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Je veux me battre partout où il y a de la vie

« The ideal subject of totalitarian rule is not the convinced Nazi or the convinced Communist, but people for whom the distinction between fact and fiction (i.e., the reality of experience) and the distinction between true and false (i.e., the standards of thought) no longer exist. »

Hannah Arendt, Totalitarianism

« Le sujet idéal de la domination totalitaire n’est ni le nazi convaincu ni le communiste convaincu, mais celui pour qui les distinctions entre fait et fiction (c’est-à-dire la réalité de l’expérience) et entre vrai et faux (c’est-à-dire les normes de la pensée) n’existent plus. »

Ce billet signale deux échéances importantes dans la semaine qui vient, dresse un bilan des mobilisations Stand Up for Science du 7 mars et esquisse la perspective d’un mouvement instituant qui prolongerait ce succès par des rencontres Debout pour les sciences.

Calendrier

Après le moment fort des rassemblements Stand Up for Science du 7 mars, deux échéances arrivent rapidement et constitueront un point d’appui pour la suite : le 11 mars, une journée de mobilisation aura lieu pour réclamer un budget à la hauteur des enjeux de l’enseignement supérieur et de la recherche, au lieu d’une énième saignée.

Le samedi 15 mars à 14h, un appel invite à nous retrouver à l’université Paris 8 pour travailler aux réponses qu’il convient d’apporter à la double attaque que représentent les velléités de KeyLabs au CNRS et les désaccréditations massives engagées par le Hcéres dans les universités d’Île-de-France, du nord de la France et des Outremers.

« La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement. »

Rosa Luxemburg

Stand Up for Science

La droite extrême qui est désormais au pouvoir aux États-Unis ne cache plus son jeu. Il n’aura fallu que quelques semaines pour saisir que la coalition nationaliste et libertarienne irait cette fois jusqu’au bout de son programme et entendait l’imposer vite et brutalement, en provoquant terreur et sidération. Dans cette perspective, les universités et les scientifiques ont été identifiés comme des ennemis et sont devenus une cible prioritaire :

Ceux qui tiennent à ne plus se référer qu’à des opinions, du ressenti ou des faits alternatifs, au gré de leur convenance, ne peuvent que nourrir une hostilité irréductible envers la poursuite méthodique de la vérité comme horizon commun. Stand Up for Science est né justement de la conviction que défendre les sciences — les sciences humaines et sociales et les sciences exactes comme les sciences de la nature — constituait aujourd’hui une exigence cruciale.

Voilà pourquoi vendredi 7 mars, nous avons été entre 13 000 et 16 000 à le dire haut et fort dans toute la France. Nous avons été 2 000 à manifester à Toulouse, 5 100 au Quartier latin, 800 à Montpellier, plusieurs autres milliers encore dans les rassemblements organisés spontanément par les universitaires et les chercheurs dans une quarantaine de villes, et jusqu’au fond de la Grotte Chauvet. Chacun de ces événements a fait vivre un discours simple et clair : la défense des sciences et de l’Université est un des piliers de la défense de la démocratie, de la liberté et d’un avenir vivable pour notre planète.

Cette mobilisation a ceci de remarquable qu’elle repose sur l’engagement de collègues dont c’était parfois la première mobilisation, et qui ont su travailler avec une diversité d’organisations et de collectifs : doctorants, précaires, syndicalistes, membres d’associations comme Alia ou Labos 1point5, collectifs comme le nôtre… Une satisfaction particulière est d’avoir vu les membres des sociétés savantes et les académiciens rompre avec un tropisme historique qui en faisait trop souvent des intercesseurs solitaires, redevenir des collègues et réapprendre à dire « nous » avec les autres universitaires et chercheurs — et c’est tout à leur honneur. Cette convergence est la réponse à un sentiment légitime, celui d’une solidarité forte avec nos collègues étasuniens, mais aussi d’une urgence démocratique dans notre propre pays : dans les rassemblements, il était souvent question de la situation française.

Aujourd’hui, nous porter à la hauteur de cet enjeu démocratique suppose d’aller plus loin dans ce que nous avons commencé le 7 mars : dépasser l’effet de sidération face à la stratégie du chaos. Nous ne pouvons plus nous laisser imposer le tempo des ennemis du savoir. Nous devons restaurer la possibilité de faire valoir notre propre temporalité.

Quelques interventions de la journée du 7 mars :

Johanna Siméant, Face à l’autoritarisme : défendre les sciences et le monde qui permet d’en faire.

Michaël Zemmour, Brève note après la journée Stand Up for Science (07/03/2025).

« Je veux me battre partout où il y a de la vie. »

Clara Zetkin

Rester debout, changer de tempo

La solidarité avec les scientifiques d’outre-atlantique se construit aussi par et dans la solidarité avec les universités françaises et les organismes de recherche malmenés par les coupes budgétaires, par les restructurations (KeyLabs), par les atteintes de plus en plus nombreuses à la liberté académique et, enfin par les tendances muskiennes du Haut conseil à l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), le nouveau comité de la hache. Nous devons d’urgence questionner l’usage que feraient un Musk, un Thiel ou un Milei de l’ensemble des institutions et des procédures en vigueur, du Hcéres à l’ANR, de Parcoursup à l’ERC. Pour gêner les menées d’une possible majorité extrême-droite/conservateurs en juillet, il nous faut commencer par obtenir la suppression du Hcéres :

https://rogueesr.fr/supprimons-le-hceres/

Le désastre étatsunien agit comme un révélateur de la visée des dirigeants néolibéraux (fascisés ou non) : contrôler la production de savoirs et leur transmission, et pour cela précariser matériellement et subjectivement celles et ceux qui sont l’Université. Ils conçoivent l’écosystème d’Université et de recherche comme une force antagoniste, qui s’oppose à leur relation élastique à la vérité. Comment comprendre sinon les déchaînements de discours haineux contre les sciences humaines et sociales ? Comment comprendre qu’un président de groupe parlementaire de la majorité demande la dissolution de l’Office français pour la biodiversité et que des forces gouvernementales livrent les spécialistes des sciences du vivant à la vindicte ?

C’est à cette aune qu’il faut comprendre les coups de tronçonneuse du Hcéres, une autorité publique supposée être indépendante. Si cet organe de la bureaucratie normative est devenu aussi outrancièrement hors-sol, ce n’est pas par un accident de construction : c’est par nécessité politique. Sa fonction est de faire peser une contrainte extérieure sur les disciplines, sur les savoirs et sur les personnes. Jusqu’à présent, cette fonction d’hétéronomie n’était sans doute pas évidente dans l’esprit de celles et ceux qui se prêtent au fonctionnement de la machine, mais elle l’est assurément dans les têtes de celles et ceux qui les dirigent.

Voilà pourquoi ils se permettent de changer les avis des comités de pairs, théoriquement en charge de l’évaluation, afin de mieux coller à une politique établie a priori. Voilà pourquoi ils imposent aux membres de leurs comités le secret sur le déroulé de leurs procédures, sous peine de poursuite pénale. Voilà pourquoi ils nous imposent des calendriers qu’ils sont les premiers à ne pas respecter. Voilà pourquoi ils nous épuisent à travailler dans l’urgence pour rédiger des rapports dans lesquels ils n’iront chercher que quelques mantras : la professionnalisation, l’approche par compétences — dont on sait les dégâts qu’elle peut produire dans l’enseignement primaire et secondaire —, la mobilité internationale, les indicateurs sacrés et chronophages, etc.

Le soutien revendiqué des directions du Hcéres et du CNRS à Stand Up for Science, dans le temps même où elles organisent le démantèlement de l’écosystème universitaire et scientifique, sont des injures à la vérité et à l’intégrité intellectuelle. Être debout pour la science, c’est être debout contre ces managers tristes et gris qui serviront les Trump français sans le moindre état d’âme. Comme France Université et l’Udice, ils se sont sentis obligés de jouer une fois de plus aux résistants de la 25ème heure, témoignant avant tout qu’ils n’admettent pas que nous soyons la science et l’Université. Le moratoire sur les KeyLabs comme le dialogue sur les avis Hcéres sont des pièges destinés à monnayer quelques concessions, et peut-être quelques postes pour les intercesseurs qui s’y prêteront. Il serait surprenant que France Université, l’Udice et le Hcéres ne tentent pas de lancer de nouvelles Assises pour couper l’herbe sous les pieds des initiatives venues de la base et pour rétablir la légitimité de pilotage que la bureaucratie a dilapidée ces derniers mois. Nous ne serons pas « assis » avec eux : nous resterons debout.

Nous ne devons plus répondre à leurs injonctions et à leurs exigences, encore moins à leur tempo qui n’est pas le nôtre. La crainte de notre réaction collective est parfaitement perceptible dans leurs dernières prises de positions publiques. Si nous sommes unis, si nous écartons les réponses sectorielles et parcellaires, si nous revendiquons et tenons un discours commun, une réponse politique qui ouvre des horizons plus créatifs et joyeux que les leurs, alors nous pourrons réinstituer une liberté académique effective. Une première rencontre de coordination est proposée en ce sens à l’Université Paris 8 le samedi 15 mars entre 14h et 18h.

La tribune « Dire non à la disparition de la philosophie » est désormais disponible en ligne :

https://rogueesr.fr/dire-non-a-la-disparition-de-la-philosophie/

Références sur l’approche par compétences :

E. Bautier, Savoirs et compétences, mise en œuvre curriculaire et inégalités d’apprentissage.

S. Bonnéry, Comment l’approche par compétence a-t-elle changé les pratiques à l’école française ?

Rencontres Debout pour les sciences

Au-delà de cette urgence, il est temps pour nous de poser les modalités possibles d’une Assemblée Instituante de l’Université et de la Recherche. Pour engager cette dynamique instituante, nous proposons d’organiser des Rencontres Debout pour les sciences sur le même principe que la journée Stand Up for Science à partir de quatre principes :

  • les Rencontres Debout pour les sciences ne doivent pas être confisquées par la bureaucratie de l’ESR, comme ce fut le cas pour les « Assises » de 2012 ;
  • les Rencontres Debout pour les sciences doivent dépasser les clivages partisans ;
  • les Rencontres Debout pour les sciences doivent conduire à un processus instituant très majoritairement partagé au sein de la communauté académique ;
  • les Rencontres Debout pour les sciences doivent s’appuyer sur la pratique de l’enseignement et de la recherche, donc sur les laboratoires, les UFR et plus généralement les collectifs de travail qui ont échappé au processus de séparation entre bureaucrates et exécutants.

Comment articuler ces principes concrètement ? Nous soumettons au débat de la communauté d’enseignement et de recherche les propositions de modalités suivantes :

  • constituer par tirage au sort une assemblée recevant mandat pour formuler un projet instituant ;
  • les mandatés reçoivent le soutien de leur institution de tutelle sous forme d’une décharge leur permettant d’effectuer le travail ;
  • les travaux de l’Assemblée instituante sont nourris de séminaires accessibles par vidéoconférence à l’ensemble de la communauté ;
  • le rapport est soumis à l’approbation par le vote de l’ensemble de la communauté académique.

« Notre “État” actuel est la dictature du mal. On me répond peut-être : “Nous le savons depuis longtemps, que sert-il d’en reparler ?” Mais alors, pourquoi ne vous soulevez-vous pas, et comment tolérez-vous que ces dictateurs, peu à peu, suppriment tous vos droits, jusqu’au jour où il ne restera rien qu’une organisation étatique mécanisée dirigée par des criminels et des salopards ? Êtes-vous à ce point abrutis pour oublier que ce n’est pas seulement votre droit, mais aussi votre devoir social, de renverser ce système politique ? Qui n’a plus la force de faire respecter son droit, doit, en toute nécessité, succomber. Nous mériterons de nous voir dispersés sur la terre, comme la poussière l’est par le vent, si nous ne rassemblons pas nos forces et ne retrouvons, en cette douzième heure, le courage qui nous a manqué jusqu’ici. Ne cachez pas votre lâcheté sous le couvert de l’intelligence. Votre faute s’aggrave chaque jour, si vous tergiversez et cherchez des prétextes pour éviter la lutte. »

Extrait du troisième des six tracts de la Weiße Rose (1942)

Sophie Scholl fut exécutée le 22 février 1943 après avoir été remise à la Gestapo par des personnels de l’université de Munich, où elle venait de lancer des tracts.

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Au point de bascule

Un billet en quatre temps. Pourquoi faut-il participer à « Debout pour les sciences » le 7 mars ? Suivent une brève sur les attaques de l’enseignement (Hcéres) et de la recherche (KeyLabs) et une autre sur le budget d’austérité. Le billet se termine par une synthèse sur la coalition au pouvoir aux États-Unis et sur les raisons de son attaque contre les sciences et la démocratie.

Pourquoi faire mouvement ce 7 mars ?

En écho à la journée Stand-up for science initiée aux États-Unis, des manifestations sont organisées le 7 mars dans chaque grande ville universitaire de France. Retrouvez toutes les informations et inscrivez-vous pour participer à l’organisation sur le site suivant :

https://standupforscience.fr/

L’Association pour la Liberté Académique (ALIA) appelle à élargir les raisons de manifester :

https://liberte-academique.fr/appel-dalia-a-rejoindre-le-mouvement-debout-pour-la-science-stand-up-for-sciencele-7-mars-2025/

RogueESR appelle à son tour au mouvement du 7 mars pour servir de porte-voix aux collègues travaillant aux États-Unis, en Argentine et ailleurs, mais aussi pour fédérer les mobilisations qui concernent les KeyLabs, les attaques contre nos formations par la bureaucratie du Hcéres, les budgets d’austérité, premiers volets de la mise en application de la LRU 2.0. Rappelons les buts visés : suppression du statut de fonctionnaire, démantèlement des organismes de recherche, augmentation des frais d’inscription.

Il y a sans doute une raison qui prime : nous devons tout faire pour aller contre le cours de choses. Les élections en Allemagne nous le confirment : ce temps de crise est favorable électoralement aux extrêmes droites, dans le cadre d’alliances socio-politiques pour lesquelles la coalition arrivée au pouvoir aux États-Unis constitue un modèle. Ce modèle n’est pas seulement une inspiration de stratégie électorale : c’est une épure programmatique, par la vitesse et l’efficacité de sa destruction de la démocratie, des institutions universitaires et scientifiques, des droits civiques et des instances de régulation. Pour échapper à ce désastre, notre société a besoin d’un sursaut démocratique porté par un mouvement issu de la société civile ; une partie du monde étudiant tente d’emprunter cette voie, et il nous faut l’appuyer. Pour nous donner une chance d’« étonner la catastrophe », il nous faut cesser nos activités ordinaires ce 7 mars et faire mouvement. Nous avons une opportunité unique de faire de ce jour un moment pluraliste en faveur de la démocratie, des sciences, de la liberté académique et d’un modèle d’Université qui renoue avec le projet humaniste humboldtien. Nous avons besoin de retisser des solidarités avant qu’il soit trop tard, de nous retrouver, de juguler l’atomisation du monde académique. Nous n’avons pas mieux à faire le 7 mars : à quoi bon nous épuiser à nos tâches quotidiennes si le monde s’effondre dans l’indifférence ?

Nous appelons à utiliser chaque début de cours et de travaux dirigés pour inviter les étudiantes et les étudiants à participer au mouvement. Nous invitons toutes les bonnes volontés à concevoir, imprimer et distribuer des tracts chaque midi, sur tous les campus, à apposer des affiches partout où c’est possible :

https://standupforscience.fr/

Ce billet constitue une mise-à-jour des analyses sur l’ensemble des sujets que nous traitons.

« I need the kind of generals that Hitler had. »

Donald Trump

« J’ai besoin du type de généraux qu’avait Hitler. »

Hcéres et KeyLabs

Le déclassement arbitraire d’un grand nombre de formations par la bureaucratie du Hcérès et le démantèlement de 75% des laboratoires par le président du CNRS participent de la même visée politique, théorisée il y a plus de 20 ans. Il est symptomatique que l’attaque du Hcéres contre les sciences humaines et sociales n’épargne plus la philosophie, qui avait pu sembler relativement protégée par sa place particulière dans l’imaginaire collectif et dans nos institutions scolaires. Même le démantèlement du baccalauréat par M. Blanquer au profit d’un « portefeuille de compétences » s’était gardé d’attaquer frontalement la sacro-sainte épreuve de philosophie. Vous pourrez retrouver une tribune à ce sujet dans les colonnes du journal Le Monde et à cette adresse :

https://rogueesr.fr/dire-non-a-la-disparition-de-la-philosophie/

La bureaucratie du CNRS, quant à elle, après avoir été contrainte à un recul tactique, a tenu à réaffirmer son intention de mener à bien la réforme des KeyLabs — quel que soit le nom sous lequel elle fera retour cet été. M. Petit a envoyé une lettre dont les fautes de français agrémentent la vacuité :

https://rogueesr.fr/wp-content/uploads/2025/02/2025_02_20_Courrier-AP-CSCSISectionsCID.pdf

Une seule phrase importe : « Comment le CNRS doit-il identifier les unités les plus stratégiques qui ont vocation à être les plus à même de répondre aux exigences internationales et à être des fers de lance du rayonnement du CNRS et de la recherche française ? »

Plus explicite encore fut la journée des directeurs d’unité de biologie, marquée par des huées et des sifflets, tant le ton injurieux même et l’indigence pathétique des discours managériaux furent reçus comme une marque de mépris. En substance : « Puisque vous ne voulez parler que de KeyLabs, allons-y, vous n’y avez rien compris. » En quelques heures, c’est la frange du monde académique a priori la plus réceptive à la réforme qui a été saisie par la vulgarité trumpienne d’un « franc-parler » aussi odieux que dépourvu de vision. Sur le fond, aucune nouveauté sinon cette confirmation : si la présidence du CNRS tient à créer un label de différenciation, ce n’est pas tant pour une question de moyens que pour concentrer chercheuses et chercheurs au sein d’un petit nombre d’unités, en grande majorité localisées dans la dizaine d’« universités de recherche intensive » privatisables.

« The thing that I kept thinking about liberalism in 2019 and 2020 is that these guys have all read Carl Schmitt — there’s no law, there’s just power. And the goal here is to get back in power. »

J.D. Vance

« Ce que je n’ai cessé de penser à propos du libéralisme en 2019 et 2020, c’est que ces types ont tous lu Carl Schmitt — il n’y a pas de loi, il n’y a que le pouvoir. Et l’objectif ici est de revenir au pouvoir. »

Budget d’austérité

Il ne fait plus de doute pour quiconque que l’Université et la recherche publique subissent des coupes budgétaires abyssales. Les financements existent, pourtant : ils ont été détournés vers deux programmes dispendieux et inefficaces, le Crédit d’Impôt Recherche et la formation par alternance, que l’exécutif se refuse à remplacer par des mesures moins coûteuses qui pourraient avoir, elles, un effet réel de transformation de l’économie.

Le montant exact du plan d’austérité, destiné à amorcer la dérégulation des frais d’inscription, est difficile à établir pour une raison simple : les lois de finance sont systématiquement devenues insincères. Le principe de sincérité a été défini par le Conseil constitutionnel comme « absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre déterminé par la loi de finances ». De fait, la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) reposait dès son adoption sur un déficit de financement, et les annulations de crédits qui reprennent des budgets dûment votés par la représentation nationale sont devenues systématiques. Dès lors, comment rendre compte des évolutions budgétaires ? Faut-il accepter ce recours systématique aux annulations de crédit et les soustraire au budget, au risque de normaliser l’insincérité budgétaire ? La solution la plus simple consiste à énumérer les baisses budgétaires et les annulations de crédits.

La loi de finance a aggravé de 376 millions les coupes budgétaires par rapport au projet de loi de finances initial. Au final, la représentation nationale a voté 1,5 milliard d’euros de baisse de budget, une fois corrigés de l’inflation (-929 millions d’euros sans prise en compte de l’inflation).

Les annulations de crédits ont été de 904 millions d’euros par décret du 21 février 2024 puis de 215 millions d’euros lors du projet de loi de finances de fin de gestion 2024, soit 1,1 milliard d’euros d’annulation de crédits pour 2024.

Il faut encore soustraire 0,5 milliards d’euros d’annulation de crédits de paiement de la mission « Investir pour la France de 2030 ». Votées en 2024, ces annulations concernent principalement en 2025 les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), les programmes prioritaires de recherche et les équipements structurants de recherche.

« A lot of people think of government and corporations as different, but the government is simply the worst form of a corporation in the limit, in that it that cannot go bankrupt without bankrupting the people and has a monopoly on violence. »

Elon Musk

« Beaucoup de gens considèrent que le gouvernement et les entreprises sont de nature distincte, mais le gouvernement est tout simplement la pire forme d’entreprise qui soit, en ce sens qu’il ne peut pas faire faillite sans mettre le peuple en faillite et qu’il a le monopole de la violence. »

La triple alliance étatsunienne

Vous trouverez une liste d’articles de presse sur la situation aux États-Unis mise à jour à l’adresse suivante :

https://rogueesr.fr/articles-usa/

La coalition qui a pris le pouvoir aux États-Unis articule trois courants politiques qui trouvent leur compte dans les menées du DOGE de M. Musk :

  • les milieux d’affaires du capitalisme de rente et de prédation (numérique, FinTech, énergies fossiles, cryptoactifs) qui entendent maximiser leur taux de profit ; cela suppose de vassaliser l’économie concurrentielle pour en extraire de la valeur et de supprimer toute régulation. Ils militent pour un management public fait de rightsizing et de cost-killing. Au fond, la meute techno-fasciste du DOGE, qui prend d’assaut les machines du gouvernement fédéral, menace et licencie à tour de bras, n’est qu’une forme radicalisée des managers que nous subissons depuis des années : une bureaucratie sous stéroïdes.
  • les think tanks paléo-conservateurs hostiles au programmes sociaux (New Deal) qui souhaitent annihiler les droits civiques et entraver l’État pour le rendre incapable de justice sociale. Les MAGA militent contre l’impôt et dénoncent l’emprise des parasites d’en-bas sur l’État, attaquent les droits des femmes et s’en prennent aux migrants, aux minorités sexuelles et à leurs défenseurs, y compris universitaires. C’est à cette composante que l’on doit la stratégie de la « merde dans le ventilo » (flood the zone) consistant à sidérer par le déploiement permanent de la souveraineté grotesque (voir la citation de M. Foucault ci-dessous) et du free speech.
  • les « accélérationnistes de la décadence », les fondamentalistes du Dark Enlightenment (NRx) et la composante « anarco-capitaliste » du libertarianisme, qui souhaitent mettre à bas l’État fédéral au profit d’un patchwork décentralisé d’entités privées. Ces micro-pays souverains et indépendants au sein desquels les acteurs privés produisent des lois et des juridictions conformes à leurs besoins personnels s’apparentent à des technomonarchies. Ils constitueraient les nœuds (nexus) articulant les flux de capitaux, de marchandise et d’informations.

Ces trois composantes trouvent leur compte dans le blitzkrieg corporate contre :

  • les institutions démocratiques et la société civile américaine,
  • les organismes de régulation climatique, environnementale, sanitaire et agro-industrielle,
  • les droits civiques,
  • les institutions scientifiques accusées de produire le fondement scientifique des régulations, de soutenir les droits des minorités sexuelles et ethniques, de documenter les inégalités et les injustices économiques et sociales.

Elles gèrent harmonieusement leurs différences en matière géopolitique puisqu’il s’agit :

  • de vassaliser des pays étrangers à des fins de prédation de matières premières et de captation de valeur par inféodation (IA, Gafam, etc.) pour constituer un Großraum eurasien,
  • de soutenir les alliances entre extrême-droite et conservateurs partout en occident pour éradiquer le progressisme et les aspirations démocratiques,
  • d’étendre l’archipel d’enclaves dérégulées et soumises à des lois privées.

On le constate, l’alliance fasciste au pouvoir aux États-Unis n’a pas les mêmes caractéristiques que l’extrême-droite de la famille Le Pen, de B. Retailleau ou de G. Darmanin et nécessite un travail d’analyse spécifique pour la combattre. Une certitude, déjà : nous vivons un moment de bascule générale et nous avons très peu de temps pour tenter de juguler le désastre.

« […] quand je dis « grotesque », je voudrais l’employer en un sens sinon absolument strict, du moins un petit peu serré ou sérieux. J’appellerai « grotesque » le fait, pour un discours ou pour un individu, de détenir par statut des effets de pouvoir dont leur qualité intrinsèque devrait les priver. Le grotesque, ou, si vous voulez, l’« ubuesque », ce n’est pas simplement une catégorie d’injures, ce n’est pas une épithète injurieuse, et je ne voudrais pas l’employer dans ce sens. Je crois qu’il existe une catégorie précise ; on devrait, en tout cas, définir une catégorie précise de l’analyse historico-politique, qui serait la catégorie du grotesque ou de l’ubuesque. La terreur ubuesque, la souveraineté grotesque ou, en d’autres termes plus austères, la maximalisation des effets de pouvoir à partir de la disqualification de celui qui les produit : ceci, je crois, n’est pas un accident dans l’histoire du pouvoir, ce n’est pas un raté de la mécanique. Il me semble que c’est l’un des rouages qui font partie inhérente des mécanismes du pouvoir. Le pouvoir politique, du moins dans certaines sociétés et, en tout cas, dans la nôtre, peut se donner, s’est donné effectivement la possibilité de faire transmettre ses effets, bien plus, de trouver l’origine de ses effets, dans un coin qui est manifestement, explicitement, volontairement disqualifié par l’odieux, l’infâme ou le ridicule. Après tout, cette mécanique grotesque du pouvoir, ou ce rouage du grotesque dans la mécanique du pouvoir, est fort ancien dans les structures, dans le fonctionnement politique de nos sociétés. Vous en avez des exemples éclatants dans l’histoire romaine, essentiellement dans l’histoire de l’Empire romain, où ce fut précisément une manière, sinon exactement de gouverner, du moins de dominer, que cette disqualification quasi théâtrale du point d’origine, du point d’accrochage de tous les effets de pouvoir dans la personne de l’empereur ; cette disqualification qui fait que celui qui est le détenteur de la majestas, de ce plus de pouvoir par rapport à tout pouvoir quel qu’il soit, est en même temps, dans sa personne, dans son personnage, dans sa réalité physique, dans son costume, dans son geste, dans son corps, dans sa sexualité, dans sa manière d’être, un personnage infâme, grotesque, ridicule. De Néron à Héliogabale, le fonctionnement, le rouage du pouvoir grotesque, de la souveraineté infâme, a été perpétuellement mis en œuvre dans le fonctionnement de l’Empire romain.

Le grotesque, c’est l’un des procédés essentiels à la souveraineté arbitraire. Mais vous savez aussi que le grotesque, c’est un procédé inhérent à la bureaucratie appliquée. Que la machine administrative, avec ses effets de pouvoir incontournables, passe par le fonctionnaire médiocre, nul, imbécile, pelliculaire, ridicule, râpé, pauvre, impuissant, tout ça a été l’un des traits essentiels des grandes bureaucraties occidentales, depuis le XIXe siècle. Le grotesque administratif n’a pas simplement été l’espèce de perception visionnaire de l’administration qu’ont pu avoir Balzac, Dostoïevski, Courteline ou Kafka. Le grotesque administratif, c’est en effet une possibilité que s’est réellement donnée la bureaucratie. « Ubu rond de cuir » appartient au fonctionnement de l’administration moderne, comme il appartenait au fonctionnement du pouvoir impérial à Rome d’être entre les mains d’un histrion fou. Et ce que je dis de l’Empire romain, ce que je dis de la bureaucratie moderne, on pourrait le dire de bien d’autres formes mécaniques de pouvoir, dans le nazisme ou dans le fascisme. Le grotesque de quelqu’un comme Mussolini était absolument inscrit dans la mécanique du pouvoir. Le pouvoir se donnait cette image d’être issu de quelqu’un qui était théâtralement déguisé, dessiné comme un clown, comme un pitre.

Il me semble qu’il y a là, depuis la souveraineté infâme jusqu’à l’autorité ridicule, tous les degrés de ce que l’on pourrait appeler l’indignité du pouvoir. Vous savez que les ethnologues — je pense en particulier aux très belles analyses que Clastres vient de publier — ont bien repéré ce phénomène par lequel celui à qui l’on donne un pouvoir est en même temps, à travers un certain nombre de rites et de cérémonies, ridiculisé ou rendu abject, ou montré sous un jour défavorable. S’agit-il, dans les sociétés archaïques ou primitives, d’un rituel pour limiter les effets du pouvoir ? Peut-être. Mais je dirais que, si ce sont bien ces rituels que l’on retrouve dans nos sociétés, ils ont une tout autre fonction. En montrant explicitement le pouvoir comme abject, infâme, ubuesque ou simplement ridicule, il ne s’agit pas, je crois, d’en limiter les effets et de découronner magiquement celui auquel on donne la couronne. Il me semble qu’il s’agit, au contraire, de manifester de manière éclatante l’incontournabilité, l’inévitabilité du pouvoir, qui peut précisément fonctionner dans toute sa rigueur et à la pointe extrême de sa rationalité violente, même lorsqu’il est entre les mains de quelqu’un qui se trouve effectivement disqualifié. Ce problème de l’infamie de la souveraineté, ce problème du souverain disqualifié, après tout, c’est le problème de Shakespeare ; et toute la série des tragédies des rois pose précisément ce problème, sans que jamais, me semble-t-il, on ait fait de l’infamie du souverain la théorie. Mais, encore une fois, dans notre société, depuis Néron (qui est peut-être la première grande figure initiatrice du souverain infâme) jusqu’au petit homme aux mains tremblantes qui, dans le fond de son bunker, couronné par quarante millions de morts, ne demandait plus que deux choses : que tout le reste soit détruit au-dessus de lui et qu’on lui apporte, jusqu’à en crever, des gâteaux au chocolat — vous avez là tout un énorme fonctionnement du souverain infâme. »

Michel Foucault, Les Anormaux, cours de 1974-1975 au Collège de France.

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Debout pour les sciences

Ce billet se compose de quelques brèves suivies de deux analyses. La première porte sur l’offensive bureaucratique du Hcéres contre les formations universitaires, qui suit jusqu’au mimétisme celle des KeyLabs. La seconde porte sur la nécessité de défendre l’intégrité scientifique et de combattre la désinformation, ce qui nous donne l’occasion d’un retour sur le Paris-Saclay Summit organisé par Le Point.

« Lorsque quelqu’un frappe à la porte, il y a ceux qui ouvrent et ceux qui n’ouvrent pas. Celui qui ouvre, c’est celui qui se sait en dette. »

Germaine Tillion

Brèves

  • L’heure est grave et nous devons saisir chaque opportunité de mouvement pour tenter de juguler le glissement à l’extrême-droite. Le mouvement Stand up for science du 7 mars, qui vient d’être lancé en France, constitue une tentative de réunir toutes les composantes de la communauté académique avec une attention particulière au monde étudiant. Renseignements et inscription pour coorganiser le mouvement dans votre ville à cette adresse :
    https://standupforscience.fr/
  • Des mobilisations et des assemblées générales se préparent dans de nombreux établissements, le 6 mars en particulier. L’enjeu est aujourd’hui d’unifier les mobilisations contre les KeyLabs, le Hcéres, l’austérité budgétaire et la LRU 2.0 mais aussi de rouvrir l’horizon. L’ensemble de la communauté académique (syndicats, sociétés savantes, collectifs, etc) doit réagir pour mettre un terme au programme de destruction en cours. À cette fin, Rogue appelle aux mobilisations des 6 et 8 mars, puis à une Coordination nationale le 15 mars pour poser les fondements de la contre-offensive qui s’impose.
  • L’association Alia a fait paraître une tribune sur les violations de la liberté académique aux États-Unis :
    https://liberte-academique.fr/tribune-de-la-democratie-en-amerique/
  • L’analyse bibliométrique fétichisée par la bureaucratie documente le déclassement de la France dans la production scientifique, qui passe du 6ème au 13ème rang mondial en 15 ans :
    https://www.hceres.fr/sites/default/files/media/downloads/ost-position-scientifique-france-2024.pdf
    Qui aurait pu prévoir que vingt-et-un ans de réformes de bureaucratisation, de différenciation, de dépossession, de précarisation et de paupérisation conduirait au déclin scientifique et technique ?

« Il serait injuste d’imputer aux petits personnages des facultés ou des ministères la responsabilité d’une situation qui fait qu’un si grand nombre de médiocres jouent incontestablement un rôle considérable dans les universités. Il faut plutôt en chercher la raison dans les lois mêmes de l’action concertée des hommes, surtout dans celle de plusieurs organismes. »

Max Weber, Le savant et le politique, 1919.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés

Depuis la mi-février, les établissements évalués par le Hcéres dans le cadre de la « vague E » connaissent les résultats de la « phase bilan » de cette évaluation. Ils essuient en effet les plâtres d’une énième mouture du processus, qui présente le signe distinctif des tours de vis autoritaires et bureaucratiques : avoir été vendue comme une « simplification ». Dorénavant, pour les formations, les « bilans » et les « projets » sont évalués séparément, par deux dossiers distincts, ce qui revient essentiellement à étendre la période de montagnes russes des collègues responsables de ces dossiers. L’assentiment des universitaires a été acheté par la promesse que les formations bénéficiant d’un avis favorable sur le bilan seraient exemptées de phase projet. 

Le réel est venu frapper à la porte entre le 14 et le 17 février : la proportion d’avis défavorables sur le bilan a explosé. Le couperet est tombé pour plus du quart des formations dispensées en Île-de-France, dans les Hauts-de-France et outremer. Dans certaines UFR, les trois quarts des étudiants sont inscrits dans des formations recevant un avis défavorable. Ce chiffre magique de 75% de déclassement évoque immédiatement les KeyLabs, et de fait, l’ivresse muskienne des caciques du Hcéres n’a d’égale que celle de la direction du CNRS.

Mais la similitude avec la crise des KeyLabs au CNRS est plus profonde. Sur la méthode, en particulier. Depuis la publication des résultats, on assiste au même théâtre d’ombres : les relais statutaires de la domestication aux réformes, réunis au sein de France Universités, se sont émus d’avoir été aussi ouvertement humiliés. Ce mouvement d’humeur a aussitôt suscité une réaction de la directrice du département d’évaluation des formations du Hcéres, Mme Franjié, et de la toute nouvelle présidente de cette officine, Mme Chevallier, dont nous avions prédit la nomination politique dès novembre dernier. Sans surprise, l’antienne est la même que dans l’opération de déminage menée par le ministre sur le front du CNRS : la porte est ouverte à une négociation avec les « acteurs », comprendre les bureaucrates de l’Udice et de France Universités, qui se targueront, le cas échéant, d’avoir obtenu… un moratoire.

De ce fait, les tronçonneurs du Hcéres font savoir que l’évaluation n’est pas achevée — ce que l’on ne peut que confirmer : l’évaluation à la mode Hcéres est perpétuelle et infinie, la remise en cause du travail des collègues permanente, la déstabilisation aussi. La ronde incessante des protocoles changés tous les quatre ou cinq ans symbolise cette évaluation permanente qui ne poursuit que deux buts : aggraver la précarisation subjective de celles et ceux qui font vivre l’Université et la recherche et occuper des apparatchiks.

Place, donc, à un script dont la suite est connue : les impétrants devront aller à Canossa, expliquer pourquoi ils sont coupables du fait que le taux de départ des étudiants à l’étranger est directement corrélé à la sociologie de leur vivier de recrutement ; pourquoi ils ont trop peu de titulaires à placer devant les étudiants ; pourquoi leurs « blocs de compétences » ne sont pas immédiatement au diapason de la dernière mode ; et par quelle démarche-qualité innovante et co-construite ils comptent y remédier. On se doute bien que les réponses sincères ne sont pas particulièrement souhaitées. Au terme du processus, la plupart recevront un avis favorable sous conditions, car, après tout, il faut bien accueillir tous ces étudiants. 

Il en restera l’inquiétude, la blessure intime des collègues mis en cause dans leur rigueur, et surtout le stigmate des formations de second choix, et demain, si le souhait de Mme Chevallier est entendu et que les évaluations portent à conséquence pour les établissements (comprendre : pour leur dotation budgétaire), le risque permanent d’un définancement. Soit très exactement le sort que la réforme des KeyLabs promet aux laboratoires non-homologués. Comme dans l’affaire des KeyLabs, le couperet et le stigmate auront valeur d’avertissement pour les élus d’aujourd’hui, qui vivront dorénavant dans la crainte d’être les sacrifiés de demain. On a suffisamment décrit ces mécanismes de précarisation subjective pour ne pas y revenir.

Comme nous l’écrivions au lendemain du « moratoire » annoncé par le ministre, M. Baptiste, cette manoeuvre dilatoire ne doit pas faire oublier que toutes les réformes menées depuis vingt-et-un ans à l’Université et au CNRS visent à entériner une différenciation drastique entre les établissements privatisables susceptibles de monnayer leurs diplômes à prix d’or et de se positionner sur un marché global du savoir, et des établissements déqualifiés fournissant un marché de stagiaires et d’alternants tout en sortant la jeunesse populaire des statistiques du chômage. Si l’on en doutait encore, cette analyse est confortée par l’annonce concomitante du déclassement de pans entiers de la formation d’établissements universitaires recrutant leurs étudiants dans les régions les plus défavorisées du pays. Nous vous invitons donc à reprendre et à partager cet appel à supprimer le Hcéres :

https://rogueesr.fr/supprimons-le-hceres/ 

Plus que jamais, il nous revient la responsabilité de reprendre en main le contrôle de nos normes de qualité ; d’affirmer l’irréductibilité de la liberté académique aux procédures de la bureaucratie triomphante ; de tenir tête aux champions de la tronçonneuse pour défendre le pacte qui lie la science et la démocratie. Cela ne passera pas par une énième nouvelle mouture de la grille d’évaluation du Hcéres, mais par un processus constituant, qui trouve à s’incarner dans des Assises de l’Université et de la Recherche.

« Dans la “République des Lettres“, il y a — il y avait avant la montée des imposteurs — des mœurs, des règles et des standards. Si quelqu’un ne les respecte pas, c’est aux autres de le rappeler à l’ordre et de mettre en garde le public. Si cela n’est pas fait, on le sait de longue date, la démagogie incontrôlée conduit à la tyrannie. Elle engendre la destruction – qui progresse devant nos yeux – des normes et des comportements effectifs, publics sociaux que présuppose la recherche en commun de la vérité. »

Cornelius Castoriadis, L’industrie du vide, 1979.

In solidarity : comment agir ?

Le silence ne protégera pas scientifiques et universitaires des menées des droites extrêmes coalisées. Dans un temps où les pouvoirs politiques, économiques et religieux tentent de déformer, supprimer ou coopter les connaissances scientifiques à des fins idéologiques, nous avons le devoir d’agir pour soutenir les collègues aux États-Unis et en Argentine. C’est le sens du mouvement In solidarity auquel plusieurs sociétés savantes se sont associées, et qui prendra toute sa place lors de la journée du 7 mars :

https://rogueesr.fr/in-solidarity/

De nombreux scientifiques qui travaillent aux USA craignent que le fait de s’exprimer ne mette en péril leur carrière, leurs financements, voire leur sécurité personnelle. Aussi nous faut-il porter la parole de ces voix étouffées, défendre la protection des scientifiques confrontés à des représailles politiques et possiblement créer les conditions pour les accueillir en exil. Mais agir, cela suppose avant tout de combattre les mensonges, les manipulations, la désinformation et ce que Castoriadis a appelé l’imposture publicitaire. Nous devons défendre pied à pied l’intégrité scientifique. 

Aussi est-il essentiel de revenir sur le Paris-Saclay Summit, non du fait de son importance, très relative, mais parce qu’il constitue un exemple archétypique. Le Paris-Saclay Summit n’est aucunement un colloque de nature académique, mais un meeting politique en zone grise. Le concept de zone grise désigne cet espace mondain de l’Université qu’affectionnent les présidences et qui mêle aux exposés scientifiques vulgarisés des prises de position politiciennes, des enfilages de perles de bureaucrates ainsi que des interventions d’experts auto-proclamés, de marchands de sable et de marchands de doute. Malgré les polémiques, ces usurpateurs en retirent l’aura d’un cadre académique prestigieux. Bénéficiant de la liberté académique, universitaires et chercheurs sont parfaitement libres a priori de présenter leur travaux lors de meetings en zone grise. Celui-ci était destiné à promouvoir les vues de Mme Pécresse et du Point, qui ont applaudi de concert aux attaques de M. Musk, de M. Trump et de M. Milei contre la science. Le Point s’est spécialisé depuis longtemps dans une forme de désinformation scientifique qui passe par l’administration conjointe de poison et d’antidote. Dans le cas présent, l’hebdomadaire feint la critique libérale de Trump pour mieux saluer son « coup de génie » lorsqu’il dérégule l’usage du plastique ou pour accréditer une supposée « révolution énergétique qui se propage aux États-Unis ». Cela donne une petite musique du « nous ne sommes pas pour les excès populistes mais il faut bien reconnaître que… », suivie d’une promotion des menées du techno-fascisme corporate.

Pendant le meeting, Mme Woessner, figure centrale du confusionnisme du Point, a trouvé le temps de harceler Valérie Masson-Delmotte dans une interminable logomachie diffamatoire sur les réseaux sociaux X et Bluesky, l’accusant de « désinformation », de « soutien à l’ultra-violence », de « participation à des cabales », de « malhonnêteté intellectuelle », de « mépris des faits, et de la science », de « très forte imprégnation idéologique », de « manoeuvres » et de « piétinement de la science pour servir un agenda trotskiste ». Notons qu’en droit de la presse, l’animosité personnelle est l’une des notions juridiques clés qui permettent de distinguer la bonne foi de la diffamation.

Dans le même temps, son compère, M. Seznec, écrivait une lettre de menaces à un universitaire, contributeur de Wikipedia depuis 18 ans, qui documentait la page consacrée au Point en y ajoutant quelques exemples de désinformation scientifique qui truffent sa rubrique « science ». Wikipedia fait l’objet d’attaques incessantes de la part de l’extrême-droite ; c’est même une obsession des réseaux de désinformation libertariens. Ce qui rend Wikipedia insupportable à Elon Musk ou Peter Thiel, c’est son caractère décentralisé : contrairement à une plateforme comme X ou à un hebdomadaire comme Le Point, il ne peut pas être racheté. Aussi la communauté Wikipedia a-t-elle réagi très vivement aux intimidations contre un contributeur bénévole en écrivant, fait exceptionnel, une lettre ouverte signée par près de 1 000 contributeurs :

Lettre ouverte : non à l’intimidation des contributeurs bénévoles

Dans quelques mois, il est possible que l’extrême-droite coalisée avec la droite conservatrice devienne majoritaire au parlement français. Nous pensons important de rappeler inlassablement que la collaboration avec des forces anti-démocratiques qui piétinent la liberté scientifique constitue une faute morale et une violation de l’éthique académique : on ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages.

« L’inferno dei viventi non è qualcosa che sarà; se ce n’è uno, è quello che è già qui, l’inferno che abitiamo tutti i giorni, che formiamo stando insieme. Due modi ci sono per non soffrirne. Il primo riesce facile a molti: accettare l’inferno e diventarne parte fino al punto di non vederlo più. Il secondo è rischioso ed esige attenzione e apprendimento continui: cercare e saper riconoscere chi e cosa, in mezzo all’inferno, non è inferno, e farlo durare, e dargli spazio. »

Italo Calvino, Le città invisibili

« L’enfer des vivants n’est pas quelque chose qui sera ; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons en étant ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première est facile pour beaucoup : accepter l’enfer et en faire partie au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et requiert une attention et un apprentissage constants : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui donner de l’espace. »

Italo Calvino, Les villes invisibles.

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Sans loi & sans règle

« Dans le (gouvernement) despotique, un seul, sans loi & sans règle, entraîne tout par sa volonté & par ses caprices. »

Montesquieu, De l’esprit des lois.

Ce billet est consacré au Paris-Saclay-Summit 2025 co-organisé par Le Point, à l’obscurantisme des techno-fascistes et des libertariens coalisés derrière Musk et Milei, à l’annonce d’un rassemblement devant le ministère et à l’urgence de construire un mouvement de solidarité avec les collègues aux USA :

https://rogueesr.fr/in-solidarity/

Nous appelons à nouveau les associations, les collectifs, les revues, les sociétés savantes et les syndicats à s’engager dans le mouvement #InSolidarity.

« Le chef coupa court à la polémique :
— Ça va comme ça ! Assez de bavardage ! Rhinocéros ou non, soucoupes volantes ou non, il faut que le travail soit fait. »

[…]

« Les troupeaux de rhinocéros parcourant les rues à toute vitesse devinrent une chose dont plus personne ne s’étonnait. Les gens s’écartaient sur leur passage puis reprenaient leur promenade, vaquaient à leurs affaires, comme si de rien n’était. »

Ionesco

Brève : Enquête 2025 sur le financement de la recherche

Les sociétés savantes académiques vous invitent à remplir leur questionnaire en ligne :

https://societes-savantes.limesurvey.net/121783

Défense des sciences et de l’Université : rassemblement devant le ministère, le mardi 11 février à 12h

L’intersyndicale et divers collectifs, dont le nôtre, appellent à un rassemblement devant le ministère, rue Descartes, le mardi 11 février à 12h, à l’occasion de la réunion du CNESER.

Nous appelons à défendre le savoir, les sciences, le rationalisme, la liberté académique et l’Université comme piliers d’une société démocratique. Nous ne pouvons rester silencieux devant les autodafés numériques, la mise au pas des universitaires par la menace, le blitzkrieg mené par Elon Musk et sa jeune garde de techno-fascistes du Département de l’efficacité gouvernementale — US Department of Government Efficiency temporary organisation ou DOGE, un département temporaire dont le statut exécutif fédéral est discutable, faute d’approbation par le Congrès — qui placent l’État fédéral américain hors du contrôle parlementaire. Nous rappelons l’adresse à laquelle signer la lettre de solidarité avec nos collègues travaillant aux États-Unis, à partager (#InSolidarity) :

https://rogueesr.fr/in-solidarity/

Nous rappelons, enfin, l’urgence à tisser des réseaux de solidarité effective pour contrer les destructions en cours et à venir, pour rouvrir l’horizon, et pour nous mettre au travail programmatique de ré-institution démocratique de la recherche scientifique et de l’Université.

Nous appelons avec solennité et gravité l’ensemble des organisations de l’enseignement supérieur et de la recherche (Académie des sciences, collectifs, revues, sociétés savantes, syndicats, etc.) à organiser une nouvelle « marche pour les sciences » contre l’obscurantisme d’extrême-droite.

« La mer et son rivage, ce pas visible, sont un tout scellé par l’ennemi, gisant au fond de sa même pensée, moule d’une matière où entrent, à part égale, la rumeur du désespoir et la certitude de résurrection. »

René Char

Quand Saclay et l’X soutiennent la désinformation et les coups portés à la science par l’extrême-droite libertarienne

Cette semaine, Le Point célèbre à sa une les menées du président d’extrême-droite argentin. Nulle surprise pour cet hebdomadaire, qui est le relais en France depuis des années de l’idéologie « libertarienne » et fait d’Elon Musk l’un de ses héros. Javier Milei s’apprête à démanteler le Conicet, l’équivalent argentin du CNRS, et à porter un coup fatal à la recherche publique dans son pays, déjà amputée d’un tiers de ses moyens depuis sa prise de pouvoir. Le décret annoncé comporte une baisse drastique de budget, la fin du statut de fonctionnaire et le transfert de la gestion des 26 000 agents aux provinces ou, pour les SHS, aux universités. On reconnait… le programme prévu pour la LRU 2.0.

Sur la couverture du Point, au-dessus de Javier Milei, on trouve mention d’un événement de science-washing coorganisé les 12 et 13 février par la région Île-de-France, le Département de l’Essonne et Le Point, dans le cadre d’un partenariat avec l’Université Paris-Saclay et l’Institut Polytechnique de Paris. Le CNRS avait, en 2017, rompu sa collaboration avec Le Point à l’occasion d’un meeting confusionniste similaire, baptisé Futurapolis, où figurait le complotiste antivax I. Aberkane, un usurpateur qui avait été lancé dans la sphère publique par deux unes de l’hebdomadaire. On retrouve pourtant dans cette grand-messe politicienne de Paris-Saclay animée par Le Point, le CNRS aux côtés du CEA, de l’Ifremer, de l’Inrae, de l’Inria, de l’Inserm, de l’IRD et de l’Onera.

Il ne s’agit pas seulement d’une violation du principe de neutralité des établissements d’enseignement supérieur et de recherche publics — rappelons au passage que les universitaires bénéficient, quant à eux, de la liberté académique. Dans le temps même où les sciences états-unienne et argentine sont mises à sac par l’extrême-droite « libertarienne », la collusion avec un hebdomadaire qui assure la promotion de cette idéologie en France est incompatible avec l’éthique académique la plus élémentaire. Pour qui aurait le bonheur d’ignorer l’étendue de la désinformation scientifique pratiquée par l’hebdomadaire Le Point sur le climat (notamment dans les chroniques de D. Raoult), l’environnement, la santé, la biologie, la génétique et l’évolution, nous avons préparé une synthèse sur une page séparée,

https://rogueesr.fr/le-point/

S’il faut éviter de permettre à cet hebdomadaire de jouer les martyrs de la cause du free speech libertarien — cette fausse liberté de dire n’importe quoi et de désinformer — il nous appartient d’alerter les scientifiques prévus au programme d’une potentielle complicité avec l’extrême-droite anti-science. Nous les invitons à se faire porter pâle, voire à remplacer leurs exposés par un soutien aux collègues états-uniens et argentins menacés et par une invitation aux Lumières, à la démocratie, à l’humanisme et à la raison contre les ténèbres libertariennes.

« Je sais qu’il y en a qui disent : ils sont morts pour peu de choses. Un simple renseignement (pas toujours très précis) ne valait pas ça, ni un tract, ni même un journal clandestin (parfois mal composé). À ceux-là, il faut répondre : C’est qu’ils étaient du côté de la vie. C’est qu’ils aimaient des choses aussi insignifiantes qu’une chanson, un claquement de doigts, un sourire. Tu peux serrer dans ta main une abeille jusqu’à ce qu’elle étouffe. Elle n’étouffera pas sans t’avoir piqué. C’est peu de choses, dis-tu. Oui, c’est peu de choses. Mais si elle ne te piquait pas, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus d’abeilles. »

Jean Paulhan, Cahiers de la Libération, n°3, février 1944, L’abeille

Le « libertarianisme », une barbarie obscurantiste, techniquement équipée

Le coup de force libertarien aux États-Unis vise quatre cibles : la démocratie, les institutions régulatrices, les droits civiques et la science. Nous mettrons progressivement en ligne des articles de presse documentant les autodafés numériques perpétrés par les « DOGE thugs » (la jeune garde d’Elon Musk) qui visent aussi à intimider et à sidérer par le déploiement d’un imaginaire de méchants de Marvel Comics. Beaucoup découvrent, à cette l’occasion, cette extrême-droite prédatrice qui se qualifie de « libertarienne » ou d’« anarcho-capitaliste » — la seule liberté promue par ce libertarianisme, qui inspire les milieux d’affaires français, est la liberté de prédation intégrale et de création de zones « libres » exemptes de tout contrôle démocratique.

Avant d’en venir à leur corporate coup, l’extrême-droite libertarienne a déployé des stratégies « métapolitiques » contradictoires et complémentaires pour investir et noyauter le champ intellectuel, l’Université et la recherche. On estime à un milliard de dollars par an les sommes investies dans la falsification scientifique et le lobbying par les pétroliers (e.g. les frères Koch ou ExxonMobil), par les cigarettiers (e.g. Philip Morris), par l’agrobusiness (e.g. l’Agribusiness Parliamentary Front au Brésil) et par les techno-fascistes de la Silicon Valley. Les réseaux libertariens de désinformation sur l’environnement, le climat et les risques sanitaires comprennent le Cato Institute, le Heartland Institute, le Committee for a Constructive Tomorrow, la Foundation for Economic Education, la CO2 Coalition, le Manhattan Institute, le Ludwig von Mises Institute, le Consumer Choice Center et Students for Liberty. Ces think-tanks sont articulés en réseau par l’Heritage foundation, qui est maître d’œuvre du Project 2025 que l’administration Trump a commencé d’appliquer, et par l’Atlas Network, après que ce rôle a été assuré par l’American Enterprise Institute. La plupart des hommes d’affaires fortunés qui ont financé ce réseau ont appartenu au noyau dur de la John Birch Society pendant la guerre froide. En Angleterre, les think-tanks les plus connus sont la TaxPayers’ Alliance, l’Adam Smith Institute, l’Institute of Economic Affairs, et Policy Exchange.

L’investissement massif des milliardaires libertariens pour constituer des réseaux de promotion de leurs idées ambitionne de priver la science de sa visée collective et désintéressée de dire le vrai sur le monde. Cette entreprise de démolition de toute éthique intellectuelle et de toute norme de véridiction, accompagnée d’une valorisation du conflit d’intérêt comme norme positive, a ceci de dangereux qu’elle use du retournement du réel en reprenant à son compte la rhétorique du progrès et de la raison.

Ces lobbies pratiquent le science-washing en s’infiltrant dans des lieux académiques prestigieux, comme le montre cette semaine encore le Paris-Saclay Summit.  Ils promeuvent la dérégulation des normes de véridiction scientifiques au nom du free speech de sorte que la propagande suprémaciste, eugéniste, masculiniste, antisémite mais aussi la désinformation scientifique puissent s’exprimer au même titre que la pensée libérale modérée. Ainsi, la revue Inference du tycoon suprémaciste Peter Thiel mêle des articles de scientifiques reconnus, rémunérés 5 000 dollars, et des articles de falsification sur le climat ou l’évolution. L’un des hommes d’affaires libertariens féru d’éducation, M. Goodrich, formulait déjà cette thèse dans les années 1970 : « les libertés académiques sont en réalité un déni de liberté. » L’un de ses think tanks, Liberty fund, propose au format numérique une bibliothèque des écrits « libertariens », avec cette philosophie : « Il n’y a aucune raison qu’une bibliothèque universitaire contienne plus de 5 000 ouvrages, pourvu que ce soit les bons ouvrages. » En février 2021, le vice-président J.D. Vance lançait une déclaration de guerre aux sciences et à l’Université en en faisant un point de jonction entre paléo-conservatisme et libertarianisme  : « We have to honestly and aggressively attack the universities in this country. (…) The Universities are the enemy. (…) The professors are the enemy. »

L’extrême-droite libertarienne promeut une technophilie solutionniste susceptible de séduire les milieux scientistes, et en même temps la falsification, l’obscurantisme, la manipulation, la destruction des principes de l’Université. Si elle est associée de longue date au climato-négationnisme et aux falsifications scientifiques qui touchent aux régulations agro-industrielles, elle prétend également détenir la « solution » au réchauffement climatique, en mêlant eugénisme, racisme et malthusianisme — d’où son obsession à prétendre à une origine génétique de l’intelligence, associée à une héritabilité du QI.

Comment le libertarianisme est-il passé d’une secte fondamentaliste, groupusculaire avant le Tea Party et la crise financière de 2007-2008, à la prise de contrôle de l’État fédéral étasunien ? Les politiques libertariennes ont reçu le soutien du secteur rentier de l’économie, donc des grandes entreprises technologiques, des industries énergétiques et du secteur financier, qui encouragent dérégulation et privatisations pour capter des sources de valeur et extraire des profits. Dans un jeu à somme nulle, le libertarianisme repose sur une prédation étendue à tous les secteurs de la société — système de santé, système scolaire, recherche, industrie spatiale, armée, etc. Il s’appuie sur une logique de rente particulièrement évidente dans les grandes entreprises du numérique, dont le modèle économique est fondé sur la vassalisation du secteur productif, rendu dépendant de leurs outils. 

L’extrême-droite a trouvé dans le libertarianisme promu par Elon Musk, Peter Thiel ou Javier Milei une doctrine économique à sa mesure, naturalisant les inégalités et justifiant les politiques de destruction des services publics et de paupérisation du plus grand nombre. Réciproquement, les milieux d’affaires libertariens ont trouvé à l’extrême-droite un imaginaire qui suscite l’adhésion et le mouvement de majorités électorales. La volonté des techno-fascistes libertariens de mettre fin à la démocratie, à toute régulation, aux droits civiques et à la science comme commun de la connaissance, s’explique par la stagnation économique qui a résulté de décennies de « politique de l’offre ». Cette politique a naturellement été soutenue par le secteur concurrentiel de l’économie, qui dépend des aides publiques pour maintenir ses taux de profit en période de stagnation. En ce sens, la « solution » libertarienne est la réaction du néolibéralisme à sa propre crise — une « solution » qui ne répond à aucune des crises réelles qui frappent les sociétés occidentales, pas même à celle du système de production.

« There are two ways of spreading light : to be the candle or the mirror that reflects it. »

Edith Wharton

Austérité et LRU 2.0

L’émotion suscitée par l’attaque virulente et rapide contre la science aux États-Unis ne doit pas nous faire oublier les menaces contre l’Université et la recherche en France. Les motifs de mobilisation sont nombreux devant le ministère, le mardi 11 février à 12h.

Nous devons défendre l’investissement dans la recherche et l’Université, pour juguler le décrochage économique, scientifique et technique engendré par 20 ans de réformes bureaucratiques et managériales, et pour faire face à la crise climatique et à l’effondrement du vivant. L’enseignement supérieur et la recherche vont subir des coupes budgétaires profondes. Le projet de loi de finances initial prévoyait une baisse de 1,3 milliards d’euros pour le budget de l’ESR (une fois l’inflation prise en compte) dont 430 M€ pour la charge de service public et un plafond d’emplois en baisse vertigineuse de 4 900 postes. Peu de surprise pour quiconque a suivi nos analyses au moment de l’examen de la loi de programmation pour la recherche. Les amendements du gouvernement Bayrou ont creusé un peu plus le budget de 630 M€, auxquels il faut ajouter la suppression de 535 M€ de crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 ». Il faut encore attendre la parution des documents budgétaires, mais les coupes seraient de l’ordre de 2,5 milliards d’euros. En parallèle, la seule évolution du Crédit d’Impôt Recherche (CIR, qui a couté 7,6 milliards d’euros en 2024) est la suppression du statut « jeune docteur » qui incitait financièrement les entreprises à embaucher de jeunes chercheurs. À Bordeaux-Montaigne, Brest, Clermont-Ferrand, Nantes, Paris-I, Rennes-2 et Tours, un début de mouvement étudiant se lève. Il est extrêmement important de faire usage de ce qui nous reste de notre liberté d’expression en informant par tous les moyens étudiantes et étudiants que l’Université est mise délibérément sur la paille.

Un autre motif puissant de rassemblement le 11 février est de mettre un terme aux derniers volets de démembrement de l’Université mis en œuvre sous l’appellation LRU 2.0. Rappelons ses trois dimensions :

  • Démantèlement des organismes de recherche pour affecter les chercheurs aux « universités de recherche ». Les KeyLabs s’inscrivent dans cette logique de transfert des moyens. Le nom changera peut-être : le Hcéres, à la tête duquel Mme Coralie Chevallier vient d’être nommée, sera peut-être chargé du déclassement bureaucratique de x% des laboratoires, mais l’objectif ne sera pas abandonné.
  • Liquidation des statuts des universitaires et des chercheurs pour les remplacer par une contractualisation dérégulée, sous contrôle des managers d’établissements universitaires (Udice).
  • Dérégulation des frais d’inscription. C’est vers cet objectif que tend la mise en crise budgétaire volontaire, alors même que l’argent public est massivement détourné vers des dispositifs inefficaces (alternance, CIR, etc.).

N’oublions pas que l’étape ultime de la destruction en cours sera la privatisation des universités rentables et pourvues de chercheurs performants, à l’occasion d’une crise socio-économique ou d’un blitzkrieg muskien suite à l’accession au pouvoir d’une coalition droite/extrême-droite.

Brève : vidéos du séminaire Politique des sciences

La rentrée du séminaire Politique des sciences a porté sur l’actualité de la recherche sur l’extrême-droite et l’autoritarisme. Vous pouvez retrouver le séminaire sur la chaine youtube de PdS :

Michel Feher

Estelle Delaine

Quinn Slobodian

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« Moratoire » — Vaste programme !

« Une aube apparaît, elle est encore bien grise. »

Geneviève de Gaulle Anthonioz

Le succès de la motion de défiance, qui a passé les 11 000 signatures, et des deux rassemblements du 27 janvier constituent un signe indicatif de ce que la communauté académique a les ressources pour sortir de la stupeur et de l’accablement et se mettre au travail pour rouvrir l’avenir. Nous avons, lors des billets précédents, replacé la réforme des KeyLabs dans le continuum de réformes à 20 ans et montré en particulier comment elle s’articule avec le projet de « Loi relative aux libertés et responsabilités des universités » (LRU) 2.0, baptisé par antiphrase « second volet de l’autonomie », qui suppose la mise en crise budgétaire de l’Université et le démantèlement du CNRS par sa transformation en agence de programmes. Concernant le moratoire sur les KeyLabs annoncé cette semaine, nous pouvons tenter de formuler une analyse en réduisant les différentes étapes du raisonnement à leurs 25% les plus significatifs. Et de fait, il se pourrait bien qu’exceptionnellement, cela suffise :

Udice

Démantèlement du CNRS

Captation du budget et des stars de la recherche

Passage en force estival

Sidération

Le cœur de ce billet porte sur une proposition de réappropriation collégiale des principes qui doivent définir ce qu’est un « bon laboratoire » et sur un message de solidarité à l’égard de nos collègues vivant aux États-Unis.

Nous apportons, sur une page séparée, une série de compléments d’information et d’analyse destinés à celles et ceux qui ont le goût des argumentaires complets ou auraient raté des épisodes :

« On ne se bat bien que pour les causes qu’on modèle soi-même et avec lesquelles on se brûle en s’identifiant. »

René Char

Instituer le label C-Lab pour certifier la collégialité, l’intégrité, l’éthique et la liberté des labos

Pour favoriser une réappropriation collective de nos laboratoires, nous invitons la communauté à réfléchir aux principes qui définissent un « bon laboratoire », de façon à déboucher sur un label volontaire d’intégrité et de collégialité : C-Lab

Le point de départ de cette démarche est le respect des principes qui fondent l’Université moderne, entendue dans son sens le plus large, qui recouvre bien sûr les organismes de recherche : la communauté de pratique qui fédère des lieux d’interrogation et d’élaboration rationnelle illimitée, des lieux où les connaissances scientifiques et techniques se créent, se transmettent, se conservent et se critiquent, dans et par l’exercice de la dispute raisonnée.

Bien sûr, tout ceci implique de se détourner du personal branding et des Ego Labs stimulés par la course aux ERC, et de refuser la précarité croissante qui fragmente les collectifs : nous devons réapprendre à dire « Nous ». Ce « Nous » de la communauté académique doit transcender à la fois le carriérisme et les légitimes passions individuelles. Il s’exprime dans la circulation de l’information, la coopération entre personnes, entre unités de recherche, entre disciplines, entre lieux géographiques, entre pays. C’est d’abord ce « Nous » que nous entendons dans la clameur qui dit « Nous ne voulons pas des Keylabs. » C’est aussi ce « Nous » qui se donne à voir dans les centaines d’articles cosignés par Camille Noûs ou, plus discrètement, attribués au laboratoire Cogitamus. Ce « Nous » ne revendique pas une liberté abstraite et irresponsable : la liberté académique est une liberté positive

Depuis le travail de théorisation auquel se livra Humboldt au début du 19ème siècle, on sait que la liberté académique s’organise dans des espaces soumis aux normes de probité et de rigueur que la communauté des pairs choisit de se donner, et qu’elle renégocie perpétuellement, à l’abri de l’ingérence de tous les pouvoirs. Ce que ne disait pas Humboldt et qu’il nous faut ajouter, c’est que cette liberté passe aussi par un statut uniformément protecteur. Cette autonomie procède directement de la responsabilité du monde savant devant la société : aucune organisation collective de la liberté n’est possible si les espaces dédiés à la poursuite de la vérité et à la production et à la diffusion des connaissances et des techniques sont bridés dans leur fonctionnement par des contraintes exogènes ou des intérêts particuliers. 

Intégrité scientifique, autonomie statutaire et financière vis-à-vis de tous les pouvoirs, responsabilité démocratique accrue en contexte de crise environnementale : ce triptyque servira de base à la création du label C-Lab, qui pourra être attribué aux laboratoires s’engageant à respecter une charte issue de la consultation la communauté savante. Cette attribution ne saurait être le fait d’un comité théodule coopté : elle devra reposer sur la libre souscription à la charte des C-Labs. 

Pour contribuer à cette réflexion et partager vos idées, nous vous invitons à remplir ce formulaire
(cliquez pour déplier).

Ce label fonctionnera également comme une contre-attaque au concept de KeyLabs : l’heure n’est plus seulement à s’opposer, mais à construire et à déterminer collectivement quelles sont nos aspirations. Au-delà de la contre-attaque, nous voulons donc dessiner un horizon alternatif crédible, débarrassé des impératifs quantitatifs imposés par la bureaucratie.

« Ce que le fascisme haït plus que toute autre chose : c’est l’intelligence ; le fascisme on le soigne en lisant, et le racisme en voyageant. »

Miguel de Unamuno

En soutien aux collègues des États-Unis

Vous pouvez signer la lettre de soutien ci-dessous à l’adresse suivante :

https://rogueesr.fr/in-solidarity/

Dear Colleagues in the USA,

We wish to express our unwavering support for you during these alarming times. From our positions as researchers and academics in Europe, we are observing with dismay the takeover of the federal government by Mr. Musk and Mr. Trump. They appear intent on dismantling democratic institutions and regulatory bodies, particularly in the realms of health, environment, and climate.

Far more so than during the first term, the initial decisions of the Trump administration have exerted an immediate and profound impact on research within the United States. Hiring, travel, grant evaluation committees, equipment purchases, and virtually all activities that make research possible have either been frozen or are at risk of being frozen, creating significant uncertainty.

The disruptions will have lasting effects on research in the United States. As John Holdren, the former U.S. science adviser, noted, “If somehow they get away with this, the disruption is almost incalculable.”

Hundreds of scientists have organized rallies and called on elected officials to reverse these decisions. The resilience and dedication of the scientific community are evident. Your work is vital for the creation, dissemination, and critique of knowledge on a global scale; it will represent an essential contribution to the broader project of rebuilding a democratic future based on self-determination.

Please be assured that we stand in solidarity with you and are willing to help in your actions to defend democracy, academic freedom, science, and scientific research.

In solidarity,

[Your name]

Vous pouvez signer la lettre de soutien ci-dessus à l’adresse suivante :

https://rogueesr.fr/in-solidarity/

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Compléments d’information et d’analyse sur les KeyLabs et le budget

Cette page propose un compte-rendu de mobilisation, des informations et des analyses en complément de nos précédents billets concernant les KeyLabs, qui demeurent pleinement valides :

Tirer le frein d’urgence — ballons d’essai

Des Keybabs aux Cinque Stelle

Comprendre la réforme des KeyLabs

KeyLabs : quatre points centraux du continuum de réformes

Mobilisation : Préférer la reconstruction collective aux ingérences solitaires

Le succès de la motion de défiance témoigne du rejet suscité par le retour d’un serpent de mer de la droite managériale : le contrôle bureaucratique des laboratoires par l’attribution de notes déterminants les postes de soutien technique et administratif alloués. Ce rejet se fonde bien-sûr sur la violation des principes premiers de la science mais aussi sur l’arbitraire, le clientélisme et le contrôle politique qu’encourage le dispositif. Les rassemblements devant le siège du CNRS et le Collège de France constituaient une étape vers un engagement plus fort. Rogue a choisi de soutenir divers collectifs pour contribuer à réparer l’écosystème universitaire et scientifique. Dans une période de morcellement et d’anomie, toutes les actions aspirant à restaurer le « Nous » de la communauté académique doivent se conjuguer. Il n’y a pas de tension entre unité et pluralisme, et le succès de cette pétition le prouve.

Corrélativement, nous devons porter un jugement sans concessions sur les inévitables menées solitaires, qu’elles émanent de tel ou tel président d’université ou d’un quarteron d’académiciens en retraite. Vingt ans de recul nous renseignent assez sur la façon dont ce type d’initiative teintée de self-branding et de tentation prédatrice facilitent toujours les réformes et contribuent in fine à la plongée vers le désastre. Nous avons besoin de renouer avec les principes de collégialité, de concertation, avec les mœurs, les règles, les standards éthiques qui doivent prévaloir en lieu et place de la mise en concurrence généralisée et du nouveau mandarinat managérial.

« POZZO. — Éloignez-vous. (Estragon et Vladimir s’éloignent de Lucky. Pozzo tire sur la corde. Lucky le regarde.) Pense, porc ! (Un temps. Lucky se met à danser.) Arrête ! (Lucky s’arrête.) Avance ! (Lucky va vers Pozzo.) Là ! (Lucky s’arrête.) Pense ! ( Un temps.)

LUCKY. — D’autre part, pour ce qui est…

POZZO. — Arrête ! (Lucky se tait.) Arrière ! (Lucky recule.) Là ! (Lucky s’arrête.) Hue ! (Lucky se tourne vers le public.) Pense ! »

Samuel Beckett

Moratoire et porte-au-nez : la chronologie des faits

Avant d’analyser pourquoi le moratoire est une accélération du programme de démantèlement du CNRS et de mise en pièce du tissu universitaire, il importe de replacer les faits dans leur chronologie.

Les 10 et 17 janvier 2025, l’association France Université demande un moratoire sur les KeyLabs. En latin, moratorius signifie « un délai » ou « un retard », mais en aucun cas un arrêt. Le Père Deneken, président de l’Udice, avait tenu à accorder son nil obstat, manifestant par là l’harmonie générale des différentes branches de la bureaucratie : « Le débat est clos, arrêtons de parler de concurrence. Quand j’ai vu ce matin ce projet d’UMR cinq étoiles, je me suis dit que nous allions construire cela ensemble avec le CNRS, pour tirer la France vers le haut ». Le mot clé, ici, est « ensemble » : les présidences d’universités veulent participer au grand jeu de destruction de l’écosystème de recherche et non le subir. Dans le vide du langage managérial, cela se dit : « les universités sont cheffes de file ».

Le 24 janvier, le cabinet ministériel laisse filtrer son mécontentement. Les méthodes bruyantes et inefficaces de M. Petit dans la « conduite du changement » irritent : elles mettent en péril deux éléments fondamentaux de la ligne politique générale, auxquels les KeyLabs pourraient contribuer : la mise au pas des laboratoires par des notes et la concentration des moyens sur les laboratoires d’une dizaine d’« universités de recherche » — celles dont la bureaucratie s’est coalisée au sein de l’Udice. Tonalité : « si on veut concentrer les moyens sur quelques labos, on ne le dit pas ! On le fait. » Le ministre s’est même dit prêt à limoger le PDG du CNRS au printemps pour arrêter la mobilisation naissante avant qu’elle ne s’étende à l’Université.

Le 27 janvier, quelques minutes après la fin du rassemblement au siège du CNRS, M. Petit annonce aux directeurs de laboratoire de chimie un moratoire sur les KeyLabs, le temps de parvenir à des accords avec les présidences d’universités. Il s’agit, de son point de vue, de permettre à ces présidences d’ajouter quelques laboratoires, importants pour leur réélection et leurs réseaux clientélistes, à la liste des KeyLabs.

Le 29 janvier, M. Petit, hors de lui, se livre à une séance de molestage verbal des directrices et directeurs d’unités prenant leur fonction, confirmant dans l’emphase ce secret de polichinelle : il pense le moratoire comme une porte-au-nez. Il espère le soulagement, voire le soutien de la moitié de la communauté académique si la fraction de KeyLabs était relevée à 40 ou 50% au lieu de 25%.

Le 29 janvier encore, le président de Saclay se décide à suivre ses collègues de l’Udice et à annoncer ne pas négocier avec M. Petit. Pourtant, le même jour, les termes de cette même négociation nous parviennent. Sans surprise, il s’agit d’étendre à la marge du nombre de KeyLabs, témoignant de la marche forcée vers le définancement des laboratoires hors « universités de recherche » :

https://rogueesr.fr/wp-content/uploads/2025/01/KLParisSaclay.pdf

Le 30 janvier, ce choix d’un moratoire est annoncé par le ministre après des échanges avec « le CNRS, la communauté et les parties prenantes ». La forme trahit le fond : nous — la communauté — ne sommes donc pas « partie prenante ». Le moratoire est destiné à une « concertation avec l’ensemble des partenaires des unités du CNRS ». « On peut être une excellente unité de recherche et ne pas être associé au CNRS » a-t-il expliqué.

Pour quelques KeyLabs de plus : le moratoire est une accélération

Il nous faut repartir de leur plan général de transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il s’agit de transformer l’essentiel des établissements universitaires en Colleges et de concentrer la recherche dans une dizaine d’établissements pilotés par des board of trustees. Le financement passe par la dérégulation des frais d’inscription et la gestion par une contractualisation autorisant toute modulation entre enseignement pur et recherche pure. Voilà le cœur de la LRU 2.0 : démantèlement du CNRS et transfert des personnels aux universités, suppression du statut de fonctionnaire et dérégulation contractuelle, mise en crise budgétaire et augmentation des droits d’inscription.

Les échanges au sein du cabinet ministériel le confirment : les KeyLabs allaient dans la « bonne direction », mais imparfaitement. L’arbitrage en faveur de l’Udice (le « moratoire ») permet d’accélérer la transformation. Les bureaucrates de l’Udice ne s’en cachent pas : ils veulent le budget des organismes nationaux et récupérer les « meilleurs » chercheurs, les « stars ». Les stars se caractérisent en ceci qu’elles ne font pas de recherche mais ont la confiance des investisseurs et lèvent donc des fonds avec régularité pour embaucher les petites mains qui produisent la science. Ces petites mains, personne ne semble plus ni se soucier de les former, ni de leur offrir un avenir. La pensée magique du nouveau management de la recherche repose sur cette croyance obscurantiste : il suffit d’« attirer les meilleurs ». On comprend comment ce dogme qui flatte les imbéciles a provoqué le décrochage scientifique et technique du pays et coproduit le détournement des moyens publics vers les intérêts privés — 7,86 milliards d’euros de Crédit d’Impôt Recherche, 20,4 milliards d’euros de financement public de l’alternance, auxquels il faut ajouter 7,2 milliards d’euros d’apprentissage.

D’aucuns pourraient se demander : Pourquoi les présidentes et présidents des futurs Colleges universitaires, celles et ceux qui défendent les intérêts de la bureaucratie au sein de France Université, scient-ils avec autant d’ardeur la branche sur laquelle ils sont assis ? Pourquoi M. Petit est-il le pyromane de l’organisme de recherche dont il a la charge ? Il importe de garder en tête que les paramètres personnels, y compris la force de l’autopersuasion, n’ont pas grande importance ici : les bureaucrates étant interchangeables, nous ne pouvons que renvoyer à notre article sur le contrôle des subjectivités  :

Réformes de l’imaginaire social et contrôle des subjectivités

Le middle management n’est décisionnaire qu’en apparence : il doit se conformer « en toute liberté » au désir maître des « investisseurs ». Or malgré les illusions qu’ils se font souvent, les présidents des établissements et même ceux des organismes de recherche ne sont pas fondamentalement autre chose que des middle managers.

Pour cette raison, le mouvement destituant qui s’est installé ces dernières semaines ne se réduit en aucune façon à la personne insignifiante qui se trouve actuellement occuper les fonctions de PDG du CNRS : c’est toute la mainmise des intercesseurs et apprentis « chefs de file » et le système normatif auquel ils obéissent qui est remise en cause par la communauté. Aucun moratoire destiné à marchander quelques KeyLabs de plus avec l’Udice ou à amorcer le transfert des personnels CNRS aux « universités de recherche » ne sera de nature à satisfaire l’exigence qui s’exprime : la refondation de la recherche et de l’Université sur une base collégiale et intègre. Il nous faut donc maintenant passer du moment destituant au moment constituant.

Enfumage budgétaire

Quels sont les moyens supposément accordés aux KeyLabs ? Aucune annonce n’a été faite à ce sujet, alors même que les grands chiffres dénués de sens font ordinairement partie de l’arsenal d’enrôlement. Le lancement de l’IDEx avait été accompagné d’une annonce claironnante de 7,7 milliards d’euros ; celui de la LPR de 25 milliards d’euros. On a pu constater qu’il demeure encore de vieilles gloires de la recherche suffisamment crédules pour déclarer aujourd’hui encore que la LPR fut une loi ambitieuse apportant des moyens — quand nos analyses de l’époque comme les déclarations de Mme Retailleau et M. Germinet témoignent qu’elle fût toujours une loi de dérégulation des statuts, de paupérisation programmée et de bureaucratisation. Les initiatives les plus insignifiantes comme les campus connectés sont accompagnées de grands chiffres — 25 millions d’euros en l’occurrence. Pour les KeyLabs, nada. On ne sait plus ce qu’il y a de plus méprisant entre les promesses d’un rêve frelaté, le story-telling mensonger, et le clash.

Le cabinet ministériel reste pour sa part dans l’ordinaire de la stratégie de désinformation puérile concernant les coupes budgétaires, en omettant l’inflation, en produisant des chiffres bidonnés par assemblage favorable de crédits dépourvus de réalité dans les documents budgétaires — les « jaunes » et les « bleus ». Innovation notable, le conseiller budgétaire formé à la SKEMA Business School a suggéré d’user de l’argument selon lequel repousser la signature des PEPR de 9 mois serait une manière de pérenniser ces programmes, quand il s’agit simplement d’en amputer le budget de 75%. Le projet de loi de finances initial prévoyait une baisse de 1,3 milliards d’euros, une fois prise en compte l’inflation autour de 2,1%, dont 430 M€ pour la subvention pour charge de service public (SCSP). Les amendements gouvernementaux récents prévoient l’amputation des crédits de la mission « recherche et enseignement supérieur » de 630,1 M€ de plus, auxquels il faut ajouter 535 M€ de crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 ».

L’Université a été mise sur la paille, faute de soutien conséquent aux initiatives destinées à récupérer les moyens publics dilapidés dans le CIR et l’alternance.

Investir dans la recherche et l’Université, pour juguler le décrochage économique, scientifique et technique

Courte histoire de la mise au pas des laboratoires par des labellisations

Chaque bureaucrate rêve de d’opérer l’une des transformations que ses prédécesseurs ont échoué à mettre en œuvre. Ainsi la loi ORE a refermé l’humiliation du projet Devaquet (si tu savais) et auréolé de gloire pour les décennies à venir le directeur de cabinet de Mme Vidal, M. Philippe Baptiste. L’abandon des labellisation des laboratoires (les notes A+, A, B, C de l’AÉRES) constitue une autre blessure narcissique de la bureaucratie sarkozyste. C’est pour cette raison que M. Coulhon a tenté de se parachuter de l’Élysée à la tête Hcéres, pour le transformer en poste de contrôle et de mise au pas de la recherche. Par un dispositif tactique qui nous donne encore aujourd’hui le sourire, la communauté académique a suffisamment torpillé l’arrivée de M. Coulhon au Hcéres — avec l’aide efficace, il faut le reconnaître avec modestie de quelques-uns de ses ennemis au sein de la bureaucratie — pour qu’il échoue à transformer à nouveau le Hcéres en machine de guerre contre l’autonomie des scientifiques. Plus drôle encore, M. Coulhon, englué dans la médiocrité de cette institution, l’a coulée quand il entendait la transformer en lieu de pouvoir. Avec ses KeyLabs, M. Petit a relevé le gant de la fierté paléo-conservatrice. À l’issue du « moratoire », M. Philippe Baptiste aura-t-il l’idée confinant au génie de confier au Hcéres le soin de mettre en cause tous les 4 ans le label ouvrant droit à la dotation des laboratoires en personnels administratifs et techniques ?

https://rogueesr.fr/supprimons-le-hceres/

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KeyLabs – 1,2 Mrd € = KoLaps

Ce billet se compose de quatre brèves : un appel au rassemblement devant le siège du CNRS ce lundi, à 12h30 ; un point d’information sur l’ampleur des coupes budgétaires votées au Sénat ; la nécessité d’une Assemblée Instituante de l’Université et de la Recherche ; le filtrage de nos newsletters.

« Quand le soleil décline à l’horizon, le moindre caillou fait une grande ombre et se croit quelque chose. »

Victor Hugo

Rassemblement au siège du CNRS

Le projet de KeyLabs de la bureaucratie du CNRS suscite à juste raison le rejet de l’ensemble de la communauté académique. La motion de défiance initiée par un collectif de chercheuses et chercheurs du CNRS a déjà rassemblé 7 500 signataires :

https://framaforms.org/motion-de-defiance-pdg-cnrs-1736518552

Certaines unités de recherche n’en prennent connaissance que maintenant : continuons à la promouvoir.

Cette réforme articule les quatre points centraux qui travaillent l’Université et la recherche scientifique :

  • la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) 2.0, baptisée par antiphrase « seconde phase de l’autonomie », qui comprend la fin du régime de fonctionnaires, la dérégulation des statuts et le passage des chercheurs comme des enseignant-chercheurs sous la tutelle de la bureaucratie universitaire ;
  • les coupes budgétaires, prévues depuis la Loi de Programmation de la Recherche, et aujourd’hui devenues l’évidence commune,  et la précarisation croissante du supérieur ;
  • la concentration des moyens et la différenciation des établissements, des laboratoires et des statuts, mises en évidence par le projet de KeyLabs ;
  • la bureaucratie, de plus en plus autoritaire et les atteintes aux libertés académiques.

Le collectif RogueESR appelle, aux côtés de l’intersyndicale, au rassemblement du lundi 27 janvier à 12h30 devant le siège du CNRS, 3 rue Michel-Ange, Paris 16ème, Métro Michel-Ange – Auteuil, à l’occasion du Conseil Scientifique.

Ce rassemblement sera l’occasion de nous retrouver, et de signifier publiquement la nécessité de tourner la page des 20 ans de réformes qui ont produit, par la bureaucratisation, la précarisation et la paupérisation, le décrochage scientifique et technique du pays. Nous pensons important d’offrir un débouché à la mobilisation naissante, au-delà des KeyLabs, dont la liste est supposée être rendue publique le 15 mars : rouvrir l’avenir en travaillant à un programme de réinstitution à 20 ans du système d’Université et de recherche. Enfin, ce rassemblement sera l’occasion de témoigner de notre attachement au rationalisme, aux sciences et aux disciplines du sens, dans un temps où une barbarie techniquement équipée prend le pouvoir aux États-Unis.

Concernant le rassemblement, nous suggérons de prendre instruments de musique et casseroles. Nous proposons de participer à une scène photogénique où 25% d’entre nous aurons revêtus des vêtements symboliques de l’Université et de la recherche, et 75% des ponchos en haillons et des blouses en sac poubelle — ce qui suppose optimalement une concertation par quadruplet auparavant. Nous avons reçu plusieurs affiches par courrier électronique, qui seront ajoutées au précédent billet :

https://rogueesr.fr/comprendre-la-reforme-des-keylabs/

« L’ignorance et la bêtise sont des facteurs considérables de l’histoire. »

Raymond Aron

Coupes budgétaires

Le 20 janvier 2025, le Sénat a adopté un amendement du gouvernement, déposé la veille au soir, amputant les crédits de la mission « recherche et enseignement supérieur » de 630,1 M€. Le 16 janvier 2025, les sénateurs avaient voté l’annulation de 535 M€ de crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 », ventilés en -415,9 M€ de « Financement des investissements stratégiques » et -46,1 M€ de « Soutien des progrès de l’enseignement et de la recherche ». Ces coupes concernent particulièrement les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), les programmes prioritaires de recherche, les équipements structurants de recherche. Le vernis mis devant la paupérisation de l’ESR craque de toutes parts, révélant au passage ce qu’il en est des “agences de programmation”, entre enfumage et lyssenkisme.

« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront. »

René Char

Pourquoi une Assemblée Instituante de l’Université et de la Recherche ?

Le processus de désagrégation qui va s’accélérant semble conduire le gros de la communauté académique à comprendre qu’il ne se passera rien tant qu’elle ne se mettra pas en mouvement pour rouvrir l’horizon. De fait, plus personne, pas même la Cour des comptes, ne feint encore de croire aux politiques publiques menées depuis deux décennies. 

Dès lors, le travail à accomplir s’inscrit dans une dynamique instituante, dans un moment de création politique radicale qui remet en cause la clôture de l’imaginaire qui s’est imposé à nous depuis 20 ans. Il ne s’agit plus de produire une énième critique des dernières félonies de la bureaucratie, mais au contraire de cesser

« Cesser » pour ouvrir l’horizon politique de la science : ce geste ne vient pas de nulle part. En effet, l’histoire de l’Université et de la recherche scientifique est, depuis la cessatio fondatrice de 1229, travaillée par la tension qui existe entre le monde savant et le pouvoir. Les phases d’autonomisation et de liberté sont celles où l’imaginaire social valorise le savoir. Cela a été le cas lors des deux phases de démocratisation de l’Université, dans les années 1960, dans un contexte de concurrence scientifique et technique entre les USA et l’URSS, puis entre la loi Savary de 1984 et le tournant du siècle. Au contraire, les phases de reprise en main politique et de sclérose se caractérisent par un désintérêt pour le savoir, en particulier lorsque les conditions économiques conduisent à une surqualification de la main d’œuvre salariée. C’est le cas depuis 20 ans, les réformes de bureaucratisation, de paupérisation et de précarisation, baptisées par antiphrase « autonomie » et « excellence », ayant conduit au décrochage scientifique et technique du pays. Lorsqu’on décrit aujourd’hui l’Université réelle des années 2000 à de jeunes chercheuses et chercheurs, elle leur apparaît comme une douce utopie.

Mais aujourd’hui, « cesser », c’est aussi cesser de penser les problèmes de l’Université et de la Recherche de manière séparée de la pratique de l’enseignement et de la recherche, et segmentée par telle ou telle réforme. Nous avons besoin d’une vision renouvelée, pour un programme de transformation à 20 ans, conforme aux besoins de la société. L’un de nos prochains billets sera consacré aux modalités d’une Assemblée Instituante de l’Université et de la Recherche. Nous faisons ici appel à toutes les bonnes volontés pour collecter les idées d’organisation.

« Qu’est-ce que les Lumières ? La sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement (pouvoir de penser) sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable (faute) puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! (Ose penser) Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières. »

Emmanuel Kant

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Comprendre la réforme des KeyLabs

Ce billet, outre un rappel des deux séminaires de recherche réflexifs sur l’ESR, traite des « KeyLabs », ces laboratoires de référence que le président du CNRS, par un coup de force inédit, entend valoriser au détriment de tous les autres. Le billet vise d’une part à expliquer cette réforme, et d’autre part à mettre à la disposition de la communauté académique des outils de mobilisation et à promouvoir la motion de défiance la contestant, qui a déjà été signée par 5 000 chercheuses et chercheurs :

https://framaforms.org/motion-de-defiance-pdg-cnrs-1736518552

« Le Comité national aura pour mission essentielle de définir en session plénière la ligne générale des recherches et les méthodes de travail. À chaque section incombera la tâche d’orienter et de développer les recherches relevant de sa compétence. Ainsi, le Comité national ne sera pas un organisme purement consultatif, mais constituera une assemblée délibérante et agissante qui assumera de véritables responsabilités et participera effectivement par l’intermédiaire de ses sections et de commissions composées de membres de diverses sections à la réalisation des programmes généraux élaborés en séance plénière. Un directoire choisi parmi les membres du Comité national assurera de façon permanente la direction scientifique du Centre. »

Ordonnance n°45-2632 réorganisant le Centre national de la recherche scientifique. Journal officiel, 3 novembre 1945, p. 7192-7194.
Le texte est signé de Charles de Gaulle pour le Gouvernement provisoire de la République française, de René Capitant, ministre de l’Éducation nationale, et de René Pleven, ministre des Finances.

« Nous n’arrivons pas à harmoniser tous les statuts. Nous n’avons pas la main sur les carrières de tous les personnels, même si nous les payons. Cela reste un frein. Les chaires de professeur junior ont permis quelques avancées, mais cela reste limité. Certains organismes de recherche essaient d’ouvrir des postes de chercheurs avec un peu d’enseignement, pour développer des profils mixtes et harmonisés, mais, tant que nous n’avons pas la main sur les ressources humaines et les carrières, nous restons bloqués. »

François Germinet, conseiller spécial en charge des sujets transversaux (sic) du secrétaire d’État. Source. NDLR : dans cet extrait, « nous », c’est eux, la bureaucratie, et non nous, les praticiens.

Séminaires réflexifs

Le séminaire « Sociologie des réformes universitaires et du gouvernement de la recherche » reprend le 21 janvier avec un exposé de Charles Soulié. Programme à retrouver ici :

https://acides.hypotheses.org/3297

Nous rappelons la séance de Politique des sciences avec Quinn Slobodian, Estelle Delaine et Michel Feher sur l’actualité de la recherche sur l’extrême-droite et l’autoritarisme, le vendredi 31 janvier 2025, 16h30-19h, salle Cavaillès, ENS, 45 rue d’Ulm. La séance peut être suivie en live à cette adresse :

https://youtube.com/live/pPqqN5b4JEI

Une pré-inscription est demandée aux personnes extérieures à l’ENS-PSL par un mail à : Po_des_Sciences@proton.me afin de fournir la liste des invités à la loge d’entrée.

« Sur les arêtes de notre amertume, l’aurore de la conscience s’avance et dépose son limon. »

René Char

Motion de défiance

La motion de défiance contre le démantèlement en cours du CNRS par sa bureaucratie a déjà été signée par 5 000 chercheuses et chercheurs, tous statuts confondus. Nous invitons à signer et faire signer cette motion et à aller la déposer en mains propres à M. Philippe Baptiste au ministère dans quelques jours :

https://framaforms.org/motion-de-defiance-pdg-cnrs-1736518552

Sans doute faudra-t-il que trois quarts d’entre nous soient vêtus de haillons et un quart de tenues de chercheurs, pour faire écho à la décision du Président du CNRS, Antoine Petit, de flécher les crédits sur 25% des laboratoires, réputés être les plus performants, les fameux KeyLabs.

Pourquoi devons-nous arrêter ce processus de démantèlement ? Quatre raisons :

  • Il appartient aux universitaires et aux chercheurs et chercheuses de prendre collectivement en main les décisions engageantes (domaines stratégiques, recrutements, budget, etc.) de la recherche comme de l’enseignement. Nous devons rappeler la bureaucratie au principe de responsabilité, la discipliner : M. Petit ne peut pas rester en poste après une tentative aussi désastreuse que cavalière.
  • La réforme des KeyLabs est le prélude au démantèlement annoncé du CNRS par la dérégulation et la fusion des statuts et par la transformation en « organisme de programmes », ce vieux rêve qu’entretient la bureaucratie d’organisme de recherche sans chercheurs.
  • La recherche est un écosystème. Personne ne sera à l’abri des conséquences de cette mesure ubuesque, des coupes budgétaires et du décrochage scientifique et technique qu’elle induira. En concentrant les financements sur une minorité de laboratoires jugés « stratégiques » selon des critères clientélistes opaques, la réforme creuse les inégalités territoriales et disciplinaires et marginalise 75% des unités de recherche.
  • Cette transformation absurde et brutale, imposée de manière unilatérale par la bureaucratie du CNRS, a été décidée sans aucune concertation avec la communauté scientifique. Elle rompt avec les principes de collégialité, de démocratie et d’intelligence des processus de recherche qui ont toujours guidé le CNRS depuis sa création et elle amplifie la mise en compétition délétère entre les équipes.

Signer la motion de défiance n’est pas un acte de bravade, mais un premier geste indispensable pour défendre la liberté académique, la pérennité de nos métiers et l’avenir de la recherche publique, qui ouvre vers la possibilité de réinstituer un système de recherche et d’enseignement supérieur propre à juguler les crises que notre société doit affronter. Ouvrons l’horizon !

https://framaforms.org/motion-de-defiance-pdg-cnrs-1736518552

« Le premier ministre a bien mentionné devant les députés un « mouvement de réforme de l’action publique », qui passerait par une réduction du nombre et des crédits des agences et opérateurs de l’État, parmi lesquels les agences régionales de santé, Business France ou encore le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). »

Ademe, CNRS, ARS… Les agences publiques dans le viseur du gouvernement. Le Figaro, le 15 janvier 2025.

Logo et affiches

Dans un contexte où le mouvement pour juguler le décrochage scientifique et technique doit gagner en visibilité et en rayonnement, il est essentiel de se différencier en créant une identité visuelle spécifique. Cette évolution concerne le logo et la charte graphique que nous avons rendus plus disruptifs et véritablement impactants. Adoptez dès à présent notre nouvelle identité de marque, placée sous le signe du jaune, pour votre communication professionnelle, votre site web et les photos de profil de vos réseaux sociaux : téléchargez la Version pdf ou la version png. Avec le jaune, on affirme haut et fort l’originalité de notre modèle de sorte que, demain, les gens identifieront le jaune à nos institutions, parce que le jaune est aussi singulier que notre système. Le déploiement d’affiches dans les ascenseurs, les couloirs, près des machines à café et des photocopieuses se fera de manière progressive en fonction des besoins et des mises en production des unités, au regard de la taille et de la diversité de nos établissements et de leurs réseaux de communicants. In fine, nous espérons un élan collectif de tout le réseau pour adopter aussi vite que possible cette nouvelle identité visuelle, et faire entrer la communication du mouvement dans une belle dynamique de transformation.

Téléchargeons-les, imprimons-les et affichons-les dès à présent !

          

      

D’autres affiches, reçues par courrier électronique, dont nous déclinons toute responsabilité quant au mauvais goût:

      Camembert Petit — Key member  

  

« Supprimer des agences, c’est une arlésienne, confie François Ecalle, ancien membre du Haut Conseil des finances publiques et président de l’association Fipeco. Mais si l’on veut faire de fortes économies, il faudrait supprimer des opérateurs qui coûtent cher comme les universités, le CNRS ou France Travail. »

Ces agences de l’État dans le viseur du gouvernement, Le Parisien, le 17 janvier 2025.

Comment comprendre la réforme des KeyLabs ?

Dans notre billet du 3 décembre 2024, nous faisions la prévision d’une attaque à venir contre le CNRS, soit neuf jours avant qu’elle ne se produise. De fait, le jeudi 12 décembre, M. Petit annonçait la réduction d’un facteur 4 du nombre d’unités de recherche soutenues par le CNRS, prélude à un démantèlement sous couvert de transformation en « agence de programmes ». L’objet de ce billet est d’expliquer la réforme des KeyLabs à celles et ceux qui ne suivent pas l’actualité de l’ESR, en prenant appui sur la méthode [*] qui nous permet d’interpréter et souvent d’annoncer par anticipation ce que produisent les réformes.

Depuis un mois, les KeyLabs nourrissent les discussions à la machine à café, d’où émerge le consensus suivant : il est inadmissible que la bureaucratie du CNRS, sans fondement ni procédure scientifique, prétende décider seule d’un pareil changement qui affectera l’ensemble de l’écosystème scientifique. La méthode choisie par M. Petit est évidemment contraire aux principes fondateurs de la recherche. Il importe cependant d’aller au-delà de cette critique de  méthode. Une erreur commune pour celles et ceux qui cherchent à comprendre, consiste à partir de la communication indigente des promoteurs de la réforme : CNRS_KeyLabs.pdf. Cette accumulation d’éléments de langage dans la communication du CNRS n’est pas destinée à éclairer la réforme mais à focaliser l’attention sur des détails et à créer une forme d’angoisse par une logique évanescente. C’est la méthode de management enseignée sous le nom de « précarisation subjective » : les « agents » sont placés sur le fil du rasoir par la force persuasive d’un dispositif qui remet en cause leur compétence professionnelle. Cela produit une séparation avec le réel et avec l’analyse systémique, holistique, pour ne laisser que cette question : « qu’est-ce que cette réforme, dans son détail technique, va changer pour moi ? »

Les réformes sont globalement cohérentes et s’inscrivent dans un projet de transformation continu, explicité dans des rapports ou lors de tables rondes, mais que la segmentation en mesures techniques rend peu lisible. C’est la stratégie dite de « réforme incrémentale » décrite et recommandée par MM. Aghion et Cohen en 2004. Une réforme est lancée lorsqu’une « fenêtre de tir » le permet. C’est ainsi que la haute fonction publique ministérielle qualifie la conjonction entre opportunité politique et faible potentiel de mobilisation contestataire. Les « ballons d’essai » servent ainsi à estimer la capacité de propagation de la colère au-delà de la frange critique. En cas d’alerte, une séance de pédagogie ministérielle infantilisante est organisée, pour qualifier de « procès d’intention » toute analyse qui reconstitue la place de cette réforme incrémentale dans le projet de transformation à 20 ans.

D’où vient l’idée des KeyLabs ? Il y a 20 ans, des économistes schumpétériens ont théorisé le fait qu’il fallait concentrer toute l’activité de recherche française au sein de dix universités conçues comme des entités privées. Les autres établissements étaient destinés à l’enseignement professionnel ou à jouer le rôle des Colleges étatsuniens. De fait, affichaient-ils, un tel système consommerait beaucoup moins d’argent public puisque ces collèges d’enseignement supérieur pourraient employer des enseignants contractuels à temps plein — pas de recherche et deux fois plus d’enseignement que ce que prévoit le statut des universitaires titulaires. Mieux, les Collèges Universitaires qui s’adapteraient le mieux à ce changement de doctrine pourraient eux-même être privatisés, s’ils s’avéraient suffisamment rentables. La concentration des « meilleurs » chercheurs et des moyens dans quelques établissements devaient garantir une amélioration fulgurante de la production scientifique, et engendrer un choc de croissance économique proprement schumpétérien. Les rares données affichées à l’appui de cette théorie étaient constituées de graphiques bidons figurant des corrélations médiocres entre indicateurs dépourvus de toute scientificité. Théorie donc dépourvue de tout fondement rationnel.

Pour comprendre les KeyLabs, il faut penser en réformateur : produire une séquence cohérente de réformes segmentées de sorte qu’aucune ne mette à la rue les étudiants ni ne perturbe le silence des charentaises du monde savant. Comment construire ces dix universités de recherche susceptibles de s’auto-financer par des frais de scolarité élevés, et privatisables en période de « crise » ? C’est évident : vous devez d’abord casser les capacités de résistance en dépossédant les universitaires de toute décision concernant l’enseignement et la recherche (priorités scientifiques, recrutements, budgets, etc.). Cela suppose de promouvoir une nouvelle classe gestionnaire, bureaucratie issue encore de la communauté académique, dont l’intérêt personnel contribue à servir les objectifs de l’idéologie prônant une marchandisation de l’ESR. A titre d’exemple, on lira avec profit la violence de la charge du rapport du Hcéres contre l’assemblée des professeurs du Collège de France, qui en est l’instance souveraine décidant, trois fois par an, des grandes orientations de l’établissement.

L’étape suivante consiste à casser le statut de fonctionnaires, au profit de contrats dérégulés, négociés au cas par cas. Pour fabriquer le consentement, voire la coproduction par les universitaires et les chercheurs, la parole managériale doit adopter un style fait de storytelling, d’énoncés cotonneux, niant tout antagonisme, donc user d’antiphrases : la dépossession, on la qualifiera d’« autonomie », la dérégulation statutaire d’« harmonisation » entre chercheurs et enseignant-chercheurs, et la médiocrité bureaucratique de « politique d’excellence ». En parallèle, on amorce le déplafonnement des frais d’inscription, de sorte à structurer les établissements en entités capables de générer du profit. Tout est mûr alors pour organiser un mercato des chercheurs de sorte à les concentrer dans les dix universités de recherche « intensives » ou « excellentes » — celles qui permettront ensuite un accroissement des frais d’inscriptions en Master. Ici, il faut diviser : flattez l’ego des chercheurs que vous désignerez comme « excellents » pour qu’ils vous appuient dans vos réformes avant d’en être eux-mêmes les acteurs et les victimes. C’est très exactement le stade où nous sommes arrivés, et dont l’opération Keylabs est une pièce essentielle.

On pourrait s’étonner de l’incapacité des middle-managers, par exemple les présidents de tel ou tel établissement, à voir qu’ils contribuent activement à des initiatives favorisant le démantèlement général, y compris quand ils se croient opposés aux réformes. C’est pourtant tout le sel de cette marche au désastre que de faire produire le mal par ses futures victimes, soigneusement enrôlées dans ce « projet » qu’est la grande comédie de la réforme. Telle est par exemple l’effet principal de la baisse des moyens que la bureaucratie du CNRS s’est habituée à consommer en pure perte. Cette coupe ne représente qu’une économie dérisoire pour l’État, mais elle enclenche un mouvement : la bureaucratie du CNRS, pour préserver son argent de poche, prélève dorénavant 10% des ressources propres banalisées des chercheurs. En retour, cette mise sous tension des unités favorise la généralisation des indicateurs quantitatifs de productivité et d’excellence. Elle produit simultanément le recrutement de bureaucrates supplémentaires de catégorie A, avec un enrobage du style « assistants de pilotage » ou « directeurs adjoints administratifs » alors que les unités demandent des informaticiens, des gestionnaires, des ingénieurs réseaux, des techniciens. Ces postes n’ont pas d’autre raison d’être que l’instauration d’un contrôle managérial, visant à entraver la sagesse qui fait tenir la machine jusqu’à présent, ce bricolage dont les « professionnels » de la bureaucratie ne parlent qu’avec dégoût. Différents laboratoires ont ainsi fait part de comportements de commissaires politiques ataviquement hostiles à la liberté académique. Alarmés par la nouvelle du projet Keylabs, même les scientifiques les  plus soucieux du bien public auront le réflexe humain de regarder si leur unité est dans la liste — alors même que les laboratoires épargnés aujourd’hui ont vocation à être sacrifiés d’ici deux ou trois ans.

Si les personnes que cette évolution cible, rendues anxieuses par la pénurie et par la pression des indicateurs, en arrivent à désirer elles-mêmes ce qui les écrasera, le paroxysme de la dépossession est atteint. La servitude volontaire règne en maître. C’est pour éviter cet enfermement et cette approbation de ce qui nous écrase que nous ne devons jamais oublier le point de fuite des réformes en cours : constituer un authentique marché de la connaissance et assembler 10 universités complètes de rang mondial dégageant du profit, libérant  une croissance supposément schumpéterienne, et limitant au passage l’accès à la connaissance.

« De nombreux établissements sont dans une situation budgétaire tendue aujourd’hui, il nous faut, c’est certain, faire des choix, établir des priorités dans chaque établissement, je sais que vous le faites déjà aujourd’hui, il faut sans doute aller encore plus loin. »

Philippe Baptiste

Le KeyLab pionnier du Professeur Raoult

Faut-il croire que la bureaucratie du CNRS est si incompétente qu’elle procède ainsi sur un coup de tête, sans expérimentation préalable ? En réalité, il y a bien sûr eu des tests à petite échelle. Il serait dommage de ne pas rappeler le glorieux bilan d’un des plus anciens et des plus connus : celui opéré par le Professeur Raoult qui, à la tête de l’université Aix-Marseille-II, en préleva les « meilleurs » chercheurs pour constituer ce qu’on n’appelait pas encore un KeyLab : l’IHU Méditerranée Infection. Le rayonnement de ce KeyLab fut tel qu’il fut salué par M. Elon Musk, le 16 mars 2020, par un tweet qui déclencha l’exaltation de la classe politique mondiale : « Maybe worth considering chloroquine for C19. » Le 19 mars 2020, M. Donald Trump déclarait en conférence de presse : « I get a lot of tremendously positive news on the hydroxy and I say “hey…”. You know the expression I used, John? “What do you have to loose, okay, what do you have to loose? » Le 21 mars 2020, il tweetait : « HYDROXYCHLOROQUINE & AZITHROMYCIN, taken together, have a real chance to be one of the biggest game changers in the history of medicine. » Le 9 avril 2020, sur les conseils insistants de M. Bernard Arnault, M. Macron rendait visite à la star mondiale autour de laquelle s’organisait ce KeyLab pionnier. Des mois plus tard, en septembre 2021, il rendrait publique son évaluation mûrement réfléchie: « Il faut rendre justice à Didier Raoult qui est un grand scientifique ». La même année, René Ricol (commissaire général à l’investissement) confirma le verdict : « Quoi qu’on en dise, l’IHU de Didier Raoult à Marseille est un succès ». Il faudrait des œillères épaisses, dans ces conditions, pour nier le bien fondé des KeyLabs.


* Note. Pour preuve de la valeur de la méthode d’analyse déployée ici, nous avons montré avant son adoption que la loi de programmation de la recherche (LPR) de 2020 programmait une baisse budgétaire, analysé le tour de passe-passe budgétaire avec les retraites, pointé que les chaires de professeur junior ne seraient pas des « postes en plus » mais, après baisse budgétaire, des postes en moins. Enfin, nous avons annoncé le contenu effectif de cette loi insincère, que Mme Retailleau résume ainsi aujourd’hui : « Il faut absolument continuer la mise en œuvre de la LPR. Tout est posé, allez-y. Les acteurs [la bureaucratie, NDLR] peuvent demander des contrats différents. » De fait : la LPR était une loi bureaucratique de dérégulation des statuts, de précarisation et de paupérisation.

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But then, it was too late

« Ce qui reste de liberté prend un caractère d’épiphénomène, relève d’une culture de la vie privée, ce n’est pas une liberté substantielle au sens où les hommes pourraient se déterminer eux-mêmes : on se contente de les laisser libres dans quelques secteurs seulement et jusqu’à nouvel ordre, pour que la vie ne leur paraisse pas complètement insupportable. »

Adorno, Leçons sur l’histoire et sur la liberté

45 au carré

2025 est un carré parfait — 45 au carré ; le précédent carré parfait était 1936. Ce tour de passe-passe arithmétique, propre à émerveiller des élèves de petites classes*, place l’année 2025 sous les augures de deux dates clés du combat contre le fascisme.

L’année 2024 a vu l’extrême-droite, souvent coalisée avec les droites affairiste et conservatrice, proliférer dans les pays occidentaux, suscitant adhésion et mouvement quand les partisans de la démocratie semblent tétanisés. En France, un gouffre s’est ouvert entre la responsabilité remarquable de la société et l’effondrement moral d’une large part du système médiatique, de la classe politique et des milieux d’affaires. Chacun, chacune, sent désormais le souffle de la bête dans le cou. Ni la société, ni l’histoire ne sont soumises à des lois déterministes et transcendantes. Le politique est affaire de création humaine, conditionnée mais non déterminée par la vie matérielle. La création, précisément, est ce qui ne se déduit pas de ce qui précède. Le moment a le mérite de la clarté : nous savons ce qu’il se produira si nous ne faisons rien, et si perdure le narcissisme, la solitude, l’apathie politique et le conformisme. Mais l’anomie n’a rien d’une fatalité. Il ne tient qu’à nous de faire vivre l’idéal démocratique visant à constituer une société réflexive faisant appel à l’activité lucide et éclairée de tous les citoyens pour se réimaginer sans cesse. Tel est l’enjeu de 2025 et des années suivantes : il revient désormais à la société civile, donc à chacun et chacune d’entre nous, de prendre ses responsabilités politiques.

« A tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir. La place demeure vide, mais le couvert reste mis. »

René Char

* Épatez les enfants autour de vous en leur montrant que 2025 est le carré de la somme des 9 premiers entiers et, en vertu du théorème de Nicomaque, la somme des cubes des 9 premiers entiers.

KeyLabs : motion de défiance

Vous trouverez ci-dessous le lien vers une motion de défiance dont nous nous faisons le relais, sans en assumer la responsabilité, et que nous vous invitons à relayer à votre tour au sein des unités et UFR. Voici le message du collectif de chercheuses et chercheurs du CNRS qui en est à l’initiative :

« Comme vous le savez, le PDG du CNRS vient de dévoiler sa volonté de développer un label de KeyLabs qui serait attribué à environ un quart des labos de France et sur lesquels viendraient se concentrer l’essentiel des moyens humains et financiers (et au détriment des 75 % de labos restants bien entendu). C’est une orientation qui, pour plusieurs d’entre nous, est totalement inacceptable. La brutalité avec laquelle A. Petit veut l’imposer nous semble appeler une réponse extrêmement ferme. Aussi, nous avons pris l’initiative de rédiger une “motion de défiance” envers A. Petit et appelons au retrait de ce projet et à sa démission. »

https://framaforms.org/motion-de-defiance-pdg-cnrs-1736518552

«  À cet instant où gisent à terre les politiciens en qui les adversaires du fascisme avait mis leurs espoirs, où ces politiciens aggravent leur défaite en trahissant leur propre cause, nous voudrions arracher l’enfant politique du monde aux filets dans lesquels ils l’avaient enfermé. »

Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire, 1940

Séminaire Politique des sciences

Le séminaire Politique des sciences reprend son cours en mettant à profit la parution d’ouvrages issus de trois disciplines des sciences humaines et sociales (science politique, histoire, philosophie) pour examiner aussi bien les stratégies institutionnelles du Rassemblement National que les terreaux économiques et sociaux à la fois modelés et investis par les libertariens radicaux, et qui contribuent au rêve d‘un monde sans démocratie.

Actualité de la recherche sur l’extrême-droite et l’autoritarisme (1)

Vendredi 31 janvier 2025, 16h30-19h, salle Cavaillès, ENS, 45 rue d’Ulm

Une pré-inscription est demandée aux personnes extérieures à l’ENS-PSL par un mail à : Po_des_Sciences@proton.me afin de fournir la liste des invités à la loge d’entrée.

Quinn Slobodian professeur d’histoire économique et politique globale à l’Université de Boston. Il publie Le Capitalisme de l’apocalypse ou le rêve d’un monde sans démocratie au Seuil et Hayek’s Bastards: Race, Gold, IQ, and the Capitalism of the Far Right chez Zone Books.

Estelle Delaine est maîtresse de conférences en science politique à l’Université de Rennes. Elle publie À l’extrême droite de l’hémicycle. Le RN au cœur de la démocratie européenne. chez Raison d’Agir.

Michel Feher est philosophe et fondateur de la maison d’édition new-yorkaise Zone Books. Il publie Producteurs et parasites. L’imaginaire si désirable du Rassemblement National. aux éditions La Découverte.

« La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat. »

Hannah Arendt

Science, com’ et réseaux sociaux 

En prévision du retour au pouvoir de M. Trump le 20 janvier, en compagnie des broligarques de l’extrême-droite libertarienne, ALIA, l’Association pour la Liberté Académique, a appelé en décembre les établissements d’enseignement supérieur et de recherche les universitaires et les chercheurs à quitter « X », le réseau de M. Musk  :

https://liberte-academique.fr/wp-content/uploads/2024/12/2024-12-16-Quitter-X-au-nom-de-lethique-de-la-science.pdf

Nous souscrivons à cet appel au boycott des plateformes du techno-féodalisme libertarien et, surtout, à son dernier paragraphe : nous invitons à notre tour à une réflexion collective de la communauté académique sur ce que le personal branding, la « com’ » et la « stratégie de marque » font à l’Université et à la science.

À intervalles réguliers, les universitaires et les salariés des EPST reçoivent dans leur boîte courriel des lettres d’actualités de leur(s) établissement(s) de tutelle, concoctées par leur service communication. La 4ème place régionale de l’innovation sociétale durable attribuée à un mémoire de master y est présentée comme le signe d’une ascension inéluctable vers les cimes de la recherche globale. Le portrait du chercheur du mois, choisi selon des critères mystérieux, y côtoie la mise en avant d’un passage sur France Culture et un communiqué de presse sur les avancées cruciales représentées par un article publié le mois précédent — des dizaines, voire des centaines d’autres, sont, par contraste, invisibilisés. On trouvera les mêmes communiqués de presse étrangement sélectifs, les mêmes portraits venus d’on ne sait où, les mêmes interviews lénifiantes de membres de l’équipe de direction sur les comptes facebook et linkedin de l’établissement. Généralement, il faut le reconnaître, ces messages ne sont pas lus : ils sont mis à la poubelle, et ne suscitent d’agacement significatif que lorsqu’ils annoncent triomphalement un nouveau logo, une nouvelle charte graphique ou tout autre emballage contraignant. Ce mélange général d’indifférence et d’hostilité n’empêchera pas le service communication de continuer son « travail », et parfois d’être le seul service de l’université dont les effectifs et le budget augmentent.

La stratégie de marque achève la transformation de l’Université en entreprise de ventes des diplômes en y important le culte du pitch et du teasing, plutôt que la culture du doute, l’évidence de la nuance et la nécessité du temps long. La recherche incrémentale, voire confirmatoire, permet aux structures de valorisation de générer un narratif présentant l’université comme l’élément clef dans une politique d’économie de la connaissance. Des concours locaux, régionaux et nationaux comme la thèse en 180 secondes sont des rustines pour “soigner” l’absence de postes et de débouchés. Les universitaires, pour essayer de donner quelques espoirs à leurs étudiants et à eux-mêmes, participent à la sape de leur propre métier, conformément au grand principe managérial : faire co-produire par les dominés leur propre système d’aliénation.

La réaction à la prise de contrôle de twitter, plateforme au rôle institutionnel pour les universités, les politiciens ou les journalistes, est symptomatique de la coupure entre bureaucratie et praticiens de la recherche et de l’enseignement. En ordre dispersé, nos établissements se sont interrogés sur les conséquences pour leur réputation et leur visibilité, plutôt que de mettre en débat les questions d’intégrité et d’exemplarité dans la diffusion des connaissances et informations. Les lentes migrations de comptes institutionnels procèdent d’une rationalité instrumentale et comptable, plutôt que de l’éthique académique. Les chercheuses et chercheurs qui étudient les réseaux sociaux, la désinformation ou le techno-féodalisme n’ont jamais été conviés à contribuer à une réponse commune des institutions académiques. En conséquence, nous restons démunis face à un problème chaque jour plus urgent.

Le départ de « X » n’est-il pas l’occasion de remettre en cause les stratégies de communication des établissements qui renversent les normes qui régissent la pratique de la science ? Faut-il vraiment encourager à la migration de comptes sur Bluesky, sans autre perspective ? N’est-il pas temps de participer, comme praticiens de la recherche, à la construction d’outils numériques sous contrôle citoyen, conformes aux aspirations démocratiques ?

« La liberté consiste d’abord à ne pas mentir. Là où le mensonge prolifère, la tyrannie s’annonce ou se perpétue. »

Albert Camus

But then, it was too late

I was a scholar, a specialist. Then, suddenly, I was plunged into all the new activity, as the university was drawn into the new situation; meetings, conferences, interviews, ceremonies, and, above all, papers to be filled out, reports, bibliographies, lists, questionnaires. And on top of that were the demands in the community, the things in which one had to, was ‘expected to’ participate that had not been there or had not been important before. It was all rigmarole, of course, but it consumed all one’s energies, coming on top of the work one really wanted to do. You can see how easy it was, then, not to think about fundamental things. One had no time. […]

The dictatorship, and the whole process of its coming into being, was above all diverting. It provided an excuse not to think for people who did not want to think anyway. I do not speak of your ‘little men,’ your baker and so on; I speak of my colleagues and myself, learned men, mind you. Most of us did not want to think about fundamental things and never had. There was no need to. […]

To live in this process is absolutely not to be able to notice it […] unless one has a much greater degree of political awareness, acuity, than most of us had ever had occasion to develop. Each step was so small, so inconsequential, so well explained or, on occasion, ‘regretted’: that, unless one were detached from the whole process from the beginning, unless one understood what the whole thing was in principle, what all these ‘little measures’ […] must some day lead to, one no more saw it developing from day to day than a farmer in his field sees the corn growing. One day it is over his head. […]

In the university community, in your own community, you speak privately to your colleagues, some of whom certainly feel as you do; but what do they say? They say, ‘It’s not so bad’ or ‘You’re seeing things’ or ‘You’re an alarmist.’

And you are an alarmist. You are saying that this must lead to this, and you can’t prove it. These are the beginnings, yes; but how do you know for sure when you don’t know the end, and how do you know, or even surmise, the end? On the one hand, your enemies, the law, the regime, the Party, intimidate you. On the other, your colleagues pooh-pooh you as pessimistic or even neurotic. You are left with your close friends, who are, naturally, people who have always thought as you have.

But your friends are fewer now. Some have drifted off somewhere or submerged themselves in their work. You no longer see as many as you did at meetings or gatherings. Informal groups become smaller; attendance drops off in little organizations, and the organizations themselves wither. Now, in small gatherings of your oldest friends, you feel that you are talking to yourselves, that you are isolated from the reality of things. This weakens your confidence still further and serves as a further deterrent to-to what? It is clearer all the time that, if you are going to do any- thing, you must make an occasion to do it, and then you are obviously a troublemaker. So you wait, and you wait.

But the one great shocking occasion, when tens or hundreds or thousands will join with you, never comes. That’s the difficulty. If the last and worst act of the whole regime had come immediately after the first and smallest, thousands, yes, millions would have been sufficiently shocked. […]

Suddenly it all comes down, all at once. You see what you are, what you have done, or, more accurately, what you haven’t done (for that was all that was required of most of us: that we do nothing). You remember those early meetings of your department in the university when, if one had stood, others would have stood, perhaps, but no one stood. A small matter, a matter of hiring this man or that, and you hired this one rather than that. You remember everything now, and your heart breaks. Too late. You are compromised beyond repair.

Milton Mayer, They Thought They Were Free The Germans, 1933-1945

Paru en 1955, cet ouvrage est fondé sur dix entretiens menés dans la ville de Hesse. Il raconte la montée du nazisme au quotidien.

Traduction.

« J’étais un universitaire, un spécialiste. Puis, soudainement, j’ai été plongé dans toutes ces nouvelles activités, alors que l’université était entraînée dans la nouvelle situation ; des réunions, des conférences, des interviews, des cérémonies, et, par-dessus tout, des papiers à remplir, des rapports, des bibliographies, des listes, des questionnaires. Et par-dessus tout cela, il y avait les exigences de la communauté, les choses auxquelles il fallait, on “s’attendait à ce que” l’on participe, qui n’étaient pas là auparavant ou qui n’étaient pas importantes. Tout cela n’était que du tralala, bien sûr, mais cela consumait toutes nos énergies, en plus du travail que l’on voulait vraiment faire. Vous pouvez voir à quel point il était facile, alors, de ne pas penser aux choses fondamentales. On n’avait pas le temps. […]

La dictature, et tout le processus de son avènement, faisait avant tout diversion. Elle fournissait une excuse pour ne pas penser à ceux qui ne voulaient pas penser de toute façon. Je ne parle pas de vos “petits hommes”, votre boulanger et ainsi de suite ; je parle de mes collègues et de moi-même, des hommes instruits, vous savez. La plupart d’entre nous ne voulaient pas penser aux choses fondamentales et ne l’avaient jamais fait. Il n’y avait pas besoin de le faire. […]

Vivre dans ce processus, c’est absolument ne pas pouvoir le remarquer […] à moins d’avoir un degré de conscience politique, d’acuité, beaucoup plus grand que la plupart d’entre nous n’avaient jamais eu l’occasion de développer. Chaque étape était si petite, si insignifiante, si bien expliquée ou, à l’occasion, “regrettée”, que, à moins d’être détaché de tout le processus dès le début, à moins de comprendre ce qu’était tout cela en principe, ce à quoi toutes ces ‘petites mesures’ […] devaient un jour mener, on ne voyait pas plus cela se développer de jour en jour qu’un fermier dans son champ ne voit le maïs pousser. Un jour, il est au-dessus de sa tête. […]

Dans la communauté universitaire, dans votre propre communauté, vous parlez en privé à vos collègues, dont certains ressentent certainement la même chose que vous ; mais que disent-ils ? Ils disent, “Ce n’est pas si grave” ou “Vous voyez des choses” ou “vous êtes un alarmiste.”

Et vous êtes un alarmiste. Vous dites que cela doit mener à cela, et vous ne pouvez pas le prouver. Ce sont les débuts, oui ; mais comment savez-vous avec certitude quand vous ne connaissez pas la fin, et comment savez-vous, ou même supposez-vous, la fin ? D’un côté, vos ennemis, la loi, le régime, le Parti, vous intimident. De l’autre, vos collègues vous traitent de pessimiste ou même de névrosé. Vous êtes laissé avec vos amis proches, qui sont, naturellement, des personnes qui ont toujours pensé comme vous.

Mais vos amis sont moins nombreux maintenant. Certains se sont éloignés quelque part ou se sont plongés dans leur travail. Vous ne voyez plus autant de personnes que vous voyiez lors des réunions ou des rassemblements. Les groupes informels deviennent plus petits ; la participation diminue dans les petites organisations, et les organisations elles-mêmes se flétrissent. Maintenant, dans de petits rassemblements de vos plus vieux amis, vous avez l’impression de parler à vous-mêmes, d’être isolés de la réalité des choses. Cela affaiblit encore plus votre confiance et sert de dissuasion supplémentaire à — à quoi ? Il devient de plus en plus clair que, si vous allez faire quelque chose, vous devez créer une occasion de le faire, et alors vous êtes évidemment un fauteur de troubles. Alors vous attendez, et vous attendez.

Mais l’occasion grande et choquante, où des dizaines ou des centaines ou des milliers de personnes se joindront à vous, n’arrive jamais. C’est la difficulté. Si le dernier et pire acte de tout le régime était venu immédiatement après le premier et le plus petit, des milliers, oui, des millions de personnes auraient été suffisamment choquées. […]

Soudain, tout s’effondre, tout à coup. Vous voyez ce que vous êtes, ce que vous avez fait, ou, plus précisément, ce que vous n’avez pas fait (car c’est tout ce qui était requis de la plupart d’entre nous : que nous ne fassions rien). Vous vous souvenez de ces premières réunions de votre département à l’université où, si quelqu’un s’était levé, d’autres se seraient levés, peut-être, mais personne ne s’est levé. Une petite affaire, une question d’embaucher cet homme ou cet autre, et vous avez embauché celui-ci plutôt que celui-là. Vous vous souvenez de tout maintenant, et votre cœur se brise. Trop tard. Vous êtes compromis au-delà de toute réparation. »

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Des Keybabs aux Cinque Stelle

les journées

     les journées distillent

⊗ le venin

     du renoncement

Jacques Roubaud, poète et mathématicien français, est décédé le 5 décembre 2024.

Projet de répartition des key-leurres, en dehors de toute instance collégiale. Document du 19 novembre 2024. Les noms des laboratoires ont été floutés par nos soins. Seuls 6% des directrices et directeurs de laboratoire soutiennent les « key-labs » (Source ADL).

C’est parce que les solstices se voudraient des temps suspendus qu’ils constituent des « fenêtres de tir » privilégiées pour les attaques de la bureaucratie contre l’Université et la recherche. L’attrition budgétaire programmée par la LPR, à laquelle nous avons consacré tant de billets, est désormais une évidence commune — au point que les managers de la démolition, bureaucrates de l’Udice, de France Universités ou des organismes nationaux de recherche (ONR) ont le culot de se camper en résistants. Mais l’accélération du programme de destruction de l’Université et de la recherche scientifique ne se donne encore à voir et à entendre que dans des petits cénacles. Redisons-le : l’achèvement du programme cohérent de bureaucratisation, de paupérisation et de dépossession initié il y a 20 ans s’attaque simultanément aux étudiants, aux ONR et aux universitaires. Cette semaine, M. Antoine Petit, président du CNRS, et Mme Sylvie Retailleau, ancienne ministre, ont explicitement articulé les trois derniers volets de ce programme :

Diapositive proposée par l’Hcéres en appui à nos enseignements — à moins qu’il ne s’agisse d’un apport. La bureaucratie managériale et le souverain grotesque (Trump, Milei…) sont deux formes duales de la terreur ubuesque, du pipikisme que Philip Roth définit comme cette « force anti-tragique qui transforme tout en farce, banalise et superficialise tout ». Pétition pour la suppression du Hcéres.

Lors de la convention des directrices et directeurs des unités, le jeudi 12 décembre, M. Petit a annoncé que 75% des unités de recherche seraient sacrifiées pour que 25% d’entre elles, appelées tantôt « keylabs », tantôt « cinq étoiles », retrouvent les moyens qu’elles avaient il y a quelques années — et en particulier leurs personnels de soutien à la recherche, ingénieurs, techniciens et administratifs (ITA). Le label ouvrant droit au soutien du CNRS, transformé en agence de moyens, sera attribué pour cinq ans — d’où l’enjeu du Hcéres : « Bien entendu, il n’est pas question que ces key labs forment un club fermé. » M. Petit a tenu à justifier le démantèlement : « Le CNRS a longtemps fait de l’aménagement du territoire, à la demande des communautés scientifiques et des universités et écoles, […] le CNRS a ainsi dilué son action et réduit sa plus-value. » M. Petit a détaillé les deux missions du CNRS devenu agence de moyens : « La première mission est d’animer et de coordonner les activités nationales de recherche dans plusieurs domaines scientifiques. Cela passe notamment par les infrastructures de recherche, les réseaux et groupements de recherche, les plates-formes scientifiques. […] La seconde grande mission du CNRS est d’opérer les unités de recherche. » Dans l’esprit de la bureaucratie, la recherche elle-même ne fait donc déjà plus partie des missions des organismes nationaux de recherche (ONR).

« La bêtise aime à gouverner. Lui arracher ses chances. Nous débuterons en ouvrant le feu sur ces villages du bon sens. »

René Char

Autre lieu. Même discours. Devant un parterre où aucun universitaire, aucun chercheur actif n’avait été convié, Mme Retailleau complétait la vision de M. Petit, au cours d’une séance d’auto-congratulation et d’appels du pied pour retrouver « son » ministère. Elle a souligné l’importance de l’impulsion donnée pendant son mandat à la transformation des ONR en agences de programmes « légitimées par des signatures interministérielles et par les acteurs [la bureaucratie, NDLR] eux-mêmes. […] Nous devons travailler en équipe de France. Les choses ont été posées. Si les acteurs [la bureaucratie, NDLR] veulent se prendre en main, ils ont ce qu’il faut, sauf contre-ordre d’un futur ministre. »

Mme Retailleau a par ailleurs synthétisé la manière dont, à bas bruit, la bureaucratie à été dotée des moyens d’absorber les personnels des organismes nationaux de recherche et de mettre fin aux statuts nationaux des enseignants-chercheurs et chercheurs : « Les acteurs [la bureaucratie, NDLR] ont ce qu’il faut. Commençons par confier, j’y étais prête, on l’avait discuté, les carrières et les postes au niveau de chaque opérateur. Les statuts des personnels chercheurs et enseignant-chercheurs doivent être discutés des deux côtés. Il faut absolument continuer la mise en œuvre de la LPR, […] qui doit être négociée en tenant compte de l’évolution des acteurs. Tout est posé, allez-y. […] Aujourd’hui, je crois que nous sommes à peu près le seul pays au monde à fonctionner avec les 192 heures devant les étudiants. » Mme Retailleau a appelé à supprimer les différences statutaires entre personnels des universités et des ONR au profit d’« un statut modulé. Ce processus est compliqué et il ne s’agit pas de le formaliser dans un tableau Excel ou des règles fixes. »

M. Germinet, directeur du pôle connaissance au Secrétariat général à l’investissement (SGPI), a cru bon d’ajouter, en écho : « Nous [la bureaucratie, NDLR] n’avons pas la main sur les carrières de tous les personnels, même si nous les payons. Cela reste un frein. Les chaires de professeur junior ont permis quelques avancées, mais cela reste limité. Tant que nous [la bureaucratie, NDLR] n’avons pas la main sur les ressources humaines et les carrières, nous restons bloqués. »

M. Rapp, président du jury Idex, lui aussi convié, a été plus direct encore : « en matière RH, les Idex et I-site pourraient être des premiers de cordée : sur l’évaluation régulière des E-C, la modification des cahiers des charges, pour tester l’abandon des 192 h. »

La bouillie provocatrice des lettres ouvertes du « Groupe Javier Milei » semble frappée d’obsolescence. Désormais, le discours de la bureaucratie constitue lui-même sa propre parodie. Missak et Mélinée Manouchian furent panthéonisés en pleine loi immigration ; dès lors, panthéoniser Marc Bloch pour le démantèlement de l’Université et de la recherche scientifique est pleinement cohérent.

 
La Venus de Milei — Interview de M. Philippe Aghion au Figaro : « Politiquement, je suis assez éloigné de Javier Milei, et j’ai beaucoup de désaccords avec lui. Mais il faut reconnaître qu’il a des résultats économiques et sociaux, et cela donne envie de s’intéresser à ce qu’il a fait. » Pauvreté endémique, effondrement de la production industrielle et naufrage scientifique. Obtenir en un an ce que les réformes théorisées par M. Aghion en 2004 ont produit en 20 ans en France est de nature à susciter l’admiration. Pétition : Investir dans la recherche et l’Université.