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Leur tourner le dos ; s’occuper de nous

Suite à la pétition, signée par 12046 scientifiques, pour exiger la restitution des 300 postes au concours du CNRS en 2019, une délégation du collectif a été reçue à à l’Élysée, au siège du CNRS et au Ministère de l’ESRI.

50 postes rétablis au CNRS dès cette année, soit 5 millions d’euros par an : cette demande de RogueESR était si minime rapportée au budget d’une nation aussi riche que la France, si ridicule rapportée au 5,5 milliards annuels du Crédit Impôt « Recherche » (CIR), mais c’était déjà trop. Voilà ce qui ressort de nos multiples entretiens au sommet de l’Etat. Et ce n’est pas une « Loi de programmation pluriannuelle » — dont les contours sont encore tellement flous — qui changera l’affaire, bien au contraire.[1] Notre démarche aura au moins eu le mérite de montrer que la volonté politique d’en finir avec l’emploi scientifique pérenne est indiscutable : 300 postes au CNRS pour 2019, c’est niet, et aucun discours sur une prétendue volonté de « remettre la recherche au cœur de nos priorités »[2] ne pourra compenser cet état de faits. Et comme une confirmation sortait aujourd’hui même la liste des postes de maître de conférences ouverts au concours, avec un nombre misérable de postes.

Rappelons-le : 12046 membres de la communauté ESR ont signé la pétition que nous avions lancée le 2 décembre 2018. 12046 collègues partageant un objectif simple : dans l’urgence d’une crise de l’emploi scientifique, enjoindre le pouvoir à concéder ces postes, afin de se donner une petite bouffée d’oxygène. Ce souhait de rétablir les postes a donc été immédiatement déçu. « Ça pourrait être pire », a commenté Antoine Petit, PDG du CNRS, lors de notre entretien au siège de l’organisme. Le même nous a également indiqué « ne pas être sûr » que le combat que mène une partie de notre communauté contre le crédit impôt recherche (CIR) « soit le bon », et ne pas croire à une mobilisation d’ampleur de la communauté pour détricoter le dispositif. Pourtant, nos interlocuteurs s’accordent à reconnaître à mots pas si couverts que ça que le CIR n’est pas vraiment du budget recherche. Cette niche fiscale — car ce n’est pas autre chose — compte néanmoins dans le chiffrage (OCDE, UE) de la part du PIB français allouée à la recherche… Dernière étape de notre pèlerinage, notre visite au Ministère nous a également apporté son lot de surprises : Frédérique Vidal nous a annoncé sans ironie que « plus on se sentir[ait] misérables, moins cela marcher[ait] ». Oui, sachez-le chères et chers collègues, cette situation catastrophique, vous en êtes responsables « toutes et tous », comme nous l’a également martelé A. Petit. À croire que ces responsables n’ont aucune responsabilité…

Pour ces gens qui nous « pilotent », l’intérêt de déshabiller Pierre, est de pouvoir ensuite déshabiller Paul pour prétendre rhabiller le précédent, et ainsi de suite. Cela peut durer longtemps, puisque cela permet tout à la fois de fatiguer tout le monde, de consoler de la baisse du nombre de chercheurs en concédant un chouïa d’ITA en plus après dix ans de perte massive de postes, évidemment après avoir rajouté 300 financements doctoraux pour accroître l’armée de réserve, d’abonder un peu plus le budget de l’ANR quand la recherche se meurt de l’absence de crédits récurrents, de ponctionner les étudiants étrangers pour prétendre mieux les accueillir et préparer la suite, à savoir la généralisation de la dette étudiante. Et si des facs se mobilisent, cela finira de fragiliser les plus remuantes – bien fait. C’était écrit dans les Macron leaks, il fallait juste savoir où aller lire le programme. Même le PDG du CNRS ne sait plus convaincre un Premier ministre de l’importance de la recherche publique fondamentale, nous demandant ce que pourrait être un argument efficace… On serait au bord de mobiliser des vieilles citations de Lincoln, de celles qui servent à défendre l’alphabétisation, si on n’était déjà convaincus que finalement ces dirigeants préfèrent l’ignorance.

Nous avons échoué. Cela appelle une réflexion lucide. Les mobilisations en ligne montrent leur limite. Pour une pétition qui fait la différence, combien de milliers échouent dans l’indifférence et l’abattement ? Ne parlons même pas des tribunes. On s’use à force de signer ces lettres mortes.

Alors que reste-t-il à faire pour se préserver et s’auto-défendre ? D’abord, il nous faut tourner le dos à ces gens qui pensent que dialoguer, c’est les écouter soliloquer sur ce qu’ils imaginent être les mondes académiques et de la recherche. Habiter nos métiers, ceux qui permettent de dire le vrai sur le monde, et préserver l’intégrité de nos pratiques. Cultiver une éthique de la frugalité, l’éthique, aussi, d’une internationalisation alternative à celle qu’on nous propose, celle qui passe par autre chose que la mondialisation des guerres de palais académiques entre Pékin et Washington, par classements interposés. Préparer la suite sans doute aussi : continuer à tisser des liens, savoir comment mobiliser des ressources et pouvoir mettre en place des actions en cas d’urgence.

Pour le moment pourtant, nous interrompons les activités de RogueESR, parce qu’être les interlocuteurs de démolisseurs ne nous intéresse pas — et que d’autres seront capables de dire cette colère qui n’a pas vocation à s’émousser dans la tournée des ministères et des bureaucrates. Parce que, aussi, pour défendre un métier, il faut continuer à l’exercer en le faisant correspondre à ce qu’il doit rester : la recherche désintéressée, au sein d’une communauté dont il faut continuer à prendre soin. Nous saurons revenir, plus forts, si le moment se présente.

Bon courage aux jeunes chercheurs et aux thésards. Bon courage à nous tous.


[1] Poke les syndicats et la CPU : Frédérique Vidal préférant parler aux « vrais gens » (sic), ceux que l’on grand-débatise sans doute, vous ne siégerez pas dans les « groupes de travail » nommés par le ministère. Ce que vient de confirmer une dépêche de l’AEF, dans laquelle sont citées toutes les personnalités cooptées pour assurer l’anéantissement de notre milieu une bonne fois pour toutes.

[2] Déclaration de F. Vidal au Sénat.

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Politique de recherche : business as usual

Communiqué de presse du 1er février 2019

C’est peu dire que les espoirs de la communauté académique ont été douchés. À l’occasion de la première convention des directeurs et directrices de laboratoires du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) le premier ministre, M. Philippe, n’a pas annoncé de changement de politique, ni sur l’emploi scientifique, ni sur le Crédit d’Impôt Recherche, mais une loi de programmation pour la recherche pour… fin 2020. L’affirmation selon laquelle il y aurait eu augmentation de « 8% du budget de la recherche » en deux ans n’a pas manqué de nous surprendre, car elle ne correspond à aucune donnée tangible (voir l’annexe budgétaire rappelant les faits, ci-dessous). Le premier ministre a également annoncé la constitution de « groupes de travail », dont on sait qu’ils constituent l’ordinaire managérial pour faire co-produire les régressions par ceux qui les subissent, autour de trois axes :

  • Le « financement des projets scientifiques les plus ambitieux et les plus novateurs », c’est-à-dire l’accentuation de la politique de guichet, au détriment des crédits récurrents.
  • L’« attraction vers les carrières scientifiques des jeunes talents en offrant des parcours scientifiques compétitifs à l’échelle internationale », c’est-à-dire l’accentuation de la précarisation, de la dérégulation des statuts et de la baisse programmée de l’emploi scientifique pérenne.
  • Le « développement de la recherche partenariale entre public et privé, convertissant les résultats de recherche en innovation », c’est-à-dire l’accentuation d’un financement du privé par le public, comme c’est déjà le cas avec le CIR, et une incitation toujours plus pressante des personnels du CNRS à la création d’entreprise.

Le signal envoyé est clair, que résume bien cette phrase du premier ministre : « Choisir, c’est renoncer ». Il faut maintenant répondre à ce renoncement délibéré par une gradation des moyens d’action collective.

Budget : les faits

Le budget de l’Etat est organisé en missions et en programmes, dont les financements sont détaillés dans les annexes budgétaires (les « jaunes » et les « bleus »), qui font preuve. Le budget ministériel n’est pas un découpage pertinent. Nous donnons ci-dessous la réalité de l’évolution sur deux ans des budgets, les lignes pertinentes (les deux premières) étant la subvention pour charge de service public pour les recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires (première ligne) et les formations supérieures, la recherche universitaire et la vie universitaire (deuxième ligne). Le calcul d’inflation est basé sur les estimations de la Banque de France. Le Glissement Vieillesse Technicité (GVT), c’est-à-dire l’évolution mécanique des salaires induite par la démographie, n’a pas été soustrait, qui correspond à 0,7% du budget au CNRS (25 M€) et 1% de la subvention totale pour charge de service public. Par comparaison, le coût du Crédit d’Impôts Recherche, qui n’est pas connu avec précision, est autour de 6 milliards € / an, et le coût des 50 postes demandés par RogueESR, autour de 5 millions € /an…

Budget de l’enseignement supérieur et de la recherche en milliards d’euros

  2017 2018 2019 Variation apparente sur 2 ans Variation hors inflation sur 2 ans
Recherche hors Université (service public) 5,3 5,3 5,4 +2,2% -1,6%
Université (service public) 12,7 12.9 13,0 +2,1% -1,7%
Mission ESR 27,1 27,4 27,9 +3,0%> -0,9%
CNRS 3,3 3,4 3,5 +5,0% +1,2%
Budget MESRI 23,9 24,5 25,1 +5,0% +1,1%

Vous pouvez télécharger ce communiqué ici.

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Politique de recherche : les attentes de la communauté

Communiqué de presse du 31 janvier 2019

La première convention des directeurs et directrices de laboratoires du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) sera inaugurée ce 1er février à Paris par le premier ministre, M. Philippe, qui devrait y faire une série d’annonces sur la politique de recherche. À cette occasion, le collectif RogueESR rend publics les résultats d’une enquête menée auprès de la communauté académique, qui évalue la politique conduite jusqu’ici, en matière d’emploi scientifique.

Le questionnaire a reçu plus de 5 000 réponses en quelques jours. C’est deux fois plus que la consultation organisée par le Parlement sur ce sujet.

97% des répondant·e·s considèrent inacceptable, voire inadmissible, le refus du gouvernement de financer des postes de chercheuses et chercheurs alors que l’argent public finance le Crédit d’Impôt Recherche à hauteur de 6 milliards d’euros.

9 répondant·e·s sur 10 considèrent que la politique du gouvernement en matière d’emploi scientifique est plutôt mauvaise et que la diminution du nombre de postes mis au concours au CNRS est néfaste pour la recherche.

9 répondant·e·s sur 10 ont pu directement observer des situations de précarité dans l’exercice de leur métier.

Les réponses témoignent du désespoir de la communauté scientifique et de ses attentes : notamment le maintien des postes permanent ouverts au concours tel qu’exprimé par cette pétition. Dans le cas contraire, plus de 2 000 personnes se disent prêtes à une occupation du CNRS, et plus de 3 000 personnes sont prêtes à produire des expertises indépendantes sur l’utilisation du Crédit d’Impôt Recherche.

Télécharger ce communiqué de presse en PDF.

Résultats de l’enquête de RogueESR basée sur 5 085 réponses.

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Le gouvernement va-t-il tourner le dos à la recherche ?

Communiqué de presse du 17 janvier 2019

Le collectif de scientifiques RogueESR était reçu hier à l’Élysée suite à une pétition ayant rassemblé la signature de 12046 scientifiques. Le but de cette entrevue était de demander le rétablissement des 50 postes supprimés (sur un total de 300) au concours du CNRS en 2019. Cette demande n’a pour le moment pas été entendue. Le collectif doit néanmoins échanger avec la ministre F. Vidal, et le PDG du CNRS A. Petit sur ce sujet, dans les semaines qui viennent.

Vous trouverez ci-dessous le communiqué, que vous pouvez télécharger ici.

CP_17-01-19

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Exigeons le rétablissement des 300 postes mis au concours au CNRS

La recherche publique vit des jours difficiles, alors même que son importance pour la société demeure primordiale. À l’heure où nous sommes confrontés aux défis liés au changement climatique, tandis que les régimes démocratiques connaissent de profondes remises en causes, et alors qu’il s’agit d’être toujours plus vigilant face aux « fake news », jamais la nécessité de comprendre le monde de manière collective et désintéressée, et d’apporter des lumières sur ce qui nous menace n’a revêtu une telle urgence.

Pourtant, il est prévu de supprimer 340 postes de titulaires au CNRS d’ici 2022 qui s’ajouteront aux 1 581 déjà supprimés depuis 2005.

Nous ne pouvons rester silencieux devant ce défaut d’investissement dans la recherche, devant le sacrifice d’une génération de jeunes chercheurs et devant la perte de compétences et d’attractivité annoncés de notre système de recherche. Il nous faut exiger le soutien à la recherche fondamentale. Il nous faut aujourd’hui nous mobiliser à nouveau. L’actualité budgétaire nous en donne l’occasion : pour le concours 2019 du CNRS, il est annoncé que seulement 250 postes seront ouverts, contre 300 l’an dernier (-17%) et les années précédentes. Les responsables de section du cnrs viennent de donner l’alarme sur la situation, par un texte publié dans Le Monde et il appartient à chaque chercheur, à chaque universitaire, à chaque étudiant, à chaque citoyen de les soutenir.

Défendre le CNRS, c’est participer à la défense plus générale de l’enseignement supérieur et la recherche publique en France, c’est agir en faveur de la production et la diffusion de connaissances auprès du plus grand nombre.

Pétition pour exiger le rétablissement des 50 postes supprimés cette année, à signer ici.

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Organiser la résistance du monde universitaire et de la recherche

Des universitaires ont publié le 26 avril une tribune dans Le Monde invitant à soutenir le candidat d’« En Marche ! » Nous, salarié·e·s de l’enseignement supérieur et de la recherche, souhaitons répondre à ce texte par la tribune qui suit. Sa portée s’appréciera par le nombre de signataires : 1 588 depuis le 28 avril 2017. Ce texte a également vocation à nous rassembler pour organiser la résistance du monde universitaire et de la recherche face aux années difficiles qui s’annoncent.

Nous voterons Macron mais combattons son « projet » pour l’enseignement supérieur et la recherche

Nous qui travaillons dans l’enseignement supérieur et la recherche, nous tenons à nous désolidariser d’une tribune parue dans Le Monde, intitulée « Nous, universitaires et chercheurs, tenons à manifester notre soutien à Emmanuel Macron ». En surfant sur la vague de la « Marche pour les sciences » et sous couvert de front républicain, ce texte veut faire croire que la vision libérale de M. Macron est soutenue par une large communauté dans le monde universitaire et scientifique. La réalité est moins glorieuse : les 45 signataires, pour la majorité professeurs des universités, sont peu représentatifs de la diversité des disciplines et surtout des personnels qui font vivre l’université et les instituts de recherche. C’est donc l’occasion de remettre les points sur les i.

À l’université, dans la recherche : non au fascisme

Soyons clairs dès le début. Le résultat du premier tour des élections présidentielles a été pour nous un choc : celui de voir Marine Le Pen recueillir 21,30 % des voix sans que cela n’étonne qui que ce soit. Au second tour, nous avons décidé de voter E. Macron contre M. Le Pen, car le risque est trop grand de voir cette dernière l’emporter et imposer sa politique extrême-droitière qui affectera immédiatement les plus vulnérables, dont beaucoup n’ont pas la chance de voter. Le front national – et le fascisme de manière générale – reste notre principal adversaire. Nous voterons E. Macron, mais en étant conscients que ce « barrage » que nous contribuerons à former aura pour conséquence l’application d’une politique libérale qui contribuera à l’accroissement des inégalités et pourrait servir de marchepied au Front national pour continuer sa percée à brève échéance.

Si nous prenons position aujourd’hui, ce n’est pas tant pour dénoncer les attaques annoncées par E. Macron contre notre système de protection sociale ou contre le droit du travail, au nom de la « libéra[lisa]tion des énergies », ce n’est pas tant pour souligner la fragilisation à venir des classes populaires au bénéfice des possédants, que pour revenir sur ce que nous propose entre les lignes son programme dans les domaines de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il ne s’agit pas ici de défendre de simples intérêts sectoriels, puisque – et c’est le candidat d’« En marche ! » qui le dit lui-même, ou à tout le moins ses conseillers en la matière – « l’éducation et la culture » sont « la condition de notre cohésion nationale », et en tant que telles constitueront son « premier chantier ». Chantier, c’est bien le mot.

Universités : l’illusion de l’autonomie et de « l’excellence »

Macron l’a dit et redit : il veut accroître « l’autonomie des universités », poursuivant ainsi la politique initiée par Nicolas Sarkozy et continuée sous le quinquennat de François Hollande. Mais attendez, « autonomie » ? Mais pourquoi pas ? N’est-ce pas une valeur noble que chaque universitaire devrait chérir ? Que l’on ne s’y trompe pas néanmoins : l’autonomie mise en place sous Sarkozy a d’abord été de pair avec un appauvrissement des universités qui doivent faire face à une hausse mécanique – due à l’ancienneté – de leur masse salariale dont elles ont désormais la charge, sans hausse de leurs ressources propres. Dans le même temps, les effectifs étudiants, eux, n’ont cessé d’augmenter. De « faillites » budgétaires en faillites morales, les signes d’une lente déréliction sont tangibles, et nourrissent la chronique ordinaire de l’université. Le 7 avril dernier, le conseil d’administration de l’Université d’Orléans annonçait par exemple un gel de postes (enseignants et administratifs, bibliothécaires, agents de santé) ainsi qu’un risque de défaut de paiement des salaires pour juin 2018. Le 21 avril, l’université de Grenoble déclarait quant à elle la suppression de dix mille heures d’enseignements et d’une centaine d’emplois pour combler son déficit. Ces contraintes budgétaires décrétées sous couvert d’autonomie ont des conséquences terribles sur les conditions de travail et d’enseignement des enseignants-chercheurs, des personnels techniques et administratifs et des étudiants : outre la dégradation des locaux, des bâtiments vétustes aux amphis usés, le manque de moyens entraîne de nombreux burn out chez les personnels dont la charge de travail ne cesse d’augmenter.

Tout cela est connu, a été patiemment diagnostiqué dans d’innombrables rapports, des mobilisations ont eu lieu, organisées par les salariés contractuels et par les permanents ; mais néanmoins, E. Macron, n’a annoncé aucune revalorisation substantielle et nécessaire des budgets. Surtout, il propose d’approfondir cette patiente destruction de l’université qui s’est engagée depuis des décennies, et s’est accélérée ces dernières années. Accroître l’autonomie fantasmée par les chantres de l’université harvardisée ou MITisée (sans le budget considérable ni le prestige, cela va sans dire), c’est aussi du même coup accentuer la concurrence darwinienne entre les établissements, et la division brutale entre les universités dites d’« excellence » – qui, grâce au financement par appels à projets, recevront la majorité des crédits – et les autres, qui devront faire face à une véritable pénurie de moyens et s’assumer comme appartenant à une seconde division universitaire. Le vocabulaire macroniste est truffé de ces termes empruntés au néo-management : excellence, performance, compétitivité, innovation, défi, gouvernance par les plateformes… Si cette novlangue euphémise l’âpreté des luttes dans la cité scientifique, elle masque surtout l’inanité d’un projet politique pour l’enseignement supérieur et la recherche fondé sur la concurrence effrénée des établissements entre eux et la justification des réductions budgétaires.

Loin d’offrir « les mêmes chances pour tous nos enfants », comme le promet E. Macron sans y regarder de près, cette stratégie de courte vue contribuera encore à amplifier les inégalités sociales face à l’éducation et la formation. Ce n’est sans doute pas la proposition d’élargir les heures d’ouverture des bibliothèques qui permettra d’endiguer ce phénomène… Et quand bien même elles seraient ouvertes, sans plus de moyens pour y entreposer les nouvelles acquisitions de livres – doit-on rappeler que les coupes ont été désastreuses sur ces postes ? –, à quoi bon y étudier jusqu’à pas d’heure si les collections ne sont pas à jour ? De plus, n’est-il pas malhonnête et cynique de « vendre » aux étudiants des horaires plus étendus comme horizon d’une « modernisation » tout en imposant ces horaires aux bibliothécaires, et ainsi rejouer la lutte des classes au sein de la communauté universitaire ? Mais ce n’est pas tout. E. Macron entend accélérer la privatisation de l’enseignement supérieur. C’est patent lorsqu’il déclare vouloir diversifier les sources de financement, en « facilitant les possibilités de création de filiales universitaires, les capacités d’emprunt des universités ou encore les partenariats public-privé ». La « disruption » à tout va promet de sévir sur les ruines d’un milieu universitaire déjà lourdement endommagé par les réformes antérieures.

Recherche : l’indigence d’un pseudo programme

On aura beau jeu de nous objecter que M. Macron n’est pas la caricature que nous croquons. Profitant de l’écho mondial du mouvement citoyen la « Marche pour les sciences », le candidat n’a pas hésité à lancer un court appel vidéo tweeté aux scientifiques du monde entier – en particulier les « American researchers, entrepreneurs, engineers working on climate change » –, les invitant à venir se réfugier en France, « la patrie de l’innovation, de la recherche, du futur » pour faire de la France le « leader mondial de la recherche sur le réchauffement climatique ». Comme si ce n’était pas déjà le cas avec plusieurs scientifiques occupant des rôles majeurs au sein du GIEC en particulier, comme si également c’était une compétition sportive pour restaurer ce qu’il demeure d’influence française sur la scène diplomatique mondiale. Parce que le « programme » en matière de recherche (y compris sur le climat) du candidat est proprement indigent, il est difficile de ne pas interpréter cette prise de position comme relevant de la récupération opportuniste. Ces propos à l’emporte-pièce sont d’autant plus insupportables si l’on considère la difficulté structurelle dans laquelle se trouvent les jeunes enseignants-chercheurs et chercheurs en quête d’un poste titulaire dans la patrie de Pasteur. Sans même parler de l’irréalisme qui consiste à faire croire que l’on pourrait héberger les collègues étasuniens très bien payés et leurs programmes substantiellement financés dans les établissements français qui peinent à boucler leur budget de fonctionnement et à payer leurs factures de téléphone. En réponse à ces difficultés, bien réelles, l’ébauche de programme « recherche » de M. Macron n’apporte que des slogans mais aucune solution concrète. En fin de compte, la seule volonté claire qui ressort de la communication de campagne du candidat est celle de mettre la recherche au service de « l’innovation, [car elle est] la clé de la compétitivité et de la croissance ». Cette vision étriquée et court-termiste, épuisée jusqu’à l’os depuis le début des années 2000, trahit une méconnaissance profonde des activités de recherche. Elle l’assujettit à un utilitarisme atrophiant, elle mine l’autonomie intellectuelle. Non, le chercheur-entrepreneur qui rêve devenir milliardaire n’est pas la panacée. Non, la Silicon Valley n’est pas l’horizon indépassable de l’Humanité. Non, la science n’est pas une entreprise et la connaissance une marchandise à échanger sur des marchés. La science en actions boursières : non, non et non.

Nous sommes rogueESR

Parce qu’il est nécessaire de résister contre cette « modernisation » en trompe-l’œil, il ne faut pas s’en tenir à l’exercice de la vigilance en pantoufles, en attendant la prochaine « alternance » — qui pourrait s’avérer fatale. RogueESR s’inspire de la stratégie de rébellion expérimentée par les scientifiques étasuniens contre la mise au pas des mondes académiques. Contrer le FN est une priorité à court terme, et voter E. Macron c’est d’abord voter contre Le Pen. Nous espérons pour cela que le candidat d’« En marche ! » l’emportera le 7 mai prochain. Néanmoins, nous nous emploierons ensuite à lutter — par les mots, dans les urnes et dans la rue s’il le faut — contre son embryon de « programme » pour l’ESR, mais aussi contre les inégalités qui font les affaires du FN, et à proposer des alternatives.

Liste des 1 588 signataires