Tribune et calendrier de Stand Up for Science
Dans ce billet, nous relayons une tribune ouverte à la signature issue du réseau Stand Up for Science.
Calendrier
Jeudi 27 mars : manifestations à l’appel de l’intersyndicale pour la défense du service public d’enseignement supérieur et de recherche.
Jeudi 3 avril : deuxième journée de Stand Up for Science, tournée vers les campus et vers les citoyennes et les citoyens.
Fin mai : assemblée instituante / agora polycentrique sur les sciences, la recherche, l’enseignement, l’Université.
Juin : troisième journée de Stand Up for Science, avec pour but d’élargir le mouvement et d’initier une solidarité internationale
Il est essentiel d’obtenir des conseils centraux des universités des journées banalisées pour les évènements de Stand Up for Science.
« Le printemps est venu : comment, nul ne l’a su. »
Antonio Machado
Stand Up for Science
L’arrivée au pouvoir aux États-Unis de la coalition emmenée par Trump, Musk et Thiel a rompu l’abattement du milieu universitaire et scientifique français. Le succès de la journée du 7 mars témoigne d’un élan de solidarité avec les collègues aux États-Unis, mais aussi d’une prise de conscience sur la fragilité de notre système après 21 ans de paupérisation, de bureaucratisation et de précarisation qui ont conduit au décrochage.
Les outils de contrôle utilisés par les techno-fascistes du DOGE pour assujettir universités et agences de régulation sont exactement ceux mis en place ici : contractualisation, financement par projet, contrôle bureaucratique de type Hcérès, plateformes numériques, etc. La mobilisation du 7 mars, massive en France, témoigne de la solidité de la tradition de contestation civile dans notre pays. Si nous nous sommes mis debout, c’est que nous savons encore le faire. Mais l mouvement Stand Up for Science a deux dimensions nouvelles : il est horizontal, polycentrique, confédéral, chaque ville ayant une coordination autonome ; d’autre part, il s’agit d’un mouvement pluriel animé par un attachement fort à l’idéal démocratique et aux sciences comme bien commun — toutes les sciences, en incluant les disciplines du sens.
Nous appelons à signer massivement la tribune du réseau Stand Up for Science parue dans le journal Libération, qui sert de manifeste :
https://standupforscience.fr/tribune
Vous en trouverez également le texte en fin de billet. Une signature solidaire importante de la communauté académique permettra d’obtenir une couverture médiatique puis de faire signer le texte beaucoup plus largement au sein de la société — à commencer par les étudiantes et les étudiants. L’objectif de la tribune est d’abord de proposer des moyens d’aider à la résistance aux USA : nous ne pouvons abandonner une génération d’étudiantes et d’étudiants sans socle intellectuel et devons trouver tous les moyens d’aider les universités à tenir tête et maintenir l’accès aux formations universitaires ; nous ne pouvons laisser détruire des programmes de recherche fondamentaux à l’échelle planétaire. Par ailleurs, il est devenu évident pour l’ensemble de la communauté académique que notre système, abîmé par 25 ans de bureaucratie managériale, doit être intégralement réinstitué à partir de nos pratiques, des crises que la société doit affronter et des mutations géopolitiques.
« La pensée originale pose/crée des figures autres, fait être comme figure ce qui jusqu’alors ne pouvait pas l’être – et cela ne peut pas aller sans un déchirement du fond existant, de l’horizon donné, et sa recréation. »
Cornelius Castoriadis, Les Carrefours du Labyrinthe I
Tribune du réseau Stand Up for Science — Quelles résistances déployer face aux crises planétaires et à l’attaque des sciences comme savoirs communs ?
Depuis son retour au pouvoir, Donald Trump mène une offensive éclair d’une ampleur inédite contre les institutions démocratiques et les sciences. En combinant censure idéologique, prise de contrôle et destruction des données et des systèmes informatiques, suppression de financements, purges, intimidation voire terreur, l’Université et la recherche scientifique sont violemment attaquées. L’usage de termes comme « changement climatique », « historiquement », « minorités », « racisme » ou « femme » suffit à provoquer l’arrêt d’un programme de recherche, tandis que les agences fédérales subissent des coupes budgétaires violentes et délétères, entraînant des milliers de licenciements. En parallèle, la répression s’intensifie avec des menaces directes contre un grand nombre de scientifiques, d’universitaires, d’étudiantes et d’étudiants mais aussi contre des journalistes, des juges, des avocats, parce que les faits qu’ils mettent en évidence gênent les intérêts économiques ou contreviennent aux croyances du pouvoir et de ses soutiens, ou simplement parce qu’étrangers. Ces événements, dont on observe les analogues dans de nombreux pays autoritaires, nous rappellent l’extrême fragilité de la liberté académique lorsqu’elle n’est pas garantie par des statuts, la pérennité des financements et des protections effectives contre les ingérences des pouvoirs politique, économique et religieux.
La journée Stand Up for Science du 7 mars a donné lieu à une mobilisation citoyenne et scientifique inédite pour témoigner de la solidarité avec les universitaires aux États-Unis, en Argentine et ailleurs. Il s’agit désormais d’aider concrètement les résistances, de mettre en œuvre les moyens effectifs de ces solidarités, mais aussi de constituer et de rendre viable un écosystème scientifique et universitaire mondial. La France, qui pourrait apparaître comme un refuge, est en réalité frappée par des coupes budgétaires qui s’accumulent depuis plus de 20 ans, menaçant la viabilité de son propre système. Une fois l’inflation prise en compte, le dernier budget pour l’enseignement supérieur et la recherche a baissé de 1,5 milliard d’euros, tandis que 1,6 milliard d’euros de crédits ont été annulés pour 2024 et 2025. La précarisation s’est installée comme une norme : non seulement les jeunes scientifiques peinent à trouver des perspectives de carrière mais les statuts des scientifiques et universitaires titulaires sont eux aussi menacés. Avec son budget public fortement raboté cette année, le programme Pause ne pourra financer l’accueil que de 70 scientifiques et artistes exilés contre 170 en 2024. Enfin, si la France ne connaît pas aujourd’hui une offensive obscurantiste de l’ampleur de celle menée aux États-Unis, nul ne peut ignorer que l’Université et la recherche y font l’objet d’attaques : accusation du monde universitaire d’avoir “cassé la République en deux”, atteintes contre la liberté académique, violation du principe millénaire de franchise universitaire, droits de scolarité dissuasifs pour les étudiants étrangers hors UE, appels à démanteler le CNRS, l’office français de la biodiversité (OFB) ou l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et dégradation matérielle d’instituts de recherche comme INRAE. En clair, ni la France ni l’Europe ne sont actuellement les havres d’épanouissement scientifique et universitaire dont la société a pourtant besoin pour affronter les crises démocratique, économique, sanitaire, climatique et environnementale.
Être à la hauteur de ce moment de bascule planétaire ne peut consister à usurper le nom de « Stand Up For Science » pour accueillir une poignée de « stars » sur des contrats aux noms prestigieux — « chaires d’excellence » — reproduisant ainsi la gestion de la pénurie par la mise en compétition des scientifiques. Comme si, face à la crise climatique, on choisissait d’envoyer quelques élus sur Mars plutôt que de préserver les conditions de vie sur Terre. Accueillir des scientifiques menacés en exil est une nécessité, mais il faut commencer par appuyer tous les mouvements de résistance sur place. C’est la protection effective de l’écosystème scientifique mondial qu’il faut mettre en œuvre. Cela nécessite de réaffirmer certaines de ses valeurs fondamentales, à commencer par un attachement philosophique et politique à la vérité. Cela suppose également un ensemble de transformations visant à protéger la recherche et l’Université d’assauts directs et immédiats, comme ceux en cours, mais aussi d’attaques dans la durée, fragilisant ses institutions et ses statuts : garantir la préservation et l’accès aux données en mettant en place des infrastructures de stockage de données décentralisées; pérenniser le financement de programmes de recherches et de formations universitaires pour réduire la dépendance au pouvoir politique que confèrent les financements compétitifs ; accorder aux étudiants un statut reconnaissant leur contribution essentielle dans la production collective des savoirs et favoriser l’insertion des docteurs dans le secteur public comme privé; renouer avec un système d’édition scientifique public sous le contrôle de la communauté scientifique, mettant fin au marché captif des revues payantes générant des milliards d’euros de profits pour les éditeurs privés. Concevoir une Université et des institutions de recherche à la hauteur des défis du XXIème siècle nécessite de repenser leur ancrage sur le territoire conformément à un monde décarboné, permettant aux citoyennes et aux citoyens de pouvoir se former à l’Université tout au long de la vie, quel que soit leur milieu d’origine et leur lieu de naissance. Cela suppose d’investir dans la création de dizaines de milliers de postes stables garantissant l’autonomie vis-à-vis des pouvoirs. Ces emplois d’universitaires, de scientifiques, de personnels de soutien à l’enseignement et la recherche permettront à la fois d’accueillir celles et ceux en situation difficile en exil ou ailleurs, mais aussi d’assurer la production, la transmission et la préservation des savoirs pour les rendre disponibles au plus grand nombre. Financer cet investissement pourrait impliquer de réallouer des moyens considérables des dispositifs d’aide directe ou indirecte au secteur privé (crédit d’impôt recherche, alternance etc.), qui mobilisent des sommes considérables, sans bénéfice collectif à la hauteur du financement.
C’est aujourd’hui que nous devons concevoir les institutions qui feront des savoirs un bien commun, contribuant à rouvrir des horizons florissants.