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Séminaire Politique des sciences / Liberté académique

Association ou fonds de dotation pour la liberté académique

Nous pensons urgent, avant qu’il ne soit trop tard, de défendre la liberté académique et la liberté d’expression de manière générale, et de nous protéger collectivement contre les attaques qui se multiplient contre les universitaires et les chercheurs.

Deux modalités sont envisageables. Un fonds de dotation pour la liberté académique aurait l’intérêt de conduire à une réduction d’impôt des deux tiers des dons mais nécessite 15 000 € de don initial. Il s’agit d’un outil de mécénat qui permet de soutenir des projets d’intérêt général. C’est un organisme à but non lucratif, géré à titre bénévole, qui permet d’apporter des aides directes aux personnes et aux associations, sous la forme d’aide juridique, de bourses, de prix, et de subventions. Une faiblesse : ce sont les établissements qui sont supposés fournir une aide juridique aux universitaires et aux chercheurs dans le cadre de la protection fonctionnelle et il convient de ne pas abandonner ce terrain trop vite. L’autre possibilité est une association pour la liberté académique, qui a l’inconvénient symétrique de ne pas permettre aisément d’atteindre l’autonomie financière permettant d’apporter une aide concrète en cas de dérive politique.

Après le message de la semaine passée, nous sommes au tiers de la somme nécessaire à créer un fonds de dotation. Merci de nous indiquer dans ce questionnaire votre intérêt pour ces initiatives.

Reprise du séminaire Politique des sciences

Après un an et demi d’interruption de Politique des sciences, dont nous sommes partenaires, le séminaire reprend le jeudi 21 octobre 2021 de 14h30 à 18h30 à l’Institut Henri Poincaré (11 Rue Pierre et Marie Curie, 75005 Paris) et sur la chaîne de Politique des sciences, retransmis en direct à cette adresse : https://youtu.be/1FIQv8iL6fM.

La séance de travail sera consacrée à la politique des mathématiques, avec les intervenants suivants :

  • Isabelle Gallagher — La communauté mathématique : des rêves à l’épreuve de la réalité.
  • Antoine Chambert-Loir — Bourbaki, mythe et pratique d’un mathématicien collectif.
  • Catherine Goldstein — Et les autres ? Histoires et imaginaires.
  • Michel Broué — Mathématiciens et solidarité, abstrait et concret.

Il leur a été demandé de discuter de manière réflexive, à partir de leur pratique et de l’histoire, de l’articulation entre individu et collectif, des stars et des autres, de Bourbaki comme de Camille Noûs, des mythes qui innervent ce domaine, des mathématiciens exerçant leur solidarité…

Le séminaire Politique des sciences, créé à l’EHESS, existe depuis 2008 et est le seul séminaire réflexif sur nos métiers, en France. Il constitue une occasion de nous trouver, puis de nous retrouver, une fois par mois pour réfléchir collectivement à l’activité scientifique et à son articulation avec la sphère politique, au sens le plus large. Pendant les 18 derniers mois, le séminaire a servi à diffuser des informations et des réflexions analytiques sur la syndémie de SARS-CoV-2 :

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« On se fatigue de voir la bêtise triompher sans combat. »

Albert Camus, L’État de siège (1948)

Candidatures à la présidence du CNRS

La présidence du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) est à pourvoir pour le 25 janvier prochain. Nous y avons vu une occasion d’ouvrir enfin le débat public autour de la politique de recherche qui a manqué lors de la phase préparatoire de la Loi de Programmation de la Recherche (LPR), dont les universitaires et les chercheurs actifs ont été exclus. Nous avons saisi cette opportunité de nous réapproprier nos métiers et nos institutions en appelant à des candidatures issues de la communauté scientifique

Notre appel a été entendu et Olivier Coutard, président de la Conférence des présidents de sections du Comité national du CNRS a déposé sa candidature. Nous conseillons vivement la lecture de sa déclaration d’intention.

Sur un tout autre plan, Camille Noûs, dont vous trouverez le CV ici, à également déposé sa candidature, qui a dûment été réceptionnée :

Nous remercions chaleureusement celles et ceux qui ont déposé leur contribution à une candidature collective, ce qui a donné lieu à un compte rendu dans le journal Le Monde, à l’occasion du 10ème anniversaire de sa rubrique Sciences.

Ces candidatures, bel et bien recevables, sont précieuses pour l’étape qui vient : exiger qu’un débat public ait lieu et qu’une procédure de désignation par les pairs soit mise en place. 

Nous proposons dès à présent aux candidats non-déclarés à ce jour, ainsi évidemment qu’à Olivier Coutard et à Antoine Petit, d’organiser une présentation contradictoire de leurs conceptions de l’organisation de la recherche, en public, avec retransmission en direct. Par ailleurs, nous demandons qu’un vote consultatif de la communauté académique ait lieu, comme on le fait pour les directions de laboratoires. Rappelons que le président de la société Max-Planck, principal organisme de recherche allemand, est directement élu par l’instance permanente représentative de la communauté.

Texte programmatique RogueESR dans la revue Mouvements

La revue Mouvements vient de publier un numéro sur les politiques éducatives. Dans ce cadre, elle a proposé à RogueESR de se plier à l’exercice d’un texte programmatique pour l’Université. Vous trouverez ce texte ici.

Association ou fonds de dotation pour la liberté académique

Il ne se passe pas une semaine sans que la liberté académique soit mise en cause. Un jour, c’est le président de la CPU qui entend liquider la liberté pédagogique : « cette idée de l’université où l’on enseigne ce que les enseignants ont décidé d’enseigner car c’est leur petit jardin secret, et qu’on décrète ce que doit être la formation, est révolue. » Un autre, une journée d’étude sur un accident industriel est annulée par un président d’université trois jours avant sa tenue. Un autre jour encore, c’est le déontologue du CNRS qui ignore le fondement de la liberté académique, pourtant constitutionnalisé, et entend la soumettre au bon vouloir de la bureaucratie du supérieur : comment déformer ce principe au point de laisser entendre qu’un universitaire ou un chercheur soit « soumis à une obligation de réserve qui a pour objet de l’inciter à observer une retenue dans l’expression de ses opinions, notamment politiques, sous peine de s’exposer à une sanction disciplinaire » ; comment sommes-nous passés de l’autonomie fondatrice de la science, de la libre critique de l’institution et de la nécessité d’une définition collective, par les pairs, de ses normes et de ses procédures, à l’idée de « parler de son administration dans des formes manifestant d’éventuels désaccords avec pondération » ? Dans la même veine, le directeur d’un établissement de recherche a inauguré un colloque sur la liberté académique en laissant entendre qu’il fallait la subordonner à la logique de marque : exiger des universitaires et des chercheurs une loyauté vis-à-vis de leur établissement, donc de sa bureaucratie. Le lendemain, une collègue historienne intervenant dans le même colloque se fait injurier sur Twitter par une députée européenne de la majorité, pour le contenu de son intervention qu’elle n’a pas pu entendre. Depuis des mois, les menées néo-maccarthystes se multiplient ainsi que les procès baillon qui  judiciarisent les débats scientifiques à des fins d’intimidation.

Nous pensons urgent, avant qu’il soit trop tard, de défendre la liberté académique et la liberté d’expression de manière générale, et de nous protéger collectivement contre ces attaques qui se multiplient. Deux modalités sont envisageables. Un fonds de dotation pour la liberté académique aurait l’intérêt de conduire à une réduction d’impôt des deux tiers des dons mais nécessite 15 000 € de don initial. Il s’agit d’un outil de mécénat qui permet de soutenir des projets d’intérêt général. C’est un organisme à but non lucratif, géré à titre bénévole, qui permet d’apporter des aides directes aux personnes et aux associations, sous la forme d’aide juridique, de bourses, de prix, et de subventions. Une faiblesse : ce sont les établissements qui sont supposés fournir une aide juridique aux universitaires et aux chercheurs dans le cadre de la protection fonctionnelle et il convient de ne pas abandonner ce terrain trop vite. L’autre possibilité est une association pour la liberté académique, qui a l’inconvénient symétrique de ne pas permettre aisément d’atteindre l’autonomie financière permettant d’apporter une aide concrète en cas de dérive politique.

Merci de nous indiquer dans ce questionnaire votre intérêt pour ces initiatives.

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Décryptage du projet de loi de finance 2022 et de la situation des universitaires afghans

Présidence du CNRS : nous sommes candidat

Pour participer à la candidature collégiale à la présidence du CNRS, votre dossier doit être parvenu au ministère avant ce vendredi 1er octobre — on peut supposer que la date d’envoi du mail et le cachet de la poste feront foi. Il ne reste donc que trois jours…

Projet de loi de finance 2022

Nous avons lu le projet de loi de finance 2022 (PLF 2022), en attendant les « jaunes budgétaires », ces annexes détaillant la ventilation du budget, poste par poste, à paraître en octobre.

Comme chaque année, le stupéfiant dossier de presse du ministère présente des données chiffrées qui ne correspondent à aucune réalité budgétaire inscrite dans le projet de loi de finance lui-même.

Ainsi, il est annoncé cette année, en gros caractère, une hausse des effectifs de 650 postes (équivalents temps plein, ETPT). D’une part, le relèvement des plafonds d’emploi ne correspond pas à une hausse des effectifs lorsque le budget des établissements « autonomes » ne suit pas. D’autre part, le PLF 2022 indique que le plafond d’emplois (environ 260 000) baisse de 3 373 ETPT. Le plafond d’emploi du seul Hcéres est lui en augmentation de 128 ETPT.

L’essentiel tient dans la trajectoire de stabilité budgétaire, qui prévoit une baisse abyssale des dépenses publiques en ciblant l’investissement public, l’emploi statutaire (fonctionnaires) et la protection sociale. La mécanique générale de transfert des richesses vers la sphère privée, compensée par une diminution des dépenses liées aux systèmes de solidarité, est identique à celle de la crise bancaire de 2007-2008. Cependant, la cure d’austérité prévue dans le PLF pour les années à venir est d’une ampleur jusqu’ici inconnue en France.

Le budget de l’Université, comme prévu par la loi de programmation de la recherche (LPR), est stagnant : les 1,8% d’inflation sont très exactement compensés, ce qui fait passer le programme 150 de 13,91 Md€ à 14,16 Md€. À nouveau, l’augmentation du nombre d’étudiants à l’Université (34 000 étudiants en plus en 2021 par rapport à 2020 ; 59 600 étudiants en plus en 2020 par rapport à 2019) n’est nullement prise en compte : aucune nouvelle université n’a à ce jour été programmée et les recrutements d’universitaires sont en berne. Le Monde a publié un bilan chiffré qui corrobore nos données. Le bilan décennal (2011-2021) est limpide : le nombre de bacheliers faisant des études supérieures a crû de 42%, les effectifs étudiants dans le secteur public ont crû de 25% et les recrutements d’universitaires ont décru de 46%. L’investissement public par étudiant est en baisse pour la sixième année consécutive (-7,9% par rapport à 2009).

Les budgets de la recherche, hors université (programmes 172 et 193), suivent eux aussi la trajectoire prévue par la loi de programmation de la recherche (LPR). L’enveloppe globale croît, mais la part consacrée à la mission de service public devrait stagner elle aussi, c’est-à-dire avoir une croissance qui compense exactement l’inflation. Les transferts budgétaires (vers l’ANR et le CNRS notamment) à l’intérieur de cette enveloppe globale se font au détriment de l’emploi statutaire et vont donc creuser la précarisation de nos métiers. Enfin, aucune rupture vis-à-vis de la politique désastreuse menée depuis trois quinquennats en matière de recherche appliquée et d’innovation — on pense en particulier au crédit d’impôt recherche, dont l’effet de levier est nul voire légèrement négatif — n’est envisagée, malgré le choc qu’a occasionné l’incapacité de notre pays à se doter d’un vaccin contre SARS-CoV-2.

Toutes les données sont à retrouver sur le site de la CPESR.

Postes ouverts au concours de Maître de conférences selon les quatre grands domaines disciplinaires Sciences et Technologies (ST), Pharmacie (Pharma), Lettres Langues Arts, Sciences Humains et Sociales (LLASHS) et Droit, Economie, Gestion (DEG) : Le nombre de postes de MCF ouverts au concours est passé de 2417 en 2002 à 1070 en 2019, soit une baisse de 56% sur la période.

Évolution des effectifs étudiants et enseignants, et du taux d’encadrement (nombre d’enseignants pour 100 étudiants) : Entre 2009 et 2018, les effectifs étudiants ont crû de 16% pendant que les effectifs enseignants stagnaient à la baisse de 1%. En conséquence, le taux d’encadrement a chuté de 15%.

Évolutions des effectifs enseignants-chercheurs nécessaires pour maintenir le taux d’encadrement de 2009, et réelle : À partir de 2011, l’évolution des effectifs enseignants-chercheurs décroche de l’évolution des effectifs étudiants. Le retard pris dans le recrutement est tel qu’il aurait fallu en 2018 recruter près de 10 000 enseignants-chercheurs simplement pour retrouver le taux d’encadrement, et donc les conditions d’études, de 2009. Depuis, la situation s’est lourdement aggravée.

De la situation des universitaires en Afghanistan

En Afghanistan, la liberté académique est désormais dans une situation dramatique. Selon l’organisation Scholars at risk, il était impératif d’évacuer plus de 700 universitaires afghans et seule une minorité l’ont effectivement été depuis août. Cet exode universitaire est comparable à celui en provenance des universités allemandes dans les années 1930, lorsque 500 à 1000 enseignants et chercheurs allemands ont trouvé asile dans la communauté académique mondiale.

Nos collègues afghans sont menacés en raison de leur activité académique : les Taliban, un mouvement issu des madrasas, ont régulièrement accusé les universités d’être un lieu de mœurs dissolues et de propagation des idées occidentales. Durant les deux dernières décennies de guerre, la poursuite d’une recherche académique et l’enseignement dans une institution universitaire sont donc devenus en soi une forme d’engagement contre l’insurrection. Et les universités ont été des cibles récurrentes, à l’exemple de l’attaque de 2016 contre l’Université américaine de Kaboul qui avait fait 13 morts et 53 blessés.

Depuis l’arrivée des Taliban au pouvoir, des centaines d’universitaires se terrent, de peur des représailles, à l’exemple de ce professeur de l’université d’Hérat qui a découvert qu’un de ses étudiants était associé aux Taliban. La reprise en main actuelle de l’université de Kaboul l’illustre, la plupart des universitaires afghans n’auront jamais de place dans le nouveau régime et nombre d’entre eux risquent leur vie s’ils restent dans le pays. Leur avenir est ici, en France, en Occident, dans les pays qui ont une responsabilité patente dans la situation actuelle de l’Afghanistan.

Or, lors de l’évacuation, improvisée de manière catastrophique, les universitaires afghans ont largement été oubliés. Ils et elles ne disposaient généralement pas des réseaux permettant d’obtenir une place sur les listes d’évacuation réalisées par le ministère des Affaires étrangères et ont donc été abandonnés à leur sort. De nombreuses universités françaises se sont pourtant proposées pour accueillir des universitaires afghans et, avec l’aide du programme Pause, de leur offrir un asile. Des collègues en France tentent d’aider individuellement des universitaires afghans, des efforts qui ont parfois été couronnés de succès, mais bien trop rarement.

Obtenir un visa dans une ambassade française à Islamabad, Tachkent, Dushanbe ou Téhéran relève de la gageure. Il faut ici que les déclarations de l’exécutif, à l’exemple de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, qui avait appelé à « mobiliser tous les leviers » pour aider les étudiants et chercheurs afghans, passent des paroles aux actes: les difficultés à obtenir visa et titre de séjour doivent cesser d’entraver l’expression de la solidarité des universités françaises avec nos collègues en Afghanistan.

Nous devons agir vite, dès la semaine prochaine, et vous proposerons dans notre prochain courrier des modalités concrètes de pression de la communauté académique sur le quai d’Orsay.

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Candidatures à la présidence du CNRS

Comme annoncé la semaine dernière, vous trouverez ci-dessous les éléments d’un kit de candidature à la présidence du CNRS.

Si vous faites acte de candidature, nous vous demandons de compléter les deux passages personnalisés du courrier d’accompagnement. Nous vous conseillons également d’ajouter une brève phrase de votre facture en bas de la déclaration d’intention et de signer celle-ci à la main afin de garantir le caractère personnel de votre candidature et d’éviter une disqualification a priori. Si vous le souhaitez, vous pouvez nous faire part de votre candidature en envoyant un courriel vide à : rogueesrgmail.com avec vos nom et prénom dans le sujet.

Ce kit est à envoyer avant le premier octobre à la direction générale de la recherche et de l’innovation à la fois par courrier postal, en deux exemplaires, et par courriel accompagné d’un CV et de tout justificatif de statut professionnel ou de production scientifique dans le cadre de votre métier.

Envoi par courriel : directrice.generalerecherche.gouv.fr

Envoi par courrier postal (en deux exemplaires) : 

Madame Claire Giry
Directrice Générale de la Recherche et de l’Innovation
Ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation
1 rue Descartes 
75231 Paris Cedex 5

Courrier à la DGRI

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[en-tête: prénom, nom, identifiant professionnel le cas échéant (Numen pour les universitaires)]
 

Madame Claire Giry
Directrice Générale de la Recherche et de l’Innovation
Ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation
1 rue Descartes
75231 Paris Cedex 5
 

Objet : Candidature à la présidence du CNRS / NOR : ESRR2119195V
 

Madame la directrice générale,

Le JORF n°0203 du 1er septembre 2021 a annoncé la vacance de la présidence du CNRS au 22 janvier 2022. J’ai l’honneur de déposer ma candidature, motivée par la promotion des principes de collégialité, de qualité et d’indépendance de la recherche. Vous trouverez avec ce courrier, en deux exemplaires :

  • Ma déclaration d’intention, élaborée collégialement et à laquelle je déclare personnellement souscrire
  • Mon curriculum vitæ détaillé
  • [tout justificatif de lien professionnel avec le monde de la recherche ; une simple déclaration sur l’honneur de votre statut, accompagnée de votre Numen ou de votre matricule, suffit, voire votre dernier article paru]

Je me tiens à la disposition de vos services pour la suite de la procédure.

En vous priant de bien vouloir agréer l’assurance de toute ma considération

XXX

Déclaration d’intention

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Le Journal Officiel du 1er septembre courant a publié la vacance de la présidence du CNRS au 22 janvier 2022. Considérant que le CNRS, après plusieurs années de déclin, a besoin d’un sursaut collectif, j’ai l’honneur de vous faire part de ma candidature destinée à porter cette ambition. Mon engagement individuel répond à une exigence : faire prévaloir les conditions concrètes d’une science de qualité, fondée sur le temps long, l’indépendance statutaire et la collégialité. Ce programme général peut être décliné en trois points, relatifs aux missions du CNRS, à sa politique de recrutements et aux pratiques quotidiennes dans les laboratoires :

Missions du CNRS

  • La liberté de recherche et son inscription dans la durée ne sont pas négociables. Dans leur travail quotidien, toutes les instances du CNRS devront valoriser les travaux ambitieux plutôt que la productivité à court terme. Le suivi qualitatif et la reconnaissance de ce travail incombe directement aux pairs. C’est pourquoi j’invoquerai l’article L114-3-1 du Code de la Recherche et notifierai au Haut-Commissariat à l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (Hcéres) ma volonté de confier cette tâche au Comité National de la Recherche Scientifique (CoNRS), accompagné le cas échéant du Conseil National des Universités (CNU).
  • Le CNRS a une responsabilité d’animation de la recherche scientifique sur tout le territoire, en liaison avec les universités. La politique de pilotage inégalitaire consistant à utiliser le Centre comme un simple pourvoyeur de ressources stratégiques additionnelles au service d’une poignée d’universités d’excellence menace la raison d’être du CNRS en tant qu’établissement et constitue un non-sens géographique. L’allocation des moyens et les partenariats universitaires incluront la prise en compte d’un maillage scientifique, afin de garantir une forme de continuité territoriale dans la représentation des thématiques et des disciplines de recherche.
  • L’intégrité scientifique et la liberté académique ont un contenu positif en termes de responsabilité démocratique, environnementale et sociale. Le CNRS incarne une recherche au service de l’intérêt général et des principes organisateurs d’une démocratie. Les collaborations institutionnelles du CNRS seront donc réexaminées à l’aune de cette mission. Par exemple, le CNRS dénoncera immédiatement son nouveau « partenariat » avec l’Institut Sapiens. Cette organisation, en assimilant abusivement l’investigation rationnelle à la recherche du profit, en s’engageant systématiquement pour la destruction des services publics d’intérêt général, en cultivant un rapport a-critique et anti-déontologique à la science et à la technique et en promouvant un « transhumanisme » à forts relents eugénistes, bafoue les principes mêmes qui doivent régir l’action du CNRS et que je souhaite réaffirmer par ma candidature.

Recrutements

  • L’emploi pérenne est la condition de l’indépendance et de l’originalité, ainsi que de la conservation du savoir-faire professionnel. Sous ma présidence, le CNRS s’engagera en faveur d’une augmentation des recrutements pérennes dans les corps de recherche et de soutien (techniciens et ingénieurs).
  • La présidence du CNRS a aussi pour rôle de défendre et de représenter les agentes et agents de la recherche scientifique auprès de Bercy et du MESRI. Aujourd’hui, c’est trop souvent le contraire qui est le cas. Pour ma part, j’entends revenir à ce principe de représentation de la communauté scientifique auprès des instances ministérielles.
  • Les recrutements s’effectuent sur la base de la production savante et des idées. Je diminuerai donc le recours au fléchage des postes dans les campagnes d’emploi.
  • Les classements réalisés par les comités composés de pairs élus font loi. Ces dernières années, la communauté scientifique s’est émue à plusieurs reprises de leur retournement par la bureaucratie dirigeante et leur transformation en une simple liste de noms où les instances de « pilotage » viendraient piocher. Pour ma part, je m’engage à respecter ces classements et à rappeler leur intangibilité aux jurys d’admission. La composition de ceux-ci sera systématiquement soumise à l’approbation du CoNRS, à qui j’accorderai également un droit de contrôle sur les nominations à la tête des instituts du CNRS.

Vie des laboratoires et intégrité

  • Ces premières exigences sont liées à une conception intransigeante de nos métiers, fondée sur le modèle de chercheurs et chercheuses qui cherchent, au lieu de promouvoir la figure du Principal Investigator qui manage des « petites mains » en étant rarement à la paillasse ou sur le terrain. Sous ma présidence, le CNRS réaffirmera les principes de collégialité des pratiques scientifiques et d’égalité dans les relations entre pairs.
  • Le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) a relevé une « défaillance » du gouvernement en matière de prévention des inégalités entre femmes et hommes dans le milieu de la recherche à l’occasion du débat sur la Loi de programmation pour la recherche (LPR). En lien avec le CoNRS et avec la Conférence des Présidents du Comité National (CPCN), je me rapprocherai du HCE pour élaborer des réponses institutionnelles satisfaisantes à cette situation. Pour ce faire, j’entends m’appuyer sur l’expérience accumulée par la Conférence Permanente des chargé·es de mission égalité et diversité des établissements d’enseignement supérieur (CPED).
  • Si elle se cantonne à un registre punitif, la défense de l’intégrité scientifique sera toujours suspecte d’iniquité. L’augmentation des cas avérés de mauvaises pratiques laisse penser que les évolutions récentes les favorisent. Leur traitement cavalier ces dernières années suggère fortement que la direction actuelle du CNRS n’entend pas s’attaquer à leurs causes structurelles. En ce qui me concerne, c’est en amont que j’entends traiter cette question de l’intégrité scientifique, en promouvant une vigilance collective systématique qui ne peut s’exercer que sous la forme de l’analyse contradictoire et indépendante des publications par les pairs et la prééminence du travail collectif sur la notoriété individuelle.
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« La brise revendicatrice / Qui dit à la peste : va-t’en ! »

Le titre de ce billet est issu du poème de Verlaine intitulé « En septembre ».

Ce billet s’accompagne d’un communiqué de presse à consulter ici.

Conditions sanitaires de rentrée

Les conditions de rentrée à l’Université sont extrêmement préoccupantes. Seuls quelques établissements ont procédé aux investissements relativement minimes en matière de ventilation et de purification de l’air sans lesquelles la vaccination ne suffira pas à contenir une prochaine vague. Les présidences d’université et les autorités ministérielles, comme à leur habitude, se défaussent les unes sur les autres et font étalage de toute leur impéritie. Par leur seule faute, dès aujourd’hui, le risque d’une nouvelle fermeture de l’Université est sur la table. Nous sommes de tout cœur avec les collègues et les étudiants, et saluons leur courage face à cette situation.

Consultation programmatique

Les statistiques des résultats de la consultation programmatique ont été mises à jour le 31 août. La distribution des voix change peu par rapport aux premiers résultats, début juillet. Près de 1 000 votants ont déjà participé au sondage. Et vous ?

Politique d’excellence

De passage dans l’émission de BFM Business baptisée « 60 Minutes Business », la ministre, Mme Vidal a illustré les conséquences de la politique d’excellence qu’elle a menée :

« La France est une grande nation scientifique : parmi les 10 publications scientifiques les plus citées au monde pendant cette crise, 2 étaient françaises : grâce à France Relance et à la loi « recherche », nous permettons un réinvestissement massif dans la recherche. »

En réalité, les données bibliométriques de WebOfScience (Clarivate Analytics) ne recensent qu’une unique publication dans les 50 publications les plus citées sur SARS-CoV-2, si décriée pour ses méthodes, ses résultats et son déficit d’intégrité qu’elle a été citée près de 2 500 fois, lui accordant la 25ème place :

Gautret et al. Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: results of an open-label non-randomized clinical trial. Int J Antimicrob Agents. 2020.

Présidence du CNRS

La présidence du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) est à pourvoir pour le 25 janvier prochain. L’appel à candidatures en vue de pourvoir la fonction de président du CNRS est disponible sur le Journal Officiel.

Le processus de désignation se caractérise une fois de plus par sa grande opacité et par la mise à l’écart de l’ensemble du jugement des pairs. Compte tenu de la place centrale du CNRS dans la recherche française, y compris à l’Université, cette nomination concerne toute la communauté académique. Le président-directeur général en place, M. Petit, a déjà fait acte de candidature pour un second mandat. Dans la foulée, il a entamé une campagne auprès des scientifiques du CNRS via les listes mails de l’organisme, pour tenter de retrouver un semblant de crédibilité deux ans après avoir été récusé par 15 000 scientifiques pour son apologie de l’inégalité et du darwinisme social dans la recherche. De fait, la procédure officielle ne suffira en aucune manière à légitimer la prochaine présidence du CNRS aux yeux de la communauté académique. Cette sélection en catimini est dans le droit fil de la stratégie d’élimination politique des instances délibératives du CNRS poursuivie depuis des années par des présidences interchangeables, comme dans tous les organismes scientifiques et toutes les universités.

Dans ces conditions, réaffirmer le contrôle des pairs sur les politiques scientifiques et rétablir les conditions de l’intégrité passe par une intervention collective dans le processus de désignation.

Au vu des attaques systématiques contre les instances représentant la communauté académique au sein du CNRS sous la mandature de M. Petit, il est de la responsabilité des membres de celle-ci de se montrer à la hauteur du mandat qui leur a été donné. Nous encourageons les membres du Comité National (CoNRS) et en particulier de sa Conférence des Présidents (CPCN) à construire une candidature d’opposition au moins-disant scientifique défendu par M. Petit ou tout autre candidature de remplacement en trompe-l’oeil que le ministère ou la présidence de la République voudraient susciter. De ce point de vue, il est également important d’appuyer ces instances en participant aux élections partielles prévues pour cet automne pour toutes celles et tous ceux qui en ont statutairement le droit.

Mais il est aussi indispensable, dans les mois et les années à venir, de répéter inlassablement que la science n’existe qu’à la condition de la liberté et de l’égalité des pairs : nous sommes la science, et nous ne reconnaissons pas de légitimité à une présidence cooptée dans des comités secrets. De ce point de vue, la situation évoque évidemment le précédent du Hcéres l’an dernier. Un sondage sur Twitter en forme de ballon d’essai a permis de réunir en l’espace de trois jours 761 réponses indiquant une approbation à 93% d’une candidature collégiale promue par RogueESR.

Les dossiers doivent parvenir au ministère pour le premier octobre. Nous vous enverrons le 20 septembre un kit de candidature comprenant une déclaration d’intention programmatique. D’ici là, nous vous invitons à vérifier que vous disposez d’un CV détaillé et d’un document quelconque attestant de votre lien professionnel avec le monde de la recherche, qui sont les deux autres pièces demandées. Soulignons qu’il n’est pas indispensable d’être directement employé par le CNRS pour présenter sa candidature. Compte tenu du poids institutionnel du CNRS, les universitaires et les scientifiques d’autres organismes sont légitimes à intervenir dans le processus de désignation.

Voici les lignes de force qui nous semblent devoir être réaffirmées par cette candidature :

Missions du CNRS

  • La liberté de recherche et son inscription dans la durée ne sont pas négociables. Cela demande de valoriser des travaux ambitieux plutôt que productifs à court terme.
  • Le CNRS a une responsabilité d’animation de la recherche scientifique sur tout le territoire, en liaison avec les universités. La politique de pilotage inégalitaire consistant à utiliser le Centre comme un simple pourvoyeur de ressources stratégiques additionnelles au service d’une poignée d’universités d’excellence menace la raison d’être du CNRS en tant qu’établissement et constitue un non-sens géographique. L’allocation des moyens et les partenariats universitaires doivent donc inclure une dimension de péréquation territoriale.
  • Pour nous, l’intégrité scientifique et la liberté académique ont un contenu positif en termes de responsabilité démocratique, environnementale et sociale. Le CNRS doit promouvoir une recherche au service de l’intérêt général et des principes organisateurs d’une démocratie. Cela signifie que le CNRS doit immédiatement renoncer à son nouveau « partenariat » avec l’Institut Sapiens, une officine politique défendant un « transhumanisme » à forts relents eugénistes.

Recrutements

  • L’emploi pérenne est la condition de l’indépendance et de l’originalité, ainsi que de la conservation du savoir-faire professionnel. Le CNRS doit s’engager en faveur d’une augmentation des recrutements pérennes dans les corps de recherche et de soutien (techniciens et ingénieurs).
  • La présidence du CNRS doit donc défendre et représenter les agentes et agents de la recherche scientifique auprès de Bercy et du MESRI, et non le contraire comme cela est aujourd’hui le cas.
  • Les recrutements doivent s’effectuer sur la base de la production savante et des idées, ce qui impose de diminuer le recours au fléchage des postes dans les campagnes d’emploi.
  • Les classements réalisés par les comités composés de pairs élus doivent être respectés : on ne peut accepter ni leur retournement par la bureaucratie dirigeante, ni leur transformation en en un simple pool de noms où les instances de « pilotage » viendraient piocher.

Vie des laboratoires et normes d’intégrité

  • Ces premières exigences sont liées à une conception de ce que doivent être nos métiers. Il est important de revenir au modèle de chercheurs et chercheuses qui cherchent, au lieu de promouvoir la figure du Principal Investigator qui manage des « petites mains » sans jamais être à la paillasse ni sur le terrain.
  • Le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) a relevé une « défaillance » du gouvernement en matière de prévention des inégalités entre femmes et hommes dans le milieu de la recherche à l’occasion du débat sur la LPR. La prochaine présidence du CNRS, en lien avec le CoNRS et la CPCN, doit se rapprocher du HCE pour élaborer des réponses institutionnelles satisfaisantes au vu de ce déficit. Pour ce faire, le CNRS doit pouvoir s’appuyer sur la Conférence Permanente des chargé·es de mission égalité et diversité des établissements d’enseignement supérieur.
  • L’intégrité scientifique doit redevenir l’enjeu d’une vigilance collective exercée en amont, plutôt que de rester cantonnée à un registre punitif et toujours suspect d’inéquité. Le mandat du président actuel, qui a été entaché par l’étouffement de plusieurs scandales d’intégrité, illustre suffisamment la contradiction déontologique structurelle que les évolutions récentes favorisent.
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Résultats de la consultation programmatique pour 2022

Nous sommes en mesure de présenter une première image des résultats de votes sur la plateforme de propositions. Vous êtes plus de 700 à avoir donné votre avis, et nous vous en remercions. Vous trouverez les résultats du vote question par question ici.

Si la fatigue ou le manque de temps ne vous ont pas permis de participer, il est toujours possible, pendant l’été, de donner son approbation à une ou plusieurs propositions en continuant à voter.

Aucune proposition n’a été majoritairement rejetée, si bien que c’est toute la plateforme qui sera portée à la connaissance des candidates et des candidats à l’élection présidentielle. Toutefois, un coup d’œil rapide aux propositions ayant reçu un assentiment marqué avec une moyenne supérieure ou égale à 4, permet de dégager quelques lignes de force. Celles-ci se caractérisent par leur grande continuité avec les initiatives portées par des milliers de scientifiques pour réinstituer l’Université et la recherche depuis la candidature collective à la présidence du Hcéres en janvier 2020.

C’est d’abord l’exigence d’une autonomie académique effective qui se dégage, et qui passe par une garantie juridique de la liberté universitaire et scientifique (proposition A1), redoublée par des mesures permettant de libérer la recherche de l’influence des bailleurs de fonds privé (A4). Sans surprise, ce souci de ne pas mélanger les genres et de défendre un financement désintéressé et transparent se retrouve dans l’exigence d’un remplacement du Crédit d’Impôts Recherche par un dispositif d’aide aux PME (I44).

Cette conception pratique et positive de la liberté académique conduit logiquement à exiger une refonte du système de financement conforme aux valeurs d’autonomie et de qualité de la science. De ce fait, on observe un soutien massif au principe d’une dotation budgétaire récurrente par individu d’un montant moyen d’au moins 15 000 € modulé selon les disciplines, avec création d’une banque de moyens permettant les coopérations sur des grands projets (C9). Mais les conditions matérielles de la liberté impliquent des statuts protecteurs permettant de travailler en toute indépendance et sur un temps long, tant pour les métiers de recherche et d’enseignement que pour les métiers d’appui ; les universitaires et chercheurs, en particulier, doivent être titulaires de leurs postes, recrutés par des commissions nationales et rémunérés selon des grilles déchiffrables et resserrées (D13, D14, D15, D16). Enfin, les votants ont manifesté leur attachement au principe d’autonomie collégiale effective en plébiscitant toutes les mesures visant à démanteler les « instances de pilotages »  et autres bureaucraties normatives nationales (Hcéres, agences de moyens : F26, F28, F29) mais aussi locales (instances de pilotage bureaucratique des établissements : F27). Plus généralement, il s’agit de rompre avec le paradigme de l’évaluation quantitative, ce qui implique également une reprise en main des pratiques de production et de diffusion des connaissances scientifiques, sous la forme des publications. Les votants demandent ainsi que les universités et établissements se retirent des classements internationaux (F32), tout en exprimant leur volonté de voir reconstruire un système éditorial libéré de la course à la quantité, géré par les pairs et favorisant l’accès ouvert et la dispute collégiale rendue publique (F33).

Nous vous souhaitons un été reposant et heureux, et nous vous retrouverons en septembre pour un approfondissement de cette plateforme programmatique, ainsi qu’un chiffrage des propositions phares.

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Épuisement et répétition

Pour clore cette année, un court billet d’humeur et un rappel de ces deux initiatives en cours.

Réinstituer l’Université et la recherche

Jusqu’au 4 juillet, à minuit, vous pouvez soutenir les mesures prioritaires pour l’Université et la recherche auxquelles vous adhérez. Vous pouvez prendre connaissance des propositions ici, avant de vous rendre sur l’outil de vote.

Investir et mettre en œuvre, pendant l’été, afin de pouvoir rouvrir l’Université malgré le variant Delta

La tribune-pétition parue dans Le Monde vient de passer les 2 500 signataires. Nous pouvons en communiquer le lien à nos étudiantes et nos étudiants: https://rogueesr.fr/pour-de-bon/


Bien plus que celui d’hiver, le solstice d’été rythme le temps universitaire, annonçant un mois de temps non contraint, libéré du flux ordinaire de sollicitations, propice à la pensée. Pourtant, cette fois, nous sommes épuisés. Le corps social dans son entier sort exténué de l’épreuve. Chaque journée apporte, dans l’hébétude, confirmation de ce que l’on tenait pour vrai, hier déjà. Vague de chaleur record et sécheresse en Amérique du Nord. Crise climatique. Processus électoral tournant à vide, le parti de la « majorité présidentielle » ayant l’adhésion de 3% de l’électorat. Crise démocratique. Le variant Delta poursuit sa flambée mondiale et n’a pas été endigué à temps en France. Crise sanitaire. Suppression de systèmes de solidarité nationale corrigeant (trop) partiellement les inégalités programmées. Crise sociale.

Chacun le sait, tirer les leçons de ces crises et ouvrir un débat démocratique est devenu vital. Il est plus que temps de nous doter d’un système sanitaire composite, doté des moyens humains, faisant arsenal. Cela fait 18 mois que nous savons la nécessité absolue d’équipes sanitaires de proximité, en charge de la prévention, de l’éducation sanitaire, de l’aide à l’isolement, des tests. 130 000 morts plus tard (et combien de Covid longs ?), nous regardons déjà monter la vague suivante.

L’imaginaire politique semble être clos sur ce qui a construit patiemment l’ensemble de ces crises. Ainsi, M. Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale, n’a d’autre idée après 18 mois de désastre éducatif que de créer du marché et de supprimer quelques entraves à la prédestination sociale : différencier les offres de formation, autonomiser les « acteurs du marché » par le contrôle incitatif, bureaucratiser la direction des établissements par le management. Vide de sens, impuissance organisée de l’action publique et médiocrité.

Afin de sortir de l’anomie et retrouver prise, nous avons posé le double principe d’autonomie et de responsabilité pour nous reconstruire. Et c’est bien ce principe nébuleux encore, de responsabilité du monde académique devant la société, qui se charge graduellement de sens devant cet entrelacs de crises.

Que vous soyez à vos travaux ou l’esprit rêvant de vacances salutaires, nous vous souhaitons d’ores et déjà un été plein de joie, de désir et de vie. Nous devons aborder la période qui s’ouvre sans crainte de voir hésiter les printemps.

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Cinquante mesures pour réinstituer l’Université et la recherche

Rouvrir l’Université, pour de bon !

La lettre à destination de l’exécutif appelant à un investissement permettant une réouverture complète de l’Université en septembre, quelle que soit la situation épidémique, a été publiée par Le Monde sous forme de tribune.

2823 étudiants, universitaires et personnels des universités ont signé cette lettre à cette heure. Nous vous invitons à en prendre connaissance ci-dessous et à la diffuser largement, en particulier aux étudiantes et aux étudiants. Vous pouvez la signer ici.

La lettre est accompagnée d’une annexe technique dotée d’une bibliographie éclairant la situation épidémique.

Cinquante mesures pour réinstituer l’Université et la recherche

L’outil de vote en vue de déterminer les mesures prioritaires pour l’Université et la recherche est disponible. Le vote est ouvert dès maintenant et jusqu’au 4 juillet à minuit. Nous avons procédé à un travail de synthèse et d’harmonisation des propositions reçues afin de garantir la viabilité de la plateforme programmatique qui émergera de vos suffrages, quel que soit le résultat du vote.

Vous pouvez prendre connaissance des 50 propositions ici, puis vous rendre sur la page de vote.

Nous vous invitons, sous chaque proposition, à placer le curseur à votre convenance entre zéro (vous refusez la proposition), un (indifférence ) et cinq (vous adhérez totalement à la proposition). Vous pouvez accorder la note maximale comme la note minimale à autant de propositions que vous le souhaitez. L’enjeu n’est pas tant de hiérarchiser les propositions que de marquer un soutien : chaque proposition est comme une pétition, et chaque appui compte.

Les propositions sont divisées par grands items, ce qui peut vous permettre de voter en plusieurs fois. Nous vous demandons, en revanche, de bien vouloir ne voter qu’une seule fois pas proposition, et nous vous conseillons de respecter l’ordre des sections pour ne pas oublier un item.

RogueESR n’a aucune attache partisane : les propositions seront soumises à l’appréciation de tous les candidats à la présidentielle dont le programme et les valeurs sont conformes à l’idée démocratique.


Rouvrons l’Université, pour de bon !

« Nous sommes au bout du rouleau. » Tel est le diagnostic partagé par les étudiants, les enseignants et les personnels qui assurent le bon fonctionnement de l’Université. Les enquêtes menées auprès des étudiants ne laissent aucun doute : les conséquences de trois semestres de fermeture physique de l’Université et de l’enseignement à distance sont désastreux. À Paris-Saclay, une enquête menée auprès de 1 000 étudiants a montré que 20 % des répondants seulement qualifient leur état psychologique de « bon » à « très bon » ; 40 % le qualifient de mauvais, voire très mauvais, et attribuent leur état à la situation sanitaire en général (70 %) ainsi qu’aux difficultés d’apprentissage liées aux cours à distance (60 %). À Bordeaux-Montaigne, deux tiers des 4 700 étudiants ayant répondu à une enquête disent avoir rencontré de sérieuses difficultés : la moitié des répondants a songé à abandonner son cursus au premier semestre. Partout en France, les réponses de dizaines de milliers d’étudiants ont révélé de profondes difficultés matérielles et morales, provoquées ou aggravées par le confinement. Malgré les moyens informatiques mis à la disposition des étudiants, malgré les efforts des enseignants pour rendre attractifs leurs cours en ligne, malgré les formations à l’enseignement à distance proposées dans la plupart des universités, il faut se rendre à l’évidence : l’enseignement en distanciel est un enseignement profondément dégradé. Après trois semestres de cours à distance ou en mode hybride, les étudiantes et les étudiants sont épuisés et les universitaires au bord du burn-out, comme le signalait déjà Le Monde en février dernier [1]. Les témoignages personnels des étudiants révèlent un fort besoin d’écoute et de prise en compte de leur précarisation matérielle et psychologique par l’institution universitaire.

Il n’est pas envisageable de subir une année supplémentaire en mode dégradé.

Maintenir l’Université ouverte est pourtant chose facile, à la condition d’accepter le consensus scientifique sur la transmission aéroportée de SARS-CoV-2. En prenant des mesures pour limiter les risques de contamination par voie aérienne, les fermetures des locaux universitaires qui ont rythmé l’année universitaire étaient évitables, et ce n’est pas un constat a posteriori. Le milieu scientifique a alerté dès septembre 2020, et proposé des solutions chiffrées pour maintenir un enseignement de qualité, en maîtrisant les risques de contamination. Ces recommandations n’ont pas été entendues et la jeunesse étudiante comme les universitaires en ont fait les frais.

Nous le répétons : il n’est pas possible de subir une année supplémentaire en mode dégradé.

Aujourd’hui, l’existence de vaccins change la donne par rapport à la rentrée précédente. Nous demandons un plan détaillé de vaccination des étudiantes et des étudiants, pour pouvoir assurer dès septembre des enseignements de qualité qui s’appuient sur l’expérience sensible et sur l’interaction, sans médiation par des écrans. Néanmoins nous pouvons d’ores et déjà anticiper que la vaccination ne suffira pas : le variant Delta — aujourd’hui une centaine de nouveaux cas par jour — est 2,5 fois plus transmissible que la souche sauvage. Avec une couverture vaccinale de 60 %, nous serions à la rentrée 2021 globalement dans la même situation vis-à-vis des risques d’une nouvelle flambée épidémique qu’à la rentrée 2020. Par ailleurs, nous devons nous préparer à la possibilité d’un variant disposant d’un échappement immunitaire important, tant qu’il existera un réservoir épidémique humain sur la planète. Il faudrait alors de longs mois pour mettre à jour les vaccins ARNm et reprendre la campagne vaccinale en commençant par les plus fragiles. Si cela devait advenir, ou que surgisse une toute autre épidémie, il serait indispensable de garder l’Université ouverte. Notre société doit consentir dès maintenant aux investissements permettant de réduire le risque de transmission épidémique. 

Le SARS-CoV-2 est mondialement reconnu depuis juin 2020 comme un virus aéroporté, se propageant par l’intermédiaire de très fines gouttelettes émises dans l’air expiré par une personne infectée, et pouvant rester en suspension dans l’air pendant plusieurs heures en conservant leur pouvoir infectieux. Si elles ne sont pas évacuées, ces gouttelettes transmettent efficacement le SARS-CoV-2 lorsqu’elles sont inhalées. Ainsi, la réduction du risque de transmission épidémique repose sur l’investissement dans une ventilation fonctionnelle des espaces clos recevant du public, en mettant en œuvre les techniques les plus innovantes. La mesure du risque de contamination à l’aide de capteurs de CO2 est une solution simple et peu coûteuse pour vérifier la bonne ventilation d’une pièce. Fournir au personnel et aux étudiants des masques de qualité permet de réduire le risque d’un facteur 10 à 50. L’exécutif doit consentir à ces investissements modestes au regard du coût social et économique de la syndémie, aisément mis en œuvre, et qui seront amortis sur le long terme puisqu’ils contribueront à assurer une meilleure qualité de l’air ambiant : moins de pathogènes dans l’air, moins de maladies respiratoires.

La qualité de l’air à l’intérieur des bâtiments doit désormais être considérée comme un bien commun, à l’instar de la qualité de l’eau comme de l’Université elle-même. Cette nouvelle approche implique un investissement dans la sécurisation sanitaire des établissements pour retrouver un enseignement de qualité où les outils numériques ne se substituent plus à la pédagogie. Après avoir subi trois semestres d’enseignement en mode dégradé, nous en appelons à l’exécutif pour que cette alternative à la fermeture des locaux universitaires, raisonnée, fondée en science, soit financée et mise en œuvre pendant l’été, pour prévenir un possible regain épidémique à l’automne.

Ne sacrifions pas l’avenir de notre société.


[1] Le Nevé, S. Universités : enseignants au bord du burn-out. Le Monde, 5 février 2021.

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Éternel retour

Nous avons reçu une cinquantaine de contributions potentielles à la plateforme de ré-institution de l’Université et du système de recherche. Le travail d’organisation des idées et de fusion des propositions semblables est en cours.

Dans ce billet, nous évoquons quelques points que l’on n’ose qualifier « d’actualité » tant ils traduisent la lancinante répétition du même, année après année. Il en va ainsi des dysfonctionnements chroniques du très chronophage Parcoursup, qui donnent lieu aux éléments de langage habituels de Mme Vidal sur « le tirage au sort ». Chacun sait que cette machine à décourager les bacheliers, aux effluves de loi Devaquet [1], n’est destinée qu’à gérer sans investissement public l’afflux massif d’étudiants nés pendant le baby boom de l’an 2000. Sortir l’Université et le système de recherche français de ce long purgatoire suppose de montrer que des alternatives réalistes existent, et qu’elles sont autrement plus porteuses d’avenir que les réformes nocives des deux dernières décennies.

Crédit d’impôt recherche

Il y a des événements qui produisent des électrochocs au sein de la haute fonction publique. Ainsi, l’apparition du classement de Shanghaï avait conduit les hauts fonctionnaires ENA-IGF et X-Mines à réaliser que les établissements où ils avaient reçu leur formation étaient « invisibles » internationalement, tout comme l’était HEC et toutes les autres grandes écoles. Cette année, ils ont pris conscience que la France était le seul pays du conseil de sécurité de l’ONU ayant été incapable de produire un vaccin contre le virus SARS-CoV-2 [2]. Un nouveau rapport de France Stratégie sur le crédit d’impôt recherche (CIR) [3] vient éclairer l’échec de la recherche finalisée : cette niche fiscale de 6,8 milliards € est inefficace pour générer une activité de recherche et développement en France. Elle a même un effet de levier légèrement négatif. Du reste, la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) n’a cessé de décroitre pendant que le volume budgétaire du crédit d’impôt recherche augmentait. Alors pourquoi ce dispositif qui grève le budget de l’État est-il maintenu ? Parce qu’il n’a jamais été conçu pour aider la recherche. Il s’agit purement et simplement d’un contournement des règlements européens sur les aides directes aux entreprises. Aussi, les conclusions du rapport sont-elles identiques à celles du rapport précédent [4] : le dispositif est inopérant et ne permet pas de reconstituer un appareil industriel qui réponde aux besoins de notre société ; mais il ne peut être abandonné sans déplaire aux investisseurs.

Nous pensons au contraire qu’il est temps d’en finir avec le déficit de rationalité des politiques qui ont conduit en vingt ans au décrochage scientifique de notre société.

Rentrée et SARS-CoV-2

Cela fait un an que la transmission aéroportée de SARS-CoV-2 fait l’objet d’un consensus scientifique — c’est le seul mode de contamination dans les espaces clos recevant du public, où le port du masque obligatoire élimine les autres voies de contamination (manuportée et grosses gouttelettes). Cela fait un an que l’on connaît les techniques de réduction du risque de la contamination aéroportée, à commencer par la révision des systèmes de ventilation. Cela fait un an que l’on sait qu’un investissement modeste aurait permis de conserver l’Université ouverte. La dernière vidéo du séminaire Politique des sciences fait le point sur ce sujet.

Nous avons obtenu un court entretien avec une conseillère de l’Élysée et avec un conseiller du ministère de la Santé — le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche refuse toujours tout dialogue. Le discours tenu sur l’année universitaire prochaine est en tout point semblable à celui de l’an passé, qui promettait une année « en présentiel ». L’exécutif table sur une situation sanitaire stabilisée, en particulier grâce à la vaccination. Or, selon toute probabilité, le variant Delta dit « indien » (B.1.671.2), entre 2 et 2,5 fois plus transmissible que la souche sauvage, Wuhan-1, qui prévalait en septembre dernier sera, comme en Angleterre, majoritaire en septembre prochain. Si 50 à 60% de la population était vaccinée (deux doses plus 15 jours) à la rentrée nous serions donc… dans une situation épidémique comparable à l’an dernier.

La seule note positive de l’entretien est l’idée, étudiée par l’exécutif, de mobiliser les étudiants de médecine pour vacciner les autres étudiants. Pour le reste, nous avons été stupéfaits du déni de transmission du SARS-CoV-2 par voie d’aérosol [détail en note 5] avec la conséquence suivante : l’exécutif n’est prêt à consentir aucun investissement dans la sécurisation sanitaire vis-à-vis de la transmission aéroportée. Du reste, la Conférence des Présidents d’Université, dans ses préconisations pour la rentrée, ignore elle aussi la nécessité d’investir dans la qualité de l’air pour prévenir épidémies et maladies respiratoires. Ce travail de rénovation de la ventilation des bâtiments universitaires présente pourtant un intérêt pérenne, plus large que la résolution de la pandémie actuelle.

Référé de la Cour des comptes sur le Hcéres

La Cour des comptes a montré, dans un référé adressé au Premier ministre Jean Castex, rendu public vendredi 4 juin 2021, que le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) est une entité de contrôle bureaucratique de l’activité académique qui engloutit une quantité invraisemblable d’argent public — l’équivalent de 300 postes permanents. On regrette que la Cour des comptes n’ait pas souhaité calculer le coût consolidé de cette institution. La chronophagie de l’évaluation managériale, sa prétention à un pilotage hétéronome de la production savante, son absence d’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique posent la question de l’utilité de cette agence dans l’écosystème de l’enseignement supérieur et de la recherche. Comme dans l’ensemble de ses rapports, la Cour des comptes préconise de pousser le curseur de la logique qui a conduit au décrochage scientifique de notre pays : concentrer les moyens sur un petit nombre de chercheurs, procéder à une notation et faire payer aux établissements leur évaluation bureaucratique.

Constatant l’effet négatif du Hcéres sur la qualité de la science française, nous pensons que l’évaluation doit être repensée sur de toutes autres bases.

Saisine des commissions du Parlement pour le contrôle des nominations au Hcéres

L’Assemblée des directions de laboratoires (ADL) a écrit, le 5 juin 2021, aux parlementaires des commissions culture et éducation de l’Assemblée nationale et du Sénat pour leur demander d’exercer leurs prérogatives de contrôle constitutionnel et d’investigation sur le Hcéres à propos de plusieurs nominations qui posent problème. À titre d’exemple, le renouvellement pour un « second » mandat du directeur du département d’évaluation de la recherche (en poste depuis 2011 à l’Aéres puis au Hcéres dans des fonctions identiques), s’est effectué dans des conditions qui semblent incompatibles avec les dispositions de la loi qui limitent à deux mandats de quatre ans la durée maximale à la tête d’un département.


[1] Projet de loi Devaquet

[2] « After vaccine failures, France laments biomedical decline », Science Magazine, 23 avril 2021.

[3] Évaluation du Crédit d’impôt recherche — Rapport CNEPI 2021.

[4] L’impact du crédit d’impôt recherche.

[5] Le consensus scientifique a été qualifié d’« opinion de théoriciens » et rejeté à partir d’un unique argument. Le « bon sens du praticien au chevet du malade » lui permet de constater le faible nombre d’infections nosocomiales dans des hôpitaux où le masque chirurgical est majoritaire, et non le masque FFP2. Le masque chirurgical n’étant pas le masque recommandé contre des virus aéroportés, il s’ensuit que la contamination par voie d’aérosol est très exagérée. Cette « démonstration » nous a été infligée immédiatement après que nous avons rappelé :

  • que la cinétique du virus conduit à une baisse exponentielle de la charge virale de sorte que les patients hospitalisés sont peu infectieux ;
  • qu’il n’y avait aucune logique à fermer des espaces publics où le masque est obligatoire si l’on ne croit pas à la transmission aéroportée puisque tous les types de masques, même mal portés arrêtent les gouttelettes balistiques émises en parlant, en toussant, en éternuant.

L’unique référence mobilisée par les conseillers a été le professeur Pittet, à l’origine de l’argument ci-dessus « Aux HUG, nous n’avons pris aucune précaution contre une éventuelle transmission par aérosol (…). S’il y avait une forte transmission par aérosol, le virus se serait promené dans l’institution, nous aurions un grand nombre de contaminations nosocomiales, notamment chez le personnel. »

« Un demi millier de personnes ont peut-être attrapé le covid à l’hôpital », Tribune de Genève.

Le professeur Pittet est président de la mission d’évaluation sur la gestion de la crise du Coronavirus en France et a attiré l’attention médiatique par son déni des preuves difficilement réfutables de la transmission aéroportée.

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La dose de vérité que l’être humain est prêt à supporter

« La dose de vérité que l’être humain est prêt à supporter est probablement beaucoup plus réduite qu’on n’aimerait le croire. Mais cela ne peut pas constituer un argument en faveur de l’erreur et de l’illusion. »

Jacques Bouveresse, à propos de Georg Christoph Lichtenberg, dans Le Philosophe et le Réel

 

La nouvelle de la mort de Jacques Bouveresse nous est parvenue quelques heures après l’envoi de notre dernière lettre d’information. L’intégrité de Bouveresse, son exigence intellectuelle et son refus des honneurs individuels contribuaient à faire de lui un modèle de droiture scientifique. Son rationalisme n’était jamais dénué de lucidité historique et d’une pratique critique. Nous souhaitons également saluer son souci exemplaire de maintenir le fil d’un dialogue rigoureux entre les sciences de la nature et les disciplines du sens, et son attachement à la dimension publique et politique de la recherche de la vérité. L’œuvre de Bouveresse s’est largement construite par le dialogue avec les traditions rationalistes germanophones. Helmholtz, mentionné dans la note ci-dessous, était une référence importante dans ses travaux de ces vingt dernières années. Qu’il nous soit donc permis de dédier cette note à sa mémoire.

Deux rappels auparavant :

1. Webinaire sur la réduction de risque de transmission par voie d’aérosol ce lundi 17 mai 2021 de 17h30 à 19h, sur la chaîne du séminaire Politique des sciences.

Vaut-il mieux enseigner dans le grand volume d’un amphithéâtre ou dans de petites salles, par petits groupes ? À quoi sert d’équiper les salles de cours d’un capteur de CO2 ? Tous les masques se valent-ils pour prévenir la transmission et peut-on les réutiliser ? Les cantines universitaires sont-elles aussi sûres qu’une salle de classe ? Comment peut-on les sécuriser ? Faut-il ouvrir les fenêtres lorsqu’une salle est équipée d’une VMC ? Les purificateurs d’air ont-ils une utilité ? Comment utiliser les tests de manière optimale ? À quelles conditions pourrons-nous ouvrir, enfin, l’Université en septembre ?

2. Nous continuons à recevoir vos propositions pour la plateforme transpartisane de refondation de la recherche et de l’Université et nous vous en remercions. Vous avez jusqu’au 24 mai pour nous les adresser.

L’Université allemande et la nôtre

Pourquoi revenir sur le cas allemand ?

Les politiques de destruction de l’université française depuis vingt ans se prévalent régulièrement d’une inspiration allemande : l’exemple le plus criant en est l’Initiative d’Excellence (IDEX), adaptée d’un système d’appels à projets mis en place en Allemagne en 2005 et qui portait le même nom. L’introduction de frais d’inscription différenciés pour les étudiants extra-européens a parfois été justifiée par l’existence d’un précédent dans le sud-ouest de l’Allemagne, sans s’appesantir sur le bilan désastreux de cette réforme locale. Le budget considérable de la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG) sert également de miroir aux alouettes pour promouvoir une augmentation du budget de son équivalent français, l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au détriment des crédits récurrents. Comme souvent lorsqu’un modèle étranger est brandi, le cas allemand est utilisé pour justifier des réformes en misant sur le caractère parcellaire, voire lacunaire, des informations dont disposent les destinataires de ce discours.

Au printemps dernier, un collectif de scientifiques et d’universitaires partageant l’expérience des deux pays mettait justement en garde contre ce « modèle allemand » de la Loi de programmation de la recherche (LPR), en soulignant que l’Université allemande est un lieu de précarité généralisée, de bureaucratie managériale violente et de grande souffrance pour beaucoup d’universitaires. L’Université allemande est restée un haut lieu du mandarinat traditionnel. Ainsi, les facultés n’y sont pas structurée en départements mais en grands instituts qui sont à leur tour organisées en « chaires » tenues par des professeurs inamovibles exerçant le plus souvent un pouvoir discrétionnaire sur leurs « assistants », tandis que des cohortes de Privatdozenten sont payés à la tâche dans une position de vacataires à durée illimitée. Les quelques statuts protecteurs à destination des docteurs en début ou milieu de carrière, le Mittelbau, ont été peu à peu vidés de leur substance suite à un tournant néomanagérial observé depuis vingt ans, qui démultiplie les effets de cette structuration historique autoritaire et individualisée. 92% des universitaires allemands sont aujourd’hui contractuels ou payés à la tâche. Au sein du Mittelbau, les femmes sont les plus touchées par cette précarité et paient en moyenne le plus lourd tribut tant dans leur vie personnelle que dans la progression de leurs carrières.

Les promoteurs des réformes autoritaires et bureaucratiques, pour leur part, mettent en avant l’existence d’un différentiel entre la France et l’Allemagne, selon deux critères : l’évolution quantitative récente de la production scientifique et la reconnaissance publique du travail scientifique des universités. Il est vrai que là où la bureaucratie française a échoué à l’aune de ses propres critères (ceux de la course au chiffre pour la part nationale dans le total mondial des publications et les classements internationaux abstraits), on ne peut sans doute pas en dire autant de l’Allemagne. Pour cette raison, si nous ne voulons pas accréditer l’idée que l’autoritarisme et la précarité permettent de satisfaire aux missions de l’Université, il nous semble nécessaire de compléter l’analyse de ce que nous ne voulons pas dans le modèle allemand en isolant ce qui, dans l’histoire et la géographie de ce modèle, lui permet de répondre aux besoins sociaux malgré ses dysfonctionnements avérés. Dès lors que l’écart de performance entre la France et l’Allemagne est réel, nous devons à notre communauté, et notamment aux précaires, de réfuter la thèse selon laquelle cette meilleure situation relative serait le résultat de l’Initiative d’Excellence, de la contractualisation des statuts et du budget important de la principale agence de financement de la recherche par projets. L’enjeu est de montrer que les conditions du relatif succès allemand ne sont pas réalisées en France et sont même antithétiques de l’agenda des bureaucraties réformatrices. En conséquence, leur propre projet d’acclimater l’Université allemande en France est voué à aggraver la crise que ces bureaucraties prétendent résoudre.

Université et recherche

Commençons par la différence la plus flagrante que rencontrent les scientifiques et universitaires des deux pays lorsqu’ils observent la situation du voisin : la place des universités comme opérateurs de recherche, et plus généralement les modalités de financement et d’organisation de la recherche scientifique. La recherche française repose beaucoup sur les grands organismes scientifiques (CNRS, Inserm, Inria, INRAE…) et sur le système des unités mixtes de recherche (UMR). Cela a pu accréditer l’idée que la recherche sérieuse ne se déroulait pas à l’Université. Les réformes en cours tendent à transformer ces organismes en agences de moyens travaillant en partenariat privilégié avec les « fleurons universitaires » qu’il s’agirait de constituer, ce qui revient à considérer que l’« excellence » reste exogène à l’Université et est associée aux grands organismes.

En Allemagne, la recherche fondamentale s’effectue historiquement à l’Université, y compris dans des domaines comme l’énergie nucléaire (le centre pionnier de Garching appartient à l’Université Technique de Munich). Les instituts publics de recherche extra-universitaires existent, et sont regroupés en grandes fédérations (essentiellement la Société Max Planck, la Société Fraunhofer, la Communauté Helmholtz et la Communauté Leibniz). Ces fédérations remplissaient au départ une fonction de coordination et de péréquation des moyens entre des instituts largement autonomes. Mais cette péréquation des moyens est probablement le domaine où la managérialisation de la recherche et le recours aux appels à projets ont laissé le plus de traces, avec une dépendance problématique aux financements de la DFG.

Il faut aussi noter que certaines Académies des sciences ont conservé un rôle actif de pilotage de la recherche extra-universitaire en exerçant la tutelle de laboratoires importants (Leopoldina, Académie de Berlin-Brandebourg notamment). Les autres académies des sciences viennent essentiellement seconder les universités locales en leur apportant des moyens matériels et institutionnels supplémentaires. Les instituts extra-universitaires sont en partie imbriqués dans la structure académique locale, leur direction étant par exemple liée à un poste de professeur dans la même ville. Cela signifie que la recherche extra-universitaire est à la fois plus autonome vis-à-vis des établissements d’enseignement supérieur qu’elle ne l’est dans l’esprit des réformateurs français, et moins séparée d’eux qu’elle ne l’a été dans les phases antérieures de la bureaucratie scientifique française.

La politique de financement sur projet se concrétise par le rôle important des centres de recherche collaborative (Sonderforschungsbereich, SFB), créés par un contrat quadriennal renouvelable deux fois (soit douze ans au total). Les SFB sont généralement adossés à une ou deux universités. Leur bilan scientifique est souvent impressionnant et sert à justifier la politique de contractualisation des moyens alloués. En réalité, leur force repose sur le fait qu’ils mettent à disposition des moyens considérables autour, non de « projets », mais de programmes de recherche de moyen terme, relativement ouverts, et liés à des coopérations interdisciplinaires portées par des chercheurs titulaires de leur poste, généralement des professeurs d’université. En d’autres termes, la force du système des SFB n’est pas leur caractère non-pérenne dans une logique de projets, mais au contraire leur dimension foncièrement collaborative et leur capacité à s’inscrire dans un horizon de douze ans. La contractualisation ne renforce pas les SFB : elle les fragilise. Un tel dispositif collaboratif serait donc compatible avec un système d’allocation des moyens fondé sur une dotation fixe par tête, avec une part modulable selon les coûts de fonctionnement propres à une discipline, à condition de doter les universités et organismes de recherche de lieux et de moyens dédiés à l’encadrement et à l’hébergement de ces programmes reposant sur la mise en réseau des scientifiques.

Structuration historique du paysage universitaire et résistance aux réformes

Le contraste saisissant entre les deux organisations institutionnelles s’enracine dans une histoire, qui explique également l’autre divergence majeure entre les deux pays : le caractère polycentrique de l’Université allemande. Après la césure de la Révolution, la réinstitution de l’Université française par Napoléon s’est faite sur le mode d’une administration publique centralisée à Paris, destinée à former la partie de l’élite nationale extérieure au système des grands corps. Ceux-ci sont issus d’écoles situées hors de l’Université, d’abord publiques (Polytechnique, Centrale, ENS) puis privées (première incarnation de Sciences Po, écoles de commerce, certaines écoles d’ingénieurs). La distinction entre ces deux pôles tend à s’amenuiser au fil du temps. Dans les milieux économiques et administratifs français, l’Université est considérée à bien des égards comme un « reliquat », défini négativement par rapport aux grandes écoles, dont la production scientifique brille généralement par son indigence et dont la formation est historiquement séparée de la recherche.

Dans les pays germanophones, la réorganisation de l’Université à partir de 1809, à partir des plans de Wilhelm von Humboldt pour la nouvelle université de Berlin, se fait sans extérioriser la formation des ingénieurs ni celle de la haute administration. Aujourd’hui encore, celle-ci reste massivement issue des départements de droit public des universités. Les institutions de sélection des bacheliers « méritants » et de prise en charge matérielle de leurs études existent, mais n’assurent pas de formation propre, la future élite restant formée à l’Université. Historiquement, la formation universitaire allemande est relativement longue, l’introduction du grade de licence en Allemagne datant des années 2000. Des écoles supérieures professionnelles de sciences appliquées (Fachhochschulen) existent, en particulier dans les villes moyennes, forment notamment des cadres intermédiaires et collent parfois le titre d’ingénieur, mais leur corps enseignant est issu de l’Université.

Compte tenu de la fragmentation politique et de l’instabilité territoriale des pays germanophones au 19ème siècle, la géographie universitaire ne repose pas sur un modèle centralisé. Aujourd’hui encore, les États fédérés, les Länder, conservent une part centrale des prérogatives institutionnelles en la matière, par exemple en matière d’autonomie statutaire des universités. Même la mise en avant de champions locaux dans les capitales y est restée cantonnée à quelques espaces (Berlin, Munich) : beaucoup de grandes universités ont été créées au Moyen Âge ou à l’époque moderne, sur initiative ecclésiastique ou étatique, dans des villes moyennes ou petites (Heidelberg, Tübingen, Erlangen, Göttingen, Halle…) ou dans des villes libres sans territoires dépendants (Francfort, Leipzig) ou des résidences épiscopales (Würzburg, première université de Strasbourg). Si la logique de l’Initiative d’Excellence prolonge à bien des égards l’histoire française des « fleurons nationaux », son avènement représentait une rupture majeure dans l’histoire institutionnelle de l’Université allemande : la concentration des moyens sur une poignée de pôles universitaires, en particulier Munich et Berlin, allait à rebours du polycentrisme et de la diversité qui caractérisait le paysage universitaire allemand. Cette logique de concentration a finalement fait long feu. Aujourd’hui, la Hochschulrektorenkonferenz (HRK), l’équivalent allemand de la Conférence des présidents d’université (CPU), promeut un mot d’ordre d’« excellence distribuée » garantissant un maillage territorial relativement serré, soit précisément l’inverse du contenu de la LPR.

Ce n’est pas le seul point sur lequel les réformateurs allemands aient vu leurs projets contrecarrés là où des mesures équivalentes se sont imposées en France. Ainsi, dans le sillage de l’IDEX, la « politique de site » à la française est marquée par des fusions « expérimentales » décidées par les bureaucraties présidentielles contre l’avis de la communauté. L’université de Lille en offre actuellement un exemple criant. Or ces fusions « expérimentales », qui sont un élément constitutif des politiques de dépossession, sont restées exceptionnelles en Allemagne : le seul cas comparable aux grandes manœuvres françaises est la fusion de l’université de Karlsruhe, devenue le Karlsruher Institut für Technologie (KIT) par mimétisme du MIT. Ce projet pharaonique porté par le président de la HRK d’alors, M. Horst Hippler, s’est soldé par un échec scientifique, y compris si l’on s’en remet aux critères mis en avant par les réformateurs locaux, identiques à ceux brandis en France. Depuis, aucune tentative de fusion n’a été esquissée : tout au plus les différentes universités de Berlin et de Munich ont-elles mis en place des comités de liaison.

On peut noter que l’IDEX allemand était concomitant d’une remise en cause de la gratuité de l’Université. Ces velléités d’introduction de frais d’inscription se sont finalement soldées par des échecs : les étudiants allemands ne paient toujours que quelques dizaines d’euros de frais de dossier ainsi qu’un abonnement collectif obligatoire aux transports communs (la souscription obligatoire lors de l’inscription permet à chaque université de négocier directement le tarif étudiant avec la régie locale de transports) [1].

L’actualité de ces derniers mois fournit un dernier exemple de résistance efficace à une politique comparable à celle imposée en France: fin 2020, alors que le gouvernement bavarois travaillait à une loi reprenant les grandes caractéristiques de la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) et de la LPR à l’échelon du Land, la mobilisation du monde universitaire, favorablement couverte par la presse, a fini par entraîner une reculade du gouvernement local, dont il reste à voir si elle est stratégique ou définitive. Dans l’ensemble, le gouvernement de l’Université conserve un degré de collégialité relativement élevé, même s’il est loin d’être démocratique : sur les sujets importants, cette collégialité n’inclut que les 8% de personnels titulaires. La situation est paradoxale : l’agenda néo-managérial a pu s’imposer à l’intérieur des facultés et dans une large mesure des centres de recherche, en profitant de la structure hiérarchique et autoritaire héritée du 19ème siècle, et dont la précarité constitue la pierre de touche. En revanche, là où le cadre juridique d’organisation des établissements, la « politique de site » et le « pilotage national » constituent des terrains privilégiés du néo-management scientifique en France, les managers allemands poursuivant le même agenda ont pour l’instant échoué à imposer leurs vues. À cet égard, on peut penser que les réformateurs allemands ont en partie au moins perdu la bataille culturelle qu’ils entendaient mener.

L’Université en discours

La situation de la liberté universitaire effective en Allemagne est caractérisée par une tension: un fonctionnement autoritaire et mandarinal couplé à une précarisation très violente à l’échelle individuelle coexiste avec une capacité indéniable à contrecarrer des aspects du programme réformateur qui ont triomphé en France. L’une des clés de ce paradoxe, ou au moins de ce contraste entre les deux pays, est l’existence en France des statuts de Maître ou Maîtresse de Conférences et de Chargé (ou Chargée) de Recherche, qui offrent au Mittelbau français cette capacité de résistance qui fait défaut en Allemagne. Un autre aspect explicatif tient bien sûr à la structuration historique centralisée du système français, qui favorise les réformes par en haut, dont le système des Idex et de l’ANR est bel et bien un héritier. Mais un troisième paramètre important doit être souligné : l’existence, en Allemagne, d’une tradition de réflexion publique des universitaires sur l’Université, qui infuse dans toutes les classes dirigeantes allemandes et érige la liberté académique, comprise comme liberté positive, en valeur cardinale. C’est cette culture universitaire que l’on associe fréquemment à la notion de « modèle humboldtien », et dont l’histoire complexe épouse les mutations et les contradictions de l’Université allemande [2].

En effet, la tension observée plus haut entre une structure interne de l’Université foncièrement hiérarchique et précarisante et l’attachement au principe d’autonomie traverse tout le corpus historique des discours publics consacrés à l’essence de l’Université en Allemagne. Cette tradition de réflexion publique des universitaires sur l’Université s’est ancrée dans les élites allemandes depuis deux siècles et s’articule autour de l’interprétation du concept de liberté académique (akademische Freiheit). Malgré la référence fréquente à Humboldt, cette tradition remonte au moins au texte de Kant sur « le conflit des facultés », dix ans avant la création de l’Université de Berlin. Il a trouvé sa forme d’expression au fil du 19ème siècle, dans l’exercice du discours inaugural prononcé à chaque rentrée par le professeur qui assurait la présidence tournante de l’université pour un an. C’est par exemple dans ce cadre que le grand physicien rationaliste Hermann von Helmholtz a prononcé en 1877 son plaidoyer pour la liberté académique, devenu un classique. Dans ce texte, non dénué de chauvinisme par ailleurs, Helmholtz faisait de la pratique collective de « l’autonomie de conviction » le principe même de l’enseignement et de la recherche dans l’Université allemande. L’histoire de cette idéologie académique est bien sûr tortueuse et contradictoire, du fait de l’insécurité statutaire chronique d’une majorité d’universitaires et d’une longue histoire de discriminations, notamment envers les femmes, qui contredit les revendications d’autonomie formulées dans ces discours. Le rapport entre liberté académique et démocratie politique ne s’est véritablement stabilisé qu’après la Seconde Guerre mondiale et l’expérience nationale-socialiste, soutenue à l’époque par de nombreux universitaires.

Ce consensus humboldtien constamment renégocié a de nouveau été mobilisé ces derniers mois par les opposants au programme de réforme bavarois, par exemple dans des tribunes publiées par le principal quotidien des élites allemandes, la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ). Dans la première, le juriste Jens Kersten et l’historien Martin Schulze-Wessel affirment : « La démocratie a besoin d’établissements d’enseignement supérieur cultivant l’esprit démocratique ». Dans la seconde, le physicien Ferdinand Evers écrit : « Comme les arts, les universités sont l’expression d’une disposition humaine : formuler des idées et les mettre à l’épreuve de l’échange avec les pairs. » Ces deux thèses sont communément admises dans une large partie des classes dirigeantes en Allemagne et constituent aujourd’hui les piliers du combat pour la liberté universitaire dans ce pays.

Les élites politiques, administratives et économiques face à la recherche

Ce point nous amène à une nouvelle différence entre les deux pays : l’audience de l’Université auprès des classes dirigeantes. Formées par les universités, les élites administratives et économiques allemandes entretiennent une certaine familiarité avec le milieu de la recherche. Même si peu de responsables politiques ont (eu) une véritable production savante ailleurs qu’en droit ou en sciences politiques, beaucoup ont fréquenté des séminaires et se sont formés à l’écriture de petits travaux de recherche. De leur côté, les élites économiques allemandes, sans être homogènes, incluent un nombre important de hauts cadres ayant une formation scientifique. Surtout, les spécificités du tissu bancaire, institutionnel et économique allemand sont connues pour favoriser l’émergence de PME de niche produisant des biens à haute valeur ajoutée, loin du mythe français du chercheur-start-uppeur montant sa micro-entreprise dans le seul but d’être racheté dans les cinq ans. L’année 2020 en a fourni deux exemples extrêmes, puisque les premiers tests anti-covid ont été produits par une PME de ce type, Til Molbiol, fondée il y a trente ans par Olfert Landt, un chimiste docteur de la Freie Universität Berlin qui continue à travailler en partenariat avec le CHU de la ville. BioNTech, à qui l’on doit le premier vaccin ARN contre le coronavirus, a été créée par deux universitaires de Mayence en 2008, Uğur Şahin et Özlem Türeci, qui en ont gardé la direction au fur et à mesure qu’elle grossissait. Au-delà des trajectoires individuelles, la politique scientifique de l’Allemagne et le rapport des sphères économiques locales à l’Université se caractérisent donc par une meilleure connaissance et une plus grande confiance dans le monde de la recherche, et par une familiarité avec la temporalité scientifique très éloignée du paradigme ingénierial et technocratique qui prévaut en France, et se manifeste par une politique faite de proclamations grandioses et d’à-coups méconnaissant totalement la réalité de la recherche.

Conclusion

Comme souvent, chacun voit l’Allemagne à sa porte. Si les réformateurs acquis au nouveau mandarinat et aux financements sur projets veulent une Université à l’allemande, qu’ils commencent par en créer les préconditions de temps long : excellence distribuée, démantèlement des grandes écoles, collégialité, financements de recherche axés sur la coopération. Pour notre part, nous n’avons pas de modèle allemand : nous considérons que les idéaux dits humboldtiens, auxquels nous souscrivons dans leur version démocratique, sont condamnés à rester inachevés dans un système perclus par l’autoritarisme, les hiérarchies de corps et la précarisation. De ce point de vue, l’Université allemande existante n’a jamais été à la hauteur des ambitions qu’elle affichait. Mais à défaut, le cas allemand est au moins là pour nous rappeler qu’une Université libre ne singe pas les grandes écoles, ne court pas après le transfert de technologie et ne promeut pas la concentration des moyens.

Du point de vue institutionnel, les contradictions qui empêchent l’instauration d’une autonomie effective de la communauté scientifique et académique ne peuvent se défaire que dans une Université organisée par départements d’enseignements et par laboratoires de recherche, sur une base pérenne, égalitaire et démocratique. Cela doit se traduire par une garantie générale de l’emploi statutaire et un financement de la recherche reposant sur une dotation individuelle conséquente, doublée d’un fonds pour la coopération scientifique, administré par les pairs. Notre conviction est qu’une Université néo-humboldtienne à la hauteur de ses ambitions d’autonomie collective, de rigueur intellectuelle et d’engagement démocratique doit se proposer d’illustrer un rationalisme non scientiste. L’horizon intellectuel de l’Université demande un rapprochement de ces deux traditions de pensée — sans forcément exclure d’autres apports historiques et intellectuels à la pensée de notre métier. Au cœur de ce rapprochement de concepts, nous devons placer ce qui garantit la probité et l’éthique universitaires : la libre coopération, la confrontation d’arguments étayés, l’expérimentation. Créer de nouvelles disciplines, décalcifier les savoirs existants, essayer d’en construire de nouveaux, en mêlant là où il le faut les disciplines du sens et les sciences de la nature dans certaines formations ou dans certains programmes. En d’autres termes : affirmer que la pluralité des sciences peut coexister avec l’unité de la communauté académique, grâce à l’attachement commun à l’éthique de la dispute argumentée et à la construction autonome de la conviction.


[1] En revanche, un Land, le Bade-Württemberg, a introduit des frais d’inscription différenciés pour les étudiants extra-européens, selon la même logique xénophobe que l’on retrouve dans le dispositif Bienvenue en France.

[2] Sur cette question du discours universitaire entre la France et l’Allemagne, on se reportera avec intérêt à l’ouvrage de Pierre Macherey, La Parole Universitaire, paru à La Fabrique en 2011.