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En solidarité avec l’Ukraine

En solidarité avec l’Ukraine

Depuis quelques jours, l’attaque militaire russe en Ukraine a porté la guerre au cœur de l’Europe. Nous tenons à dire notre solidarité avec la population ukrainienne. Nos pensées vont en particulier vers nos collègues sur place et vers les étudiantes et étudiants venant d’Ukraine et qui peuvent se trouver actuellement en France, loin des leurs et de leur pays. Nous attirons votre attention sur cette pétition de soutien aux chercheurs et étudiants d’Ukraine.

Vous pouvez également consulter la prise de position du Groupement de recherche CNRS « Empire russe, URSS et monde post-soviétique. »

Nous tenons également à dire notre sympathie aux universitaires russes qui ont le courage de prendre publiquement la parole contre cette guerre, parfois au péril de leur carrière et de leur liberté. En portant ainsi une parole de droiture, de solidarité et de vérité face à la machine de propagande belliciste, ces collègues nous renvoient aux plus hautes exigences de la liberté académique. Le journal Le Monde a publié un texte de collègues russes, que nous portons à votre connaissance ci-dessous.

Que peut faire l’Université dans cette situation ? Soutenir matériellement et accueillir les collègues, les étudiantes et les étudiants ukrainiens mis en danger par la guerre est une évidence. Mais sur le long terme, cette guerre rappelle aussi l’importance politique de garantir des formations de haut niveau relatives aux langues, aux sociétés, aux économies et aux cultures de l’ensemble des pays et des régions du globe. Un maillage de formations de ce type représente une contribution décisive à la formation d’un appareil d’État et d’une société civile à même d’analyser et de comprendre des crises régionales ou globales souvent latentes mais risquant de connaître des phases paroxystiques aussi tragiques que cette guerre. Préparer notre pays à répondre efficacement et démocratiquement aux crises internationales impose de retrouver l’ambition perdue de la diversité linguistique et culturelle dans la formation des élites et du plus grand nombre. Cette crise s’ajoute à d’autres pour nous renvoyer à l’exigence collective de savoirs autonomes, inscrits dans la longue durée, et portant sur l’ensemble des champs de l’activité humaine.

Nous assurons de notre soutien chaleureux les collègues spécialistes de cette aire géographique, qui voient aujourd’hui la guerre déchirer les pays de leurs interlocuteurs scientifiques. Nous invitons toute la communauté universitaire à apporter son soutien et à témoigner sa solidarité aux nombreux chercheurs, doctorants et étudiants ukrainiens qui sont dans nos établissements d’enseignement supérieur et à tous ceux qui y seront accueillis dans les semaines et mois qui viennent.

Appel de 664 chercheurs et scientifiques russes :
« Nous exigeons l’arrêt immédiat de tous les actes de guerre dirigés contre l’Ukraine »

Dans une lettre ouverte publiée par Le Monde le 25 février, un collectif de chercheurs et de journalistes scientifiques russes dénonce l’entière responsabilité de la Russie dans le déclenchement du conflit. Par cet acte, « la Russie s’est condamnée à l’isolement sur la scène internationale et à un destin de pays paria », estiment-ils encore.

Nous, chercheurs et journalistes scientifiques russes, exprimons ici notre protestation énergique contre les actes de guerre lancés par les forces armées de notre pays sur le territoire de l’Ukraine. Cette décision fatale causera la mort d’un très grand nombre de gens. Elle sape les fondements du système de sécurité collective. La responsabilité du déclenchement de cette nouvelle guerre en Europe incombe entièrement à la Russie.

Cette guerre n’a aucune justification rationnelle. Les tentatives de manipuler la situation dans le Donbass et de s’en servir comme prétexte pour déclencher les opérations militaires ne dupent absolument personne. Il est évident que l’Ukraine ne représente aucune menace pour notre pays. La guerre contre elle est injuste et absurde.

L’Ukraine était et reste un pays dont nous sommes très proches. Nombreux sont ceux, parmi nous, qui y ont des parents, des amis et des collègues chercheurs. Nos pères, grands-pères et arrière-grands-pères ont combattu ensemble le nazisme. Déclencher une guerre pour satisfaire les ambitions géopolitiques des dirigeants de la Fédération de Russie, mus par des considérations historiques fantaisistes et douteuses, ce n’est pas autre chose que trahir leur mémoire.

La guerre avec l’Ukraine, c’est un pas dans le néant

Nous respectons l’Ukraine, voyant en elle un État fondé sur des institutions démocratiques qui fonctionnent. Nous comprenons le choix européen de nos voisins. Nous sommes convaincus que tous les problèmes entre nos deux pays peuvent être résolus de manière pacifique.

En déclenchant la guerre, la Russie s’est condamnée à l’isolement sur la scène internationale et à un destin de pays paria. Cela signifie que nous, les chercheurs, ne pourrons désormais plus faire nos recherches normalement, tant il est vrai que l’avancement des recherches scientifiques est impensable sans coopération approfondie avec les collègues des autres pays.

L’isolement de la Russie dans le monde va aggraver encore plus la dégradation culturelle et technologique de notre pays, tout en fermant toutes les portes de sortie. La guerre avec l’Ukraine, c’est un pas dans le néant.

C’est avec douleur que nous voyons notre pays, dont le rôle pour abattre le nazisme a été décisif, allumer en ce moment même une nouvelle guerre sur le continent européen. Nous exigeons l’arrêt immédiat de tous les actes de guerre dirigés contre l’Ukraine. Nous exigeons le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’État ukrainien. Nous exigeons la paix pour nos pays.

La traduction et la publication de cette lettre sont à l’initiative de chercheurs français travaillant sur la Russie, l’Ukraine et l’espace post-soviétique.

Premiers signataires : Aleksandr Anikin, linguiste, membre de l’Académie des sciences de Russie ; Jurij Apresjan, linguiste, membre de l’Académie des sciences de Russie ; Aleksandr Bondar, membre de l’Académie des sciences de Russie ; Viktor Vasil’ev, mathématicien, membre de l’Académie des sciences de Russie ; Mikhaïl Danilov, physicien, membre de l’Académie des sciences de Russie ; Jurij Kostitsyn, membre de l’Académie des sciences de Russie, docteur en géologie ; Aleksandr Moldovan, membre de l’Académie des sciences de Russie, philologue ; Serguej Nikolaev, académicien de l’Académie des sciences de Russie, philologue ; Konstantin Novoselov, physicien, lauréat du prix Nobel ; Valerij Rubakov, membre de l’Académie des sciences de Russie, physicien ; Roal’d Sagdeev, membre de l’Académie des sciences de Russie, physicien.

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Au Monopoly des savoirs

Au Monopoly des savoirs

Deux brèves cette semaine et une série de 50 questions adressées aux candidates et aux candidats à la présidentielle.

Lancement du fonds de dotation et de l’association de défense de la liberté académique

Afin de donner vie, avant la présidentielle, au fonds de dotation et à l’association de défense de la liberté académique imaginés il y a quelques mois, l’après-midi du jeudi 17 mars sera consacrée au lancement du projet. Il s’agira d’ouvrir la discussion sur la forme juridique, les objectifs et les garde-fous à mettre en œuvre, à partir d’une série d’exposés abordant différents aspects de la liberté académique. Le lieu et le programme seront précisés dès que possible.

Vous pouvez encore vous inscrire sur la mailing liste de préparation des statuts :

https://rogueesr.fr/20211004-2/#association

Ce que Bolloré fait à la liberté universitaire

Il y a un an exactement, le 14 février 2021, Mme Frédérique Vidal expliquait sur le plateau de la chaîne CNews qu’elle souhaitait lancer une « enquête du CNRS » pour faire la lumière sur « l’islamo-gauchisme » qui, selon elle, « gangrène l’Université ». Dans les semaines qui ont suivi, la liberté académique a subi une attaque politique inédite, promue notamment sur les chaînes du groupe Bolloré. La délation y a pris les proportions les plus absurdes, puisque dès la mi-février, même le président d’alors de Sorbonne Université, archétype du bureaucrate conformiste, y était nominativement dénoncé pour son « parti pris idéologique »… communiste. Le traitement fallacieux d’une affaire grenobloise dans laquelle la liberté académique n’était initialement pas en cause a pris des proportions dramatiques : des noms de collègues ont été livrés à la vindicte, et l’instauration d’un climat de délation a directement concouru à des rétorsions financières politiciennes par la région Auvergne-Rhône-Alpes contre l’IEP de Grenoble. Ce ne sont pas des faits isolés : il y a quelques semaines encore, à l’antenne, M. Cyril Hanouna s’en prenait nominativement à une chercheuse et à son institution, le CNRS, pour avoir osé publier une étude analysant preuves à l’appui ses biais politiques, et notamment son traitement de la candidature à la présidentielle d’un ancien chroniqueur de CNews coutumier lui aussi des falsifications historiques, religieuses, démographiques.

Non contents de vilipender le libre exercice de la raison, les médias du groupe Bolloré, depuis deux ans, promeuvent aussi activement le déficit d’intégrité scientifique dans leur traitement de la pandémie de COVID-19. Est-il besoin de rappeler le prime time de M. Hanouna à la gloire de la chloroquine au printemps 2020 (Didier Raoult et la chloroquine peuvent-ils sauver le monde ?, C8, 31 mars 2020), ou les innombrables plateaux de CNews expliquant à l’été 2020, contre toute évidence, qu’une deuxième vague épidémique n’aurait pas lieu ? Là encore, ce n’est pas un cas isolé : outre la falsification quotidienne des sciences sociales, on pourrait mentionner les invitations sans contradicteurs d’affabulateurs antivaccination ou la promotion sur les antennes du groupe d’un ouvrage co-écrit par le frère de M. Bolloré entreprenant de « prouver l’existence de Dieu » à coup de résultats scientifiques déformés et réinterprétés (« Dieu, la science, les preuves » : l’Univers a-t-il été engendré par un créateur intelligent ?, CNews, 16 novembre 2021).

Nous avons déjà analysé pourquoi l’affaiblissement des standards de probité intellectuelle fait système avec la campagne contre l’indépendance de la recherche et de l’Université. S’il y a bien un lieu où ces deux menaces n’en font qu’une, ce sont les médias du groupe Bolloré, qui tentent une synthèse entre un conservatisme de guerre froide et un « libertarianisme » sans frein. Dans cet espace, la liberté académique tout comme la liberté d’informer sont réduites à une caricature monstrueuse de « liberté d’opinion » autorisant à dire n’importe quoi sans argumenter ni se confronter aux faits. Ce groupe est en passe de s’octroyer un quasi-monopole sur la distribution des livres et de devenir hégémonique dans le secteur éditorial : il possédera bientôt plus de 70 % des livres scolaires, la moitié des livres de poche, une centaine de maisons d’édition. Défendre la liberté académique impose de réagir à cette menace. Le 16 février 2022, une initiative fédérant des journalistes, des maisons d’édition, des associations, des syndicats et des chercheurs a appelé à une saisine de l’Arcom en prélude à une action judiciaire.

https://www.stopbollore.fr/

Considérant que la liberté académique sera menacée en France aussi longtemps que ce déluge de falsifications et de calomnies se poursuivra, nous avons décidé de soutenir cette initiative.

50 questions pour les candidates et les candidats à la présidentielle

Nous adressons aux équipes des candidates et des candidats à l’élection présidentielle une liste de questions qui intéressent l’ensemble de la société et qui permettent de mesurer la place de la recherche, de l’enseignement et de l’Université dans leur vision de notre avenir collectif. Les réponses seront publiées au fur et à mesure de leur réception, sur le site :

https://www.franceuniversite.fr/reponses/

Les questions sont organisées en neuf grandes sections :

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Avancer masqué

Avancer masqué

« Comme un acteur met un masque pour ne pas laisser voir la rougeur de son front ; de même, moi qui vais monter sur le théâtre de ce monde où je n’ai été jusqu’ici que spectateur, je parais masqué sur la scène. Quand j’étais jeune, à la vue de découvertes ingénieuses, je cherchais si je ne pourrais pas en faire par moi-même sans l’aide d’un guide ; et c’est ainsi que je remarquai peu à peu que je procédais suivant des règles fixes. »

Descartes, Méditations privées, 1619.

Une brève joyeuse, cette semaine, ainsi qu’un billet long sur l’avis du Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) intitulé : FFP2, reste-t-il quelqu’un dans l’appareil d’État capable de faire une bibliographie intègre ? Le billet est accompagné d’une bibliographie scientifique commentée sur les masques FFP2.

Gripper la machine

Nous sommes plus de 12 000 à avoir signé la pétition de défense d’un cadre national garantissant l’autonomie collective des universitaires et des chercheurs face au féodalisme bureaucratique et aux conflits d’intérêt. Des fuites font aujourd’hui état d’hésitations du ministère devant la mobilisation de la communauté académique. Plus que jamais, nous vous invitons à signer la pétition, si ce n’est déjà fait.

Après l’ajournement du « Parcoursup des masters » qui aurait dû être lancé cet hiver, il s’agirait de la deuxième reculade significative du ministère en quelques semaines. De plusieurs endroits, l’information nous remonte également que le gouvernement aurait reculé sur l’obligation de recourir à une certification de langue privée en licence, ce qui permet aux établissements de passer par certificat commun des universités, le CLES — à défaut de revenir sur le principe même consistant à conditionner l’octroi d’un diplôme à l’obtention d’une certification extérieure à ce diplôme. Nous y voyons autant de signes du fait qu’un travail de mobilisation sur le long terme ciblant les aspects concrets de la dépossession de nos métiers est de nature à gripper la machine. Sans être suffisantes, les motions et les pétitions ont leur part dans ce travail.

Mais s’il y a lieu de se féliciter de cette première reconnaissance du principe de jugement par les pairs, on ne saurait pour autant s’en satisfaire. Au-delà du fait que l’existant n’est déjà plus défendable, ces reculades partielles et probablement temporaires ne doivent en aucun cas servir à acheter l’assentiment des universitaires titulaires devant le sacrifice d’une génération de précaires. Nous renouvelons donc notre appel à idées concrètes pour contrecarrer le développement des Chaires de Professeur Junior. Nous avons déjà reçu plusieurs propositions (boycott des jurys, name & shame, saturation du système par des candidatures de permanents, etc.) et reviendrons vers vous prochainement à ce sujet.

FFP2 : reste-t-il quelqu’un dans l’appareil d’État capable de faire une bibliographie intègre ?

Comment fonctionne l’articulation entre les sphères scientifiques et les sphères décisionnaires ? Qui produit des « expertises » et selon quelle méthode ? La question des masques FFP2 nous permet d’éclairer les dysfonctionnements chroniques des instances supposées éclairer la décision publique.

La grève des enseignants du 13 janvier a surpris par son ampleur exceptionnelle. Que revendiquait-elle ? Une rationalité minimale dans la gestion sanitaire de l’École et donc une politique de réduction du risque fondée sur la disputatio conduite par la communauté des scientifiques ayant contribué à ce domaine. La transmission de SARS-CoV-2 se faisant par voie aérienne, il était logique de demander des masques FFP2, conçus pour la filtration des aérosols. Le 10 janvier, M. Véran déclara aux sénateurs : « On est assez loin d’après le HCSP d’étendre le FFP2 à d’autres catégories professionnelles. […] Y compris d’ailleurs dans le milieu des soignants. [Le port du FFP2 sera réservé à ceux] qui sont aujourd’hui considérés comme à risque parce qu’exposés à des gouttelettes. » Ce faisant, M. Véran témoignait de son ignorance du fait que la transmission par voie d’aérosol ne vient pas de gouttelettes mais de particules virales environnées de protéines, et suspendues dans l’air comme des particules de fumée. Du reste, le masque chirurgical est, lui, conçu pour protéger des « gouttelettes » de toux et parfaitement efficace dans ce cas.

Aussi attendions-nous avec impatience la parution de l’avis du Haut Conseil de Santé Publique (HCSP). Nous avons découvert à sa lecture qu’il ne prenait pas en compte la littérature scientifique fournie et solide montrant l’efficacité nettement supérieure des FFP2 pour filtrer des particules virales de 200 à 500 nanomètres. L’avis a été mis en ligne début février, plus d’un mois après sa rédaction. Il repose sur un travail bibliographique non exhaustif et choisi pour valider des conclusions rigoureusement inverses à celles de la littérature scientifique.

Il nous semble donc important d’établir une bibliographie conforme à la pratique scientifique, c’est-à-dire exhaustive, reposant sur des sources primaires, et traitant rationnellement de la résolution d’éventuelles controverses. Vous trouverez ci-dessous une réponse point à point aux éléments du rapport factuellement faux ainsi qu’une bibliographie commentée.

Il nous importe ici de comprendre comment un comité de 22 personnes, aucune n’ayant de légitimité scientifique sur la transmission aéroportée de SARS-CoV-2, peut produire un travail pareillement dépourvu de rigueur et d’intégrité. Au vu des éléments scientifiquement infondés qui sont rapportés, nous faisons l’hypothèse qu’aucun membre du comité n’a réalisé une méta-analyse de la littérature scientifique primaire : le rapport semble directement s’inspirer de sources secondaires de mauvaise qualité. La source internationale de désinformation sur les FFP2 est constituée d’un petit groupe de négateurs de la transmission aéroportée, qui occupent des positions stratégiques à l’Organisation Mondiale de la Santé dans la production des documents de synthèse. En son sein figure un opposant au masque, John Conly, qui est « Chair WHO Infection Prevention & Control R&D Expert Group ». Il a co-écrit un manuscrit proposant une synthèse erronée (et refusée jusqu’ici à la publication, bien que disponible en pré-publication) sur la transmission aéroportée, Heneghan et al. 2021, et deux synthèses tout aussi scandaleuses dans leurs traitements des faits, sur les masques FFP2, Jefferson et al. 2020 et Conly et al. 2020. Notons que Didier Pittet, autre négateur de la transmission aéroportée, est co-auteur de cette seconde synthèse. Proche de l’Élysée, Didier Pittet est chargé d’évaluer la politique sanitaire française sur le Covid.

Comment le rapport du HCSP parvient-il à contourner les multiples articles démontrant, par des mesures précises, la filtration des aérosols par les masques FFP2 ? (i) Il accorde simplement une valeur faible aux tests rapportés dans la littérature d’ingénierie. (ii) Il escamote l’article montrant en situation réelle, dans un hôpital, l’absence de contamination des soignants portant un FFP2, contrairement à ceux portant un masque chirurgical. (iii) Il valorise des études cliniques conçues par des médecins qui, ignorant ce que signifie une transmission aéroportée, n’ont fait porter le masque FFP2 qu’à proximité immédiate des patients. (iv) Il ignore l’étude clinique démontrant l’efficacité des masques FFP2 lorsqu’ils sont portés en permanence, et sa disparition avec un port intermittent. (v) Il se réfère à des « méta-analyses » amalgamant les études mal conçues avec l’étude démontrant qu’elles sont mal conçues, en utilisant des pondérations destinées à justifier l’idée pré-conçue.

Comment imaginer que personne au sein du cabinet ministériel n’ait commandé une étude en population réelle (par exemple à l’École) de l’efficacité relative des masques chirurgicaux et FFP2 ? Une énigme demeure : la France n’est pas le seul pays touché par ce mal bureaucratique des comités Théodule cooptés produisant des rapports conformes à la demande du politique, sans travail scientifique. Comment, malgré tout, le masque FFP2 a-t-il été recommandé dans de nombreux pays, qui ont accordé plus de confiance à la littérature primaire qu’aux rapports de l’OMS ? Nous devons manquer de chance en France puisque le rapport de l’ANSES sur les purificateurs d’air conclut lui aussi à l’inefficacité de ces dispositifs en… omettant de rendre compte du seul type de purificateur d’air qui fonctionne, celui à filtre HEPA.

Commentaire sur le rapport du HCSP

Résumé — « Le masque ne peut à lui seul réduire le risque de transmission ; il constitue une mesure parmi l’ensemble des mesures de protection à respecter (vaccination, hygiène des mains, ventilation des locaux, distanciation sociale, etc.). »

Cette phrase du résumé est proprement stupéfiante. L’ensemble de la littérature scientifique citée et commentée ci-dessous démontre au contraire que le masque FFP2, en usage réel, filtre 3 fois mieux les particules virales que les masques chirurgicaux. En imaginant une situation où tout le monde porte de tels masques, le risque de transmission est abaissé par le carré du pouvoir de filtration, puisqu’il y a un effet à l’inhalation et à l’exhalaison. Il n’existe à ce jour aucun article prouvant que la transmission manuportée constitue une voie de transmission significative. L’introduction de l’hygiène des mains, pendant les premières semaines de l’épidémie, a été efficace contre la gastro-entérite mais n’a affecté la transmission de SARS-CoV-2 que marginalement. Aucune étude clinique, aucune étude en population réelle n’a montré un effet significatif de l’hygiène des mains dans la transmission du virus SARS-CoV-2, par ailleurs importante pour de nombreuses épidémies. Enfin, la vaccination a bien contribué à réduire la transmission jusqu’au variant Delta, mais ce n’est pratiquement plus le cas pour Omicron BA.1. Les vaccins dont nous disposons actuellement ont été conçus pour solliciter une bonne réponse immunitaire humorale qui, en faisant barrière à l’expansion des foyers infectieux dans les tissus, protège contre les formes graves de la maladie. En revanche, leur capacité à stimuler une réponse immunitaire mucosale, qui protège contre les infections asymptomatiques dans les voies respiratoires hautes et contre la contagion, n’a été évaluée que pour Astrazeneca, en phase III, avec des résultats mitigés.

Résumé — « Le HCSP souligne qu’il paraît difficilement envisageable de proposer le port d’un APR de type FFP2 aux enseignants, du fait de son inconfort sur la durée avec gêne respiratoire et du risque de perte de ses performances de filtration attendues lors de la parole et des mouvements. »

Des masques FFP2 ont été portés par des enseignants depuis 2 ans, sans ressentir ni gêne respiratoire (conformément aux mesures de perte de charge), ni inconfort. Les « performances de filtration attendues lors de la parole et des mouvements » sont prises en compte dans les tests normatifs. Il est donc erroné de parler de « perte de ses performances » par rapport à ces normes de filtration.

Résumé — « De plus, il paraît illusoire d’organiser le contrôle et le respect des conditions d’utilisation optimale d’un tel masque, notamment la vérification de l’ajustement au visage lié au modèle et à la taille d’APR de type FFP2 mis à disposition.»

Les masques FFP2 sont beaucoup plus simples à porter correctement que les masques chirurgicaux, en modelant la barrette nasale. En particulier, les FFP2 ne peuvent pas être portés sous le nez, contrairement aux masques chirurgicaux. Les mesures en population réelle et en test clinique montrent que les performances des FFP2 sont significativement supérieures à celle des masques chirurgicaux sans procédure particulière de « vérification de l’ajustement. »

« Il n’existe pas d’étude clinique montrant l’efficacité des APR de type FFP2 en mesurant leur performance de filtration pour la protection des personnes de l’entourage de celui qui le porte (filtration de dedans en dehors, effet anti-projection). »

C’est factuellement erroné. Asadi et al. (2020) ont mesuré sur des volontaires le nombre de particules exhalées par l’avant du masque pour des FFP2. Ils trouvent une réduction de 74% du nombre de particules exhalées, comparable à ce qu’offrent les masques chirurgicaux. Le nombre de particules exhalées par les côtés du masque n’ayant pas été mesuré, et les masques chirurgicaux fuyant particulièrement par là, l’efficacité comparative des FFP2 est en réalité plus élevée.

p. 14 — « Il faut aussi limiter tous les gestes susceptibles de déclencher ou d’augmenter les fuites (comme par exemple le mouvement du visage comme la parole, un effort physique, la toux ou les éternuements …) »

C’est factuellement erroné. Les procédures de test des normes prennent justement en compte ces différentes situations, et l’efficacité donnée est moyennée pendant des exercices physiques, des mouvements de la tête, pendant la parole, etc. Pendant les essais d’ajustement il faut réaliser ces mouvements pour trouver le masque le mieux adapté à la morphologie. La norme EN149 préconise un essai de simulation de travail où les sujets doivent marcher, ramper et ramasser des objets en étant accroupis. Les fuites doivent être testées en bougeant la tête et en parlant, tout en marchant.

p. 14 — « Par conséquent, la plupart des organismes internationaux recommandent à l’utilisateur d’effectuer une vérification de l’ajustement après chaque mise en place d’un APR de type FFP2 afin de s’assurer que le masque est correctement porté et que l’ajustement du visage est correct. Cet ajustement correct est également indispensable pour les autres types de masques (usage médical ou grand public) même si cet ajustement n’est pas normé pour ces derniers. »

Une erreur de traduction probable de l’anglais a créé une confusion entre essai d’ajustement (réalisé une fois tous les ans avec un aérosol amer ou un compteur de particules pour voir si le masque est adapté à la morphologie) et test d’étanchéité (à faire à chaque port, en suivant la notice du masque, pour vérifier qu’il est bien scellé au visage). L’INRS détaille ces deux procédures dans son guide sur les appareils de protection respiratoire. Il n’existe pas de norme d’étanchéité des masques chirurgicaux sur le visage parce qu’ils ont été conçus pour protéger le porteur des postillons et des éclaboussures, pas des aérosols.

« Une étude visait à différencier les contributions de ces deux voies pour des particules d’une taille comprise entre 0,03 et 1 μm dans des conditions réelles de respiration. »

Le HCSP a omis de rendre compte du paragraphe de cet article très complet montrant que, malgré les fuites, les FFP2 ont 95% d’efficacité à la taille la plus pénétrante alors que les masques chirurgicaux ont à peine plus de 60%.

p. 7 — « Les études ayant examiné l’efficacité de divers masques faciaux et respiratoires dans la prévention des infections respiratoires prenant en compte différents virus sont contradictoires et non concluantes, en particulier en milieux de soins. Plusieurs méta-analyses suggèrent que les données sont insuffisantes pour déterminer définitivement si les appareils respiratoires de type N95 sont supérieurs aux masques à usage médical (chirurgical) dans la prévention des infections respiratoires aiguës transmissibles. »

Toutes les méta-analyses citées (Bartoszko et al. 2020, Barycka et al. 2020, Li et al. 2021, Offeddu et al. 2017, Smith et al. 2016, Tran et al. 2021, auxquelles on peut ajouter Long et al. 2020 et Jefferson et al. 2020 citées dans le rapport du HCSP sur le FFP2 pour le personnel soignant) agrègent tout ou partie de six essais cliniques, en controverse scientifique entre eux, sur l’efficacité du port de FFP2 pendant l’épidémie de grippe saisonnière. Quatre sont de MacIntyre et al. et trouvent tous un effet significatif des N95 (FFP2) face aux masques chirurgicaux. Les essais cliniques de Loeb et al. (2009) et Radonovich et al. (2019) ne trouvent pas d’effet significatif. Toutes les méta-analyses sauf une (Offeddu et al. 2017) en concluent que les N95 n’ont pas d’effet supplémentaire et qu’ils ne doivent pas être recommandés en population générale. La controverse entre MacIntyre et al. d’un côté et, de l’autre, Loeb et al. et Radonovich et al. est basée sur une différence de protocole : MacIntyre et al. font porter aux participants le N95 en continu, pendant toute la journée de travail. Radonovich et Loeb ne font porter les masques qu’à proximité des patients. Un des essais cliniques de MacIntyre et al. (2013) montre précisément que le port ciblé de N95 (FFP2) conduit à une réduction de transmission inférieure au port continu, et , qui est équivalent au port de masque chirurgical. Offeddu et al. sont les seuls à rendre compte de l’importance du port continu en excluant Loeb et al. 2009. Les autres auteurs, au mieux, ignorent la différence et comparent le port continu au port ciblé, et au pire (Jefferson et al. 2020) mélangent ensemble le bras ciblé et le bras continu de MacIntyre et al. 2013, alors même qu’il s’agit de l’étude démontrant l’effet significatif du port continu de FFP2 et le protocole problématique des autres tests. Le seul test clinique comprenant la nature de la transmission par voie d’aérosol, irréductible à la transmission de gouttelettes à proximité d’un patient, confirme les études d’ingénierie.

Ce débat est à relier à la notion de « procédure générant des aérosols » (PGA), des actes supposés à haut risque par la quantité d’aérosols qu’ils font exhaler au patient (voir la revue de Jackson et al., 2020). La respiration produit en continu des aérosols, en quantité variable suivant l’activité. Parler en émet 35 fois plus, et tousser 370 fois plus. Par contraste, l’oxygénothérapie à haut débit ou la ventilation non invasive à pression positive, universellement reconnues comme des PGA, en émettent à peine plus que la respiration au repos (Wilson et al., 2021). Il ne concerne pas la réduction de risque de transmission en population générale.

La méta-analyse de Jefferson et al. (2020) utilise les cinq mêmes essais cliniques, arrive à la même conclusion que Long et est erronée pour les mêmes raisons. Les auteurs (dont John Conly fait partie) mélangent le bras FFP2 ciblé avec le bras N95 continu de MacIntyre et al. (2013), alors même qu’il s’agit de l’étude démontrant l’effet significatif du port continu de FFP2 et le protocole problématique des autres tests.

p. 4 — « Les études présentaient toutefois d’importantes limitations (biais de rappel, informations limitées sur les situations dans lesquelles on portait le masque de protection respiratoire et concernant l’évaluation de l’exposition) et la plupart ont été réalisées dans des cadres où des gestes aérosolisants étaient effectués. »

Chu et al. (2020) est citée ici. Cette revue agrège des études observationnelles, principalement en Chine et au Vietnam, sur l’épidémie de SARS-CoV-1, de MERS et la littérature disponible sur SARS-CoV-2 au 3 mai 2020, il y a deux ans, et avant l’établissement du consensus sur la transmission aéroportée. Les auteurs trouvent un effet significatif des FFP2, même en tenant compte de possibles procédures générant des aérosols.

Bibliographie commentée

Les normes N95 (États-Unis NIOSH-42CFR84), FFP2 (Europe EN 149-2001) et KN95 (Chine GB2626-2006) sont équivalentes.

Mesures établissant l’efficacité de filtration d’un FFP2 autour de 90% contre 70% environ pour les masques chirurgicaux et 30% pour les masques en tissu. Le FFP2 est 3 fois plus efficace que le masque chirurgical :

[1] Qian, Y.; Willeke, K.; Grinshpun, S. A.; Donnelly, J.; Coffey, C. C. Performance of N95 Respirators: Filtration Efficiency for Airborne Microbial and Inert Particles. American Industrial Hygiene Association Journal 1998, 59 (2), 128–132. doi:10.1080/15428119891010389.

[2] Asadi, S.; Cappa, C. D.; Barreda, S.; Wexler, A. S.; Bouvier, N. M.; Ristenpart, W. D. Efficacy of Masks and Face Coverings in Controlling Outward Aerosol Particle Emission from Expiratory Activities. Sci Rep 2020, 10 (1), 15665. doi:10.1038/s41598-020-72798-7.

Mesures de la perte d’efficacité par fuites sur les côtés :

[3] Grinshpun, S. A.; Haruta, H.; Eninger, R. M.; Reponen, T.; McKay, R. T.; Lee, S.-A. Performance of an N95 Filtering Facepiece Particulate Respirator and a Surgical Mask During Human Breathing: Two Pathways for Particle Penetration. Journal of Occupational and Environmental Hygiene 2009, 6 (10), 593–603. doi:10.1080/15459620903120086.

[4] Cappa, C. D.; Asadi, S.; Barreda, S.; Wexler, A. S.; Bouvier, N. M.; Ristenpart, W. D. Expiratory Aerosol Particle Escape from Surgical Masks Due to Imperfect Sealing. Sci Rep 2021, 11 (1), 12110. doi:10.1038/s41598-021-91487-7.

Importance de l’ajustement des masques chirurgicaux :

[5] Brooks, J. T.; Beezhold, D. H.; Noti, J. D.; Coyle, J. P.; Derk, R. C.; Blachere, F. M.; Lindsley, W. G. Maximizing Fit for Cloth and Medical Procedure Masks to Improve Performance and Reduce SARS-CoV-2 Transmission and Exposure, 2021. MMWR Morb Mortal Wkly Rep 2021, 70 (7), 254–257. doi:10.15585/mmwr.mm7007e1.

Sur l’importance du fit check (essais d’ajustement en français, à ne pas confondre avec test d’étanchéité). Des utilisateurs non formés, cependant, ajustent spontanément leur masque correctement :

[6] Brosseau, L. M. Fit Testing Respirators for Public Health Medical Emergencies. Journal of Occupational and Environmental Hygiene 2010, 7 (11), 628–632. doi:10.1080/15459624.2010.514782.

[7] Rembialkowski, B.; Sietsema, M.; Brosseau, L. Impact of Time and Assisted Donning on Respirator Fit. Journal of Occupational and Environmental Hygiene 2017, 14 (9), 669–673. doi:10.1080/15459624.2017.1319569.

Étude épidémiologique sur SARS-CoV-2, en milieu hospitalier. Aucun des soignants qui portent un FFP2/3 n’ont été infectés (0 sur 180). 14 soignants sur 233 portant un masque chirurgical ont été infectés :

[8] Oksanen, L.-M. A. H.; Sanmark, E.; Oksanen, S. A.; Anttila, V.-J.; Paterno, J. J.; Lappalainen, M.; Lehtonen, L.; Geneid, A. Sources of Healthcare Workers’ COVID‑19 Infections and Related Safety Guidelines. Int J Occup Med Environ Health 2021, 34 (2), 239–249. doi:10.13075/ijomeh.1896.01741.

Étude épidémiologique sur SARS-CoV-2, en population générale. Étude rétrospective, sur une base déclarative, présentant une statistique limitée pour les personnes ne mettant jamais de masque et celles portant un FFP2. Le port du FFP2 divise le risque de contracter le virus par un facteur 2. Les incertitudes sur le risque de contracter le virus pour les porteurs de FFP2 sont de 25%, ce qui confirme les études menées en ingénierie, sans être intrinsèquement suffisant pour conclure :

[9] Andrejko, K. L.; Pry J. M.; Myers J. F.; Fukui N.; DeGuzman J. L.; Openshaw, J.; Watt, J. P.; Lewnard, J. A. ; Jain, S. Effectiveness of Face Mask or Respirator Use in Indoor Public Settings for Prevention of SARS-CoV-2 Infection — California, February–December 2021. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. ePub: 4 February 2022. doi:10.15585/mmwr.mm7106e1.

Essais cliniques mal construits, ne testant le port du masque qu’à courte distance des patients, contrairement au concept même de transmission aéroportée :

[10] Loeb, M.; Dafoe, N.; Mahony, J.; John, M.; Sarabia, A.; Glavin, V.; Webby, R.; Smieja, M.; Earn, D. J. D.; Chong, S.; Webb, A.; Walter, S. D. Surgical Mask vs N95 Respirator for Preventing Influenza Among Health Care Workers: A Randomized Trial. JAMA 2009, 302 (17), 1865–1871. doi:10.1001/jama.2009.1466.

[11] Radonovich, L. J., Jr; Simberkoff, M. S.; Bessesen, M. T.; Brown, A. C.; Cummings, D. A. T.; Gaydos, C. A.; Los, J. G.; Krosche, A. E.; Gibert, C. L.; Gorse, G. J.; Nyquist, A.-C.; Reich, N. G.; Rodriguez-Barradas, M. C.; Price, C. S.; Perl, T. M.; for the ResPECT investigators. N95 Respirators vs Medical Masks for Preventing Influenza Among Health Care Personnel: A Randomized Clinical Trial. JAMA 2019, 322 (9), 824–833. doi:10.1001/jama.2019.11645.

Essais cliniques bien construits :

[12] MacIntyre, C. R.; Wang, Q.; Cauchemez, S.; Seale, H.; Dwyer, D. E.; Yang, P.; Shi, W.; Gao, Z.; Pang, X.; Zhang, Y.; Wang, X.; Duan, W.; Rahman, B.; Ferguson, N. A Cluster Randomized Clinical Trial Comparing Fit-Tested and Non-Fit-Tested N95 Respirators to Medical Masks to Prevent Respiratory Virus Infection in Health Care Workers. Influenza and Other Respiratory Viruses 2011, 5 (3), 170–179. doi:10.1111/j.1750-2659.2011.00198.x.

Le port continu du masque pendant 80% de la journée de travail, au moins, est vérifié. Les N95 offrent une protection supérieure aux masques chirurgicaux contre des symptômes de maladie respiratoire (mais pas contre la grippe que très peu de participants ont contractée).

[13] MacIntyre, C. R.; Wang, Q.; Seale, H.; Yang, P.; Shi, W.; Gao, Z.; Rahman, B.; Zhang, Y.; Wang, X.; Newall, A. T.; Heywood, A.; Dwyer, D. E. A Randomized Clinical Trial of Three Options for N95 Respirators and Medical Masks in Health Workers. Am J Respir Crit Care Med 2013, 187 (9), 960–966. doi:10.1164/rccm.201207-1164OC.

Pour des raisons éthiques, il n’y a pas de bras de contrôle sans protection. Le port continu du N95 est supérieur à son port ciblé (uniquement en présence d’un patient), qui est équivalent au port de chirurgical. Tous types de virus respiratoires sont testés et pas seulement les symptômes cliniques de la grippe, ce qui rend l’essai clinique très sensible. Les N95 offrent une protection supérieure aux masques chirurgicaux contre des symptômes de maladie respiratoire ; les résultats ne sont pas significatifs pour la grippe (à noter que très peu de participants ont développé une grippe).

[14] MacIntyre, C. R.; Seale, H.; Dung, T. C.; Hien, N. T.; Nga, P. T.; Chughtai, A. A.; Rahman, B.; Dwyer, D. E.; Wang, Q. A Cluster Randomised Trial of Cloth Masks Compared with Medical Masks in Healthcare Workers. BMJ Open 2015, 5 (4), e006577. doi:10.1136/bmjopen-2014-006577.

Article comparatif entre les masques chirurgicaux et les masques en tissu, en faveur des premiers.

Sur les procédures générant des aérosols :

[15] Wilson, N. M.; Marks, G. B.; Eckhardt, A.; Clarke, A. M.; Young, F. P.; Garden, F. L.; Stewart, W.; Cook, T. M.; Tovey, E. R. The Effect of Respiratory Activity, Non-Invasive Respiratory Support and Facemasks on Aerosol Generation and Its Relevance to COVID-19. Anaesthesia 2021, 76 (11), 1465–1474. doi:10.1111/anae.15475.

L’activité respiratoire normale peut générer beaucoup plus d’aérosols que les thérapies respiratoires. Il faut redéfinir correctement quelles sont les situations à risque.

[16] Jackson, T.; Deibert, D.; Wyatt, G.; Durand-Moreau, Q.; Adisesh, A.; Khunti, K.; Khunti, S.; Smith, S.; Chan, X. H. S.; Ross, L.; Roberts, N.; Toomey, E.; Greenhalgh, T.; Arora, I.; Black, S. M.; Drake, J.; Syam, N.; Temple, R.; Straube, S. Classification of Aerosol-Generating Procedures: A Rapid Systematic Review. BMJ Open Respiratory Research 2020, 7 (1), e000730. doi:10.1136/bmjresp-2020-000730.

Une revue des différentes procédures générant des aérosols (PGA). La toux doit conduire à classer beaucoup plus de procédures comme PGA.

Méta-analyses. À une exception près, où les auteurs ont examiné la littérature scientifique primaire, les méta-analyses ont propagé les mêmes erreurs graves :

[17] Long, Y.; Hu, T.; Liu, L.; Chen, R.; Guo, Q.; Yang, L.; Cheng, Y.; Huang, J.; Du, L. Effectiveness of N95 Respirators versus Surgical Masks against Influenza: A Systematic Review and Meta-Analysis. Journal of Evidence-Based Medicine 2020, 13 (2), 93–101. doi:10.1111/jebm.12381.

Les auteurs ont déformé les résultats de MacIntyre 2013 : ce qu’ils appellent « experimental » est bien le bras avec le port de N95 en continu, mais ce qu’ils appellent « control » n’est pas le bras avec le port de masque chirurgical, mais le bras avec le port de N95 ciblé. La légende des figures « N95 respirators versus surgical masks » est donc fausse.

[18] Jefferson, T.; Jones, M. A.; Al-Ansary, L.; Bawazeer, G. A.; Beller, E. M.; Clark, J.; Conly, J. M.; Mar, C. D.; Dooley, E.; Ferroni, E.; Glasziou, P.; Hoffmann, T.; Thorning, S.; Driel, M. van. Physical Interventions to Interrupt or Reduce the Spread of Respiratory Viruses. Part 1 – Face Masks, Eye Protection and Person Distancing: Systematic Review and Meta-Analysis. medRxiv April 7, 2020. doi:0.1101/2020.03.30.20047217.

Une version plus récente (non citée par le HCSP) est disponible à l’adresse : doi:10.1002/14651858.CD006207.pub5.

[20] Chu, D. K.; Akl, E. A.; Duda, S.; Solo, K.; Yaacoub, S.; Schünemann, H. J. Physical Distancing, Face Masks, and Eye Protection to Prevent Person-to-Person Transmission of SARS-CoV-2 and COVID-19: A Systematic Review and Meta-Analysis. The Lancet 2020, 395 (10242), 1973–1987. doi:10.1016/S0140-6736(20)31142-9.

Les auteurs trouvent un effet significatif du port du masque FFP2.

[21] Bartoszko, J. J.; Farooqi, M. A. M.; Alhazzani, W.; Loeb, M. Medical Masks vs N95 Respirators for Preventing COVID-19 in Healthcare Workers: A Systematic Review and Meta-Analysis of Randomized Trials. Influenza and Other Respiratory Viruses 2020, 14 (4), 365–373. doi:10.1111/irv.12745.

[22] Barycka, K.; Szarpak, L.; Filipiak, K. J.; Jaguszewski, M.; Smereka, J.; Ladny, J. R.; Turan, O. Comparative Effectiveness of N95 Respirators and Surgical/Face Masks in Preventing Airborne Infections in the Era of SARS-CoV2 Pandemic: A Meta-Analysis of Randomized Trials. PLOS ONE 2020, 15 (12), e0242901. doi:10.1371/journal.pone.0242901.

[23] Li, J.; Qiu, Y.; Zhang, Y.; Gong, X.; He, Y.; Yue, P.; Zheng, X.; Liu, L.; Liao, H.; Zhou, K.; Hua, Y.; Li, Y. Protective Efficient Comparisons among All Kinds of Respirators and Masks for Health-Care Workers against Respiratory Viruses. Medicine (Baltimore) 2021, 100 (34), e27026. doi:10.1097/MD.0000000000027026.

[24] Offeddu, V.; Yung, C. F.; Low, M. S. F.; Tam, C. C. Effectiveness of Masks and Respirators Against Respiratory Infections in Healthcare Workers: A Systematic Review and Meta-Analysis. Clinical Infectious Diseases 2017, 65 (11), 1934–1942. doi:10.1093/cid/cix681.

[25] Smith, J. D.; MacDougall, C. C.; Johnstone, J.; Copes, R. A.; Schwartz, B.; Garber, G. E. Effectiveness of N95 Respirators versus Surgical Masks in Protecting Health Care Workers from Acute Respiratory Infection: A Systematic Review and Meta-Analysis. CMAJ 2016, 188 (8), 567–574. doi:10.1503/cmaj.150835.

[26] Tran, T. Q.; Mostafa, E. M.; Tawfik, G. M.; Soliman, M.; Mahabir, S.; Mahabir, R.; Dong, V.; Ravikulan, R.; Alhijazeen, S.; Farrag, D. A.; Dumre, S. P.; Huy, N. T.; Hirayama, K. Efficacy of Face Masks against Respiratory Infectious Diseases: A Systematic Review and Network Analysis of Randomized-Controlled Trials. J. Breath Res. 2021, 15 (4), 047102. doi:10.1088/1752-7163/ac1ea5.

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Désir d’endémie

Désir d’endémie

Au menu cette semaine, une série de brèves ainsi qu’un billet analytique intitulé : « Le désir d’endémie, un récit social dangereux ». L’espace médiatique a été saturé d’interprétations infondées du concept d’endémie et d’opinions hasardeuses sur la dynamique évolutive de SARS-CoV-2. Notre capacité à combattre le virus dans les années à venir dépend pourtant de choix stratégiques à faire aujourd’hui, sans confondre savoirs et croyances.

Vous pouvez continuer de signer cette proposition.

Défendre un réseau scientifique et universitaire national

Nous sommes déjà plus de 11 500 à avoir signé la pétition de défense d’un cadre national pour l’Université, à l’écriture de laquelle nous avons contribué. L’autonomie que nous défendons, celle des universitaires et des chercheurs, est incompatible avec le féodalisme bureaucratique qui nous est imposé en usurpant ce mot d’autonomie, pour mettre en œuvre une caporalisation et une dérégulation statutaire.

Et vous, serez-vous parmi les prochains signataires ?

Faire dérailler le système des « chaires de professeur junior »

Les motions se multiplient pour dire la vive inquiétude de la communauté académique devant le recrutement d’universitaires sur des contrats à durée déterminée baptisés « chaires de professeur junior ». Ces motions sont utiles pour diffuser les arguments et montrer que nous n’entendons pas en être complices, mais ne suffiront pas à en venir à bout. Nous lançons un appel à idées (nous contacter par mail) sur les manières de faire dérailler de manière effective ce système.

3 000 postes en moins au CNRS en 10 ans

« Si vous prenez deux bouteilles de piquette et que vous les mettez ensemble, ça fera pas un grand vin. » Antoine Petit, audition parlementaire du 2 février 2022.

M. Petit, reconduit par le président de la République à la tête du CNRS malgré la défiance de la communauté scientifique, a été auditionné par la représentation nationale. Il a fait état des résultats de la politique managériale suivie dans la période récente : entre 2010 et 2020, « le CNRS a perdu 11 % de ses effectifs en 10 ans, soit environ 3 000 postes.

Le reste de l’audition a été consacré aux différents volets de son programme : la création d’une chaîne « CNRS TV » pour porter une parole institutionnelle en lieu et place de la parole des chercheurs et d’un « CNRS startup Studio ». Les représentants de la majorité l’ont encouragé à mener une politique néo-maccarthyste contre la « gangrène » en SHS, présentant la loi de programmation pour la recherche comme la « boussole » à suivre par les chercheurs.

Les séminaires de Politique des sciences

Le séminaire PdS sur l’irrationalité a eu lieu le 24 Janvier 2022. Vous pouvez retrouver les quatre interventions de ce séminaire sur la chaîne de Politique des sciences.

Introduction

Philippe Huneman, Philosophe, IHPST (CNRS)

L’irrationalité, entre psychopathologie et idéologie

Sarah Troubé, Psychologue clinicienne, Maître de conférences en psychologie clinique et psychopathologie, Université Côte d’Azur, LIRCES.

La crédulité en doute

Marion Vorms, Philosophe, Université Paris I Panthéon Sorbonne.

Complotisme et scientisme — Les idées conservatrices incidentes de la profession et de l’idéal technoscientifique

Pierre France, Sociologue, Université Paris I Panthéon Sorbonne & Orient Institut, Beirut.

Colloque : penser et agir collectivement à l’université.

Nous attirons votre attention sur un colloque à l’organisation duquel des membres de RogueESR participent, et qui prend sa place dans la réflexion collective au long cours sur l’Université que nous voulons (revoir aussi sur la chaîne PdS le colloque Inventer l’Université)

Et maintenant on fait quoi ? Penser et agir collectivement à l’université.

Colloque-action, 23-24 mars 2022, UGA IMAG, Université de Grenoble

Dans quel état est l’université aujourd’hui ? Que pouvons-nous espérer des diverses mobilisations et de l’action collective ? Comment mettre les personnels et les étudiants au cœur des processus de décision à l’université ? 

Dans un contexte de crises multiples, locale, nationale, politique, économique, sanitaire, écologique, ce colloque permettra, pendant 24 heures (du 23 mars 13 heures au 24 mars 13 heures), d’aborder ces questions, de confronter et rassembler des points de vue, et d’ouvrir un espace collectif pour entendre, discuter, débattre et proposer.

Au jour le jour, nous assurons nos missions de recherche et d’enseignement, tout en continuant d’exiger des moyens à la hauteur de ces missions et en tentant de protéger les personnels de la surcharge. Cette gestion de la pénurie imposée atteint cependant ses limites, dans un contexte croissant d’individualisation du travail et de mise en compétition permanente. Nous proposons ici d’ouvrir le débat sur ce que nous voulons, et ce que nous ne voulons plus accepter. Il nous faut sortir de la sidération provoquée par le rythme effréné des restructurations et autres appels à projet, nous extraire des logiques managériales et concurrentielles de l’« excellence » et prendre le temps de réfléchir et de redéfinir collectivement le sens de nos métiers. 

L’objectif de ce colloque est de montrer que cette sidération ne doit pas nous empêcher d’agir et de réagir, qu’il est possible de résister à la fois individuellement et collectivement à des injonctions inacceptables et, in fine, de nous approprier, de manière collégiale et démocratique, les politiques scientifiques et éducatives de l’université.

Le colloque propose de partir du recueil d’expériences et de propositions venant des différents terrains de l’université (universitaires, chercheuses et chercheurs, personnels Biatss et ITA, précaires, étudiantes et étudiants) pour élaborer les bases de constats partagés et d’actions possibles.

Ces réflexions seront éclairées par des interventions de deux collègues universitaires, Annabelle Allouch, Maîtresse de Conférences en sociologie à l’université de Picardie-Jules Verne, chercheure associée à Sciences Po et visiting scholar à Harvard, et Julien Gossa, Maître de Conférence à l’Université de Strasbourg.

Tous les membres de l’université de Grenoble, enseignant·e·s et/ou chercheur·e·s, personnels techniques et administratifs, étudiante·s, précaires, sont invités à participer et à proposer s’ils le souhaitent, en amont de ce colloque, une contribution (de 3 mots à une page !), qu’elle porte sur un témoignage, une proposition de thème de débat, une analyse ou une proposition d’action.

Le désir d’endémie, un récit social dangereux

Le mot « endémique » est devenu l’un des plus galvaudés dans le traitement médiatique et politique de la crise du COVID-19. Ne nous trompons pas de concept : en épidémiologie, une infection est dite endémique lorsqu’elle devient permanente sur un territoire : ses taux d’incidences ne sont ni en hausse, ni en baisse sur une période donnée, un an en général. Certes, les rhumes courants sont endémiques. Ils le sont… tout comme la fièvre de Lassa, le paludisme, la peste et la poliomyélite dans certaines régions du monde.

Autrement dit, une maladie peut être endémique et représenter néanmoins une menace lourde pour les populations. Le paludisme a tué plus de 600 000 personnes en 2020. La même année, 10 millions de personnes ont contracté la tuberculose et 1,5 millions en sont mortes. Le caractère endémique ne signifie certainement pas que l’évolution a pour ainsi dire « apprivoisé » un agent pathogène et que la vie revient simplement à la « normale ».

Or, nombre d’hypothèses formulées en invoquant l’endémie induisent une acceptation implicite ou une complaisance déplacée à l’égard de la circulation incontrôlée du virus, et en particulier des variants de la famille Omicron. Beaucoup voudraient en effet interpréter la moindre virulence apparente de ce variant comme une preuve indéniable que le virus deviendrait inoffensif, qu’Omicron fournirait une opportunité de s’immuniser durablement à bon compte, et qu’une sortie de crise prochaine serait certaine. Ce pari sur nos vies est plus que risqué : il est d’ores et déjà regrettable.

C’est avec inquiétude et indignation que les communautés scientifiques et médicales, comme l’ensemble de ceux qui luttent sur le terrain contre la plaie des maladies infectieuses endémiques, ont accueilli la petite musique tendant à assimiler le passage à l’endémie à la certitude que le virus serait voué à devenir bénin, voire à faire de l’endémie un objectif à atteindre. Comment ne pas être atterrés de voir certains responsables politiques employer ce terme avec une désinvolture calculée ? Comment ne pas sursauter quand le chef du gouvernement espagnol propose de revoir la stratégie d’action en établissant une comparaison avec la grippe, elle aussi endémique ? La transition vers l’endémie serait selon lui une « grippalisation de la pandémie ». Même son de cloche au Danemark, en Angleterre, ainsi que pour plusieurs gouverneurs étatsuniens, estimant tous qu’il est temps de requalifier la pandémie en endémie. Cette opération sémantique semble autoriser un allégement de la surveillance et une levée des restrictions sanitaires. L’OMS a alerté sur ce renoncement à la vigilance, dépourvu de toute rationalité. Elle déclarait le 1er février, par la voix de son directeur général Tedros Adhanom Ghebreyesus : « Nous sommes inquiets du récit qui s’est installé dans certains pays selon lequel, en raison des vaccins, de la transmissibilité élevée d’Omicron et de sa moindre gravité, empêcher la transmission ne serait plus possible, et plus nécessaire. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. »

Pour tout infectiologue comme pour tout spécialiste des interactions hôte-pathogène en biologie de l’évolution, la frustration est grande lorsque ces dirigeants invoquent le mot « endémique » comme une justification à ne rien faire, ou presque. La politique de santé mondiale ne peut se borner au fait d’apprendre à « vivre avec » un rotavirus responsable des gastroentérites infantiles, une hépatite C ou une rougeole endémiques. En effet, postuler qu’une infection deviendra permanente ne dit rien de la hauteur du plateau d’incidence, ni de la sévérité des pathologies dans la phase endémique, qui dépendent fortement des décisions politiques locales et internationales, des comportements sociaux, de la structure démographique, ainsi que de la sensibilité et de l’immunité des populations concernées. La stabilité elle-même n’est pas non plus garantie : les infections endémiques peuvent donner lieu, à la faveur d’aléas météorologiques, ou géopolitiques, ou de l’émergence de nouveaux variants, à des flambées dévastatrices, à l’instar de la résurgence épidémique de la peste survenue à Madagascar en 2017, ou à des pandémies, comme ce fut le cas pour la grippe en 1918, 1957, 1968 et 2009.

Figure 1. Arbres phylogénétiques typiques de virus pour lesquels l’évolution est ou non gouvernée par une forte pression de sélection — en particulier immunitaire — (A) ou non (B). A. Les virus comme la grippe ou les coronavirus saisonniers se reconnaissent à la forme de leur arbre phylogénétique déséquilibré, en escalier : ils circulent et mutent ; en parallèle, l’immunité se met en place contre eux, conduisant à l’extinction progressive des branches ancestrales. Parmi les mutations, certaines conduisent à de nouveaux variants qui échappent à l’immunité ; leur branche prend de l’ampleur, jusqu’à ce que l’immunité se développe contre ces nouveaux variants, et ainsi de suite. Chaque nouveau variant est alors en général issu par mutation de l’une des dernières souches hégémoniques, en général par un saut évolutif limité qui lui permet un échappement immunitaire, partiellement prédictible. Ceci favorise la conception de vaccins, fondés sur la nature des principales souches en circulation au début de chaque saison grippale. B. Pour les virus qui ne sont pas soumis à pression constante, les différentes branches de l’arbre se perpétuent. De nouvelles souches virales peuvent émerger de toutes les branches comme de la racine de l’arbre, après s’être propagées un temps de façon silencieuse. On ne peut alors pas prédire une proximité du variant hégémonique avec le précédent. Adapté de Volz et al. PLoS Comput. Biol. 2013.

Ce que l’on peut attendre de l’évolution de SARS-CoV-2 demeure un sujet de controverse. Pour les virus respiratoires, l’endémicité s’accompagne en général d’une dynamique évolutive relativement régulière, sur la base de laquelle certains chercheurs formulent l’hypothèse qu’un mur immunitaire serait atteignable. Or, jusqu’à présent l’évolution de SARS-CoV-2 conserve une trajectoire instable, très différente de celle, relativement canalisée et prédictible, des virus respiratoires saisonniers (Figures 1 et 2). En l’absence de politiques de prévention, la taille du réservoir épidémique humain est de nature à conduire à une évolution virale rapide et imprévisible, ce qui favorise l’émergence de nouveaux variants, dont certains potentiellement plus dangereux. L’argument, malheureusement répandu, selon lequel tout virus ne peut évoluer au fil des mutations que vers des variants moins virulents est infondé. En particulier pour SARS-CoV-2, la transmission a lieu avant que le virus ne provoque une maladie grave ; par conséquent, sa virulence ne constitue pas une perte d’opportunité de transmission. Dès lors, aucune pression de sélection qui favoriserait l’émergence de variants plus bénins ne s’exerce. Du reste, chacun connaît des contre-exemples : les souches mutantes Alpha et Delta sont plus virulentes que la souche initiale, Wuhan-1. De même, la deuxième vague de la pandémie de grippe de 1918 a été beaucoup plus meurtrière que la première. Par ailleurs, même des variants intrinsèquement moins virulents comme ceux de la famille Omicron (BA.1 dont la vague est en cours et BA.2 dont la vague enfle) fragmentent l’organisation sociale et met en danger les plus vulnérables, en raison de sa haute transmissibilité et des réinfections massives qu’il engendre par sa capacité à échapper au système immunitaire.

Figure 2. Arbres phylogénétiques de la grippe (souche H3N2) (A), d’un coronavirus saisonnier (B), et du SARS-CoV-2 (C). SARS-CoV-2 ne présente pas à ce jour un arbre phylogénétique déséquilibré, en escalier. La souche Omicron n’est pas issue d’une mutation de la souche Delta, pas plus que la souche Delta n’était une mutation de la souche Alpha, mais chacune a émergé dans des branches bien plus anciennes de l’arbre phylogénétique. Jusqu’ici les nouvelles souches virales proviennent de mutations non détectées pendant des temps longs, donnant un arbre d’allure relativement équilibrée (comparable à la Figure 1B). A. Adapté des données de nextflu. B. Adapté d’Eguia et al. PLoS Pathog. 2021. C. Adapté des données de Nextstrain | Gisaid.

Le COVID-19 n’est pas la première pandémie à laquelle l’humanité doit faire face, ni son premier combat en matière de pathologies fortement évolutives. L’histoire de ces pathologies nous permet de connaître la variété des scénarios et la diversité des issues mais aussi de savoir que nous pouvons faire beaucoup pour limiter durablement son emprise sur la sociétés et nos vies. Nous devons éviter l’optimisme paresseux, produit de considérations politiciennes sans fondement. Nous devons prendre en considération, sans les minimiser, le nombre de malades, de cas d’invalidité et de décès causés par une circulation virale qu’on laisse filer. Dès lors, que faire ?

En premier lieu, il est impératif d’investir dans le développement de vaccins qui protègent contre un éventail plus large de variants, et soient efficaces contre leur transmission, ainsi que d’en favoriser la distribution planétaire par la levée des brevets et par le transfert des techniques d’encapsulation vers des sites de production localisés au plus près des populations.

Bien que des vaccins efficaces participent à la réduction de la pandémie, ils ne suffiront pas à eux seuls à éliminer le réservoir viral humain.[1] En ayant conscience que la quantité de virus en circulation risque encore de conduire à des vagues épidémiques de nouveaux variants, dont certains plus transmissibles et/ou plus virulents, il est impératif de mettre un terme à la propagation incontrôlée du virus, ce qui nécessite de mener une politique de santé publique intégrée. Nous devons par conséquent investir en connaissance de cause et utiliser — à l’échelle mondiale — toutes les stratégies de prévention dont nous disposons. Une politique de prévention digne de ce nom repose sur un maillage social de proximité associant un rôle d’information et de conseil, une sensibilisation à l’hygiène et au risque infectieux, une surveillance sanitaire locale par le contrôle des eaux usées et l’accès au dépistage, et une réactivité importante permettant des mesures d’isolement en cas de reprise de l’épidémie. La prise en compte du risque à sa juste mesure impose également — de la même manière que les zones d’endémie pour le paludisme, la dengue ou zika investissent dans des moustiquaires — de procéder à un investissement conséquent dans les équipements à même de protéger la population de l’infection, dans les transports, dans les lieux publics ou sur les lieux de travail. Ceci implique d’entreprendre la rénovation des bâtis et des transports en commun, de sorte à assurer leur ventilation optimale, associée à une filtration de l’air ou à sa purification à l’aide de dispositifs UV-C. Enfin, pour freiner la propagation virale dans les périodes de forte circulation, il est indispensable de donner à la population concernée un accès large à des masques de type FFP2 assortis de conseils d’utilisation, plutôt que de se cacher derrière un déni de leur performance pour justifier de leur pénurie.

La sévérité de la pathologie et le risque de flambées virales requièrent, outre un gros travail de prévention, un renforcement de l’accès aux soins pour toutes et tous, a contrario du déshabillage de la santé publique par la « république contractuelle ». Il est impératif de maintenir sur tout le territoire une médecine de proximité, mais aussi de rendre à l’hôpital les moyens d’assurer ses missions de service public, et donc de prendre en charge l’ensemble des patients atteints du COVID-19, sans compromettre le traitement des autres pathologies.

Penser que l’endémicité est à la fois bénigne et inévitable est plus qu’hasardeux ; c’est une hypothèse coupable : elle risque de conduire l’humanité à de nombreuses années supplémentaires de maladie, à des vagues imprévisibles d’épidémies et au sacrifice des personnes fragiles. Plus grave, elle banalise les morts et les souffrances physiques, morales, sociales qu’elle avalise, en particulier dans les populations les plus vulnérables. Or, du point de vue de toutes celles et tous ceux qui œuvrent à atténuer l’impact dévastateur des endémies actuelles, la perspective d’un SARS-CoV-2 endémique ne saurait être perçue comme un soulagement ou une porte de sortie. C’est, au contraire, laisser planer un danger auquel nous serons exposés dans la durée, et qui nécessitera de notre part un effort constant pour nous en prémunir. Cette perspective impose des engagements fermes de nos sociétés dans la surveillance, la prévention et le soin, à la hauteur des responsabilités qui nous incombent. Pour que le scénario du pire ne se produise pas.


[1] Plusieurs raisons indiquent que considérer une stratégie fondée sur le seul vaccin comme la clé du salut serait une erreur grossière. En premier lieu, si les vaccins actuels protègent bien contre les formes graves de la maladie, ils ne bloquent que de façon modérée (voire, quasi-nulle dans le cas d’Omicron BA.1) la capacité à être infectés dans les voies respiratoires supérieures et à transmettre le virus. Une partie de la population restera en outre toujours mal protégée, et en son sein, les personnes immunodéprimées, chez qui la persistance virale à long terme peut favoriser l’apparition de nouveaux variants. Par ailleurs, l’échappement immunitaire de nouvelles souches virales, dans leur course évolutive, impose de concevoir périodiquement des vaccins optimisés contre ces nouveaux variants et de reprendre la campagne vaccinale, à un rythme que l’industrie pharmaceutique mondiale ne semble pas capable de suivre à l’heure actuelle. Enfin, l’existence de réservoirs animaux du SARS-CoV-2 ne permet pas d’envisager une éradication et constitue une source d’émergence de nouveaux foyers infectieux, potentiellement associée à des variants capables d’échappement immunitaire.