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Posted on 22 novembre 2020

Peut-on destituer le Hcéres ? Et quelques autres questions

Rendez-vous…

  • À Paris, rassemblement à 14h, place Jussieu
  • À Rennes, rendez-vous à 12h, République
  • À Toulouse, rendez vous à 14h, métro Jean Jaurès
  • À Strasbourg, rassemblement à 14h, Campus de l’Esplanade, bâtiment de la Présidence

Merci de prendre connaissance des conseils pratiques en fin de texte pour la manifestation.

Peut-on destituer le Hcéres ? Et quelques autres questions

La loi de programmation de la recherche a été adoptée le 20 novembre par le Sénat, dans sa version issue de la commission mixte paritaire. La Constitution permet au Président de demander une nouvelle délibération de loi (article 10, alinéa 2 de la Constitution). Les collègues qui le souhaitent peuvent s’associer à une lettre l’y enjoingant.

Le travail juridique pour déterminer l’opportunité d’une saisine du Conseil Constitutionnel est en cours. Nous pouvons mettre en contact avec le groupe de travail, les collègues constitutionnalistes qui souhaitent y apporter leur contribution.

Aux côtés d’autres collectifs, RogueESR appelle à la manifestation du mardi 24 novembre, journée de grève et de mobilisation nationale dans le prolongement de l’opération « Écrans noirs ». Pour la suite, il importe de prendre le temps de construire collectivement une stratégie de transformation globale des institutions d’enseignement supérieur et de recherche (ESR), et de concevoir des tactiques à déployer à court terme. Cela suppose de réfléchir à des leviers dont les effets garantissent une prise politique, en évitant ceux qui pourraient être pernicieux, saperaient nos collectifs de travail, voire scinderaient les alliances nouées dans notre communauté ces derniers mois ou accéléreraient la différenciation entre les établissements.

Désormais, le cœur de la bataille est l’autonomie effective de la recherche, garantie par des statuts pérennes, par des moyens récurrents, et par la réaffirmation des libertés académiques. Or, même si nous ne disposons pas des leviers institutionnels nécessaires pour faire advenir ici et maintenant l’Université et la recherche que nous voulons, nous pouvons collectivement réfléchir aux premiers jalons pour y parvenir. Si l’objectif est d’initier un mouvement de réappropriation de nos métiers, nous devons penser le système que nous voulons instituer en commençant par nous poser quelques questions précises.

Peut-on destituer le Hcéres en décidant partout d’ignorer son existence, purement et simplement ? Peut-on mettre en œuvre des visites des laboratoires par les pairs en poursuivant des objectifs conformes aux principes de la science : intégrité, exigence, disputatio, originalité des travaux, bienveillance ? Peut-on imposer collectivement que les évaluations se fassent sur la base de la lecture des travaux ? Peut-on réduire le recours au travail précaire en valorisant le principe de division minimale du travail savant ? Peut-on remplacer l’évaluation managériale par une gratification par les pairs, fondée sur la disputatio ? Comment évaluer en retour les nouveaux managers de l’Université et de la recherche, avec une notation chiffrée, objectivée, fondée sur des critères multiples en évolution permanente, afin de leur permettre d’améliorer leurs propres performances dans l’accompagnement de la science, selon des critères collectivement décidés par la communauté académique ? Comment sortir du modèle unique du principal investigator (PI) que chérissent les appels à projet, et encourager les chercheurs à mener eux-mêmes leur recherche au quotidien ? Comment refonder des structures capables d’amener universitaires et chercheurs à retrouver le sens de leur métier ? Les chances d’initier une réinstitution de l’Université et de la recherche dépendent de la réponse que nous apporterons collectivement à ces questions dans les semaines à venir.

Malgré le marasme ambiant, des signes encourageants surgissent. La pétition demandant la suspension de l’examen de la loi a dépassé les 30 000 signataires.

Pour la première fois depuis des mois, nous avons obtenu une couverture médiatique importante, depuis la une du Monde[1] jusqu’à Ouest France. La mobilisation des collègues de droit, l’unanimité des protestations venant de toutes les disciplines et de tous les bords témoignent de la constitution graduelle d’un « Nous » réunifiant les universitaires et les chercheurs actifs, statutaires et précaires, en face d’un « Eux » constitué par les nouveaux managers de l’Université et de la Recherche, qui ont porté le projet de loi jusqu’à produire des amendements sénatoriaux délétères. Ainsi, les textes écrits par les collègues de Qualité de la Science Française[2] marquent un tournant dans la désignation explicite de celles et ceux qu’il nous faut affronter. Cette partition entre Nous et « Eux » est allée jusqu’à diviser les Républicains, dont les députés ont voté contre la LPR, après les discours argumentés, aux accents gaulliens, de M. Patrick Hetzel. Ce faisant, les députés LR ont déjugé les sénateurs de leur propre parti. Ceux-ci, menés par M. Bruno Rétailleau, un transfuge de la droite religieuse radicalisée, incarnée par son mentor M. Philippe de Villiers, avaient en effet négocié avec les présidences de l’UDICE[3] et servi leurs intérêts par le truchement des amendements portés notamment par Mme Laure Darcos. Soulignons enfin que notre collègue Cédric Villani, qui a servi de caution à la LPR pendant un an, a in fine voté contre le texte. Que d’énergie dissipée et, surtout, que de gâchis pour accoucher de ce texte de loi mortifère pour l’ESR.

Conseils pour la manifestation du 24 novembre

Précautions : Imprimez et remplissez l’attestation dérogatoire.

Les organisateurs ont obtenu un récépissé de la préfecture. En cas d’insistance lors d’un contrôle, montrez aussi n’importe quel appel à la manifestation de la part d’un syndicat ou d’un collectif. Merci à ceux qui possèdent des masques FFP2 non-médicaux d’en apporter en réserve, pour assurer une protection optimale. Évitez les masques de coton simple et en particulier ceux au travers desquels on voit le jour. Privilégiez des masques jointifs aux arêtes du nez, en intissé (e.g. masque chirurgical avec pince-nez). Il nous faudra respecter des distances métriques entre nous et privilégier les endroits bien ventilés permettant la dispersion rapide des émissions en aérosol.


[1] Les articles du Monde :

  • Les avancées en trompe-l’œil de la loi de programmation de la recherche, censée empêcher le décrochage de la France
  • « La recherche n’échappe pas à la dérive liberticide du gouvernement »
  • La loi sur la recherche scientifique, une occasion manquée

[2] Les articles des collègues de Qualité de la Science Française :

  • Recrutements universitaires : la dérégulation en marche
  • Recrutement universitaire : « La prime au localisme et au clientélisme »

[3] L’UDICE est une émanation de la CURIF, association proche de LREM qui a proposé le nom de Mme Vidal pour occuper les fonctions ministérielles. L’UDICE rassemble les présidences d’Aix-Marseille Université, de Sorbonne Université, de l’Université Claude Bernard Lyon 1, de l’Université Côte d’Azur, de l’Université de Bordeaux, de l’Université de Paris, de l’Université de Strasbourg, de l’Université Grenoble Alpes, de l’Université Paris Saclay, de l’Université Paris Sciences et Lettres. L’UDICE a coécrit une large part de la LPR.

Posted on 11 octobre 2020

La nomination à la présidence du Hcéres entachée d’une faute déontologique et d’une atteinte au principe de séparation des pouvoirs

Lettre ouverte du 11 octobre 2020

La crise sanitaire a mis en évidence l’existence d’une crise de la recherche scientifique, dans son fonctionnement institutionnel comme dans son rapport à la société. En effet, la pandémie n’a pas seulement pris en défaut les instances de pilotage qui avaient renoncé ces dernières années à accorder des financements décisifs à la recherche sur les coronavirus. Les controverses relatives aux mesures sanitaires ont aussi confirmé que l’acceptation démocratique de mesures fondées sur des diagnostics scientifiques était conditionnée à la confiance de la population envers une recherche indépendante et intègre, aux antipodes des bureaucraties cooptées et toujours soupçonnées de conflits d’intérêts.

L’un des enjeux de cette crise touche au pilotage de la politique scientifique en France. Depuis quinze ans, ces politiques font abstraction d’une évidence simple : une science au service de la démocratie et des citoyens requiert disputatio, collégialité, autonomie et temps long. A contrario, le pilotage stratégique de la science par l’évaluation quantitative et par une mise en compétition réglée de tous contre tous porte atteinte à la confiance que les citoyens peuvent placer dans une science soucieuse de l’avenir de nos sociétés. C’est pourtant l’optique qui guide toutes les réformes de ces dernières années et qui anime l’actuel projet de loi de programmation de la recherche (LPR). Au cœur de cette évolution qui concourt à faire dévier la science de sa logique d’intérêt général, on trouve une instance : le Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (Hcéres), l’autorité administrative indépendante en charge de l’évaluation de l’ensemble des structures de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Le 2 octobre dernier, les services de l’Élysée ont officialisé par un communiqué de presse le choix d’Emmanuel Macron de proposer la nomination d’un de ses conseillers à l’Élysée, M. Thierry Coulhon,[1] à la tête de cette autorité censée être « à l’abri de toute pression […] des autorités gouvernementales » comme le précise, le plus sérieusement du monde, le Hcéres sur son site internet. Cette décision vient clore un processus de nomination long et litigieux, engagé fin 2019, après que le mandat du précédent président, M. Michel Cosnard, eut pris fin.

L’appel à candidature avait suscité une mobilisation massive de la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche française, soucieuse de contribuer activement à la définition des normes de probation de son travail, garantes de son intégrité, de façon responsable et en toute indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques, économiques et religieux. Une candidature collective avait ainsi été déposée à l’initiative du collectif RogueESR en janvier 2020, rassemblant 1378 volontaires mobilisés sous la bannière #NousSommesCandidat. Le sens de cette candidature collective à la présidence du Hcéres était très clair : garantir l’autonomie et l’indépendance absolue du processus d’évaluation par les pairs du monde universitaire et de la recherche.

Si elle était avalisée par les commissions compétentes de l’Assemblée Nationale et du Sénat, la nomination de Thierry Coulhon serait de nature à aggraver la crise de confiance que traverse actuellement le monde scientifique, et ce au pire moment. Car cette proposition de nomination est entachée de deux problèmes graves, sur le plan de la déontologie professionnelle et sur celui de l’éthique de la vie politique.

Une faute déontologique

En tant que conseiller du Président de la République, M. Coulhon intervient dans les arbitrages sur les politiques publiques et les nominations en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Il exerce de facto une autorité réelle sur les administrations et établissements publics qui se trouvent dans son champ de compétences et sur ses dirigeants. Or, à plusieurs reprises au long du processus de désignation du président du Hcéres, M. Coulhon s’est placé en position de juge et partie. Le collège de déontologie du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ne s’y est d’ailleurs pas trompé ; dans son avis du 29 mai 2020, il écrivait dans la langue feutrée qui le caractérise : « L’éventuelle nomination à la tête d’une autorité administrative indépendante d’une personne qui exerçait immédiatement auparavant des responsabilités auprès des autorités du pouvoir exécutif est également de nature à susciter des hésitations. »

M. Coulhon s’est de nouveau porté candidat lors du second appel à candidature publié en juin dernier. Le conseiller du Président, qui n’a pas jugé opportun de quitter ses fonctions dans l’intervalle, a été auditionné le 28 juillet 2020 comme trois autres candidats servant de faire-valoir, par une commission d’examen présidée par la Secrétaire générale du Gouvernement et composée de quatre personnalités ès-qualités, dont une présidente d’université et un directeur général d’organisme de recherche. Ces derniers sont soumis à l’autorité directe de l’Hcéres en matière d’évaluation, ainsi qu’à l’autorité indirecte du conseiller élyséen dans leurs mandats respectifs. Les conflits d’intérêt sont tellement flagrants qu’on a du mal à croire qu’une telle composition de la commission d’examen ait pu paraître judicieuse à qui que ce soit.

Des auditions publiques auraient pourtant permis de lever le voile sur la teneur des échanges et d’apprécier l’équité de traitement des différents candidats.

Une atteinte au principe de séparation des pouvoirs

Si le candidat ne semble pas troublé par sa position de conseiller à l’Élysée, ce conflit d’intérêt manifeste est cependant en totale contradiction avec l’ambition d’une « République exemplaire », que défendit lors de la campagne de 2017 l’autorité de nomination, à savoir le Président de la République. En matière d’exemplarité républicaine, cette nomination d’un conseiller élyséen à la tête d’une autorité « indépendante » est d’une tout autre teneur que celle, par exemple, de Jacques Toubon au poste de Défenseur des droits par François Hollande. Les propos du collège de déontologie furent véritablement inspirés et prémonitoires : tout ceci est bien « de nature à susciter des hésitations. »

Précisons pour finir que cette alerte ne vise en rien la personne de M. Coulhon, mais cette volonté tenace de passer outre le principe d’indépendance de l’instance en charge des normes de la science en France. Si l’indépendance n’est pas une condition suffisante pour garantir l’exercice d’une science autonome et désintéressée, telle que la société la souhaite, elle en est cependant une condition nécessaire. Cette nomination à la tête d’une autorité indépendante constituerait un redoutable précédent et assurément une grave infraction au principe de séparation des pouvoirs. Toute notre société pourrait bientôt en payer le prix. C’est pourquoi nous appelons les députés et sénateurs membres des commissions compétentes à rejeter la nomination de M. Coulhon à la présidence du Hcéres.


[1] La conception politique de M. Coulhon pour le supérieur a été présentée lors du séminaire Politique des Sciences.

Posted on 24 juillet 2020

Hcéres : le principe d’indépendance bafoué

La présidence du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur français (Hcéres) est vacante depuis le 30 octobre 2019. Un premier appel à candidatures avait été annulé sur avis du collège de déontologie de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, du fait de l’opacité du processus et des critères d’évaluation et de sélection des candidatures et du fait des conflits d’intérêts notoires de l’un des candidats, Thierry Coulhon,  conseiller auprès du président de la République.

Lors du second appel, le ministère a reçu 160 candidatures en plus de celle de Camille Noûs, soutenue par RogueESR. Il est surprenant que tant de candidatures aient pu être examinées en si peu de temps, sans rapporteurs scientifiquement compétents pour lire les travaux et évaluer leur qualité. Il est très surprenant que Thierry Coulhon se présente à nouveau à cette fonction, malgré l’avis du collège de déontologie de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Il est encore plus surprenant que la commission d’audition soit présidée par Claire Landais, secrétaire générale du gouvernement. Le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur français est une Autorité administrative indépendante, c’est-à-dire une institution qui agit au nom de l’État et dispose d’un réel pouvoir, sans pour autant relever de l’autorité du gouvernement. L’idéal régulateur de la recherche et de l’Université est fondé sur l’autonomie du monde savant vis-à-vis de tous les pouvoirs — politique, religieux et économique. Les libertés académiques sont ainsi garanties par le préambule de la constitution. Conformément à ce principe, le Hcéres est supposé définir « les mesures propres à garantir la qualité, la transparence et la publicité des procédures d’évaluation ». Aussi, un organisme comme le Hcéres ne peut se concevoir comme un instrument de pilotage politique. Sous la direction de Jacques Toubon, le Défenseur des droits a montré ce que devait être la liberté de  fonctionnement d’une Autorité administrative indépendante. Il devrait en être de même pour la présidence du Hcéres, qui aurait dû être choisie par une instance scientifique indépendante, composée de membres extérieurs. Au contraire, le comité d’audition (Jean-François Bach, Christine Clerici, Suzanne Fortier et Alain Schuhl) comporte deux membres dont les institutions seront évaluées par le Hcéres et qui sont donc en conflit d’intérêt notoire.

Quatre candidats seront auditionnés le 28 juillet : Jean-Luc Autran, Véronique Chanut, Thierry Coulhon et Catherine Dargemont. Jean-Luc Autran a été signataire de la tribune parue le 20 janvier 2020 dans le journal Le Monde, qui rappelait les conditions minimales de l’autonomie de la recherche. Il aura la lourde tâche de défendre les principes fondateurs de la recherche et de l’Université, mis à mal depuis bientôt deux décennies.

L’audition par la représentation nationale de la personne choisie, qui précède sa prise de fonction, devrait avoir lieu à l’automne. Nous faisons un appel aux collègues juristes pour fournir une aide dans la rédaction d’une question prioritaire de constitutionnalité et attaquer le décret de nomination devant le Conseil d’Etat pour irrégularité de procédure, au cas où la personne nommée ne soit pas conforme au principe d’indépendance du Hcéres et, surtout, de la science et de l’Université.


NB : Le projet de loi de programmation de la recherche modifie le fonctionnement du Hcéres en son article 10. Il ne s’attaque pas au principe d’indépendance dont on redoute qu’il soit bafoué. Il réaffirme en revanche le fait que l’évaluation par le Hcéres, avec possiblement un retour des « notes », conditionnera fortement la répartition moyens entre les institutions.

Posted on 6 juillet 2020

Rencontres des 25-26 septembre & nouvelle candidature Hcéres

Le principal objet de ce billet est la nouvelle candidature à la direction du Hcéres, décidée par sondage il y a deux semaines.

Mais, comme annoncé précédemment, voici tout d’abord quelques précisions sur l’organisation des rencontres de septembre (Instituer un autre système d’Université et de recherche : horizon et conditions de possibilité) : elles prendront la forme de deux journées complètes de discussions et de séminaire Politique des Sciences et auront lieu les 25 et 26 septembre 2020. Une grande salle est réservée dans le 5e arrondissement parisien. Les résumés sont à envoyer avant le 20 juillet.

Concernant notre nouvelle candidature à l’Hcéres, comme indiqué dans l’appel à candidature publié au Journal Officiel, les collègues qui souhaitent se porter candidats doivent dès à présent, avec une date limite de réception le mercredi 15 juillet, envoyer au ministère leur profession de foi datée et signée, accompagnée d’un CV. Puisque le ministère a argué du caractère collectif de la candidature de janvier pour nous disqualifier, il est souhaitable de ne pas lui offrir de prétexte, en personnalisant nos professions de foi. Nous présenterons donc cette fois une profession de foi « individuelle » (elle dit « je », et pas « nous »). Si vous avez quelques minutes à y consacrer, n’hésitez pas à l’étoffer, à la retoucher, à la personnaliser : puisque nous disons que la polyphonie fait la science, revendiquons-la.

Il importe que nous allions au bout de la démarche visant à nous ressaisir, en tant que que communauté savante, des normes et des procédures d’évaluation et de probation scientifique, pour renouer avec les principes d’autonomie et de responsabilité qui fondent la recherche.

 

Posted on 15 juin 2020

Hcéres : première victoire et nouvel appel à candidatures

En janvier dernier, nous avons posé nos candidatures à la présidence du Hcéres sur la base d’une profession de foi commune, parue dans Le Monde.

Nous avons rappelé que la science suppose l’autonomie des savants, chercheurs et universitaires, seuls à même de décider collectivement des normes et des procédures d’évaluation des travaux scientifiques et des institutions. Nous anticipions que le ministère rejetterait nos candidatures, sans même les examiner. La stratégie consistait à empêcher, par la dépréciation publique, une procédure opaque, percluse de conflits d’intérêts notoires. Pour ce faire, nous avons collectivement rappelé les normes d’intégrité et d’indépendance qu’exige le principe d’autonomie de la recherche scientifique.

Nous pouvons en apprécier aujourd’hui les effets. Le conseiller ESR du Président de la République, M. Coulhon, qui avait procédé lui-même à l’audition à l’Elysée des autres candidats, n’a pas été nommé. Le ministère s’est vu contraint de saisir son comité de déontologie, lequel n’a pu que constater l’ampleur du problème et demander l’arrêt immédiat de la procédure et le lancement d’un nouvel appel à candidatures. Cette première victoire, pour ténue qu’elle soit, valide la capacité de la communauté académique à reprendre le contrôle de ses propres normes.

Le ministère a annoncé la publication prochaine d’un nouvel appel à candidatures, moins opaque. Il ne s’agit pas de nous en satisfaire, mais de l’utiliser pour tenter à nouveau de faire bouger les lignes : en effet, c’est le concept même de l’évaluation managériale qui s’oppose à l’ambition que nous portons, celle d’une science inscrite dans le temps long et au service de l’intérêt général, avec toutes les garanties matérielles et statutaires que cela implique. Il convient donc de saisir cette nouvelle occasion de reprendre possession de notre métier, et de refaire science collectivement.

Le constat n’a pas changé: le processus de réformes engagé depuis quinze ans, et qui se poursuit avec le projet de LPPR, est un échec y compris à l’aune des critères de ses promoteurs, et à plus forte raison à l’aune des nôtres. Le Hcéres est un levier dont nous souhaitions nous saisir pour porter une plus haute ambition que celle des réformateurs: l’ambition du temps long, de l’autonomie, de la liberté, de l’intégrité et de l’exigence, c’est-à-dire aussi l’ambition de la démocratie savante et de l’intérêt général.

Nous allons devoir répondre au nouvel appel d’offre, en faisant en sorte que nos candidatures ne puissent pas être écartées par la commission sur une base arbitraire. L’objectif restera identique : nous donner les moyens de restituer à l’ensemble du corps savant le contrôle de son activité au travers de normes et de procédures dont il doit lui-même décider.

Dans le même temps, en appui au mouvement de réappropriation ravivé par le retour du projet de LPPR, nous vous enverrons dans les jours à venir un appel à contribution pour les Assises de la refondation qui se tiendront en septembre, suite à l’appel du 20 mars 2020, que vous pouvez encore signer.

Nous avons également souhaité recueillir par sondage votre opinion concernant l’opportunité ou non d’une candidature symbolique de Camille Noûs à la présidence du Hcéres en plus de toutes nos candidatures : cette candidature serait certes instantanément recalée, mais elle poserait à nouveau l’incompatibilité de principe entre une institution bureaucratique comme l’Hcéres et les valeurs cardinales d’une science intègre et autonome.

Posted on 14 janvier 2020

Prenons part à une présidence collective et collégiale du Hcéres

Au vu des menaces nouvelles qui pèsent sur le monde académique, nous avons pris la décision de réactiver RogueESR.

Le projet de loi de programmation pluriannuelle pour la recherche (LPPR), en cours d’élaboration, devrait être rendu public à la mi-février, pour une adoption avant l’été, possiblement par cavaliers législatifs. Les rapports préliminaires[1] et les prises de positions[2] publiques confirment qu’il s’agira d’une loi qualifiée par le président du CNRS d’« inégalitaire » et de « darwinienne », mettant en œuvre une dérégulation des statuts des universitaires et des chercheurs.

La « concertation » préparatoire au projet de loi n’a apporté aucune réponse aux questions pressantes qui se posent à tous les universitaires et chercheurs actifs. Nous éprouvons aujourd’hui l’urgence d’ouvrir un débat public sur l’organisation de la recherche à partir de nos pratiques, de sorte à renouer avec des institutions qui soient au service d’une recherche libre et exigeante.

Pour initier ce processus de réappropriation et de réflexion sur nos métiers, nous présentons une candidature collective au poste de président de l’Hcéres.[3] Le conseiller Éducation, enseignement supérieur, recherche et innovation du président de la République, M. Coulhon,[4] s’est lui aussi porté candidat.

Notre lettre de motivation commune paraîtra dans en milieu de semaine prochaine dans Le Monde. Nous espérons que cette candidature collective, qui sera déposée autour du 20 janvier, réunira femmes et hommes, issus de toutes les disciplines, de tous les corps, précaires ou non, et appartenant à tous les établissements français. Nous sommes déjà 2 150 candidats déclarés et vous invitons à nous rejoindre.

Il ne s’agit pas d’une simple pétition, mais d’un engagement à ouvrir et porter le débat public auquel nous aspirons dans notre entourage professionnel, pour préparer de possibles états généraux au début du mois de février. Les modalités précises de la candidature collective suivront prochainement.

Les premiers participants à la candidature collective, dont la liste figure ici, en accord avec les membres de RogueESR.


[1] Rapports des groupes de travail en vue de la rédaction du projet de loi , et leur analyse.

[2] Texte d’Antoine Petit paru dans Les Échos et réaction de la communauté dans Le Monde.

[3]  Publication de l’appel à candidature au Journal Officiel.

[4] Thierry Coulhon a été l’un des instigateurs de la loi LRU en 2008, avant d’être en charge du programme de l’enseignement supérieur de la campagne électorale d’Emmanuel Macron.

Posted on 8 janvier 2020

Candidatures Hcéres

Candidature collective à la présidence du Hcéres

Plusieurs milliers de chercheurs et d’universitaires déposent le 20 janvier une candidature collective à la présidence vacante du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur français (Hcéres). Leur objectif est de se réapproprier le contrôle sur les valeurs et le sens de leurs métiers. La profession de foi commune associée est disponible ci dessous, et a été publié dans le journal Le Monde daté du 21 janvier 2020.

Défendre l’autonomie de la recherche et des formations

[English version]

C’est peu dire que les réformes de notre système de recherche menées depuis quinze ans au nom de l’excellence n’ont pas eu l’effet escompté. Ambitionnant de renforcer le statut de puissance scientifique de la France, elles n’ont mené qu’au décrochage de la part française des publications mondiales, l’indicateur de performance choisi par les réformateurs eux-mêmes. Il n’y a pas à s’étonner : l’évaluation statistique des politiques publiques montre que la quantité de publications scientifiques est proportionnelle à l’argent investi dans la recherche, mais qu’elle est pratiquement insensible aux réformes structurelles. Or pendant ces quinze ans, l’effort financier s’est focalisé sur une niche fiscale, le Crédit d’Impôt Recherche, destinée à contourner l’interdiction européenne des aides publiques directes aux entreprises. L’évaluation faite par France Stratégie de son intérêt pour la recherche est sans appel : son effet de levier sur l’investissement privé est… négatif.

Les réorganisations de l’Université et de la recherche ont aussi des effets systémiques profonds, mais qui ne sont observables que si l’on s’intéresse au savoir produit et transmis plutôt qu’au dénombrement bibliométrique. Les réformes structurelles ont conduit à une chute de la qualité et du niveau d’exigence de la production scientifique, dont les multiples scandales de fraude ne sont que la partie apparente. Cette crise institutionnelle du monde savant est d’autant plus dramatique qu’elle survient dans une phase de crise sociale, climatique et démocratique dont la résolution passe par la production, la transmission, la critique et la conservation des savoirs.

Parce qu’elle se fonde sur la poursuite de la vérité comme horizon commun, la science suppose l’autonomie des savants, chercheurs et universitaires, vis-à-vis des pouvoirs dont son exercice dépend, qu’ils soient politiques, économiques ou religieux. Cette liberté académique ne doit pas être pensée comme une absence d’entraves mais comme une liberté positive, garantie par des moyens effectifs. Le sursaut passe par la réaffirmation des conditions pratiques de cette autonomie.

La première condition est budgétaire : pour encourager l’inventivité et la création, il est indispensable de doter la recherche de financements récurrents, en rupture avec le formatage bureaucratique de la science par des « appels à projets » court-termistes, qui encouragent le conformisme et la recherche incrémentale.

La deuxième condition tient à cette autre ressource préalable à la recherche : le temps. Pour maintenir la biodiversité nécessaire à un écosystème de recherche florissant, il est nécessaire de garantir statutairement la possibilité du temps long. La sélection spencérienne promue en haut lieu, faite de fragmentation et de contractualisation généralisée des statuts, tue cette diversité et entretient la crise qualitative. La solution passe par un recrutement de qualité lié à des postes pérennes, condition de l’attractivité pour les jeunes chercheurs comme pour les personnels techniques, de façon à irriguer sans cesse le système d’idées et d’aspirations nouvelles.

La troisième condition est de réduire la division du travail savant, ce qui exclut la séparation entre des managers de la recherche exerçant le pouvoir, et des chercheurs et universitaires dépossédés et devenus de simples exécutants, séparation qui constitue la définition stricte d’une bureaucratie. Il est indispensable de procéder à un audit des structures empilées depuis quinze ans et au chiffrage de leur coût de fonctionnement afin de libérer des moyens en supprimant des strates inutiles, voire nuisibles.

Sur le plan des pratiques, l’exigence et l’originalité des travaux scientifiques sont garanties depuis des siècles par une norme, celle de la controverse collégiale (la disputatio des classiques) : la discussion contradictoire et libre au sein de la communauté des pairs. Ce principe de gratification sociale fondée sur la reconnaissance de la valeur intellectuelle des travaux est irréductible à une « évaluation » managériale dont les fondements reposent sur un système de normes quantitatives externes, déterminées par les intérêts d’investisseurs : toute métrique normative cesse vite d’être une simple mesure pour devenir elle-même l’objectif à atteindre. Obligation doit donc être faite à tout comité de suivi, de recrutement ou de promotion de baser ses délibérations sur la lecture des travaux, et non sur l’évaluation quantitative. Pour que ce soit faisable et probant, le nombre de travaux soumis à examen doit être limité drastiquement.

L’autonomie du monde savant nécessite enfin de ré-instituer des normes de probation scientifiques exigeantes, prenant en compte les spécificités contemporaines. Il est urgent de restituer aux communautés de chercheurs le contrôle des revues scientifiques, et de destituer l’oligopole de l’édition sur lequel se fondent techniquement et économiquement les politiques d’évaluation actuelles.

Pour procéder à ces réformes, nous nous portons candidats à la présidence de l’institution en charge de définir les normes et les procédures qui régulent, organisent et déterminent la production savante : le Hcéres. Notre candidature collective vise à renouer avec les principes d’autonomie et de responsabilité des savants qui fondent la science. Il ne saurait y avoir d’administration distincte dotée d’un « président » pour superviser ces pratiques : c’est l’ensemble du corps savant qui doit présider à l’évaluation qualitative de sa production.

Sans recherche autonome, nous n’avons pas d’avenir.

Cent premiers participants à la candidature collective, sur 5418

Emmanuel Agullo, informatique, INRIA | Bruno Andreotti, physique, Université Paris 7 | Dominique Archambault, informatique, Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis  | Pierre Arnoux, mathémathiques, Aix-Marseille Université | Isabelle Backouche, histoire, EHESS | Anne-Sophie Beignon, biologie, CNRS, CEA/INSERM/Univ. Paris-Saclay | Olivier Berné, astrophysique, CNRS, Observatoire Midi-Pyrénées | Bertrand Binoche, philosophie,Université Paris 1 | Yann Bisiou, droit privé, Université Paul Valéry – Montpellier 3 | Alexis Blanchet, sciences de l’information et de la communication, Université Sorbonne nouvelle Paris 3 | François Bon, archéologie, Université de Toulouse Jean Jaurès | François Boulogne, physique, CNRS, Université Paris-Saclay | Catherine Bourgain, génétique humaine, INSERM | Guillaume Bridet, lettres, Université de Bourgogne | Mathieu Brunet, lettres, Université d’Aix-Marseille | Yann Bugeaud, mathématiques, Université de Strasbourg | Mathilde Carpentier, bioinformatique, Sorbonne Université | Antoine Chambert-Loir, mathématiques, Université de Paris | Francis Chateauraynaud, sociologie, EHESS | Guillaume Coqui, philosophie, université de Bourgogne | Fanny Cosandey, histoire, EHESS | Sandrine Costamagno, archéologie, CNRS, Université Toulouse Jean Jaurès | François-Xavier Coudert, chimie, CNRS | Françoise Crémoux, études hispaniques, Université de Paris 8 | Gabriella Crocco, philosophie, Université d’Aix-Marseille | Pascal David, physique, Université Paris Diderot | Steeves Demazeux, philosophie, Université Bordeaux-Montaigne | Pascale Dubus, histoire de l’art, Université Paris 1  | Sébastien Dutreuil, philosophie, CNRS, Centre Gilles Gaston Granger.  | Florence Elias, physique, Université de Paris | Marianne Elias, biologie evolutive, CNRS, Paris | Estelle Forey, écologie, Université de Rouen | Jean-Louis Fournel, études italiennes/histoire de la pensée politique, Université de Paris 8 | Sara Franceschelli, épistémologie, ENS de Lyon | Claudia Fritz, acoustique, Sorbonne Université et CNRS | Nelly Frossard, pharmacologie, Université de Strasbourg | Fanny Gallot, historienne, Université Paris Est Créteil. | Jean-Luc Galzi, pharmacologie, Université de Strasbourg | Stéphane Gançarski, informatique, Sorbonne Université | Laurence Giavarini, lettres, Université de Bourgogne | Pierre Gilliot, physique, Université de Strasbourg | Julien Gossa, informatique, Université de Strasbourg | François Graner, physique, Université de Paris Diderot | Elie Haddad, histoire, CNRS/ EHESS | Jacques Haiech, biologie, Université de Strasbourg | Hugo Harari-Kermadec, économiste, ENS Paris-Saclay | Sarah Hatchuel, cinéma et audiovisuel, Université Paul Valéry Montpellier III | Myriam Housssay-Holzschuch, géographie, université Grenoble-Alpes | Philippe Huneman, philosophie, CNRS/Paris I | Yacine Iklef, physique, CNRS / Sorbonne Université | Sabina Issehnane, économie, Université Paris Diderot | Vincent Jacques, physique, Université Paris Saclay | Sophie Jallais, économie, Université Paris 1 | Chantal Jaquet, philosophie, Université Paris 1 | Philippe Jarne, écologie & évolution, CNRS, Montpellier | François Jarrige, histoire, Université de Bourgogne | Solenne Jouanneau, science politique, IEP de Strasbourg | Arne Keller, physique, Université Paris Saclay | Benoît Kloeckner, mathématiques, Université Paris-Est Créteil | Joël Laillier, sociologie, Université d’Orléans | Jérôme Lamy, histoire et sociologie, CNRS, UT2J | Sylvain Laurens, sociologie, EHESS | Guillaume Lecointre, systématique, Muséum national d’Histoire naturelle | Jacques Le Bourlot, physique, Université Paris-Diderot & Observatoire de Paris | Nathalie Lidgi-Guigui, sciences des matériaux, Université Sorbonne Paris Nord | Olivier Long, arts plastiques, Université Paris 1 | Jean-Marie Maillard, physique, CNRS et Sorbonne Université | Corinne Maitte, histoire, Université de Marne-la-Vallée | Christine Marcandier, lettres, Aix-Marseille Université | François Marchal, paléoanthropologie, CNRS, AMU, EFS | Christophe Martin, Littérature, Sorbonne Université | François Massol, écologie, CNRS | Hélène Michel, science politique, Université de Strasbourg | Monica Michlin, études américaines contemporaines, Université Paul Valéry Montpellier 3  | Christophe Mileschi, études italiennes, Université Paris Nanterre | Pérola Milman, physique, CNRS/Université de Paris.  | Guillaume Miquelard-Garnier, science des matériaux, Conservatoire National des Arts et Métiers | Pierre-Yves Modicom, linguistique germanique, Bordeaux-Montaigne | François Munoz, écologie, Université Grenoble-Alpes | Magali Nachtergael, lettres, Université Sorbonne Paris Nord | Antonine Nicoglou, philosophie, Université de Tours | Christine Noille, lettres, Sorbonne Université | Georges Orfanoudakis, biologie, Université de Strasbourg | Hervé Perdry, génétique humaine, Université Paris-Saclay | Joël Pothier, bioinformatique, Sorbonne Université | Emmanuelle Porcher, écologie, Muséum national d’Histoire naturelle | Dominique Pradelle, philosophie, Sorbonne Université et CNRS | Sophie Rabau, littérature générale et comparée, Université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle | Christelle Rabier, histoire des sciences et des techniques, EHESS | Bertrand Rémy, mathématiques, École polytechnique | Frédéric Restagno, physique, CNRS et Université Paris-Saclay | Emmanuelle Rio, physique, Université Paris-Saclay | Dinah Ribard, histoire, EHESS | Antoine Roullet, histoire, CNRS | Marine Roussillon, lettres, Université d’Artois | Sophie Sacquin-Mora, biochimie, CNRS | Arnaud Saint-Martin, sociologie, CNRS | Johanna Siméant-Germanos, science politique, ENS | Barbara Stiegler, philosophie, Université Bordeaux Montaigne | Isabelle Théry-Parisot, bioarchéologie, CNRS, Université Côte d’Azur | Christian Topalov, sociologie, EHESS | Jean-Louis Tornatore, anthropologie, Université de Bourgogne | Nicolas Valdeyron, archéologie, Université Toulouse Jean Jaurès  | Boris Valentin, archéologie, Université Paris 1 | Franck Varenne, philosophie, Université de Rouen | Nicolas Verzelen, mathématiques, INRAE | Guy Zuber, chimie, Université de Strasbourg.

Liste étendue des 5418 participants à la candidature collective

Dernières signatures
9,436 Charlotte Bédier Nov 23, 2020
9,435 Sanah Erazzi Nov 23, 2020
9,434 Carla Bastoni Nov 23, 2020
9,433 Karima Barrani Nov 23, 2020
9,432 Paul Gambier Nov 23, 2020
9,431 Agathe Carle Nov 23, 2020
9,430 Jade Algrin Nov 23, 2020
9,429 Victor Bouchez Nov 23, 2020
9,428 jean-félix gross Oct 27, 2020
9,427 jacques LAUTMAN Oct 23, 2020
9,426 Eric Chaudron Oct 23, 2020
9,425 jean-paul Berthet Juil 02, 2020
9,424 Mélissandre Gabet Avr 07, 2020
9,423 Isabelle Lefort Mar 10, 2020
9,422 Brigitte Sebbah Fév 19, 2020
9,421 Antoine Marin Jan 29, 2020
9,420 Isabelle Marinone Jan 28, 2020
9,419 Farida TATAH Nov 13, 2019
9,418 Stéphanie Cano Sep 21, 2019
9,417 Philippe Le Roy Juil 07, 2019
9,416 Jeannette Havenne Juil 07, 2019
9,415 Jean-Michel Lemoine Juin 20, 2019
9,414 Nadine KERMOUNI Mai 29, 2019
9,413 Camille Grech Mai 25, 2019
9,412 Béatrice Richard Mai 17, 2019
9,411 Cindy Potentier Mai 14, 2019
9,410 Nicolas Hakoun Mai 14, 2019
9,409 Fanou RAVAOMARIA Déc 16, 2018
9,408 Samira RAVAOMARIA Déc 16, 2018
9,407 Samira RAVAOMARIA Déc 16, 2018
9,406 Claudia Vernet Déc 15, 2018
9,405 Clotilde Vernet Déc 15, 2018
9,404 Olivier Vialle Déc 15, 2018
9,403 Emma TOURREL Déc 15, 2018
9,402 Mohamad moheb Déc 12, 2018
9,401 Mocktaria Idjellidaine Déc 12, 2018
9,400 Chrifa El Moheb Déc 11, 2018
9,399 Isabelle Cario Nov 16, 2018
9,398 Léa Delboeuf Oct 17, 2018
9,397 Corinne CHAMPALLE Oct 15, 2018
9,396 najat TAHANI Oct 11, 2018
9,395 Valérie Robert Oct 11, 2018
9,394 Florent Tétard Oct 11, 2018
9,393 Laurent Carrive Oct 07, 2018
9,392 gioia costa Sep 26, 2018
9,391 Farida Wali Sep 19, 2018
9,390 Laura Duchesne Sep 16, 2018
9,389 caroline bk Sep 12, 2018
9,388 Cyril Vanhelstraeten Sep 11, 2018
9,387 leila vaughn Sep 11, 2018
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Posted on 12 avril 2023

Réformes de l’imaginaire social et contrôle des subjectivités

Cet article est une version d’auteurs d’un texte initialement publié dans la revue Savoir/Agir, vol. 59-60 n°1, 2022, pp. 81-90. doi : 10.3917/sava.059.0082.

Réformes de l’imaginaire social et contrôle des subjectivités

RogueESR & Camille Noûs

Les transformations récentes de l’Université et de la recherche s’appuient sur un contrôle des subjectivités qui dépossède universitaires et chercheurs de leur métier. Sa modalité privilégiée est aujourd’hui le « projet », et son exemple paradigmatique, le « porteur de projet » ou Principal Investigator (P.I., à prononcer comme piaille). Le P.I., ou le chercheur conformant sa pratique à celle des P.I., se plie à la norme subjective de l’entrepreneur de soi-même, en quête permanente d’investissement. Ce faisant, il se soumet au pouvoir de sélection des investisseurs. Il est conduit, pour prospérer ou simplement survivre, à aligner ses désirs sur ceux d’un désir-maître foncièrement étranger au métier de savant. Cette situation confère au contrôle incitatif du néomanagement un rôle disciplinaire d’autant plus efficace qu’il est parcimonieux en moyens, furtif, diffus et flottant. Ce contrôle nécessite l’intériorisation des dispositifs normatifs et leur vaste relais. Dans cet article, nous remontons aux sources théoriques du contrôle néomanagérial des subjectivités, en analysant les articulations entre théories successives du capital humain, et réformes de l’Université et du système de recherche.

Depuis les années 2000, les métamorphoses de l’enseignement supérieur et de la recherche tiennent autant à un renouvellement de l’imaginaire social et des subjectivités qu’aux changements institutionnels opérés par les lois successives. Plus exactement, les seconds ont contribué aux premières, tandis que les premières renforçaient les effets des seconds. Les réformes gestionnaires, imaginées par Philippe Aghion et Élie Cohen en 2004,[1] reprennent et complètent le contenu de la loi Devaquet de 1986. La perspective tracée en 2004 trouve sa traduction programmatique concrète dans le rapport de la commission Attali de 2008.[2] En revanche, les transformations effectives des métiers d’universitaire et de la recherche n’ont pas fait l’objet de théorisations préalables explicites. Pourtant, des mécanismes incitatifs ont amplifié la portée des réformes, en opérant une transformation des subjectivités. Comment les politiques publiques ont-elles, par leur mouvement même, généré leur propre pensée en induisant des empilements de dispositifs qui, de façon subreptice, ont légitimé au quotidien évaluation, mise en concurrence, et autres outils et modes de pensée managériaux ?

Il fut un temps où les prix Nobel en science expérimentale, comme tous les chercheurs, faisaient leurs expériences eux-mêmes, en étant aidés par des techniciens et des ingénieurs. Aujourd’hui, l’idée même qu’un porteur de projet de recherche, un P.I., puisse produire un travail intensif de recherche empirique et expérimentale semble incongrue. Le P.I. est pourtant présenté dans les universités et organismes comme un nouveau parangon de la recherche scientifique. La journée d’un P.I. ressemble à bien des égards à celle d’un dirigeant de PME : éclusage de la correspondance administrative, échanges avec le secrétariat et le service financier, rendez-vous avec les doctorants et post-doctorants, relecture des articles produits par ces « petites mains » du labo, puis les évaluations d’articles et de projets de recherche, le travail d’éditeur d’un ou deux journaux, le travail de réseautage, l’écriture de lettres de recommandation, la communication sur Twitter et, quand il reste du temps, la lecture de quelques articles dans Science, Nature ou PNAS. De ces tâches multiples, aucune ne consiste à « faire de la recherche », au sens où on l’entendait il y a un quart de siècle : il s’agit d’un travail de manager. C’est ainsi qu’en sciences naturelles, le modèle de scientificité promu est incarné par quelqu’un qui s’est détaché de la pratique expérimentale depuis des années, au point de ne plus la maîtriser. En rompant avec la dimension artisanale de la recherche et avec le principe de plus faible division du travail scientifique, c’est aussi la transmission de gestes, de manières de faire, de styles, de mœurs, de standards d’exigence qui a été sacrifiée. Ainsi, le P.I. n’a-t-il plus pour ambition de former des étudiants mais « d’attirer les meilleurs ».

Une boutade fanée d’avoir été trop employée s’amuse de « chercheurs qui cherchent surtout des financements ». Derrière cette autodérision, son libellé même normalise cette situation en considérant que les « petites mains », les seules en définitive dont le travail soit susceptible de constituer un travail de recherche, ne sont pas « les chercheurs », mais que « les chercheurs » sont les managers. La logique managériale implique la disparition du métier de savant. Le P.I. est ainsi la figure duale du précaire : il en est même la condition d’existence. De fait, dans un système scientifique stagnant, un poste statutaire n’est libéré qu’à la mise en retraite d’un « permanent » ; sur l’ensemble des jeunes chercheurs qui produisent la recherche d’un P.I. tout au long de sa carrière, un seul aura, en moyenne, un poste à son tour. Par essence, les doctorants d’un P.I. ne sont plus des étudiants en formation disposant d’une allocation de recherche, mais des salariés précaires. Le P.I. est ainsi le symétrique en recherche du manager d’enseignement, dont la « responsabilité » consiste à recruter des cohortes de contractuels et de vacataires sous-payés pour que les cours soient assurés.

La perspective budgétaire ne doit pas masquer la dimension narcissique du single P.I. lab associé au nom de son porteur, qui a droit à son portrait sur le site de l’université ou de l’organisme, comme naguère l’employé du mois. Ce modèle n’est plus concentré sur une poignée de bénéficiaires des bourses senior de l’European Research Council(ERC) : il se reproduit en fractale à travers une foule d’appels à projets nationaux, régionaux, locaux, qui regorgent de « pépites émergentes », de « montées en leadership » et autres « prises de responsabilité des talents ». Dans cet univers, l’individualisme est roi. La taille comme la structure du single P.I. labinduit une mise en compétition permanente pour les ressources, qui ne peut qu’entretenir la rivalité, et la réduction du travail collectif à un opportunisme codifié des financements collaboratifs. Le point de fuite est un monde académique atomisé où tous les titulaires subsistants seraient des P.I. ou d’ex-P.I., fût-ce à l’échelle de leur laboratoire ou d’un micro-appel local. On pourra alors retourner la formule apocryphe prêtée à de Gaulle, et déclarer : « des chercheurs qui cherchent, on en cherche ».

Comment une transformation si profonde des pratiques, des mentalités et de la représentation collective des métiers de chercheur et d’universitaire a-t-elle pu survenir en si peu de temps ?

Pour tenter de répondre à cette question, il nous faut expliciter les croyances à partir desquelles les réformes ont été pensées, notamment par Ph. Aghion et É. Cohen. Le dogme central pourrait s’énoncer ainsi : la mise en concurrence (le marché) constitue la méthode optimale d’allocation des ressources, que ce soit au niveau des individus, des laboratoires ou des établissements. S’ensuit un principe baptisé « politique d’excellence » : les ressources doivent être concentrées sur une fraction faible des compétiteurs. Le principe opposé, consistant à accorder à chaque chercheur les moyens de travailler, sera baptisé avec dédain « saupoudrage ». Un troisième principe est déductible du dogme central : si une action de l’État peut s’avérer nécessaire pour créer un marché par dérégulation et différenciation, toute politique prévisionnelle ne peut que fausser l’optimum d’allocation garanti par les mécanismes de marché. Les réformes planifiées par le rapport Aghion-Cohen s’articulent en quatre volets baptisés « autonomies » dont les spécialistes de stylistique jugeront s’il s’agit là d’une antiphrase ironique.

  • l’« autonomie » administrative : les établissements sont dotés d’un cadre juridique dérégulé, d’un board of trustees inspiré des sociétés de droit privé, assurant les intérêts des « investisseurs » ; ils entrent dans une « logique » de marque.
  • l’« autonomie » de recrutement, d’évaluation et de gestion des personnels : les recrutements, les primes et les promotions sont soumis à la technostructure universitaire plutôt qu’aux pairs, avec des contrats de droit privés (sortie de la fonction publique), une dérégulation des salaires et des primes, et une généralisation de la précarité.
  • l’« autonomie » pédagogique : les filières universitaires sont organisées en marché par une mise en concurrence croisée des étudiants par les formations (sélection) et des formations par les étudiants, ce qui impose de mettre fin au cadre national des diplômes.
  • l’« autonomie » financière : la dérégulation des frais d’inscription vise à substituer le financement privé au financement par l’État, avec une phase transitoire de généralisation du crédit pour les étudiants et les établissements.

Pourquoi ces réformes ont-elles été d’abord conçues par des économistes ? Comment expliquer leur capacité à transformer les subjectivités dans le milieu académique ? Il faut d’abord souligner que les mises en concurrence des étudiants, des formations, des chercheurs ou des établissements universitaires ne portent pas sur des marchandises, dont le marché fixerait le juste prix. Ce hiatus a été souligné lors du mouvement universitaire de 2009, le plus important après 1968, qui s’était choisi ce slogan : « l’Université n’est pas une entreprise, le savoir n’est pas une marchandise ». Il faut remonter aux travaux fondateurs du macro-économiste néokeynésien Théodore W. Schultz[3] dans les années 1950 pour comprendre la vision des économistes schumpétériens de l’Université et de la recherche, au service d’une « économie de la connaissance ». Schultz est spécialiste d’agriculture mais apporte une première réponse à un problème ouvert connu sous le nom de résidu de Solow. Dans l’approche néoclassique, une fraction de la croissance économique observée n’est imputable ni à une accumulation du capital, ni à une augmentation du facteur travail, mais provient d’éléments exogènes que Schultz attribue à une dimension qualitative du facteur travail : le capital humain, qui recouvre « l’habileté, le savoir et toutes les capacités permettant d’améliorer la productivité du travail humain », la santé des travailleurs mais aussi le progrès technique et les connaissances scientifiques. L’investissement public dans le capital humain se concrétise aux États-Unis d’Amérique dans les années 1960 jusqu’au début des années 1970, dans le sillage du choc politique causé par les succès scientifiques soviétiques, que symbolise le Spoutnik. Il s’agit aussi de conjurer la croissance des industries japonaise et allemande et de lutter contre la pauvreté et les inégalités pour apaiser la contestation qui monte. Il n’y a pas de trait commun entre cette utopie fordiste tardive et le programme de dépossession, de précarisation, de paupérisation et de bureaucratisation d’Aghion et Cohen pour la France du XXIe siècle.

Au début des années 1960, Gary Becker,[4] le micro-économiste de l’École de Chicago considéré comme le père de l’économie comportementale, marque la théorie du capital humain d’un premier virage vers le néolibéralisme, plus conforme à ce que l’on observera ensuite dans les pays de l’OCDE. Il modélise mathématiquement les comportements d’unHomo economicus élevé en nouveau type anthropologique, en préservant la singularité de chaque individu. Pour ce faire, il déploie dans l’ensemble de la sphère sociale la « rationalité » du marché : l’individu, entrepreneur de lui-même, est invité à se comporter du point de vue de la santé, de l’éducation, de la culture, de la sexualité, comme un calculateur rationnel cherchant à maximiser son profit ou, plus exactement, à se valoriser seul en tant que « capital humain ». Cette extension du domaine du marché est confiée à l’État, qui intervient au travers de politiques publiques favorisant l’accès à la propriété (right to buy) ou le recours aux assurances maladies privées. Ainsi, la volonté légitime de s’occuper de soi devient le vecteur de promotion de la responsabilité de l’individu, niant de ce fait tout déterminisme social, tout héritage collectif ; la santé devient calcul de conduite pathogène ; la sécurité, calcul de risque criminogène ; l’éducation, calcul d’employabilité. Du point de vue de l’enseignement, le capital humain se compose de savoirs particuliers dont un individu fait l’acquisition au cours de sa formation, de manière à en tirer ultérieurement un revenu. On appelle ces savoirs segmentables, et quantifiables du point de vue d’un retour sur investissement financier, des « compétences ». La diffusion et l’appropriation de la notion de « compétences » dans l’institution scolaire masque sa dimension programmatique : pour naturaliser les inégalités sociales, les individus doivent porter l’entière responsabilité de leur destin. Il faut donc les convaincre que les différences de revenus sont justifiées par des aptitudes héritables et des stratégies inégalement optimales d’investissement dans leur portefeuille de compétences. La réforme Blanquer du baccalauréat et le dispositif Parcoursup relèvent très exactement de ces théories.

La théorie du capital humain produite par Becker renouvelle l’imaginaire social en évacuant la figure du travailleur libre vendant sa force de travail contre salaire au profit d’un nouveau type anthropologique subjectif : l’entrepreneur de soi-même.[5] Il digère la critique marxiste mettant en avant la figure du prolétaire, dépossédé par le travail salarié des choix, des moyens et du produit de son activité, dépossédé en somme de la conduite de sa vie et soustrait à la conscience même de son exploitation. Dans cette entreprise de déprolétarisation de la société, c’est le salaire lui-même qui change de nature, devenant simple dividende des investissements précédemment consentis par l’« agent » dans son propre capital humain. La fonction du travail est redéfinie pour en faire une forme de fructification du capital. Enfin, la firme comme organisation sociale contraignante est escamotée pour n’être plus qu’un nexus de relations contractuelles. Ce travail théorique de déréalisation et d’individualisation de la condition salariale a trouvé sa plénitude avec le capitalisme de plateforme — l’« ubérisation ». Sous le vocable de « catallaxie », on fantasme la possibilité d’un ordre stable et optimal émergeant spontanément du marché non planifié, censé caractériser une société composée d’Homines economici. Son efficience postulée proviendrait de l’aptitude unique de la mise en concurrence à mobiliser les fragments d’information dispersés dans le corps social, selon un lien entre information et concurrence théorisé par Friedrich von Hayek dès 1945, dans un texte au titre évocateur : The Use of Knowledge in Society. Ainsi, il suffirait d’en finir avec la raison organisatrice et avec les institutions sociales pour que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, pourvu que les individus soient dotés d’une rationalité instrumentale et prédatrice.

En substituant la valorisation individuelle au bien commun, la théorie du capital humain a créé les outils de promotion d’un marché éducatif. Le postulat consiste à évaluer comparativement les effets bénéfiques indirects de l’éducation pour la société dans son ensemble (réduction de la grande pauvreté, baisse de la criminalité, amélioration de l’état de santé, baisse de la mortalité infantile) et les revenus que chaque individu peut escompter en retour des investissements qu’il consent à faire dans son capital humain. Si la rentabilité privée est supérieure à la rentabilité collective, alors l’éducation ne doit pas être financée par de l’argent public. Cette doctrine, promue par la Banque mondiale, conduit à poser l’accroissement du financement privé de l’Université — sinon sa privatisation pure et simple — comme une nécessité absolue, l’éducation primaire étant la seule susceptible de remplir les critères de rentabilité collective. Les conceptions néolibérales de l’École promettent ainsi d’offrir à chaque enfant l’éducation la plus adaptée à sa personnalité et à ses besoins, en remplaçant l’idéal républicain d’une École qui jugule les inégalités sociales par celle du « chèque éducation ». C’est aussi l’essence du programme de transformation libellé par Aghion et Cohen pour l’Université : sa mise en œuvre, fidèle par-delà les alternances politiques, ne peut s’achever sans la dérégulation des frais d’inscription.

Cependant, le programme d’Aghion et Cohen n’est pas totalement en phase avec la conception néolibérale du capital humain de Becker ni a fortiori avec celle de Schultz[6] : dans le rapport Aghion-Cohen, les procédures de mise en concurrence ne portent pas sur la fixation d’un prix, ni sur le retour sur investissement de telle ou telle formation professionnalisante ; leur fonction est d’apprécier la qualité de la recherche ou de l’enseignement. Le tour de force de Becker consiste à mettre en relation satisfaction intime et valeur économique, en adoptant un point de vue individuel. Ceci devient inopérant dès lors qu’il s’agit d’allouer les ressources entre chercheurs ou entre établissements, en sorte d’optimiser la production scientifique et technique ainsi que la formation de la population. Se pose également la question d’une évaluation pour laquelle on ne peut guère s’appuyer sur les outils servant ordinairement à mesurer la valeur d’une production marchande. Aghion et Cohen utilisent des indicateurs de productivité du travail savant qui n’ont ni sens, ni rationalité, ni rigueur, et qui font fi de la littérature scientifique sur la quantification. On est loin de l’exigence analytique de Schultz comme de celle de Becker ; on serait plus proche de Friedman : « C’est une idée fausse et qui a causé de grands dommages, de vouloir tester les postulats. Non seulement il n’est pas nécessaire que les hypothèses de base soient réalistes, mais il est avantageux qu’elles ne le soient pas. »[7]

De fait, les procédures de mise en concurrence sont directement inspirées du néomanagement, dont les penseurs ont eux aussi investi la notion de capital humain, dans un second virage qui en change la nature. À l’organisation du travail de l’ère fordiste, fondée sur la rationalisation, l’autorité, l’impersonnalité des fonctions spécialisées, l’ordre et surtout la hiérarchie, s’est substituée depuis le tournant des années 1980 une administration des conduites qui travaille à la destruction des structures collectives pour parvenir à une individualisation maximale de la relation salariale et prévenir toute volonté de résistance.

Au lieu d’imposer des décisions par la force, le néomanagement prend appui sur les désirs de chacun pour obtenir un asservissement consenti individuellement.[8] Il récupère la critique « artiste » du capitalisme pour l’intégrer aux dispositifs dirigeant les conduites des individus. Les « agents » intériorisent ainsi leur impuissance à avoir prise sur leur vie professionnelle et deviennent prisonniers de leurs propres désirs. Le néomanagement n’agit pas directement sur les corps, mais sur la puissance d’agir des individus. Il procède ainsi d’une gouvernementalité indirecte et de ce fait difficilement perceptible. L’imposition insidieuse de nouvelles normes comportementales produit ceci que les individus assument seuls la responsabilité d’actions pourtant conformes aux décisions du management. Le néomanagement, pour sa part, institue un ordre paradoxal qui exige des « agents » qu’ils soient responsables,[9] indépendants, innovants, adaptables, résilients et flexibles[10] — les « valeurs agiles » — en créant les conditions d’une soumission à la conformité par incorporations de normes, de règles, de procédures, de formalités, de certifications et d’indicateurs de performance, qui constituent la « gouvernance ».

Ce nouveau système érige la concurrence en norme de comportement, par la généralisation d’une gestion au projet, à l’évaluation (benchmarking)[11] et au classement (ranking).[12] Le « projet » place les « agents » sur le fil du rasoir,[13] dans un état de précarisation subjective fondé sur la force persuasive d’un dispositif qui remet en cause leur compétence professionnelle. Déstabilisés par un dispositif qu’ils subissent sans en comprendre toujours les logiques, les « agents » se saisissent des normes comportementales qui leurs sont tendues comme des bouées de secours, et s’efforcent de les faire leurs. Ainsi, les chercheurs se sont-ils accoutumés à l’idée selon laquelle la recherche scientifique de qualité est affaire de « livrables », de « jalons », de « valeur ajoutée », d’« impact sociétal », d’« échéanciers », de « labellisation », de « contrôle qualité », de « reporting », de « coût consolidé », de « comité de pilotage », de « diagrammes de Gantt », de construction d’« indicateurs de performance » et de « programmation d’objectifs », et bien sûr d’« hommes·mois », puisque telle est la nouvelle unité de référence pour la quantification du temps de travail scientifique dépensée pour un projet. Le nouveau chercheur est RACI — responsible, accountable, consulted and informed — et procède lui-même à sa propre évaluation SWOT — strengths, weaknesses, opportunities and threats. À la substance de la pensée produite, aux faits scientifiques établis par un appareil probatoire, au questionnement sur le monde, se substituent progressivement le fétichisme de la valeur relative des revues scientifiques, la quête de citations, l’évaluation quantitative permanente (h-index et autres métriques), l’injonction à la communication, l’usage obsessionnel d’une novlangue et d’acronymes ou l’emploi d’une rhétorique de la promesse humaniste (dont les plus spectaculaires sont sans doute curing cancer, preventing global warming et feeding the world). Cette rhétorique d’apparence savante et généreuse fait miroiter des solutions techniques à des problèmes mal posés, et nourrit ainsi des bulles spéculatives sur le marché de l’appréciation égotique des chercheurs répondant à ces appels. Une des forces de ces dispositifs est qu’il n’est même pas besoin que l’on y adhère idéologiquement : le monde de l’ESR fourmille d’universitaires qui grommellent en déposant un projet d’ANR, moquent les contraintes bureaucratiques des ERC, et rédigent sans y croire les paragraphes sur « l’impact sociétal » de leur projet, le cas échéant après avoir suivi une formation dédiée.

Il ne suffit donc pas de se convaincre que l’on n’est pas dupe : avec le néomanagement, l’entrepreneur de soi-même est invité à se constituer, dans son identité subjective, comme capital humain en quête continue d’appréciation et de crédit. En recherche, le mode d’évaluation des « projets » conduit à une « titrisation » des individus et de leurs relations qui remplace l’appréciation des travaux scientifiques, donc de la production savante. L’évaluation accorde du crédit et sélectionne, conformément à un système de normes et de règles hétéronomes à la science ; elle certifie et labélise le conforme. Par des opérations d’abstraction et de catégorisation, le « porteur de projet » se soumet aux critères d’accréditation édictés en dehors des normes proprement scientifiques, ce qui engendre un divorce profond avec la pratique de la recherche elle-même, voire avec le réel. L’allocation de ressources par projet nourrit sans doute les fantasmes d’infaillibilité de la poignée de lauréats récurrents. Mais de façon générale, elle entretient le sentiment d’imposture et d’infantilisation et amplifie la perte de sens, à rebours des promesses humanistes mobilisées pour justifier ces dispositifs.

Le porteur de projet du néomanagement académique est-il si fondamentalement différent de l’Homo economicus de Becker, calculateur rationnel cherchant à maximiser son profit et étendant la « rationalité » économique à l’ensemble de ses interactions sociales ? De fait, un décalage s’est opéré entre la phase de théorisation du capital humain et sa phase opératoire depuis le début des années 1980[14] : dans le temps même où l’entrepreneur devenait le modèle à suivre, frappant de ringardise les valeurs et les types anthropologiques hérités de l’ère fordiste, l’entrepreneuriat a changé de nature. Le libéralisme exaltait la figure de l’entrepreneur schumpétérien capable, pour dégager des profits, d’optimiser l’appareil productif, de créer et pénétrer les marchés, et de concevoir de nouveaux produits grâce à son inventivité technique. La financiarisation de l’économie, depuis le tournant des années 1980, a conduit à une mutation d’un capitalisme fondé sur le profit à un capitalisme de crédit. Ce dernier repose sur la capacité de l’entrepreneur à optimiser la réputation de son entreprise, afin de convaincre les investisseurs de l’accroissement à venir de la valeur accordée par les marchés aux titres financiers.[15] Ainsi, la dérégulation des marchés financiers et l’essor des banques d’investissement et des fonds de placement ont vidé l’innovation de sa substance pour ne plus en faire que le moyen de susciter une élévation rapide de la valeur actionnariale d’entreprises spéculatives — élévation sans commune mesure avec les profits ou, le plus souvent, les pertes, qu’elles génèrent.

Devant un tel bilan, on peut se demander quelle prise subsiste pour infléchir ce mouvement de transformation. Si la pandémie de SARS-CoV-2 a permis de clarifier une chose, c’est bien l’absence totale de conséquences politiques de la fermeture des universités, qui semble même être devenue une mesure affectionnée par les gouvernements en période difficile. Cette leçon, combinée à la généralisation du recours à la visioconférence, achève de convaincre de l’inefficacité politique d’une grève de l’Université, hormis concernant la certification des « compétences » utiles à l’employabilité. La grève est de toute façon un moyen pensé pour lutter contre des réformes venues de l’extérieur, et est à ce titre peu appropriée pour contrer une évolution interne par transformation des systèmes de valeurs. La grève de l’Université ne redeviendra un levier d’action efficace que si l’explosion des frais d’inscription achève de transformer les étudiants en clients exigeant que les cours pour lesquels ils payent se tiennent bel et bien, et surtout qu’ils donnent lieu à la collation d’un diplôme dont la « valeur » soit préservée.

La tribune, moyen d’expression et de manifestation qui suscite parfois le sourire, a une certaine pertinence pour autant qu’elle fait exister un contre-discours construit et articulé autour de principes opposés à ceux qui régissent les évolutions récentes. En outre, par sa forme même, et notamment du fait qu’elle est signée, la tribune ou tribune-pétition représente une mise en jeu d’un capital réputationnel au service d’idées. Elle contredit donc le mouvement en cours sur son propre terrain symbolique. Mais une tribune ne change pas les pratiques individuelles et collectives. Or c’est bien là que s’est noué le succès de l’agenda réformateur jusqu’à présent.

Il est donc nécessaire de reprendre le contrôle des normes professionnelles de l’enseignement universitaire et de la recherche, et de réaffirmer dans nos pratiques les principes d’éthique scientifique contredits depuis vingt ans. Nous ne sommes pas condamnés à l’imposture publicitaire. Nous pouvons et nous devons nous défendre. Le pronom réfléchi est ici essentiel, qui reprend et dépasse cette première exigence : nous devons réapprendre à dire « nous », parce que « nous sommes l’Université ». Il s’agit en effet d’inscrire nos vies professionnelles, nos subjectivités et nos pratiques en accord avec notre conception de l’Université et de la recherche scientifique. Nous ne sommes pas frappés d’insignifiance. Nous savons pourquoi il est primordial aujourd’hui, dans une société marquée de crises multiples, couplées entre elles, de former les étudiants au raisonnement, à la critique, à la compréhension du monde, aux disciplines du sens, à l’exercice de la démocratie. Nous savons pourquoi il est vital pour la société de produire, transmettre, conserver et critiquer les savoirs. Nous savons pourquoi nous avons choisi un métier engageant à contribuer à la vérité comme horizon commun, à dire le vrai sur le monde. Nous sommes largement majoritaires, encore, à avoir une haute conception de l’enseignement et de la recherche, et à avoir honte de l’insignifiance, de la médiocrité, de l’infantilisation vers lesquels nous entraînent les mécanismes décrits plus haut. Dès lors, c’est d’abord autour des normes professionnelles et de l’éthique intellectuelle, en actes, que se joue la réappropriation de nos métiers. Nous ne devons plus siéger dans un comité, et laisser impunément un rapporteur discourir sans avoir lu le moindre article. Nous devons destituer la bureaucratie normative dont le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) est l’incarnation institutionnelle nationale, en mettant en œuvre des visites de laboratoire qui soient conçus comme des moments scientifiques. Nous devons évidemment occuper le terrain discursif et dire, depuis nos disciplines, ce que sont nos exigences intellectuelles, sans nous plier un seul instant aux normes hétéronomes de médiocrité que le contrôle managérial nous incite à intérioriser. Comment faire en sorte que les volontés atomisées de se défendre puissent se concrétiser en actes ? Par une analyse pratique et théorique et par des instruments réarticulant un « Nous » et désignant clairement un « Eux ». Nous ne nous soumettons aux normes et procédures néomanageriales que parce que nous nous sentons isolés lorsque nous maintenons silencieusement, presque honteusement, la qualité d’un cours ou d’un travail de recherche. Nous nous croyons seuls précisément parce que nous n’osons plus tenir tête ouvertement, et affirmer l’importance de l’exigence, du temps long, de l’éthique et du principe de moindre division du travail savant. Mais « Nous » ne sommes pas seuls. Quant à « Eux », nous pouvons leur opposer leurs armes : évaluer les managers de la recherche et de l’Université sur la base de nos standards d’éthique, de transparence et d’intégrité ; produire une agence de notation aussi simple que sur les sites de vente en ligne ; dégrader en temps réel les notes de celles et ceux qui co-produisent la dégradation des conditions d’exercice de nos métiers. C’est à cette condition que travailler à un horizon de réinstitution d’un système d’université et de recherche conforme aux exigences démocratiques, sociales, sanitaires et écologiques d’un avenir qui s’inscrirait sous le signe de l’émancipation collective a un sens : c’est à nous qu’il revient de ne plus plier le genou, et de dire « Nous sommes l’Université et la Recherche ».


[1] P. Aghion, E. Cohen. Éducation et croissance. Rapport public du conseil d’analyse économique, 2004.

[2] J. Attali et al. Rapport de la commission pour la libération de la croissance française, 2007-2010.

[3] T. W. Schultz. Investment in human capital, American Economic Review, vol. 51 n°1, 1961, pp. 1-17, .

[4] G. Becker. Human capital, National Bureau of Economic Research, 1975.

[5] M. Feher. S’apprécier, ou les aspirations du capital humain, Raisons politiques, vol. 28 n°4, 2007, pp. 11-31.

[6] M. Feher. Facteur de production, entreprise, portefeuille : les métamorphoses du capital humain, Séminaire Politique des sciences, 6 février 2020.[

[7] M. Friedman. Essays in Positive Economics, 1953.

[8] B. Hibou. La Bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, La Découverte, 2012.

[9] É. Hache. Néolibéralisme et responsabilité, Raisons politiques, vol. 28 n°4, 2007, pp. 5-9.

[10] V. de Gaulejac, F. Hanique. Le Capitalisme paradoxant. Un système qui rend fou, Seuil, 2015.

[11] I. Bruno, E. Didier. Benchmarking . L’État sous pression statistique, Zones, 2013.

[12] L. Boltanski, E. Chiapello. Le Nouvel Esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.

[13] D. Linhardt. La Comédie humaine du travail. De la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation managériale, Eres, 2015.

[14] G. Chamayou. La Société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, La Fabrique, 2018.

[15] M. Feher. Le Temps des investis. Essai sur la nouvelle question sociale, La Découverte, 2017.

Posted on 6 mars 2023

Chacun cherche son ChatGPT

Le 7 mars, tout s’arrête. Que ferons-nous ?

Le 7 mars, nous allons entrer dans une phase de grève reconductible du mouvement pour préserver le système de retraites. L’évidence de l’insincérité du projet de loi, son caractère injuste, apparaissent chaque jour plus clairement, et la très large opposition qu’il suscite n’a cessé de croître. Que M. Macron ait décerné un colifichet de la République au principal actionnaire et président-directeur général d’Amazon, M. Bezos, le 16 février montre que son agenda ne croise que par hasard ou par mépris les questions des citoyennes et des citoyens.

Quelle sera la place des universitaires et des chercheurs dans le mouvement du 7 mars ? D’abord nous devons refuser les fermetures administratives et le basculement des cours en visioconférence, et plus encore l’intervention des forces de l’ordre sur les campus. Nous ne saurions nous satisfaire d’une grève par procuration. La grève est utile pour construire une opposition politique, pour compter et se compter : elle l’est aussi pour le pas de côté qu’elle permet grâce à la suspension, même momentanée, des activités ordinaires et à l’ouverture d’un espace de solidarité et de réflexion. Outre qu’il a suspendu durablement la modulation de service, le mouvement de 2009 a été fécond en idées, touchant jusqu’aux formations mêmes.

À ce titre, le 7 mars peut être l’occasion d’engager une réflexion collective sur le devenir de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le diagnostic, nous le connaissons : pas d’année sans un Parcoursup, un Monmaster (bientôt un Doctosup ? un Tondocto ?), sans une vague d’évaluation (A, B, C, D… courage, encore vingt-deux lettres !), sans un jeu de bonneteau financier (vous préférez une Ritraite ou un Repec ?)… Par des assemblées générales, par un travail  engagé dans chaque établissement, faisons donc des 7, 8, 9, 10… mars, la première étape d’une réappropriation de nos métiers, d’une réinstitution de l’Université et du système de recherche, et d’une contribution à la construction collective d’un monde nouveau, et de leurs apports dans l’anticipation des crises et l’apport de solutions latentes construites rationnellement et collectivement.

La solution de l’énigme des manifestants manquants (Mise à jour)

Dans une note précédente, nous avons produit une analyse suggérant que les manifestations parisiennes d’ampleur engendraient une saturation du nombre de participants comptés, quel que soit le nombre de manifestants réels et les biais de mesure.

Le jour même, le 11 février, la préfecture de police ouvrait deux larges boulevards aux manifestants. Sachant que le cabinet Occurrence « dénombrait » 55 000 personnes le 31 janvier dans une manifestation gigantesque tentant d’emprunter un unique boulevard, combien de manifestants ont-ils compté le 11 février ? 55 000 + 56 700. On appréciera la qualité de la prédiction.

Appel à l’aide pour éduquer un « ChatGPT » spécialisé en rapport Hcéres

L’idée est partie d’une boutade mais elle est graduellement apparue comme un moyen sérieux d’apporter une réponse à la hauteur des vues bureaucratiques du Hcéres : pourquoi ne pas former une variante de ChatGPT à répondre aux questionnaires délirants et souvent incompréhensibles de l’agence d’évaluation, à partir de nos publications postées sur HAL ou d’un court rapport d’activité à l’ancienne ? Quel gain de temps collectif !

Nous cherchons à constituer un mini-groupe de travail de collègues techniquement capables de mettre au point ce projet de manière point trop chronophage, pour qu’il soit utilisable massivement pour la vague D d’évaluation (qui a commencé).

Nous contacter.

(Contre)-réforme des retraites : quelles conséquences pour l’Université et la recherche ?

Si vous avez manqué le début — dans la première mouture du projet de loi, l’article 18 prévoyait que l’État aligne progressivement, sur 15 ans, son taux de cotisation patronale de 74,3% aujourd’hui sur celui du privé dans le nouveau système, 16,9%. Les sommes « libérées » étaient destinées à financer les « revalorisations » salariales négociées en compensation des mesures de précarisation et de dérégulation statutaire de la loi de programmation de la recherche (LPR) — un incroyable jeu de dupes — l’augmentation du budget de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), mais aussi une part de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

Une mise en crise du financement de l’ESR — Le « régime universel de retraite » (donc cet article 18) était mentionné dans les plateformes électorales de la présidentielle et des législatives, mais ne figure pas dans le nouveau projet de loi. Par ailleurs, le budget total alloué à l’Université et à la recherche publique n’augmente pas, ce qui engendre un problème de financement des établissements — problème accru par l’augmentation du prix de l’énergie. Quelles sont les perspectives budgétaires et leurs conséquences, dans ce nouveau contexte ?

L’actuel projet de loi — Le véhicule législatif choisi par l’exécutif — un projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale (PLFRSS) —, ne permet pas d’introduire des dispositions qui sortent du champ financier. Les rares mesures d’atténuation du report de l’âge légal de la retraite sont prévues par voie de décret, ce qui, d’expérience, permet de prédire, soit que les décrets ne seront jamais pris, soit qu’ils ne coïncideront pas avec les promesses politiques. Ce choix de procédure ouvre la possibilité d’une seconde loi dans la foulée de la première ; celle-ci est déjà amorcée par un amendement, soutenu par le gouvernement, demandant un rapport sur les conditions et le calendrier de mise en œuvre d’un système universel de retraite. Cette seconde loi pourrait prendre prétexte des décisions à venir du Conseil constitutionnel, s’il considérait à raison les articles 2 et 3 comme des cavaliers budgétaires. Première « solution » possible, donc : le retour de l’ex-article 18.

Un nouveau gel des salaires — Le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites, basé sur les chiffrages prévisionnels de « Bercy », prévoit une diminution drastique de la rémunération des fonctionnaires (stabilité en euros courants, dans un contexte d’inflation). « Bercy » confirme ainsi qu’il envisage de geler les salaires, annulant les promesses de « revalorisation ». L’opération de communication aura servi à couvrir la généralisation d’une politique de prime sous le contrôle et au profit de la bureaucratie des établissements. Les établissements n’auront d’autre choix que d’ouvrir des postes contractuels, dont les cotisations patronales sont soumises au régime général.

Notons que s’il était mis en œuvre, le gel des salaires par « Bercy » conduirait à une dégradation conséquente des cotisations versées par l’État en tant qu’employeur, et donc à une mise en crise du régime de retraites, aujourd’hui à l’équilibre pour des décennies. Il remplit en cela l’un des rôles de l’ex-article 18 : créer les conditions de nouvelles (contre)-réformes des retraites pour encourager la retraite par capitalisation. De fait, s’il n’y a pas de problème à ce jour d’équilibre des caisses de retraite, il existe une solution pour assurer un surcroît de flottaison : l’augmentation des salaires.

La retraite à 70 ans — En plus des conséquences qu’il aura pour les femmes, les quinquagénaires, les salariés précaires et les carrières longues, le projet de loi systématise la possibilité de travailler jusqu’à 70 ans dans la fonction publique. Une partie significative des universitaires et des chercheurs pourra ainsi décider de retarder son départ en retraite. Les recrutements à l’Université et dans les organismes de recherche se faisant au mieux au rythme des départs en retraite, ce sont encore les postes pérennes qui seront menacés en priorité : « Bercy » a confirmé que le Glissement Vieillesse Technicité induit par le recul de limite d’âge sans condition à 70 ans ne sera pas compensé. Les postes permanents serviront donc, plus que jamais, de variable d’ajustement financier pour les directions d’université et leur nombre va nécessairement chuter.

En conclusion — Il n’y a pas de fatalité à cette dégradation programmée, mais nous devons d’une part arrêter le rouleau compresseur et d’autre part travailler à un projet de société, fondé sur un imaginaire renouvelé, où la jeunesse, le savoir, la science, l’Université aient pleinement leur place.

Posted on 17 janvier 2023

Salades, rhubarbe, séné — sens

Il y a mille raisons de se mettre en grève, que l’on soit étudiant, chercheur ou universitaire, titulaire ou précaire. Dans ce billet, nous en détaillons deux qui ont trait au système de recherche et d’enseignement supérieur. Par ailleurs, nous vous invitons à prendre connaissance du simulateur produit par le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) pour mesurer à quel point le projet gouvernemental représente une spoliation de l’intérêt général :

https://www.cor-retraites.fr/simulateur/

La fin programmée du CNRS et ses effets délétères sur le service public d’enseignement supérieur et de recherche

Opérateur de recherche. Agence de moyens. Agence de programmes. De quoi parle-t-on ?

Un opérateur de recherche emploie des chercheurs et chercheuses, gère des laboratoires et leur alloue des moyens pour produire, critiquer et conserver les savoirs. C’est une institution qui organise une communauté de savants, animée par son mouvement propre de questionnement endogène, qui crée le savoir comme un commun de la connaissance, qu’aucun intérêt particulier ou privé ne peut s’approprier. Les disciplines s’y articulent comme autant de manières d’aborder la compréhension du monde. Cette recherche désintéressée de vérités irréductibles à toute dimension utilitaire suppose l’autonomie des chercheurs vis-à-vis des pouvoirs politiques, économiques et religieux. L’autonomie suppose, en sus de la liberté de recherche; une liberté d’organisation fondée sur la collégialité — donc une absence de bureaucratie. En retour le monde scientifique s’engage à dire le vrai sur le monde en toute indépendance mais aussi à être un moteur de réflexivité et un réservoir de solutions latentes pour les problèmes que la société doit affronter. Le principe d’autonomie se redouble d’un principe de responsabilité devant la société.

Une agence de moyens finance des projets scientifiques conformes à des normes hétéronomes, édictées de manière diffuse. Ce n’est plus une institution de scientifiques, mais un nexus de relations contractuelles plaçant des scientifiques précaires sous la responsabilité de managers de la science, les PI (Principal Investigator), porteurs de projets en quête d’investissement et soumis au pouvoir de sélection des investisseurs. Les agences de moyens produisent un contrôle incitatif des chercheurs : la mise en concurrence joue un rôle disciplinaire d’autant plus efficace qu’il est furtif et parcimonieux en moyens. Les porteurs de projet sont ainsi dépossédés de leur professionnalité et de leur métier par un dispositif qui vise à les persuader de leur possible incompétence. Ils sont placés sur le fil du rasoir, dans un état de précarisation subjective fondé sur une double injonction paradoxale à la créativité, à l’innovation voire à la « disruption », et en même temps à la conformité à une bureaucratie normative, faite de « délivrables », de « jalons », de « valeur ajoutée », d’« impact sociétal », d’« échéanciers », de quantification de la fraction de chercheur impliqué à exprimer en « homme.mois », de « coût consolidé », de construction d’ « indicateurs de performance » et de « programmation d’objectifs ». Par ses normes et ses procédures, une agence de moyens peut ainsi promouvoir start-ups  et partenariats public-privé.

Une agence de programmes organise des programmes de recherche définis par le politique. La sphère dirigeante de l’État définit ainsi des « défis sociétaux », supposés répondre aux aspirations de la société, mais qui visent surtout à apporter l’aide de l’État à la sphère économique. Ainsi, les Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), qui font l’objet d’une mise en concurrence entre organismes et établissements universitaires pour en assurer le pilotage ou les proposer à un « jury international ». Le sujet de l’agence de programme n’est plus le chercheur ou la chercheuse, ni le PI ou le manager de la science, mais le « pilote de programme » dont la qualité première est de n’avoir aucun contact avec la recherche, la science ou la pensée. L’agence de programmes réalise ainsi l’idéal de la techno-bureaucratie : une institution de recherche débarrassée des scientifiques.

Si l’idée d’une agence de programme de recherche sous le contrôle de la bureaucratie d’État évoque immanquablement les riches heures du lyssenkisme, il faut apporter cette nuance : il s’agit d’un État au service et sous le contrôle du marché. Ainsi, le plan France Relance se propose de « relancer l’économie » en la rendant « compétitive ». Le plan France 2030 entend « investir massivement dans les technologies innovantes » pour « permettre de rattraper le retard industriel français ». Comme le Crédit d’Impôt Recherche, il s’agit avant tout d’aides indirectes aux (actionnaires des) entreprises, en contournant des règles de concurrence européenne. De manière symptomatique, ce plan est piloté par le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI), sous l’autorité du Premier ministre. Le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ayant perdu son I (pour innovation) aura-t-il la tutelle des agences de programme ?

La transformation des organismes de recherche nationaux en agences de moyens et de programmes est dans les tiroirs depuis 2008-2009. On se souvient du discours de Nicolas Sarkozy le 22 janvier 2009, qui avait mis le feu au poudres par son mépris des universitaires et des chercheurs. Le discours d’Emmanuel Macron le 13 janvier 2022 témoigne de la même volonté de de transformer les organismes de recherche en « agences de moyens pour investir (et) porter des programmes de recherche ambitieux […] avec les meilleurs chercheurs associant d’ailleurs la communauté des chercheurs dans toutes les disciplines ou dans des approches interdisciplinaires et des jurys internationaux permettant de sélectionner les meilleurs projets de recherche fondamentale ou finalisés, qui allouent les moyens de la nation de manière indépendante et pertinente. » Lors de sa nomination, Antoine Petit a fait du démantèlement du CNRS le point central de son action, avec ce glissement sémantique : « agence de moyens le terme n’est pas bien choisi, ça c’est l’ANR. Nous, on est une agence de programme et d’infrastructure. Et là (Macron) a dit : “banco ! J’achète !” » Emmanuel Macron a choisi l’ancien directeur de cabinet de Valérie Pécresse devenu Chief Scientific Officer de SICPA,[1] Philippe Gillet, pour «  explorer la notion d’agence de programmes » dans un rapport qui servira à accréditer la réforme centrale du quinquennat, avant la rentrée 2023.

Nous nous sommes procurés sa lettre de mission signée de la main de la ministre, Mme Retailleau, qui semble avoir été écrite par ChatGPT. Elle prévoit deux « groupes de travail » qui n’auront en leur sein ni scientifique ni universitaire en activité : le premier (« positionnement stratégique ») sera piloté par Patrick Levy (UGA) et Yves Caristan (CEA) et le second (« pilotage territorial et simplification ») par Véronique Perdereau (rectrice) et Christine Cherbut (Inrae). Les ballons d’essai lancés par des présidences d’établissements universitaires et du président du CNRS prédisent l’abandon du concours national du CNRS, au profit de recrutements sous la tutelle des présidences d’universités dites « de recherche » et la fin de la tutelle du CNRS sur les laboratoires. Dans ses indiscrétions, la présidence du CNRS parle, de son côté, d’une « simplification » par une forme de subsidiarité: déléguer la gestion des laboratoires à une seule tutelle (l’Université dans la plupart des cas), le CNRS conservant la gestion de ses salariés, sans changement statutaire; en retour, le CNRS deviendrait pilote de programmes nationaux — mais aucun établissement universitaire. Il s’agirait donc d’un nouveau coup de cliquet dans le démantèlement de l’organisation nationale de la recherche scientifique, dont on voit mal à quoi elle pourrait servir, sinon renforcer le féodalisme bureaucratique et managérial auquel conduisent les réformes engagées depuis 15 ans. Par une conjonction de calendrier, il est également prévu que le HCERES évalue la stratégie du CNRS en 2023.

La Cour des Comptes s’est, elle, chargée de pointer les « faiblesses dans la manière dont l’Inserm est géré, que ce soit dans l’organisation de sa chaîne financière et comptable que dans la gestion des ressources humaines », en faisant des recommandations conformes aux grandes lignes esquissées pour le CNRS. Le rapport a été publié deux jours avant l’audition par le parlement de Didier Samuel, président de la Conférence des doyens de médecine, proche de l’Udice, choisi par M. Macron pour devenir le prochain PDG de l’Inserm.

Cette nouvelle phase de suppression de l’organisation nationale de la recherche et de l’Université prolonge en effet les bouleversements opérés par la Loi de Programmation de la Recherche adoptée fin 2020. La montée en puissance de primes locales dans notre rémunération se nourrit de l’écrasement du salaire, seule part de rémunération garantie par le statut. Une place centrale revient maintenant à la part variable, dont l’attribution résulte d’une procédure d’évaluation longue et chronophage, qui place les commissions locales constituées de collègues en position de corriger les évaluations du CNU (première étape) et abandonne la récompense du travail à des collègues eux-mêmes impliqués dans la concurrence impliquée par ce dispositif. Cette évolution induit une capacité de chantage et de corruption des intervenants à l’échelle locale extrêmement dangereuse pour la liberté académique. Au terme de ce parcours, l’attribution de la prime C3 par le seul président ou la seule présidente de l’université ressemble à une gratification procédant du « fait du prince ». Pourquoi pas, tant que nous y sommes, revenir aussi à la vénalité des offices ? L’activité scientifique et plus largement universitaire requiert intégrité, indépendance, accès au temps long, autant de vains mots si les garanties réglementaires et financières n’y sont pas ; or au cœur de ces garanties, il y a le statut et le salaire, qui sont les conditions de possibilité de nos missions d’enseignement et de recherche.


[1] L’histoire de l’entreprise SICPA :

https://stories.swissinfo.ch/sicpa-ou-les-affaires-opaques-du-roi-de-la-tracabilite#336558

L’essor de l’enseignement supérieur privé et la « retraite » des ministres 

« C’est pas “Passe-moi la salade et j’t’envoie la rhubarbe !” » 

(Nicolas Sarkozy, 7 décembre 2015)

La paupérisation et la précarisation des établissements universitaires sont des leviers essentiels pour favoriser l’essor de l’enseignement supérieur privé. Mais ce ne sont pas les seuls. La loi Pénicaud de 2018 a étendu l’apprentissage au supérieur faisant passer en quatre ans le nombre d’apprentis de 300 000 à 730 000. Le coût massif pour les finances publiques (11,3 milliards d’euros en 2021) pour un effet nul sur l’emploi a conduit à des alertes de l’Inspection générale des finances (avril 2020) puis de la Cour des comptes. France Compétences a connu 11,2 milliards de déficit de 2020 à 2022, compensés par des emprunts bancaires et des renflouements de milliards par l’État.

Cet argent public a été largement capté par de grands groupes privés de formation : Galileo Global Education, Omnes, Eureka, Ionis, IGS. Par un heureux hasard, à son départ du gouvernement, Mme Pénicaud a été nommée administratrice de l’entreprise multinationale d’intérim Manpower avant d’entrer au conseil d’administration de… Galileo Global Education, exploitant d’un groupe de 55 écoles privées détenues par le fonds de pension de la famille Bettencourt-Meyers. L’offre de formation en alternance de neuf de ces écoles a crû de 37% en un an : 12 500 alternants dont 94% d’apprentis en 2021-2022. Pendant ce temps, les ex-conseillers de Mme Pénicaud ont fondé le cabinet de consulting Quintet, dont le mot d’ordre est « conjuguer business et bien commun », et de fait, leur business consiste bien à aider les entreprises à tirer profit du texte de loi qu’ils ont écrit au nom du bien commun.

M. Blanquer ne se contentera pas longtemps du poste créé en dehors de tout cadre juridique pour lui à l’université Paris-Panthéon-Assas, cinq jours après sa déroute électorale. En plus d’être gérant de la société Essec Management Consultants (chiffre d’affaires : 191 613 d’euros en 2020) et associé au cabinet Earth Avocats, qui conseille le Paris Saclay Cancer Cluster (PSCC), M. Blanquer travaille à la création de l’école de la transformation écologique de Veolia, société spécialisée dans le recyclage et la valorisation des déchets. M. Blanquer et le PDG de Véolia, M. Frérot avaient lancé conjointement la première « université École-Entreprise » à partir de la loi Pénicaud.

Celles et ceux qui pensaient que Mme Vidal aurait à cœur de refaire correctement les expériences de son article rétracté pour duplicata de northern blot se sont trompés. L’ancienne ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation comptait rejoindre l’école de commerce Skema Business School en qualité de directrice de la stratégie du développement, et la fondation Higher Education For Good en tant que conseillère scientifique. Amusante coïncidence : les conventions financières conclues par la convention signée par Mme Vidal, alors ministre, avec ce même établissement ont porté sur 1 636 800 € pour l’année 2019, 1 637 000 € pour l’année 2020 et 1 985 200 € pour l’année 2021. Mais contrairement aux projets d’insertion professionnelle de M. Blanquer et Mme Pénicaud, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique a pris ombrage des velléités de réorientation de Mme Vidal et l’a collée : la HATVP a rendu un avis d’incompatibilité la concernant. Mme Vidal a pu en revanche devenir conseillère spéciale du président de la Fondation européenne pour le développement du management et membre du conseil de surveillance du Groupe Premium, courtier en assurances. Son chef de cabinet et ancien vice-président étudiant à l’université de Nice, Graig Monetti, a vite su rebondir après son échec aux législatives puisqu’il est devenu Directeur de la RSE (responsabilité sociale des entreprises), des Relations Publiques et de la Communication de ce même groupe, de quoi occuper le temps libre que semblent lui laisser ses mandats d’adjoint au maire de Nice et de conseiller métropolitain.

À ce jour, vingt-quatre des soixante-cinq ex-ministres de la période 2017-2022 conjuguent aujourd’hui le business et le bien commun, c’est-à-dire qu’ils récoltent désormais dans le privé les fruits de leur travail public, en particulier dans des cabinets de consultance.

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