne croit plus au Hcéres : preuve en est l’annonce, le 8 avril, du projet de soumettre la totalité des subventions des établissements d’enseignement supérieur et de recherche à la signature d’un contrat d’objectifs, de moyens et de performances (COMP) avec l’État. Au contraire de répondre au besoin pressant de financements pérennes du travail académique, ces COMP conditionnent les budgets à l’arbitraire d’objectifs chiffrés, tels que le taux de diplomation en trois ans, l’insertion professionnelle à 12 mois ou, pourquoi pas, le nombre de publications scientifiques. En phase d’austérité, il s’agit d’un projet de soumission illibérale de l’université et de la recherche à des priorités gouvernementales pouvant varier arbitrairement, édictées en tout cas sans débat ni transparence. Pire encore, les COMP retournent contre les formations et les laboratoires les manquements de l’action publique et l’inconséquence des choix politiques gouvernementaux. Cette réforme parachève l’inféodation de l’Université et de la recherche au pouvoir politique. Cette nouvelle atteinte au principe d’autonomie et à la liberté académique est particulièrement inquiétante dans un contexte international marqué par les attaques menées par Elon Musk et Donald Trump contre les sciences et la démocratie.

La suppression du Hcéres n’est pas un saut dans l’inconnu : elle ouvre au contraire la voie à la reconstruction des normes probatoires mises à mal, mais aussi à un débat démocratique sur le rôle de l’université et de la recherche dans l’espace politique. Mieux, elle porte l’espoir de tourner la page de vingt ans de paupérisation et de promotion d’une « excellence » auto-proclamée et anachronique, dont il est vérifiable qu’elle n’a porté aucun fruit. Il faut en finir aussi bien avec l’inertie institutionnelle qu’avec le corset technocratique imposé par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il suffit pour cela de prolonger toutes les accréditations actuelles de deux ans et de profiter de ce délai de latence pour construire, en s’appuyant sur l’expérience de la communauté, un nouveau système collégial de probation académique, ainsi qu’un dispositif transparent de contrôle des politiques scientifiques et universitaires. C’est à ces seules conditions que la France pourra, enfin, instaurer la liberté et la responsabilité de la recherche et de l’Université.

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Fin des keylabs et des programmes européens

Ce billet comprend deux brèves : l’abandon officiel des keylabs et l’annonce gouvernementale à venir, clinquante et vide, en récupération de Stand Up for Science. Il est suivi d’une information exclusive qui nous est parvenue en « tombé du camion » de la part de hauts fonctionnaires du ministère, inquiets du tournant annoncé de la politique européenne de recherche.

« Les ailes ne sont liberté que lorsqu’on les déploie pour voler.
Repliées sur le dos, elles ne sont qu’un fardeau.
»

Marina Tsvetaieva

Abandon officiel des keylabs

Cela reste fragile encore, mais depuis quelques mois, la communauté scientifique et universitaire réapprend à dire nous. La nécessité d’un investissement dans l’Université et la recherche, le démantèlement par paliers des organismes nationaux de recherche, les menées bureaucratiques du Hcéres, la liberté académique et la solidarité internationale en matière scientifique et universitaire ont donné lieu à d’amples engagements transpartisans, après des années de traversée du désert. Pour la première fois depuis des décennies, nous assistons à un largage de lest et à des témoignages d’anxiété du cabinet ministériel devant une communauté académique unie.

Premier signe, le projet de keylabs est abandonné : il n’y aura pas de label déclassant les trois quarts des unités de recherche pour inciter au regroupement des personnels CNRS au sein des universités de recherche. Aucune vision renouvelée n’a évidemment émergé de ce recul, qui tournerait la page de 21 ans de bureaucratisation, de paupérisation et de décrochage. Ainsi, en lieu place du label, il est question désormais de trajectoire discutée avec chaque laboratoire pour produire le même effet. Le programme conçu en 2004 demeure inchangé : mettre fin au statut de fonctionnaire, regrouper les meilleurs chercheurs et universitaires sous contrat dans les universités de recherche, démanteler les organismes nationaux de recherche pour en faire des agences de programmes au service du secteur privé, et déréguler les frais d’inscription.

Second signe, le ministère semble pris de panique devant la possibilité d’une suppression du Hcéres, après le scandale des évaluations caviardées de la vague E. En témoignent la frénésie des changement de procédures, des argumentaires d’autolégitimation et des communiqués des bureaucrates de France Universités qui deviennent difficilement distinguables de leurs parodies du Groupe Javier Milei.

Troisième signe de nervosité, la ministre de la Culture a interdit aux médiateurs scientifiques d’Universcience de contribuer à la seconde journée de Stand Up for Science pendant que le ministre de l’Intérieur faisait fermer Jussieu et envoyait 1500 CRS à la manifestation parisienne, le cortège nourri d’étudiantes et d’étudiants se faisant molester pour quelques fumigènes et une Tesla en carton.

Le printemps, déjà là, reste fragile encore.

« L’air maintenant, parfois, semble porter,
                             tremblante, une charge invisible.
Mais nous, il faut que nous nous contentions
                           du visible ; si grand que soit notre désir,
                                                      d’atteindre, derrière les jours et la vie,
Jusqu’à ce souffle imprégné de retour. »

Rainer Maria Rilke

Une poignée de chaires en guise de solidarité

La communauté scientifique et universitaire a témoigné de sa solidarité avec les collègues aux États-Unis et partout où la liberté académique est menacée ou inexistante.

https://rogueesr.fr/in-solidarity/

Les attaques de MM. Trump, Thiel, Vance et Musk contre les universités et les organismes de recherche et de régulation appellent un arsenal de mesures concrètes que le réseau Stand Up for Science a commencé de recenser dans son manifeste :

https://standupforscience.fr/tribune/

Alors que le programme PAUSE a été amputé de 60% de ses moyens, l’obsession de la bureaucratie universitaire et du ministère semble être de promouvoir le système des chaires contractuelles, dépourvues de protections statutaires, en prétendant « attirer les meilleurs talents » des États-Unis. Or, ces chaires sont notoirement dépourvues de l’attractivité que tente de leur conférer les récupérateurs de Stand Up for Science. Le bilan du programme clinquant « Make Our Planet Great Again » parle de lui même :

https://www.makeourplanetgreatagain.fr/

43 contrats principalement acceptés par des Français ou des Européens, pour 30 millions d’euros. Par comparaison, la baisse budgétaire et les annulations de crédits des mois derniers s’élèvent à 3,1 Milliards d’euros, soit 100 fois plus. Les collègues travaillant aux États-Unis ne rêvent pas d’une chaire sous-payée en France, sans moyen pour travailler, et soumis à une bureaucratie proliférante. Peut-être serait-il sage de leur demander comment nous pouvons concrètement aider à la résistance… En tout état de cause, pour aider l’écosystème scientifique mondial, il faut investir dans la recherche et l’Université et réinstituer le système pour affronter les grandes crises planétaires :

https://rogueesr.fr/investir-recherche-universite/


« La vieille Europe ; elle ne revivra jamais : La jeune Europe offre-t-elle plus de chances ? »

François René de Chateaubriand

 

Un tournant de la politique européenne de recherche

La presse s’est fait l’écho du récent rapport sur la compétitivité de l’Union Européenne rédigé par un groupe d’experts que présidait Mario Draghi : ce rapport pointait du doigt la faiblesse et l’inefficacité des politiques européennes de soutien à l’économie réelle et le sous-investissement dans l’enseignement supérieur, la recherche et ce qu’il nomme « l’innovation ». Ce rapport s’insérait dans une série de trois. Le premier rapport de l’année 2024, coordonné par Enrico Letta, portait sur l’approfondissement du marché unique européen. Le troisième, dit rapport Heitor, portait plus spécifiquement sur l’avenir du Framework Programme for Research and Technological Development au-delà de la période actuelle, 2021-2027. Ce « FP9 » est plus connu sous son nom publicitaire, Horizon Europe. Le « FP8 » s’appelait lui « Horizon 2020 » ou H2020. Comprendre cette architecture des trois rapports permet d’anticiper ce qui va suivre : l’avenir du programme-cadre pour la recherche, Horizon Europe, est entièrement subordonné à la politique d’innovation industrielle de l’Union Européenne dans un contexte de tensions économiques et commerciales qui étaient déjà critiques avant la mise en place des barrières douanières de M. Trump aux États-Unis.

L’actuel plan budgétaire pluriannuel de l’UE arrive à échéance fin 2027. Les rapports de force politiques complexes qu’implique l’élaboration de ces budgets font que la négociation du programme suivant commence, les États membres abattant peu à peu leurs cartes, tandis que la Commission a déjà transmis ses propres plans. Porter l’état actuel des discussions à la connaissance de la communauté permettra d’éclairer certaines annonces récentes, à commencer par la déclaration de M. Macron réclamant un accueil de scientifiques états-uniens sur les fonds de l’ERC et du Programme Marie Curie, c’est-à-dire sur les fonds du FP9 : dans deux ans et demi, ces fonds arriveront à échéance. Or en l’état actuel des négociations, tout suggère qu’il n’y aura pas de FP10 et que ces programmes sont menacés dans leur existence même, ceci avec l’aval du gouvernement français.

La Commission dirigée par Mme von der Leyen demande que le budget de l’UE soit dorénavant divisé en trois grands blocs, contre sept actuellement. Le premier serait un bloc « programmes de cohésion et programmes décentralisés » dont les deux principaux piliers seraient les fonds structurels et de développement régional, et la politique agricole commune. Le deuxième, un « fonds de compétitivité » intégré, fonctionnant comme un guichet unique et censé répondre aux demandes du rapport Draghi en encourageant une économie des soft skills (théorie du capital humain) adossée aux doctrines schumpétériennes de croissance par l’innovation. Le troisième bloc serait la politique extérieure et de défense de l’Union Européenne, avec une nette augmentation des budgets de défense et d’armement. Pour la Commission, le programme-cadre pour la recherche doit faire partie des outils à supprimer et à fondre dans le grand « guichet unique pour la compétitivité », dans un sous-pôle « innovation ». Le programme-cadre pour les formations supérieures, Erasmus+, est absent des discussions mais au moins pour son volet de soutien direct aux formations, son sort semble avoir été scellé : il rejoindrait selon toute vraisemblance un pôle « développement d’une économie des soft skills » du fonds de compétitivité. 

Certains États membres renâclent à sacrifier ainsi l’enseignement supérieur et la recherche à la politique économique. Mais hormis l’Espagne, il s’agit essentiellement de petits États. La France n’a pas encore formellement notifié sa position, en raison de l’instabilité politique de la fin 2024. Toutefois, les arbitrages essentiels ont été rendus. Les directions générales des organismes nationaux de recherche ainsi que lobby de l’Udice ont certes réussi à convaincre le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche de plaider pour le maintien des programmes « d’excellence » de l’ERC via un FP10 autonome, mais la rue Descartes ne pèse pas grand chose face à Bercy, qui s’est positionné pour la mise en place d’un fonds de compétitivité dont les deux priorités seraient la « recherche collaborative » (l’euphémisme consacré pour parler de la mise à disposition du secteur privé des infrastructures de recherche publique) et la « recherche duale » (c’est-à-dire civilo-militaire). Plusieurs inspirateurs de la politique du gouvernement, notamment MM. Tirole et Aghion, soutiennent cette position de principe. De l’aveu d’un représentant du Groupe de Coimbra, l’équivalent européen de l’Udice, le FP10 « n’est sans doute plus sauvable ». 

La discussion se déplace maintenant sur deux questions : celle des cinq à six thématiques retenues pour le sous-programme « recherche et innovation » du fonds de compétitivité, et celle de « la gouvernance du fonds ». La France demandera que les thématiques retenues soient celles mises en avant par M. Macron il y a quelques mois : intelligence artificielle, énergie, valorisation et commercialisation des biotechnologies, quantique, espace. 

Quant à la « gouvernance », c’est-à-dire l’éventuel maintien de sous-programmes-cadres sous le chapeau du « fonds de compétitivité », des documents préparatoires tombés du camion le mois dernier suggèrent que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a renoncé à maintenir un programme-cadre global pour la recherche mais va tenter de satisfaire l’Udice et la direction des organismes de recherche en demandant de sauver quelques bribes de l’ERC et du programme Marie Curie.

Pour cela, le ministère s’est replié sur une position intermédiaire dans l’espoir de rallier quelques soutiens supplémentaires (dont potentiellement M. Aghion) : la Commission ne serait « pas équipée pour gérer un tel fonds » qui devrait donc être divisé en « opérations » ; afin de « ne pas arrêter le pipeline de la recherche », la France demanderait qu’une de ces opérations soit consacrée à « l’excellence en recherche fondamentale » avec comme objectif d’ « attirer les meilleurs talents internationaux ». C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’opération de récupération de Stand Up For Science par la bureaucratie de l’Udice, du CNRS et du ministère : Bercy renâclant encore à appuyer cette demande de préservation d’un fragment de politique scientifique indépendante des intérêts industriels, la bureaucratie de la recherche tente de poser des faits accomplis en profitant de l’aubaine trumpienne.

Ce jeu de bonneteau ne doit pas masquer les éléments objectifs de similitude avec la situation états-unienne, ou au moins argentine : Bercy, c’est-à-dire la France, va bel et bien demander que le gros des fonds de la politique scientifique soit fléchés vers le complexe militaro-industriel et que les politiques de soutien à la recherche se concentrent sur quatre ou cinq thèmes valorisables et commercialisables. Si le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche n’obtient pas quelques concessions, la panique qui gagne l’Udice ou le CNRS nous vaudra probablement une tribune en défense de l’ERC, comme ce fut le cas jadis en défense de l’ANR, du Hcéres ou de la LPR. Nous nous permettrons d’y voir la preuve par le fait de ce que chacun subodore depuis des années : il n’y a que des perdants au « jeu » de la différenciation et de l’excellence, et les « acteurs » qui croient sauver leur statut en « jouant le jeu » se retrouveront demain gros-jean comme devant.

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Il existe un printemps inouï

« Il existe un printemps inouï éparpillé parmi les saisons et jusque sous les aisselles de la mort. »

René Char

Brèves

Séminaire Politique des sciences

La prochaine séance du séminaire Politique des sciences sera consacrée à la manière dont les outils numériques sont utilisés à des fins de contrôle et de surveillance, et aux manières de se protéger pour préserver effectivement les libertés publiques, qu’elles soient professionnelles, individuelles ou collectives.

Séminaire Politique des sciences
Olivier Ricou — Auto-défense numérique
Vendredi 4 avril 2025, 16h-18h, salle R-202,
Département de sciences, 48 Bd Jourdan 75014 Paris 

Entrée libre dans la limite des places disponibles — celles et ceux qui maîtrisent les outils de protection numériques sont particulièrement bienvenus pour le temps de discussion-formation. Pré-inscription demandée aux personnes extérieures à l’ENS-PSL à Po_des_Sciences@proton.me  (afin de fournir la liste des invités à la loge).

Le séminaire sera retransmis en direct sur Zoom :

https://u-paris.zoom.us/j/86927788520?pwd=ILPEh3afXXU6x901Ezxx4cDhr3obDR.1

et sur la chaîne Youtube :

https://www.youtube.com/@politiquedessciences7602

Communiqué de presse sur la suppression du Hcéres

Le 25 mars 2025, les députés ont adopté en commission un amendement supprimant le Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (Hcéres) dans le cadre du projet de loi sur « la simplification de la vie économique ». Une adoption en séance, le 8 avril 2025, marquerait une rupture avec vingt ans de bureaucratisation de l’enseignement supérieur et de la recherche. Retrouvez notre communiqué de presse sur la suppression du Hcéres :

https://rogueesr.fr/pourquoi-la-suppression-du-hceres-est-elle-necessaire/

Stand Up for Science

Le 3 avril, une nouvelle journée de mobilisation nationale Stand Up for Science est organisée. Vous trouverez des informations ainsi que la liste des événements prévus dans les centres universitaires et académiques de France sur le site :

https://standupforscience.fr/la-journee-du-3-avril/

« The very word “war”, therefore, has become misleading. It would probably be accurate to say that by becoming continuous war has ceased to exist. […] A peace that was truly permanent would be the same as a permanent war. This […] is the inner meaning of the Party slogan: War is Peace. »

George Orwell, Nineteen Eighty-Four

Le Groupe Javier Milei se lève pour la science

Nous le devons à notre histoire, à notre souveraineté, à notre compétitivité : nous, du groupe Javier Milei, soutenons en véritables progressistes le programme Stand Up for Science proposé par le Hcéres, l’Udice et la présidence du CNRS, en faveur d’une authentique charité bien ordonnée avec les vrais scientifiques états-uniens. Quelques esprits chagrins du wokisme jugeront qu’il est bien tard pour soutenir des marches ayant eu lieu il y a bientôt un mois. Les avancées du retournement temporel à ordinateur quantique piloté par I.A. n’ont manifestement pas encore irrigué la paire de neurones du cortex paléo-arriéré des partisans de la secte sociologiste. Ne nous crispons pas, la tronçonneuse génétique palliera bientôt ce problème qui affecte la compétitivité cognitive de l’hexagone.

Les disrupteurs schumpétériens que sont Elon Musk et Peter Thiel offrent à la France une vraie belle opportunité : inséré dans un mercato dynamisé, le brain drain des meilleurs P.I. des USA permettra d’essaimer une innovation réticulaire agile et transnationale. Les meilleures pratiques s’en trouveront accélérées, telle une navette SpaceX à propulsion bionique. 

Voir les anciens protecteurs du professeur Raoult se placer à la pointe de ce mouvement ne manquera pas de rassurer celles et ceux qui partagent notre attachement au dépassement des cadres, à l’audace politique, et à une conception révolutionnaire de l’intégrité scientifique. Nul doute que la nouvelle diaspora états-unienne trépigne d’impatience à l’idée de rejoindre les riants campus bétonnés des universités françaises, justement dotées en proportion de leur rayonnement et gouvernées avec un esprit de libéralité et de collégialité légendaire. Grâce à l’accueil des winners de Californie, nous aurons enfin notre Silicon Valley à la française, en attendant d’avoir, à notre tour, notre Musk. 

Le recours à l’ERC aurait sans doute permis de rallier au projet Giorgia Meloni, Geert Wilders et Victor Orban. Mais puisque l’Union européenne tarde à se mobiliser, nos espoirs reposent sur notre DOGE à la française : le Hcéres, qui est véritablement le vaisseau amiral de l’excellence hexagonale dans tous les domaines de la politique scientifique. Nous devons pratiquer une solidarité internationale servant d’abord notre compétitivité ; nous devons mener le combat pour la survie des plus forts dans l’intérêt même des plus faibles. Qui mieux que la nouvelle gouvernance du Hcéres saura mener cette lutte pour le véritable progrès ?

C’est un impératif de justice qui nous anime quand nous demandons ainsi à la France de n’accueillir que les superstars américaines préretraitées : l’exigence de l’heure, c’est de développer une culture darwinienne au bénéfice de chacune et chacun ; c’est de guider la sélection naturelle au profit de ceux qu’elle élimine. La confiance se nourrit de la compétition, la solidarité n’existe que par la guerre de tous contre tous, et la science se renforce en s’épurant. Alors debout, les damnés de la terre ! Debout pour l’authentique liberté, debout pour la vraie science : debout pour la compétitivité et l’excellence. 

¡Viva la libertad, carajo!

Groupe Javier Milei

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Tribune et calendrier de Stand Up for Science

Dans ce billet, nous relayons une tribune ouverte à la signature issue du réseau Stand Up for Science.

Calendrier

Jeudi 27 mars : manifestations à l’appel de l’intersyndicale pour la défense du service public d’enseignement supérieur et de recherche.

Jeudi 3 avril : deuxième journée de Stand Up for Science, tournée vers les campus et vers les citoyennes et les citoyens.

Fin mai : assemblée instituante / agora polycentrique sur les sciences, la recherche, l’enseignement, l’Université.

Juin : troisième journée de Stand Up for Science, avec pour but d’élargir le mouvement et d’initier une solidarité internationale

Il est essentiel d’obtenir des conseils centraux des universités des journées banalisées pour les évènements de Stand Up for Science.

« Le printemps est venu : comment, nul ne l’a su. »

Antonio Machado

Stand Up for Science

L’arrivée au pouvoir aux États-Unis de la coalition emmenée par Trump, Musk et Thiel a rompu l’abattement du milieu universitaire et scientifique français. Le succès de la journée du 7 mars témoigne d’un élan de solidarité avec les collègues aux États-Unis, mais aussi d’une prise de conscience sur la fragilité de notre système après 21 ans de paupérisation, de bureaucratisation et de précarisation qui ont conduit au décrochage.

Les outils de contrôle utilisés par les techno-fascistes du DOGE pour assujettir universités et agences de régulation sont exactement ceux mis en place ici : contractualisation, financement par projet, contrôle bureaucratique de type Hcérès, plateformes numériques, etc. La mobilisation du 7 mars, massive en France, témoigne de la solidité de la tradition de contestation civile dans notre pays. Si nous nous sommes mis debout, c’est que nous savons encore le faire. Mais l mouvement Stand Up for Science a deux dimensions nouvelles : il est horizontal, polycentrique, confédéral, chaque ville ayant une coordination autonome ; d’autre part, il s’agit d’un mouvement pluriel animé par un attachement fort à l’idéal démocratique et aux sciences comme bien commun — toutes les sciences, en incluant les disciplines du sens.

Nous appelons à signer massivement la tribune du réseau Stand Up for Science parue dans le journal Libération, qui sert de manifeste :

https://standupforscience.fr/tribune

Vous en trouverez également le texte en fin de billet. Une signature solidaire importante de la communauté académique permettra d’obtenir une couverture médiatique puis de faire signer le texte beaucoup plus largement au sein de la société — à commencer par les étudiantes et les étudiants. L’objectif de la tribune est d’abord de proposer des moyens d’aider à la résistance aux USA : nous ne pouvons abandonner une génération d’étudiantes et d’étudiants sans socle intellectuel et devons trouver tous les moyens d’aider les universités à tenir tête et maintenir l’accès aux formations universitaires ; nous ne pouvons laisser détruire des programmes de recherche fondamentaux à l’échelle planétaire. Par ailleurs, il est devenu évident pour l’ensemble de la communauté académique que notre système, abîmé par 25 ans de bureaucratie managériale, doit être intégralement réinstitué à partir de nos pratiques, des crises que la société doit affronter et des mutations géopolitiques.

« La pensée originale pose/crée des figures autres, fait être comme figure ce qui jusqu’alors ne pouvait pas l’être – et cela ne peut pas aller sans un déchirement du fond existant, de l’horizon donné, et sa recréation. »

Cornelius Castoriadis, Les Carrefours du Labyrinthe I

Tribune du réseau Stand Up for Science — Quelles résistances déployer face aux crises planétaires et à l’attaque des sciences comme savoirs communs ?

Depuis son retour au pouvoir, Donald Trump mène une offensive éclair d’une ampleur inédite contre les institutions démocratiques et les sciences. En combinant censure idéologique, prise de contrôle et destruction des données et des systèmes informatiques, suppression de financements, purges, intimidation voire terreur, l’Université et la recherche scientifique sont violemment attaquées. L’usage de termes comme « changement climatique », « historiquement », « minorités », « racisme » ou « femme » suffit à provoquer l’arrêt d’un programme de recherche, tandis que les agences fédérales subissent des coupes budgétaires violentes et délétères, entraînant des milliers de licenciements. En parallèle, la répression s’intensifie avec des menaces directes contre un grand nombre de scientifiques, d’universitaires, d’étudiantes et d’étudiants mais aussi contre des journalistes, des juges, des avocats, parce que les faits qu’ils mettent en évidence gênent les intérêts économiques ou contreviennent aux croyances du pouvoir et de ses soutiens, ou simplement parce qu’étrangers. Ces événements, dont on observe les analogues dans de nombreux pays autoritaires, nous rappellent l’extrême fragilité de la liberté académique lorsqu’elle n’est pas garantie par des statuts, la pérennité des financements et des protections effectives contre les ingérences des pouvoirs politique, économique et religieux.

La journée Stand Up for Science du 7 mars a donné lieu à une mobilisation citoyenne et scientifique inédite pour témoigner de la solidarité avec les universitaires aux États-Unis, en Argentine et ailleurs. Il s’agit désormais d’aider concrètement les résistances, de mettre en œuvre les moyens effectifs de ces solidarités, mais aussi de constituer et de rendre viable un écosystème scientifique et universitaire mondial. La France, qui pourrait apparaître comme un refuge, est en réalité frappée par des coupes budgétaires qui s’accumulent depuis plus de 20 ans, menaçant la viabilité de son propre système. Une fois l’inflation prise en compte, le dernier budget pour l’enseignement supérieur et la recherche a baissé de 1,5 milliard d’euros, tandis que 1,6 milliard d’euros de crédits ont été annulés pour 2024 et 2025. La précarisation s’est installée comme une norme : non seulement les jeunes scientifiques peinent à trouver des perspectives de carrière mais les statuts des scientifiques et universitaires titulaires sont eux aussi menacés. Avec son budget public fortement raboté cette année, le programme Pause ne pourra financer l’accueil que de 70 scientifiques et artistes exilés contre 170 en 2024. Enfin, si la France ne connaît pas aujourd’hui une offensive obscurantiste de l’ampleur de celle menée aux États-Unis, nul ne peut ignorer que l’Université et la recherche y font l’objet d’attaques : accusation du monde universitaire d’avoir “cassé la République en deux”, atteintes contre la liberté académique, violation du principe millénaire de franchise universitaire, droits de scolarité dissuasifs pour les étudiants étrangers hors UE, appels à démanteler le CNRS, l’office français de la biodiversité (OFB) ou l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et dégradation matérielle d’instituts de recherche comme INRAE. En clair, ni la France ni l’Europe ne sont actuellement les havres d’épanouissement scientifique et universitaire dont la société a pourtant besoin pour affronter les crises démocratique, économique, sanitaire, climatique et environnementale.

Être à la hauteur de ce moment de bascule planétaire ne peut consister à usurper le nom de « Stand Up For Science » pour accueillir une poignée de « stars » sur des contrats aux noms prestigieux — « chaires d’excellence » — reproduisant ainsi la gestion de la pénurie par la mise en compétition des scientifiques. Comme si, face à la crise climatique, on choisissait d’envoyer quelques élus sur Mars plutôt que de préserver les conditions de vie sur Terre. Accueillir des scientifiques menacés en exil est une nécessité, mais il faut commencer par appuyer tous les mouvements de résistance sur place. C’est la protection effective de l’écosystème scientifique mondial qu’il faut mettre en œuvre. Cela nécessite de réaffirmer certaines de ses valeurs fondamentales, à commencer par un attachement philosophique et politique à la vérité. Cela suppose également un ensemble de transformations visant à protéger la recherche et l’Université d’assauts directs et immédiats, comme ceux en cours, mais aussi d’attaques dans la durée, fragilisant ses institutions et ses statuts : garantir la préservation et l’accès aux données en mettant en place des infrastructures de stockage de données décentralisées; pérenniser le financement de programmes de recherches et de formations universitaires pour réduire la dépendance au pouvoir politique que confèrent les financements compétitifs ; accorder aux étudiants un statut reconnaissant leur contribution essentielle dans la production collective des savoirs et favoriser l’insertion des docteurs dans le secteur public comme privé; renouer avec un système d’édition scientifique public sous le contrôle de la communauté scientifique, mettant fin au marché captif des revues payantes générant des milliards d’euros de profits pour les éditeurs privés. Concevoir une Université et des institutions de recherche à la hauteur des défis du XXIème siècle nécessite de repenser leur ancrage sur le territoire conformément à un monde décarboné, permettant aux citoyennes et aux citoyens de pouvoir se former à l’Université tout au long de la vie, quel que soit leur milieu d’origine et leur lieu de naissance. Cela suppose d’investir dans la création de dizaines de milliers de postes stables garantissant l’autonomie vis-à-vis des pouvoirs. Ces emplois d’universitaires, de scientifiques, de personnels de soutien à l’enseignement et la recherche permettront à la fois d’accueillir celles et ceux en situation difficile en exil ou ailleurs, mais aussi d’assurer la production, la transmission et la préservation des savoirs pour les rendre disponibles au plus grand nombre. Financer cet investissement pourrait impliquer de réallouer des moyens considérables des dispositifs d’aide directe ou indirecte au secteur privé (crédit d’impôt recherche, alternance etc.), qui mobilisent des sommes considérables, sans bénéfice collectif à la hauteur du financement.

C’est aujourd’hui que nous devons concevoir les institutions qui feront des savoirs un bien commun, contribuant à rouvrir des horizons florissants.

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Je veux me battre partout où il y a de la vie

« The ideal subject of totalitarian rule is not the convinced Nazi or the convinced Communist, but people for whom the distinction between fact and fiction (i.e., the reality of experience) and the distinction between true and false (i.e., the standards of thought) no longer exist. »

Hannah Arendt, Totalitarianism

« Le sujet idéal de la domination totalitaire n’est ni le nazi convaincu ni le communiste convaincu, mais celui pour qui les distinctions entre fait et fiction (c’est-à-dire la réalité de l’expérience) et entre vrai et faux (c’est-à-dire les normes de la pensée) n’existent plus. »

Ce billet signale deux échéances importantes dans la semaine qui vient, dresse un bilan des mobilisations Stand Up for Science du 7 mars et esquisse la perspective d’un mouvement instituant qui prolongerait ce succès par des rencontres Debout pour les sciences.

Calendrier

Après le moment fort des rassemblements Stand Up for Science du 7 mars, deux échéances arrivent rapidement et constitueront un point d’appui pour la suite : le 11 mars, une journée de mobilisation aura lieu pour réclamer un budget à la hauteur des enjeux de l’enseignement supérieur et de la recherche, au lieu d’une énième saignée.

Le samedi 15 mars à 14h, un appel invite à nous retrouver à l’université Paris 8 pour travailler aux réponses qu’il convient d’apporter à la double attaque que représentent les velléités de KeyLabs au CNRS et les désaccréditations massives engagées par le Hcéres dans les universités d’Île-de-France, du nord de la France et des Outremers.

« La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement. »

Rosa Luxemburg

Stand Up for Science

La droite extrême qui est désormais au pouvoir aux États-Unis ne cache plus son jeu. Il n’aura fallu que quelques semaines pour saisir que la coalition nationaliste et libertarienne irait cette fois jusqu’au bout de son programme et entendait l’imposer vite et brutalement, en provoquant terreur et sidération. Dans cette perspective, les universités et les scientifiques ont été identifiés comme des ennemis et sont devenus une cible prioritaire :

Ceux qui tiennent à ne plus se référer qu’à des opinions, du ressenti ou des faits alternatifs, au gré de leur convenance, ne peuvent que nourrir une hostilité irréductible envers la poursuite méthodique de la vérité comme horizon commun. Stand Up for Science est né justement de la conviction que défendre les sciences — les sciences humaines et sociales et les sciences exactes comme les sciences de la nature — constituait aujourd’hui une exigence cruciale.

Voilà pourquoi vendredi 7 mars, nous avons été entre 13 000 et 16 000 à le dire haut et fort dans toute la France. Nous avons été 2 000 à manifester à Toulouse, 5 100 au Quartier latin, 800 à Montpellier, plusieurs autres milliers encore dans les rassemblements organisés spontanément par les universitaires et les chercheurs dans une quarantaine de villes, et jusqu’au fond de la Grotte Chauvet. Chacun de ces événements a fait vivre un discours simple et clair : la défense des sciences et de l’Université est un des piliers de la défense de la démocratie, de la liberté et d’un avenir vivable pour notre planète.

Cette mobilisation a ceci de remarquable qu’elle repose sur l’engagement de collègues dont c’était parfois la première mobilisation, et qui ont su travailler avec une diversité d’organisations et de collectifs : doctorants, précaires, syndicalistes, membres d’associations comme Alia ou Labos 1point5, collectifs comme le nôtre… Une satisfaction particulière est d’avoir vu les membres des sociétés savantes et les académiciens rompre avec un tropisme historique qui en faisait trop souvent des intercesseurs solitaires, redevenir des collègues et réapprendre à dire « nous » avec les autres universitaires et chercheurs — et c’est tout à leur honneur. Cette convergence est la réponse à un sentiment légitime, celui d’une solidarité forte avec nos collègues étasuniens, mais aussi d’une urgence démocratique dans notre propre pays : dans les rassemblements, il était souvent question de la situation française.

Aujourd’hui, nous porter à la hauteur de cet enjeu démocratique suppose d’aller plus loin dans ce que nous avons commencé le 7 mars : dépasser l’effet de sidération face à la stratégie du chaos. Nous ne pouvons plus nous laisser imposer le tempo des ennemis du savoir. Nous devons restaurer la possibilité de faire valoir notre propre temporalité.

Quelques interventions de la journée du 7 mars :

Johanna Siméant, Face à l’autoritarisme : défendre les sciences et le monde qui permet d’en faire.

Michaël Zemmour, Brève note après la journée Stand Up for Science (07/03/2025).

« Je veux me battre partout où il y a de la vie. »

Clara Zetkin

Rester debout, changer de tempo

La solidarité avec les scientifiques d’outre-atlantique se construit aussi par et dans la solidarité avec les universités françaises et les organismes de recherche malmenés par les coupes budgétaires, par les restructurations (KeyLabs), par les atteintes de plus en plus nombreuses à la liberté académique et, enfin par les tendances muskiennes du Haut conseil à l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), le nouveau comité de la hache. Nous devons d’urgence questionner l’usage que feraient un Musk, un Thiel ou un Milei de l’ensemble des institutions et des procédures en vigueur, du Hcéres à l’ANR, de Parcoursup à l’ERC. Pour gêner les menées d’une possible majorité extrême-droite/conservateurs en juillet, il nous faut commencer par obtenir la suppression du Hcéres :

https://rogueesr.fr/supprimons-le-hceres/

Le désastre étatsunien agit comme un révélateur de la visée des dirigeants néolibéraux (fascisés ou non) : contrôler la production de savoirs et leur transmission, et pour cela précariser matériellement et subjectivement celles et ceux qui sont l’Université. Ils conçoivent l’écosystème d’Université et de recherche comme une force antagoniste, qui s’oppose à leur relation élastique à la vérité. Comment comprendre sinon les déchaînements de discours haineux contre les sciences humaines et sociales ? Comment comprendre qu’un président de groupe parlementaire de la majorité demande la dissolution de l’Office français pour la biodiversité et que des forces gouvernementales livrent les spécialistes des sciences du vivant à la vindicte ?

C’est à cette aune qu’il faut comprendre les coups de tronçonneuse du Hcéres, une autorité publique supposée être indépendante. Si cet organe de la bureaucratie normative est devenu aussi outrancièrement hors-sol, ce n’est pas par un accident de construction : c’est par nécessité politique. Sa fonction est de faire peser une contrainte extérieure sur les disciplines, sur les savoirs et sur les personnes. Jusqu’à présent, cette fonction d’hétéronomie n’était sans doute pas évidente dans l’esprit de celles et ceux qui se prêtent au fonctionnement de la machine, mais elle l’est assurément dans les têtes de celles et ceux qui les dirigent.

Voilà pourquoi ils se permettent de changer les avis des comités de pairs, théoriquement en charge de l’évaluation, afin de mieux coller à une politique établie a priori. Voilà pourquoi ils imposent aux membres de leurs comités le secret sur le déroulé de leurs procédures, sous peine de poursuite pénale. Voilà pourquoi ils nous imposent des calendriers qu’ils sont les premiers à ne pas respecter. Voilà pourquoi ils nous épuisent à travailler dans l’urgence pour rédiger des rapports dans lesquels ils n’iront chercher que quelques mantras : la professionnalisation, l’approche par compétences — dont on sait les dégâts qu’elle peut produire dans l’enseignement primaire et secondaire —, la mobilité internationale, les indicateurs sacrés et chronophages, etc.

Le soutien revendiqué des directions du Hcéres et du CNRS à Stand Up for Science, dans le temps même où elles organisent le démantèlement de l’écosystème universitaire et scientifique, sont des injures à la vérité et à l’intégrité intellectuelle. Être debout pour la science, c’est être debout contre ces managers tristes et gris qui serviront les Trump français sans le moindre état d’âme. Comme France Université et l’Udice, ils se sont sentis obligés de jouer une fois de plus aux résistants de la 25ème heure, témoignant avant tout qu’ils n’admettent pas que nous soyons la science et l’Université. Le moratoire sur les KeyLabs comme le dialogue sur les avis Hcéres sont des pièges destinés à monnayer quelques concessions, et peut-être quelques postes pour les intercesseurs qui s’y prêteront. Il serait surprenant que France Université, l’Udice et le Hcéres ne tentent pas de lancer de nouvelles Assises pour couper l’herbe sous les pieds des initiatives venues de la base et pour rétablir la légitimité de pilotage que la bureaucratie a dilapidée ces derniers mois. Nous ne serons pas « assis » avec eux : nous resterons debout.

Nous ne devons plus répondre à leurs injonctions et à leurs exigences, encore moins à leur tempo qui n’est pas le nôtre. La crainte de notre réaction collective est parfaitement perceptible dans leurs dernières prises de positions publiques. Si nous sommes unis, si nous écartons les réponses sectorielles et parcellaires, si nous revendiquons et tenons un discours commun, une réponse politique qui ouvre des horizons plus créatifs et joyeux que les leurs, alors nous pourrons réinstituer une liberté académique effective. Une première rencontre de coordination est proposée en ce sens à l’Université Paris 8 le samedi 15 mars entre 14h et 18h.

La tribune « Dire non à la disparition de la philosophie » est désormais disponible en ligne :

https://rogueesr.fr/dire-non-a-la-disparition-de-la-philosophie/

Références sur l’approche par compétences :

E. Bautier, Savoirs et compétences, mise en œuvre curriculaire et inégalités d’apprentissage.

S. Bonnéry, Comment l’approche par compétence a-t-elle changé les pratiques à l’école française ?

Rencontres Debout pour les sciences

Au-delà de cette urgence, il est temps pour nous de poser les modalités possibles d’une Assemblée Instituante de l’Université et de la Recherche. Pour engager cette dynamique instituante, nous proposons d’organiser des Rencontres Debout pour les sciences sur le même principe que la journée Stand Up for Science à partir de quatre principes :

  • les Rencontres Debout pour les sciences ne doivent pas être confisquées par la bureaucratie de l’ESR, comme ce fut le cas pour les « Assises » de 2012 ;
  • les Rencontres Debout pour les sciences doivent dépasser les clivages partisans ;
  • les Rencontres Debout pour les sciences doivent conduire à un processus instituant très majoritairement partagé au sein de la communauté académique ;
  • les Rencontres Debout pour les sciences doivent s’appuyer sur la pratique de l’enseignement et de la recherche, donc sur les laboratoires, les UFR et plus généralement les collectifs de travail qui ont échappé au processus de séparation entre bureaucrates et exécutants.

Comment articuler ces principes concrètement ? Nous soumettons au débat de la communauté d’enseignement et de recherche les propositions de modalités suivantes :

  • constituer par tirage au sort une assemblée recevant mandat pour formuler un projet instituant ;
  • les mandatés reçoivent le soutien de leur institution de tutelle sous forme d’une décharge leur permettant d’effectuer le travail ;
  • les travaux de l’Assemblée instituante sont nourris de séminaires accessibles par vidéoconférence à l’ensemble de la communauté ;
  • le rapport est soumis à l’approbation par le vote de l’ensemble de la communauté académique.

« Notre “État” actuel est la dictature du mal. On me répond peut-être : “Nous le savons depuis longtemps, que sert-il d’en reparler ?” Mais alors, pourquoi ne vous soulevez-vous pas, et comment tolérez-vous que ces dictateurs, peu à peu, suppriment tous vos droits, jusqu’au jour où il ne restera rien qu’une organisation étatique mécanisée dirigée par des criminels et des salopards ? Êtes-vous à ce point abrutis pour oublier que ce n’est pas seulement votre droit, mais aussi votre devoir social, de renverser ce système politique ? Qui n’a plus la force de faire respecter son droit, doit, en toute nécessité, succomber. Nous mériterons de nous voir dispersés sur la terre, comme la poussière l’est par le vent, si nous ne rassemblons pas nos forces et ne retrouvons, en cette douzième heure, le courage qui nous a manqué jusqu’ici. Ne cachez pas votre lâcheté sous le couvert de l’intelligence. Votre faute s’aggrave chaque jour, si vous tergiversez et cherchez des prétextes pour éviter la lutte. »

Extrait du troisième des six tracts de la Weiße Rose (1942)

Sophie Scholl fut exécutée le 22 février 1943 après avoir été remise à la Gestapo par des personnels de l’université de Munich, où elle venait de lancer des tracts.

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Au point de bascule

Un billet en quatre temps. Pourquoi faut-il participer à « Debout pour les sciences » le 7 mars ? Suivent une brève sur les attaques de l’enseignement (Hcéres) et de la recherche (KeyLabs) et une autre sur le budget d’austérité. Le billet se termine par une synthèse sur la coalition au pouvoir aux États-Unis et sur les raisons de son attaque contre les sciences et la démocratie.

Pourquoi faire mouvement ce 7 mars ?

En écho à la journée Stand-up for science initiée aux États-Unis, des manifestations sont organisées le 7 mars dans chaque grande ville universitaire de France. Retrouvez toutes les informations et inscrivez-vous pour participer à l’organisation sur le site de Stand Up for Science France.

L’Association pour la Liberté Académique (ALIA) appelle à élargir les raisons de manifester.

RogueESR appelle à son tour au mouvement du 7 mars pour servir de porte-voix aux collègues travaillant aux États-Unis, en Argentine et ailleurs, mais aussi pour fédérer les mobilisations qui concernent les KeyLabs, les attaques contre nos formations par la bureaucratie du Hcéres, les budgets d’austérité, premiers volets de la mise en application de la LRU 2.0. Rappelons les buts visés : suppression du statut de fonctionnaire, démantèlement des organismes de recherche, augmentation des frais d’inscription.

Il y a sans doute une raison qui prime : nous devons tout faire pour aller contre le cours de choses. Les élections en Allemagne nous le confirment : ce temps de crise est favorable électoralement aux extrêmes droites, dans le cadre d’alliances socio-politiques pour lesquelles la coalition arrivée au pouvoir aux États-Unis constitue un modèle. Ce modèle n’est pas seulement une inspiration de stratégie électorale : c’est une épure programmatique, par la vitesse et l’efficacité de sa destruction de la démocratie, des institutions universitaires et scientifiques, des droits civiques et des instances de régulation. Pour échapper à ce désastre, notre société a besoin d’un sursaut démocratique porté par un mouvement issu de la société civile ; une partie du monde étudiant tente d’emprunter cette voie, et il nous faut l’appuyer. Pour nous donner une chance d’« étonner la catastrophe », il nous faut cesser nos activités ordinaires ce 7 mars et faire mouvement. Nous avons une opportunité unique de faire de ce jour un moment pluraliste en faveur de la démocratie, des sciences, de la liberté académique et d’un modèle d’Université qui renoue avec le projet humaniste humboldtien. Nous avons besoin de retisser des solidarités avant qu’il soit trop tard, de nous retrouver, de juguler l’atomisation du monde académique. Nous n’avons pas mieux à faire le 7 mars : à quoi bon nous épuiser à nos tâches quotidiennes si le monde s’effondre dans l’indifférence ?

Nous appelons à utiliser chaque début de cours et de travaux dirigés pour inviter les étudiantes et les étudiants à participer au mouvement. Nous invitons toutes les bonnes volontés à concevoir, imprimer et distribuer des tracts chaque midi, sur tous les campus, à apposer des affiches partout où c’est possible :

https://standupforscience.fr/

Ce billet constitue une mise-à-jour des analyses sur l’ensemble des sujets que nous traitons.

« I need the kind of generals that Hitler had. »

Donald Trump

« J’ai besoin du type de généraux qu’avait Hitler. »

Hcéres et KeyLabs

Le déclassement arbitraire d’un grand nombre de formations par la bureaucratie du Hcérès et le démantèlement de 75% des laboratoires par le président du CNRS participent de la même visée politique, théorisée il y a plus de 20 ans. Il est symptomatique que l’attaque du Hcéres contre les sciences humaines et sociales n’épargne plus la philosophie, qui avait pu sembler relativement protégée par sa place particulière dans l’imaginaire collectif et dans nos institutions scolaires. Même le démantèlement du baccalauréat par M. Blanquer au profit d’un « portefeuille de compétences » s’était gardé d’attaquer frontalement la sacro-sainte épreuve de philosophie. Vous pourrez retrouver ici une tribune à ce sujet dans les colonnes du journal Le Monde.

La bureaucratie du CNRS, quant à elle, après avoir été contrainte à un recul tactique, a tenu à réaffirmer son intention de mener à bien la réforme des KeyLabs — quel que soit le nom sous lequel elle fera retour cet été. M. Petit a envoyé une lettre dont les fautes de français agrémentent la vacuité.

Une seule phrase importe : « Comment le CNRS doit-il identifier les unités les plus stratégiques qui ont vocation à être les plus à même de répondre aux exigences internationales et à être des fers de lance du rayonnement du CNRS et de la recherche française ? »

Plus explicite encore fut la journée des directeurs d’unité de biologie, marquée par des huées et des sifflets, tant le ton injurieux même et l’indigence pathétique des discours managériaux furent reçus comme une marque de mépris. En substance : « Puisque vous ne voulez parler que de KeyLabs, allons-y, vous n’y avez rien compris. » En quelques heures, c’est la frange du monde académique a priori la plus réceptive à la réforme qui a été saisie par la vulgarité trumpienne d’un « franc-parler » aussi odieux que dépourvu de vision. Sur le fond, aucune nouveauté sinon cette confirmation : si la présidence du CNRS tient à créer un label de différenciation, ce n’est pas tant pour une question de moyens que pour concentrer chercheuses et chercheurs au sein d’un petit nombre d’unités, en grande majorité localisées dans la dizaine d’« universités de recherche intensive » privatisables.

« The thing that I kept thinking about liberalism in 2019 and 2020 is that these guys have all read Carl Schmitt — there’s no law, there’s just power. And the goal here is to get back in power. »

J.D. Vance

« Ce que je n’ai cessé de penser à propos du libéralisme en 2019 et 2020, c’est que ces types ont tous lu Carl Schmitt — il n’y a pas de loi, il n’y a que le pouvoir. Et l’objectif ici est de revenir au pouvoir. »

Budget d’austérité

Il ne fait plus de doute pour quiconque que l’Université et la recherche publique subissent des coupes budgétaires abyssales. Les financements existent, pourtant : ils ont été détournés vers deux programmes dispendieux et inefficaces, le Crédit d’Impôt Recherche et la formation par alternance, que l’exécutif se refuse à remplacer par des mesures moins coûteuses qui pourraient avoir, elles, un effet réel de transformation de l’économie.

Le montant exact du plan d’austérité, destiné à amorcer la dérégulation des frais d’inscription, est difficile à établir pour une raison simple : les lois de finance sont systématiquement devenues insincères. Le principe de sincérité a été défini par le Conseil constitutionnel comme « absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre déterminé par la loi de finances ». De fait, la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) reposait dès son adoption sur un déficit de financement, et les annulations de crédits qui reprennent des budgets dûment votés par la représentation nationale sont devenues systématiques. Dès lors, comment rendre compte des évolutions budgétaires ? Faut-il accepter ce recours systématique aux annulations de crédit et les soustraire au budget, au risque de normaliser l’insincérité budgétaire ? La solution la plus simple consiste à énumérer les baisses budgétaires et les annulations de crédits.

La loi de finance a aggravé de 376 millions les coupes budgétaires par rapport au projet de loi de finances initial. Au final, la représentation nationale a voté 1,5 milliard d’euros de baisse de budget, une fois corrigés de l’inflation (-929 millions d’euros sans prise en compte de l’inflation).

Les annulations de crédits ont été de 904 millions d’euros par décret du 21 février 2024 puis de 215 millions d’euros lors du projet de loi de finances de fin de gestion 2024, soit 1,1 milliard d’euros d’annulation de crédits pour 2024.

Il faut encore soustraire 0,5 milliards d’euros d’annulation de crédits de paiement de la mission « Investir pour la France de 2030 ». Votées en 2024, ces annulations concernent principalement en 2025 les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), les programmes prioritaires de recherche et les équipements structurants de recherche.

« A lot of people think of government and corporations as different, but the government is simply the worst form of a corporation in the limit, in that it that cannot go bankrupt without bankrupting the people and has a monopoly on violence. »

Elon Musk

« Beaucoup de gens considèrent que le gouvernement et les entreprises sont de nature distincte, mais le gouvernement est tout simplement la pire forme d’entreprise qui soit, en ce sens qu’il ne peut pas faire faillite sans mettre le peuple en faillite et qu’il a le monopole de la violence. »

La triple alliance étatsunienne

Vous trouverez ici une liste d’articles de presse sur la situation aux États-Unis mise à jour.

La coalition qui a pris le pouvoir aux États-Unis articule trois courants politiques qui trouvent leur compte dans les menées du DOGE de M. Musk :

  • les milieux d’affaires du capitalisme de rente et de prédation (numérique, FinTech, énergies fossiles, cryptoactifs) qui entendent maximiser leur taux de profit ; cela suppose de vassaliser l’économie concurrentielle pour en extraire de la valeur et de supprimer toute régulation. Ils militent pour un management public fait de rightsizing et de cost-killing. Au fond, la meute techno-fasciste du DOGE, qui prend d’assaut les machines du gouvernement fédéral, menace et licencie à tour de bras, n’est qu’une forme radicalisée des managers que nous subissons depuis des années : une bureaucratie sous stéroïdes.
  • les think tanks paléo-conservateurs hostiles au programmes sociaux (New Deal) qui souhaitent annihiler les droits civiques et entraver l’État pour le rendre incapable de justice sociale. Les MAGA militent contre l’impôt et dénoncent l’emprise des parasites d’en-bas sur l’État, attaquent les droits des femmes et s’en prennent aux migrants, aux minorités sexuelles et à leurs défenseurs, y compris universitaires. C’est à cette composante que l’on doit la stratégie de la « merde dans le ventilo » (flood the zone) consistant à sidérer par le déploiement permanent de la souveraineté grotesque (voir la citation de M. Foucault ci-dessous) et du free speech.
  • les « accélérationnistes de la décadence », les fondamentalistes du Dark Enlightenment (NRx) et la composante « anarco-capitaliste » du libertarianisme, qui souhaitent mettre à bas l’État fédéral au profit d’un patchwork décentralisé d’entités privées. Ces micro-pays souverains et indépendants au sein desquels les acteurs privés produisent des lois et des juridictions conformes à leurs besoins personnels s’apparentent à des technomonarchies. Ils constitueraient les nœuds (nexus) articulant les flux de capitaux, de marchandise et d’informations.

Ces trois composantes trouvent leur compte dans le blitzkrieg corporate contre :

  • les institutions démocratiques et la société civile américaine,
  • les organismes de régulation climatique, environnementale, sanitaire et agro-industrielle,
  • les droits civiques,
  • les institutions scientifiques accusées de produire le fondement scientifique des régulations, de soutenir les droits des minorités sexuelles et ethniques, de documenter les inégalités et les injustices économiques et sociales.

Elles gèrent harmonieusement leurs différences en matière géopolitique puisqu’il s’agit :

  • de vassaliser des pays étrangers à des fins de prédation de matières premières et de captation de valeur par inféodation (IA, Gafam, etc.) pour constituer un Großraum eurasien,
  • de soutenir les alliances entre extrême-droite et conservateurs partout en occident pour éradiquer le progressisme et les aspirations démocratiques,
  • d’étendre l’archipel d’enclaves dérégulées et soumises à des lois privées.

On le constate, l’alliance fasciste au pouvoir aux États-Unis n’a pas les mêmes caractéristiques que l’extrême-droite de la famille Le Pen, de B. Retailleau ou de G. Darmanin et nécessite un travail d’analyse spécifique pour la combattre. Une certitude, déjà : nous vivons un moment de bascule générale et nous avons très peu de temps pour tenter de juguler le désastre.

« […] quand je dis « grotesque », je voudrais l’employer en un sens sinon absolument strict, du moins un petit peu serré ou sérieux. J’appellerai « grotesque » le fait, pour un discours ou pour un individu, de détenir par statut des effets de pouvoir dont leur qualité intrinsèque devrait les priver. Le grotesque, ou, si vous voulez, l’« ubuesque », ce n’est pas simplement une catégorie d’injures, ce n’est pas une épithète injurieuse, et je ne voudrais pas l’employer dans ce sens. Je crois qu’il existe une catégorie précise ; on devrait, en tout cas, définir une catégorie précise de l’analyse historico-politique, qui serait la catégorie du grotesque ou de l’ubuesque. La terreur ubuesque, la souveraineté grotesque ou, en d’autres termes plus austères, la maximalisation des effets de pouvoir à partir de la disqualification de celui qui les produit : ceci, je crois, n’est pas un accident dans l’histoire du pouvoir, ce n’est pas un raté de la mécanique. Il me semble que c’est l’un des rouages qui font partie inhérente des mécanismes du pouvoir. Le pouvoir politique, du moins dans certaines sociétés et, en tout cas, dans la nôtre, peut se donner, s’est donné effectivement la possibilité de faire transmettre ses effets, bien plus, de trouver l’origine de ses effets, dans un coin qui est manifestement, explicitement, volontairement disqualifié par l’odieux, l’infâme ou le ridicule. Après tout, cette mécanique grotesque du pouvoir, ou ce rouage du grotesque dans la mécanique du pouvoir, est fort ancien dans les structures, dans le fonctionnement politique de nos sociétés. Vous en avez des exemples éclatants dans l’histoire romaine, essentiellement dans l’histoire de l’Empire romain, où ce fut précisément une manière, sinon exactement de gouverner, du moins de dominer, que cette disqualification quasi théâtrale du point d’origine, du point d’accrochage de tous les effets de pouvoir dans la personne de l’empereur ; cette disqualification qui fait que celui qui est le détenteur de la majestas, de ce plus de pouvoir par rapport à tout pouvoir quel qu’il soit, est en même temps, dans sa personne, dans son personnage, dans sa réalité physique, dans son costume, dans son geste, dans son corps, dans sa sexualité, dans sa manière d’être, un personnage infâme, grotesque, ridicule. De Néron à Héliogabale, le fonctionnement, le rouage du pouvoir grotesque, de la souveraineté infâme, a été perpétuellement mis en œuvre dans le fonctionnement de l’Empire romain.

Le grotesque, c’est l’un des procédés essentiels à la souveraineté arbitraire. Mais vous savez aussi que le grotesque, c’est un procédé inhérent à la bureaucratie appliquée. Que la machine administrative, avec ses effets de pouvoir incontournables, passe par le fonctionnaire médiocre, nul, imbécile, pelliculaire, ridicule, râpé, pauvre, impuissant, tout ça a été l’un des traits essentiels des grandes bureaucraties occidentales, depuis le XIXe siècle. Le grotesque administratif n’a pas simplement été l’espèce de perception visionnaire de l’administration qu’ont pu avoir Balzac, Dostoïevski, Courteline ou Kafka. Le grotesque administratif, c’est en effet une possibilité que s’est réellement donnée la bureaucratie. « Ubu rond de cuir » appartient au fonctionnement de l’administration moderne, comme il appartenait au fonctionnement du pouvoir impérial à Rome d’être entre les mains d’un histrion fou. Et ce que je dis de l’Empire romain, ce que je dis de la bureaucratie moderne, on pourrait le dire de bien d’autres formes mécaniques de pouvoir, dans le nazisme ou dans le fascisme. Le grotesque de quelqu’un comme Mussolini était absolument inscrit dans la mécanique du pouvoir. Le pouvoir se donnait cette image d’être issu de quelqu’un qui était théâtralement déguisé, dessiné comme un clown, comme un pitre.

Il me semble qu’il y a là, depuis la souveraineté infâme jusqu’à l’autorité ridicule, tous les degrés de ce que l’on pourrait appeler l’indignité du pouvoir. Vous savez que les ethnologues — je pense en particulier aux très belles analyses que Clastres vient de publier — ont bien repéré ce phénomène par lequel celui à qui l’on donne un pouvoir est en même temps, à travers un certain nombre de rites et de cérémonies, ridiculisé ou rendu abject, ou montré sous un jour défavorable. S’agit-il, dans les sociétés archaïques ou primitives, d’un rituel pour limiter les effets du pouvoir ? Peut-être. Mais je dirais que, si ce sont bien ces rituels que l’on retrouve dans nos sociétés, ils ont une tout autre fonction. En montrant explicitement le pouvoir comme abject, infâme, ubuesque ou simplement ridicule, il ne s’agit pas, je crois, d’en limiter les effets et de découronner magiquement celui auquel on donne la couronne. Il me semble qu’il s’agit, au contraire, de manifester de manière éclatante l’incontournabilité, l’inévitabilité du pouvoir, qui peut précisément fonctionner dans toute sa rigueur et à la pointe extrême de sa rationalité violente, même lorsqu’il est entre les mains de quelqu’un qui se trouve effectivement disqualifié. Ce problème de l’infamie de la souveraineté, ce problème du souverain disqualifié, après tout, c’est le problème de Shakespeare ; et toute la série des tragédies des rois pose précisément ce problème, sans que jamais, me semble-t-il, on ait fait de l’infamie du souverain la théorie. Mais, encore une fois, dans notre société, depuis Néron (qui est peut-être la première grande figure initiatrice du souverain infâme) jusqu’au petit homme aux mains tremblantes qui, dans le fond de son bunker, couronné par quarante millions de morts, ne demandait plus que deux choses : que tout le reste soit détruit au-dessus de lui et qu’on lui apporte, jusqu’à en crever, des gâteaux au chocolat — vous avez là tout un énorme fonctionnement du souverain infâme. »

Michel Foucault, Les Anormaux, cours de 1974-1975 au Collège de France.

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Debout pour les sciences

Ce billet se compose de quelques brèves suivies de deux analyses. La première porte sur l’offensive bureaucratique du Hcéres contre les formations universitaires, qui suit jusqu’au mimétisme celle des KeyLabs. La seconde porte sur la nécessité de défendre l’intégrité scientifique et de combattre la désinformation, ce qui nous donne l’occasion d’un retour sur le Paris-Saclay Summit organisé par Le Point.

« Lorsque quelqu’un frappe à la porte, il y a ceux qui ouvrent et ceux qui n’ouvrent pas. Celui qui ouvre, c’est celui qui se sait en dette. »

Germaine Tillion

Brèves

  • L’heure est grave et nous devons saisir chaque opportunité de mouvement pour tenter de juguler le glissement à l’extrême-droite. Le mouvement Stand up for science du 7 mars, qui vient d’être lancé en France, constitue une tentative de réunir toutes les composantes de la communauté académique avec une attention particulière au monde étudiant. Renseignements et inscription pour coorganiser le mouvement dans votre ville à cette adresse :
    https://standupforscience.fr/
  • Des mobilisations et des assemblées générales se préparent dans de nombreux établissements, le 6 mars en particulier. L’enjeu est aujourd’hui d’unifier les mobilisations contre les KeyLabs, le Hcéres, l’austérité budgétaire et la LRU 2.0 mais aussi de rouvrir l’horizon. L’ensemble de la communauté académique (syndicats, sociétés savantes, collectifs, etc) doit réagir pour mettre un terme au programme de destruction en cours. À cette fin, Rogue appelle aux mobilisations des 6 et 8 mars, puis à une Coordination nationale le 15 mars pour poser les fondements de la contre-offensive qui s’impose.
  • L’association Alia a fait paraître une tribune sur les violations de la liberté académique aux États-Unis :
    https://liberte-academique.fr/tribune-de-la-democratie-en-amerique/
  • L’analyse bibliométrique fétichisée par la bureaucratie documente le déclassement de la France dans la production scientifique, qui passe du 6ème au 13ème rang mondial en 15 ans :
    https://www.hceres.fr/sites/default/files/media/downloads/ost-position-scientifique-france-2024.pdf
    Qui aurait pu prévoir que vingt-et-un ans de réformes de bureaucratisation, de différenciation, de dépossession, de précarisation et de paupérisation conduirait au déclin scientifique et technique ?

« Il serait injuste d’imputer aux petits personnages des facultés ou des ministères la responsabilité d’une situation qui fait qu’un si grand nombre de médiocres jouent incontestablement un rôle considérable dans les universités. Il faut plutôt en chercher la raison dans les lois mêmes de l’action concertée des hommes, surtout dans celle de plusieurs organismes. »

Max Weber, Le savant et le politique, 1919.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés

Depuis la mi-février, les établissements évalués par le Hcéres dans le cadre de la « vague E » connaissent les résultats de la « phase bilan » de cette évaluation. Ils essuient en effet les plâtres d’une énième mouture du processus, qui présente le signe distinctif des tours de vis autoritaires et bureaucratiques : avoir été vendue comme une « simplification ». Dorénavant, pour les formations, les « bilans » et les « projets » sont évalués séparément, par deux dossiers distincts, ce qui revient essentiellement à étendre la période de montagnes russes des collègues responsables de ces dossiers. L’assentiment des universitaires a été acheté par la promesse que les formations bénéficiant d’un avis favorable sur le bilan seraient exemptées de phase projet. 

Le réel est venu frapper à la porte entre le 14 et le 17 février : la proportion d’avis défavorables sur le bilan a explosé. Le couperet est tombé pour plus du quart des formations dispensées en Île-de-France, dans les Hauts-de-France et outremer. Dans certaines UFR, les trois quarts des étudiants sont inscrits dans des formations recevant un avis défavorable. Ce chiffre magique de 75% de déclassement évoque immédiatement les KeyLabs, et de fait, l’ivresse muskienne des caciques du Hcéres n’a d’égale que celle de la direction du CNRS.

Mais la similitude avec la crise des KeyLabs au CNRS est plus profonde. Sur la méthode, en particulier. Depuis la publication des résultats, on assiste au même théâtre d’ombres : les relais statutaires de la domestication aux réformes, réunis au sein de France Universités, se sont émus d’avoir été aussi ouvertement humiliés. Ce mouvement d’humeur a aussitôt suscité une réaction de la directrice du département d’évaluation des formations du Hcéres, Mme Franjié, et de la toute nouvelle présidente de cette officine, Mme Chevallier, dont nous avions prédit la nomination politique dès novembre dernier. Sans surprise, l’antienne est la même que dans l’opération de déminage menée par le ministre sur le front du CNRS : la porte est ouverte à une négociation avec les « acteurs », comprendre les bureaucrates de l’Udice et de France Universités, qui se targueront, le cas échéant, d’avoir obtenu… un moratoire.

De ce fait, les tronçonneurs du Hcéres font savoir que l’évaluation n’est pas achevée — ce que l’on ne peut que confirmer : l’évaluation à la mode Hcéres est perpétuelle et infinie, la remise en cause du travail des collègues permanente, la déstabilisation aussi. La ronde incessante des protocoles changés tous les quatre ou cinq ans symbolise cette évaluation permanente qui ne poursuit que deux buts : aggraver la précarisation subjective de celles et ceux qui font vivre l’Université et la recherche et occuper des apparatchiks.

Place, donc, à un script dont la suite est connue : les impétrants devront aller à Canossa, expliquer pourquoi ils sont coupables du fait que le taux de départ des étudiants à l’étranger est directement corrélé à la sociologie de leur vivier de recrutement ; pourquoi ils ont trop peu de titulaires à placer devant les étudiants ; pourquoi leurs « blocs de compétences » ne sont pas immédiatement au diapason de la dernière mode ; et par quelle démarche-qualité innovante et co-construite ils comptent y remédier. On se doute bien que les réponses sincères ne sont pas particulièrement souhaitées. Au terme du processus, la plupart recevront un avis favorable sous conditions, car, après tout, il faut bien accueillir tous ces étudiants. 

Il en restera l’inquiétude, la blessure intime des collègues mis en cause dans leur rigueur, et surtout le stigmate des formations de second choix, et demain, si le souhait de Mme Chevallier est entendu et que les évaluations portent à conséquence pour les établissements (comprendre : pour leur dotation budgétaire), le risque permanent d’un définancement. Soit très exactement le sort que la réforme des KeyLabs promet aux laboratoires non-homologués. Comme dans l’affaire des KeyLabs, le couperet et le stigmate auront valeur d’avertissement pour les élus d’aujourd’hui, qui vivront dorénavant dans la crainte d’être les sacrifiés de demain. On a suffisamment décrit ces mécanismes de précarisation subjective pour ne pas y revenir.

Comme nous l’écrivions au lendemain du « moratoire » annoncé par le ministre, M. Baptiste, cette manoeuvre dilatoire ne doit pas faire oublier que toutes les réformes menées depuis vingt-et-un ans à l’Université et au CNRS visent à entériner une différenciation drastique entre les établissements privatisables susceptibles de monnayer leurs diplômes à prix d’or et de se positionner sur un marché global du savoir, et des établissements déqualifiés fournissant un marché de stagiaires et d’alternants tout en sortant la jeunesse populaire des statistiques du chômage. Si l’on en doutait encore, cette analyse est confortée par l’annonce concomitante du déclassement de pans entiers de la formation d’établissements universitaires recrutant leurs étudiants dans les régions les plus défavorisées du pays. Nous vous invitons donc à reprendre et à partager cet appel à supprimer le Hcéres :

https://rogueesr.fr/supprimons-le-hceres/ 

Plus que jamais, il nous revient la responsabilité de reprendre en main le contrôle de nos normes de qualité ; d’affirmer l’irréductibilité de la liberté académique aux procédures de la bureaucratie triomphante ; de tenir tête aux champions de la tronçonneuse pour défendre le pacte qui lie la science et la démocratie. Cela ne passera pas par une énième nouvelle mouture de la grille d’évaluation du Hcéres, mais par un processus constituant, qui trouve à s’incarner dans des Assises de l’Université et de la Recherche.

« Dans la “République des Lettres“, il y a — il y avait avant la montée des imposteurs — des mœurs, des règles et des standards. Si quelqu’un ne les respecte pas, c’est aux autres de le rappeler à l’ordre et de mettre en garde le public. Si cela n’est pas fait, on le sait de longue date, la démagogie incontrôlée conduit à la tyrannie. Elle engendre la destruction – qui progresse devant nos yeux – des normes et des comportements effectifs, publics sociaux que présuppose la recherche en commun de la vérité. »

Cornelius Castoriadis, L’industrie du vide, 1979.

In solidarity : comment agir ?

Le silence ne protégera pas scientifiques et universitaires des menées des droites extrêmes coalisées. Dans un temps où les pouvoirs politiques, économiques et religieux tentent de déformer, supprimer ou coopter les connaissances scientifiques à des fins idéologiques, nous avons le devoir d’agir pour soutenir les collègues aux États-Unis et en Argentine. C’est le sens du mouvement In solidarity auquel plusieurs sociétés savantes se sont associées, et qui prendra toute sa place lors de la journée du 7 mars :

https://rogueesr.fr/in-solidarity/

De nombreux scientifiques qui travaillent aux USA craignent que le fait de s’exprimer ne mette en péril leur carrière, leurs financements, voire leur sécurité personnelle. Aussi nous faut-il porter la parole de ces voix étouffées, défendre la protection des scientifiques confrontés à des représailles politiques et possiblement créer les conditions pour les accueillir en exil. Mais agir, cela suppose avant tout de combattre les mensonges, les manipulations, la désinformation et ce que Castoriadis a appelé l’imposture publicitaire. Nous devons défendre pied à pied l’intégrité scientifique. 

Aussi est-il essentiel de revenir sur le Paris-Saclay Summit, non du fait de son importance, très relative, mais parce qu’il constitue un exemple archétypique. Le Paris-Saclay Summit n’est aucunement un colloque de nature académique, mais un meeting politique en zone grise. Le concept de zone grise désigne cet espace mondain de l’Université qu’affectionnent les présidences et qui mêle aux exposés scientifiques vulgarisés des prises de position politiciennes, des enfilages de perles de bureaucrates ainsi que des interventions d’experts auto-proclamés, de marchands de sable et de marchands de doute. Malgré les polémiques, ces usurpateurs en retirent l’aura d’un cadre académique prestigieux. Bénéficiant de la liberté académique, universitaires et chercheurs sont parfaitement libres a priori de présenter leur travaux lors de meetings en zone grise. Celui-ci était destiné à promouvoir les vues de Mme Pécresse et du Point, qui ont applaudi de concert aux attaques de M. Musk, de M. Trump et de M. Milei contre la science. Le Point s’est spécialisé depuis longtemps dans une forme de désinformation scientifique qui passe par l’administration conjointe de poison et d’antidote. Dans le cas présent, l’hebdomadaire feint la critique libérale de Trump pour mieux saluer son « coup de génie » lorsqu’il dérégule l’usage du plastique ou pour accréditer une supposée « révolution énergétique qui se propage aux États-Unis ». Cela donne une petite musique du « nous ne sommes pas pour les excès populistes mais il faut bien reconnaître que… », suivie d’une promotion des menées du techno-fascisme corporate.

Pendant le meeting, Mme Woessner, figure centrale du confusionnisme du Point, a trouvé le temps de harceler Valérie Masson-Delmotte dans une interminable logomachie diffamatoire sur les réseaux sociaux X et Bluesky, l’accusant de « désinformation », de « soutien à l’ultra-violence », de « participation à des cabales », de « malhonnêteté intellectuelle », de « mépris des faits, et de la science », de « très forte imprégnation idéologique », de « manoeuvres » et de « piétinement de la science pour servir un agenda trotskiste ». Notons qu’en droit de la presse, l’animosité personnelle est l’une des notions juridiques clés qui permettent de distinguer la bonne foi de la diffamation.

Dans le même temps, son compère, M. Seznec, écrivait une lettre de menaces à un universitaire, contributeur de Wikipedia depuis 18 ans, qui documentait la page consacrée au Point en y ajoutant quelques exemples de désinformation scientifique qui truffent sa rubrique « science ». Wikipedia fait l’objet d’attaques incessantes de la part de l’extrême-droite ; c’est même une obsession des réseaux de désinformation libertariens. Ce qui rend Wikipedia insupportable à Elon Musk ou Peter Thiel, c’est son caractère décentralisé : contrairement à une plateforme comme X ou à un hebdomadaire comme Le Point, il ne peut pas être racheté. Aussi la communauté Wikipedia a-t-elle réagi très vivement aux intimidations contre un contributeur bénévole en écrivant, fait exceptionnel, une lettre ouverte signée par près de 1 000 contributeurs :

Lettre ouverte : non à l’intimidation des contributeurs bénévoles

Dans quelques mois, il est possible que l’extrême-droite coalisée avec la droite conservatrice devienne majoritaire au parlement français. Nous pensons important de rappeler inlassablement que la collaboration avec des forces anti-démocratiques qui piétinent la liberté scientifique constitue une faute morale et une violation de l’éthique académique : on ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages.

« L’inferno dei viventi non è qualcosa che sarà; se ce n’è uno, è quello che è già qui, l’inferno che abitiamo tutti i giorni, che formiamo stando insieme. Due modi ci sono per non soffrirne. Il primo riesce facile a molti: accettare l’inferno e diventarne parte fino al punto di non vederlo più. Il secondo è rischioso ed esige attenzione e apprendimento continui: cercare e saper riconoscere chi e cosa, in mezzo all’inferno, non è inferno, e farlo durare, e dargli spazio. »

Italo Calvino, Le città invisibili

« L’enfer des vivants n’est pas quelque chose qui sera ; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons en étant ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première est facile pour beaucoup : accepter l’enfer et en faire partie au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et requiert une attention et un apprentissage constants : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui donner de l’espace. »

Italo Calvino, Les villes invisibles.

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Sans loi & sans règle

« Dans le (gouvernement) despotique, un seul, sans loi & sans règle, entraîne tout par sa volonté & par ses caprices. »

Montesquieu, De l’esprit des lois.

Ce billet est consacré au Paris-Saclay-Summit 2025 co-organisé par Le Point, à l’obscurantisme des techno-fascistes et des libertariens coalisés derrière Musk et Milei, à l’annonce d’un rassemblement devant le ministère et à l’urgence de construire un mouvement de solidarité avec les collègues aux USA.

Nous appelons à nouveau les associations, les collectifs, les revues, les sociétés savantes et les syndicats à s’engager dans le mouvement #InSolidarity.

« Le chef coupa court à la polémique :
— Ça va comme ça ! Assez de bavardage ! Rhinocéros ou non, soucoupes volantes ou non, il faut que le travail soit fait. »

[…]

« Les troupeaux de rhinocéros parcourant les rues à toute vitesse devinrent une chose dont plus personne ne s’étonnait. Les gens s’écartaient sur leur passage puis reprenaient leur promenade, vaquaient à leurs affaires, comme si de rien n’était. »

Ionesco

Brève : Enquête 2025 sur le financement de la recherche

Les sociétés savantes académiques vous invitent à remplir leur questionnaire en ligne.

Défense des sciences et de l’Université : rassemblement devant le ministère, le mardi 11 février à 12h

L’intersyndicale et divers collectifs, dont le nôtre, appellent à un rassemblement devant le ministère, rue Descartes, le mardi 11 février à 12h, à l’occasion de la réunion du CNESER.

Nous appelons à défendre le savoir, les sciences, le rationalisme, la liberté académique et l’Université comme piliers d’une société démocratique. Nous ne pouvons rester silencieux devant les autodafés numériques, la mise au pas des universitaires par la menace, le blitzkrieg mené par Elon Musk et sa jeune garde de techno-fascistes du Département de l’efficacité gouvernementale — US Department of Government Efficiency temporary organisation ou DOGE, un département temporaire dont le statut exécutif fédéral est discutable, faute d’approbation par le Congrès — qui placent l’État fédéral américain hors du contrôle parlementaire. Nous rappelons l’adresse à laquelle signer la lettre de solidarité avec nos collègues travaillant aux États-Unis, à partager (#InSolidarity) :

https://rogueesr.fr/in-solidarity/

Nous rappelons, enfin, l’urgence à tisser des réseaux de solidarité effective pour contrer les destructions en cours et à venir, pour rouvrir l’horizon, et pour nous mettre au travail programmatique de ré-institution démocratique de la recherche scientifique et de l’Université.

Nous appelons avec solennité et gravité l’ensemble des organisations de l’enseignement supérieur et de la recherche (Académie des sciences, collectifs, revues, sociétés savantes, syndicats, etc.) à organiser une nouvelle « marche pour les sciences » contre l’obscurantisme d’extrême-droite.

« La mer et son rivage, ce pas visible, sont un tout scellé par l’ennemi, gisant au fond de sa même pensée, moule d’une matière où entrent, à part égale, la rumeur du désespoir et la certitude de résurrection. »

René Char

Quand Saclay et l’X soutiennent la désinformation et les coups portés à la science par l’extrême-droite libertarienne

Cette semaine, Le Point célèbre à sa une les menées du président d’extrême-droite argentin. Nulle surprise pour cet hebdomadaire, qui est le relais en France depuis des années de l’idéologie « libertarienne » et fait d’Elon Musk l’un de ses héros. Javier Milei s’apprête à démanteler le Conicet, l’équivalent argentin du CNRS, et à porter un coup fatal à la recherche publique dans son pays, déjà amputée d’un tiers de ses moyens depuis sa prise de pouvoir. Le décret annoncé comporte une baisse drastique de budget, la fin du statut de fonctionnaire et le transfert de la gestion des 26 000 agents aux provinces ou, pour les SHS, aux universités. On reconnait… le programme prévu pour la LRU 2.0.

Sur la couverture du Point, au-dessus de Javier Milei, on trouve mention d’un événement de science-washing coorganisé les 12 et 13 février par la région Île-de-France, le Département de l’Essonne et Le Point, dans le cadre d’un partenariat avec l’Université Paris-Saclay et l’Institut Polytechnique de Paris. Le CNRS avait, en 2017, rompu sa collaboration avec Le Point à l’occasion d’un meeting confusionniste similaire, baptisé Futurapolis, où figurait le complotiste antivax I. Aberkane, un usurpateur qui avait été lancé dans la sphère publique par deux unes de l’hebdomadaire. On retrouve pourtant dans cette grand-messe politicienne de Paris-Saclay animée par Le Point, le CNRS aux côtés du CEA, de l’Ifremer, de l’Inrae, de l’Inria, de l’Inserm, de l’IRD et de l’Onera.

Il ne s’agit pas seulement d’une violation du principe de neutralité des établissements d’enseignement supérieur et de recherche publics — rappelons au passage que les universitaires bénéficient, quant à eux, de la liberté académique. Dans le temps même où les sciences états-unienne et argentine sont mises à sac par l’extrême-droite « libertarienne », la collusion avec un hebdomadaire qui assure la promotion de cette idéologie en France est incompatible avec l’éthique académique la plus élémentaire. Pour qui aurait le bonheur d’ignorer l’étendue de la désinformation scientifique pratiquée par l’hebdomadaire Le Point sur le climat (notamment dans les chroniques de D. Raoult), l’environnement, la santé, la biologie, la génétique et l’évolution, nous avons préparé une synthèse sur une page séparée,

https://rogueesr.fr/le-point/

S’il faut éviter de permettre à cet hebdomadaire de jouer les martyrs de la cause du free speech libertarien — cette fausse liberté de dire n’importe quoi et de désinformer — il nous appartient d’alerter les scientifiques prévus au programme d’une potentielle complicité avec l’extrême-droite anti-science. Nous les invitons à se faire porter pâle, voire à remplacer leurs exposés par un soutien aux collègues états-uniens et argentins menacés et par une invitation aux Lumières, à la démocratie, à l’humanisme et à la raison contre les ténèbres libertariennes.

« Je sais qu’il y en a qui disent : ils sont morts pour peu de choses. Un simple renseignement (pas toujours très précis) ne valait pas ça, ni un tract, ni même un journal clandestin (parfois mal composé). À ceux-là, il faut répondre : C’est qu’ils étaient du côté de la vie. C’est qu’ils aimaient des choses aussi insignifiantes qu’une chanson, un claquement de doigts, un sourire. Tu peux serrer dans ta main une abeille jusqu’à ce qu’elle étouffe. Elle n’étouffera pas sans t’avoir piqué. C’est peu de choses, dis-tu. Oui, c’est peu de choses. Mais si elle ne te piquait pas, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus d’abeilles. »

Jean Paulhan, Cahiers de la Libération, n°3, février 1944, L’abeille

Le « libertarianisme », une barbarie obscurantiste, techniquement équipée

Le coup de force libertarien aux États-Unis vise quatre cibles : la démocratie, les institutions régulatrices, les droits civiques et la science. Nous mettrons progressivement en ligne des articles de presse documentant les autodafés numériques perpétrés par les « DOGE thugs » (la jeune garde d’Elon Musk) qui visent aussi à intimider et à sidérer par le déploiement d’un imaginaire de méchants de Marvel Comics. Beaucoup découvrent, à cette l’occasion, cette extrême-droite prédatrice qui se qualifie de « libertarienne » ou d’« anarcho-capitaliste » — la seule liberté promue par ce libertarianisme, qui inspire les milieux d’affaires français, est la liberté de prédation intégrale et de création de zones « libres » exemptes de tout contrôle démocratique.

Avant d’en venir à leur corporate coup, l’extrême-droite libertarienne a déployé des stratégies « métapolitiques » contradictoires et complémentaires pour investir et noyauter le champ intellectuel, l’Université et la recherche. On estime à un milliard de dollars par an les sommes investies dans la falsification scientifique et le lobbying par les pétroliers (e.g. les frères Koch ou ExxonMobil), par les cigarettiers (e.g. Philip Morris), par l’agrobusiness (e.g. l’Agribusiness Parliamentary Front au Brésil) et par les techno-fascistes de la Silicon Valley. Les réseaux libertariens de désinformation sur l’environnement, le climat et les risques sanitaires comprennent le Cato Institute, le Heartland Institute, le Committee for a Constructive Tomorrow, la Foundation for Economic Education, la CO2 Coalition, le Manhattan Institute, le Ludwig von Mises Institute, le Consumer Choice Center et Students for Liberty. Ces think-tanks sont articulés en réseau par l’Heritage foundation, qui est maître d’œuvre du Project 2025 que l’administration Trump a commencé d’appliquer, et par l’Atlas Network, après que ce rôle a été assuré par l’American Enterprise Institute. La plupart des hommes d’affaires fortunés qui ont financé ce réseau ont appartenu au noyau dur de la John Birch Society pendant la guerre froide. En Angleterre, les think-tanks les plus connus sont la TaxPayers’ Alliance, l’Adam Smith Institute, l’Institute of Economic Affairs, et Policy Exchange.

L’investissement massif des milliardaires libertariens pour constituer des réseaux de promotion de leurs idées ambitionne de priver la science de sa visée collective et désintéressée de dire le vrai sur le monde. Cette entreprise de démolition de toute éthique intellectuelle et de toute norme de véridiction, accompagnée d’une valorisation du conflit d’intérêt comme norme positive, a ceci de dangereux qu’elle use du retournement du réel en reprenant à son compte la rhétorique du progrès et de la raison.

Ces lobbies pratiquent le science-washing en s’infiltrant dans des lieux académiques prestigieux, comme le montre cette semaine encore le Paris-Saclay Summit.  Ils promeuvent la dérégulation des normes de véridiction scientifiques au nom du free speech de sorte que la propagande suprémaciste, eugéniste, masculiniste, antisémite mais aussi la désinformation scientifique puissent s’exprimer au même titre que la pensée libérale modérée. Ainsi, la revue Inference du tycoon suprémaciste Peter Thiel mêle des articles de scientifiques reconnus, rémunérés 5 000 dollars, et des articles de falsification sur le climat ou l’évolution. L’un des hommes d’affaires libertariens féru d’éducation, M. Goodrich, formulait déjà cette thèse dans les années 1970 : « les libertés académiques sont en réalité un déni de liberté. » L’un de ses think tanks, Liberty fund, propose au format numérique une bibliothèque des écrits « libertariens », avec cette philosophie : « Il n’y a aucune raison qu’une bibliothèque universitaire contienne plus de 5 000 ouvrages, pourvu que ce soit les bons ouvrages. » En février 2021, le vice-président J.D. Vance lançait une déclaration de guerre aux sciences et à l’Université en en faisant un point de jonction entre paléo-conservatisme et libertarianisme  : « We have to honestly and aggressively attack the universities in this country. […] The Universities are the enemy. […] The professors are the enemy. »

L’extrême-droite libertarienne promeut une technophilie solutionniste susceptible de séduire les milieux scientistes, et en même temps la falsification, l’obscurantisme, la manipulation, la destruction des principes de l’Université. Si elle est associée de longue date au climato-négationnisme et aux falsifications scientifiques qui touchent aux régulations agro-industrielles, elle prétend également détenir la « solution » au réchauffement climatique, en mêlant eugénisme, racisme et malthusianisme — d’où son obsession à prétendre à une origine génétique de l’intelligence, associée à une héritabilité du QI.

Comment le libertarianisme est-il passé d’une secte fondamentaliste, groupusculaire avant le Tea Party et la crise financière de 2007-2008, à la prise de contrôle de l’État fédéral étasunien ? Les politiques libertariennes ont reçu le soutien du secteur rentier de l’économie, donc des grandes entreprises technologiques, des industries énergétiques et du secteur financier, qui encouragent dérégulation et privatisations pour capter des sources de valeur et extraire des profits. Dans un jeu à somme nulle, le libertarianisme repose sur une prédation étendue à tous les secteurs de la société — système de santé, système scolaire, recherche, industrie spatiale, armée, etc. Il s’appuie sur une logique de rente particulièrement évidente dans les grandes entreprises du numérique, dont le modèle économique est fondé sur la vassalisation du secteur productif, rendu dépendant de leurs outils. 

L’extrême-droite a trouvé dans le libertarianisme promu par Elon Musk, Peter Thiel ou Javier Milei une doctrine économique à sa mesure, naturalisant les inégalités et justifiant les politiques de destruction des services publics et de paupérisation du plus grand nombre. Réciproquement, les milieux d’affaires libertariens ont trouvé à l’extrême-droite un imaginaire qui suscite l’adhésion et le mouvement de majorités électorales. La volonté des techno-fascistes libertariens de mettre fin à la démocratie, à toute régulation, aux droits civiques et à la science comme commun de la connaissance, s’explique par la stagnation économique qui a résulté de décennies de « politique de l’offre ». Cette politique a naturellement été soutenue par le secteur concurrentiel de l’économie, qui dépend des aides publiques pour maintenir ses taux de profit en période de stagnation. En ce sens, la « solution » libertarienne est la réaction du néolibéralisme à sa propre crise — une « solution » qui ne répond à aucune des crises réelles qui frappent les sociétés occidentales, pas même à celle du système de production.

« There are two ways of spreading light : to be the candle or the mirror that reflects it. »

Edith Wharton

Austérité et LRU 2.0

L’émotion suscitée par l’attaque virulente et rapide contre la science aux États-Unis ne doit pas nous faire oublier les menaces contre l’Université et la recherche en France. Les motifs de mobilisation sont nombreux devant le ministère, le mardi 11 février à 12h.

Nous devons défendre l’investissement dans la recherche et l’Université, pour juguler le décrochage économique, scientifique et technique engendré par 20 ans de réformes bureaucratiques et managériales, et pour faire face à la crise climatique et à l’effondrement du vivant. L’enseignement supérieur et la recherche vont subir des coupes budgétaires profondes. Le projet de loi de finances initial prévoyait une baisse de 1,3 milliards d’euros pour le budget de l’ESR (une fois l’inflation prise en compte) dont 430 M€ pour la charge de service public et un plafond d’emplois en baisse vertigineuse de 4 900 postes. Peu de surprise pour quiconque a suivi nos analyses au moment de l’examen de la loi de programmation pour la recherche. Les amendements du gouvernement Bayrou ont creusé un peu plus le budget de 630 M€, auxquels il faut ajouter la suppression de 535 M€ de crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 ». Il faut encore attendre la parution des documents budgétaires, mais les coupes seraient de l’ordre de 2,5 milliards d’euros. En parallèle, la seule évolution du Crédit d’Impôt Recherche (CIR, qui a couté 7,6 milliards d’euros en 2024) est la suppression du statut « jeune docteur » qui incitait financièrement les entreprises à embaucher de jeunes chercheurs. À Bordeaux-Montaigne, Brest, Clermont-Ferrand, Nantes, Paris-I, Rennes-2 et Tours, un début de mouvement étudiant se lève. Il est extrêmement important de faire usage de ce qui nous reste de notre liberté d’expression en informant par tous les moyens étudiantes et étudiants que l’Université est mise délibérément sur la paille.

Un autre motif puissant de rassemblement le 11 février est de mettre un terme aux derniers volets de démembrement de l’Université mis en œuvre sous l’appellation LRU 2.0. Rappelons ses trois dimensions :

  • Démantèlement des organismes de recherche pour affecter les chercheurs aux « universités de recherche ». Les KeyLabs s’inscrivent dans cette logique de transfert des moyens. Le nom changera peut-être : le Hcéres, à la tête duquel Mme Coralie Chevallier vient d’être nommée, sera peut-être chargé du déclassement bureaucratique de x% des laboratoires, mais l’objectif ne sera pas abandonné.
  • Liquidation des statuts des universitaires et des chercheurs pour les remplacer par une contractualisation dérégulée, sous contrôle des managers d’établissements universitaires (Udice).
  • Dérégulation des frais d’inscription. C’est vers cet objectif que tend la mise en crise budgétaire volontaire, alors même que l’argent public est massivement détourné vers des dispositifs inefficaces (alternance, CIR, etc.).

N’oublions pas que l’étape ultime de la destruction en cours sera la privatisation des universités rentables et pourvues de chercheurs performants, à l’occasion d’une crise socio-économique ou d’un blitzkrieg muskien suite à l’accession au pouvoir d’une coalition droite/extrême-droite.

Brève : vidéos du séminaire Politique des sciences

La rentrée du séminaire Politique des sciences a porté sur l’actualité de la recherche sur l’extrême-droite et l’autoritarisme. Vous pouvez retrouver le séminaire sur la chaine youtube de PdS :

Michel Feher

Estelle Delaine

Quinn Slobodian

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« Moratoire » — Vaste programme !

« Une aube apparaît, elle est encore bien grise. »

Geneviève de Gaulle Anthonioz

Le succès de la motion de défiance, qui a passé les 11 000 signatures, et des deux rassemblements du 27 janvier constituent un signe indicatif de ce que la communauté académique a les ressources pour sortir de la stupeur et de l’accablement et se mettre au travail pour rouvrir l’avenir. Nous avons, lors des billets précédents, replacé la réforme des KeyLabs dans le continuum de réformes à 20 ans et montré en particulier comment elle s’articule avec le projet de « Loi relative aux libertés et responsabilités des universités » (LRU) 2.0, baptisé par antiphrase « second volet de l’autonomie », qui suppose la mise en crise budgétaire de l’Université et le démantèlement du CNRS par sa transformation en agence de programmes. Concernant le moratoire sur les KeyLabs annoncé cette semaine, nous pouvons tenter de formuler une analyse en réduisant les différentes étapes du raisonnement à leurs 25% les plus significatifs. Et de fait, il se pourrait bien qu’exceptionnellement, cela suffise :

Udice

Démantèlement du CNRS

Captation du budget et des stars de la recherche

Passage en force estival

Sidération

Le cœur de ce billet porte sur une proposition de réappropriation collégiale des principes qui doivent définir ce qu’est un « bon laboratoire » et sur un message de solidarité à l’égard de nos collègues vivant aux États-Unis.

Nous apportons, sur une page séparée, une série de compléments d’information et d’analyse destinés à celles et ceux qui ont le goût des argumentaires complets ou auraient raté des épisodes :

« On ne se bat bien que pour les causes qu’on modèle soi-même et avec lesquelles on se brûle en s’identifiant. »

René Char

Instituer le label C-Lab pour certifier la collégialité, l’intégrité, l’éthique et la liberté des labos

Pour favoriser une réappropriation collective de nos laboratoires, nous invitons la communauté à réfléchir aux principes qui définissent un « bon laboratoire », de façon à déboucher sur un label volontaire d’intégrité et de collégialité : C-Lab

Le point de départ de cette démarche est le respect des principes qui fondent l’Université moderne, entendue dans son sens le plus large, qui recouvre bien sûr les organismes de recherche : la communauté de pratique qui fédère des lieux d’interrogation et d’élaboration rationnelle illimitée, des lieux où les connaissances scientifiques et techniques se créent, se transmettent, se conservent et se critiquent, dans et par l’exercice de la dispute raisonnée.

Bien sûr, tout ceci implique de se détourner du personal branding et des Ego Labs stimulés par la course aux ERC, et de refuser la précarité croissante qui fragmente les collectifs : nous devons réapprendre à dire « Nous ». Ce « Nous » de la communauté académique doit transcender à la fois le carriérisme et les légitimes passions individuelles. Il s’exprime dans la circulation de l’information, la coopération entre personnes, entre unités de recherche, entre disciplines, entre lieux géographiques, entre pays. C’est d’abord ce « Nous » que nous entendons dans la clameur qui dit « Nous ne voulons pas des Keylabs. » C’est aussi ce « Nous » qui se donne à voir dans les centaines d’articles cosignés par Camille Noûs ou, plus discrètement, attribués au laboratoire Cogitamus. Ce « Nous » ne revendique pas une liberté abstraite et irresponsable : la liberté académique est une liberté positive

Depuis le travail de théorisation auquel se livra Humboldt au début du 19ème siècle, on sait que la liberté académique s’organise dans des espaces soumis aux normes de probité et de rigueur que la communauté des pairs choisit de se donner, et qu’elle renégocie perpétuellement, à l’abri de l’ingérence de tous les pouvoirs. Ce que ne disait pas Humboldt et qu’il nous faut ajouter, c’est que cette liberté passe aussi par un statut uniformément protecteur. Cette autonomie procède directement de la responsabilité du monde savant devant la société : aucune organisation collective de la liberté n’est possible si les espaces dédiés à la poursuite de la vérité et à la production et à la diffusion des connaissances et des techniques sont bridés dans leur fonctionnement par des contraintes exogènes ou des intérêts particuliers. 

Intégrité scientifique, autonomie statutaire et financière vis-à-vis de tous les pouvoirs, responsabilité démocratique accrue en contexte de crise environnementale : ce triptyque servira de base à la création du label C-Lab, qui pourra être attribué aux laboratoires s’engageant à respecter une charte issue de la consultation la communauté savante. Cette attribution ne saurait être le fait d’un comité théodule coopté : elle devra reposer sur la libre souscription à la charte des C-Labs. 

Pour contribuer à cette réflexion et partager vos idées, nous vous invitons à remplir ce formulaire
(cliquez pour déplier).

Ce label fonctionnera également comme une contre-attaque au concept de KeyLabs : l’heure n’est plus seulement à s’opposer, mais à construire et à déterminer collectivement quelles sont nos aspirations. Au-delà de la contre-attaque, nous voulons donc dessiner un horizon alternatif crédible, débarrassé des impératifs quantitatifs imposés par la bureaucratie.

« Ce que le fascisme haït plus que toute autre chose : c’est l’intelligence ; le fascisme on le soigne en lisant, et le racisme en voyageant. »

Miguel de Unamuno

En soutien aux collègues des États-Unis

Vous pouvez signer la lettre de soutien ci-dessous à l’adresse suivante :

https://rogueesr.fr/in-solidarity/

Dear Colleagues in the USA,

We wish to express our unwavering support for you during these alarming times. From our positions as researchers and academics in Europe, we are observing with dismay the takeover of the federal government by Mr. Musk and Mr. Trump. They appear intent on dismantling democratic institutions and regulatory bodies, particularly in the realms of health, environment, and climate.

Far more so than during the first term, the initial decisions of the Trump administration have exerted an immediate and profound impact on research within the United States. Hiring, travel, grant evaluation committees, equipment purchases, and virtually all activities that make research possible have either been frozen or are at risk of being frozen, creating significant uncertainty.

The disruptions will have lasting effects on research in the United States. As John Holdren, the former U.S. science adviser, noted, “If somehow they get away with this, the disruption is almost incalculable.”

Hundreds of scientists have organized rallies and called on elected officials to reverse these decisions. The resilience and dedication of the scientific community are evident. Your work is vital for the creation, dissemination, and critique of knowledge on a global scale; it will represent an essential contribution to the broader project of rebuilding a democratic future based on self-determination.

Please be assured that we stand in solidarity with you and are willing to help in your actions to defend democracy, academic freedom, science, and scientific research.

In solidarity,

[Your name]

Vous pouvez signer la lettre de soutien ci-dessus à l’adresse suivante :

https://rogueesr.fr/in-solidarity/

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Compléments d’information et d’analyse sur les KeyLabs et le budget

Cette page propose un compte-rendu de mobilisation, des informations et des analyses en complément de nos précédents billets concernant les KeyLabs, qui demeurent pleinement valides :

Tirer le frein d’urgence — ballons d’essai

Des Keybabs aux Cinque Stelle

Comprendre la réforme des KeyLabs

KeyLabs : quatre points centraux du continuum de réformes

Mobilisation : Préférer la reconstruction collective aux ingérences solitaires

Le succès de la motion de défiance témoigne du rejet suscité par le retour d’un serpent de mer de la droite managériale : le contrôle bureaucratique des laboratoires par l’attribution de notes déterminants les postes de soutien technique et administratif alloués. Ce rejet se fonde bien-sûr sur la violation des principes premiers de la science mais aussi sur l’arbitraire, le clientélisme et le contrôle politique qu’encourage le dispositif. Les rassemblements devant le siège du CNRS et le Collège de France constituaient une étape vers un engagement plus fort. Rogue a choisi de soutenir divers collectifs pour contribuer à réparer l’écosystème universitaire et scientifique. Dans une période de morcellement et d’anomie, toutes les actions aspirant à restaurer le « Nous » de la communauté académique doivent se conjuguer. Il n’y a pas de tension entre unité et pluralisme, et le succès de cette pétition le prouve.

Corrélativement, nous devons porter un jugement sans concessions sur les inévitables menées solitaires, qu’elles émanent de tel ou tel président d’université ou d’un quarteron d’académiciens en retraite. Vingt ans de recul nous renseignent assez sur la façon dont ce type d’initiative teintée de self-branding et de tentation prédatrice facilitent toujours les réformes et contribuent in fine à la plongée vers le désastre. Nous avons besoin de renouer avec les principes de collégialité, de concertation, avec les mœurs, les règles, les standards éthiques qui doivent prévaloir en lieu et place de la mise en concurrence généralisée et du nouveau mandarinat managérial.

« POZZO. — Éloignez-vous. (Estragon et Vladimir s’éloignent de Lucky. Pozzo tire sur la corde. Lucky le regarde.) Pense, porc ! (Un temps. Lucky se met à danser.) Arrête ! (Lucky s’arrête.) Avance ! (Lucky va vers Pozzo.) Là ! (Lucky s’arrête.) Pense ! ( Un temps.)

LUCKY. — D’autre part, pour ce qui est…

POZZO. — Arrête ! (Lucky se tait.) Arrière ! (Lucky recule.) Là ! (Lucky s’arrête.) Hue ! (Lucky se tourne vers le public.) Pense ! »

Samuel Beckett

Moratoire et porte-au-nez : la chronologie des faits

Avant d’analyser pourquoi le moratoire est une accélération du programme de démantèlement du CNRS et de mise en pièce du tissu universitaire, il importe de replacer les faits dans leur chronologie.

Les 10 et 17 janvier 2025, l’association France Université demande un moratoire sur les KeyLabs. En latin, moratorius signifie « un délai » ou « un retard », mais en aucun cas un arrêt. Le Père Deneken, président de l’Udice, avait tenu à accorder son nil obstat, manifestant par là l’harmonie générale des différentes branches de la bureaucratie : « Le débat est clos, arrêtons de parler de concurrence. Quand j’ai vu ce matin ce projet d’UMR cinq étoiles, je me suis dit que nous allions construire cela ensemble avec le CNRS, pour tirer la France vers le haut ». Le mot clé, ici, est « ensemble » : les présidences d’universités veulent participer au grand jeu de destruction de l’écosystème de recherche et non le subir. Dans le vide du langage managérial, cela se dit : « les universités sont cheffes de file ».

Le 24 janvier, le cabinet ministériel laisse filtrer son mécontentement. Les méthodes bruyantes et inefficaces de M. Petit dans la « conduite du changement » irritent : elles mettent en péril deux éléments fondamentaux de la ligne politique générale, auxquels les KeyLabs pourraient contribuer : la mise au pas des laboratoires par des notes et la concentration des moyens sur les laboratoires d’une dizaine d’« universités de recherche » — celles dont la bureaucratie s’est coalisée au sein de l’Udice. Tonalité : « si on veut concentrer les moyens sur quelques labos, on ne le dit pas ! On le fait. » Le ministre s’est même dit prêt à limoger le PDG du CNRS au printemps pour arrêter la mobilisation naissante avant qu’elle ne s’étende à l’Université.

Le 27 janvier, quelques minutes après la fin du rassemblement au siège du CNRS, M. Petit annonce aux directeurs de laboratoire de chimie un moratoire sur les KeyLabs, le temps de parvenir à des accords avec les présidences d’universités. Il s’agit, de son point de vue, de permettre à ces présidences d’ajouter quelques laboratoires, importants pour leur réélection et leurs réseaux clientélistes, à la liste des KeyLabs.

Le 29 janvier, M. Petit, hors de lui, se livre à une séance de molestage verbal des directrices et directeurs d’unités prenant leur fonction, confirmant dans l’emphase ce secret de polichinelle : il pense le moratoire comme une porte-au-nez. Il espère le soulagement, voire le soutien de la moitié de la communauté académique si la fraction de KeyLabs était relevée à 40 ou 50% au lieu de 25%.

Le 29 janvier encore, le président de Saclay se décide à suivre ses collègues de l’Udice et à annoncer ne pas négocier avec M. Petit. Pourtant, le même jour, les termes de cette même négociation nous parviennent. Sans surprise, il s’agit d’étendre à la marge du nombre de KeyLabs, témoignant de la marche forcée vers le définancement des laboratoires hors « universités de recherche » :

https://rogueesr.fr/wp-content/uploads/2025/01/KLParisSaclay.pdf

Le 30 janvier, ce choix d’un moratoire est annoncé par le ministre après des échanges avec « le CNRS, la communauté et les parties prenantes ». La forme trahit le fond : nous — la communauté — ne sommes donc pas « partie prenante ». Le moratoire est destiné à une « concertation avec l’ensemble des partenaires des unités du CNRS ». « On peut être une excellente unité de recherche et ne pas être associé au CNRS » a-t-il expliqué.

Pour quelques KeyLabs de plus : le moratoire est une accélération

Il nous faut repartir de leur plan général de transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il s’agit de transformer l’essentiel des établissements universitaires en Colleges et de concentrer la recherche dans une dizaine d’établissements pilotés par des board of trustees. Le financement passe par la dérégulation des frais d’inscription et la gestion par une contractualisation autorisant toute modulation entre enseignement pur et recherche pure. Voilà le cœur de la LRU 2.0 : démantèlement du CNRS et transfert des personnels aux universités, suppression du statut de fonctionnaire et dérégulation contractuelle, mise en crise budgétaire et augmentation des droits d’inscription.

Les échanges au sein du cabinet ministériel le confirment : les KeyLabs allaient dans la « bonne direction », mais imparfaitement. L’arbitrage en faveur de l’Udice (le « moratoire ») permet d’accélérer la transformation. Les bureaucrates de l’Udice ne s’en cachent pas : ils veulent le budget des organismes nationaux et récupérer les « meilleurs » chercheurs, les « stars ». Les stars se caractérisent en ceci qu’elles ne font pas de recherche mais ont la confiance des investisseurs et lèvent donc des fonds avec régularité pour embaucher les petites mains qui produisent la science. Ces petites mains, personne ne semble plus ni se soucier de les former, ni de leur offrir un avenir. La pensée magique du nouveau management de la recherche repose sur cette croyance obscurantiste : il suffit d’« attirer les meilleurs ». On comprend comment ce dogme qui flatte les imbéciles a provoqué le décrochage scientifique et technique du pays et coproduit le détournement des moyens publics vers les intérêts privés — 7,86 milliards d’euros de Crédit d’Impôt Recherche, 20,4 milliards d’euros de financement public de l’alternance, auxquels il faut ajouter 7,2 milliards d’euros d’apprentissage.

D’aucuns pourraient se demander : Pourquoi les présidentes et présidents des futurs Colleges universitaires, celles et ceux qui défendent les intérêts de la bureaucratie au sein de France Université, scient-ils avec autant d’ardeur la branche sur laquelle ils sont assis ? Pourquoi M. Petit est-il le pyromane de l’organisme de recherche dont il a la charge ? Il importe de garder en tête que les paramètres personnels, y compris la force de l’autopersuasion, n’ont pas grande importance ici : les bureaucrates étant interchangeables, nous ne pouvons que renvoyer à notre article sur le contrôle des subjectivités  :

Réformes de l’imaginaire social et contrôle des subjectivités

Le middle management n’est décisionnaire qu’en apparence : il doit se conformer « en toute liberté » au désir maître des « investisseurs ». Or malgré les illusions qu’ils se font souvent, les présidents des établissements et même ceux des organismes de recherche ne sont pas fondamentalement autre chose que des middle managers.

Pour cette raison, le mouvement destituant qui s’est installé ces dernières semaines ne se réduit en aucune façon à la personne insignifiante qui se trouve actuellement occuper les fonctions de PDG du CNRS : c’est toute la mainmise des intercesseurs et apprentis « chefs de file » et le système normatif auquel ils obéissent qui est remise en cause par la communauté. Aucun moratoire destiné à marchander quelques KeyLabs de plus avec l’Udice ou à amorcer le transfert des personnels CNRS aux « universités de recherche » ne sera de nature à satisfaire l’exigence qui s’exprime : la refondation de la recherche et de l’Université sur une base collégiale et intègre. Il nous faut donc maintenant passer du moment destituant au moment constituant.

Enfumage budgétaire

Quels sont les moyens supposément accordés aux KeyLabs ? Aucune annonce n’a été faite à ce sujet, alors même que les grands chiffres dénués de sens font ordinairement partie de l’arsenal d’enrôlement. Le lancement de l’IDEx avait été accompagné d’une annonce claironnante de 7,7 milliards d’euros ; celui de la LPR de 25 milliards d’euros. On a pu constater qu’il demeure encore de vieilles gloires de la recherche suffisamment crédules pour déclarer aujourd’hui encore que la LPR fut une loi ambitieuse apportant des moyens — quand nos analyses de l’époque comme les déclarations de Mme Retailleau et M. Germinet témoignent qu’elle fût toujours une loi de dérégulation des statuts, de paupérisation programmée et de bureaucratisation. Les initiatives les plus insignifiantes comme les campus connectés sont accompagnées de grands chiffres — 25 millions d’euros en l’occurrence. Pour les KeyLabs, nada. On ne sait plus ce qu’il y a de plus méprisant entre les promesses d’un rêve frelaté, le story-telling mensonger, et le clash.

Le cabinet ministériel reste pour sa part dans l’ordinaire de la stratégie de désinformation puérile concernant les coupes budgétaires, en omettant l’inflation, en produisant des chiffres bidonnés par assemblage favorable de crédits dépourvus de réalité dans les documents budgétaires — les « jaunes » et les « bleus ». Innovation notable, le conseiller budgétaire formé à la SKEMA Business School a suggéré d’user de l’argument selon lequel repousser la signature des PEPR de 9 mois serait une manière de pérenniser ces programmes, quand il s’agit simplement d’en amputer le budget de 75%. Le projet de loi de finances initial prévoyait une baisse de 1,3 milliards d’euros, une fois prise en compte l’inflation autour de 2,1%, dont 430 M€ pour la subvention pour charge de service public (SCSP). Les amendements gouvernementaux récents prévoient l’amputation des crédits de la mission « recherche et enseignement supérieur » de 630,1 M€ de plus, auxquels il faut ajouter 535 M€ de crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 ».

L’Université a été mise sur la paille, faute de soutien conséquent aux initiatives destinées à récupérer les moyens publics dilapidés dans le CIR et l’alternance.

Investir dans la recherche et l’Université, pour juguler le décrochage économique, scientifique et technique

Courte histoire de la mise au pas des laboratoires par des labellisations

Chaque bureaucrate rêve de d’opérer l’une des transformations que ses prédécesseurs ont échoué à mettre en œuvre. Ainsi la loi ORE a refermé l’humiliation du projet Devaquet (si tu savais) et auréolé de gloire pour les décennies à venir le directeur de cabinet de Mme Vidal, M. Philippe Baptiste. L’abandon des labellisation des laboratoires (les notes A+, A, B, C de l’AÉRES) constitue une autre blessure narcissique de la bureaucratie sarkozyste. C’est pour cette raison que M. Coulhon a tenté de se parachuter de l’Élysée à la tête Hcéres, pour le transformer en poste de contrôle et de mise au pas de la recherche. Par un dispositif tactique qui nous donne encore aujourd’hui le sourire, la communauté académique a suffisamment torpillé l’arrivée de M. Coulhon au Hcéres — avec l’aide efficace, il faut le reconnaître avec modestie de quelques-uns de ses ennemis au sein de la bureaucratie — pour qu’il échoue à transformer à nouveau le Hcéres en machine de guerre contre l’autonomie des scientifiques. Plus drôle encore, M. Coulhon, englué dans la médiocrité de cette institution, l’a coulée quand il entendait la transformer en lieu de pouvoir. Avec ses KeyLabs, M. Petit a relevé le gant de la fierté paléo-conservatrice. À l’issue du « moratoire », M. Philippe Baptiste aura-t-il l’idée confinant au génie de confier au Hcéres le soin de mettre en cause tous les 4 ans le label ouvrant droit à la dotation des laboratoires en personnels administratifs et techniques ?

https://rogueesr.fr/supprimons-le-hceres/

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