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Projet de loi de finances, chauffage, « revalorisation » et réforme des retraites

Projet de loi de finances, chauffage, « revalorisation » et réforme des retraites

Projet de loi de finances, chauffage, «revalorisation» et réforme des retraites

Pourquoi les « chaires de professeur junior » (CPJ), ces « opportunités » sous statut de droit privé attirent-elles rigoureusement les mêmes candidats que les postes sous statut de fonctionnaire, MCF et CR ? Pourquoi les « professeurs junior » déchantent-ils à leur première feuille de paye ? Pourquoi les universités les moins paupérisées et labellisées « d’excellence » n’ont-elles pas les moyens de chauffer les locaux en hiver, et encore moins de planifier des travaux d’isolation et de ventilation, pourtant crucialement nécessaires ? Pourquoi n’y a–t-il aucun budget prévu, ni dans la Loi de programmation de la recherche (LPR, dite loi Vidal), ni dans le projet de loi de finances (PLF), pour la « revalorisation des carrières » ? Qu’y a-t-il dans la réforme des retraites, qui soit si important pour l’exécutif qu’il veuille passer en force malgré l’opposition des quatre cinquièmes de la population ? Où a disparu le budget « historique » pour la recherche supposément programmé par la loi Vidal et accrédité par des tribunes dans la presse d’éminents collègues retraités, de l’Académie ou du Collège de France ?[1-3]

Si disparates qu’elles semblent de prime abord, répondre à ces questions nécessite une analyse conjointe, technique par nature.

1) Que contiendra le projet de loi sur les retraites ?

L’examen du projet de loi sur les retraites a été interrompu par la pandémie de SARS-CoV-2. On ne peut donc pas faire aujourd’hui comme si l’on ignorait le contenu de cette loi, qui comporte deux mesures centrales : l’une au centre de toutes les attentions (le report de l’âge légal de la retraite), et l’autre (l’alignement des cotisations du public sur le privé), excessivement importante mais occultée dans le débat public. À ce jour, les documents budgétaires sont suffisamment sincères pour décrire sans fard la cohérence politique du projet. Ainsi, le préambule du projet de loi de finances 2023 (PLF) indique que « la maîtrise de l’évolution des dépenses, permise notamment par la réforme des retraites […] permettra, sans remettre en cause l’objectif de normalisation des comptes publics, de poursuivre la stratégie de baisses des prélèvements obligatoires engagée sous le mandat précédent […]​​, notamment avec la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) sur deux ans, portée par le projet de loi de finances pour 2023.[4]

D’un côté, les aides publiques aux entreprises ont déjà explosé depuis le tournant des années 2000 et représentaient 8,4% du PIB et 41% du budget de l’État en 2019.[5] De l’autre, le régime de retraites est quasiment à l’équilibre pour plusieurs décennies et les limites du régime actuel peuvent être facilement surmontées.[6]

Statistiquement, le décalage de l’âge légal de la retraite provoquerait un allongement de la durée d’emploi des cadres, des chercheurs et des universitaires et une précarisation accrue des femmes, des employés et des ouvriers — a fortiori des ouvrières. De fait, les critères fixés pour avoir une retraite à taux plein correspondent à une carrière idéalisée qui pénalise les femmes avec enfants et quelques interruptions de carrière mais aussi celles et ceux qui subissent un sas de précarité entre le dernier emploi et le début de la retraite : inactivité, chômage, invalidité.[7] La seconde mesure au cœur de la contre-réforme des retraites prévoit que l’État aligne progressivement, sur 15 ans, son taux de cotisation patronale de 74,3% aujourd’hui sur celui du privé dans le nouveau système : 16,9%. Il s’agissait de l’article 18 du projet de loi. Ces cotisations patronales constituent une part très importante du salaire. On parle de « salaire socialisé », pour le distinguer du salaire net que l’on reçoit sur son compte en banque. Cette mesure consiste donc à diviser le salaire socialisé par plus de deux, soit une baisse de salaire total de plus d’un tiers.

Que ferait l’État de ce prélèvement massif (mais graduel, sur 15 ans) sur le salaire socialisé ? Il en reverserait une partie aux budgets des universités et des grands organismes de recherche pour financer des « revalorisations » salariales. Le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche, nous le verrons, ne contient pour l’heure aucune compensation pour ces « revalorisations ». Et pour cause : il n’y a jamais eu de « revalorisation » mais une restitution partielle et inégalitaire d’une partie de ce qu’il était prévu de prélever dans le salaire socialisé des universitaires et des chercheurs. La suspension pour deux ans de la contre-réforme des retraites a désynchronisé la « revalorisation » salariale et son financement par ponction dans le salaire socialisé. Il s’ensuit une crise budgétaire des établissements universitaires « autonomes », qui se couple à la crise énergétique, provoquant budgets insincères et déficit de fonds de roulement.

La mesure d’alignement du régime de la fonction publique sur le régime privé contribuerait à créer une crise de financement des retraites, pourtant aujourd’hui à l’équilibre[8-9] — avec, évidemment, différents problèmes à régler. Si globalement, les recettes vont décroître de 68 milliards d’euros sur un total de 330 milliards d’euros par an, la chute sera de 36 milliards d’euros sur un total de 55 milliards d’euros pour la fonction publique d’État. Cette chute se fera au rythme de 2 milliards d’euros par an d’économie jusqu’en 2038, engendrant un défaut de recette cumulé de 240 milliards d’euros sur 15 ans pour la fonction publique d’État. En 2039, l’État sera le principal contributeur à la baisse générale des recettes de cotisation pour un montant de 42 milliards d’euros hors inflation. Dans ces conditions, il semble difficile de ne pas penser que, loin de « sauver les retraites », l’objectif est au contraire d’utiliser ce déficit artificiel pour abaisser le montant des pensions. L’élévation de l’âge de départ à la retraite à taux complet est une des manières d’obtenir ce résultat. Le décrochage de la valeur du point d’indice par rapport à l’inflation en est une autre (15% de baisse depuis 10 ans).[10-12]

Cette mesure de baisse du salaire total (net et socialisé) des fonctionnaires est surtout de nature idéologique. Le taux de cotisation patronal était un frein aux passages entre fonction publique d’État et contrats de droit privé, l’employeur devant par le passé compenser le différentiel lors du passage de la fonction publique d’État vers la fonction publique territoriale ou la fonction publique hospitalière. L’objectif est donc également de généraliser l’indifférenciation entre les sphères publique et privée et le recours à la contractualisation en lieu et place du statut de fonctionnaire.

Ainsi, les CPJ sont sous contrat de droit public[13] jusqu’à la titularisation ; les cotisations patronales sont donc soumises au régime général. Du fait de l’indemnité différentielle « deux SMIC » qui permet à tout universitaire et tout chercheur d’atteindre une rémunération égale à deux fois le SMIC,[14] les salaires nets sont, eux, semblables entre ces chaires de professeur junior et les statuts de fonctionnaire. Le « choc d’attractivité » associé à la dérégulation des statuts est une fiction et dans ce jeu de bonneteau, l’État ne paye plus une fraction importante des cotisations pour la retraite.

Le nouveau régime indemnitaire pour les personnels enseignants et chercheurs (RIPEC) a donné lieu à une nouvelle dérégulation puisqu’il est placé sous la responsabilité des présidences. Le choix de « revalorisations » indemnitaires (primes) plutôt que de « revalorisations » salariales (augmentation du point d’indice) permet là encore à l’État de ne pas payer de salaire socialisé. Le montant des enveloppes budgétaires, en million d’euros (m€), pour chaque filière en 2021 était le suivant :

  • EC : 45 m€ pour 48 793 bénéficiaires soit 77 € en moyenne/mois,
  • Chercheurs : 17,5 m€ pour 17 188 bénéficiaires soit 85 € en moyenne/mois,
  • ESAS : 3,6 m€ pour 12 755 bénéficiaires soit 24 € en moyenne/mois,
  • BIB : 0,3 m€ pour 4 237 bénéficiaires soit 6 € 25 en moyenne/mois,
  • ITRF : 1,8 m€ pour 39 129 bénéficiaires soit 3 € 80 en moyenne/mois,
  • ITA : 7,5 m€ pour 24 391 bénéficiaires soit 26 € en moyenne/mois,
  • Contractuels : 7,2 m€ (nombre de bénéficiaires non précisé; probablement 19 000).

Les personnels de statut second degré (PRAG, PRCE) et les 128 000 vacataires sont tout simplement ignorés.

Dans le même temps, la somme des dix plus hautes rémunérations[15] a bondi de +200 k€ au CNRS, atteignant 1,7 m€, de +100 k€ à l’INRIA (1,5 m€), de +150 k€ à l’École Polytechnique (1,5 m€), tous trois demeurant loins derrière le CEA (1,9 m€). Les universités ne sont pas en reste, avec des augmentations de +50 k€ à Sorbonne Université, AMU, Lille, Paris 1 ou encore à l’Université de Lorraine. France compétences, elle, baisse de 3 k€ (1,2 m€), peut-être en réaction à son déficit de 3,75 milliards d’euros (soit 3 750 m€).[16]

Budget total de l’Université et de la recherche (programmes 150, 172 et 193) décomposé en trois parties : la charge de service public pour l’Université, la charge de service public pour la recherche et la part de budget transférée au privé ou à des institutions publiques. (A) Représentation sans compensation de l’inflation. (B) Représentation en euros de 2023, avec compensation de l’inflation (projections de la Banque de France). Les projections jusqu’en 2030 correspondent à la LPR, selon deux scenarii. En marron : la contre-réforme des retraites est adoptée et la ponction dans le salaire socialisé est prélevée du budget de l’ESR ; en rose, le budget demeure celui programmé. (C) Budget de l’Université (programme 150) rapporté au nombre d’étudiants à l’Université.

2) Quel est le budget pour l’Université et la recherche prévu dans le projet de loi de finances 2023 ?

Notre analyse du budget 2023 repose sur trois graphiques. Le premier graphique (A) montre l’évolution du budget de l’Université publique (triangles), du budget de l’Université et de la recherche publiques (carrés) et du budget total pour l’Université et la recherche, qui comprend une part transférée au secteur privé (ronds).[17] Entre l’axe horizontal et les triangles, on lit donc le budget de l’Université publique, entre les triangles et les carrés, celui de la recherche publique, et entre les carrés et les ronds, la part de budget qui donne lieu à des « transferts » et ne sert donc pas au service public d’enseignement et de recherche. La tendance moyenne sur les dernières années est une croissance autour de 1,6% pour les charges de service public de l’Université et de la recherche mais de 2% pour le budget total : les transferts au secteur privé sont les seuls à croître plus vite que l’inflation. L’année 2023 est particulière puisque une augmentation de 3,5% du point d’indice a pris effet au 1er juillet 2022, qui sera financée : c’est très exactement le surcroît de budget par rapport à la courbe de tendance (trait plein). Cette augmentation doit être mise au regard des 5,8% d’inflation en 2022.

Le second graphique (B) montre l’évolution du budget corrigé de l’inflation, en euros constants de 2023. La stagnation des budgets de l’Université et de la recherche publiques est flagrante : c’est sur ce principe que le budget est manifestement calculé par Bercy. Toutefois, on observe une baisse de budget depuis la loi Vidal, liée à l’inflation exceptionnelle, non prise en compte dans la programmation pluriannuelle malgré la demande du Sénat. Cela signifie que l’« augmentation historique » du budget de la recherche scientifique, en compensation d’un surcroît de précarité pour les jeunes chercheurs et d’une dérégulation des statuts, est une fiction. L’accroissement léger du budget de l’Agence National de la Recherche (A.N.R.), donc des statuts précaires, se fait donc au détriment des postes statutaires. Cela signifie aussi que la « revalorisation » des métiers négociée par les bureaucraties syndicales en échange de leur soutien à la loi Vidal n’est pas financée. Et pour cause, puisque cette « revalorisation » a été pensée dès le début comme une restitution partielle de la part de salaire socialisé récupéré par l’État à l’occasion de la loi sur les retraites. Ces « revalorisations » doivent être payées par les établissements, dès cette année, sans compensation par l’État — une insincérité budgétaire inédite. Si la loi sur les retraites venait à être adoptée, alors de deux choses l’une : soit les sommes économisées resteraient dans le budget des établissements, leur permettant de financer les « revalorisations » (points roses) ; soit ces sommes serviraient à « poursuivre la stratégie de baisses des prélèvements obligatoires » (points marrons).

Le troisième graphique (C) rapporte la charge de service public de l’Université, avec compensation de l’inflation, au nombre d’étudiants inscrits à l’Université. Il convient de noter que ce budget moyen par étudiant gomme de fait les inégalités entre territoires, composantes et filières. Le budget par étudiant entre les établissements franciliens les plus pauvres et les plus riches varie ainsi du simple au double. La croissance du nombre d’étudiants à l’Université de 1,35 millions en 2007 à 1,75 millions en 2027 se fait ainsi sans moyens, alors même que les locaux universitaires construits pendant la première phase de démocratisation des études supérieures sont frappés de vétusté.

3) La grève du 18 octobre 2022

Un appel à une grève interprofessionnelle à été lancé pour ce mardi 18 octobre, qui revendique des augmentations de salaires au moins égales à l’inflation, dans un contexte de polycrise et de dividendes records pour les actionnaires.[18] Les efforts demandés au plus grand nombre sont rendus insupportables par la croissance des inégalités, qui se nourrit de l’accumulation des « crises ». Non seulement le projet de loi de finances 2023 prévoit d’accroître encore les transferts d’argent public vers la sphère actionnariale (4,1 Md€ de suppression de la CVAE) et vers les plus riches (2,8 Md€ de réforme de la taxe d’habitation), mais il égale les plus hauts niveaux d’austérité depuis 20 ans : nouveau gel du point d’indice et des dotations aux collectivités, baisse des dépenses de santé, dans le temps même où les vagues épidémiques de l’automne (sous variants BQ.1.1 et XBB de SARS-CoV-2) gonflent, fermeture de places d’hébergement d’urgence, baisse des aides à la rénovation thermique, baisse de l’aide à l’emploi, baisse du nombre d’allocataires de bourses scolaires, etc. Plus généralement, l’ensemble des services publics s’apprête à subir un coup de rabot, et en particulier tous ceux qui atténuent les effets de la polycrise : hôpital public, gestion des forêts et lutte contre les incendies, École publique, de la maternelle à l’Université. Outre leur effet déflagrateur direct, ces mesures déroulent le tapis rouge à l’extrême-droite.

Pour autant, le doute sur l’efficacité de manifestations et de grèves perlées est légitime. Malgré une décennie de gagnée sur les contre-réformes que nous subissons aujourd’hui, le traumatisme de 2009 a durablement marqué l’Université. Rappelons que la grève n’est pas une fin mais un moyen — le moyen, par exemple, d’informer les étudiants sur la situation budgétaire, sur la contre-réformes des retraites, sur la crise climatique et environnementale. La grève est le moyen de prendre le temps de créer politiquement, de créer stratégiquement, de créer collectivement, ce que les universitaires et les chercheurs ont fini par oublier. Rappelons qu’il ne faut jamais se déclarer en grève, puisque cela porte atteinte au droit de grève. La grève ne consiste pas en un sacrifice — c’est du reste la raison d’être des caisses de grève auxquelles abonder.

Depuis 15 ans, les gouvernements successifs revendiquent leur surdité aux revendications qu’on lui adresse. « Et ça passe », par la méthode d’anesthésie sociale détaillée avec cynisme par M. Philippe, évoquant son mandat de premier Ministre :

Ou du moins, ça passait jusqu’ici. L’exécutif ne dispose plus de majorité parlementaire, hors les alliances de circonstances avec l’extrême-droite, et ne dispose plus que d’une minuscule base électorale. Les atteintes aux libertés publiques, à la séparation des pouvoirs et à l’état de droit deviennent permanentes indiquant une intense fébrilité. Face à la polycrise climatique, énergétique, démocratique, sanitaire et démocratique, l’institution rapide d’une nouvelle société est devenue inévitable. Ce qui se joue dans le mouvement naissant, c’est la nature de cette société à venir, dans un temps où l’illibéralisme autoritaire gagne partout, ralliant les droites conservatrice et managériale. Faire advenir une société décarbonée, juste, démocratique et joyeuse suppose de sortir de l’aphasie et d’être à même de réinventer le mouvement social. Nous sommes dos au mur. L’urgence est désormais vitale.

Références

[1] « La communauté scientifique attend un engagement financier fort et durable pour la recherche. » Tribune dans Le Monde, 20 février 2020.

[2] « La Loi de programmation pluriannuelle permettra à la France de rester un phare de la recherche européenne. » Tribune dans Le Monde, 21 septembre 2020.

[3] Contribution de l’Académie des sciences à la préparation de la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche.

[4] Projet de loi de finances pour 2023.

[5] Aïmane Abdelsalam, Florian Botte, Laurent Cordonnier, Thomas Dallery, Vincent Duwicquet, Jordan Melmiès, Simon Nadel, Franck Van De Velde, Loïck Tange. Un capitalisme sous perfusion. Mesure, théories et effets macroéconomiques des aides publiques aux entreprises françaises. Ires, octobre 2022.

[6] Michaël Zemmour. Retraite : La question de l’âge légal surdétermine toutes les autres. Blog Alternatives économiques, 18 mai 2022.

[7] Michaël Zemmour. La retraite à 65 ans ou le risque d’un désastre social. Blog Alternatives économiques, 16 juin 2022.

[8] Guillaume Duval. Notre système de retraites ne connaît pas la crise. Alternatives économiques, 2 décembre 2019.

[9] Guillaume Duval. La réforme risque de déséquilibrer fortement le financement des retraites. Alternatives économiques, 6 janvier 2020.

[10] Intervention pédagogique de Michaël Zemmour sur la règle d’or.

[11] Michel Husson. Garantir la valeur du point ne garantit rien. Alternatives économiques, 17 décembre 2019.

[12] Justin Bernard, Michaël Zemmour. La valeur du point ne pourra pas baisser… Mais le niveau de votre pension, si. Blog Alternatives économiques, 30 novembre 2019.

[13] Article L952-6-2 du code de l’éducation.

[14] Décret n°2021-1617 du 9 décembre 2021 portant création d’une indemnité différentielle en faveur de certains personnels enseignants et chercheurs de l’enseignement supérieur et de la recherche.

[15] Annexe du projet de loi de finance pour 2023.

[16] France compétences adopte un budget prévisionnel 2022 de nouveau en fort déficit. AEF info, 26 novembre 2021.

[17] Les trajectoires budgétaires sont calculées à partir des programmes 150, 172 et 193. La part de budget pour charge de service public comporte l’ensemble de la masse salariale et des crédits de fonctionnement et d’équipement des établissements auxquels ce budget est versé. Le complément, baptisé « transferts », se compose des crédits alloués à des établissements qui ne dépensent pas eux-mêmes ces crédits, mais les reverseront à des institutions publiques ou à des entreprises. Ainsi, l’Agence nationale de la recherche reverse une large part de ses subventions à des établissements et des entreprises qui les dépensent pour la réalisation de projets de recherche. L’inflation est tirée des projections de la Banque de France.

[18] Bastien Bouchaud. La distribution de dividendes atteint un record en France et dans le monde. Les Échos, 24 août 2022.

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Répondre à l’effondrement des preuves par une salve d’avenir

Répondre à l’effondrement des preuves par une salve d’avenir

« À chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d’avenir. »

René Char

Dans la tempête démocratique, socio-économique, sanitaire et climatique que la planète traverse, tempête accentuée par l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, il est de notre responsabilité de travailler, en plus de nos recherches et de nos enseignements, à sortir notre société de l’ornière. Nous avons peu de temps. Interpellés dans de nombreux courriers sur notre absence d’engagement partisan au cours des campagnes électorales, nous voulons clarifier ceci : nous ne nous connaissons aucun ennemi parmi celles et ceux qui défendent les libertés publiques et plus généralement le legs du libéralisme politique. A contrario, nous sommes très inquiets de la banalisation de l’extrême-droite et faisons nôtre ce principe minimal d’asepsie politique : « on ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages » (Jean-Pierre Vernant).

Pour l’heure, nous vous souhaitons un été plein de joie, entre repos et production savante.

Mme Vidal, ancienne ministre de l’enseignement supérieur, envisageait de devenir salariée de la Skema business school — l’une de ces écoles de commerce qui fleurissent sur la paupérisation de l’Université publique pour proposer des formations indigentes à prix d’or. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a rendu un avis défavorable, mais non public, à ce recrutement de Mme Vidal par le secteur privé dont elle a servi loyalement les intérêts.

Certifications en langues — Le 3 avril 2020, en plein confinement, Mme Vidal faisait paraître un arrêté et un décret rendant obligatoire de passer une certification externe en langue anglaise pour se voir reconnaître les diplômes universitaires de premier cycle. Cette décision, préparée depuis plusieurs mois sur injonction directe du Premier ministre, a défrayé la chronique pour de nombreuses raisons : la restriction du choix des langues vivantes à l’anglais, l’obligation de passer une certification mais pas de l’obtenir, le recours obligatoire au secteur privé, le coût de cette certification, la tentative d’appel d’offre national en faveur d’un prestataire inconnu adepte de l’optimisation fiscale, mais aussi et peut-être surtout le conditionnement inédit de la remise d’un grade académique à la passation d’une épreuve explicitement soustraite à la juridiction de l’Université. Suite à un recours collectif déposé par plusieurs associations professionnelles et sociétés savantes, le Conseil d’État a procédé à l’annulation de l’essentiel des textes d’avril 2020, en s’appuyant sur le principe de collation des grades par l’Université seule.

Au-delà des félicitations aux associations ayant déposé le recours, il convient de saluer cette décision de principe et de reconnaître sa valeur historique pour la différence de la liberté pédagogique en tant que liberté professionnelle collective : le Conseil d’État, par cette décision, réaffirme avec force que les jurys composés des équipes pédagogiques sont seuls souverains pour remettre les diplômes dans le respect des règles décidées collégialement par les instances académiques.

Covid et investissement dans la qualité de l’air — Cela fait désormais deux ans que la transmission aéroportée de SARS-CoV-2 fait consensus scientifiquement. Depuis la « dernière vague » annoncée le 1er janvier par M. Véran (Omicron BA.1), la vague épidémique du variant BA.2 a causé entre 8 000 et 9 000 morts, dans l’indifférence. Deux nouveaux variants (BA.4 et BA.5, ce dernier étant plus transmissible) sont en train de provoquer une septième vague épidémique que la vie en extérieur pendant l’été aura du mal à atténuer avant la reprise automnale. Les faits, irréfutables, donnent raison aux analyses scientifiques que nous avons portées : nous avons besoin d’un arsenal sanitaire large et en particulier d’un investissement dans la qualité de l’air intérieur. Du fait du déni de la transmission aéroportée par le cabinet ministériel, notre pays est l’un des pays riches où l’on a le moins investi dans la réduction du risque de transmission. Les travaux d’installation de purificateur d’air et de système d’aération efficace prennent du temps et l’été doit être mis à profit pour qu’après deux ans d’inaction, l’Université puisse faire sa rentrée dans de bonnes conditions.

Évolution comparée du point d’indice des fonctionnaires, de l’indice des prix à la consommation et des loyers.

La communauté scientifique ne connaît pas de frontières : soutien aux universitaires persécutés.

En une période où la liberté académique et les droits fondamentaux n’ont jamais été autant bafoués, il est essentiel de rappeler notre soutien à toutes les chercheuses et tous les chercheurs qui subissent des restrictions à leurs libertés, sont contraints à l’exil ou qui sont emprisonnés par des régimes autoritaires.

Nous pensons en particulier à notre collègue anthropologue Fariba Adelkhah, prisonnière scientifique depuis plus de trois ans à Evin en Iran, où elle purge une peine de 5 ans de prison, infligée sans procès et sur la base d’accusations invraisemblables.

Nous pensons aussi à la sociologue Pinar Selek persécutée depuis 24 ans par le pouvoir turc et contrainte à l’exil dans notre pays. Pinar Selek a été à nouveau condamnée ce 21 juin à la prison à perpétuité par la Cour suprême de Turquie alors que les faits dont on l’accuse sont une pure invention et qu’elle a été acquittée à quatre reprises. Le harcèlement judiciaire dont elle fait l’objet trouve son origine dans ses travaux de recherche sur les kurdes et dans son engagement pour la défense des droits humains en Turquie. Il est possible de soutenir les démarches juridiques que notre collègue va engager.

Nous pensons à tous les universitaires, étudiantes et étudiants d’Ukraine qui sont contraints à l’exil ou qui subissent la guerre dans leur pays. Nous réaffirmons aussi notre solidarité avec les chercheuses et chercheurs russes qui ont le courage de s’opposer à la guerre et en subissent les conséquences au plan de leur liberté individuelle et scientifique.

Nous appelons chaque membre de la communauté scientifique à agir chaque fois qu’il nous est possible de le faire, en apportant aide et soutien aux collègues et étudiants internationaux, en particulier en facilitant leur accueil dans nos établissements. Le savoir est universel : la communauté scientifique ne connaît pas de frontières.

Un texte de Philippe Cinquin sur le manque de déontologie dans les instances de nos institutions.

Un article signé par Camille Noûs et trois autres co-autrices reçoit le 1er prix biennal de la revue Food and History (Revue de l’Institut Européen d’Histoire de l’Alimentation) pour une publication parue en 2021.

Cette distinction est l’occasion de rappeler l’engagement collectif de Camille Noûs en faveur d’une éthique de recherche. En associant sa signature à leur production scientifique, des centaines de chercheuses et de chercheurs entendent témoigner de la dimension collective de la recherche et démentir les mythes individualistes entretenus par la bureaucratie évaluatrice et par l’oligopole de l’édition scientifique. Nous vous invitons à poursuivre le mouvement selon vos possibilités. Cette signature symbolique est complémentaire des initiatives heureuses visant à confier le processus d’approbation et de publication des communications scientifiques à la seule communauté de recherche, garante d’une évaluation indépendante, rigoureuse et éthique.

Les 27, 28 et 29 août, des journées d’été des savoirs engagés et reliés à l’École normale supérieure de Lyon pour travailler sur les relations entre science et société.

Deux nouvelles parties de l’entretien avec Michèle Leduc et Didier Gourier sur la chaîne Politique des sciences.

Sur l’intégrité scientifique.

Sur l’intérêt de la société à avoir une recherche.

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Comment réformer le système de recrutement des universitaires

Comment réformer le système de recrutement des universitaires

« L’école, dans un pays démocratique, c’est d’elle que tout vient et c’est à elle que tout revient. »

Jean Zay, ministre de l’éducation nationale du Front populaire, assassiné par la Milice française le 20 juin 1944.

La phase électorale se referme. Nous avons choisi d’enjamber les spasmes de la campagne et ne regrettons pas ce choix. La crise politique que notre pays doit affronter s’est creusée. L’extrême droite sort renforcée de ces élections, après des années de normalisation institutionnelle et de banalisation de ses idées — la séquence maccarthyste orchestrée par M. Blanquer, M. Macron et Mme Vidal contre la liberté académique est exemplaire à cet égard. La tripartition de l’espace politique entre mouvement émancipateur social-écologiste, droite managériale et conservatrice et bloc d’extrême-droite national identitaire s’installe dans la durée, même s’il est frappant de voir qu’aucun de ces blocs politiques ne peut compter fermement sur l’adhésion de plus de 12 % de l’électorat.

Comme universitaires attachés à la liberté et à la rationalité, notre responsabilité propre est de dépasser la sidération et de poursuivre un travail de création politique sur l’Université et les institutions de recherche scientifique, contribuant à juguler les crises sanitaire, socio-économique, environnementale et démocratique.

Nous poursuivons donc cette tâche programmatique en revenant en détail sur un sujet déjà évoqué dans plusieurs billets : l’esquisse d’un système de recrutement des enseignants-chercheurs conforme à nos exigences pour une refondation de l’Université. La demande d’ouverture de poste pour M. Blanquer à l’université Paris-Panthéon-Assas après intervention au sommet de l’État, en dehors des dispositions prévues pour la réintégration dans son corps d’origine, illustre l’urgence d’une réforme en profondeur du mode de recrutement, de mutation et d’affectation des universitaires.

Recrutement des enseignants-chercheurs : articuler autonomie et système national d’Université et de recherche

L’annonce du démantèlement du CNRS par son président, ou du moins sa transformation en « agence de programmes » au service des établissements universitaires, traduit une volonté d’abandonner l’organisation nationale de la recherche et de l’Université au profit d’une logique de « marque ». Nous prenons ici le contrepied de cette idée : et si les recrutements pour l’Université se faisaient selon un principe reprenant ce qui fonctionne bien dans ceux du CNRS ou de l’INRAE ? Pour tenter de poser sereinement le débat, nous mettons à la discussion une organisation possible d’articulation entre le principe d’autonomie des universitaires auquel nous sommes attachés et l’idée d’une unité du système à l’échelle territoriale. Puis nous proposerons une étude d’impact de cette nouvelle organisation. Ce billet long complète nos analyses sur les moyens alloués à l’Université et à la recherche, et sur les conséquences de la précarisation et de la paupérisation du système.

Revenir aux fondements de l’Université

Pour redéfinir les procédures des recrutements universitaires, nous entendons partir de deux constats simples :

  1. La mission pédagogique de l’Université est de former la jeunesse du pays à l’argumentation rationnelle et critique dans l’ensemble des champs de la connaissance, afin de concourir à son émancipation. Parmi les moyens requis figure un maillage territorial étroit, incluant des établissements expérimentaux à taille humaine, accompagné de la construction de résidences universitaires et d’une allocation d’autonomie permettant aux étudiantes et aux étudiants de se consacrer entièrement à leurs cursus.
  2. La mission d’enseignement est liée à une activité de production et de critique des connaissances, à savoir la recherche scientifique, laquelle requiert l’indépendance statutaire et la possibilité de libres coopérations en réseaux. Cela passe par une réforme du financement de la recherche avec l’introduction d’une dotation pérenne par tête et d’une banque nationale de moyens. En outre, nous disposons des outils numériques permettant de fédérer les scientifiques au-delà d’un seul site, levant ainsi une des contraintes pesant sur tout projet de fonctionnement réticulaire.

La conséquence est double :

  1. Le recrutement dans les corps d’universitaires obéit à des nécessités pédagogiques et scientifiques irréductibles aux enjeux locaux de court terme. Il est absurde de recruter des universitaires fonctionnaires en partant des besoins pédagogiques (le « profil enseignement ») d’une seule offre quinquennale dans un seul établissement. L’exigence nécessaire au respect des besoins scientifiques nationaux ne peut être garantie que par des commissions très majoritairement — voire intégralement — composées de membres du domaine concerné, complétées par des représentants de domaines attenants.
  2. A contrario, l’affectation des universitaires sur un site donné dépend d’une politique collective des équipes pédagogiques, et dans certaines disciplines, des équipes scientifiques, qui ne sont pas forcément les mêmes.

Il y a là un double impératif à partir duquel il est possible de construire un nouveau système de recrutement et d’affectation répondant aux besoins de la société qui légitiment l’existence de l’Université. Les lignes qui suivent présentent une première proposition de système, destinée à produire un débat critique et des propositions alternatives. Ce dispositif a été pensé sans présupposer la rétrocession de la masse salariale des établissements au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, mais cette mesure serait bien évidemment dans le droit fil des aménagements que nous proposons. De même, si en théorie ce système est aveugle au nombre total de postes mis au recrutement, une augmentation massive de ceux-ci est nécessaire pour redonner à l’Université les moyens d’assurer ses missions.

Principes

Commençons par identifier les principes auxquels la solution technique doit obéir :

  • garantir le statut national des universitaires et mettre en œuvre des garanties des libertés académiques pour les personnels recrutés ;
  • mettre les recrutements à l’abri du clientélisme local ;
  • permettre les mutations et les rapprochements de conjoints ;
  • éviter ou diminuer la chronophagie des procédures de recrutement ;
  • garantir que les postes soient pourvus à la rentrée suivant la demande d’ouverture de la part de l’établissement ;
  • accroître la diversité des thèmes de recherche à l’échelle nationale et garantir la pérennité des disciplines et thématiques minoritaires ;
  • respecter un équilibre entre les intérêts d’ensemble de la communauté des enseignants-chercheurs et ceux des établissements ;
  • amortir les dérives propres à la mise en compétition des établissements.

Proposition de fonctionnement

Au vu de ces contraintes, on peut établir la procédure suivante pour un recrutement au 1er septembre, selon un calendrier synchronisé.

Composition et contour des commissions nationales

Pour des raisons à la fois logistiques et scientifiques, le périmètre des commissions nationales désignées par les pairs doit être aussi large que possible et aussi restreint que nécessaire pour garantir la possibilité d’auditions nationales. Le découpage des champs de compétence scientifique des commissions n’aura pas à correspondre au périmètre des actuelles sections du CoNRS ou du CNU. Si ces commissions ont vocation à être majoritairement élues, on peut envisager, pour une fraction de leurs membres, de recourir soit au tirage au sort, soit à la cooptation de collègues exerçant hors de France par les élus. Chaque commission nationale sera chargée, en dialogue avec sa communauté, de définir trois ou quatre spécialités découpant intelligemment le domaine, révisables en fonction des évolutions de ce dernier. Ces spécialités serviront de profil de recherche des postes ouverts.

Exemple

La section 28 (physique de la matière condensée) pourrait être constituée de trois spécialités (physique du solide, matière molle et biophysique) suffisantes pour couvrir le domaine.

Calendrier du processus

  1. Avant le 15/6 de l’année précédente : dépôt des demandes de mutation constituant la liste (B) du processus d’affectation.
  2. Du 15/6 au 15/7 de l’année précédente : demandes d’ouverture de poste.
  3. Du 1/9 au 15/10 de l’année précédente : examen des postes ouverts par les commissions nationales composées de pairs, qui formulent des demandes complémentaires dans les disciplines rares.
  4. Du 20/12 au 15/3 : les candidats déposent leurs dossiers au niveau national, sont auditionnés par les commissions nationales, et sont recrutés sur un poste encore indéterminé (A), mis sur liste complémentaire (C), ou non retenus.
  5. Du 15/1 au 25/3 : les candidats des listes (A), (B) et (C) formulent des vœux hiérarchisés pour leur affectation aux postes ouverts au concours, et à ceux susceptibles d’être libérés par une mutation.
  6. Du 30/3 au 10/5 : les commissions locales établissent un classement unique des candidats des listes (A) (néo-recrutés) et (B) (candidats à la mutation) ayant formulé un vœu pour ce poste. Dans un second temps, elles classent également les candidats de la liste (C) (complémentaire). Pour les postes potentiellement libérés par mutation, le titulaire sortant est systématiquement classé premier sur le poste qu’il souhaite quitter, afin d’éviter qu’il soit sans affectation s’il n’est appelé nulle part ailleurs.
  7. Le 15/5 (le jour J) : affectation pour les candidats des trois listes (A+B+C) sur l’ensemble des postes. Ouverture de la signature des contrats.
  8. Du 15/5 au 15/7 : gestion des changements d’affectations en cas de démissions et bilan de la procédure. Fin de la signature des contrats au 15/7.

Première phase, 15 juin – 15 octobre de l’année précédente : définition des besoins.

15 juin – 15 juillet de l’année précédente : demandes d’ouvertures de postes.

À l’intérieur des établissements, la procédure se fonde sur un principe de subsidiarité descendante, en passant par les laboratoires et les conseils des UFR ou facultés. Les composantes établissent une liste de besoins, en spécifiant les conséquences de l’obtention ou non du poste pour l’offre de formation et la recherche. La demande prend en considération les bilans sociaux des composantes et les taux de couverture dans les formations. Tout support libéré par un départ est déclaré disponible.

Le conseil académique de l’établissement étudie les demandes et les ordonne. Le conseil d’administration transmet une demande de subvention pour charge de service public au ministère, fondée sur les besoins et les conséquences des choix. Le ministère décide de la subvention pour charge de service public. Sur cette base, les établissements transmettent au ministère une liste comportant un nombre de postes à ouvrir égal au nombre de supports disponibles.

Par ailleurs, les candidates et les candidats à la mutation se déclarent avant le 15 juin au service du personnel de leur établissement. L’ensemble des personnes à affecter comprend donc les candidats recrutés et les universitaires demandant une mutation. Les affectations se font indifféremment sur les postes fraîchement ouverts et sur les postes libérés par les universitaires demandant une mutation. La procédure d’affectation est décrite ci-dessous.

Exemple

L’Université expérimentale de Prades fait remonter au ministère la liste suivante :

  1. Poste PR en Droit public (section 02) spécialité : droit constitutionnel
  2. Poste MCF en Informatique (section 27) spécialité : robotique/vision/langage naturel
  3. Poste MCF en Science politique (section 04) spécialité : théorie politique
  4. Poste MCF en Langue et littérature françaises (section 09) spécialité : littérature du XIXème
  5. Poste PR en Physique des Hautes énergies (section 29) spécialité : astro-particules
  6. Poste MCF en Mathématiques (section 25) spécialité : algèbre

Ainsi que les demandes de mutation de :

  • Jean C. MCF en Sociolinguistique (section 07) spécialité : dialectologie romane
  • Mme Elisabeth B. MCF en Sciences de gestion (section 06) spécialité : gestion de l’entreprise

1er septembre – 15 octobre de l’année précédente : définition des postes à pourvoir pour chaque commission nationale compétente.

Les commissions de recrutement nationales compétentes examinent les demandes de poste de leur périmètre et les demandes de mutations. Elles formulent au ministère des propositions de postes à ouvrir dans certaines disciplines rares (les disciplines-orchidées) à l’échelle nationale.

Le ministère, en liaison avec les présidents de commissions, arbitre les demandes après les avoir proposées aux établissements concernés. Les supports des postes ouverts sur des critères nationaux sont récupérés à l’échelle nationale lors des dialogues de gestion avec les établissements. Autour de 5 % des postes sont ainsi utilisés pour effectuer la politique scientifique nationale. La liste définitive des postes proposés au recrutement est publiée le 15 octobre.

Exemple

La commission de Mathématiques s’alarme de la disparition de la logique à l’échelle nationale et demande l’ouverture d’un poste MCF, en attirant l’attention du Ministère sur l’existence de laboratoires adaptés à leur accueil dans quelques établissements : université expérimentale de Prades, université de Montargis et université de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Deuxième phase, du 20 décembre au 15 mars : travaux des commissions nationales.

Les candidats aux postes ouverts déposent un dossier dématérialisé, selon le format demandé par la commission nationale à laquelle ils candidatent. Leur dossier peut inclure des propositions de projets susceptibles d’être menés à bien dans un ou plusieurs laboratoires précis, notamment les laboratoires de rattachement présomptif des postes déclarés à pourvoir depuis le 15 octobre (phase 1), sans que cela soit une obligation. Les commissions travaillent sur les dossiers de candidatures jusqu’à début février, pour une admissibilité proclamée autour du 5 février. Les auditions pourraient alors s’étaler sur deux à trois semaines, du 20 février au 15 mars, pour une publication des résultats le 20 mars.

La synchronisation stricte du calendrier permet d’envisager la banalisation de l’ensemble des enseignements dans toute l’Université sur la période concernée, afin que les personnes concernées par les auditions puissent se libérer de leurs obligations professionnelles. Les universitaires ne participant pas aux auditions pourront consacrer ce temps à d’autres travaux collectifs. De façon générale, la refonte des recrutements sur une base nationale va logiquement de pair avec une resynchronisation générale des calendriers universitaires, aux antipodes du chaos actuel, qui est préjudiciable aux coopérations et à la planification.

Les modalités de l’audition sont laissées à l’appréciation des communautés de pairs, et sont donc variables d’une commission nationale à l’autre.

Les auditions sont publiques. Elles se déroulent dans des locaux universitaires libérés par la banalisation des enseignements. Leur programme est consultable, et les doctorants et post-docs sont systématiquement invités à y assister pour leur formation professionnelle. En particulier, le programme des auditions de chaque commission nationale est transmis aux laboratoires et aux conseils d’UFR ou facultés concernés par les postes. De cette façon, des représentants de la commission locale d’affectation peuvent se joindre à l’auditoire, mais sans participer aux échanges ; comme des rapporteurs, ils pourront éclairer la commission locale d’affectation sur l’adéquation entre les candidatures retenues et les besoins locaux.

Les candidats retenus en liste principale non ordonnée (A) sont assurés d’avoir un poste. Cette liste principale s’accompagne d’une liste complémentaire non ordonnée de candidats (C), de même taille ou légèrement supérieure. Aucune de ces listes ne comporte de classement. La liste (B) des universitaires demandant leur mutation est ajoutée à la liste (A) pour constituer la liste (A+B).

Exemple

La section 06 (Sciences de gestion) a trois postes frais de MCF en Gestion de l’entreprise (Universités de Nice, Romorantin et Guéméné) et une demande de mutation (Université de Prades). Il y a donc quatre postes à attribuer dans cette spécialité.

Liste (A+B) :

Trois candidats sont retenus en liste principale (liste A) :

  • Mme Frédérique V.
  • M. Gabriel A.
  • Mme Sylvie R.

Candidate à la mutation (liste B) :

  • Mme Élisabeth B.

Trois candidats sont retenus en liste complémentaire (liste C) :

  • Mme Geneviève F.
  • M. Jean‑Michel B.
  • M. Bruno L.

Les autres candidats sont éliminés :

  • M. Damien A.
  • Mme Amélie M.

La commission procède à une restitution auprès de sa communauté de pairs en expliquant les qualités des recrutés, les raisonnements tenus et l’éventuelle gestion des conflits d’intérêts. Cette restitution permet non seulement d’établir un contre-pouvoir des pairs, mais aussi d’informer les laboratoires et les UFR sur les qualités des candidats retenus. Suite à cette restitution, si plus du tiers des inscrits relevant du champ d’exercice de la commission nationale expriment leur défiance par voie électronique, une nouvelle commission est désignée pour l’année suivante. Ce vote de défiance ne porte pas sur les listes de candidats (A) et (C), qui sont intangibles.

Troisième phase, 15 janvier – 15 mai : phase d’affectation par les commissions locales.

15 janvier – 25 mars : ouverture d’un portail de saisie des vœux recensant tous les postes à pourvoir au 1er septembre dans chaque établissement.

Les candidats sur liste principale (A) et sur liste complémentaire (C), ainsi que les universitaires demandant une mutation (B) formulent des vœux hiérarchisés d’affectation sur les postes à pourvoir. La liste (P) de ces postes inclut les postes fraîchement ouverts ainsi que les postes déjà pourvus mais qui seront possiblement (mais pas forcément) libérés par les candidats à la mutation. Les primo-entrants peuvent saisir leurs vœux avant de connaître l’avis de la commission nationale statuant sur leur candidature : ces vœux ne seront pris en compte qu’en cas de sélection lors de la phase de recrutement. La liste de vœux ordonnés d’un candidat peut ne pas comporter tous les postes ouverts (P). En cas de candidature dans deux spécialités ou plus, une seule liste de vœux est élaborée, pouvant comporter l’ensemble des postes de ces spécialités ou moins.

Exemple

Vœux de Mme Frédérique V.

  1. Nice 

Vœux de Mme Elisabeth B.

  1. Nice
  2. Romorantin
  3. Prades

Vœux de M. Gabriel A.

  1. Guéméné
  2. Romorantin
  3. Prades
  4. Nice

Vœux de Mme Sylvie R.

  1. Nice
  2. Guéméné
  3. Romorantin
  4. Prades

Vœux de Mme Geneviève F. (première en liste complémentaire B)

  1. Nice
  2. Guéméné
  3. Prades
  4. Romorantin

Vœux de M. Jean‑Michel B.

  1. Prades
  2. Guéméné

Vœux de M. Bruno L.

  1. Prades
  2. Guéméné

30 mars – 15 mai : travaux des commissions locales d’affectation et saisie des classements locaux.

La composition des commissions locales d’affectation est confiée au conseil de composante. Elle doit garantir une représentation de la composante où le poste est affecté, aussi bien en recherche qu’en enseignement. Ainsi, si un laboratoire de rattachement est pressenti, celui-ci est également représenté dans la commission locale d’affectation. Durant cette phase, la communication entre les candidats et les commissions locales est possible et encouragée. Les commissions locales peuvent demander un projet d’intégration pour évaluer l’adéquation des candidats avec les besoins locaux. En revanche, elles ne doivent pas chercher à évaluer les qualités académiques générales de ces candidats, cela ayant été fait au niveau national.

Chaque commission locale d’affectation classe les candidats des listes (A+B+C), la liste (C) étant impérativement classée après la liste (A+B). Les candidats à la mutation (liste B) sont systématiquement classés en premier sur le poste qu’ils sont susceptibles de quitter. Dans la plupart des cas, le dialogue entre commissions locales d’affectation et candidats à l’affectation conduira à un accord préalable se matérialisant par des premiers choix en correspondance.

L’algorithme de Gale-Shapley (détaillé en annexe, ci-dessous) est utilisé pour construire une affectation stable et optimale pour les candidats, sur la base des vœux des candidats et des classements des commissions locales. Par une configuration de l’algorithme, les candidats de la liste (B) (mutation) ont la garantie, au pire, de conserver leur affectation actuelle. Les candidats de la liste (A) ont la garantie d’être affectés à la condition d’avoir ordonné tous les postes disponibles (P). Ainsi, un candidat de la liste (A) ne peut rester sans affectation que s’il a souhaité refuser certains postes. Il n’est alors pas recruté, et un candidat de la liste (C) est affecté, si c’est possible. Il est impossible pour une commission locale de recruter un candidat de la liste (C) nationale, sur des critères locaux, s’il existe un candidat des listes (A) ou (B) au niveau national et qui souhaite prendre le poste.

15 mai : parution des premiers résultats d’affectation par croisement des vœux hiérarchisés des candidats et des classements des commissions locales.

Exemple

Les voeux des candidats sont les suivants :

Voeux Frédérique V.
(A)
Gabriel A.
(A)
Sylvie R.
(A)
Elisabeth B.
(B)
Geneviève F.
(C)
Jean‑Michel B.
(C)
Bruno L.
(C)
1 Nice Guéméné Nice Nice Nice Prades Prades
2   Romorantin Guéméné Romorantin Guéméné Guéméné Guéméné
3   Prades Romorantin Prades Prades    
4   Nice Prades   Romorantin    

Les commissions locales définissent les classements suivants :

Classement Nice Romorantin Prades Guéméné
1 (A+B) Elisabeth B. Frédérique V. Frédérique V. Sylvie R.
2 (A+B) Sylvie R. Sylvie R. Elisabeth B. Gabriel A.
3 (A+B) Gabriel A. Elisabeth B. Sylvie R. Elisabeth B.
4 (A+B) Frédérique V. Gabriel A. Gabriel A.  
5 (C) Jean‑Michel B. Bruno L. Bruno L. Geneviève F.
6 (C) Bruno L. Geneviève F. Geneviève F. Jean‑Michel B.
7 (C) Geneviève F. Jean‑Michel B. Jean‑Michel B. Bruno L.

Elisabeth B. est affectée à Nice parce que c’est son premier vœu et qu’elle y est classée première. Frédérique V., n’ayant pas eu Nice et n’ayant pas formulé d’autre vœu, n’est pas recrutée. Sylvie R. est affectée à Guéméné, son deuxième vœu après Nice. Gabriel A. est affecté à Romorantin, son deuxième vœu après Guéméné. Bruno L. est affecté à Prades parce que c’est son premier vœu et qu’il est classé devant les autres candidats en liste (C).

Quatrième phase, 15 mai – 15 juillet : phase manuelle et bilan.

À l’issue de l’affectation, deux situations peuvent contraindre à organiser une phase manuelle d’affectation. Si un candidat affecté sur un poste démissionne, par exemple en faveur d’un poste à l’étranger, le poste est proposé au candidat suivant dans la liste ordonnée de la commission locale. S’il préfère conserver le poste où il a été affecté, le poste est proposé au suivant sur la liste et ainsi de suite. S’il accepte le poste, il y est affecté. S’il libère ainsi un autre poste, on réitère le processus sur celui-ci.

Si un poste n’est pas pourvu, la commission nationale examine la possibilité d’étendre le bassin de recrutement l’année suivante, en faisant la publicité du poste ou en établissant une liste complémentaire (C) plus large.

Enfin, la commission nationale peut formuler des propositions de réorganisation inter-établissements. Ces propositions sont soumises à l’assentiment des collègues susceptibles d’être mutés par cette voie spécifique.

Exemple

La commission de langues et littératures anciennes propose la mutation du dernier PR de grec de l’université de Vire pour grossir les rangs de l’université de Guéméné, où se trouvent deux MCF en latin et en archéologie.

Analyse critique et alternatives

La procédure d’affectation ci-dessus se base sur un équilibre entre qualité intrinsèque des candidatures, évaluées au national, et adéquation du profil avec l’implantation évaluée en local, tout en simplifiant la phase d’affectation. Cet équilibre permet d’améliorer la confiance dans le concours. En revanche, il n’existe pas de garde-fou absolu contre tout féodalisme local.

D’autres procédures sont imaginables, qui mettent plus le poids sur la qualité intrinsèque, jugée au niveau national. Par exemple, on peut imaginer que les candidats recrutés en liste (A) choisissent leur affectation, par ordre de mérite. Mais le risque est de créer des déséquilibres au niveau local. Si l’on souhaitait maintenir davantage de localisme, au contraire, la commission nationale pourrait établir une liste des habilités (A+B+C) plus large que ce qui est proposé ici. Les commissions locales piocheraient dans cette liste pour leur recrutement. Mais dans ce cas, on perdrait les gains de temps. Enfin, pour donner plus de poids aux besoins locaux sans compromettre l’équilibre du dispositif, on peut également inverser la priorité de Gale-Shapley, en donnant plus d’importance aux classements des commissions locales et moins aux vœux des candidats.

Améliorations escomptées

  • garantir le statut national des universitaires et renforcer les libertés académiques des personnels recrutés : le statut national est garanti par un système unifié à l’échelle territoriale, mais il préserve aussi le principe de l’autonomie des universitaires par l’absence de pilotage ministériel. Il constitue une garantie de liberté académique et un garde-fou partiel contre les dérives du localisme.
  • mettre les recrutements à l’abri du clientélisme local : (1) il est impossible pour une commission locale de recruter un candidat local qui aura été éliminé au niveau national ; (2) il est impossible pour une commission locale de recruter un candidat local qui était en liste (C) au niveau national, s’il existe un candidat en liste (A) ou (B) qui veut le poste ; (3) noyauter le niveau national ne permet plus de préparer efficacement la nomination d’un candidat précis sur un poste local.
  • permettre les mutations et les rapprochements de conjoints: les mutations sont incorporées tout du long pour permettre, par exemple, les mutations croisées. Les candidats à la mutation, en liste (B), sont en compétition avec les candidats en liste (A) au niveau national mais ont priorité sur tous les autres.
  • éviter la chronophagie des recrutements: la claire séparation entre évaluation des qualités intrinsèques et évaluation de l’adéquation aux besoins locaux permet de diminuer drastiquement le nombre de dossiers, tant pour les évaluateurs que pour les candidats, tout en simplifiant leur évaluation. Concrètement, en 2020, on comptait 8 508 candidats pour 1 155 postes. Notre proposition aurait donc permis de diviser par 4 la charge des candidats et jurys d’un millier de commissions locales, soit des centaines de milliers d’heures de travail économisées.
  • garantir que les postes soient pourvus à la rentrée suivant la demande d’ouverture de la part de l’établissement : en 2020, 4,4 % des postes MCF n’ont pas été pourvus. En déplaçant la gestion de l’adéquation candidatures/postes au niveau national, et en obligeant les commissions locales à classer tous les admis, le problème des postes non pourvus est géré du mieux possible.
  • accroître la diversité des thèmes de recherche à l’échelle nationale et garantir la pérennité des disciplines et thématiques minoritaires : la concertation nationale sur l’ouverture des postes et le contingent national de postes permettent d’assurer que l’équilibre disciplinaire correspond aux besoins de la société, et ne néglige aucune discipline rare. Cette strate centrale est à la bonne position pour développer une stratégie scientifique nationale concertée.
  • respecter un équilibre de négociation entre la communauté des enseignants-chercheurs et les établissements : tout le processus est en réalité une négociation décentralisée entre les communautés disciplinaires et les établissements, chacun agissant à son juste niveau : entrée dans la profession pour les uns, adéquation aux besoins locaux pour les autres.
  • amortir les dérives propres à la mise en compétition des établissements : la compétition académique entre candidats est concentrée au niveau national, qui a des moyens de l’amortir. Les équipes scientifiques et pédagogiques n’ont plus à chercher le ou la « meilleure » dans l’absolu, juste la personne qui, dans un pool de candidats déjà recrutés, correspond le plus à ses besoins.
  • permettre aux candidats au primo-recrutement de s’informer en toute transparence : la publicité des auditions nationales et du rapport final offre la possibilité de se préparer en s’appuyant sur l’expérience des années précédentes ; les « profils » souvent cryptiques des fiches de poste actuelles sont remplacés par un cahier des charges national connu de tous, et la communication entre les candidats et les commissions locales et expressément encouragée lors de la phase d’affectation.

Annexe : algorithme d’affectation

La procédure d’affectation utilise deux fois l’algorithme de Gale-Shapley. La description de l’algorithme ci-dessous est virtuelle puisqu’il ne suppose l’intervention, ni des candidats, ni des commissions locales. Il se déroule automatiquement. De fait, les classements, qui sont les seules informations nécessaires à l’affectation, sont connus avant cette procédure. Lors de l’initialisation, chaque candidat reçoit l’affectation vide. En particulier, on considère que les candidats à la mutation ne sont pas initialement affectés au poste qu’ils sont susceptibles de quitter. Rappelons cependant que tout candidat à la mutation est classé premier sur le poste dont il est titulaire.

Dans un premier temps, seule la liste (A+B) des personnes à qui un poste est assuré, s’ils le souhaitent, est considérée. À chaque étape de l’algorithme, les candidats non encore affectés et qui n’ont pas épuisé leur liste de vœux se proposent (automatiquement) sur le poste qu’ils préfèrent parmi ceux auxquels ils ne se sont pas encore proposés ; chaque commission locale d’affectation, parmi les propositions qui lui sont faites (y compris celle qu’elle a peut-être temporairement acceptée précédemment), répond (virtuellement) « peut-être » au candidat qu’elle préfère et « non » à tous les autres. Après une étape sans proposition, l’algorithme se termine et les affectations temporaires deviennent définitives. Un candidat de la liste (A+B) non affecté, du fait qu’il a été refusé dans tous les établissements qu’il demandait, mais a refusé l’affectation dans certains établissements par une liste de vœux incomplète, n’est pas recruté.

Si les postes n’ont pas tous été affectés, on réitère l’algorithme sur la liste complémentaire (C) et l’ensemble des postes non encore affectés.

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L’échec de Shanghai et le pari perdu de Paris-Saclay

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Au menu du billet de la semaine : une brève sur le recrutement des enseignants, l’annonce de la prochaine séance du séminaire Politique des sciences qui croise une actualité dramatique aux États-Unis, et un billet sur le classement de Shanghai, illustré par l’histoire de Paris-Saclay, qui s’achève par une version inédite du « Sonnet en X » de Mallarmé.

Refonder la formation des enseignants

La presse s’est fait l’écho ces derniers jours du lancement d’un dispositif de job dating (sic) pour le recrutement des enseignants contractuels du primaire et du secondaire. Il est difficile de ne pas y voir le symbole d’un échec qui remonte à loin et qui vient couronner une crise des vocations aux causes multiples, entretenue et aggravée par les politiques menées depuis vingt ans. Mais ce constat ne résout pas la question la plus importante : comment la société peut-elle se donner les moyens d’assurer une formation exigeante à tous les âges de la vie ? Nous avons déjà formulé des propositions à ce sujet : la refondation de l’Éducation nationale et de la formation des enseignants passe simultanément par un plan de titularisation des contractuels, par une revalorisation salariale, mais aussi par la mise en place d’un pré-recrutement dès la licence permettant d’assurer une formation disciplinaire de haut niveau dès le premier cycle, suivie d’une formation à la fois didactique et disciplinaire au niveau master, en bénéficiant des garanties d’un statut protecteur et en permettant une mise en responsabilité très progressive. Dans le même temps, il est urgent de déployer un plan de formation continue universitaire pour les enseignantes et enseignants déjà en poste, afin de garantir que les contenus dispensés restent en lien avec les avancées de la discipline. Sur ce sujet, nous vous renvoyons à notre note thématique du 10 février 2021.

Usages et mésusages de la génétique humaine

La prochaine séance du séminaire Politique des sciences aura lieu le vendredi 10 juin de 14h à 17h, à l’Institut des Systèmes Complexes, ISCV-PIF, 113 rue Nationale, 75013 Paris (Salle de séminaire), ou sur la chaîne de Politique des sciences.

Cette séance sera consacrée aux rapports entre avancées des connaissances en génétique humaine et leurs conséquences dans le champ sociopolitique, et plus particulièrement aux usages et mésusages de certains travaux.

Il y a deux semaines à Buffalo (NY) un suprémaciste blanc de 18 ans tuait dix personnes afro-américaines dans un supermarché. Comme il est d’usage en ces circonstances, le tueur de masse a rédigé un indigeste manifeste posté en ligne avant d’aller assassiner. 

Une étude parue quatre ans auparavant dans Nature Genetics — Lee, J.J., Wedow, R., Okbay, A. et al. Gene discovery and polygenic prediction from a genome-wide association study of educational attainment in 1.1 million individuals. Nat Genet 50, 1112–1121 (2018) — se retrouve, à la surprise de ses auteurs, citée par le tueur, parmi d’autres références académiques. Cette étude visait à détecter des polymorphismes nucléotidiques associés à la variance dans la réussite scolaire. Elle appartient à un ensemble d’études, en croissance régulière, qui utilisent de gigantesques bases de données pour traquer, via la méthode de Genome Wide Association Study, les variants génétiques associés à telle ou telle propriété cognitive ou sociologique. La nouvelle vague du « racisme scientifique » (récemment étudiée par Angela Saini, The return of race science, 2019) propose des interprétations causales de ces études, et infère du gène à la « race », afin de  montrer qu’existent des différences de capacités cognitives entre groupes ethniques. Évidemment, c’est un contresens scientifique.

L’un des membres du consortium à l’origine de cette étude et de nombreuses autres, Daniel Benjamin, économiste comportemental à UCLA, a exprimé sa consternation auprès d’un journaliste du journal bostonien Stat news en ces termes : « I’m horrified ». On le comprend. Ni lui, ni ses collègues ne sauraient être suspectés de vouloir faire avancer le suprémacisme blanc.

Mais, même si l’on réussit à retracer le cheminement tortueux qui conduit un tueur raciste à citer une étude qu’il ne saurait avoir ni lue ni comprise — un cheminement passant à travers les groupes bien connus de racistes scientifiques comme Emil Kierkegaard, Noah Carl ou Bo Winegard, frénétiques des réseaux sociaux, puis les clans suprémacistes sur Reddit, les sous-clans facebook, etc. —, on ne saurait balayer ensuite la chose d’un revers de main en distinguant la science « neutre, forcément neutre », et ses mésusages par des fanatiques incultes. 

« People kill people », répètent les aficionados de la NRA à chaque carnage à l’arme automatique pour rejeter l’idée intuitive que « guns kill people ». « GWAS don’t kill people », a d’ailleurs dit l’un des champions de ces études génétiques de « score de risque polygénique », pour enfoncer le clou d’une dichotomie radicale entre la science neutre et l’idéologie, seule coupable des horreurs faites au nom de la science. Or sans guns, les gens tueraient beaucoup moins de gens : l’argument de la NRA est clairement fallacieux, et le parallèle avec les GWAS laisse penser que, non, il ne suffira pas de dénoncer les idéologues détournant le sens de la science pour pouvoir continuer à dérouler tranquillement de la science neutre.

Cette séance du séminaire entend initier un tel examen de (con)science, urgemment requis par l’actualité. Il se trouve que depuis longtemps, des philosophes des sciences expliquent combien l’image de la « science neutre » est au mieux fausse, et, au pire, néfaste. Helen Longino en fait partie. Autrice d’un livre important sur la génétique comportementale (Studying Human Behavior: How Scientists Investigate Aggression and Sexuality, University of Chicago Press, 2013), discipline mère de toutes les études en question ici et de manière générale, pionnière de la critique de l’idée naïve de la science value-free, elle présentera certaines de ses conclusions sur ces questions. Hervé Perdry, généticien et statisticien, s’est penché sur l’histoire épistémologique de la génétique, les complexités de la modélisation mathématique de l’hérédité, et depuis ses débuts avec Galton et Fisher, l’entrelacement de celle-ci avec l’eugénisme. Il exposera certaines de ses analyses historiques et critiques lors de cette séance.

Programme.

14h. Helen Longino, Philosophe des sciences, Université de Stanford. The Sociality of Scientific Knowledge: Not Just an Academic Question (en anglais).

15h. Hervé Perdry, Enseignant chercheur en épidémiologie génétique, Université Paris-Saclay et Inserm (CESP). Mésusages de la notion d’héritabilité.

16h.  Conclusion et discussion.

La Dame de Shanghai

Michael O’Hara (O. Welles): When I start out to make a fool of myself, there’s very little can stop me. If I’d known where it would end, I’d never let anything start…

— La dame de Shanghai (1947)

Le problème du classement de Shanghai, c’est son existence. 

Valérie Pécresse — Figaro, 27/02/2008

Elsa (R. Hayworth): You can fight, but what good is it? Good bye…

Michael (O. Welles):  Do you mean we can’t win?

Elsa: No we can’t win. Give my love to the sunrise…

Michael: We can’t lose either, only if you quit.

— La dame de Shanghai (1947)

La nouvelle de ce mois, concernant l’Université et la recherche, est sans conteste l’abandon par la Chine des classements internationaux et en particulier de celui dit « de Shanghai ». Accompagnant le déplacement planétaire de la sphère productive vers l’Asie, la création d’établissements universitaires en Chine a été massive : on en compte aujourd’hui plus de 3 000. La Chine est devenue une immense puissance scientifique et se soucie désormais de développer un modèle universitaire original. En visite le 25 avril à l’université Renmin de Pékin, le président Xi Jinping a déclaré ceci : « La Chine est un pays avec une histoire unique, une culture distincte et un contexte national particulier […] Nous ne pouvons pas suivre aveuglément les autres ou nous contenter de copier les standards et les modèles étrangers lorsque nous construisons des universités de classe mondiale ». Cette déclaration a été immédiatement suivie d’effets, avec le retrait de plusieurs universités des classements internationaux, dont l’université Renmin — une décision saluée dans la foulée par le journal gouvernemental, le Quotidien du Peuple, ce qui ne laisse guère de doutes sur le caractère mûrement réfléchi du changement de cap national.

Plus qu’ailleurs, le modèle normatif promu par le « classement de Shanghaï », créé en 2003 et produit depuis 2009 par le cabinet Shanghai Ranking Consultancy (30 employés), a été utilisé en France comme outil de communication et comme argument palliant à bon compte un déficit de pensée critique et politique. De nombreux articles ont été consacrés à l’ineptie de la méthodologie employée (démontrée par exemple ici ou ), à commencer par ceci : le score composite fabriqué, mélangeant torchons et serviettes, n’est ni une variable intensive (indépendante de la « taille » de l’établissement mesurée par le budget, le nombre d’étudiants ou le nombre de chercheurs par exemple), ni une variable extensive (proportionnelle à cette « taille »). Il s’agit d’un bricolage sans rigueur, dépourvu de toute rationalité scientifique, « calibré » pour reproduire le classement symbolique des grandes universités privées états-uniennes. Du reste, comment la qualité de la formation et de la recherche scientifique pourrait-elle bien varier à l’échelle d’une année, sauf à se baser sur des indicateurs délirants ?

Le concours de circonstances qui a conduit à la fétichisation de ce classement par la technobureaucratie du supérieur a été analysé dans les travaux de Christine Barats, auxquels nous renvoyons, ainsi que dans l’ouvrage de Hugo Harari-Kermadec, Le classement de Shanghai. L’université marchandisée (2019).

La  réception de ce classement par l’élite des grands corps de l’Etat fut un dessillement : aucun de ses lieux de formation — ni Sciences Po Paris, ni HEC, ni l’ENA, ni Polytechnique — n’ont de reconnaissance internationale. Seule l’Université, où se situe la recherche scientifique, apparaît dans ce classement. Bien sûr, d’autres classements sont utilisés pour les Master of Business Administration (MBA) et en particulier ceux basés sur le bénéfice financier escompté (salaires des alumni), à mettre en regard du coût de la formation (classement Value for money). Mais cela reste un choc pour la haute fonction publique de découvrir que dans le monde entier, les élites sont formées par la recherche, à l’Université, mais que la France fait exception à l’idéal humboldtien du fait de l’héritage napoléonien des Grandes Ecoles. 

Ce dessillement a suscité des réactions contradictoires chez les tenants de « l’économie européenne de la connaissance » théorisée notamment par M. Philippe Aghion et a conduit certains secteurs de l’Etat à soutenir un projet historique visant à surmonter le legs napoléonien dans la formation des élites : le projet de Paris-Saclay, dans sa mouture initiale.

Sur le papier, jusqu’en 2015, beaucoup de conditions sont réunies pour un succès de ce projet, à condition bien sûr de se fixer un objectif clair : la construction d’une université expérimentale associant production, critique et transmission des savoirs scientifiques et techniques, en faisant le pari du soutien à l’émergence de PME industrielles à très haute valeur ajoutée, travaillant en bonne intelligence avec l’université. Loin de desservir le projet, le fait que le plateau de Saclay ne soit pas au cœur d’une métropole était un avantage. En effet, sa situation géographique permettait d’imaginer une ville-campus adaptée aux enjeux du XXIème siècle. Saclay pouvait donc être cette université où se rencontrent les élites scientifiques, économiques et politiques qui fait tant défaut au système français. Partant de ce constat partiel mais juste, l’État consacra un investissement de 5,3 milliards d’euros au projet d’université intégrée de Saclay en l’espace de dix ans. Disons-le : Paris-Saclay était alors le seul projet de regroupement universitaire intéressant. Tous les autres regroupements ne visaient qu’à produire des économies d’échelle dans les services centraux et à changer les statuts des établissements pour mettre les structures de décision hors d’atteinte des universitaires. On sait désormais que le surcoût de fonctionnement des mastodontes universitaires est exorbitant, qu’ils ont été dévitalisés et que le pouvoir y a été capté par une nouvelle bureaucratie managériale, au fonctionnement féodal, qui s’octroie une large part des ressources qui manquent à l’enseignement et à la recherche.

Ce qui, à Paris-Saclay, rendait cette expérience historique d’unification entre Université et Grandes Écoles possible, c’est l’obsolescence de l’École Polytechnique. Deux rapports de la cour des comptes et un rapport parlementaire avaient pointé l’absence de « stratégie » de l’État pour cet établissement, son inadaptation à la « concurrence internationale », sa « gouvernance » défaillante et l’absurdité de sa tutelle militaire. Polytechnique était devenu un boulet aux yeux d’une partie du bloc réformateur. L’humiliation infligée par les classements internationaux avait également mis en difficulté les secteurs les plus conservateurs de la bureaucratie polytechnicienne d’État et leurs relais pantoufleurs du CAC 40. Dans ce contexte de crise, un quatrième rapport, commandé à M. Attali par le premier ministre, préconisait la suppression du classement de sortie, la suppression de la solde et la création d’une nouvelle « École polytechnique de Paris » englobant les grandes écoles du plateau, au sein de Paris-Saclay. La voie semblait libre pour reconstruire à Saclay une formation des élites administratives et industrielles en lien avec la recherche universitaire.

Mais le 15 décembre 2015, cette expérience historique de dépassement des archaïsmes français tombe à l’eau. Plus exactement, « on » l’y pousse, à l’eau, les deux pieds coulés dans du béton. Quel « on » exactement conduit Paris-Saclay dans cette « impasse », pour reprendre le doux euphémisme de la Cour des Comptes ? Après que M. Le Drian, ministre de la Défense, a annoncé le 6 juin 2015 une « révolution » à Polytechnique, les président-directeurs généraux d’entreprises françaises du CAC 40 issus du corps des Mines s’activent au cœur de l’été

Une task-force est constituée autour de M. Pringuet, X-Mines et président de l’AFEP, le lobby des grands patrons français. S’il existe une rivalité entre l’Inspection des finances, nourrie par l’ENA, et le Corps des mines, alimenté par l’École Polytechnique, ENA-IGF et X-Mines partagent un même désir de perpétuation de la technostructure à la française, menacée par le projet d’intégration de Polytechnique dans Paris-Saclay. M. Pringuet, en liaison avec M. Macron depuis 2012 – son action de lobbying a abouti à la création du CICE -, obtient l’aide de celui-ci. Il est vrai que M. Macron, sous la mandature précédente, s’était déjà penché sur les questions d’« économie de la connaissance » comme rapporteur général de la commission Attali. L’enjeu des réformes universitaires, pour lui, n’est en aucun cas de dépasser l’archaïsme bonapartiste : bien au contraire, il s’agit de constituer une poignée de mastodontes internationalisés, dans la plus pure tradition des « fleurons » chers aux Grands Corps. C’est la fatalité des hauts fonctionnaires hexagonaux de rester désespérément français même (et surtout) lorsqu’ils croient singer le MIT… Lors de ce conseil d’administration du 15 décembre 2015, les deux ministres de tutelle de Polytechnique, M. Le Drian et M. Mandon sont accompagnés de M. Macron. Quand « Bercy » vient d’imposer des centaines de millions d’euros de coups de rabot dans le budget de l’Université, et même des milliards de coupes dans le contrat de plan État-régions, M. Macron apporte, ce 15 décembre 2015, 60 millions d’euros d’augmentation de budget à l’École Polytechnique… et consacre l’abandon du projet de Paris-Saclay, malgré son importance et son coût. 

Depuis, de reconfiguration en reconfiguration, Paris-Saclay n’est plus que l’avatar périurbain d’une politique qui n’avait probablement jamais cessé d’être la seule boussole des secteurs dirigeants de la bureaucratie : la différenciation des universités, fondée sur la séparation entre des établissements de proximité et une poignée d’universités-monstres supposément tournées vers la coopération internationale, et les yeux rivés vers des rankings sans substance. Ne reste qu’une question : les apparatchiks ont-ils entrevu ne serait-ce qu’un instant la signification libératrice du projet initial de Paris-Saclay ? Ou avaient-ils élaboré ce projet aussi inconsciemment qu’ils l’ont ensuite liquidé, en jouant à la dînette de Shanghai ?

Toujours est-il qu’au terme de ce rendez-vous manqué, l’administratrice de la faillite politique et intellectuelle de Paris-Saclay, Mme Sylvie Retailleau, a pu se gargariser de la seule chose qui lui reste : une progression de quelques places dans un classement déjà décrédibilisé, arrachée à coups de milliards d’euros qui auraient pu être dépensés ailleurs et autrement. Il y a quelques mois, la dame de Shanghai déclarait en effet : « Cette position dans [le classement de Shanghai] nous renforce aussi dans la conviction de la pertinence de notre trajectoire institutionnelle collective. » Cette faillite valait bien une promotion : Aux innocents les mains pleines.

Terminons cette histoire par quelques vers à la manière de Mallarmé, tirés de Lingua Novæ Universitatis, que vous pouvez encore vous procurer chez l’éditeur.

SonnEx 

Ses articles très haut magnifiant son index
Le patron éthéré maintient, thanatophore,
Maint projet filandreux porté par son Labex,
Mais ne recueille pas de budgétaire effort.

Sur le campus, au plateau vide, pas de X,
Bicorne pour toujours oublié loin dehors :
Les anciens sont allés menacer d’une rixe
Les conseillers nombreux qu’ils connaissent encore.

Mais dans sa fatuité insondable un butor
Se contemple au miroir, satisfait du décor.
Ivres de pouvoir, des présidents créent l’Udice,

Insolite vaisseau d’inanité sonore,
Quand dans la nuit tombée sur le Savoir, bouffissent
Les cénacles ronflants dont le Néant s’honore.

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La recherche est un jardin

« André-Georges Haudricourt a naguère opposé la mentalité des peuples pasteurs comme les Grecs à celle des peuples jardiniers comme les Chinois anciens. La domestication des animaux aurait conduit les pasteurs à concevoir la domination du roi sur ses sujets, l’autorité du supérieur sur ses subordonnés, sur le modèle des rapports du berger avec son troupeau, qu’il mène à la baguette. Le sceptre royal est un bâton. Au contraire, les peuples jardiniers prendraient pour modèle de l’exercice du pouvoir cette forme d’action « indirecte et négative » qui est propre à l’horticulteur, soucieux de s’insérer dans l’ordre naturel et dont l’intervention ne vise ni à soumettre ni à contraindre, mais, en accord avec l’élan interne de chaque plante, à la laisser mieux pousser.

« Quand il nous a accordé le privilège de nous prendre sous sa tutelle, le CNRS n’a pas voulu nous dominer : il a déblayé et irrigué le terrain autour de nous, écartant les obstacles, écrasant les trop grosses mottes, nous apportant l’eau dont nous avions besoin. Je souhaite qu’il en soit demain comme hier et aujourd’hui. La recherche est un jardin. Pour qu’il fleurisse, ceux qui en ont la charge doivent se faire jardiniers plutôt que bergers. »

Jean-Pierre Vernant, discours prononcé le 18 décembre 1984 à l’occasion de la remise de la médaille d’or du CNRS.

  1. Bureaucratisation des EPST

Le décret n° 2022-758 du 28 avril 2022 dispose que le directeur général de chaque EPST prend le pas sur son conseil scientifique — ou sur les instances d’évaluation compétentes — pour les décisions de recrutement et d’avancement des personnels de recherche. Ce ne sont pas moins de huit articles du code de la recherche qui sont réécrits, dépossédant les instances collégiales au profit du directeur général de l’établissement. L’instance d’évaluation formule un simple avis. Le directeur général décide.

  1. Vers le démantèlement du CNRS

« Lorsque Macron a fait son discours en janvier, quand il a parlé du CNRS, il a parlé d’agence de moyens. Je l’ai vu le lendemain pour mon entretien d’embauche et il m’a demandé mon avis sur son discours de la veille. J’ai dit très bien mais agence de moyens le terme n’est pas bien choisi ça c’est l’ANR nous on est une agence de programme et d’infrastructure et là il a dit : “banco ! J’achète !.” »

Antoine Petit

Depuis 25 ans, on ne compte plus les rumeurs d’attaques contre le CNRS ni les réactions qu’elles engendrent, souvent corporatistes et teintées d’un certain mépris envers la recherche universitaire. Aussi accueille-t-on avec circonspection la nouvelle vague d’agitation autour de déclarations de messieurs Macron et Petit, dans un moment où courtisans et apparatchiks se préoccupent surtout du jeu de chaises musicales au sein de l’appareil d’État.

Pourtant, cette fois-ci, des éléments concordants laissent présager une grande loi structurelle pour le supérieur — sous réserve qu’une majorité parlementaire l’appuie —, sans commune mesure avec le fourre-tout de la Loi de Programmation de la Recherche, qui se contentait d’accentuer la dérégulation des statuts et la précarisation, sans ambition ni moyen. En particulier, M. Petit a annoncé récemment aux directeurs d’unité une refonte totale de la gestion des budgets des contrats de recherche dont le CNRS est tutelle gestionnaire. Les universités, pourtant partenaires de nombreuses unités mixtes (UMR) avec le CNRS, n’avaient pas été prévenues. Cette restructuration unilatérale, qui déstabilise le fonctionnement des UMR à travers le pays, a même suscité la protestation écrite du lobby des présidents d’université, via un courrier à M. Petit dont nous nous sommes procurés une copie. On peut y voir l’indice de grandes manœuvres en cours au sein de la sphère bureaucratique autour de l’avenir du CNRS.

Le projet de démantèlement du CNRS vise, si l’on en croit diverses déclarations de M. Petit, à concentrer les moyens sur quelques managers avancés dans leur carrière. On peut voir dans la construction de l’IHU du professeur Raoult une expérience qui sert de précurseur à ce projet. On sait pourtant que les idées nouvelles, exploratoires, originales, naissent le plus souvent dans des laboratoires à taille humaine, marqués par un fonctionnement collégial et où les jeunes chercheurs peuvent faire valoir leur point de vue. La concentration des moyens dans de grosses équipes chapeautées par un mandarin favorise davantage les recherches confirmatoires que les découvertes.

Quel problème le projet de démantèlement du CNRS est-il supposé résoudre ? Aucun, à la vérité. Il s’agit plutôt de parachever le projet d’abandon de tout cadre national pour l’enseignement supérieur et la recherche au profit d’une logique de marque poursuivie depuis le rapport Aghion-Cohen de 2004 : différencier les statuts, déréguler, mettre en concurrence, bureaucratiser et précariser. Dès lors, la question commune posée au CNRS et à l’Université est la suivante : comment organiser l’écosystème de recherche et d’enseignement supérieur au niveau national ? Comment en finir avec le féodalisme bureaucratique issu de 20 ans de managérialisation sans retomber dans un pilotage ministériel  ? Pourquoi l’aménagement du territoire est-il une nécessité qui suppose une réflexion stratégique à l’échelle nationale ? Comment recruter ? Comment garantir et renforcer la liberté académique ?

Le choix cardinal entre le maintien d’un cadre national ou bien l’atomisation-dérégulation du système d’Université et de recherche sera au cœur du débat des semaines qui viennent. Nous proposerons un texte analytique et programmatique sur ce sujet. Nous invitons d’ores et déjà les candidates et les candidats aux élections législatives à prendre position et à faire connaître leur choix.

  1. Bibliothèque nationale de France

Depuis plusieurs semaines, la Bibliothèque Nationale de France est secouée par un conflit social autour du temps de travail, et des modalités de communication des documents. Le nombre insuffisant des bibliothécaires, leur grande précarité également, obèrent depuis plusieurs années le bon fonctionnement de cette institution très importante pour la recherche, du fait de ses fonds d’archives sans équivalents. Une réforme annoncée par la direction générale de l’établissement va bientôt rendre la BNF très difficilement utilisable pour les chercheurs et chercheuses, en particulier exerçant en province. Cette réforme procède d’une volonté de recentrer les activités et l’image publique de la BNF sur un profil de musée, proposant de lucratives expositions temporaires. Ce projet, porté par un directeur général énarque, cadre gestionnaire du ministère de la culture et n’ayant jamais côtoyé le monde de la recherche, est une atteinte directe aux conditions d’exercice de la recherche. Nous attirons votre attention sur la pétition des lecteurs et usagers, qui a déjà recueilli près de 15 000 signatures.

Cette affaire doit attirer notre attention sur la place que les bibliothèques ont vocation à jouer dans une politique universitaire défendant l’autonomie de la recherche et sa responsabilité sociale et démocratique. Nous avons besoin d’une politique ambitieuse de la documentation publique : le cloisonnement entre les bibliothèques du ministère de la culture, les bibliothèques universitaires, les archives et bibliothèques gérées par les collectivités territoriales nuit à la qualité de la recherche en compliquant l’accès aux ressources. Mais cette séparation, en plaçant les scientifiques hors des lieux de médiation culturelle que sont les bibliothèques publiques, constitue aussi un obstacle à la diffusion de la culture scientifique et à l’ouverture de l’Université sur la cité.

La seconde bibliothèque nationale du pays, celle de Strasbourg, est explicitement une bibliothèque « nationale et universitaire ». Ce statut pourrait servir de modèle à la BNF, qui serait intégrée à l’Université, tandis que les bibliothèques universitaires et les bibliothèques de proximité auraient vocation à former un grand service public de la documentation.

  1. Soutenir les collègues d’Ukraine, Russie et Biélorussie

Nous relayons une initiative qui vise à collecter des fonds afin de soutenir la communication scientifique en Ukraine. Le projet est d’apporter une aide aux revues savantes et aux éditeurs universitaires pour qu’ils puissent maintenir leurs activités éditoriales. Cette initiative est soutenue par l’infrastructure européenne OPERAS.

Un certain nombre de présidences d’université ont accepté de s’engager à soutenir les collègues d’Ukraine, de Russie et de Biélorussie et appellent à leur tour l’État à assurer les conditions de ce soutien.

Nous pensons important de mettre exceptionnellement de côté nos différences de vue au sein des institutions d’enseignement supérieur et de recherche et de signer à leurs côtés ce texte. Cela étant, pour notre part, nous aurions demandé que le soutien aux collègues russes et biélorusses opposés à leurs régimes respectifs soit universel et s’étende, par exemple, à l’Afghanistan, l’Iran, la Syrie ou la Turquie.

  1. Sommet du « bien commun »

La Toulouse School of Economics (TSE) organise les 19 et 20 mai 2022 le 2ème Common Good Summit, qui se présente comme un colloque scientifique et prétend réunir « des leaders industriels et politiques ainsi que certains des plus brillants économistes mondiaux » afin de « dessiner ensemble une feuille de route » politique sur les crises de notre temps.

La recherche scientifique a ceci de distinct de la politique qu’elle ne vise pas à servir un « bien commun » dont la définition serait opportunément fixée par les pouvoirs en place ; elle a pour objet la recherche collective de la vérité, que la société peut ensuite s’approprier comme une ressource partagée. Offrir une vitrine de communication à des entreprises comme Exxon Mobil, BNP Paribas ou Amazon qui ont une responsabilité historique dans le réchauffement climatique est totalement incompatible avec l’idée scientifique. Du reste, ce pseudo-colloque n’obéit à aucune des règles méthodologiques d’organisation d’un évènement savant. La multiplication d’évènements « gris » de greenwashing porte atteinte à l’éthique académique. La captation de pans entiers de l’activité scientifique par la « communication » institutionnelle doit conduire la communauté scientifique à réaffirmer le principe d’autonomie qui fonde son activité.

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Nous, dont un dessein ferme emplit l’âme et le front

Nous, dont un dessein ferme emplit l’âme et le front

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front
Ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime,
Ceux qui marchent pensifs, épris d’un but sublime,
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,
Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour.

Victor Hugo, Les Châtiments, 1852.

Premier mai

Quelles que soient nos sympathies associatives, syndicales ou philosophiques, nous avons mille raisons de participer aux rassemblements et manifestations de ce premier mai.

Parce que la crise démocratique a franchi un seuil intolérable.

Parce que nous n’entendons pas nous taire face à l’extrême-droite et au néo-maccarthysme.

Parce que nous sommes attachés au libéralisme politique et en particulier aux libertés publiques, mises à mal depuis des années par des mesures illibérales.

Parce que nous entendons défendre la science et la raison.

Parce que la précarisation de nos métiers et le déficit de postes sacrifient nos capacités d’exploration de la vérité.

Parce que nous réprouvons le projet de démantèlement du CNRS.

Parce que nous sommes attachés à un système national d’Université, et un service public d’enseignement supérieur et de recherche.

Parce que nous revendiquons l’autonomie du monde savant contre sa mise au pas par la techno-bureaucratie.

Parce que nous réprouvons le projet d’augmentation des droits d’inscription.

Parce que nous entendons défendre l’École publique, laïque et républicaine contre les attaques qu’elle subit depuis des années et contre celle qu’envisage le président réélu.

Parce que nous n’acceptons pas la contre-réforme des retraites qui vise à mettre en crise un système à l’équilibre pour des décennies, et à baisser drastiquement le salaire des fonctionnaires.

Parce que la crise climatique est là et que rien n’est fait sinon de la communication.

Parce que « ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ».

Parce que.


Vous trouverez ici une carte vous indiquant les lieux et horaires des rassemblements les plus proches de chez vous.

Fonds et association pour la liberté académique

Les vidéos des interventions et discussions du séminaire Politique des sciences du 17 mars sur l’état de la liberté académique sont en ligne, ainsi que la captation des débats sur l’organisation d’un réseau de solidarité concrète.

Aux avant-postes du danger

Modératrice : Béatrice Hibou, directrice de recherche au CNRS (Ceri/Sciences Po)

Alexander Bikbov, chercheur associé au CERCEC (CNRS/EHESS) et au CMH (ENS/CNRS/EHESS)

Catherine Gousseff, directrice de recherche au CNRS (CERCEC/EHESS)

Ahmet Insel, directeur éditorial des éditions Iletisim

Menaces, pratiques, ripostes

Modératrice : Johanna Siméant-Germanos, professeure, ENS Paris

Nonna Mayer, directrice de recherche au CNRS (CEE/Sciences Po)

Olivier Beaud, professeur, Université Panthéon-Assas

Claude Gautier, professeur, ENS Lyon

Bruno Andreotti, professeur, Université Paris Cité

Felix Tréguer, postdoctorant au CERI (Sciences Po/CNRS) et chercheur associé au Centre Internet et Société (CNRS)

Fonder une association : quels objectifs, quels statuts, quels garde-fous ?

Modérateur : Bruno Andreotti, professeur, Université Paris Cité

Cette dernière session était consacrée à débattre des modalités de création d’une association et/ou d’un fonds de dotation.

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Décevoir l’attendu

Décevoir l’attendu

« L’école, la caste, la tradition, avaient bâti autour d’eux un mur d’ignorance et d’erreur. »

Marc Bloch, L’étrange défaite, 1940.

« En cet instant où les politiciens en qui les adversaires du fascisme avaient mis leur espoir gisent à terre et aggravent leur défaite en trahissant leur propre cause, notre réflexion a pour but de libérer l’enfant politique du siècle, en le sortant des rets dans lesquels eux l’avaient corseté. Notre constat prend comme point de départ l’idée que la foi obstinée de ces politiciens dans le progrès, la confiance qu’ils plaçaient dans leur « base politique de masse » et pour finir leur appartenance servile à un appareil qu’ils ne contrôlent pas, ne sont que trois facettes d’une même réalité. »

Walter Benjamin, Thèses sur le concept d’histoire (extrait de la thèse X), 1940.

« Avant que l’étincelle n’arrive à la dynamite, il faut couper la mèche qui brûle. L’intervention, le danger et le rythme du politique sont techniques et non chevaleresques. »

Walter Benjamin, « Avertisseur d’incendie », Sens unique, 1928.

La pénombre s’étend ; nous ne sommes qu’en sursis. Le billet qui suit est divisé en deux parties : un diagnostic et une proposition de ligne de conduite.

Où en sommes-nous ?

Le programme de stabilité transmis par la France à la Commission européenne et portant jusqu’à la fin du quinquennat prévoit la baisse des dépenses publiques de 56% en 2022 à 53,1% en 2027. Il s’agit d’un programme d’austérité sans précédent, qui creuserait les inégalités par une baisse massive des dépenses sociales. L’accroissement délibéré des inégalités a pourtant déjà constitué un moteur important de la poussée de l’extrême-droite en France. Il est également prévu de baisser les investissements publics dans un moment où juguler la crise climatique supposerait au contraire un surcroît d’investissement. Ne pas redonner une perspective à la jeunesse accroîtrait significativement la probabilité d’une victoire de l’extrême-droite dans cinq ans. Comme universitaires, cette situation nous oblige, au-delà même de la défense de nos métiers. Plus que jamais, notre responsabilité devant la société doit s’exercer dans les semaines et les mois qui viennent, pour rouvrir l’horizon.

Le vote par classe d’âge. Les variables prédictives du vote sont le niveau de diplôme et la classe sociale, d’une part, et l’âge d’autre part. Dans cinq ans, pour des raisons démographiques et en l’absence de renversement des dynamiques, la base électorale du bloc gouvernemental deviendra minoritaire, l’extrême-droite ayant par ailleurs un petit temps d’avance sur le mouvement émancipateur.

La porosité du bloc gouvernemental à la phraséologie et aux mesures programmatiques de l’extrême-droite doit être combattue pied à pied. Chacun garde en mémoire la régression des libertés publiques, le harcèlement des réfugiés — et Frontex, et les camps offshore de rétention et de tri — ou la brutalité de la répression des mouvements sociaux, autant de choix qui ont conduit le ministre de l’Intérieur à juger Mme Le Pen « un peu molle » il y a quelques mois.

L’Université et la recherche sont témoins de ces dérives. Parmi les mesures marquantes du quinquennat, on retiendra notamment l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants extra-communautaires, mesure qui figurait au programme de Mme Le Pen en 2017. Peu après, Mme Vidal et M. Blanquer affichèrent leur volonté de « lutter » contre une Université coupable de « complicité intellectuelle du terrorisme » en invoquant la chimère du « wokisme » et l’inénarrable « islamo-gauchisme » supposé « gangréner » le monde académique. Le ministre de l’Éducation nationale ne cache du reste pas sa proximité avec le mouvement du « Printemps Républicain », dont La Voix du Nord a révélé qu’il contribuait également à la campagne de Mme Le Pen. Dans le même temps, M. Macron, qui n’a jamais désavoué ses ministres, jugeait le monde universitaire « coupable » d’avoir « cassé la République en deux », des propos réitérés il y a quelques jours seulement. Enfin, la gestion française de l’épidémie, qui s’achève en roue libre, a été l’occasion d’un mépris constant pour la communauté scientifique, depuis la visite officielle du président à M. Raoult jusqu’à l’obscurantisme des cabinets de conseil. Bilan : 165 000 morts, principalement vieux, pauvres ou fragiles. Du « darwinisme » en acte.

On ne saurait donc souscrire aux déclarations lénifiantes (ici ou ) des bureaucrates et ex-universitaires fidèles à leur ligne d’accompagnement de toutes les dérives depuis 20 ans. Les étudiants étrangers relégués, les collègues harcelés, la jeunesse paupérisée et les collègues précaires sacrifiés auraient à tout le moins justifié que ces appels au barrage ne prennent pas la forme de satisfecits lyriques. C’est la loi du genre : les courtisans de toutes couleurs présentent une unité de façade, pendant que la lutte des places se joue en coulisse.

Alors, que faire ?

Ce tableau préliminaire a de quoi faire baisser les bras. Mais l’alerte est trop sérieuse pour que nous nous autorisions une position de simples spectateurs. L’urgence est de penser le rôle de l’Université et de la recherche dans la société démocratique que nous voulons construire, et de trouver les moyens de mettre en œuvre une évolution émancipatrice sans attendre qu’on nous l’octroie. Nous voulons un système universitaire et scientifique fondé sur l’exigence, l’éthique et la liberté, sur l’articulation entre principe d’autonomie et responsabilité démocratique, sociale, écologique. Cela n’est possible qu’à des conditions budgétaires et statutaires rendant la maîtrise d’un temps long à la communauté académique. Mais cela demande aussi une réorganisation des pratiques collégiales, dans le sens de la transparence, du désintéressement et de la circulation de l’information. Le plan de cinquante propositions élaborées par la communauté universitaire reste notre boussole, dont certains aspects peuvent être mis en œuvre dès maintenant. En instituant dès aujourd’hui les pratiques de l’Université de demain, il s’agit à la fois d’entraver concrètement les contre-réformes, et de construire positivement les fondations du système que nous voulons.

Le préalable indispensable est de reprendre les prérogatives politiques dont nous nous sommes laissés déposséder par la camarilla des présidents, des DGS, des directeurs de cabinets et autres consultants, dont la complaisance pour le gouvernement s’étale maintenant à longueur de journaux. Cela signifie par exemple :

  • convoquer nous-mêmes plusieurs fois par semestre des assemblées générales des universitaires, où les élus soient invités à rendre compte de leur mandat 
  • nous former collectivement aux cadres réglementaires et budgétaires de l’Université et de la recherche, afin de retrouver la capacité de contredire les discours gestionnaires fallacieux 
  • opposer la légitimité des enseignants et administratifs de terrain à l’incurie autoritaire des directions centrales 
  • communiquer largement les documents internes, procès-verbaux, comptes-rendus, etc. pour les mettre à disposition de la communauté 
  • pour les collègues siégeant dans des instances, refuser de voter des documents transmis à la dernière minute ou trop longs pour avoir été lus intégralement par les membres du conseil ou de la commission concernée. 

Parallèlement, nous devons organiser les solidarités concrètes. Le fonds de soutien à la liberté académique, dont les statuts sont en cours d’élaboration, en est un moyen concret et financé, pour parer aux coups durs. Il ne suffira pas. Nous devons pouvoir compter les uns sur les autres au sein de nos établissements et retrouver le goût du collectif. Une association adossée au fonds de soutien constituerait un moyen d’articuler ces réseaux de solidarité. La condition d’existence d’une telle association est l’intérêt d’au moins un millier de collègues (une dizaine par établissement) ; nous en sommes loin à ce jour. L’association aurait à prendre en charge la solidarité avec les collègues menacés à l’étranger et en France, et porterait les exigences de la communauté scientifique concernant la liberté académique, les statuts et les normes et les procédures d’appréciation du travail savant. Il faudrait par exemple obtenir une protection des sources en sciences humaines du même type que celle des journalistes. Il faudrait défendre la non-automaticité de la mise en examen pour diffamation pour empêcher les procès bâillon qui se multiplient. Il faudrait également travailler à l’élaboration d’un statut plus protecteur de la liberté scientifique pour les universitaires et les chercheurs. Dans ce contexte, l’association aurait encore à défendre les droits des chercheurs et universitaires précaires et l’emploi statutaire. L’association servirait à constituer un réseau de solidarité juridique : guide des droits, dispositif de veille et de conseil, répertoire d’avocats « amis » permettant de minorer le problème des frais de justice. Elle permettrait d’exercer une pression sur les présidences pour garantir l’obtention systématique de la protection fonctionnelle. Il faudrait en particulier obtenir son extension aux doctorants. L’association aurait à travailler en bonne intelligence avec les réseaux existants et poursuivant des buts similaires.

Tout cela nécessite du temps, et donc la mise en œuvre d’un nouvel ordre de priorités, impliquant la relégation des activités qui nous assomment mais sont en réalité beaucoup moins urgentes. Si nous ne ré-investissons pas urgemment du temps et de l’énergie dans la constitution d’une Université émancipatrice, alors nous la perdrons durablement.


À titre informatif, le texte que nous avions écrit au cas où Mme Le Pen serait élue peut être consulté à cette adresse :

https://rogueesr.fr/entrer-en-resistance/

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Is our planet great again ?

  1.  Une nouvelle procédure bâillon, intentée par l’IFOP

Les procédures bâillon visent à intimider, à faire perdre du temps et de l’argent et à faire commettre des erreurs aux chercheurs visés. Il arrive le plus souvent qu’elles portent délibérément sur des propos secondaires, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, ce qui conduit encore certaines présidences à refuser la protection fonctionnelle. Pourtant, la protection fonctionnelle est de droit en cas de poursuites pénales dès lors que les faits avérés n’ont pas le caractère d’une faute personnelle.

Deux procédures bâillon intentées par des chercheurs devraient être jugées ce mois-ci, ce qui donne l’ampleur nouvelle du phénomène. Il s’agit de violations majeures de l’éthique scientifique : les tentatives de judiciarisation du débat scientifique à des fins d’intimidation sont inacceptables. Nous reviendrons dans un prochain billet sur l’association et le fonds de défense de la liberté universitaire : nous encourageons dès maintenant les collègues au reversement partiel (voire intégral) des primes C3 du RIP E-C au fonds de dotation. Les dotations ouvrent droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % du montant des dons dans la limite de 20 % du revenu imposable.

Alors qu’il s’apprêtait à publier son livre 10 Leçons sur les sondages politiques chez De Boeck, notre collègue Alexandre Dezé a appris qu’il faisait l’objet d’une plainte pour diffamation de la part de l’IFOP pour les propos suivants, tenus dans Le Monde du 11 septembre 2020, à propos d’une enquête de l’institut de sondages portant notamment sur le rapport des musulmans aux attentats de Charlie Hebdo : « Avec un échantillon aussi faible, de 515 personnes, ce sondage n’a aucune valeur et ses conclusions sont discutables. La faiblesse méthodologique est délirante et en même temps il y a une croyance indéboulonnable que ces sondages sont de la science ». Les critiques scientifiques des sondages d’opinion en soulignant les faiblesses méthodologiques et le caractère pseudo-scientifique ne sont pourtant pas une nouveauté.

Pour soutenir notre collègue, vous pouvez signer la lettre initiée par la section 04 du CNU :

https://semestriel.framapad.org/p/soutien-a-alexandre-deze-9tfq?lang=fr

  1.  Is our planet great again ?

Le GIEC vient juste de publier un nouveau rapport sur l’état des émissions de CO2 et sur les moyens nécessaires pour les réduire à temps, une occasion pour nous de revenir sur la responsabilité de la communauté scientifique devant la société :

https://report.ipcc.ch/ar6wg3/pdf/IPCC_AR6_WGIII_SummaryForPolicymakers.pdf

Jamais autant de gaz à effet de serre n’a été émis que lors de la dernière décennie. Elles sont de 54 % supérieures à ce qu’elles étaient en 1990, lorsque les négociations internationales sur le climat ont commencé. Les 10 % les plus riches sont à l’origine de 40 ± 5% de ces émissions contre 14 ± 1 % pour la moitié de la planète la plus pauvre. Une large majorité des flux financiers privés et publics dans le domaine énergétique irrigue les industries fossiles — et continue de produire une désinformation scientifique, comme le montre la licence BNP-Paribas de PSL. Les trajectoires actuelles conduisent a minima la planète vers une hausse moyenne de + 3,2°C d’ici à la fin du siècle. Il est désormais clair que la réallocation du capital nécessaire à la transition bas-carbone nécessite un interventionnisme politique fort, aujourd’hui totalement absent en France et ailleurs.

Il y a tout juste 5 ans, le 22 Avril 2017, « jour de la Terre » et du premier tour des élections présidentielles en France, plus d’un million de personnes dans le monde ont participé à une March for Science dans le but d’affirmer la valeur de la science, en réponse à l’obscurantisme de Donald Trump. Le candidat Macron, surfant opportunément la vague de ce mouvement, avait dans le cours de sa campagne invité dans une vidéo les scientifiques étasuniens à venir trouver refuge en France. Cette opération de communication lui avait permis de se poser en défenseur d’un libéralisme politique éclairé et écologiste, et d’obtenir le soutien d’une partie de la communauté universitaire.

C’est dans le sillage de cette première opération de communication, et après son élection, que M. Macron a lancé son fameux slogan « Make our planet great again », qui fut un succès international (jusqu’à être consacré « champion de la terre » par l’ONU en 2018) sans que quiconque ne sache de quoi il retournait, si ce n’est la promesse de sauver la planète et les scientifiques.

Cinq ans après, la France ne respecte pas les engagements climatiques de l’accord de Paris. La promesse de fermer la totalité des centrales à charbon avant la fin du mandat n’a pas été tenue et des alliances toxiques avec des États soutenant le recours au gaz fossile ont été nouées. Plusieurs dizaines de milliards d’euros d’argent public français ont été accordés aux énergies fossiles (pétrole et gaz) et la France est le seul État européen à ne pas avoir rempli ses objectifs de développement des énergies renouvelables. La crise sanitaire a été l’occasion de transferts massifs (des dizaines de milliards à nouveau) vers les secteurs aérien et automobile. Les émissions de gaz à effet de serre dues aux transports ont stagné et le démantèlement du réseau ferré secondaire s’est accentué. Autre préoccupation environnementale, la biodiversité n’a connu, elle-aussi, que des discours sans lendemain.

La convention citoyenne pour le climat à été l’occasion de mettre en œuvre l’une des techniques de néo-management destinées à occuper les contestataires et à fabriquer le consentement : la comitisation, équivalent des « groupes de travail » à l’échelle de la société. Cette « convention » a été organisée par le cabinet de conseil Eurogroup pour 1,9 million d’euros et préparée par un livrable du cabinet Boston Consulting Group (BCG). Les recommandations principales, pourtant très encadrées par les recommandations d’« experts » sélectionnés, n’ont pas été suivies d’effet, pas plus que celles du Haut Conseil pour le Climat, qui a occupé plusieurs scientifiques reconnus sur les questions climatiques.

« Make our planet great again » a consisté en un appel à projet co-financé par le CNRS, d’un montant total de quelques millions d’euros, à comparer aux 3 milliards du budget du CNRS. L’appel a conduit à financer une poignées de contrats précaires pour quelques scientifiques, pour l’essentiel des français partis en post-doc et trouvant dans cet appel une occasion de retour en France. L’impact de l’appel sur l’activité scientifique n’a pas été évalué, pas plus que le désinvestissement massif dans les universités et les organismes de recherche opéré pendant la même période. Aucun organisme de recherche et aucun établissement d’enseignement supérieur n’a été sollicité par l’exécutif ou le ministère pour travailler, sur des bases scientifiques, à la question de la transition écologique, que ce soit pour ces établissements eux-mêmes ou pour le reste de la société. Le CNRS, co-animateur de l’appel à projet « Make our planet great again », n’a même pas fait l’effort de produire son bilan de gaz à effet de serre, conformément à l’obligation légale qui lui est faite.

C’est au sein de la communauté scientifique que la réflexion autour de ces questions a émergé, au sein du collectif Labos 1point5, qui a défini à la fois les termes d’une recherche scientifique sur l’empreinte environnementale de la science et les principes devant guider la construction d’une éthique environnementale de la recherche. Se posant comme extension de l’éthique académique à la fois dans sa dimension individuelle et collective, l’éthique environnementale de la recherche suppose que la communauté savante fixe elle-même les limites du « productivisme scientifique », dans un mouvement de transformation et de réappropriation des métiers de la recherche conforme au principe d’autonomie.

Puisque l’imploration des « décideurs » est manifestement inefficace (la crise du COVID en témoigne cruellement), la communauté scientifique n’a d’autre choix que d’accroître sa capacité d’auto-organisation pour trouver d’autres ressorts à la mise en œuvre des politiques qui font défaut.

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Quelques poissons perdus dans la galaxie

Quelques poissons perdus dans la galaxie

Préambule

Pour le 1er avril, le Ministère, en calant l’échéance de la campagne de recrutement synchronisée des enseignants-chercheurs le même jour que celle des candidatures aux primes du RIP E-C, à la même heure qui plus est, a organisé lui-même une vaste attaque par déni de service contre ses propres serveurs. C’est ainsi que depuis le 30 mars au soir, Galaxie ne répond plus que par intermittence. L’échéance a été reportée au 1er, puis au 5 avril. Nous assurons de notre sympathie les docteurs précaires dont la recherche de poste est affectée par cette pantalonnade. Ils et elles sont très matériellement victimes de l’usine à gaz clientéliste du RIP E-C, financée par le vol de nos cotisations de pension de retraite.

Le ministère a placé très haut la barre du grotesque, mais nous avons décidé de relever le gant. Vous trouverez dans ce message une tentative d’emporter d’un fou rire les larmes que pourrait inspirer l’incompétence des technocrates grisâtres.

Cocon-struction

Cocon-struction

Excellence de chercheur contisée à l’Ail Noir de Reims

Choisir un chercheur label rouge de belle taille. Privilégier les races à chair ferme et goûteuse, comme l’anarcho-presbytérien, le trotsko-kabbaliste ou le bolcho-maométan. Après en avoir retiré la colonne vertébrale, la pièce doit être bridée, les pattes rentrées dans le ventre et repliées, frottées sur les filets et les cuisses avec un demi-citron, pour les conserver blanches. Tremper l’estomac dans du fonds blanc bouillant pour rafermir les chairs. En retirer les os, et emplir le vide de la carcasse d’une farce. Barder.

Détacher l’excellence à deux doigts du suprême, préalablement levé, façonné en anneau et réservé. Ne pas oublier l’autre : si l’excellence de droite (en regardant vers l’arrière), entre la peau et les os, ravit le palais délicat, l’excellence de gauche, plus persillée, confine au sublime.

Piler l’Ail Noir de Reims au mortier avec son poids en crème fermière. La formule, établie et réglée selon le principe de travail des grandes maisons devra nécessairement être réduite, modifiée au point de vue économique, quand elle est exécutée dans une maison autonome de moindre importance : il appartient à l’initiative de l’ouvrier, selon ses ressources propres, de suppléer à la sacralité propre à Reims.

Contiser l’excellence : mettre la crème de l’A.N.R. dans votre poche et l’instiller sous la peau. Procéder comme si c’était l’ultime année où l’on puisse co(n)tiser.

Serrer l’excellence et le suprême en ballotine dans un linge paraffiné en évitant toute entrée d’air : la cuisson de l’excellence, en 180 secondes, se fait à l’asphyxiée. Le suprême est à point quand il présente agilité et souplesse. L’excellence doit se courber sous la pression du doigt.

Dérouler délicatement le linge. Détailler l’excellence et procéder à un enfumage à l’ancienne. En l’absence de fumoir, escaloper au wok les rondelles d’excellence dans un peu de beurre avec un jus de mandarinat pour réveiller la viande.

Seule une rondelle de ballotine sur 10 peut être qualifiée de parfaite. Jeter les autres. Dresser sur un plat avec 10 boules de truffes à la cuillère, napper de sauce Mornex. Entourer de tartelettes garnies de pointes d’asperge et farcies d’un salpicon de foie gras. Une belle lame de langue de bois écarlate taillée en crête de coq entre chaque tartelette.

Note. en saison, et pour un goût plus suave, l’Ail Noir peut être remplacé par l’ail des ours.

Dans l’antre des grands fauves

Dans l’antre des grands fauves

Dans l’antre des grands fauves

Pourquoi Omicron s’appelle-t-il également BA.1 et en même temps BA.2 ?

Pourquoi Omicron s’appelle-t-il également BA.1 et en même temps BA.2 ?

Création de l’Université expérimentale de Bourges

Université expérimentale de Bourges

Le Berry Républicain daté du 20 mars 2022.

Tel le super phénix, 233 ans après sa dissolution par les hordes sanguinaires de la Révolution française, l’Université de Bourges renaît de ses cendres. Ce joyau de  l’innovation pédagogique est une première en France : lauréate de l’Appel à projets d’excellence ReussEx, l’Université de Bourges garantit la réussite à 100 % de ses inscrits. Économie de temps ; économie de moyens ; l’Université de Bourges est tournée vers le service de proximité : dès le paiement des frais par carte bleue, le diplôme est délivré, clés en mains. C’est le duc de Berry, fondateur en 1463 de l’université par ordonnance de son frère, Louis XI, qui serait fier de voir ainsi son œuvre se poursuivre… On murmurait hier lors de l’inauguration qu’Aubigny-sur-Nère et Vailly-sur-Sauldre seraient déjà sur les rangs pour ouvrir des antennes de cette vraie, belle université de proximité.

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Vous voler votre montre pour vous donner l’heure. Et pas la bonne.

Vous voler votre montre pour vous donner l’heure. Et pas la bonne.

Deux points dans ce billet : le lien entre le nouveau régime d’indemnisation RIP E-C et la réforme des retraites ; et une analyse plus longue sur le rôle des cabinets de consultance dans les processus de réforme de ces quinze dernières années. Ces deux points sont précédés d’un préambule relatif à notre non-intervention dans le contexte électoral.

Préambule

Nous nous trouvons actuellement dans ce qu’il est convenu d’appeler la « dernière ligne droite » d’une élection présidentielle qui restera dans les annales pour son indigence politique. Notre collectif est constitué de contributrices et de contributeurs qui ne votent pas identiquement et ne veulent pas savoir ce que les autres votent. Soutenir telle ou telle candidature serait trahir toutes celles et tous ceux d’entre vous qui avez appuyé des initiatives de RogueESR et votez pour A, B ou C, et ce au moment même où, face à un avenir qui s’annonce particulièrement difficile, nous aurons besoin de toutes les forces et de toutes les bonnes volontés pour maintenir un horizon émancipateur pour l’Université et la recherche. Ce chemin de la reconstruction est le seul qui nous engage en tant que collectif.

  1. Comment la « revalorisation » et le RIP E-C peuvent-ils être financés, à budget total constant ?

Au moment où les universitaires découvrent la nouvelle usine à gaz des primes (RIP E-C, régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs, et prime individuelle C3) issues de la loi de programmation de la recherche (LPR) et supposées constituer une « revalorisation », les directions des syndicats d’accompagnement s’auto-congratulent de cette « vraie dynamique », de ces « réelles avancées ».

Cependant,la seule réalité qui vaille, ce sont les budgets. Or, ceux de l’Université sont stagnants. Il n’y a rigoureusement rien d’« inédit et historique » dans la loi de programmation de la recherche (LPR), mais une évolution des budgets universitaires calée sur l’inflation, accompagnée de mesures de dérégulation des statuts et de précarisation. La figure 1 ci-dessous le démontre : il n’y a aucune revalorisation financée, alors même que l’essentiel du budget est destiné à payer salaires et primes.

Figure 1. (a) Évolution du budget de l’Université (subvention pour charge de service public du programme 150) en euros constants de 2022 et du budget économisé par ponction dans les cotisations prévue par le projet de loi sur les retraites (article 18). (b) Évolution des dépenses par étudiant, en euros constants (base 100 en 2008). Données compilées par Thomas Piketty et Lucas Chancel.

Comment est-ce possible ? S’agit-il de mettre les établissements universitaires en déficit par une loi insincère dont les mesures ne sont pas financées ? S’agit-il de créer les conditions sous lesquelles les universitaires en viendraient à souhaiter l’augmentation des frais d’inscription que M. Macron appelle de ses vœux ?

La réponse est plus simple : la LPR a été négociée à Bercy en conjonction avec la loi sur les retraites, dont l’article 18 prévoit une baisse graduelle de la part patronale des cotisations de pension de retraite (en jaune sur la figure 1). C’est ce prélèvement sur la part socialisée du salaire qui permet son reversement partiel sous forme de primes. En résumé, la « revalorisation » est financée par la diminution de nos retraites. Aussi n’y avait-il pas grand suspense sur le retour de la loi sur les retraites, désormais annoncée.

Le recours à l’enfumage pour masquer un nouveau train de mesures de caporalisation et de racket ajoute le mépris de nos capacités analytiques à la démolition de nos métiers.

Figure 2. (a) Évolution du budget alloué aux cabinets de consultance. (b) Évolution du budget d’intervention alloué à la recherche (appels à projets) par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Les données de 2020 et 2021 ne figurent plus dans les documents budgétaires de la représentation nationale ; le rapport d’activité de l’ANR en 2021 n’est pas encore paru; le montant en hachure a été calculé à partir du nombre de projets acceptés, en supposant constant le montant par projet. (c) Montant des contrats passés avec des cabinets de consultance pour définir la politique sanitaire contre l’épidémie de Covid 19 (hors Santé publique France). Les conseils en matière de masques ont été fournis par Citwell, JLL et Roland Berger. (d) Nombre de projets soumis (orange, axe de gauche) et nombre de projets financés (vert, axe de gauche) par l’ANR. Le taux de sélection (violet, axe de droite) est le rapport entre les deux nombres.
  1. Cabinets de consultance : l’État au service et sous le contrôle du privé

Le 16 mars 2022, un rapport sénatorial paraît, qui porte sur le recours croissant à des cabinets de consultance par l’État.

Résumons à grands traits les soupçons de malversation qui ont retenu l’attention ces derniers jours, avant d’en venir au cœur de notre propos. Le travail du Sénat fait apparaître des contrats de complaisance avec le cabinet McKinsey, pour des montants démesurés pour le travail indigent effectué, quand il existe. Par ailleurs, une vingtaine de consultants partners et juniors de McKinsey a participé, aux côtés de l’Institut Montaigne, à l’élaboration du programme de M. Macron en 2017, ce qui pourrait constituer un don de personne morale à un parti politique, interdit par la loi. Dernier élément, le cabinet McKinsey, en plus d’être porteur d’un sabotage méthodique des services publics, offre « un exemple caricatural d’optimisation fiscale », pour reprendre les termes du Sénat, puisque le cabinet ne paye plus d’impôts en France depuis 10 ans. Ces éléments ont conduit le Sénat à porter plainte pour « faux témoignage » après la déposition mensongère de M. Tadjeddine, responsable du pôle secteur public de McKinsey.

Laissant de côté ces éléments qui intéressent désormais la justice, nous nous concentrerons ici sur l’usage fait de ces cabinets dans l’enseignement supérieur et la recherche.

Pour commencer, faisons retour sur la question qui occupait la première partie de ce billet. Le 21 novembre 2019, la Caisse nationale d’assurance vieillesse commande au cabinet McKinsey une prestation de conseil : comment aligner le régime des retraites de la fonction publique sur celui du secteur privé, de sorte à diminuer les cotisations de pension de retraite des fonctionnaires ? Pour le tarif global de 920 000 €, soit 2 700 € par jour, les consultants de McKinsey établissent ce qu’il faut bien appeler un programme de mise en crise du régime de retraites, pour l’heure à l’équilibre pour deux décennies. Le résultat concret de cette commande, un « livrable » de 50 pages accompagné d’un « power-point », occulte volontairement la participation du cabinet.

Le 1er janvier 2020, la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) commande au cabinet McKinsey un rapport sur l’évolution du métier d’enseignant, monnayé 496 800 €, soit 3 312 € par jour. Un an après, à l’issue d’un pseudo-colloque sur le sujet, un rapport indigent paraît effectivement, mais il est signé de Yann Algan, Stanislas Dehaene, Élise Huillery, Elena Pasquinelli et Franck Ramus, de nouveau sans aucune mention de McKinsey,. Cette manifestation est caractéristique des événements en « zone grise » qui usent et abusent du prestige académique à des fins idéologiques ou économiques. Le 25 février 2020, le ministère de l’Éducation nationale écrit au directeur associé du cabinet de conseil McKinsey, lui demandant de reporter le « copil McKinsey » du lendemain pour que le ministre, Jean-Michel Blanquer, « puisse y participer, car tel est son souhait ». « N’appelons pas cette instance “copil McKinsey” mais “copil DITP Enseignant XXI”. C’est important que cela apparaisse dans les agendas. », rectifie le consultant par retour de courrier.

Le 21 septembre 2021, la loi de programmation de la recherche (LPR) est présentée à l’Assemblée nationale. On y trouve, au milieu des mesures de dérégulation des statuts des universitaires, un projet porté par McKinsey et Bluenove pour le compte du secteur agro-industriel : un science media centre en partenariat public-privé visant à supprimer des rédactions les journalistes scientifiques en les remplaçant par des fiches à usage de journalistes non spécialisés. Le modèle anglais du science media centre montre qu’il s’agit d’empêcher l’accès médiatique direct des chercheurs et de promouvoir une « information » sous contrôle du secteur privé, et à son profit.

Le 6 janvier 2022, le 125 000ème décès du Covid en milieu hospitalier est enregistré, ce qui correspond au total à 150 000 morts environ. En proportion du nombre d’habitants, l’Allemagne a 27 % de décès en moins, et la Nouvelle-Zélande 99 % en moins. Pendant deux ans, la communauté scientifique a proposé son aide pour concevoir une politique de prévention qui se fonde sur l’analyse de la littérature savante, mais aussi pour aider aux aspects logistiques, déficients. En vain. Dans le même temps, le cabinet Véran a passé 47 contrats en faveur de 8 cabinets pour un montant de 25 millions d’euros, avec le résultat que l’on constate : à la sixième vague de Covid, le déni de transmission aéroportée du SARS-CoV-2 et le fantasme de l’immunité de groupe persistent ; aucun investissement n’a été consenti pour en finir avec la pandémie et prévenir les suivantes. Il est particulièrement choquant que le cabinet McKinsey ait obtenu plus de 12 millions d’euros de contrats en étant co-responsable du scandale sanitaire de l’OxyContin, qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts aux USA.

Figure 3. La dernière note du cabinet McKinsey sur la transition vers l’endémicité permet de prendre la mesure de l’incompétence scientifique des cabinets de consultance sollicités dans le cadre de la gestion de la pandémie, incompétence que la production d’éléments de langage stéréotypés peine à dissimuler.

Le recours aux cabinets de consultance entretient un lien systémique avec la sape des normes d’intégrité scientifique et d’autonomie intellectuelle que vivent la recherche et l’Université depuis vingt ans. Ce lien ne se réduit pas au contraste saisissant entre les préconisations sanitaires des consultants et ce qu’aurait été un appareil sanitaire fondé sur la connaissance scientifique : il s’agit d’un lien historique très concret. Pour le comprendre, il convient de remonter au 23 janvier 2008, date de remise à M. Sarkzoy du « Rapport sur la libération de la croissance », dit rapport Attali. M. Macron était le rapporteur général adjoint de la « commission Attali », avant d’en devenir membre à part entière en qualité de gérant au sein de Rothschild & Cie. Ce document représente une rupture dans l’histoire de l’Université française, concomitante de la loi Pécresse (loi « Libertés et Responsabilités des Universités », votée à l’été 2007). Cet acte de naissance des Initiatives d’Excellence (IdEx) et du Programme d’Investissements d’Avenir était la feuille de route pour 20 ans de réformes managériales de l’Université, dont on constate aujourd’hui les effets : différenciation, paupérisation, précarisation, bureaucratisation et mise en concurrence. Au sein de la commission figurent par exemple Pierre Nanterme, d’Accenture, Eric Labaye, dirigeant de McKinsey France parachuté depuis à la tête de l’Ecole Polytechnique, et d’autres encore.

On connaît la postérité de ce rapport : une suite ininterrompue d’excellents appels à projets qui ont conduit les appareils universitaires à dilapider l’argent public en faisant appel à d’excellents cabinets de consultance pour écrire de non moins excellents dossiers de candidature. Le cabinet Kurt Salmon Associates eut le marché pour la Comue Université Bretagne Loire, le cabinet Charles Riley Digital Focus pour Sorbonne Université, Ineum, Erdyn et Alcimed pour le pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) de l’Université de Bordeaux, Bearing Point France et Ernst & Young pour le PRES Université Paris Est, Deloitte pour la fusion de l’Université de Strasbourg, Ineum Consulting pour l’IdEx Sorbonne Paris Cité et Alcimed pour la Société d’Accélération du Transfert de Technologies (SATT) qui lui fut adossée — le recrutement du PDG de la SATT fut, lui, opéré par François Sanchez Consultant. Les 17 candidatures aux IdEx ont ainsi été facturées autour de 400 000 euros par dossier dépourvu de sens. On sait moins, en revanche, que les cabinets de consultance avaient parallèlement été mis à contribution pour concevoir les excellents appels à projets, auxquels ils rédigeaient ensuite leurs excellentes réponses, contre espèces sonnantes et trébuchantes. Par ailleurs, la plupart des bureaucraties universitaires ont désormais recours pour définir les « stratégies d’établissements » à des cabinets de consultance comme Siris Academics, connus pour avoir des contrats avec le ministère. Ces cabinets privés sont utilisés pour « faire passer des messages » et négocier des ajustements entre les établissements et le ministère. Les navettes ministérielles n’ont donc pas disparu avec la pseudo-autonomie des établissements : elles ont tout simplement été privatisées.

En conclusion, il convient de circonscrire les raisons pour lesquelles ce recours aux cabinets de consultance est à ce point choquant pour le monde de l’Université et de la recherche. Il y a d’abord la médiocrité des travaux effectués, sans commune mesure avec les normes en vigueur dans la recherche. C’est particulièrement vrai pour des questions comme la pandémie de COVID-19 ou l’évolution du métier d’enseignant, pour lesquels écrire un rapport suppose de pouvoir établir une bibliographie scientifique, donc d’être formé à la recherche plutôt qu’au management et à la communication. Par ailleurs, le financement de ce type de travail de recherche aurait été incomparablement plus faible que les ponctions d’argent public opérées par les cabinets. Comment ne pas voir (figure 2) que le montant dépensé en rapports indigents par l’exécutif croit beaucoup plus vite que le montant que l’Agence nationale de la recherche consacre aux projets de recherche publique ?

La captation « tentaculaire » des politiques publiques par les cabinets de conseil traduit l’indifférenciation graduelle des sphères publique et privée, la transformation du conflit d’intérêt en norme positive et l’abandon de l’intérêt général au profit de l’intérêt particulier. Cette transformation idéologique du rôle de l’État, mis au service et sous le contrôle du privé, est passée par la transformation de la haute fonction publique depuis 20 ans. Les deux grands Corps (l’Inspection des finances, nourrie par l’ENA, et le Corps des mines, alimenté par l’École Polytechnique) conduisent à des trajectoires semblables : passage dans un cabinet ministériel pour étoffer le carnet d’adresses, puis « pantouflage » dans une entreprise privée (en particulier les cabinets comme McKinsey, Capgemini, BCG, etc.) pour faire fortune, avant de contribuer sur le tard à maintenir l’emprise des grands Corps sur les instruments financiers de l’État : Caisse des dépôts et consignations (CDC), Banque publique d’investissements (BPI), Commissariat général à l’investissement (CGI)… Lesquels endettent aujourd’hui graduellement nos établissements.

Ce qui provoque la stupeur du monde scientifique n’est pas tant le pouvoir pris par ces élites « scolairement dominées, mais socialement et économiquement dominantes » (selon une formule pertinente de P. Bourdieu) que le déclassement de la science, de la rationalité et du savoir au profit du management, de la communication et de la monétisation du vide intellectuel.