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L’échec de Shanghai et le pari perdu de Paris-Saclay

L’échec de Shanghai et le pari perdu de Paris-Saclay

Au menu du billet de la semaine : une brève sur le recrutement des enseignants, l’annonce de la prochaine séance du séminaire Politique des sciences qui croise une actualité dramatique aux États-Unis, et un billet sur le classement de Shanghai, illustré par l’histoire de Paris-Saclay, qui s’achève par une version inédite du « Sonnet en X » de Mallarmé.

Refonder la formation des enseignants

La presse s’est fait l’écho ces derniers jours du lancement d’un dispositif de job dating (sic) pour le recrutement des enseignants contractuels du primaire et du secondaire. Il est difficile de ne pas y voir le symbole d’un échec qui remonte à loin et qui vient couronner une crise des vocations aux causes multiples, entretenue et aggravée par les politiques menées depuis vingt ans. Mais ce constat ne résout pas la question la plus importante : comment la société peut-elle se donner les moyens d’assurer une formation exigeante à tous les âges de la vie ? Nous avons déjà formulé des propositions à ce sujet : la refondation de l’Éducation nationale et de la formation des enseignants passe simultanément par un plan de titularisation des contractuels, par une revalorisation salariale, mais aussi par la mise en place d’un pré-recrutement dès la licence permettant d’assurer une formation disciplinaire de haut niveau dès le premier cycle, suivie d’une formation à la fois didactique et disciplinaire au niveau master, en bénéficiant des garanties d’un statut protecteur et en permettant une mise en responsabilité très progressive. Dans le même temps, il est urgent de déployer un plan de formation continue universitaire pour les enseignantes et enseignants déjà en poste, afin de garantir que les contenus dispensés restent en lien avec les avancées de la discipline. Sur ce sujet, nous vous renvoyons à notre note thématique du 10 février 2021.

Usages et mésusages de la génétique humaine

La prochaine séance du séminaire Politique des sciences aura lieu le vendredi 10 juin de 14h à 17h, à l’Institut des Systèmes Complexes, ISCV-PIF, 113 rue Nationale, 75013 Paris (Salle de séminaire), ou sur la chaîne de Politique des sciences.

Cette séance sera consacrée aux rapports entre avancées des connaissances en génétique humaine et leurs conséquences dans le champ sociopolitique, et plus particulièrement aux usages et mésusages de certains travaux.

Il y a deux semaines à Buffalo (NY) un suprémaciste blanc de 18 ans tuait dix personnes afro-américaines dans un supermarché. Comme il est d’usage en ces circonstances, le tueur de masse a rédigé un indigeste manifeste posté en ligne avant d’aller assassiner. 

Une étude parue quatre ans auparavant dans Nature Genetics — Lee, J.J., Wedow, R., Okbay, A. et al. Gene discovery and polygenic prediction from a genome-wide association study of educational attainment in 1.1 million individuals. Nat Genet 50, 1112–1121 (2018) — se retrouve, à la surprise de ses auteurs, citée par le tueur, parmi d’autres références académiques. Cette étude visait à détecter des polymorphismes nucléotidiques associés à la variance dans la réussite scolaire. Elle appartient à un ensemble d’études, en croissance régulière, qui utilisent de gigantesques bases de données pour traquer, via la méthode de Genome Wide Association Study, les variants génétiques associés à telle ou telle propriété cognitive ou sociologique. La nouvelle vague du « racisme scientifique » (récemment étudiée par Angela Saini, The return of race science, 2019) propose des interprétations causales de ces études, et infère du gène à la « race », afin de  montrer qu’existent des différences de capacités cognitives entre groupes ethniques. Évidemment, c’est un contresens scientifique.

L’un des membres du consortium à l’origine de cette étude et de nombreuses autres, Daniel Benjamin, économiste comportemental à UCLA, a exprimé sa consternation auprès d’un journaliste du journal bostonien Stat news en ces termes : « I’m horrified ». On le comprend. Ni lui, ni ses collègues ne sauraient être suspectés de vouloir faire avancer le suprémacisme blanc.

Mais, même si l’on réussit à retracer le cheminement tortueux qui conduit un tueur raciste à citer une étude qu’il ne saurait avoir ni lue ni comprise — un cheminement passant à travers les groupes bien connus de racistes scientifiques comme Emil Kierkegaard, Noah Carl ou Bo Winegard, frénétiques des réseaux sociaux, puis les clans suprémacistes sur Reddit, les sous-clans facebook, etc. —, on ne saurait balayer ensuite la chose d’un revers de main en distinguant la science « neutre, forcément neutre », et ses mésusages par des fanatiques incultes. 

« People kill people », répètent les aficionados de la NRA à chaque carnage à l’arme automatique pour rejeter l’idée intuitive que « guns kill people ». « GWAS don’t kill people », a d’ailleurs dit l’un des champions de ces études génétiques de « score de risque polygénique », pour enfoncer le clou d’une dichotomie radicale entre la science neutre et l’idéologie, seule coupable des horreurs faites au nom de la science. Or sans guns, les gens tueraient beaucoup moins de gens : l’argument de la NRA est clairement fallacieux, et le parallèle avec les GWAS laisse penser que, non, il ne suffira pas de dénoncer les idéologues détournant le sens de la science pour pouvoir continuer à dérouler tranquillement de la science neutre.

Cette séance du séminaire entend initier un tel examen de (con)science, urgemment requis par l’actualité. Il se trouve que depuis longtemps, des philosophes des sciences expliquent combien l’image de la « science neutre » est au mieux fausse, et, au pire, néfaste. Helen Longino en fait partie. Autrice d’un livre important sur la génétique comportementale (Studying Human Behavior: How Scientists Investigate Aggression and Sexuality, University of Chicago Press, 2013), discipline mère de toutes les études en question ici et de manière générale, pionnière de la critique de l’idée naïve de la science value-free, elle présentera certaines de ses conclusions sur ces questions. Hervé Perdry, généticien et statisticien, s’est penché sur l’histoire épistémologique de la génétique, les complexités de la modélisation mathématique de l’hérédité, et depuis ses débuts avec Galton et Fisher, l’entrelacement de celle-ci avec l’eugénisme. Il exposera certaines de ses analyses historiques et critiques lors de cette séance.

Programme.

14h. Helen Longino, Philosophe des sciences, Université de Stanford. The Sociality of Scientific Knowledge: Not Just an Academic Question (en anglais).

15h. Hervé Perdry, Enseignant chercheur en épidémiologie génétique, Université Paris-Saclay et Inserm (CESP). Mésusages de la notion d’héritabilité.

16h.  Conclusion et discussion.

La Dame de Shanghai

Michael O’Hara (O. Welles): When I start out to make a fool of myself, there’s very little can stop me. If I’d known where it would end, I’d never let anything start…

— La dame de Shanghai (1947)

Le problème du classement de Shanghai, c’est son existence. 

Valérie Pécresse — Figaro, 27/02/2008

Elsa (R. Hayworth): You can fight, but what good is it? Good bye…

Michael (O. Welles):  Do you mean we can’t win?

Elsa: No we can’t win. Give my love to the sunrise…

Michael: We can’t lose either, only if you quit.

— La dame de Shanghai (1947)

La nouvelle de ce mois, concernant l’Université et la recherche, est sans conteste l’abandon par la Chine des classements internationaux et en particulier de celui dit « de Shanghai ». Accompagnant le déplacement planétaire de la sphère productive vers l’Asie, la création d’établissements universitaires en Chine a été massive : on en compte aujourd’hui plus de 3 000. La Chine est devenue une immense puissance scientifique et se soucie désormais de développer un modèle universitaire original. En visite le 25 avril à l’université Renmin de Pékin, le président Xi Jinping a déclaré ceci : « La Chine est un pays avec une histoire unique, une culture distincte et un contexte national particulier […] Nous ne pouvons pas suivre aveuglément les autres ou nous contenter de copier les standards et les modèles étrangers lorsque nous construisons des universités de classe mondiale ». Cette déclaration a été immédiatement suivie d’effets, avec le retrait de plusieurs universités des classements internationaux, dont l’université Renmin — une décision saluée dans la foulée par le journal gouvernemental, le Quotidien du Peuple, ce qui ne laisse guère de doutes sur le caractère mûrement réfléchi du changement de cap national.

Plus qu’ailleurs, le modèle normatif promu par le « classement de Shanghaï », créé en 2003 et produit depuis 2009 par le cabinet Shanghai Ranking Consultancy (30 employés), a été utilisé en France comme outil de communication et comme argument palliant à bon compte un déficit de pensée critique et politique. De nombreux articles ont été consacrés à l’ineptie de la méthodologie employée (démontrée par exemple ici ou ), à commencer par ceci : le score composite fabriqué, mélangeant torchons et serviettes, n’est ni une variable intensive (indépendante de la « taille » de l’établissement mesurée par le budget, le nombre d’étudiants ou le nombre de chercheurs par exemple), ni une variable extensive (proportionnelle à cette « taille »). Il s’agit d’un bricolage sans rigueur, dépourvu de toute rationalité scientifique, « calibré » pour reproduire le classement symbolique des grandes universités privées états-uniennes. Du reste, comment la qualité de la formation et de la recherche scientifique pourrait-elle bien varier à l’échelle d’une année, sauf à se baser sur des indicateurs délirants ?

Le concours de circonstances qui a conduit à la fétichisation de ce classement par la technobureaucratie du supérieur a été analysé dans les travaux de Christine Barats, auxquels nous renvoyons, ainsi que dans l’ouvrage de Hugo Harari-Kermadec, Le classement de Shanghai. L’université marchandisée (2019).

La  réception de ce classement par l’élite des grands corps de l’Etat fut un dessillement : aucun de ses lieux de formation — ni Sciences Po Paris, ni HEC, ni l’ENA, ni Polytechnique — n’ont de reconnaissance internationale. Seule l’Université, où se situe la recherche scientifique, apparaît dans ce classement. Bien sûr, d’autres classements sont utilisés pour les Master of Business Administration (MBA) et en particulier ceux basés sur le bénéfice financier escompté (salaires des alumni), à mettre en regard du coût de la formation (classement Value for money). Mais cela reste un choc pour la haute fonction publique de découvrir que dans le monde entier, les élites sont formées par la recherche, à l’Université, mais que la France fait exception à l’idéal humboldtien du fait de l’héritage napoléonien des Grandes Ecoles. 

Ce dessillement a suscité des réactions contradictoires chez les tenants de « l’économie européenne de la connaissance » théorisée notamment par M. Philippe Aghion et a conduit certains secteurs de l’Etat à soutenir un projet historique visant à surmonter le legs napoléonien dans la formation des élites : le projet de Paris-Saclay, dans sa mouture initiale.

Sur le papier, jusqu’en 2015, beaucoup de conditions sont réunies pour un succès de ce projet, à condition bien sûr de se fixer un objectif clair : la construction d’une université expérimentale associant production, critique et transmission des savoirs scientifiques et techniques, en faisant le pari du soutien à l’émergence de PME industrielles à très haute valeur ajoutée, travaillant en bonne intelligence avec l’université. Loin de desservir le projet, le fait que le plateau de Saclay ne soit pas au cœur d’une métropole était un avantage. En effet, sa situation géographique permettait d’imaginer une ville-campus adaptée aux enjeux du XXIème siècle. Saclay pouvait donc être cette université où se rencontrent les élites scientifiques, économiques et politiques qui fait tant défaut au système français. Partant de ce constat partiel mais juste, l’État consacra un investissement de 5,3 milliards d’euros au projet d’université intégrée de Saclay en l’espace de dix ans. Disons-le : Paris-Saclay était alors le seul projet de regroupement universitaire intéressant. Tous les autres regroupements ne visaient qu’à produire des économies d’échelle dans les services centraux et à changer les statuts des établissements pour mettre les structures de décision hors d’atteinte des universitaires. On sait désormais que le surcoût de fonctionnement des mastodontes universitaires est exorbitant, qu’ils ont été dévitalisés et que le pouvoir y a été capté par une nouvelle bureaucratie managériale, au fonctionnement féodal, qui s’octroie une large part des ressources qui manquent à l’enseignement et à la recherche.

Ce qui, à Paris-Saclay, rendait cette expérience historique d’unification entre Université et Grandes Écoles possible, c’est l’obsolescence de l’École Polytechnique. Deux rapports de la cour des comptes et un rapport parlementaire avaient pointé l’absence de « stratégie » de l’État pour cet établissement, son inadaptation à la « concurrence internationale », sa « gouvernance » défaillante et l’absurdité de sa tutelle militaire. Polytechnique était devenu un boulet aux yeux d’une partie du bloc réformateur. L’humiliation infligée par les classements internationaux avait également mis en difficulté les secteurs les plus conservateurs de la bureaucratie polytechnicienne d’État et leurs relais pantoufleurs du CAC 40. Dans ce contexte de crise, un quatrième rapport, commandé à M. Attali par le premier ministre, préconisait la suppression du classement de sortie, la suppression de la solde et la création d’une nouvelle « École polytechnique de Paris » englobant les grandes écoles du plateau, au sein de Paris-Saclay. La voie semblait libre pour reconstruire à Saclay une formation des élites administratives et industrielles en lien avec la recherche universitaire.

Mais le 15 décembre 2015, cette expérience historique de dépassement des archaïsmes français tombe à l’eau. Plus exactement, « on » l’y pousse, à l’eau, les deux pieds coulés dans du béton. Quel « on » exactement conduit Paris-Saclay dans cette « impasse », pour reprendre le doux euphémisme de la Cour des Comptes ? Après que M. Le Drian, ministre de la Défense, a annoncé le 6 juin 2015 une « révolution » à Polytechnique, les président-directeurs généraux d’entreprises françaises du CAC 40 issus du corps des Mines s’activent au cœur de l’été

Une task-force est constituée autour de M. Pringuet, X-Mines et président de l’AFEP, le lobby des grands patrons français. S’il existe une rivalité entre l’Inspection des finances, nourrie par l’ENA, et le Corps des mines, alimenté par l’École Polytechnique, ENA-IGF et X-Mines partagent un même désir de perpétuation de la technostructure à la française, menacée par le projet d’intégration de Polytechnique dans Paris-Saclay. M. Pringuet, en liaison avec M. Macron depuis 2012 – son action de lobbying a abouti à la création du CICE -, obtient l’aide de celui-ci. Il est vrai que M. Macron, sous la mandature précédente, s’était déjà penché sur les questions d’« économie de la connaissance » comme rapporteur général de la commission Attali. L’enjeu des réformes universitaires, pour lui, n’est en aucun cas de dépasser l’archaïsme bonapartiste : bien au contraire, il s’agit de constituer une poignée de mastodontes internationalisés, dans la plus pure tradition des « fleurons » chers aux Grands Corps. C’est la fatalité des hauts fonctionnaires hexagonaux de rester désespérément français même (et surtout) lorsqu’ils croient singer le MIT… Lors de ce conseil d’administration du 15 décembre 2015, les deux ministres de tutelle de Polytechnique, M. Le Drian et M. Mandon sont accompagnés de M. Macron. Quand « Bercy » vient d’imposer des centaines de millions d’euros de coups de rabot dans le budget de l’Université, et même des milliards de coupes dans le contrat de plan État-régions, M. Macron apporte, ce 15 décembre 2015, 60 millions d’euros d’augmentation de budget à l’École Polytechnique… et consacre l’abandon du projet de Paris-Saclay, malgré son importance et son coût. 

Depuis, de reconfiguration en reconfiguration, Paris-Saclay n’est plus que l’avatar périurbain d’une politique qui n’avait probablement jamais cessé d’être la seule boussole des secteurs dirigeants de la bureaucratie : la différenciation des universités, fondée sur la séparation entre des établissements de proximité et une poignée d’universités-monstres supposément tournées vers la coopération internationale, et les yeux rivés vers des rankings sans substance. Ne reste qu’une question : les apparatchiks ont-ils entrevu ne serait-ce qu’un instant la signification libératrice du projet initial de Paris-Saclay ? Ou avaient-ils élaboré ce projet aussi inconsciemment qu’ils l’ont ensuite liquidé, en jouant à la dînette de Shanghai ?

Toujours est-il qu’au terme de ce rendez-vous manqué, l’administratrice de la faillite politique et intellectuelle de Paris-Saclay, Mme Sylvie Retailleau, a pu se gargariser de la seule chose qui lui reste : une progression de quelques places dans un classement déjà décrédibilisé, arrachée à coups de milliards d’euros qui auraient pu être dépensés ailleurs et autrement. Il y a quelques mois, la dame de Shanghai déclarait en effet : « Cette position dans [le classement de Shanghai] nous renforce aussi dans la conviction de la pertinence de notre trajectoire institutionnelle collective. » Cette faillite valait bien une promotion : Aux innocents les mains pleines.

Terminons cette histoire par quelques vers à la manière de Mallarmé, tirés de Lingua Novæ Universitatis, que vous pouvez encore vous procurer chez l’éditeur.

SonnEx 

Ses articles très haut magnifiant son index
Le patron éthéré maintient, thanatophore,
Maint projet filandreux porté par son Labex,
Mais ne recueille pas de budgétaire effort.

Sur le campus, au plateau vide, pas de X,
Bicorne pour toujours oublié loin dehors :
Les anciens sont allés menacer d’une rixe
Les conseillers nombreux qu’ils connaissent encore.

Mais dans sa fatuité insondable un butor
Se contemple au miroir, satisfait du décor.
Ivres de pouvoir, des présidents créent l’Udice,

Insolite vaisseau d’inanité sonore,
Quand dans la nuit tombée sur le Savoir, bouffissent
Les cénacles ronflants dont le Néant s’honore.

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La recherche est un jardin

« André-Georges Haudricourt a naguère opposé la mentalité des peuples pasteurs comme les Grecs à celle des peuples jardiniers comme les Chinois anciens. La domestication des animaux aurait conduit les pasteurs à concevoir la domination du roi sur ses sujets, l’autorité du supérieur sur ses subordonnés, sur le modèle des rapports du berger avec son troupeau, qu’il mène à la baguette. Le sceptre royal est un bâton. Au contraire, les peuples jardiniers prendraient pour modèle de l’exercice du pouvoir cette forme d’action « indirecte et négative » qui est propre à l’horticulteur, soucieux de s’insérer dans l’ordre naturel et dont l’intervention ne vise ni à soumettre ni à contraindre, mais, en accord avec l’élan interne de chaque plante, à la laisser mieux pousser.

« Quand il nous a accordé le privilège de nous prendre sous sa tutelle, le CNRS n’a pas voulu nous dominer : il a déblayé et irrigué le terrain autour de nous, écartant les obstacles, écrasant les trop grosses mottes, nous apportant l’eau dont nous avions besoin. Je souhaite qu’il en soit demain comme hier et aujourd’hui. La recherche est un jardin. Pour qu’il fleurisse, ceux qui en ont la charge doivent se faire jardiniers plutôt que bergers. »

Jean-Pierre Vernant, discours prononcé le 18 décembre 1984 à l’occasion de la remise de la médaille d’or du CNRS.

  1. Bureaucratisation des EPST

Le décret n° 2022-758 du 28 avril 2022 dispose que le directeur général de chaque EPST prend le pas sur son conseil scientifique — ou sur les instances d’évaluation compétentes — pour les décisions de recrutement et d’avancement des personnels de recherche. Ce ne sont pas moins de huit articles du code de la recherche qui sont réécrits, dépossédant les instances collégiales au profit du directeur général de l’établissement. L’instance d’évaluation formule un simple avis. Le directeur général décide.

  1. Vers le démantèlement du CNRS

« Lorsque Macron a fait son discours en janvier, quand il a parlé du CNRS, il a parlé d’agence de moyens. Je l’ai vu le lendemain pour mon entretien d’embauche et il m’a demandé mon avis sur son discours de la veille. J’ai dit très bien mais agence de moyens le terme n’est pas bien choisi ça c’est l’ANR nous on est une agence de programme et d’infrastructure et là il a dit : “banco ! J’achète !.” »

Antoine Petit

Depuis 25 ans, on ne compte plus les rumeurs d’attaques contre le CNRS ni les réactions qu’elles engendrent, souvent corporatistes et teintées d’un certain mépris envers la recherche universitaire. Aussi accueille-t-on avec circonspection la nouvelle vague d’agitation autour de déclarations de messieurs Macron et Petit, dans un moment où courtisans et apparatchiks se préoccupent surtout du jeu de chaises musicales au sein de l’appareil d’État.

Pourtant, cette fois-ci, des éléments concordants laissent présager une grande loi structurelle pour le supérieur — sous réserve qu’une majorité parlementaire l’appuie —, sans commune mesure avec le fourre-tout de la Loi de Programmation de la Recherche, qui se contentait d’accentuer la dérégulation des statuts et la précarisation, sans ambition ni moyen. En particulier, M. Petit a annoncé récemment aux directeurs d’unité une refonte totale de la gestion des budgets des contrats de recherche dont le CNRS est tutelle gestionnaire. Les universités, pourtant partenaires de nombreuses unités mixtes (UMR) avec le CNRS, n’avaient pas été prévenues. Cette restructuration unilatérale, qui déstabilise le fonctionnement des UMR à travers le pays, a même suscité la protestation écrite du lobby des présidents d’université, via un courrier à M. Petit dont nous nous sommes procurés une copie. On peut y voir l’indice de grandes manœuvres en cours au sein de la sphère bureaucratique autour de l’avenir du CNRS.

Le projet de démantèlement du CNRS vise, si l’on en croit diverses déclarations de M. Petit, à concentrer les moyens sur quelques managers avancés dans leur carrière. On peut voir dans la construction de l’IHU du professeur Raoult une expérience qui sert de précurseur à ce projet. On sait pourtant que les idées nouvelles, exploratoires, originales, naissent le plus souvent dans des laboratoires à taille humaine, marqués par un fonctionnement collégial et où les jeunes chercheurs peuvent faire valoir leur point de vue. La concentration des moyens dans de grosses équipes chapeautées par un mandarin favorise davantage les recherches confirmatoires que les découvertes.

Quel problème le projet de démantèlement du CNRS est-il supposé résoudre ? Aucun, à la vérité. Il s’agit plutôt de parachever le projet d’abandon de tout cadre national pour l’enseignement supérieur et la recherche au profit d’une logique de marque poursuivie depuis le rapport Aghion-Cohen de 2004 : différencier les statuts, déréguler, mettre en concurrence, bureaucratiser et précariser. Dès lors, la question commune posée au CNRS et à l’Université est la suivante : comment organiser l’écosystème de recherche et d’enseignement supérieur au niveau national ? Comment en finir avec le féodalisme bureaucratique issu de 20 ans de managérialisation sans retomber dans un pilotage ministériel  ? Pourquoi l’aménagement du territoire est-il une nécessité qui suppose une réflexion stratégique à l’échelle nationale ? Comment recruter ? Comment garantir et renforcer la liberté académique ?

Le choix cardinal entre le maintien d’un cadre national ou bien l’atomisation-dérégulation du système d’Université et de recherche sera au cœur du débat des semaines qui viennent. Nous proposerons un texte analytique et programmatique sur ce sujet. Nous invitons d’ores et déjà les candidates et les candidats aux élections législatives à prendre position et à faire connaître leur choix.

  1. Bibliothèque nationale de France

Depuis plusieurs semaines, la Bibliothèque Nationale de France est secouée par un conflit social autour du temps de travail, et des modalités de communication des documents. Le nombre insuffisant des bibliothécaires, leur grande précarité également, obèrent depuis plusieurs années le bon fonctionnement de cette institution très importante pour la recherche, du fait de ses fonds d’archives sans équivalents. Une réforme annoncée par la direction générale de l’établissement va bientôt rendre la BNF très difficilement utilisable pour les chercheurs et chercheuses, en particulier exerçant en province. Cette réforme procède d’une volonté de recentrer les activités et l’image publique de la BNF sur un profil de musée, proposant de lucratives expositions temporaires. Ce projet, porté par un directeur général énarque, cadre gestionnaire du ministère de la culture et n’ayant jamais côtoyé le monde de la recherche, est une atteinte directe aux conditions d’exercice de la recherche. Nous attirons votre attention sur la pétition des lecteurs et usagers, qui a déjà recueilli près de 15 000 signatures.

Cette affaire doit attirer notre attention sur la place que les bibliothèques ont vocation à jouer dans une politique universitaire défendant l’autonomie de la recherche et sa responsabilité sociale et démocratique. Nous avons besoin d’une politique ambitieuse de la documentation publique : le cloisonnement entre les bibliothèques du ministère de la culture, les bibliothèques universitaires, les archives et bibliothèques gérées par les collectivités territoriales nuit à la qualité de la recherche en compliquant l’accès aux ressources. Mais cette séparation, en plaçant les scientifiques hors des lieux de médiation culturelle que sont les bibliothèques publiques, constitue aussi un obstacle à la diffusion de la culture scientifique et à l’ouverture de l’Université sur la cité.

La seconde bibliothèque nationale du pays, celle de Strasbourg, est explicitement une bibliothèque « nationale et universitaire ». Ce statut pourrait servir de modèle à la BNF, qui serait intégrée à l’Université, tandis que les bibliothèques universitaires et les bibliothèques de proximité auraient vocation à former un grand service public de la documentation.

  1. Soutenir les collègues d’Ukraine, Russie et Biélorussie

Nous relayons une initiative qui vise à collecter des fonds afin de soutenir la communication scientifique en Ukraine. Le projet est d’apporter une aide aux revues savantes et aux éditeurs universitaires pour qu’ils puissent maintenir leurs activités éditoriales. Cette initiative est soutenue par l’infrastructure européenne OPERAS.

Un certain nombre de présidences d’université ont accepté de s’engager à soutenir les collègues d’Ukraine, de Russie et de Biélorussie et appellent à leur tour l’État à assurer les conditions de ce soutien.

Nous pensons important de mettre exceptionnellement de côté nos différences de vue au sein des institutions d’enseignement supérieur et de recherche et de signer à leurs côtés ce texte. Cela étant, pour notre part, nous aurions demandé que le soutien aux collègues russes et biélorusses opposés à leurs régimes respectifs soit universel et s’étende, par exemple, à l’Afghanistan, l’Iran, la Syrie ou la Turquie.

  1. Sommet du « bien commun »

La Toulouse School of Economics (TSE) organise les 19 et 20 mai 2022 le 2ème Common Good Summit, qui se présente comme un colloque scientifique et prétend réunir « des leaders industriels et politiques ainsi que certains des plus brillants économistes mondiaux » afin de « dessiner ensemble une feuille de route » politique sur les crises de notre temps.

La recherche scientifique a ceci de distinct de la politique qu’elle ne vise pas à servir un « bien commun » dont la définition serait opportunément fixée par les pouvoirs en place ; elle a pour objet la recherche collective de la vérité, que la société peut ensuite s’approprier comme une ressource partagée. Offrir une vitrine de communication à des entreprises comme Exxon Mobil, BNP Paribas ou Amazon qui ont une responsabilité historique dans le réchauffement climatique est totalement incompatible avec l’idée scientifique. Du reste, ce pseudo-colloque n’obéit à aucune des règles méthodologiques d’organisation d’un évènement savant. La multiplication d’évènements « gris » de greenwashing porte atteinte à l’éthique académique. La captation de pans entiers de l’activité scientifique par la « communication » institutionnelle doit conduire la communauté scientifique à réaffirmer le principe d’autonomie qui fonde son activité.

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Nous, dont un dessein ferme emplit l’âme et le front

Nous, dont un dessein ferme emplit l’âme et le front

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front
Ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime,
Ceux qui marchent pensifs, épris d’un but sublime,
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,
Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour.

Victor Hugo, Les Châtiments, 1852.

Premier mai

Quelles que soient nos sympathies associatives, syndicales ou philosophiques, nous avons mille raisons de participer aux rassemblements et manifestations de ce premier mai.

Parce que la crise démocratique a franchi un seuil intolérable.

Parce que nous n’entendons pas nous taire face à l’extrême-droite et au néo-maccarthysme.

Parce que nous sommes attachés au libéralisme politique et en particulier aux libertés publiques, mises à mal depuis des années par des mesures illibérales.

Parce que nous entendons défendre la science et la raison.

Parce que la précarisation de nos métiers et le déficit de postes sacrifient nos capacités d’exploration de la vérité.

Parce que nous réprouvons le projet de démantèlement du CNRS.

Parce que nous sommes attachés à un système national d’Université, et un service public d’enseignement supérieur et de recherche.

Parce que nous revendiquons l’autonomie du monde savant contre sa mise au pas par la techno-bureaucratie.

Parce que nous réprouvons le projet d’augmentation des droits d’inscription.

Parce que nous entendons défendre l’École publique, laïque et républicaine contre les attaques qu’elle subit depuis des années et contre celle qu’envisage le président réélu.

Parce que nous n’acceptons pas la contre-réforme des retraites qui vise à mettre en crise un système à l’équilibre pour des décennies, et à baisser drastiquement le salaire des fonctionnaires.

Parce que la crise climatique est là et que rien n’est fait sinon de la communication.

Parce que « ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ».

Parce que.


Vous trouverez ici une carte vous indiquant les lieux et horaires des rassemblements les plus proches de chez vous.

Fonds et association pour la liberté académique

Les vidéos des interventions et discussions du séminaire Politique des sciences du 17 mars sur l’état de la liberté académique sont en ligne, ainsi que la captation des débats sur l’organisation d’un réseau de solidarité concrète.

Aux avant-postes du danger

Modératrice : Béatrice Hibou, directrice de recherche au CNRS (Ceri/Sciences Po)

Alexander Bikbov, chercheur associé au CERCEC (CNRS/EHESS) et au CMH (ENS/CNRS/EHESS)

Catherine Gousseff, directrice de recherche au CNRS (CERCEC/EHESS)

Ahmet Insel, directeur éditorial des éditions Iletisim

Menaces, pratiques, ripostes

Modératrice : Johanna Siméant-Germanos, professeure, ENS Paris

Nonna Mayer, directrice de recherche au CNRS (CEE/Sciences Po)

Olivier Beaud, professeur, Université Panthéon-Assas

Claude Gautier, professeur, ENS Lyon

Bruno Andreotti, professeur, Université Paris Cité

Felix Tréguer, postdoctorant au CERI (Sciences Po/CNRS) et chercheur associé au Centre Internet et Société (CNRS)

Fonder une association : quels objectifs, quels statuts, quels garde-fous ?

Modérateur : Bruno Andreotti, professeur, Université Paris Cité

Cette dernière session était consacrée à débattre des modalités de création d’une association et/ou d’un fonds de dotation.

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Décevoir l’attendu

Décevoir l’attendu

« L’école, la caste, la tradition, avaient bâti autour d’eux un mur d’ignorance et d’erreur. »

Marc Bloch, L’étrange défaite, 1940.

« En cet instant où les politiciens en qui les adversaires du fascisme avaient mis leur espoir gisent à terre et aggravent leur défaite en trahissant leur propre cause, notre réflexion a pour but de libérer l’enfant politique du siècle, en le sortant des rets dans lesquels eux l’avaient corseté. Notre constat prend comme point de départ l’idée que la foi obstinée de ces politiciens dans le progrès, la confiance qu’ils plaçaient dans leur « base politique de masse » et pour finir leur appartenance servile à un appareil qu’ils ne contrôlent pas, ne sont que trois facettes d’une même réalité. »

Walter Benjamin, Thèses sur le concept d’histoire (extrait de la thèse X), 1940.

« Avant que l’étincelle n’arrive à la dynamite, il faut couper la mèche qui brûle. L’intervention, le danger et le rythme du politique sont techniques et non chevaleresques. »

Walter Benjamin, « Avertisseur d’incendie », Sens unique, 1928.

La pénombre s’étend ; nous ne sommes qu’en sursis. Le billet qui suit est divisé en deux parties : un diagnostic et une proposition de ligne de conduite.

Où en sommes-nous ?

Le programme de stabilité transmis par la France à la Commission européenne et portant jusqu’à la fin du quinquennat prévoit la baisse des dépenses publiques de 56% en 2022 à 53,1% en 2027. Il s’agit d’un programme d’austérité sans précédent, qui creuserait les inégalités par une baisse massive des dépenses sociales. L’accroissement délibéré des inégalités a pourtant déjà constitué un moteur important de la poussée de l’extrême-droite en France. Il est également prévu de baisser les investissements publics dans un moment où juguler la crise climatique supposerait au contraire un surcroît d’investissement. Ne pas redonner une perspective à la jeunesse accroîtrait significativement la probabilité d’une victoire de l’extrême-droite dans cinq ans. Comme universitaires, cette situation nous oblige, au-delà même de la défense de nos métiers. Plus que jamais, notre responsabilité devant la société doit s’exercer dans les semaines et les mois qui viennent, pour rouvrir l’horizon.

Le vote par classe d’âge. Les variables prédictives du vote sont le niveau de diplôme et la classe sociale, d’une part, et l’âge d’autre part. Dans cinq ans, pour des raisons démographiques et en l’absence de renversement des dynamiques, la base électorale du bloc gouvernemental deviendra minoritaire, l’extrême-droite ayant par ailleurs un petit temps d’avance sur le mouvement émancipateur.

La porosité du bloc gouvernemental à la phraséologie et aux mesures programmatiques de l’extrême-droite doit être combattue pied à pied. Chacun garde en mémoire la régression des libertés publiques, le harcèlement des réfugiés — et Frontex, et les camps offshore de rétention et de tri — ou la brutalité de la répression des mouvements sociaux, autant de choix qui ont conduit le ministre de l’Intérieur à juger Mme Le Pen « un peu molle » il y a quelques mois.

L’Université et la recherche sont témoins de ces dérives. Parmi les mesures marquantes du quinquennat, on retiendra notamment l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants extra-communautaires, mesure qui figurait au programme de Mme Le Pen en 2017. Peu après, Mme Vidal et M. Blanquer affichèrent leur volonté de « lutter » contre une Université coupable de « complicité intellectuelle du terrorisme » en invoquant la chimère du « wokisme » et l’inénarrable « islamo-gauchisme » supposé « gangréner » le monde académique. Le ministre de l’Éducation nationale ne cache du reste pas sa proximité avec le mouvement du « Printemps Républicain », dont La Voix du Nord a révélé qu’il contribuait également à la campagne de Mme Le Pen. Dans le même temps, M. Macron, qui n’a jamais désavoué ses ministres, jugeait le monde universitaire « coupable » d’avoir « cassé la République en deux », des propos réitérés il y a quelques jours seulement. Enfin, la gestion française de l’épidémie, qui s’achève en roue libre, a été l’occasion d’un mépris constant pour la communauté scientifique, depuis la visite officielle du président à M. Raoult jusqu’à l’obscurantisme des cabinets de conseil. Bilan : 165 000 morts, principalement vieux, pauvres ou fragiles. Du « darwinisme » en acte.

On ne saurait donc souscrire aux déclarations lénifiantes (ici ou ) des bureaucrates et ex-universitaires fidèles à leur ligne d’accompagnement de toutes les dérives depuis 20 ans. Les étudiants étrangers relégués, les collègues harcelés, la jeunesse paupérisée et les collègues précaires sacrifiés auraient à tout le moins justifié que ces appels au barrage ne prennent pas la forme de satisfecits lyriques. C’est la loi du genre : les courtisans de toutes couleurs présentent une unité de façade, pendant que la lutte des places se joue en coulisse.

Alors, que faire ?

Ce tableau préliminaire a de quoi faire baisser les bras. Mais l’alerte est trop sérieuse pour que nous nous autorisions une position de simples spectateurs. L’urgence est de penser le rôle de l’Université et de la recherche dans la société démocratique que nous voulons construire, et de trouver les moyens de mettre en œuvre une évolution émancipatrice sans attendre qu’on nous l’octroie. Nous voulons un système universitaire et scientifique fondé sur l’exigence, l’éthique et la liberté, sur l’articulation entre principe d’autonomie et responsabilité démocratique, sociale, écologique. Cela n’est possible qu’à des conditions budgétaires et statutaires rendant la maîtrise d’un temps long à la communauté académique. Mais cela demande aussi une réorganisation des pratiques collégiales, dans le sens de la transparence, du désintéressement et de la circulation de l’information. Le plan de cinquante propositions élaborées par la communauté universitaire reste notre boussole, dont certains aspects peuvent être mis en œuvre dès maintenant. En instituant dès aujourd’hui les pratiques de l’Université de demain, il s’agit à la fois d’entraver concrètement les contre-réformes, et de construire positivement les fondations du système que nous voulons.

Le préalable indispensable est de reprendre les prérogatives politiques dont nous nous sommes laissés déposséder par la camarilla des présidents, des DGS, des directeurs de cabinets et autres consultants, dont la complaisance pour le gouvernement s’étale maintenant à longueur de journaux. Cela signifie par exemple :

  • convoquer nous-mêmes plusieurs fois par semestre des assemblées générales des universitaires, où les élus soient invités à rendre compte de leur mandat 
  • nous former collectivement aux cadres réglementaires et budgétaires de l’Université et de la recherche, afin de retrouver la capacité de contredire les discours gestionnaires fallacieux 
  • opposer la légitimité des enseignants et administratifs de terrain à l’incurie autoritaire des directions centrales 
  • communiquer largement les documents internes, procès-verbaux, comptes-rendus, etc. pour les mettre à disposition de la communauté 
  • pour les collègues siégeant dans des instances, refuser de voter des documents transmis à la dernière minute ou trop longs pour avoir été lus intégralement par les membres du conseil ou de la commission concernée. 

Parallèlement, nous devons organiser les solidarités concrètes. Le fonds de soutien à la liberté académique, dont les statuts sont en cours d’élaboration, en est un moyen concret et financé, pour parer aux coups durs. Il ne suffira pas. Nous devons pouvoir compter les uns sur les autres au sein de nos établissements et retrouver le goût du collectif. Une association adossée au fonds de soutien constituerait un moyen d’articuler ces réseaux de solidarité. La condition d’existence d’une telle association est l’intérêt d’au moins un millier de collègues (une dizaine par établissement) ; nous en sommes loin à ce jour. L’association aurait à prendre en charge la solidarité avec les collègues menacés à l’étranger et en France, et porterait les exigences de la communauté scientifique concernant la liberté académique, les statuts et les normes et les procédures d’appréciation du travail savant. Il faudrait par exemple obtenir une protection des sources en sciences humaines du même type que celle des journalistes. Il faudrait défendre la non-automaticité de la mise en examen pour diffamation pour empêcher les procès bâillon qui se multiplient. Il faudrait également travailler à l’élaboration d’un statut plus protecteur de la liberté scientifique pour les universitaires et les chercheurs. Dans ce contexte, l’association aurait encore à défendre les droits des chercheurs et universitaires précaires et l’emploi statutaire. L’association servirait à constituer un réseau de solidarité juridique : guide des droits, dispositif de veille et de conseil, répertoire d’avocats « amis » permettant de minorer le problème des frais de justice. Elle permettrait d’exercer une pression sur les présidences pour garantir l’obtention systématique de la protection fonctionnelle. Il faudrait en particulier obtenir son extension aux doctorants. L’association aurait à travailler en bonne intelligence avec les réseaux existants et poursuivant des buts similaires.

Tout cela nécessite du temps, et donc la mise en œuvre d’un nouvel ordre de priorités, impliquant la relégation des activités qui nous assomment mais sont en réalité beaucoup moins urgentes. Si nous ne ré-investissons pas urgemment du temps et de l’énergie dans la constitution d’une Université émancipatrice, alors nous la perdrons durablement.


À titre informatif, le texte que nous avions écrit au cas où Mme Le Pen serait élue peut être consulté à cette adresse :

https://rogueesr.fr/entrer-en-resistance/

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Is our planet great again ?

  1.  Une nouvelle procédure bâillon, intentée par l’IFOP

Les procédures bâillon visent à intimider, à faire perdre du temps et de l’argent et à faire commettre des erreurs aux chercheurs visés. Il arrive le plus souvent qu’elles portent délibérément sur des propos secondaires, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, ce qui conduit encore certaines présidences à refuser la protection fonctionnelle. Pourtant, la protection fonctionnelle est de droit en cas de poursuites pénales dès lors que les faits avérés n’ont pas le caractère d’une faute personnelle.

Deux procédures bâillon intentées par des chercheurs devraient être jugées ce mois-ci, ce qui donne l’ampleur nouvelle du phénomène. Il s’agit de violations majeures de l’éthique scientifique : les tentatives de judiciarisation du débat scientifique à des fins d’intimidation sont inacceptables. Nous reviendrons dans un prochain billet sur l’association et le fonds de défense de la liberté universitaire : nous encourageons dès maintenant les collègues au reversement partiel (voire intégral) des primes C3 du RIP E-C au fonds de dotation. Les dotations ouvrent droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % du montant des dons dans la limite de 20 % du revenu imposable.

Alors qu’il s’apprêtait à publier son livre 10 Leçons sur les sondages politiques chez De Boeck, notre collègue Alexandre Dezé a appris qu’il faisait l’objet d’une plainte pour diffamation de la part de l’IFOP pour les propos suivants, tenus dans Le Monde du 11 septembre 2020, à propos d’une enquête de l’institut de sondages portant notamment sur le rapport des musulmans aux attentats de Charlie Hebdo : « Avec un échantillon aussi faible, de 515 personnes, ce sondage n’a aucune valeur et ses conclusions sont discutables. La faiblesse méthodologique est délirante et en même temps il y a une croyance indéboulonnable que ces sondages sont de la science ». Les critiques scientifiques des sondages d’opinion en soulignant les faiblesses méthodologiques et le caractère pseudo-scientifique ne sont pourtant pas une nouveauté.

Pour soutenir notre collègue, vous pouvez signer la lettre initiée par la section 04 du CNU :

https://semestriel.framapad.org/p/soutien-a-alexandre-deze-9tfq?lang=fr

  1.  Is our planet great again ?

Le GIEC vient juste de publier un nouveau rapport sur l’état des émissions de CO2 et sur les moyens nécessaires pour les réduire à temps, une occasion pour nous de revenir sur la responsabilité de la communauté scientifique devant la société :

https://report.ipcc.ch/ar6wg3/pdf/IPCC_AR6_WGIII_SummaryForPolicymakers.pdf

Jamais autant de gaz à effet de serre n’a été émis que lors de la dernière décennie. Elles sont de 54 % supérieures à ce qu’elles étaient en 1990, lorsque les négociations internationales sur le climat ont commencé. Les 10 % les plus riches sont à l’origine de 40 ± 5% de ces émissions contre 14 ± 1 % pour la moitié de la planète la plus pauvre. Une large majorité des flux financiers privés et publics dans le domaine énergétique irrigue les industries fossiles — et continue de produire une désinformation scientifique, comme le montre la licence BNP-Paribas de PSL. Les trajectoires actuelles conduisent a minima la planète vers une hausse moyenne de + 3,2°C d’ici à la fin du siècle. Il est désormais clair que la réallocation du capital nécessaire à la transition bas-carbone nécessite un interventionnisme politique fort, aujourd’hui totalement absent en France et ailleurs.

Il y a tout juste 5 ans, le 22 Avril 2017, « jour de la Terre » et du premier tour des élections présidentielles en France, plus d’un million de personnes dans le monde ont participé à une March for Science dans le but d’affirmer la valeur de la science, en réponse à l’obscurantisme de Donald Trump. Le candidat Macron, surfant opportunément la vague de ce mouvement, avait dans le cours de sa campagne invité dans une vidéo les scientifiques étasuniens à venir trouver refuge en France. Cette opération de communication lui avait permis de se poser en défenseur d’un libéralisme politique éclairé et écologiste, et d’obtenir le soutien d’une partie de la communauté universitaire.

C’est dans le sillage de cette première opération de communication, et après son élection, que M. Macron a lancé son fameux slogan « Make our planet great again », qui fut un succès international (jusqu’à être consacré « champion de la terre » par l’ONU en 2018) sans que quiconque ne sache de quoi il retournait, si ce n’est la promesse de sauver la planète et les scientifiques.

Cinq ans après, la France ne respecte pas les engagements climatiques de l’accord de Paris. La promesse de fermer la totalité des centrales à charbon avant la fin du mandat n’a pas été tenue et des alliances toxiques avec des États soutenant le recours au gaz fossile ont été nouées. Plusieurs dizaines de milliards d’euros d’argent public français ont été accordés aux énergies fossiles (pétrole et gaz) et la France est le seul État européen à ne pas avoir rempli ses objectifs de développement des énergies renouvelables. La crise sanitaire a été l’occasion de transferts massifs (des dizaines de milliards à nouveau) vers les secteurs aérien et automobile. Les émissions de gaz à effet de serre dues aux transports ont stagné et le démantèlement du réseau ferré secondaire s’est accentué. Autre préoccupation environnementale, la biodiversité n’a connu, elle-aussi, que des discours sans lendemain.

La convention citoyenne pour le climat à été l’occasion de mettre en œuvre l’une des techniques de néo-management destinées à occuper les contestataires et à fabriquer le consentement : la comitisation, équivalent des « groupes de travail » à l’échelle de la société. Cette « convention » a été organisée par le cabinet de conseil Eurogroup pour 1,9 million d’euros et préparée par un livrable du cabinet Boston Consulting Group (BCG). Les recommandations principales, pourtant très encadrées par les recommandations d’« experts » sélectionnés, n’ont pas été suivies d’effet, pas plus que celles du Haut Conseil pour le Climat, qui a occupé plusieurs scientifiques reconnus sur les questions climatiques.

« Make our planet great again » a consisté en un appel à projet co-financé par le CNRS, d’un montant total de quelques millions d’euros, à comparer aux 3 milliards du budget du CNRS. L’appel a conduit à financer une poignées de contrats précaires pour quelques scientifiques, pour l’essentiel des français partis en post-doc et trouvant dans cet appel une occasion de retour en France. L’impact de l’appel sur l’activité scientifique n’a pas été évalué, pas plus que le désinvestissement massif dans les universités et les organismes de recherche opéré pendant la même période. Aucun organisme de recherche et aucun établissement d’enseignement supérieur n’a été sollicité par l’exécutif ou le ministère pour travailler, sur des bases scientifiques, à la question de la transition écologique, que ce soit pour ces établissements eux-mêmes ou pour le reste de la société. Le CNRS, co-animateur de l’appel à projet « Make our planet great again », n’a même pas fait l’effort de produire son bilan de gaz à effet de serre, conformément à l’obligation légale qui lui est faite.

C’est au sein de la communauté scientifique que la réflexion autour de ces questions a émergé, au sein du collectif Labos 1point5, qui a défini à la fois les termes d’une recherche scientifique sur l’empreinte environnementale de la science et les principes devant guider la construction d’une éthique environnementale de la recherche. Se posant comme extension de l’éthique académique à la fois dans sa dimension individuelle et collective, l’éthique environnementale de la recherche suppose que la communauté savante fixe elle-même les limites du « productivisme scientifique », dans un mouvement de transformation et de réappropriation des métiers de la recherche conforme au principe d’autonomie.

Puisque l’imploration des « décideurs » est manifestement inefficace (la crise du COVID en témoigne cruellement), la communauté scientifique n’a d’autre choix que d’accroître sa capacité d’auto-organisation pour trouver d’autres ressorts à la mise en œuvre des politiques qui font défaut.

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Quelques poissons perdus dans la galaxie

Quelques poissons perdus dans la galaxie

Préambule

Pour le 1er avril, le Ministère, en calant l’échéance de la campagne de recrutement synchronisée des enseignants-chercheurs le même jour que celle des candidatures aux primes du RIP E-C, à la même heure qui plus est, a organisé lui-même une vaste attaque par déni de service contre ses propres serveurs. C’est ainsi que depuis le 30 mars au soir, Galaxie ne répond plus que par intermittence. L’échéance a été reportée au 1er, puis au 5 avril. Nous assurons de notre sympathie les docteurs précaires dont la recherche de poste est affectée par cette pantalonnade. Ils et elles sont très matériellement victimes de l’usine à gaz clientéliste du RIP E-C, financée par le vol de nos cotisations de pension de retraite.

Le ministère a placé très haut la barre du grotesque, mais nous avons décidé de relever le gant. Vous trouverez dans ce message une tentative d’emporter d’un fou rire les larmes que pourrait inspirer l’incompétence des technocrates grisâtres.

Cocon-struction

Cocon-struction

Excellence de chercheur contisée à l’Ail Noir de Reims

Choisir un chercheur label rouge de belle taille. Privilégier les races à chair ferme et goûteuse, comme l’anarcho-presbytérien, le trotsko-kabbaliste ou le bolcho-maométan. Après en avoir retiré la colonne vertébrale, la pièce doit être bridée, les pattes rentrées dans le ventre et repliées, frottées sur les filets et les cuisses avec un demi-citron, pour les conserver blanches. Tremper l’estomac dans du fonds blanc bouillant pour rafermir les chairs. En retirer les os, et emplir le vide de la carcasse d’une farce. Barder.

Détacher l’excellence à deux doigts du suprême, préalablement levé, façonné en anneau et réservé. Ne pas oublier l’autre : si l’excellence de droite (en regardant vers l’arrière), entre la peau et les os, ravit le palais délicat, l’excellence de gauche, plus persillée, confine au sublime.

Piler l’Ail Noir de Reims au mortier avec son poids en crème fermière. La formule, établie et réglée selon le principe de travail des grandes maisons devra nécessairement être réduite, modifiée au point de vue économique, quand elle est exécutée dans une maison autonome de moindre importance : il appartient à l’initiative de l’ouvrier, selon ses ressources propres, de suppléer à la sacralité propre à Reims.

Contiser l’excellence : mettre la crème de l’A.N.R. dans votre poche et l’instiller sous la peau. Procéder comme si c’était l’ultime année où l’on puisse co(n)tiser.

Serrer l’excellence et le suprême en ballotine dans un linge paraffiné en évitant toute entrée d’air : la cuisson de l’excellence, en 180 secondes, se fait à l’asphyxiée. Le suprême est à point quand il présente agilité et souplesse. L’excellence doit se courber sous la pression du doigt.

Dérouler délicatement le linge. Détailler l’excellence et procéder à un enfumage à l’ancienne. En l’absence de fumoir, escaloper au wok les rondelles d’excellence dans un peu de beurre avec un jus de mandarinat pour réveiller la viande.

Seule une rondelle de ballotine sur 10 peut être qualifiée de parfaite. Jeter les autres. Dresser sur un plat avec 10 boules de truffes à la cuillère, napper de sauce Mornex. Entourer de tartelettes garnies de pointes d’asperge et farcies d’un salpicon de foie gras. Une belle lame de langue de bois écarlate taillée en crête de coq entre chaque tartelette.

Note. en saison, et pour un goût plus suave, l’Ail Noir peut être remplacé par l’ail des ours.

Dans l’antre des grands fauves

Dans l’antre des grands fauves

Dans l’antre des grands fauves

Pourquoi Omicron s’appelle-t-il également BA.1 et en même temps BA.2 ?

Pourquoi Omicron s’appelle-t-il également BA.1 et en même temps BA.2 ?

Création de l’Université expérimentale de Bourges

Université expérimentale de Bourges

Le Berry Républicain daté du 20 mars 2022.

Tel le super phénix, 233 ans après sa dissolution par les hordes sanguinaires de la Révolution française, l’Université de Bourges renaît de ses cendres. Ce joyau de  l’innovation pédagogique est une première en France : lauréate de l’Appel à projets d’excellence ReussEx, l’Université de Bourges garantit la réussite à 100 % de ses inscrits. Économie de temps ; économie de moyens ; l’Université de Bourges est tournée vers le service de proximité : dès le paiement des frais par carte bleue, le diplôme est délivré, clés en mains. C’est le duc de Berry, fondateur en 1463 de l’université par ordonnance de son frère, Louis XI, qui serait fier de voir ainsi son œuvre se poursuivre… On murmurait hier lors de l’inauguration qu’Aubigny-sur-Nère et Vailly-sur-Sauldre seraient déjà sur les rangs pour ouvrir des antennes de cette vraie, belle université de proximité.

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Vous voler votre montre pour vous donner l’heure. Et pas la bonne.

Vous voler votre montre pour vous donner l’heure. Et pas la bonne.

Deux points dans ce billet : le lien entre le nouveau régime d’indemnisation RIP E-C et la réforme des retraites ; et une analyse plus longue sur le rôle des cabinets de consultance dans les processus de réforme de ces quinze dernières années. Ces deux points sont précédés d’un préambule relatif à notre non-intervention dans le contexte électoral.

Préambule

Nous nous trouvons actuellement dans ce qu’il est convenu d’appeler la « dernière ligne droite » d’une élection présidentielle qui restera dans les annales pour son indigence politique. Notre collectif est constitué de contributrices et de contributeurs qui ne votent pas identiquement et ne veulent pas savoir ce que les autres votent. Soutenir telle ou telle candidature serait trahir toutes celles et tous ceux d’entre vous qui avez appuyé des initiatives de RogueESR et votez pour A, B ou C, et ce au moment même où, face à un avenir qui s’annonce particulièrement difficile, nous aurons besoin de toutes les forces et de toutes les bonnes volontés pour maintenir un horizon émancipateur pour l’Université et la recherche. Ce chemin de la reconstruction est le seul qui nous engage en tant que collectif.

  1. Comment la « revalorisation » et le RIP E-C peuvent-ils être financés, à budget total constant ?

Au moment où les universitaires découvrent la nouvelle usine à gaz des primes (RIP E-C, régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs, et prime individuelle C3) issues de la loi de programmation de la recherche (LPR) et supposées constituer une « revalorisation », les directions des syndicats d’accompagnement s’auto-congratulent de cette « vraie dynamique », de ces « réelles avancées ».

Cependant,la seule réalité qui vaille, ce sont les budgets. Or, ceux de l’Université sont stagnants. Il n’y a rigoureusement rien d’« inédit et historique » dans la loi de programmation de la recherche (LPR), mais une évolution des budgets universitaires calée sur l’inflation, accompagnée de mesures de dérégulation des statuts et de précarisation. La figure 1 ci-dessous le démontre : il n’y a aucune revalorisation financée, alors même que l’essentiel du budget est destiné à payer salaires et primes.

Figure 1. (a) Évolution du budget de l’Université (subvention pour charge de service public du programme 150) en euros constants de 2022 et du budget économisé par ponction dans les cotisations prévue par le projet de loi sur les retraites (article 18). (b) Évolution des dépenses par étudiant, en euros constants (base 100 en 2008). Données compilées par Thomas Piketty et Lucas Chancel.

Comment est-ce possible ? S’agit-il de mettre les établissements universitaires en déficit par une loi insincère dont les mesures ne sont pas financées ? S’agit-il de créer les conditions sous lesquelles les universitaires en viendraient à souhaiter l’augmentation des frais d’inscription que M. Macron appelle de ses vœux ?

La réponse est plus simple : la LPR a été négociée à Bercy en conjonction avec la loi sur les retraites, dont l’article 18 prévoit une baisse graduelle de la part patronale des cotisations de pension de retraite (en jaune sur la figure 1). C’est ce prélèvement sur la part socialisée du salaire qui permet son reversement partiel sous forme de primes. En résumé, la « revalorisation » est financée par la diminution de nos retraites. Aussi n’y avait-il pas grand suspense sur le retour de la loi sur les retraites, désormais annoncée.

Le recours à l’enfumage pour masquer un nouveau train de mesures de caporalisation et de racket ajoute le mépris de nos capacités analytiques à la démolition de nos métiers.

Figure 2. (a) Évolution du budget alloué aux cabinets de consultance. (b) Évolution du budget d’intervention alloué à la recherche (appels à projets) par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Les données de 2020 et 2021 ne figurent plus dans les documents budgétaires de la représentation nationale ; le rapport d’activité de l’ANR en 2021 n’est pas encore paru; le montant en hachure a été calculé à partir du nombre de projets acceptés, en supposant constant le montant par projet. (c) Montant des contrats passés avec des cabinets de consultance pour définir la politique sanitaire contre l’épidémie de Covid 19 (hors Santé publique France). Les conseils en matière de masques ont été fournis par Citwell, JLL et Roland Berger. (d) Nombre de projets soumis (orange, axe de gauche) et nombre de projets financés (vert, axe de gauche) par l’ANR. Le taux de sélection (violet, axe de droite) est le rapport entre les deux nombres.
  1. Cabinets de consultance : l’État au service et sous le contrôle du privé

Le 16 mars 2022, un rapport sénatorial paraît, qui porte sur le recours croissant à des cabinets de consultance par l’État.

Résumons à grands traits les soupçons de malversation qui ont retenu l’attention ces derniers jours, avant d’en venir au cœur de notre propos. Le travail du Sénat fait apparaître des contrats de complaisance avec le cabinet McKinsey, pour des montants démesurés pour le travail indigent effectué, quand il existe. Par ailleurs, une vingtaine de consultants partners et juniors de McKinsey a participé, aux côtés de l’Institut Montaigne, à l’élaboration du programme de M. Macron en 2017, ce qui pourrait constituer un don de personne morale à un parti politique, interdit par la loi. Dernier élément, le cabinet McKinsey, en plus d’être porteur d’un sabotage méthodique des services publics, offre « un exemple caricatural d’optimisation fiscale », pour reprendre les termes du Sénat, puisque le cabinet ne paye plus d’impôts en France depuis 10 ans. Ces éléments ont conduit le Sénat à porter plainte pour « faux témoignage » après la déposition mensongère de M. Tadjeddine, responsable du pôle secteur public de McKinsey.

Laissant de côté ces éléments qui intéressent désormais la justice, nous nous concentrerons ici sur l’usage fait de ces cabinets dans l’enseignement supérieur et la recherche.

Pour commencer, faisons retour sur la question qui occupait la première partie de ce billet. Le 21 novembre 2019, la Caisse nationale d’assurance vieillesse commande au cabinet McKinsey une prestation de conseil : comment aligner le régime des retraites de la fonction publique sur celui du secteur privé, de sorte à diminuer les cotisations de pension de retraite des fonctionnaires ? Pour le tarif global de 920 000 €, soit 2 700 € par jour, les consultants de McKinsey établissent ce qu’il faut bien appeler un programme de mise en crise du régime de retraites, pour l’heure à l’équilibre pour deux décennies. Le résultat concret de cette commande, un « livrable » de 50 pages accompagné d’un « power-point », occulte volontairement la participation du cabinet.

Le 1er janvier 2020, la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) commande au cabinet McKinsey un rapport sur l’évolution du métier d’enseignant, monnayé 496 800 €, soit 3 312 € par jour. Un an après, à l’issue d’un pseudo-colloque sur le sujet, un rapport indigent paraît effectivement, mais il est signé de Yann Algan, Stanislas Dehaene, Élise Huillery, Elena Pasquinelli et Franck Ramus, de nouveau sans aucune mention de McKinsey,. Cette manifestation est caractéristique des événements en « zone grise » qui usent et abusent du prestige académique à des fins idéologiques ou économiques. Le 25 février 2020, le ministère de l’Éducation nationale écrit au directeur associé du cabinet de conseil McKinsey, lui demandant de reporter le « copil McKinsey » du lendemain pour que le ministre, Jean-Michel Blanquer, « puisse y participer, car tel est son souhait ». « N’appelons pas cette instance “copil McKinsey” mais “copil DITP Enseignant XXI”. C’est important que cela apparaisse dans les agendas. », rectifie le consultant par retour de courrier.

Le 21 septembre 2021, la loi de programmation de la recherche (LPR) est présentée à l’Assemblée nationale. On y trouve, au milieu des mesures de dérégulation des statuts des universitaires, un projet porté par McKinsey et Bluenove pour le compte du secteur agro-industriel : un science media centre en partenariat public-privé visant à supprimer des rédactions les journalistes scientifiques en les remplaçant par des fiches à usage de journalistes non spécialisés. Le modèle anglais du science media centre montre qu’il s’agit d’empêcher l’accès médiatique direct des chercheurs et de promouvoir une « information » sous contrôle du secteur privé, et à son profit.

Le 6 janvier 2022, le 125 000ème décès du Covid en milieu hospitalier est enregistré, ce qui correspond au total à 150 000 morts environ. En proportion du nombre d’habitants, l’Allemagne a 27 % de décès en moins, et la Nouvelle-Zélande 99 % en moins. Pendant deux ans, la communauté scientifique a proposé son aide pour concevoir une politique de prévention qui se fonde sur l’analyse de la littérature savante, mais aussi pour aider aux aspects logistiques, déficients. En vain. Dans le même temps, le cabinet Véran a passé 47 contrats en faveur de 8 cabinets pour un montant de 25 millions d’euros, avec le résultat que l’on constate : à la sixième vague de Covid, le déni de transmission aéroportée du SARS-CoV-2 et le fantasme de l’immunité de groupe persistent ; aucun investissement n’a été consenti pour en finir avec la pandémie et prévenir les suivantes. Il est particulièrement choquant que le cabinet McKinsey ait obtenu plus de 12 millions d’euros de contrats en étant co-responsable du scandale sanitaire de l’OxyContin, qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts aux USA.

Figure 3. La dernière note du cabinet McKinsey sur la transition vers l’endémicité permet de prendre la mesure de l’incompétence scientifique des cabinets de consultance sollicités dans le cadre de la gestion de la pandémie, incompétence que la production d’éléments de langage stéréotypés peine à dissimuler.

Le recours aux cabinets de consultance entretient un lien systémique avec la sape des normes d’intégrité scientifique et d’autonomie intellectuelle que vivent la recherche et l’Université depuis vingt ans. Ce lien ne se réduit pas au contraste saisissant entre les préconisations sanitaires des consultants et ce qu’aurait été un appareil sanitaire fondé sur la connaissance scientifique : il s’agit d’un lien historique très concret. Pour le comprendre, il convient de remonter au 23 janvier 2008, date de remise à M. Sarkzoy du « Rapport sur la libération de la croissance », dit rapport Attali. M. Macron était le rapporteur général adjoint de la « commission Attali », avant d’en devenir membre à part entière en qualité de gérant au sein de Rothschild & Cie. Ce document représente une rupture dans l’histoire de l’Université française, concomitante de la loi Pécresse (loi « Libertés et Responsabilités des Universités », votée à l’été 2007). Cet acte de naissance des Initiatives d’Excellence (IdEx) et du Programme d’Investissements d’Avenir était la feuille de route pour 20 ans de réformes managériales de l’Université, dont on constate aujourd’hui les effets : différenciation, paupérisation, précarisation, bureaucratisation et mise en concurrence. Au sein de la commission figurent par exemple Pierre Nanterme, d’Accenture, Eric Labaye, dirigeant de McKinsey France parachuté depuis à la tête de l’Ecole Polytechnique, et d’autres encore.

On connaît la postérité de ce rapport : une suite ininterrompue d’excellents appels à projets qui ont conduit les appareils universitaires à dilapider l’argent public en faisant appel à d’excellents cabinets de consultance pour écrire de non moins excellents dossiers de candidature. Le cabinet Kurt Salmon Associates eut le marché pour la Comue Université Bretagne Loire, le cabinet Charles Riley Digital Focus pour Sorbonne Université, Ineum, Erdyn et Alcimed pour le pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) de l’Université de Bordeaux, Bearing Point France et Ernst & Young pour le PRES Université Paris Est, Deloitte pour la fusion de l’Université de Strasbourg, Ineum Consulting pour l’IdEx Sorbonne Paris Cité et Alcimed pour la Société d’Accélération du Transfert de Technologies (SATT) qui lui fut adossée — le recrutement du PDG de la SATT fut, lui, opéré par François Sanchez Consultant. Les 17 candidatures aux IdEx ont ainsi été facturées autour de 400 000 euros par dossier dépourvu de sens. On sait moins, en revanche, que les cabinets de consultance avaient parallèlement été mis à contribution pour concevoir les excellents appels à projets, auxquels ils rédigeaient ensuite leurs excellentes réponses, contre espèces sonnantes et trébuchantes. Par ailleurs, la plupart des bureaucraties universitaires ont désormais recours pour définir les « stratégies d’établissements » à des cabinets de consultance comme Siris Academics, connus pour avoir des contrats avec le ministère. Ces cabinets privés sont utilisés pour « faire passer des messages » et négocier des ajustements entre les établissements et le ministère. Les navettes ministérielles n’ont donc pas disparu avec la pseudo-autonomie des établissements : elles ont tout simplement été privatisées.

En conclusion, il convient de circonscrire les raisons pour lesquelles ce recours aux cabinets de consultance est à ce point choquant pour le monde de l’Université et de la recherche. Il y a d’abord la médiocrité des travaux effectués, sans commune mesure avec les normes en vigueur dans la recherche. C’est particulièrement vrai pour des questions comme la pandémie de COVID-19 ou l’évolution du métier d’enseignant, pour lesquels écrire un rapport suppose de pouvoir établir une bibliographie scientifique, donc d’être formé à la recherche plutôt qu’au management et à la communication. Par ailleurs, le financement de ce type de travail de recherche aurait été incomparablement plus faible que les ponctions d’argent public opérées par les cabinets. Comment ne pas voir (figure 2) que le montant dépensé en rapports indigents par l’exécutif croit beaucoup plus vite que le montant que l’Agence nationale de la recherche consacre aux projets de recherche publique ?

La captation « tentaculaire » des politiques publiques par les cabinets de conseil traduit l’indifférenciation graduelle des sphères publique et privée, la transformation du conflit d’intérêt en norme positive et l’abandon de l’intérêt général au profit de l’intérêt particulier. Cette transformation idéologique du rôle de l’État, mis au service et sous le contrôle du privé, est passée par la transformation de la haute fonction publique depuis 20 ans. Les deux grands Corps (l’Inspection des finances, nourrie par l’ENA, et le Corps des mines, alimenté par l’École Polytechnique) conduisent à des trajectoires semblables : passage dans un cabinet ministériel pour étoffer le carnet d’adresses, puis « pantouflage » dans une entreprise privée (en particulier les cabinets comme McKinsey, Capgemini, BCG, etc.) pour faire fortune, avant de contribuer sur le tard à maintenir l’emprise des grands Corps sur les instruments financiers de l’État : Caisse des dépôts et consignations (CDC), Banque publique d’investissements (BPI), Commissariat général à l’investissement (CGI)… Lesquels endettent aujourd’hui graduellement nos établissements.

Ce qui provoque la stupeur du monde scientifique n’est pas tant le pouvoir pris par ces élites « scolairement dominées, mais socialement et économiquement dominantes » (selon une formule pertinente de P. Bourdieu) que le déclassement de la science, de la rationalité et du savoir au profit du management, de la communication et de la monétisation du vide intellectuel.

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Quels outils pour une Université et une recherche libres

Une série de brèves dans le billet de cette semaine :

  1. Lancement d’une association de défense de la liberté académique, adossée à un fonds de dotation : le programme du jeudi 17 mars
  2. Défendre la liberté académique : soutien aux collègues d’Ukraine, de Russie et de Biélorussie
  3. ANR : l’absence de sérieux scientifique est-elle la norme ?
  4. Covid : la vague épidémique prédite à la mi-janvier est là
  5. Recherche : la France, 3ème dans un classement international
  6. CNRS : vers une transformation en agence de moyens ?

I. Lancement d’une association de défense de la liberté académique, adossée à un fonds de dotation : le programme du jeudi 17 mars

À l’occasion du lancement d’une association de défense de la liberté dans l’Université et la recherche, adossée à un fonds de dotation, le mini-colloque « Quels outils pour une Université et une recherche libres » débattra des menaces qui pèsent sur notre métier mais aussi des outils à mettre en œuvre pour y faire face. Le lieu a été choisi en lien avec l’incarcération en Iran de notre collègue Fariba Adelkhah depuis le 5 juin 2019.

Jeudi 17 mars, de 13h50 à 19h30

CERI – Salle de conférence – Rdc – 56 rue Jacob, 75006 Paris

Inscription obligatoire ici.

Le mini-colloque sera également retransmise en direct sur la chaîne de Politique des sciences.

La session de 18h à 19h30 sera consacrée aux questions concrètes de création de l’association et du fonds de dotation et constituera la première réunion de toutes les personnes intéressées par le projet.

Programme

13h50 : Accueil des participants.

14h-14h50 : Aux avant-postes du danger.

La session témoignera des dangers qui affectent d’ores et déjà un nombre croissant d’universitaires à l’étranger.

Modératrice : Béatrice Hibou, directrice de recherche au CNRS (Ceri/Sciences Po)

Interventions :

  • Alexander Bikbov, chercheur associé au CERCEC (CNRS/EHESS) et au CMH (ENS/CNRS/EHESS)
  • Catherine Gousseff, directrice de recherche au CNRS (CERCEC/EHESS)
  • Ahmet Insel, directeur éditorial des éditions Iletisim

Pause

15h-17h45 : Menaces, pratiques, ripostes.

Modératrice : Johanna Siméant-Germanos, professeure, ENS Paris

La session se composera de cinq interventions qui répondront chacune pour son compte à une même série de questions. À partir de quels constats, de quelles menaces, de quels espoirs analyser la situation de la liberté académique ? Comment théoriser nos besoins et quels outils mettre en œuvre pour défendre cette liberté.

Interventions :

  • Nonna Mayer, directrice de recherche au CNRS (CEE/Sciences Po)
  • Olivier Beaud, professeur, Université Panthéon-Assas
  • Claude Gautier, professeur, ENS Lyon
  • Bruno Andreotti, professeur, Université Paris Cité
  • Felix Tréguer, postdoctorant au CERI (Sciences Po/CNRS) et chercheur associé au Centre Internet et Société (CNRS) (sous réserve)

Pause

18h : Fonder une association : quels objectifs, quels statuts, quels garde-fous ?

Modérateur : Bruno Andreotti, professeur, Université Paris Cité

Cette dernière session sera consacrée à débattre des modalités de création d’une association et/ou d’un fonds de dotation. Elle comportera une intervention synthétique sur l’articulation entre liberté académique, éthique et intégrité.

Intervenant :

  • Jacques Haiech, professeur, Université de Strasbourg

II. Défendre la liberté académique : soutien aux collègues d’Ukraine, Russie et Biélorussie

De nombreux collègues sont aujourd’hui en danger en Ukraine, mais aussi en Russie pour avoir pris des positions courageuses contre l’invasion militaire russe. Nous devons nous souvenir de l’abandon complet des collègues afghans par l’exécutif il y a quelques mois et nous mobiliser pour l’accueil de ces collègues. Cela suppose de recenser les capacités d’accueil, de financement et d’hébergement, laboratoire par laboratoire, UFR par UFR. Il est déjà évident que le programme PAUSE ne suffira pas. Ce pourrait être un premier travail pris en charge par l’association en cours de création pour défendre la liberté académique, ce qui suppose que nous y soyons nombreuses et nombreux à y travailler de manière effective.

Pour autant, nous ne devons pas exonérer les bureaucraties de leur responsabilité. Nous attirons votre attention vers un double courrier envoyé à la présidence du CNRS et aux présidences d’universités.

III. ANR : l’absence de sérieux scientifique est-elle la norme ?

Comme chaque année, de nombreux collègues découvrent avec stupéfaction la désinvolture avec laquelle la pré-proposition qu’ils ont adressée à l’agence nationale de la recherche (ANR) pour l’appel à projets générique (AAPG) a été traitée par les comités d’évaluation scientifique (CES) en charge de trier les dossiers admis pour un second tour. Projets non lus, non compris, éreintés sur des contresens, dénigrement de personnes, reproches portant sur des améliorations demandées lors d’une demande précédente, mauvaise foi, a priori — quand l’unique reproche adressé à un projet ne contrevient pas purement et simplement au règlement de l’ANR. Les motifs d’incompréhension ne manquent pas, pour les porteurs éliminés — et parfois également pour ceux qui passent.

Dans un contexte de pénurie de moyens, où les subventions d’État ne couvrent plus les besoins de la recherche, et où l’AAPG de l’ANR est devenu — pour beaucoup d’équipes, en particulier en recherche fondamentale — le principal, parfois l’unique guichet de ressources, les conséquences de ces « non » pour l’activité de recherche et la vie des collectifs sont extrêmement lourdes. De tels choix, expédiés en quelques minutes, en dehors de tout fondement scientifique, par la machinerie bureaucratique à laquelle participent, à la chaîne, quelques collègues surmenés, illustrent l’irrationalité de l’institution ANR.

Nous assurons de notre sympathie les collègues qui, comme beaucoup d’entre nous, se sont pris avec violence les quelques mots lapidaires, tenant le plus souvent de l’arbitraire bureaucratique, par lesquels l’ANR annonce l’absence de moyens pour effectuer leurs recherches. Certains d’entre eux trouvent encore le courage d’entreprendre des recours, afin d’interroger l’ANR sur la vacuité du processus qu’elle met en œuvre, l’absence de rationalité de ses décisions. Il serait important de procéder à une collecte des retours de l’ANR, adossés à une argumentation factuelle, afin d’évaluer l’ampleur de l’arbitraire auquel nous sommes confrontés, et les conséquences visibles sur le décrochage scientifique du pays.

IV. Covid : la vague épidémique prédite à la mi-janvier est là

L’analyse du remplacement des variants Omicron BA.1 par BA.2 au Danemark, et celle de l’irruption du variant Alpha un an auparavant, ont permis dès la mi-janvier de prédire la vague de variant BA.2 qui a repris depuis quelques jours. Elle s’accompagne d’une flambée d’hospitalisations dans plusieurs pays étrangers qui témoigne d’une possible érosion de l’immunité, au moins parmi les personnes les plus fragiles.

Alors que l’abandon des masques se généralise, dans un énième déni de la rationalité la plus élémentaire, les mesures de réduction de risque les plus simples (ventilation et masque FFP2) doivent au contraire être mises en œuvre, ce qui n’exonère pas d’investir enfin dans un programme de prévention.

V. Recherche : la France, 3ème dans un classement international

La France se classe juste derrière la Chine et les États-Unis dans un classement international significatif : le nombre de téléchargements sur le site russe Sci-Hub.

Le nombre de téléchargements témoigne de l’emprise des éditeurs privés sur leur clientèle captive, qui se trouve être aussi celle qui produit leur richesse : nous. Si l’on rapporte le nombre de téléchargements sur Sci-Hub au nombre de chercheurs, la France est encore 4ème, derrière la Colombie, les Philippines et la Malaisie, et juste avant l’Indonésie et le Brésil. Il y a 7 fois plus d’articles téléchargés par chercheur en France qu’en Allemagne…

Cet engouement pour Sci-Hub témoigne évidemment du caractère dysfonctionnel des bibliothèques numériques françaises, surtout pour les accès à distance. L’association Couperin en charge de la contractualisation avec les éditeurs, négocie un accès différencié pour les différents établissements et, à l’intérieur de ceux-ci, pour les différentes disciplines. Toute recherche multidisciplinaire se transforme ainsi en cauchemar… sauf à utiliser Sci-Hub.

VI. CNRS : vers une transformation en agence de moyens ?

Lors de son allocution du 13 janvier dernier, M. Macron a fait état de son souhait de transformer les organismes de recherche en « agences de moyens » pour les établissements universitaires. Cette proposition programmatique reprend celle de la Cour des comptes qui, outrepassant ses fonctions, a suggéré dans une note de transférer les chercheurs des organismes aux universités et de fusionner les organismes devenus agences de moyens au sein de l’ANR.

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En solidarité avec l’Ukraine

En solidarité avec l’Ukraine

Depuis quelques jours, l’attaque militaire russe en Ukraine a porté la guerre au cœur de l’Europe. Nous tenons à dire notre solidarité avec la population ukrainienne. Nos pensées vont en particulier vers nos collègues sur place et vers les étudiantes et étudiants venant d’Ukraine et qui peuvent se trouver actuellement en France, loin des leurs et de leur pays. Nous attirons votre attention sur cette pétition de soutien aux chercheurs et étudiants d’Ukraine.

Vous pouvez également consulter la prise de position du Groupement de recherche CNRS « Empire russe, URSS et monde post-soviétique. »

Nous tenons également à dire notre sympathie aux universitaires russes qui ont le courage de prendre publiquement la parole contre cette guerre, parfois au péril de leur carrière et de leur liberté. En portant ainsi une parole de droiture, de solidarité et de vérité face à la machine de propagande belliciste, ces collègues nous renvoient aux plus hautes exigences de la liberté académique. Le journal Le Monde a publié un texte de collègues russes, que nous portons à votre connaissance ci-dessous.

Que peut faire l’Université dans cette situation ? Soutenir matériellement et accueillir les collègues, les étudiantes et les étudiants ukrainiens mis en danger par la guerre est une évidence. Mais sur le long terme, cette guerre rappelle aussi l’importance politique de garantir des formations de haut niveau relatives aux langues, aux sociétés, aux économies et aux cultures de l’ensemble des pays et des régions du globe. Un maillage de formations de ce type représente une contribution décisive à la formation d’un appareil d’État et d’une société civile à même d’analyser et de comprendre des crises régionales ou globales souvent latentes mais risquant de connaître des phases paroxystiques aussi tragiques que cette guerre. Préparer notre pays à répondre efficacement et démocratiquement aux crises internationales impose de retrouver l’ambition perdue de la diversité linguistique et culturelle dans la formation des élites et du plus grand nombre. Cette crise s’ajoute à d’autres pour nous renvoyer à l’exigence collective de savoirs autonomes, inscrits dans la longue durée, et portant sur l’ensemble des champs de l’activité humaine.

Nous assurons de notre soutien chaleureux les collègues spécialistes de cette aire géographique, qui voient aujourd’hui la guerre déchirer les pays de leurs interlocuteurs scientifiques. Nous invitons toute la communauté universitaire à apporter son soutien et à témoigner sa solidarité aux nombreux chercheurs, doctorants et étudiants ukrainiens qui sont dans nos établissements d’enseignement supérieur et à tous ceux qui y seront accueillis dans les semaines et mois qui viennent.

Appel de 664 chercheurs et scientifiques russes :
« Nous exigeons l’arrêt immédiat de tous les actes de guerre dirigés contre l’Ukraine »

Dans une lettre ouverte publiée par Le Monde le 25 février, un collectif de chercheurs et de journalistes scientifiques russes dénonce l’entière responsabilité de la Russie dans le déclenchement du conflit. Par cet acte, « la Russie s’est condamnée à l’isolement sur la scène internationale et à un destin de pays paria », estiment-ils encore.

Nous, chercheurs et journalistes scientifiques russes, exprimons ici notre protestation énergique contre les actes de guerre lancés par les forces armées de notre pays sur le territoire de l’Ukraine. Cette décision fatale causera la mort d’un très grand nombre de gens. Elle sape les fondements du système de sécurité collective. La responsabilité du déclenchement de cette nouvelle guerre en Europe incombe entièrement à la Russie.

Cette guerre n’a aucune justification rationnelle. Les tentatives de manipuler la situation dans le Donbass et de s’en servir comme prétexte pour déclencher les opérations militaires ne dupent absolument personne. Il est évident que l’Ukraine ne représente aucune menace pour notre pays. La guerre contre elle est injuste et absurde.

L’Ukraine était et reste un pays dont nous sommes très proches. Nombreux sont ceux, parmi nous, qui y ont des parents, des amis et des collègues chercheurs. Nos pères, grands-pères et arrière-grands-pères ont combattu ensemble le nazisme. Déclencher une guerre pour satisfaire les ambitions géopolitiques des dirigeants de la Fédération de Russie, mus par des considérations historiques fantaisistes et douteuses, ce n’est pas autre chose que trahir leur mémoire.

La guerre avec l’Ukraine, c’est un pas dans le néant

Nous respectons l’Ukraine, voyant en elle un État fondé sur des institutions démocratiques qui fonctionnent. Nous comprenons le choix européen de nos voisins. Nous sommes convaincus que tous les problèmes entre nos deux pays peuvent être résolus de manière pacifique.

En déclenchant la guerre, la Russie s’est condamnée à l’isolement sur la scène internationale et à un destin de pays paria. Cela signifie que nous, les chercheurs, ne pourrons désormais plus faire nos recherches normalement, tant il est vrai que l’avancement des recherches scientifiques est impensable sans coopération approfondie avec les collègues des autres pays.

L’isolement de la Russie dans le monde va aggraver encore plus la dégradation culturelle et technologique de notre pays, tout en fermant toutes les portes de sortie. La guerre avec l’Ukraine, c’est un pas dans le néant.

C’est avec douleur que nous voyons notre pays, dont le rôle pour abattre le nazisme a été décisif, allumer en ce moment même une nouvelle guerre sur le continent européen. Nous exigeons l’arrêt immédiat de tous les actes de guerre dirigés contre l’Ukraine. Nous exigeons le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’État ukrainien. Nous exigeons la paix pour nos pays.

La traduction et la publication de cette lettre sont à l’initiative de chercheurs français travaillant sur la Russie, l’Ukraine et l’espace post-soviétique.

Premiers signataires : Aleksandr Anikin, linguiste, membre de l’Académie des sciences de Russie ; Jurij Apresjan, linguiste, membre de l’Académie des sciences de Russie ; Aleksandr Bondar, membre de l’Académie des sciences de Russie ; Viktor Vasil’ev, mathématicien, membre de l’Académie des sciences de Russie ; Mikhaïl Danilov, physicien, membre de l’Académie des sciences de Russie ; Jurij Kostitsyn, membre de l’Académie des sciences de Russie, docteur en géologie ; Aleksandr Moldovan, membre de l’Académie des sciences de Russie, philologue ; Serguej Nikolaev, académicien de l’Académie des sciences de Russie, philologue ; Konstantin Novoselov, physicien, lauréat du prix Nobel ; Valerij Rubakov, membre de l’Académie des sciences de Russie, physicien ; Roal’d Sagdeev, membre de l’Académie des sciences de Russie, physicien.

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Au Monopoly des savoirs

Au Monopoly des savoirs

Deux brèves cette semaine et une série de 50 questions adressées aux candidates et aux candidats à la présidentielle.

Lancement du fonds de dotation et de l’association de défense de la liberté académique

Afin de donner vie, avant la présidentielle, au fonds de dotation et à l’association de défense de la liberté académique imaginés il y a quelques mois, l’après-midi du jeudi 17 mars sera consacrée au lancement du projet. Il s’agira d’ouvrir la discussion sur la forme juridique, les objectifs et les garde-fous à mettre en œuvre, à partir d’une série d’exposés abordant différents aspects de la liberté académique. Le lieu et le programme seront précisés dès que possible.

Vous pouvez encore vous inscrire sur la mailing liste de préparation des statuts :

https://rogueesr.fr/20211004-2/#association

Ce que Bolloré fait à la liberté universitaire

Il y a un an exactement, le 14 février 2021, Mme Frédérique Vidal expliquait sur le plateau de la chaîne CNews qu’elle souhaitait lancer une « enquête du CNRS » pour faire la lumière sur « l’islamo-gauchisme » qui, selon elle, « gangrène l’Université ». Dans les semaines qui ont suivi, la liberté académique a subi une attaque politique inédite, promue notamment sur les chaînes du groupe Bolloré. La délation y a pris les proportions les plus absurdes, puisque dès la mi-février, même le président d’alors de Sorbonne Université, archétype du bureaucrate conformiste, y était nominativement dénoncé pour son « parti pris idéologique »… communiste. Le traitement fallacieux d’une affaire grenobloise dans laquelle la liberté académique n’était initialement pas en cause a pris des proportions dramatiques : des noms de collègues ont été livrés à la vindicte, et l’instauration d’un climat de délation a directement concouru à des rétorsions financières politiciennes par la région Auvergne-Rhône-Alpes contre l’IEP de Grenoble. Ce ne sont pas des faits isolés : il y a quelques semaines encore, à l’antenne, M. Cyril Hanouna s’en prenait nominativement à une chercheuse et à son institution, le CNRS, pour avoir osé publier une étude analysant preuves à l’appui ses biais politiques, et notamment son traitement de la candidature à la présidentielle d’un ancien chroniqueur de CNews coutumier lui aussi des falsifications historiques, religieuses, démographiques.

Non contents de vilipender le libre exercice de la raison, les médias du groupe Bolloré, depuis deux ans, promeuvent aussi activement le déficit d’intégrité scientifique dans leur traitement de la pandémie de COVID-19. Est-il besoin de rappeler le prime time de M. Hanouna à la gloire de la chloroquine au printemps 2020 (Didier Raoult et la chloroquine peuvent-ils sauver le monde ?, C8, 31 mars 2020), ou les innombrables plateaux de CNews expliquant à l’été 2020, contre toute évidence, qu’une deuxième vague épidémique n’aurait pas lieu ? Là encore, ce n’est pas un cas isolé : outre la falsification quotidienne des sciences sociales, on pourrait mentionner les invitations sans contradicteurs d’affabulateurs antivaccination ou la promotion sur les antennes du groupe d’un ouvrage co-écrit par le frère de M. Bolloré entreprenant de « prouver l’existence de Dieu » à coup de résultats scientifiques déformés et réinterprétés (« Dieu, la science, les preuves » : l’Univers a-t-il été engendré par un créateur intelligent ?, CNews, 16 novembre 2021).

Nous avons déjà analysé pourquoi l’affaiblissement des standards de probité intellectuelle fait système avec la campagne contre l’indépendance de la recherche et de l’Université. S’il y a bien un lieu où ces deux menaces n’en font qu’une, ce sont les médias du groupe Bolloré, qui tentent une synthèse entre un conservatisme de guerre froide et un « libertarianisme » sans frein. Dans cet espace, la liberté académique tout comme la liberté d’informer sont réduites à une caricature monstrueuse de « liberté d’opinion » autorisant à dire n’importe quoi sans argumenter ni se confronter aux faits. Ce groupe est en passe de s’octroyer un quasi-monopole sur la distribution des livres et de devenir hégémonique dans le secteur éditorial : il possédera bientôt plus de 70 % des livres scolaires, la moitié des livres de poche, une centaine de maisons d’édition. Défendre la liberté académique impose de réagir à cette menace. Le 16 février 2022, une initiative fédérant des journalistes, des maisons d’édition, des associations, des syndicats et des chercheurs a appelé à une saisine de l’Arcom en prélude à une action judiciaire.

https://www.stopbollore.fr/

Considérant que la liberté académique sera menacée en France aussi longtemps que ce déluge de falsifications et de calomnies se poursuivra, nous avons décidé de soutenir cette initiative.

50 questions pour les candidates et les candidats à la présidentielle

Nous adressons aux équipes des candidates et des candidats à l’élection présidentielle une liste de questions qui intéressent l’ensemble de la société et qui permettent de mesurer la place de la recherche, de l’enseignement et de l’Université dans leur vision de notre avenir collectif. Les réponses seront publiées au fur et à mesure de leur réception, sur le site :

https://www.franceuniversite.fr/reponses/

Les questions sont organisées en neuf grandes sections :