Vous trouverez ci-dessous le courrier envoyé ce jour au premier ministre, suite à l’éviction sans examen de nos candidatures à la présidence du Hcéres, annoncée… par l’entremise de deux agences de presse.
À l’attention de :
M. Édouard Philippe, Premier ministre
CC/ Mme Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation
M. Thierry Coulhon, conseiller éducation, enseignement supérieur, recherche et innovation du président de la République
M. Philippe Baptiste, conseiller éducation, enseignement supérieur, jeunesse et sports du Premier ministre
Mme Anne-Sophie Barthez, directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle
M. Bernard Larrouturou, directeur général de la recherche et de l’innovation
Objet : Irrégularités dans le concours en vue de pourvoir la présidence du Hcéres
Monsieur le Premier ministre,
Un appel à candidature en vue de pourvoir la fonction de président ou de présidente du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) est paru au Journal officiel le 26 décembre 2019. Plus de 1 350 candidates et candidats ont transmis leur dossier de candidature pour occuper cette fonction, avec un objectif commun : réaffirmer les principes de collégialité et de disputatio entre pairs au fondement de la recherche scientifique. 5417 universitaires et chercheurs se sont associés à cette démarche visant à renouer avec une recherche exigeante, réaffirmant la responsabilité des chercheurs vis-à-vis de la société et l’autonomie du monde savant vis-à-vis de tous les pouvoirs dont l’exercice de la science dépend. Ces candidatures, parfaitement recevables individuellement, ont en partage une même profession de foi, parue sous la forme d’une tribune dans Le Monde, le 20 janvier 2020.
Par l’entremise de deux agences de presse privées, le ministère a annoncé le rejet de ces candidatures à la présidence du Hcéres, avant même d’envoyer des courriers aux candidats. À notre connaissance, seule une infime partie des candidats a reçu un accusé de réception par voie électronique. Le ministère a été jusqu’à refuser de délivrer les récepissés des candidatures déposées en mains propres, valant recommandé avec accusé de réception.
Ces graves anomalies invitent à penser que tous les dossiers n’ont pas été traités de manière équitable par l’administration, ce qui fait peser une incertitude juridique réelle sur le déroulement de la procédure. Aucune réponse n’a été apportée à notre courrier, en date du 3 février, demandant à connaître le détail de la procédure d’évaluation des dossiers de candidatures. On peut légitimement douter de l’existence de critères objectifs permettant d’éliminer plus de 99,9% des candidats, et supposer de forts biais idéologiques. Dès lors, le déficit patent de transparence du concours de recrutement à la présidence de l’institution en charge de l’évaluation de la recherche et des formations est un aveu de l’absence d’indépendance de cette institution, en rupture avec l’autonomie nécessaire à la démarche scientifique.
Le courrier des directions générales aux candidats — que l’agence de presse News Tank s’est procuré mais que nous n’avons pas reçu — ne contient aucun motif justifiant le rejet des candidatures. Cette omission conforte les analyses formulées dans la profession de foi commune : les instances ministérielles ne sont pas compétentes pour examiner la qualité de travaux savants, n’ont pas la légitimité pour statuer sur la qualité des formations. L’agence de presse privée AEF fait état de trois candidatures qui n’auraient pas été écartées. Vue l’absence de transparence dans le déroulement du concours, aucune de ces trois personnes ne pourra assumer les responsabilités de présidente ou de président de l’Hcéres. Nous pensons donc qu’elles auront à cœur de suspendre leur propre candidature.
Dans notre courrier du 3 février, nous proposions à Madame la ministre et aux directions générales une rencontre publique, assortie de garanties minimales. Nous réitérons notre offre et serions évidemment disposés à débattre avec les trois autres candidats. Nous demandons au préalable que soient dévoilés la procédure et les critères objectifs de sélection d’un président ou d’une présidente de l’Hcéres garant de l’autonomie nécessaire du monde savant et des libertés académiques. Nous réaffirmons, enfin, les conditions effectives de cette autonomie détaillées dans la profession de foi collective.
Avec nos respectueux hommages, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre très haute considération.
Nous avons dépouillé le sondage sur l’opération Alex et discuté la centaine de mails reçus à cette occasion :
2 000 collègues sont prêts à participer à l’opération : les conditions du succès sont donc réunies ;
Le prénom « Alex » ne convainc pas ; il faut donc proposer de nouveaux choix dans un sondage à venir ;
Nous est le seul nom de famille qui emporte une large adhésion ;
Une majorité se dégage en faveur de l’effet de surprise ;
Beaucoup de collègues souhaiteraient conférer à « Alex » une légitimité — sinon une légalité — d’auteur collectif, comme cela se pratique dans les grandes collaborations, en lui conférant un rôle spécifique dans les articles : celui de la communauté savante, garante d’exigence et de normes d’éthique intellectuelle. L’élaboration de cette “collaboration” inspirée de la physique des grands instruments exige un peu de temps pour en étudier la faisabilité ;
L’engagement dans un « Nous » que certifie la présence d’« Alex » parmi les auteurs demande à être explicité en prenant en compte les spécificités disciplinaires.
Appel à contributions
Nous souhaitons ouvrir le collectif RogueESR. L’occasion nous est offerte grâce au projet de deux ouvrages que nous souhaitons penser et écrire collectivement dans la période qui vient :
un dictionnaire intitulé « Eux / Nous » définissant de manière précise, et parfois ironique, à la manière de Candide, les mots en usage dans la novlangue qui contamine notre métier mais aussi les mots qui seraient porteurs d’une nouvelle conception de l’Université et de la recherche. Une attention toute particulière sera accordée aux faux-amis — ces termes dont la forme est commune aux deux langues, la nôtre et la leur, mais dont le sens diverge.
un ouvrage (en français puis en traduction anglaise) de création politique sur le système d’Université et de recherche que nous entendons instituer et faire vivre.
Le 5 mars, on arrête tout, on réfléchit…
La candidature collective à la présidence du Hcéres, les prises de position nombreuses dans la presse écrite, les interpellations votées par les conseils d’unités de formation et les laboratoires, mais aussi par certaines sociétés savantes et certaines revues, l’appel à interrompre totalement les activités des universités et des laboratoires le jeudi 5 mars ou le refus, individuel ou collectif, de participer aux vagues d’évaluation en cours, sont autant de signes d’une volonté du monde savant de réaffirmer ses valeurs fondatrices : l’autonomie et la responsabilité vis-à-vis de la société.
Nous co-organisons un troisième séminaire exceptionnel sur l’histoire de l’Université, pensé comme une contribution à ce temps suspendu. La séance est ouverte. Elle aura lieu à l’EHESS, de 17 à 21h, le 5 mars, en salle Lombard, 96 bd Raspail, à Paris, et sera retransmise en direct.
Depuis sa naissance au XIIIe siècle, l’Université a connu une alternance de phases où elle a su se réinventer et se réinstituer, en renouant avec l’idée fondatrice d’autonomie du monde savant, et de reprises en main par le pouvoir. L’histoire politique, sociale et institutionnelle permet de saisir ce qui, dans la situation présente, hérite des siècles passés — il suffit de penser à ce qui persiste de la partition de l’Europe entre systèmes napoléonien et humboldtien. Mais l’histoire fonctionne aussi comme réservoir de possibles. Elle permet de réaffirmer les valeurs fondatrices du monde académique, dans un travail de création politique visant à imaginer un système d’Université et de recherche qui puisse contribuer à affronter la triple crise inégalitaire, climatique et démocratique que traversent nos sociétés.
Nathalie Gorochov : Libertés académiques, contestation et grève dans les premières universités d’Europe (1200-1231).
Christophe Charle : Pourquoi les gouvernements n’arrivent-ils pas à gérer l’enseignement supérieur depuis les années 50 ? Pourquoi les universitaires ne savent-ils pas ce qu’ils veulent et ne savent-ils pas se défendre ?
Emmanuelle Picard : Histoire institutionnelle de la profession académique contemporaine.
Charles Soulié : La refondation de l’université française après 68.
Aucune réponse n’a été apportée à ce jour. Ni les récépissés, ni les accusés de réception n’ont été délivrés, malgré les promesses de M. Monetti, chef de cabinet de la ministre, en partance pour Nice comme colistier de M. Estrosi. Nous préparons donc des recours administratifs et envisageons d’interpeller l’exécutif et la représentation nationale.
De nombreuses propositions nous sont parvenues pour réaffirmer les valeurs collégiales de la science, revendiquer un « nous », constitutif de la communauté savante, le seul à même d’instituer les modalités de la disputatio et les normes de probation scientifique. Une suggestion est apparue comme pouvant être immédiatement mise en œuvre : ajouter un/une scientifique imaginaire, allégorique, au prénom épicène, à la liste des auteurs de nos publications, quand cela est possible ; un nom identique dans toutes les disciplines, avec rattachement à la même unité de recherche fictive. La conséquence la plus immédiatement visible sera qu’en l’espace de quelques mois des centaines d’articles feront de ce nom le premier publiant de la planète, et de son faux laboratoire la première unité de recherche mondiale, avec pour conséquence de fausser une partie des statistiques bibliométriques et de démontrer l’absurdité de l’évaluation quantitative individuelle. Surtout, à plus long terme, cette signature fonctionnera comme un label de collégialité et donc de qualité, dont les principes seront explicités en plusieurs langues sur un site dédié. Un tel label vaudra réaffirmation, au cœur même du dispositif de mise en concurrence des individus et des institutions, d’un « nous » scientifique associé à un ensemble de pratiques communes. Cette signature tiendra lieu d’engagement à des pratiques intègres, à une éthique intellectuelle, à une exigence vis-à-vis des normes de probation scientifique.
La perte d’autonomie de la communauté académique n’est pas spécifiquement française. C’est pourquoi il nous semble important de faire vivre un « nous » que les collègues étrangers pourront s’approprier s’ils le souhaitent, ce qui implique de choisir un prénom épicène international ; après examen, nous proposons Alex.
Une telle initiative ne sera couronnée de succès que si nous avons l’assurance que d’autres collègues, en nombre, y contribuent. Nous vous proposons de répondre à un questionnaire afin de nous dire si vous pensez que l’idée doit, ou non, être mise en œuvre et, le cas échéant, afin d’en affiner les modalités et d’arrêter le choix de ce nom « commun ».
La loi de programmation pluriannuelle de la recherche, essentielle pour notre avenir, a été rédigée dans l’opacité la plus grande, après une phase de consultation étriquée. Le ministère n’a, à ce jour, pas souhaité dévoiler ce projet de loi à la communauté académique. Il s’est contenté d’une communication maladroite destinée à désamorcer le mouvement de réaffirmation de l’autonomie et de la responsabilité du monde savant qui se développe partout, des syndicats aux sociétés savantes, des laboratoires de biologie aux Facultés de droit et de science politique, en passant par toutes les disciplines des sciences humaines et sociales. De toutes parts monte un même appel à la création de postes pérennes, à des crédits récurrents, à une suppression de la bureaucratie et à une réinstitution des libertés académiques.
Nous en appelons au Président de la République pour que cessent cette conduite blessante de la réforme et cette gestion confuse et désordonnée de la rédaction de la loi. L’Université et la recherche méritent respect, éthique intellectuelle, transparence et intégrité, toutes valeurs qui fondent nos traditions académiques et que nous entendons défendre et incarner.
Nous produisons ici une première analyse de cette loi en traitant successivement de sa portée d’ensemble, du financement de la recherche, du statut des universitaires et des chercheurs et enfin de la question de l’évaluation, inséparable de celle des libertés académiques. Notre analyse repose principalement sur deux sources que nous confrontons : la version courte du projet de la loi, datée du 9 janvier 2020, et la communication de la ministre devant les nouveaux directeurs et directrices d’unités, le 4 février dernier. Les propos de Mme Vidal sont en contradiction manifeste avec le texte du projet de loi.
La ministre, pour lever les inquiétudes et apaiser les colères, défend une représentation irénique de la loi, visant à en réduire la portée : « Cette loi n’est pas une loi de programmation thématique ou une loi de structures. C’est une loi de programmation budgétaire. » Dans sa version du 9 janvier, le projet de loi se compose de cinq parties dont seule la première est budgétaire, alors que les quatre suivantes organisent des bouleversements structurels. Alors que la deuxième partie de la loi instaure la dérégulation des statuts des jeunes chercheurs et met à mal l’indépendance de la recherche en permettant de contourner le recrutement par les pairs, la troisième partie conforte l’évaluation punitive et l’injonction aux résultats pour toutes les formes de contractualisation. La quatrième partie comporte des dispositions sur le cumul d’activités visant, comme la loi sur les retraites, à accroître la porosité entre le secteur public et le secteur privé. La cinquième partie contient les autorisations à légiférer par ordonnance sur un ensemble de dérégulations qui vont du transfert au privé de prérogatives de l’enseignement public aux règles de fonctionnement des fondations de coopération scientifique, en passant par les modalités de recrutement des chercheurs et des universitaires. Il est à souligner qu’une version plus longue de la loi, postérieure à la version du 9 janvier, réintègre une partie des ordonnances du Titre V dans le texte de loi lui-même. Quels sont les arbitrages qui ont conduit la ministre à affirmer que la LPPR serait réduite à la seule question budgétaire (Titre I), en l’amputant de ses quatre autres parties, sans en informer ni la communauté universitaire ni les parlementaires ? Est-ce à dire que le reste de la loi fera l’objet de décrets, d’ordonnances, voire de simples dispositions réglementaires ? Le hiatus irresponsable entre la communication ministérielle et le texte du projet de loi peut-il être expliqué par le départ de Mme Vidal du ministère dans les mois qui viennent ?
En l’état, l’article 2 du projet de loi prévoit la programmation budgétaire pour 2021-2027, mais n’engage aucunement l’État au-delà de l’année budgétaire — dans le cas contraire, le Conseil d’État a rappelé que le projet serait inconstitutionnel. Cet article 2 propose de réaffecter une partie des sommes que l’État ne dépensera plus en cotisations pour les retraites en revalorisations indemnitaires — c’est-à-dire en primes plutôt qu’en revalorisation du point d’indice. Le salaire d’entrée d’un universitaire ou d’un chercheur est aujourd’hui, après reconstitution de carrière, de 1,8 SMIC en moyenne. Son salaire socialisé, qui comprend la cotisation de l’Etat pour sa retraite, baissera de 1,2 SMIC en 15 ans, comme prévu par l’article 18 de la loi sur les retraites. La revalorisation du salaire net à 2 SMIC ne restitue qu’une petite partie de cette somme (0,2 SMIC). La raréfaction des postes pérennes et la titularisation décalée de cinq à six ans, induite par les dispositifs de type tenure track, introduisent trouble et confusion dans l’annonce de revalorisation pour les futurs recrutés. Quant au soutien de base des laboratoires qui aurait désormais les faveurs de la ministre (« Nous avons besoin de soutien de base mais aussi de financement sur projet »), il est contredit par la loi : l’article 2 du projet de loi prévoit bien un accroissement des appels à projet, le budget de l’ANR étant augmenté par ponction dans les cotisations de retraites des universitaires et des chercheurs. Or la consultation en amont de la préparation de la loi a fait apparaître que neuf chercheurs et universitaires sur dix sont en faveur d’une augmentation des crédits récurrents et d’une limitation des appels à projet. Dans sa version du 9 janvier, la loi n’en tient nullement compte.
Le statut des personnels des universités et de la recherche est au cœur de la loi. Nous devons accorder la plus grande attention au fait que les Titres II à V traitent tous de cette question. La LPPR vise en priorité une modification profonde des métiers, des missions, des catégories et des statuts des personnels. Le point le plus sensible est dans le Titre V : les modalités de recrutement des enseignants-chercheurs seraient modifiées par ordonnance. Sont en jeu le caractère national des concours, le contournement du CNU et la part des recrutements locaux. Une telle disposition, qui revient à statuer sans aucun débat parlementaire – et plus encore sans aucune consultation des chercheurs et des universitaires eux-mêmes – s’apparenterait à un coup de force revenant sur une tradition de collégialité longue de huit siècles selon laquelle les universitaires sont recrutés par leurs pairs. L’AUREF elle-même (Alliance des universités de recherche et de formation) a cru utile de redire dans son communiqué du 31 janvier dernier « son attachement au statut national de l’enseignant-chercheur et à l’évaluation par les pairs ». Au lieu de garantir et de consolider les statuts et le cadre national des concours de recrutement, qui sont les garants fondamentaux de l’équité, de l’exigence et de la qualité de l’Université et de la recherche, le projet de loi multiplie les nouveaux statuts dérogatoires, au risque d’aggraver la précarité qui mine notre système. Ainsi l’article 4 du projet de loi instaure les chaires de professeur junior (tenure track) d’une durée de cinq ou six ans et introduit par là-même un contournement des recrutements sur des postes statutaires pérennes. L’article 5 révise le cadre juridique du contrat doctoral et l’article 6 prévoit un nouveau mode de recrutement échappant à la collégialité, aux statuts et aux droits associés : le « CDI de mission scientifique ». Par ailleurs, les articles 7 et 11 du projet de loi prévoient la dérégulation du cumul d’activités, permettant l’emploi par le secteur privé de salariés du public, hors de tout contrôle. Dérégulations et contractualisation ne peuvent avoir pour conséquence qu’une précarisation et une dépossession accrues des métiers de l’enseignement et de la recherche. Si l’on en croit la ministre, « la recherche française souffre d’une baisse de l’attractivité de ses carrières », mais la loi qu’elle conçoit ne fera qu’aggraver la situation, en sacrifiant une génération de jeunes chercheurs.
En initiant une candidature collective à la présidence du Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), nous avons ciblé avec justesse l’instance qui jouera un rôle cardinal dans la nouvelle architecture de l’ESR. Plus encore que la seule carrière des universitaires et les modifications statutaires, l’évaluation définira et structurera tout l’enseignement supérieur et la recherche. Toute contractualisation se fera avec une rétroaction de l’évaluation sur les moyens, amplifiant ainsi l’obligation de résultats quantitatifs. Les articles 8 à 10 instaurent un conditionnement fort des moyens alloués aux résultats obtenus : l’évaluation-sanction des laboratoires, des établissements et des formations (Hcéres), comme celle des chercheurs (ANR), deviendra la norme. Selon la ministre, « ce qui fait la spécificité de notre communauté, c’est d’être dans une compétition qui implique un travail d’équipe. C’est ce qu’on appelle “coopétition” — ce mot-valise qui mêle compétition et coopération — traduit bien l’émulation collective qui définit la recherche ». Non. Ce sont la collaboration fertile et la disputatio qui fondent la recherche. La compétition, quel que soit le nom par lequel on la désigne, dénature le travail des universitaires, accroît les inconduites scientifiques et met en difficulté les laboratoires, les composantes et les services. En outre, fondée presque exclusivement sur une pratique exacerbée de l’évaluation quantitative, elle favorise la reproduction, le conformisme, les situations de rente et les pouvoirs installés. La science a pour seule vocation la société qui la sollicite et pour seul objet l’inconnu qui est devant elle. Elle a besoin du temps long. Une loi de programmation qui la soumet à la seule concurrence, aux évaluations-sanctions permanentes et aux impératifs de rentabilité à court terme, la conduit à sa perte.
Dès lors, quel peut être l’avenir d’une telle loi ? A-t-elle même encore un avenir ? La défiance de la haute fonction publique et de la technostructure politique vis-à-vis des universitaires et des chercheurs a gâché l’occasion historique d’écrire enfin une loi de refondation d’une Université et d’une recherche à la hauteur des enjeux démocratique, climatique et égalitaire de notre temps.
Une telle loi impliquerait des mesures énergiques de refinancement, un grand nettoyage de la technostructure administrative accumulée depuis quinze ans et un retour aux sources de l’autonomie du monde savant et des libertés académiques. Ainsi que l’a fort bien dit le président du Sénat, M. Larcher, au sujet de la LPPR : « Il faut d’abord trouver un agenda, un contenu et des moyens, mais peut-être aussi une méthode d’approche. » De tout ceci le ministère s’est bien peu soucié, et c’est la communauté académique qui en paiera le prix fort. Nous devons tout recommencer.
Car, parmi les trois scénarios désormais envisageables, aucun n’est satisfaisant. Soit la loi ne comprendra in fine que la partie budgétaire et se concentrera sur la réaffectation d’une partie des cotisations de retraites que l’État ne versera plus. Soit elle sera retirée afin de soustraire un gouvernement très affaibli à une fronde des universitaires et des chercheurs qui, laissant leurs différences partisanes de côté, se montrent aujourd’hui prêts à réaffirmer les fondements de leurs métiers. Soit les réformes structurelles et statutaires passeront par des décrets, par des cavaliers législatifs et par des ordonnances, ou par une combinaison de ces trois voies. Ce serait le pire scénario, car il supprimerait toute occasion d’un débat public et contradictoire sur la politique de la recherche en France.
À l’occasion de la candidature collective à la présidence de l’Hcéres, nous avons co-organisé avec Politique des sciences deux séminaires exceptionnels. Vous pouvez retrouver la vidéo du premier séminaire, ici :
Séance du 30 janvier 2020 : Que faire ? Analyse, critique, stratégie et tactique.
La captation sera prochainement découpée pour isoler les huit exposés. Vous avez été nombreux à nous demander les transparents de la présentation de F. Métivier, mettant en évidence que la production d’articles scientifiques ne dépend que de l’investissement budgétaire.
Séance du 6 février 2020 : La « soumission » de projet. Bureaucratie, management et capital humain.
Le second séminaire exceptionnel aura lieu à l’EHESS, le 6 février, de 17 à 21h, en salle 13, au 105 bd Raspail, à Paris. Il sera retransmis en direct.
Johan Giry, Défaire ou refaire l’autonomie scientifique ? Retour sur un conflit d’interprétations à propos de la genèse de l’Agence nationale de la recherche.
Béatrice Hibou, Chercher par projet: bureaucratisation néolibérale et liberté académique ?
Michel Feher, Facteur de production, entreprise, portefeuille : les métamorphoses du capital humain.
Johann Chapoutot,« Celui qui attribue un chiffre à des lettres est un con », ou comment le management saisit l’Université.
Interroger les fondements et l’efficace des dispositifs de financement et de recrutement qui affectent la manière de travailler des scientifiques, tel est le propos de la seconde séance de Politique des sciences, en partenariat avec RogueESR. Si les managers de la recherche, et avec eux certains scientifiques, ne semblent plus avoir pour horizon favorable de la recherche que d’augmenter le taux de sélection de l’Agence Nationale de la Recherche (l’ANR), c’est le signe qu’il faut remettre sur le métier ce qui semble aller de soi dans cette manière de concevoir la dite excellence scientifique.
À quel moment est-il devenu évident que le projet devait être l’élément majeur de l’appréciation de la valeur des scientifiques, et la base légitime du financement de leurs recherches ? Comment peut-on accepter que notre métier soit le seul dans lequel, après de longue études et un processus de sélection étroit, on ne reçoive pas les moyens de l’exercer ?
Pour démêler ce que ces processus doivent aussi bien aux schèmes du New Public Management qu’à des théories qui se sont arrimées à autant de pratiques, on examinera à la fois une agence, l’ANR, des théories, celles du capital humain, des techniques de gestions et de contrôle, le management, et un processus, celui de la bureaucratisation néolibérale, qui tend à coloniser les subjectivités, dans la recherche et en dehors, avec parfois l’enthousiasme gourmand de ceux qui « soumissionnent ».
Il faut désormais faire pression sur le ministère pour obtenir une procédure d’évaluation transparente de ces candidatures, conforme aux exigences portées par le monde savant. Une opération symbolique de jet de rapports d’évaluation de toutes natures est organisée sur l’esplanade Vidal Naquet du campus de Paris Diderot (Paris 13ème), ce jeudi 30 janvier à 14h.
L’évènement sera à populariser par le hashtag: #BalanceTonRapport. Venez nombreux !
Jeudi 30 janvier, de 17 à 21h, en salle Lombard de l’EHESS (96 bd Raspail, à Paris), une séance exceptionnelle du séminaire Politique des Sciences est organisée. Elle sera consacrée à l’analyse stratégique de la situation. Vous trouverez les résumés des exposés ci-dessous.
Comment nous ressaisir collectivement de nos métiers ? Comment engendrer des transformations des institutions de recherche et de formation conformes aux exigences de la pensée scientifique ? Comment mettre fin à une période de reprise en main du monde savant et de précarisation ? Nous avons donc convié plusieurs collectifs et associations (AFS, ASES, Facs et labos en lutte, Groupe Jean-Pierre Vernant, RogueESR, Sauvons l’Université), ainsi que des figures du mouvement syndical, pour mettre en commun analyses, critiques et propositions stratégiques. QSF a décliné notre invitation. Il sera question de rassembler nos connaissances sur le projet de loi programmation pluriannuelle pour la recherche (LPPR), son calendrier et ses modalités d’adoption (cavaliers législatifs, ordonnances, 49.3, loi). Par ailleurs, la question se pose de déployer une réflexion collective qui se saisisse des problèmes réels du système d’enseignement supérieur et de recherche.
Johanna Siméant introduira le principe du séminaire Politique des sciences (PdS) et l’objet de cette séance particulière.
I. Analyses
Une perspective historique sur les problèmes de l’Université et de la recherche.
Bruno Andreotti, Université Paris 7
L’histoire ne fonctionne pas seulement comme un réservoir de possibles ; elle structure le présent et l’avenir. L’histoire sociale, politique et institutionnelle de l’Université permet de mettre à jour quelques problèmes globaux qui se posent à notre époque, ainsi que quelques particularismes du système français. Les institutions d’enseignement et de recherche français sont à bien des égards marquées par le modèle napoléonien, fondé sur le Lycée, sur le concours, sur des écoles professionnelles et sur la concentration parisienne. Pendant le même temps, en Allemagne, s’inventait l’Université moderne, humboldtienne, fondée sur la création, la transmission, la conservation et la critique des savoirs, ainsi que sur l’autonomie du savant vis-à-vis de tous les pouvoirs dont l’exercice de la science dépend. Jamais, au cours du XXème siècle, le système universitaire n’a pu être réformé pour en finir avec l’archaïsme hérité du XIXème siècle (1793-1896). À partir des évolutions globales pendant les ères fordiste et néolibérale, je ferai l’hypothèse selon laquelle la spécificité du système français tient à l’incapacité de la communauté savante à constituer un « Nous » susceptible d’instituer un système d’Université et de recherche conforme aux aspirations d’autonomie, d’exigence et de liberté qui fondent la démarche scientifique, et répondant en responsabilité aux grandes crises qui frappent la société contemporaine.
Compétition scientifique internationale : on n’a que ce qu’on paye.
François Métivier, Université de Paris
Nous développons un modèle théorique simple, basé sur l’agrégation de fonctions individuelles de production de connaissances. Ce modèle prédit l’existence d’une loi de puissance stable, qui met en relation la part mondiale de la production scientifique d’un pays avec sa part mondiale d’investissement dans la recherche scientifique. Nous testons cette prédiction, en utilisant des données bibliométriques et financières pour les pays de l’OCDE, sur la période 1996-2015. Notre analyse montre que production et citation ne sont, au premier ordre, que le reflet de l’investissement financier qu’un pays consent à sa recherche.
Une perspective philosophique commune entre la LPPR et Parcoursup.
Annabelle Allouch, pour l’ASES et Cédric Lomba, pour l’AFS
Malgré sa technicité apparente, la nature des mesures préconisées dans les trois rapports préparatoires (fin du CNU, mise en place de la modulation de service sans accord préalable, des tenure tracks, de CDI de projets, etc.) souligne à quel point il ne s’agit pas d’une réforme isolée, propre au fonctionnement de la recherche ou relevant du seul statut des enseignants-chercheurs. Elle s’inscrit au contraire dans la continuité de toutes les lois précédentes (LRU et ORE en tête) qui ont visé depuis maintenant plus de dix ans à réorganiser l’enseignement supérieur et la recherche et à faire, selon les mots d’Antoine Petit, PDG du CNRS, du darwinisme social et de la compétition de tous contre tous, le principe d’organisation majeur de nos professions, mais aussi comme fil conducteur des parcours de nos étudiant.e.s.
Car dans le cas du réagencement des modes de financement de la recherche comme dans la loi ORE, ce sont les inégalités qui sont érigées non pas comme un dysfonctionnement des services publics ouverts à tous et toutes, mais comme un instrument acceptable et revendiqué de régulation de l’enseignement supérieur et de la recherche.
À partir d’éléments empiriques tirés de recherches en cours sur le fonctionnement et les effets de Parcoursup (notamment mises en œuvre par l’Association des Sociologues de l’Enseignement Supérieur (ASES) et présentés lors des Etats Généraux de l’Association Française de Sociologie (AFS) en Août 2019, mais aussi sur les filières dites sélectives dans le supérieur français et à l’étranger (Grande-Bretagne/USA), on souhaiterait remettre en perspective les logiques institutionnelles de la LPPR (et ses conséquences sociales) et leur lien évident avec la loi de 2018 Orientation et Réussite des Étudiants.
Le calendrier de la LPPR.
Elie Haddad, EHESS-CRH
Il s’agira de faire le point sur ce que l’on sait du calendrier de la LPPR et sur les différents acteurs à l’oeuvre dans la préparation de cette réforme, sur leurs positions, tels qu’on peut les déterminer à travers les grandes orientations des rapports préliminaires à la LPPR remis en septembre à la ministre. Cela permettra de décrypter la stratégie de communication gouvernementale et les annonces faites par Frédérique Vidal ces derniers jours.
Échanges : 30 min.
Pause de 10 min.
II. Stratégies
Quelle stratégie et quelle tactique déployer pour éviter de reproduire les défaites passées ?
Pascal Maillard, Université de Strasbourg
Après quelques rappels théoriques sur le couple notionnel stratégie/tactique et le paradigme oppositionnel dans lequel il s’inscrit (théorie/pratique, pensée/action, temporalité longue/courte), je ferai l’hypothèse que les logiques d’échec des mouvements de lutte dans l’ESR reposent principalement sur trois facteurs :
Des tactiques sans stratégie (spontanéisme, mouvementisme…) et des stratégies sans tactique (idéalisme naïf).
Une méconnaissance des stratégies politiques et des tactiques des différents pouvoirs que les acteurs en lutte doivent affronter (présidences, technostructures, instances universitaires, CPU, ministère, médias…).
Une hétérogénéité des acteurs de l’ESR en lutte (sociologie professionnelle), de leurs intérêts, de leurs objectifs et de leurs modalités d’action.
Une brève analyse des forces et faiblesses du mouvement de 2009 soulignera le double écueil du refus de la radicalité et du syndrome syndical des fins de grève. Enfin quelques observations sur le mouvement en cours dans l’ESR (acteurs, nouveaux outils et nouvelles formes d’actions, diversité des objets de mobilisation, divergence des stratégies et des objectifs) se prolongeront par quelques questions ouvertes :
Comment conduire une guerre éclair » pour obtenir le retrait de réformes destructrices (mot d’ordre de 2009 : « L’Université s’arrête ») et œuvrer dans la durée à la reconception et à la (re)-construction de l’Université (exemple de L’Université volante) ?
Quelles stratégies et tactiques inventer pour combattre les inerties et les ravages provoqués par les années post-LRU (individualisme, dépolitisation, servitude volontaire, management autoritaire, crise de la pensée critique…) qui ont conduit à ceci que les premiers agents de la destruction de l’ESR ont été certainement les universitaires eux-mêmes ?
Constatant que l’une des spécificités du mouvement naissant est l’écart qu’il y a entre d’un côté « Fac et Labos en luttes », collectif qui fait de la lutte contre la précarité un axe central des combats à mener, et d’autre part l’expression des sociétés savantes, de directeurs de labos et de certaines organisations syndicales qui soutiennent le principe d’une Loi de programmation pluriannuelle de la Recherche, une question qui se pose est de savoir comment fédérer des acteurs des mobilisations aussi hétérogènes et qui adoptent des formes d’action très différentes.
Ce faisant, l’alternative Coordination nationale des universités / États généraux de l’ESR doit-elle déboucher sur une juxtaposition de ces formes hétérogènes ou bien être dépassée par l’invention d’un nouveau dispositif, à même de rassembler plus largement la communauté d’enseignement et de recherche ?
Le précédent des « États-Généraux » : risques et enjeux.
Jean-Louis Fournel, ENS de Lyon
Les différents moments où furent organisés des « états généraux » ou des « assises » ont en commun plusieurs choses. J’en évoquerai au moins six :
poser le fait que les décisions finales seront fondées sur une consultation, voire sur une mobilisation, de l’ensemble de la communauté universitaire et de recherche, en dépassant le cadre des traditionnelles négociations avec les syndicats comme représentants officiels des collègues et donc en remettant en cause en partie la logique des corps intermédiaires.
partir d’un constat partagé d’une nécessité de changements lourds dans l’ESR et donc d’une forme de crise ou d’insuffisance de l’existant
faire à chaque fois le lien entre trois choses : des réformes d’ordre institutionnel, des revendications concernant le budget et l’emploi scientifique et, à un degré moindre, une réflexion plus large (ou plus vague) sur la place de la science et de la communauté scientifique dans la communauté nationale.
poser comme horizon des décisions réglementaires fortes (en 2004) ou encore le vote d’une nouvelle loi (en prétendant, ou en faisant semblant de vouloir corriger une loi considérée comme dépassée – la loi Faure par exemple ne répondant plus aux logiques de massification de l’ESR – ou comme (tout ou partie) discutable – la loi LRU dont la critique était au coeur de la revendication ou de l’acceptation des assises en 2012 (mais qui est un cas d’école de retournement radical de la perspective de départ, la loi finalement voté ne faisant que renforcer les logiques de la loi précédente et configurant comme nous avons été nombreux et nombreuses à le dire une LRU 2).
s’inscrire soit dans une logique d’alternance politique, supposée ou réelle ce n’est pas mon propos ici, comme en 1981 et 2012 (donc sur une réaction et une prise de position par rapport à la politique des gouvernements précédents), soit sur un mouvement des universitaires (2004 – en l’occurrence l’initiative des DU scientifiques et de l’ultimatum posé en janvier 2004 annonçant les démissions massives à venir faut de décisions sur les budgets, la politique des emplois scientifiques et l’ouverture d’un débat global sur la recherche). On remarquera en passant que si l’autre grand mouvement de l’ESR, celui de 2009, n’a pas donné lieu immédiatement à de telles rencontres (ce n’était pas d’ailleurs pas alors une de nos revendications claires, à tort ou à raison), on peut considérer que, probablement, sans le mouvement de 2009, le lancement des assises de l’ESR en 2012 n’aurait pas été une priorité.
last but not least, laisser au gouvernement le soin de trancher en dernière instance ce qui sera fait et ne sera pas fait (ce qui en soi n’est pas problématique sur le plan institutionnel mais qui pose quand même un double problème d’adéquation des décisions aux préconisations des débats et d’absence de discussion / retour a posteriori du gouvernement auprès de la communauté pour débattre de ce degré d’adéquation).
Cette situation complexe est à l’origine de la plupart des illusions et des manoeuvres associées à ces moments singuliers de mobilisation et d’échanges. Elle explique par exemple et pêle-mêle sans hiérarchisation des questions :
une certaine confusion parfois entre positions institutionnelles (internes à l’ESR ou gouvernementales) et positions militantes – la constitution du comité d’initiatives et de propositions en 2004 en étant une illustration.
l’absence quasi totale de maîtrise par les mouvements de l’ESR du calendrier et du résultat final
la manipulation des revendications et des constats partageables conduisant à légitimer des décisions d’un autre ordre.
l’intervention, parallèlement aux travaux des rencontres citées, d’élaborations conçues dans d’autres espaces à savoir les cabinets ministériels (ce qui est attendu et même compréhensible) mais aussi et surtout la CPU qui dans les quinze dernières années a revendiqué, hélas avec succès, un statut différent, ce qui l’a conduit à inspirer et à co-porter les différentes réformes et a conduit la plupart des présidents à se présenter toujours moins comme des élus et donc des représentants d’une communauté universitaire et toujours plus comme des rouages d’un système de direction de l’ESR (ce que dans notre jargon nous nommons « managérial »).
le détournement de certaines propositions pour justifier des réformes systémiques dont les effets à long terme sont lourds pour l’ESR ; dans cette affaire, les deux exemples bien connus sont ceux de la création en 2006 des agences nationales dont la place et le rôle ne cessent de croître dans l’ESR (ce dont les textes préparatoires à la LPPR se font largement l’écho) : en effet, l’utilisation du discours sur l’intérêt d’une évaluation régulière de la recherche a étayé la création de l’AERES en 2006 et celui sur la nécessité d’une souplesse plus grande des financements pour la recherche a été utilisée pour la création de l’ANR, et donc pour légitimer le déséquilibre croissant entre crédits récurrents et crédits dépendant d’appels à projets ; mais on ne doit pas oublier l’acceptation voire la préconisation des pôles de recherche qui va déboucher sur les PRES, antichambre des COMUE et des fusions et de la logique des « masses critiques » et des classements internationaux. Ces détournements peuvent aussi prendre la forme d’une modification cosmétique et purement nominale pour faire semblant d’écouter les revendications les plus fortes (on pourrait citer le passage de l’AERES ou HCERES après les assises de 2012).
Une candidature collective à la présidence de l’HCERES, pour rompre la clôture du sens.
Laurence Giavarini, Université de Dijon
Par son ampleur (5417 participants dont 1 370 candidatures effectives) et son écho, la candidature collective à la présidence du HCERES a donné une visibilité et un sens remarquable à ce qui pouvait passer d’abord pour une « grosse blague » : réaffirmer les valeurs fondatrices du monde savant pour recréer un « Nous » et retourner humoristiquement ses propres armes contre la bureaucratie. Il s’agira d’expliciter la visée stratégique de cette action, en pointant les surprises et les bénéfices inattendus ou inespérés.
Comment poursuivre ce travail transpartisan de création et d’auto-institution d’un système d’enseignement et de recherche conforme non seulement aux aspirations de ceux qui exercent les métiers d’universitaires, de chercheurs comme des personnels techniques (Biatss, ITA, etc) mais capable de (re)politiser la profession et d’inventer les normes d’une recherche capable de répondre aux défis du présent et de l’avenir.
La coordination des 1 et 2 février.
Gilles Martinet, Mina Kleiche et Hugo Harari-Kermadec
Il s’agira de relater les expériences de Facs et labos en lutte, puis d’expliquer le principe et la visée stratégique de la Coordination Nationale qui se tiendra à la bourse du travail de Saint-Denis, les 1 et 2 février.
Au vu des menaces nouvelles qui pèsent sur le monde académique, nous avons pris la décision de réactiver RogueESR.
Le projet de loi de programmation pluriannuelle pour la recherche (LPPR), en cours d’élaboration, devrait être rendu public à la mi-février, pour une adoption avant l’été, possiblement par cavaliers législatifs. Les rapports préliminaires[1] et les prises de positions[2] publiques confirment qu’il s’agira d’une loi qualifiée par le président du CNRS d’« inégalitaire » et de « darwinienne », mettant en œuvre une dérégulation des statuts des universitaires et des chercheurs.
La « concertation » préparatoire au projet de loi n’a apporté aucune réponse aux questions pressantes qui se posent à tous les universitaires et chercheurs actifs. Nous éprouvons aujourd’hui l’urgence d’ouvrir un débat public sur l’organisation de la recherche à partir de nos pratiques, de sorte à renouer avec des institutions qui soient au service d’une recherche libre et exigeante.
Pour initier ce processus de réappropriation et de réflexion sur nos métiers, nous présentons une candidature collective au poste de président de l’Hcéres.[3] Le conseiller Éducation, enseignement supérieur, recherche et innovation du président de la République, M. Coulhon,[4] s’est lui aussi porté candidat.
Notre lettre de motivation commune paraîtra dans en milieu de semaine prochaine dans Le Monde. Nous espérons que cette candidature collective, qui sera déposée autour du 20 janvier, réunira femmes et hommes, issus de toutes les disciplines, de tous les corps, précaires ou non, et appartenant à tous les établissements français. Nous sommes déjà 2 150 candidats déclarés et vous invitons à nous rejoindre.
Il ne s’agit pas d’une simple pétition, mais d’un engagement à ouvrir et porter le débat public auquel nous aspirons dans notre entourage professionnel, pour préparer de possibles états généraux au début du mois de février. Les modalités précises de la candidature collective suivront prochainement.
Les premiers participants à la candidature collective, dont la liste figure ici, en accord avec les membres de RogueESR.
[4] Thierry Coulhon a été l’un des instigateurs de la loi LRU en 2008, avant d’être en charge du programme de l’enseignement supérieur de la campagne électorale d’Emmanuel Macron.
50 postes rétablis au CNRS dès cette année, soit 5 millions d’euros par an : cette demande de RogueESR était si minime rapportée au budget d’une nation aussi riche que la France, si ridicule rapportée au 5,5 milliards annuels du Crédit Impôt « Recherche » (CIR), mais c’était déjà trop. Voilà ce qui ressort de nos multiples entretiens au sommet de l’Etat. Et ce n’est pas une « Loi de programmation pluriannuelle » — dont les contours sont encore tellement flous — qui changera l’affaire, bien au contraire.[1] Notre démarche aura au moins eu le mérite de montrer que la volonté politique d’en finir avec l’emploi scientifique pérenne est indiscutable : 300 postes au CNRS pour 2019, c’est niet, et aucun discours sur une prétendue volonté de « remettre la recherche au cœur de nos priorités »[2] ne pourra compenser cet état de faits. Et comme une confirmation sortait aujourd’hui même la liste des postes de maître de conférences ouverts au concours, avec un nombre misérable de postes.
Rappelons-le : 12045 membres de la communauté ESR ont signé la pétition que nous avions lancée le 2 décembre 2018. 12045 collègues partageant un objectif simple : dans l’urgence d’une crise de l’emploi scientifique, enjoindre le pouvoir à concéder ces postes, afin de se donner une petite bouffée d’oxygène. Ce souhait de rétablir les postes a donc été immédiatement déçu. « Ça pourrait être pire », a commenté Antoine Petit, PDG du CNRS, lors de notre entretien au siège de l’organisme. Le même nous a également indiqué « ne pas être sûr » que le combat que mène une partie de notre communauté contre le crédit impôt recherche (CIR) « soit le bon », et ne pas croire à une mobilisation d’ampleur de la communauté pour détricoter le dispositif. Pourtant, nos interlocuteurs s’accordent à reconnaître à mots pas si couverts que ça que le CIR n’est pas vraiment du budget recherche. Cette niche fiscale — car ce n’est pas autre chose — compte néanmoins dans le chiffrage (OCDE, UE) de la part du PIB français allouée à la recherche… Dernière étape de notre pèlerinage, notre visite au Ministère nous a également apporté son lot de surprises : Frédérique Vidal nous a annoncé sans ironie que « plus on se sentir[ait] misérables, moins cela marcher[ait] ». Oui, sachez-le chères et chers collègues, cette situation catastrophique, vous en êtes responsables « toutes et tous », comme nous l’a également martelé A. Petit. À croire que ces responsables n’ont aucune responsabilité…
Pour ces gens qui nous « pilotent », l’intérêt de déshabiller Pierre, est de pouvoir ensuite déshabiller Paul pour prétendre rhabiller le précédent, et ainsi de suite. Cela peut durer longtemps, puisque cela permet tout à la fois de fatiguer tout le monde, de consoler de la baisse du nombre de chercheurs en concédant un chouïa d’ITA en plus après dix ans de perte massive de postes, évidemment après avoir rajouté 300 financements doctoraux pour accroître l’armée de réserve, d’abonder un peu plus le budget de l’ANR quand la recherche se meurt de l’absence de crédits récurrents, de ponctionner les étudiants étrangers pour prétendre mieux les accueillir et préparer la suite, à savoir la généralisation de la dette étudiante. Et si des facs se mobilisent, cela finira de fragiliser les plus remuantes – bien fait. C’était écrit dans les Macron leaks, il fallait juste savoir où aller lire le programme. Même le PDG du CNRS ne sait plus convaincre un Premier ministre de l’importance de la recherche publique fondamentale, nous demandant ce que pourrait être un argument efficace… On serait au bord de mobiliser des vieilles citations de Lincoln, de celles qui servent à défendre l’alphabétisation, si on n’était déjà convaincus que finalement ces dirigeants préfèrent l’ignorance.
Nous avons échoué. Cela appelle une réflexion lucide. Les mobilisations en ligne montrent leur limite. Pour une pétition qui fait la différence, combien de milliers échouent dans l’indifférence et l’abattement ? Ne parlons même pas des tribunes. On s’use à force de signer ces lettres mortes.
Alors que reste-t-il à faire pour se préserver et s’auto-défendre ? D’abord, il nous faut tourner le dos à ces gens qui pensent que dialoguer, c’est les écouter soliloquer sur ce qu’ils imaginent être les mondes académiques et de la recherche. Habiter nos métiers, ceux qui permettent de dire le vrai sur le monde, et préserver l’intégrité de nos pratiques. Cultiver une éthique de la frugalité, l’éthique, aussi, d’une internationalisation alternative à celle qu’on nous propose, celle qui passe par autre chose que la mondialisation des guerres de palais académiques entre Pékin et Washington, par classements interposés. Préparer la suite sans doute aussi : continuer à tisser des liens, savoir comment mobiliser des ressources et pouvoir mettre en place des actions en cas d’urgence.
Pour le moment pourtant, nous interrompons les activités de RogueESR, parce qu’être les interlocuteurs de démolisseurs ne nous intéresse pas — et que d’autres seront capables de dire cette colère qui n’a pas vocation à s’émousser dans la tournée des ministères et des bureaucrates. Parce que, aussi, pour défendre un métier, il faut continuer à l’exercer en le faisant correspondre à ce qu’il doit rester : la recherche désintéressée, au sein d’une communauté dont il faut continuer à prendre soin. Nous saurons revenir, plus forts, si le moment se présente.
Bon courage aux jeunes chercheurs et aux thésards. Bon courage à nous tous.
[1] Poke les syndicats et la CPU : Frédérique Vidal préférant parler aux « vrais gens » (sic), ceux que l’on grand-débatise sans doute, vous ne siégerez pas dans les « groupes de travail » nommés par le ministère. Ce que vient de confirmer une dépêche de l’AEF, dans laquelle sont citées toutes les personnalités cooptées pour assurer l’anéantissement de notre milieu une bonne fois pour toutes.
C’est peu dire que les espoirs de la communauté académique ont été douchés. À l’occasion de la première convention des directeurs et directrices de laboratoires du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) le premier ministre, M. Philippe, n’a pas annoncé de changement de politique, ni sur l’emploi scientifique, ni sur le Crédit d’Impôt Recherche, mais une loi de programmation pour la recherche pour… fin 2020. L’affirmation selon laquelle il y aurait eu augmentation de « 8% du budget de la recherche » en deux ans n’a pas manqué de nous surprendre, car elle ne correspond à aucune donnée tangible (voir l’annexe budgétaire rappelant les faits, ci-dessous). Le premier ministre a également annoncé la constitution de « groupes de travail », dont on sait qu’ils constituent l’ordinaire managérial pour faire co-produire les régressions par ceux qui les subissent, autour de trois axes :
Le « financement des projets scientifiques les plus ambitieux et les plus novateurs », c’est-à-dire l’accentuation de la politique de guichet, au détriment des crédits récurrents.
L’« attraction vers les carrières scientifiques des jeunes talents en offrant des parcours scientifiques compétitifs à l’échelle internationale », c’est-à-dire l’accentuation de la précarisation, de la dérégulation des statuts et de la baisse programmée de l’emploi scientifique pérenne.
Le « développement de la recherche partenariale entre public et privé, convertissant les résultats de recherche en innovation », c’est-à-dire l’accentuation d’un financement du privé par le public, comme c’est déjà le cas avec le CIR, et une incitation toujours plus pressante des personnels du CNRS à la création d’entreprise.
Le signal envoyé est clair, que résume bien cette phrase du premier ministre : « Choisir, c’est renoncer ». Il faut maintenant répondre à ce renoncement délibéré par une gradation des moyens d’action collective.
Budget : les faits
Le budget de l’Etat est organisé en missions et en programmes, dont les financements sont détaillés dans les annexes budgétaires (les « jaunes » et les « bleus »), qui font preuve. Le budget ministériel n’est pas un découpage pertinent. Nous donnons ci-dessous la réalité de l’évolution sur deux ans des budgets, les lignes pertinentes (les deux premières) étant la subvention pour charge de service public pour les recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires (première ligne) et les formations supérieures, la recherche universitaire et la vie universitaire (deuxième ligne). Le calcul d’inflation est basé sur les estimations de la Banque de France. Le Glissement Vieillesse Technicité (GVT), c’est-à-dire l’évolution mécanique des salaires induite par la démographie, n’a pas été soustrait, qui correspond à 0,7% du budget au CNRS (25 M€) et 1% de la subvention totale pour charge de service public. Par comparaison, le coût du Crédit d’Impôts Recherche, qui n’est pas connu avec précision, est autour de 6 milliards € / an, et le coût des 50 postes demandés par RogueESR, autour de 5 millions € /an…
Budget de l’enseignement supérieur et de la recherche en milliards d’euros
La première convention des directeurs et directrices de laboratoires du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) sera inaugurée ce 1er février à Paris par le premier ministre, M. Philippe, qui devrait y faire une série d’annonces sur la politique de recherche. À cette occasion, le collectif RogueESR rend publics les résultats d’une enquête menée auprès de la communauté académique, qui évalue la politique conduite jusqu’ici, en matière d’emploi scientifique.
Le questionnaire a reçu plus de 5 000 réponses en quelques jours. C’est deux fois plus que la consultation organisée par le Parlement sur ce sujet.
97% des répondant·e·s considèrent inacceptable, voire inadmissible, le refus du gouvernement de financer des postes de chercheuses et chercheurs alors que l’argent public finance le Crédit d’Impôt Recherche à hauteur de 6 milliards d’euros.
9 répondant·e·s sur 10 considèrent que la politique du gouvernement en matière d’emploi scientifique est plutôt mauvaise et que la diminution du nombre de postes mis au concours au CNRS est néfaste pour la recherche.
9 répondant·e·s sur 10 ont pu directement observer des situations de précarité dans l’exercice de leur métier.
Les réponses témoignent du désespoir de la communauté scientifique et de ses attentes : notamment le maintien des postes permanent ouverts au concours tel qu’exprimé par cette pétition. Dans le cas contraire, plus de 2 000 personnes se disent prêtes à une occupation du CNRS, et plus de 3 000 personnes sont prêtes à produire des expertises indépendantes sur l’utilisation du Crédit d’Impôt Recherche.