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Décevoir l’attendu

Décevoir l’attendu

« L’école, la caste, la tradition, avaient bâti autour d’eux un mur d’ignorance et d’erreur. »

Marc Bloch, L’étrange défaite, 1940.

« En cet instant où les politiciens en qui les adversaires du fascisme avaient mis leur espoir gisent à terre et aggravent leur défaite en trahissant leur propre cause, notre réflexion a pour but de libérer l’enfant politique du siècle, en le sortant des rets dans lesquels eux l’avaient corseté. Notre constat prend comme point de départ l’idée que la foi obstinée de ces politiciens dans le progrès, la confiance qu’ils plaçaient dans leur « base politique de masse » et pour finir leur appartenance servile à un appareil qu’ils ne contrôlent pas, ne sont que trois facettes d’une même réalité. »

Walter Benjamin, Thèses sur le concept d’histoire (extrait de la thèse X), 1940.

« Avant que l’étincelle n’arrive à la dynamite, il faut couper la mèche qui brûle. L’intervention, le danger et le rythme du politique sont techniques et non chevaleresques. »

Walter Benjamin, « Avertisseur d’incendie », Sens unique, 1928.

La pénombre s’étend ; nous ne sommes qu’en sursis. Le billet qui suit est divisé en deux parties : un diagnostic et une proposition de ligne de conduite.

Où en sommes-nous ?

Le programme de stabilité transmis par la France à la Commission européenne et portant jusqu’à la fin du quinquennat prévoit la baisse des dépenses publiques de 56% en 2022 à 53,1% en 2027. Il s’agit d’un programme d’austérité sans précédent, qui creuserait les inégalités par une baisse massive des dépenses sociales. L’accroissement délibéré des inégalités a pourtant déjà constitué un moteur important de la poussée de l’extrême-droite en France. Il est également prévu de baisser les investissements publics dans un moment où juguler la crise climatique supposerait au contraire un surcroît d’investissement. Ne pas redonner une perspective à la jeunesse accroîtrait significativement la probabilité d’une victoire de l’extrême-droite dans cinq ans. Comme universitaires, cette situation nous oblige, au-delà même de la défense de nos métiers. Plus que jamais, notre responsabilité devant la société doit s’exercer dans les semaines et les mois qui viennent, pour rouvrir l’horizon.

Le vote par classe d’âge. Les variables prédictives du vote sont le niveau de diplôme et la classe sociale, d’une part, et l’âge d’autre part. Dans cinq ans, pour des raisons démographiques et en l’absence de renversement des dynamiques, la base électorale du bloc gouvernemental deviendra minoritaire, l’extrême-droite ayant par ailleurs un petit temps d’avance sur le mouvement émancipateur.

La porosité du bloc gouvernemental à la phraséologie et aux mesures programmatiques de l’extrême-droite doit être combattue pied à pied. Chacun garde en mémoire la régression des libertés publiques, le harcèlement des réfugiés — et Frontex, et les camps offshore de rétention et de tri — ou la brutalité de la répression des mouvements sociaux, autant de choix qui ont conduit le ministre de l’Intérieur à juger Mme Le Pen « un peu molle » il y a quelques mois.

L’Université et la recherche sont témoins de ces dérives. Parmi les mesures marquantes du quinquennat, on retiendra notamment l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants extra-communautaires, mesure qui figurait au programme de Mme Le Pen en 2017. Peu après, Mme Vidal et M. Blanquer affichèrent leur volonté de « lutter » contre une Université coupable de « complicité intellectuelle du terrorisme » en invoquant la chimère du « wokisme » et l’inénarrable « islamo-gauchisme » supposé « gangréner » le monde académique. Le ministre de l’Éducation nationale ne cache du reste pas sa proximité avec le mouvement du « Printemps Républicain », dont La Voix du Nord a révélé qu’il contribuait également à la campagne de Mme Le Pen. Dans le même temps, M. Macron, qui n’a jamais désavoué ses ministres, jugeait le monde universitaire « coupable » d’avoir « cassé la République en deux », des propos réitérés il y a quelques jours seulement. Enfin, la gestion française de l’épidémie, qui s’achève en roue libre, a été l’occasion d’un mépris constant pour la communauté scientifique, depuis la visite officielle du président à M. Raoult jusqu’à l’obscurantisme des cabinets de conseil. Bilan : 165 000 morts, principalement vieux, pauvres ou fragiles. Du « darwinisme » en acte.

On ne saurait donc souscrire aux déclarations lénifiantes (ici ou ) des bureaucrates et ex-universitaires fidèles à leur ligne d’accompagnement de toutes les dérives depuis 20 ans. Les étudiants étrangers relégués, les collègues harcelés, la jeunesse paupérisée et les collègues précaires sacrifiés auraient à tout le moins justifié que ces appels au barrage ne prennent pas la forme de satisfecits lyriques. C’est la loi du genre : les courtisans de toutes couleurs présentent une unité de façade, pendant que la lutte des places se joue en coulisse.

Alors, que faire ?

Ce tableau préliminaire a de quoi faire baisser les bras. Mais l’alerte est trop sérieuse pour que nous nous autorisions une position de simples spectateurs. L’urgence est de penser le rôle de l’Université et de la recherche dans la société démocratique que nous voulons construire, et de trouver les moyens de mettre en œuvre une évolution émancipatrice sans attendre qu’on nous l’octroie. Nous voulons un système universitaire et scientifique fondé sur l’exigence, l’éthique et la liberté, sur l’articulation entre principe d’autonomie et responsabilité démocratique, sociale, écologique. Cela n’est possible qu’à des conditions budgétaires et statutaires rendant la maîtrise d’un temps long à la communauté académique. Mais cela demande aussi une réorganisation des pratiques collégiales, dans le sens de la transparence, du désintéressement et de la circulation de l’information. Le plan de cinquante propositions élaborées par la communauté universitaire reste notre boussole, dont certains aspects peuvent être mis en œuvre dès maintenant. En instituant dès aujourd’hui les pratiques de l’Université de demain, il s’agit à la fois d’entraver concrètement les contre-réformes, et de construire positivement les fondations du système que nous voulons.

Le préalable indispensable est de reprendre les prérogatives politiques dont nous nous sommes laissés déposséder par la camarilla des présidents, des DGS, des directeurs de cabinets et autres consultants, dont la complaisance pour le gouvernement s’étale maintenant à longueur de journaux. Cela signifie par exemple :

  • convoquer nous-mêmes plusieurs fois par semestre des assemblées générales des universitaires, où les élus soient invités à rendre compte de leur mandat 
  • nous former collectivement aux cadres réglementaires et budgétaires de l’Université et de la recherche, afin de retrouver la capacité de contredire les discours gestionnaires fallacieux 
  • opposer la légitimité des enseignants et administratifs de terrain à l’incurie autoritaire des directions centrales 
  • communiquer largement les documents internes, procès-verbaux, comptes-rendus, etc. pour les mettre à disposition de la communauté 
  • pour les collègues siégeant dans des instances, refuser de voter des documents transmis à la dernière minute ou trop longs pour avoir été lus intégralement par les membres du conseil ou de la commission concernée. 

Parallèlement, nous devons organiser les solidarités concrètes. Le fonds de soutien à la liberté académique, dont les statuts sont en cours d’élaboration, en est un moyen concret et financé, pour parer aux coups durs. Il ne suffira pas. Nous devons pouvoir compter les uns sur les autres au sein de nos établissements et retrouver le goût du collectif. Une association adossée au fonds de soutien constituerait un moyen d’articuler ces réseaux de solidarité. La condition d’existence d’une telle association est l’intérêt d’au moins un millier de collègues (une dizaine par établissement) ; nous en sommes loin à ce jour. L’association aurait à prendre en charge la solidarité avec les collègues menacés à l’étranger et en France, et porterait les exigences de la communauté scientifique concernant la liberté académique, les statuts et les normes et les procédures d’appréciation du travail savant. Il faudrait par exemple obtenir une protection des sources en sciences humaines du même type que celle des journalistes. Il faudrait défendre la non-automaticité de la mise en examen pour diffamation pour empêcher les procès bâillon qui se multiplient. Il faudrait également travailler à l’élaboration d’un statut plus protecteur de la liberté scientifique pour les universitaires et les chercheurs. Dans ce contexte, l’association aurait encore à défendre les droits des chercheurs et universitaires précaires et l’emploi statutaire. L’association servirait à constituer un réseau de solidarité juridique : guide des droits, dispositif de veille et de conseil, répertoire d’avocats « amis » permettant de minorer le problème des frais de justice. Elle permettrait d’exercer une pression sur les présidences pour garantir l’obtention systématique de la protection fonctionnelle. Il faudrait en particulier obtenir son extension aux doctorants. L’association aurait à travailler en bonne intelligence avec les réseaux existants et poursuivant des buts similaires.

Tout cela nécessite du temps, et donc la mise en œuvre d’un nouvel ordre de priorités, impliquant la relégation des activités qui nous assomment mais sont en réalité beaucoup moins urgentes. Si nous ne ré-investissons pas urgemment du temps et de l’énergie dans la constitution d’une Université émancipatrice, alors nous la perdrons durablement.


À titre informatif, le texte que nous avions écrit au cas où Mme Le Pen serait élue peut être consulté à cette adresse :

https://rogueesr.fr/entrer-en-resistance/

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Is our planet great again ?

  1.  Une nouvelle procédure bâillon, intentée par l’IFOP

Les procédures bâillon visent à intimider, à faire perdre du temps et de l’argent et à faire commettre des erreurs aux chercheurs visés. Il arrive le plus souvent qu’elles portent délibérément sur des propos secondaires, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, ce qui conduit encore certaines présidences à refuser la protection fonctionnelle. Pourtant, la protection fonctionnelle est de droit en cas de poursuites pénales dès lors que les faits avérés n’ont pas le caractère d’une faute personnelle.

Deux procédures bâillon intentées par des chercheurs devraient être jugées ce mois-ci, ce qui donne l’ampleur nouvelle du phénomène. Il s’agit de violations majeures de l’éthique scientifique : les tentatives de judiciarisation du débat scientifique à des fins d’intimidation sont inacceptables. Nous reviendrons dans un prochain billet sur l’association et le fonds de défense de la liberté universitaire : nous encourageons dès maintenant les collègues au reversement partiel (voire intégral) des primes C3 du RIP E-C au fonds de dotation. Les dotations ouvrent droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % du montant des dons dans la limite de 20 % du revenu imposable.

Alors qu’il s’apprêtait à publier son livre 10 Leçons sur les sondages politiques chez De Boeck, notre collègue Alexandre Dezé a appris qu’il faisait l’objet d’une plainte pour diffamation de la part de l’IFOP pour les propos suivants, tenus dans Le Monde du 11 septembre 2020, à propos d’une enquête de l’institut de sondages portant notamment sur le rapport des musulmans aux attentats de Charlie Hebdo : « Avec un échantillon aussi faible, de 515 personnes, ce sondage n’a aucune valeur et ses conclusions sont discutables. La faiblesse méthodologique est délirante et en même temps il y a une croyance indéboulonnable que ces sondages sont de la science ». Les critiques scientifiques des sondages d’opinion en soulignant les faiblesses méthodologiques et le caractère pseudo-scientifique ne sont pourtant pas une nouveauté.

Pour soutenir notre collègue, vous pouvez signer la lettre initiée par la section 04 du CNU :

https://semestriel.framapad.org/p/soutien-a-alexandre-deze-9tfq?lang=fr

  1.  Is our planet great again ?

Le GIEC vient juste de publier un nouveau rapport sur l’état des émissions de CO2 et sur les moyens nécessaires pour les réduire à temps, une occasion pour nous de revenir sur la responsabilité de la communauté scientifique devant la société :

https://report.ipcc.ch/ar6wg3/pdf/IPCC_AR6_WGIII_SummaryForPolicymakers.pdf

Jamais autant de gaz à effet de serre n’a été émis que lors de la dernière décennie. Elles sont de 54 % supérieures à ce qu’elles étaient en 1990, lorsque les négociations internationales sur le climat ont commencé. Les 10 % les plus riches sont à l’origine de 40 ± 5% de ces émissions contre 14 ± 1 % pour la moitié de la planète la plus pauvre. Une large majorité des flux financiers privés et publics dans le domaine énergétique irrigue les industries fossiles — et continue de produire une désinformation scientifique, comme le montre la licence BNP-Paribas de PSL. Les trajectoires actuelles conduisent a minima la planète vers une hausse moyenne de + 3,2°C d’ici à la fin du siècle. Il est désormais clair que la réallocation du capital nécessaire à la transition bas-carbone nécessite un interventionnisme politique fort, aujourd’hui totalement absent en France et ailleurs.

Il y a tout juste 5 ans, le 22 Avril 2017, « jour de la Terre » et du premier tour des élections présidentielles en France, plus d’un million de personnes dans le monde ont participé à une March for Science dans le but d’affirmer la valeur de la science, en réponse à l’obscurantisme de Donald Trump. Le candidat Macron, surfant opportunément la vague de ce mouvement, avait dans le cours de sa campagne invité dans une vidéo les scientifiques étasuniens à venir trouver refuge en France. Cette opération de communication lui avait permis de se poser en défenseur d’un libéralisme politique éclairé et écologiste, et d’obtenir le soutien d’une partie de la communauté universitaire.

C’est dans le sillage de cette première opération de communication, et après son élection, que M. Macron a lancé son fameux slogan « Make our planet great again », qui fut un succès international (jusqu’à être consacré « champion de la terre » par l’ONU en 2018) sans que quiconque ne sache de quoi il retournait, si ce n’est la promesse de sauver la planète et les scientifiques.

Cinq ans après, la France ne respecte pas les engagements climatiques de l’accord de Paris. La promesse de fermer la totalité des centrales à charbon avant la fin du mandat n’a pas été tenue et des alliances toxiques avec des États soutenant le recours au gaz fossile ont été nouées. Plusieurs dizaines de milliards d’euros d’argent public français ont été accordés aux énergies fossiles (pétrole et gaz) et la France est le seul État européen à ne pas avoir rempli ses objectifs de développement des énergies renouvelables. La crise sanitaire a été l’occasion de transferts massifs (des dizaines de milliards à nouveau) vers les secteurs aérien et automobile. Les émissions de gaz à effet de serre dues aux transports ont stagné et le démantèlement du réseau ferré secondaire s’est accentué. Autre préoccupation environnementale, la biodiversité n’a connu, elle-aussi, que des discours sans lendemain.

La convention citoyenne pour le climat à été l’occasion de mettre en œuvre l’une des techniques de néo-management destinées à occuper les contestataires et à fabriquer le consentement : la comitisation, équivalent des « groupes de travail » à l’échelle de la société. Cette « convention » a été organisée par le cabinet de conseil Eurogroup pour 1,9 million d’euros et préparée par un livrable du cabinet Boston Consulting Group (BCG). Les recommandations principales, pourtant très encadrées par les recommandations d’« experts » sélectionnés, n’ont pas été suivies d’effet, pas plus que celles du Haut Conseil pour le Climat, qui a occupé plusieurs scientifiques reconnus sur les questions climatiques.

« Make our planet great again » a consisté en un appel à projet co-financé par le CNRS, d’un montant total de quelques millions d’euros, à comparer aux 3 milliards du budget du CNRS. L’appel a conduit à financer une poignées de contrats précaires pour quelques scientifiques, pour l’essentiel des français partis en post-doc et trouvant dans cet appel une occasion de retour en France. L’impact de l’appel sur l’activité scientifique n’a pas été évalué, pas plus que le désinvestissement massif dans les universités et les organismes de recherche opéré pendant la même période. Aucun organisme de recherche et aucun établissement d’enseignement supérieur n’a été sollicité par l’exécutif ou le ministère pour travailler, sur des bases scientifiques, à la question de la transition écologique, que ce soit pour ces établissements eux-mêmes ou pour le reste de la société. Le CNRS, co-animateur de l’appel à projet « Make our planet great again », n’a même pas fait l’effort de produire son bilan de gaz à effet de serre, conformément à l’obligation légale qui lui est faite.

C’est au sein de la communauté scientifique que la réflexion autour de ces questions a émergé, au sein du collectif Labos 1point5, qui a défini à la fois les termes d’une recherche scientifique sur l’empreinte environnementale de la science et les principes devant guider la construction d’une éthique environnementale de la recherche. Se posant comme extension de l’éthique académique à la fois dans sa dimension individuelle et collective, l’éthique environnementale de la recherche suppose que la communauté savante fixe elle-même les limites du « productivisme scientifique », dans un mouvement de transformation et de réappropriation des métiers de la recherche conforme au principe d’autonomie.

Puisque l’imploration des « décideurs » est manifestement inefficace (la crise du COVID en témoigne cruellement), la communauté scientifique n’a d’autre choix que d’accroître sa capacité d’auto-organisation pour trouver d’autres ressorts à la mise en œuvre des politiques qui font défaut.

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Quelques poissons perdus dans la galaxie

Quelques poissons perdus dans la galaxie

Préambule

Pour le 1er avril, le Ministère, en calant l’échéance de la campagne de recrutement synchronisée des enseignants-chercheurs le même jour que celle des candidatures aux primes du RIP E-C, à la même heure qui plus est, a organisé lui-même une vaste attaque par déni de service contre ses propres serveurs. C’est ainsi que depuis le 30 mars au soir, Galaxie ne répond plus que par intermittence. L’échéance a été reportée au 1er, puis au 5 avril. Nous assurons de notre sympathie les docteurs précaires dont la recherche de poste est affectée par cette pantalonnade. Ils et elles sont très matériellement victimes de l’usine à gaz clientéliste du RIP E-C, financée par le vol de nos cotisations de pension de retraite.

Le ministère a placé très haut la barre du grotesque, mais nous avons décidé de relever le gant. Vous trouverez dans ce message une tentative d’emporter d’un fou rire les larmes que pourrait inspirer l’incompétence des technocrates grisâtres.

Cocon-struction

Cocon-struction

Excellence de chercheur contisée à l’Ail Noir de Reims

Choisir un chercheur label rouge de belle taille. Privilégier les races à chair ferme et goûteuse, comme l’anarcho-presbytérien, le trotsko-kabbaliste ou le bolcho-maométan. Après en avoir retiré la colonne vertébrale, la pièce doit être bridée, les pattes rentrées dans le ventre et repliées, frottées sur les filets et les cuisses avec un demi-citron, pour les conserver blanches. Tremper l’estomac dans du fonds blanc bouillant pour rafermir les chairs. En retirer les os, et emplir le vide de la carcasse d’une farce. Barder.

Détacher l’excellence à deux doigts du suprême, préalablement levé, façonné en anneau et réservé. Ne pas oublier l’autre : si l’excellence de droite (en regardant vers l’arrière), entre la peau et les os, ravit le palais délicat, l’excellence de gauche, plus persillée, confine au sublime.

Piler l’Ail Noir de Reims au mortier avec son poids en crème fermière. La formule, établie et réglée selon le principe de travail des grandes maisons devra nécessairement être réduite, modifiée au point de vue économique, quand elle est exécutée dans une maison autonome de moindre importance : il appartient à l’initiative de l’ouvrier, selon ses ressources propres, de suppléer à la sacralité propre à Reims.

Contiser l’excellence : mettre la crème de l’A.N.R. dans votre poche et l’instiller sous la peau. Procéder comme si c’était l’ultime année où l’on puisse co(n)tiser.

Serrer l’excellence et le suprême en ballotine dans un linge paraffiné en évitant toute entrée d’air : la cuisson de l’excellence, en 180 secondes, se fait à l’asphyxiée. Le suprême est à point quand il présente agilité et souplesse. L’excellence doit se courber sous la pression du doigt.

Dérouler délicatement le linge. Détailler l’excellence et procéder à un enfumage à l’ancienne. En l’absence de fumoir, escaloper au wok les rondelles d’excellence dans un peu de beurre avec un jus de mandarinat pour réveiller la viande.

Seule une rondelle de ballotine sur 10 peut être qualifiée de parfaite. Jeter les autres. Dresser sur un plat avec 10 boules de truffes à la cuillère, napper de sauce Mornex. Entourer de tartelettes garnies de pointes d’asperge et farcies d’un salpicon de foie gras. Une belle lame de langue de bois écarlate taillée en crête de coq entre chaque tartelette.

Note. en saison, et pour un goût plus suave, l’Ail Noir peut être remplacé par l’ail des ours.

Dans l’antre des grands fauves

Dans l’antre des grands fauves

Dans l’antre des grands fauves

Pourquoi Omicron s’appelle-t-il également BA.1 et en même temps BA.2 ?

Pourquoi Omicron s’appelle-t-il également BA.1 et en même temps BA.2 ?

Création de l’Université expérimentale de Bourges

Université expérimentale de Bourges

Le Berry Républicain daté du 20 mars 2022.

Tel le super phénix, 233 ans après sa dissolution par les hordes sanguinaires de la Révolution française, l’Université de Bourges renaît de ses cendres. Ce joyau de  l’innovation pédagogique est une première en France : lauréate de l’Appel à projets d’excellence ReussEx, l’Université de Bourges garantit la réussite à 100 % de ses inscrits. Économie de temps ; économie de moyens ; l’Université de Bourges est tournée vers le service de proximité : dès le paiement des frais par carte bleue, le diplôme est délivré, clés en mains. C’est le duc de Berry, fondateur en 1463 de l’université par ordonnance de son frère, Louis XI, qui serait fier de voir ainsi son œuvre se poursuivre… On murmurait hier lors de l’inauguration qu’Aubigny-sur-Nère et Vailly-sur-Sauldre seraient déjà sur les rangs pour ouvrir des antennes de cette vraie, belle université de proximité.

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Vous voler votre montre pour vous donner l’heure. Et pas la bonne.

Vous voler votre montre pour vous donner l’heure. Et pas la bonne.

Deux points dans ce billet : le lien entre le nouveau régime d’indemnisation RIP E-C et la réforme des retraites ; et une analyse plus longue sur le rôle des cabinets de consultance dans les processus de réforme de ces quinze dernières années. Ces deux points sont précédés d’un préambule relatif à notre non-intervention dans le contexte électoral.

Préambule

Nous nous trouvons actuellement dans ce qu’il est convenu d’appeler la « dernière ligne droite » d’une élection présidentielle qui restera dans les annales pour son indigence politique. Notre collectif est constitué de contributrices et de contributeurs qui ne votent pas identiquement et ne veulent pas savoir ce que les autres votent. Soutenir telle ou telle candidature serait trahir toutes celles et tous ceux d’entre vous qui avez appuyé des initiatives de RogueESR et votez pour A, B ou C, et ce au moment même où, face à un avenir qui s’annonce particulièrement difficile, nous aurons besoin de toutes les forces et de toutes les bonnes volontés pour maintenir un horizon émancipateur pour l’Université et la recherche. Ce chemin de la reconstruction est le seul qui nous engage en tant que collectif.

  1. Comment la « revalorisation » et le RIP E-C peuvent-ils être financés, à budget total constant ?

Au moment où les universitaires découvrent la nouvelle usine à gaz des primes (RIP E-C, régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs, et prime individuelle C3) issues de la loi de programmation de la recherche (LPR) et supposées constituer une « revalorisation », les directions des syndicats d’accompagnement s’auto-congratulent de cette « vraie dynamique », de ces « réelles avancées ».

Cependant,la seule réalité qui vaille, ce sont les budgets. Or, ceux de l’Université sont stagnants. Il n’y a rigoureusement rien d’« inédit et historique » dans la loi de programmation de la recherche (LPR), mais une évolution des budgets universitaires calée sur l’inflation, accompagnée de mesures de dérégulation des statuts et de précarisation. La figure 1 ci-dessous le démontre : il n’y a aucune revalorisation financée, alors même que l’essentiel du budget est destiné à payer salaires et primes.

Figure 1. (a) Évolution du budget de l’Université (subvention pour charge de service public du programme 150) en euros constants de 2022 et du budget économisé par ponction dans les cotisations prévue par le projet de loi sur les retraites (article 18). (b) Évolution des dépenses par étudiant, en euros constants (base 100 en 2008). Données compilées par Thomas Piketty et Lucas Chancel.

Comment est-ce possible ? S’agit-il de mettre les établissements universitaires en déficit par une loi insincère dont les mesures ne sont pas financées ? S’agit-il de créer les conditions sous lesquelles les universitaires en viendraient à souhaiter l’augmentation des frais d’inscription que M. Macron appelle de ses vœux ?

La réponse est plus simple : la LPR a été négociée à Bercy en conjonction avec la loi sur les retraites, dont l’article 18 prévoit une baisse graduelle de la part patronale des cotisations de pension de retraite (en jaune sur la figure 1). C’est ce prélèvement sur la part socialisée du salaire qui permet son reversement partiel sous forme de primes. En résumé, la « revalorisation » est financée par la diminution de nos retraites. Aussi n’y avait-il pas grand suspense sur le retour de la loi sur les retraites, désormais annoncée.

Le recours à l’enfumage pour masquer un nouveau train de mesures de caporalisation et de racket ajoute le mépris de nos capacités analytiques à la démolition de nos métiers.

Figure 2. (a) Évolution du budget alloué aux cabinets de consultance. (b) Évolution du budget d’intervention alloué à la recherche (appels à projets) par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Les données de 2020 et 2021 ne figurent plus dans les documents budgétaires de la représentation nationale ; le rapport d’activité de l’ANR en 2021 n’est pas encore paru; le montant en hachure a été calculé à partir du nombre de projets acceptés, en supposant constant le montant par projet. (c) Montant des contrats passés avec des cabinets de consultance pour définir la politique sanitaire contre l’épidémie de Covid 19 (hors Santé publique France). Les conseils en matière de masques ont été fournis par Citwell, JLL et Roland Berger. (d) Nombre de projets soumis (orange, axe de gauche) et nombre de projets financés (vert, axe de gauche) par l’ANR. Le taux de sélection (violet, axe de droite) est le rapport entre les deux nombres.
  1. Cabinets de consultance : l’État au service et sous le contrôle du privé

Le 16 mars 2022, un rapport sénatorial paraît, qui porte sur le recours croissant à des cabinets de consultance par l’État.

Résumons à grands traits les soupçons de malversation qui ont retenu l’attention ces derniers jours, avant d’en venir au cœur de notre propos. Le travail du Sénat fait apparaître des contrats de complaisance avec le cabinet McKinsey, pour des montants démesurés pour le travail indigent effectué, quand il existe. Par ailleurs, une vingtaine de consultants partners et juniors de McKinsey a participé, aux côtés de l’Institut Montaigne, à l’élaboration du programme de M. Macron en 2017, ce qui pourrait constituer un don de personne morale à un parti politique, interdit par la loi. Dernier élément, le cabinet McKinsey, en plus d’être porteur d’un sabotage méthodique des services publics, offre « un exemple caricatural d’optimisation fiscale », pour reprendre les termes du Sénat, puisque le cabinet ne paye plus d’impôts en France depuis 10 ans. Ces éléments ont conduit le Sénat à porter plainte pour « faux témoignage » après la déposition mensongère de M. Tadjeddine, responsable du pôle secteur public de McKinsey.

Laissant de côté ces éléments qui intéressent désormais la justice, nous nous concentrerons ici sur l’usage fait de ces cabinets dans l’enseignement supérieur et la recherche.

Pour commencer, faisons retour sur la question qui occupait la première partie de ce billet. Le 21 novembre 2019, la Caisse nationale d’assurance vieillesse commande au cabinet McKinsey une prestation de conseil : comment aligner le régime des retraites de la fonction publique sur celui du secteur privé, de sorte à diminuer les cotisations de pension de retraite des fonctionnaires ? Pour le tarif global de 920 000 €, soit 2 700 € par jour, les consultants de McKinsey établissent ce qu’il faut bien appeler un programme de mise en crise du régime de retraites, pour l’heure à l’équilibre pour deux décennies. Le résultat concret de cette commande, un « livrable » de 50 pages accompagné d’un « power-point », occulte volontairement la participation du cabinet.

Le 1er janvier 2020, la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) commande au cabinet McKinsey un rapport sur l’évolution du métier d’enseignant, monnayé 496 800 €, soit 3 312 € par jour. Un an après, à l’issue d’un pseudo-colloque sur le sujet, un rapport indigent paraît effectivement, mais il est signé de Yann Algan, Stanislas Dehaene, Élise Huillery, Elena Pasquinelli et Franck Ramus, de nouveau sans aucune mention de McKinsey,. Cette manifestation est caractéristique des événements en « zone grise » qui usent et abusent du prestige académique à des fins idéologiques ou économiques. Le 25 février 2020, le ministère de l’Éducation nationale écrit au directeur associé du cabinet de conseil McKinsey, lui demandant de reporter le « copil McKinsey » du lendemain pour que le ministre, Jean-Michel Blanquer, « puisse y participer, car tel est son souhait ». « N’appelons pas cette instance “copil McKinsey” mais “copil DITP Enseignant XXI”. C’est important que cela apparaisse dans les agendas. », rectifie le consultant par retour de courrier.

Le 21 septembre 2021, la loi de programmation de la recherche (LPR) est présentée à l’Assemblée nationale. On y trouve, au milieu des mesures de dérégulation des statuts des universitaires, un projet porté par McKinsey et Bluenove pour le compte du secteur agro-industriel : un science media centre en partenariat public-privé visant à supprimer des rédactions les journalistes scientifiques en les remplaçant par des fiches à usage de journalistes non spécialisés. Le modèle anglais du science media centre montre qu’il s’agit d’empêcher l’accès médiatique direct des chercheurs et de promouvoir une « information » sous contrôle du secteur privé, et à son profit.

Le 6 janvier 2022, le 125 000ème décès du Covid en milieu hospitalier est enregistré, ce qui correspond au total à 150 000 morts environ. En proportion du nombre d’habitants, l’Allemagne a 27 % de décès en moins, et la Nouvelle-Zélande 99 % en moins. Pendant deux ans, la communauté scientifique a proposé son aide pour concevoir une politique de prévention qui se fonde sur l’analyse de la littérature savante, mais aussi pour aider aux aspects logistiques, déficients. En vain. Dans le même temps, le cabinet Véran a passé 47 contrats en faveur de 8 cabinets pour un montant de 25 millions d’euros, avec le résultat que l’on constate : à la sixième vague de Covid, le déni de transmission aéroportée du SARS-CoV-2 et le fantasme de l’immunité de groupe persistent ; aucun investissement n’a été consenti pour en finir avec la pandémie et prévenir les suivantes. Il est particulièrement choquant que le cabinet McKinsey ait obtenu plus de 12 millions d’euros de contrats en étant co-responsable du scandale sanitaire de l’OxyContin, qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts aux USA.

Figure 3. La dernière note du cabinet McKinsey sur la transition vers l’endémicité permet de prendre la mesure de l’incompétence scientifique des cabinets de consultance sollicités dans le cadre de la gestion de la pandémie, incompétence que la production d’éléments de langage stéréotypés peine à dissimuler.

Le recours aux cabinets de consultance entretient un lien systémique avec la sape des normes d’intégrité scientifique et d’autonomie intellectuelle que vivent la recherche et l’Université depuis vingt ans. Ce lien ne se réduit pas au contraste saisissant entre les préconisations sanitaires des consultants et ce qu’aurait été un appareil sanitaire fondé sur la connaissance scientifique : il s’agit d’un lien historique très concret. Pour le comprendre, il convient de remonter au 23 janvier 2008, date de remise à M. Sarkzoy du « Rapport sur la libération de la croissance », dit rapport Attali. M. Macron était le rapporteur général adjoint de la « commission Attali », avant d’en devenir membre à part entière en qualité de gérant au sein de Rothschild & Cie. Ce document représente une rupture dans l’histoire de l’Université française, concomitante de la loi Pécresse (loi « Libertés et Responsabilités des Universités », votée à l’été 2007). Cet acte de naissance des Initiatives d’Excellence (IdEx) et du Programme d’Investissements d’Avenir était la feuille de route pour 20 ans de réformes managériales de l’Université, dont on constate aujourd’hui les effets : différenciation, paupérisation, précarisation, bureaucratisation et mise en concurrence. Au sein de la commission figurent par exemple Pierre Nanterme, d’Accenture, Eric Labaye, dirigeant de McKinsey France parachuté depuis à la tête de l’Ecole Polytechnique, et d’autres encore.

On connaît la postérité de ce rapport : une suite ininterrompue d’excellents appels à projets qui ont conduit les appareils universitaires à dilapider l’argent public en faisant appel à d’excellents cabinets de consultance pour écrire de non moins excellents dossiers de candidature. Le cabinet Kurt Salmon Associates eut le marché pour la Comue Université Bretagne Loire, le cabinet Charles Riley Digital Focus pour Sorbonne Université, Ineum, Erdyn et Alcimed pour le pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) de l’Université de Bordeaux, Bearing Point France et Ernst & Young pour le PRES Université Paris Est, Deloitte pour la fusion de l’Université de Strasbourg, Ineum Consulting pour l’IdEx Sorbonne Paris Cité et Alcimed pour la Société d’Accélération du Transfert de Technologies (SATT) qui lui fut adossée — le recrutement du PDG de la SATT fut, lui, opéré par François Sanchez Consultant. Les 17 candidatures aux IdEx ont ainsi été facturées autour de 400 000 euros par dossier dépourvu de sens. On sait moins, en revanche, que les cabinets de consultance avaient parallèlement été mis à contribution pour concevoir les excellents appels à projets, auxquels ils rédigeaient ensuite leurs excellentes réponses, contre espèces sonnantes et trébuchantes. Par ailleurs, la plupart des bureaucraties universitaires ont désormais recours pour définir les « stratégies d’établissements » à des cabinets de consultance comme Siris Academics, connus pour avoir des contrats avec le ministère. Ces cabinets privés sont utilisés pour « faire passer des messages » et négocier des ajustements entre les établissements et le ministère. Les navettes ministérielles n’ont donc pas disparu avec la pseudo-autonomie des établissements : elles ont tout simplement été privatisées.

En conclusion, il convient de circonscrire les raisons pour lesquelles ce recours aux cabinets de consultance est à ce point choquant pour le monde de l’Université et de la recherche. Il y a d’abord la médiocrité des travaux effectués, sans commune mesure avec les normes en vigueur dans la recherche. C’est particulièrement vrai pour des questions comme la pandémie de COVID-19 ou l’évolution du métier d’enseignant, pour lesquels écrire un rapport suppose de pouvoir établir une bibliographie scientifique, donc d’être formé à la recherche plutôt qu’au management et à la communication. Par ailleurs, le financement de ce type de travail de recherche aurait été incomparablement plus faible que les ponctions d’argent public opérées par les cabinets. Comment ne pas voir (figure 2) que le montant dépensé en rapports indigents par l’exécutif croit beaucoup plus vite que le montant que l’Agence nationale de la recherche consacre aux projets de recherche publique ?

La captation « tentaculaire » des politiques publiques par les cabinets de conseil traduit l’indifférenciation graduelle des sphères publique et privée, la transformation du conflit d’intérêt en norme positive et l’abandon de l’intérêt général au profit de l’intérêt particulier. Cette transformation idéologique du rôle de l’État, mis au service et sous le contrôle du privé, est passée par la transformation de la haute fonction publique depuis 20 ans. Les deux grands Corps (l’Inspection des finances, nourrie par l’ENA, et le Corps des mines, alimenté par l’École Polytechnique) conduisent à des trajectoires semblables : passage dans un cabinet ministériel pour étoffer le carnet d’adresses, puis « pantouflage » dans une entreprise privée (en particulier les cabinets comme McKinsey, Capgemini, BCG, etc.) pour faire fortune, avant de contribuer sur le tard à maintenir l’emprise des grands Corps sur les instruments financiers de l’État : Caisse des dépôts et consignations (CDC), Banque publique d’investissements (BPI), Commissariat général à l’investissement (CGI)… Lesquels endettent aujourd’hui graduellement nos établissements.

Ce qui provoque la stupeur du monde scientifique n’est pas tant le pouvoir pris par ces élites « scolairement dominées, mais socialement et économiquement dominantes » (selon une formule pertinente de P. Bourdieu) que le déclassement de la science, de la rationalité et du savoir au profit du management, de la communication et de la monétisation du vide intellectuel.

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Quels outils pour une Université et une recherche libres

Une série de brèves dans le billet de cette semaine :

  1. Lancement d’une association de défense de la liberté académique, adossée à un fonds de dotation : le programme du jeudi 17 mars
  2. Défendre la liberté académique : soutien aux collègues d’Ukraine, de Russie et de Biélorussie
  3. ANR : l’absence de sérieux scientifique est-elle la norme ?
  4. Covid : la vague épidémique prédite à la mi-janvier est là
  5. Recherche : la France, 3ème dans un classement international
  6. CNRS : vers une transformation en agence de moyens ?

I. Lancement d’une association de défense de la liberté académique, adossée à un fonds de dotation : le programme du jeudi 17 mars

À l’occasion du lancement d’une association de défense de la liberté dans l’Université et la recherche, adossée à un fonds de dotation, le mini-colloque « Quels outils pour une Université et une recherche libres » débattra des menaces qui pèsent sur notre métier mais aussi des outils à mettre en œuvre pour y faire face. Le lieu a été choisi en lien avec l’incarcération en Iran de notre collègue Fariba Adelkhah depuis le 5 juin 2019.

Jeudi 17 mars, de 13h50 à 19h30

CERI – Salle de conférence – Rdc – 56 rue Jacob, 75006 Paris

Inscription obligatoire ici.

Le mini-colloque sera également retransmise en direct sur la chaîne de Politique des sciences.

La session de 18h à 19h30 sera consacrée aux questions concrètes de création de l’association et du fonds de dotation et constituera la première réunion de toutes les personnes intéressées par le projet.

Programme

13h50 : Accueil des participants.

14h-14h50 : Aux avant-postes du danger.

La session témoignera des dangers qui affectent d’ores et déjà un nombre croissant d’universitaires à l’étranger.

Modératrice : Béatrice Hibou, directrice de recherche au CNRS (Ceri/Sciences Po)

Interventions :

  • Alexander Bikbov, chercheur associé au CERCEC (CNRS/EHESS) et au CMH (ENS/CNRS/EHESS)
  • Catherine Gousseff, directrice de recherche au CNRS (CERCEC/EHESS)
  • Ahmet Insel, directeur éditorial des éditions Iletisim

Pause

15h-17h45 : Menaces, pratiques, ripostes.

Modératrice : Johanna Siméant-Germanos, professeure, ENS Paris

La session se composera de cinq interventions qui répondront chacune pour son compte à une même série de questions. À partir de quels constats, de quelles menaces, de quels espoirs analyser la situation de la liberté académique ? Comment théoriser nos besoins et quels outils mettre en œuvre pour défendre cette liberté.

Interventions :

  • Nonna Mayer, directrice de recherche au CNRS (CEE/Sciences Po)
  • Olivier Beaud, professeur, Université Panthéon-Assas
  • Claude Gautier, professeur, ENS Lyon
  • Bruno Andreotti, professeur, Université Paris Cité
  • Felix Tréguer, postdoctorant au CERI (Sciences Po/CNRS) et chercheur associé au Centre Internet et Société (CNRS) (sous réserve)

Pause

18h : Fonder une association : quels objectifs, quels statuts, quels garde-fous ?

Modérateur : Bruno Andreotti, professeur, Université Paris Cité

Cette dernière session sera consacrée à débattre des modalités de création d’une association et/ou d’un fonds de dotation. Elle comportera une intervention synthétique sur l’articulation entre liberté académique, éthique et intégrité.

Intervenant :

  • Jacques Haiech, professeur, Université de Strasbourg

II. Défendre la liberté académique : soutien aux collègues d’Ukraine, Russie et Biélorussie

De nombreux collègues sont aujourd’hui en danger en Ukraine, mais aussi en Russie pour avoir pris des positions courageuses contre l’invasion militaire russe. Nous devons nous souvenir de l’abandon complet des collègues afghans par l’exécutif il y a quelques mois et nous mobiliser pour l’accueil de ces collègues. Cela suppose de recenser les capacités d’accueil, de financement et d’hébergement, laboratoire par laboratoire, UFR par UFR. Il est déjà évident que le programme PAUSE ne suffira pas. Ce pourrait être un premier travail pris en charge par l’association en cours de création pour défendre la liberté académique, ce qui suppose que nous y soyons nombreuses et nombreux à y travailler de manière effective.

Pour autant, nous ne devons pas exonérer les bureaucraties de leur responsabilité. Nous attirons votre attention vers un double courrier envoyé à la présidence du CNRS et aux présidences d’universités.

III. ANR : l’absence de sérieux scientifique est-elle la norme ?

Comme chaque année, de nombreux collègues découvrent avec stupéfaction la désinvolture avec laquelle la pré-proposition qu’ils ont adressée à l’agence nationale de la recherche (ANR) pour l’appel à projets générique (AAPG) a été traitée par les comités d’évaluation scientifique (CES) en charge de trier les dossiers admis pour un second tour. Projets non lus, non compris, éreintés sur des contresens, dénigrement de personnes, reproches portant sur des améliorations demandées lors d’une demande précédente, mauvaise foi, a priori — quand l’unique reproche adressé à un projet ne contrevient pas purement et simplement au règlement de l’ANR. Les motifs d’incompréhension ne manquent pas, pour les porteurs éliminés — et parfois également pour ceux qui passent.

Dans un contexte de pénurie de moyens, où les subventions d’État ne couvrent plus les besoins de la recherche, et où l’AAPG de l’ANR est devenu — pour beaucoup d’équipes, en particulier en recherche fondamentale — le principal, parfois l’unique guichet de ressources, les conséquences de ces « non » pour l’activité de recherche et la vie des collectifs sont extrêmement lourdes. De tels choix, expédiés en quelques minutes, en dehors de tout fondement scientifique, par la machinerie bureaucratique à laquelle participent, à la chaîne, quelques collègues surmenés, illustrent l’irrationalité de l’institution ANR.

Nous assurons de notre sympathie les collègues qui, comme beaucoup d’entre nous, se sont pris avec violence les quelques mots lapidaires, tenant le plus souvent de l’arbitraire bureaucratique, par lesquels l’ANR annonce l’absence de moyens pour effectuer leurs recherches. Certains d’entre eux trouvent encore le courage d’entreprendre des recours, afin d’interroger l’ANR sur la vacuité du processus qu’elle met en œuvre, l’absence de rationalité de ses décisions. Il serait important de procéder à une collecte des retours de l’ANR, adossés à une argumentation factuelle, afin d’évaluer l’ampleur de l’arbitraire auquel nous sommes confrontés, et les conséquences visibles sur le décrochage scientifique du pays.

IV. Covid : la vague épidémique prédite à la mi-janvier est là

L’analyse du remplacement des variants Omicron BA.1 par BA.2 au Danemark, et celle de l’irruption du variant Alpha un an auparavant, ont permis dès la mi-janvier de prédire la vague de variant BA.2 qui a repris depuis quelques jours. Elle s’accompagne d’une flambée d’hospitalisations dans plusieurs pays étrangers qui témoigne d’une possible érosion de l’immunité, au moins parmi les personnes les plus fragiles.

Alors que l’abandon des masques se généralise, dans un énième déni de la rationalité la plus élémentaire, les mesures de réduction de risque les plus simples (ventilation et masque FFP2) doivent au contraire être mises en œuvre, ce qui n’exonère pas d’investir enfin dans un programme de prévention.

V. Recherche : la France, 3ème dans un classement international

La France se classe juste derrière la Chine et les États-Unis dans un classement international significatif : le nombre de téléchargements sur le site russe Sci-Hub.

Le nombre de téléchargements témoigne de l’emprise des éditeurs privés sur leur clientèle captive, qui se trouve être aussi celle qui produit leur richesse : nous. Si l’on rapporte le nombre de téléchargements sur Sci-Hub au nombre de chercheurs, la France est encore 4ème, derrière la Colombie, les Philippines et la Malaisie, et juste avant l’Indonésie et le Brésil. Il y a 7 fois plus d’articles téléchargés par chercheur en France qu’en Allemagne…

Cet engouement pour Sci-Hub témoigne évidemment du caractère dysfonctionnel des bibliothèques numériques françaises, surtout pour les accès à distance. L’association Couperin en charge de la contractualisation avec les éditeurs, négocie un accès différencié pour les différents établissements et, à l’intérieur de ceux-ci, pour les différentes disciplines. Toute recherche multidisciplinaire se transforme ainsi en cauchemar… sauf à utiliser Sci-Hub.

VI. CNRS : vers une transformation en agence de moyens ?

Lors de son allocution du 13 janvier dernier, M. Macron a fait état de son souhait de transformer les organismes de recherche en « agences de moyens » pour les établissements universitaires. Cette proposition programmatique reprend celle de la Cour des comptes qui, outrepassant ses fonctions, a suggéré dans une note de transférer les chercheurs des organismes aux universités et de fusionner les organismes devenus agences de moyens au sein de l’ANR.

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En solidarité avec l’Ukraine

En solidarité avec l’Ukraine

Depuis quelques jours, l’attaque militaire russe en Ukraine a porté la guerre au cœur de l’Europe. Nous tenons à dire notre solidarité avec la population ukrainienne. Nos pensées vont en particulier vers nos collègues sur place et vers les étudiantes et étudiants venant d’Ukraine et qui peuvent se trouver actuellement en France, loin des leurs et de leur pays. Nous attirons votre attention sur cette pétition de soutien aux chercheurs et étudiants d’Ukraine.

Vous pouvez également consulter la prise de position du Groupement de recherche CNRS « Empire russe, URSS et monde post-soviétique. »

Nous tenons également à dire notre sympathie aux universitaires russes qui ont le courage de prendre publiquement la parole contre cette guerre, parfois au péril de leur carrière et de leur liberté. En portant ainsi une parole de droiture, de solidarité et de vérité face à la machine de propagande belliciste, ces collègues nous renvoient aux plus hautes exigences de la liberté académique. Le journal Le Monde a publié un texte de collègues russes, que nous portons à votre connaissance ci-dessous.

Que peut faire l’Université dans cette situation ? Soutenir matériellement et accueillir les collègues, les étudiantes et les étudiants ukrainiens mis en danger par la guerre est une évidence. Mais sur le long terme, cette guerre rappelle aussi l’importance politique de garantir des formations de haut niveau relatives aux langues, aux sociétés, aux économies et aux cultures de l’ensemble des pays et des régions du globe. Un maillage de formations de ce type représente une contribution décisive à la formation d’un appareil d’État et d’une société civile à même d’analyser et de comprendre des crises régionales ou globales souvent latentes mais risquant de connaître des phases paroxystiques aussi tragiques que cette guerre. Préparer notre pays à répondre efficacement et démocratiquement aux crises internationales impose de retrouver l’ambition perdue de la diversité linguistique et culturelle dans la formation des élites et du plus grand nombre. Cette crise s’ajoute à d’autres pour nous renvoyer à l’exigence collective de savoirs autonomes, inscrits dans la longue durée, et portant sur l’ensemble des champs de l’activité humaine.

Nous assurons de notre soutien chaleureux les collègues spécialistes de cette aire géographique, qui voient aujourd’hui la guerre déchirer les pays de leurs interlocuteurs scientifiques. Nous invitons toute la communauté universitaire à apporter son soutien et à témoigner sa solidarité aux nombreux chercheurs, doctorants et étudiants ukrainiens qui sont dans nos établissements d’enseignement supérieur et à tous ceux qui y seront accueillis dans les semaines et mois qui viennent.

Appel de 664 chercheurs et scientifiques russes :
« Nous exigeons l’arrêt immédiat de tous les actes de guerre dirigés contre l’Ukraine »

Dans une lettre ouverte publiée par Le Monde le 25 février, un collectif de chercheurs et de journalistes scientifiques russes dénonce l’entière responsabilité de la Russie dans le déclenchement du conflit. Par cet acte, « la Russie s’est condamnée à l’isolement sur la scène internationale et à un destin de pays paria », estiment-ils encore.

Nous, chercheurs et journalistes scientifiques russes, exprimons ici notre protestation énergique contre les actes de guerre lancés par les forces armées de notre pays sur le territoire de l’Ukraine. Cette décision fatale causera la mort d’un très grand nombre de gens. Elle sape les fondements du système de sécurité collective. La responsabilité du déclenchement de cette nouvelle guerre en Europe incombe entièrement à la Russie.

Cette guerre n’a aucune justification rationnelle. Les tentatives de manipuler la situation dans le Donbass et de s’en servir comme prétexte pour déclencher les opérations militaires ne dupent absolument personne. Il est évident que l’Ukraine ne représente aucune menace pour notre pays. La guerre contre elle est injuste et absurde.

L’Ukraine était et reste un pays dont nous sommes très proches. Nombreux sont ceux, parmi nous, qui y ont des parents, des amis et des collègues chercheurs. Nos pères, grands-pères et arrière-grands-pères ont combattu ensemble le nazisme. Déclencher une guerre pour satisfaire les ambitions géopolitiques des dirigeants de la Fédération de Russie, mus par des considérations historiques fantaisistes et douteuses, ce n’est pas autre chose que trahir leur mémoire.

La guerre avec l’Ukraine, c’est un pas dans le néant

Nous respectons l’Ukraine, voyant en elle un État fondé sur des institutions démocratiques qui fonctionnent. Nous comprenons le choix européen de nos voisins. Nous sommes convaincus que tous les problèmes entre nos deux pays peuvent être résolus de manière pacifique.

En déclenchant la guerre, la Russie s’est condamnée à l’isolement sur la scène internationale et à un destin de pays paria. Cela signifie que nous, les chercheurs, ne pourrons désormais plus faire nos recherches normalement, tant il est vrai que l’avancement des recherches scientifiques est impensable sans coopération approfondie avec les collègues des autres pays.

L’isolement de la Russie dans le monde va aggraver encore plus la dégradation culturelle et technologique de notre pays, tout en fermant toutes les portes de sortie. La guerre avec l’Ukraine, c’est un pas dans le néant.

C’est avec douleur que nous voyons notre pays, dont le rôle pour abattre le nazisme a été décisif, allumer en ce moment même une nouvelle guerre sur le continent européen. Nous exigeons l’arrêt immédiat de tous les actes de guerre dirigés contre l’Ukraine. Nous exigeons le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’État ukrainien. Nous exigeons la paix pour nos pays.

La traduction et la publication de cette lettre sont à l’initiative de chercheurs français travaillant sur la Russie, l’Ukraine et l’espace post-soviétique.

Premiers signataires : Aleksandr Anikin, linguiste, membre de l’Académie des sciences de Russie ; Jurij Apresjan, linguiste, membre de l’Académie des sciences de Russie ; Aleksandr Bondar, membre de l’Académie des sciences de Russie ; Viktor Vasil’ev, mathématicien, membre de l’Académie des sciences de Russie ; Mikhaïl Danilov, physicien, membre de l’Académie des sciences de Russie ; Jurij Kostitsyn, membre de l’Académie des sciences de Russie, docteur en géologie ; Aleksandr Moldovan, membre de l’Académie des sciences de Russie, philologue ; Serguej Nikolaev, académicien de l’Académie des sciences de Russie, philologue ; Konstantin Novoselov, physicien, lauréat du prix Nobel ; Valerij Rubakov, membre de l’Académie des sciences de Russie, physicien ; Roal’d Sagdeev, membre de l’Académie des sciences de Russie, physicien.

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Au Monopoly des savoirs

Au Monopoly des savoirs

Deux brèves cette semaine et une série de 50 questions adressées aux candidates et aux candidats à la présidentielle.

Lancement du fonds de dotation et de l’association de défense de la liberté académique

Afin de donner vie, avant la présidentielle, au fonds de dotation et à l’association de défense de la liberté académique imaginés il y a quelques mois, l’après-midi du jeudi 17 mars sera consacrée au lancement du projet. Il s’agira d’ouvrir la discussion sur la forme juridique, les objectifs et les garde-fous à mettre en œuvre, à partir d’une série d’exposés abordant différents aspects de la liberté académique. Le lieu et le programme seront précisés dès que possible.

Vous pouvez encore vous inscrire sur la mailing liste de préparation des statuts :

https://rogueesr.fr/20211004-2/#association

Ce que Bolloré fait à la liberté universitaire

Il y a un an exactement, le 14 février 2021, Mme Frédérique Vidal expliquait sur le plateau de la chaîne CNews qu’elle souhaitait lancer une « enquête du CNRS » pour faire la lumière sur « l’islamo-gauchisme » qui, selon elle, « gangrène l’Université ». Dans les semaines qui ont suivi, la liberté académique a subi une attaque politique inédite, promue notamment sur les chaînes du groupe Bolloré. La délation y a pris les proportions les plus absurdes, puisque dès la mi-février, même le président d’alors de Sorbonne Université, archétype du bureaucrate conformiste, y était nominativement dénoncé pour son « parti pris idéologique »… communiste. Le traitement fallacieux d’une affaire grenobloise dans laquelle la liberté académique n’était initialement pas en cause a pris des proportions dramatiques : des noms de collègues ont été livrés à la vindicte, et l’instauration d’un climat de délation a directement concouru à des rétorsions financières politiciennes par la région Auvergne-Rhône-Alpes contre l’IEP de Grenoble. Ce ne sont pas des faits isolés : il y a quelques semaines encore, à l’antenne, M. Cyril Hanouna s’en prenait nominativement à une chercheuse et à son institution, le CNRS, pour avoir osé publier une étude analysant preuves à l’appui ses biais politiques, et notamment son traitement de la candidature à la présidentielle d’un ancien chroniqueur de CNews coutumier lui aussi des falsifications historiques, religieuses, démographiques.

Non contents de vilipender le libre exercice de la raison, les médias du groupe Bolloré, depuis deux ans, promeuvent aussi activement le déficit d’intégrité scientifique dans leur traitement de la pandémie de COVID-19. Est-il besoin de rappeler le prime time de M. Hanouna à la gloire de la chloroquine au printemps 2020 (Didier Raoult et la chloroquine peuvent-ils sauver le monde ?, C8, 31 mars 2020), ou les innombrables plateaux de CNews expliquant à l’été 2020, contre toute évidence, qu’une deuxième vague épidémique n’aurait pas lieu ? Là encore, ce n’est pas un cas isolé : outre la falsification quotidienne des sciences sociales, on pourrait mentionner les invitations sans contradicteurs d’affabulateurs antivaccination ou la promotion sur les antennes du groupe d’un ouvrage co-écrit par le frère de M. Bolloré entreprenant de « prouver l’existence de Dieu » à coup de résultats scientifiques déformés et réinterprétés (« Dieu, la science, les preuves » : l’Univers a-t-il été engendré par un créateur intelligent ?, CNews, 16 novembre 2021).

Nous avons déjà analysé pourquoi l’affaiblissement des standards de probité intellectuelle fait système avec la campagne contre l’indépendance de la recherche et de l’Université. S’il y a bien un lieu où ces deux menaces n’en font qu’une, ce sont les médias du groupe Bolloré, qui tentent une synthèse entre un conservatisme de guerre froide et un « libertarianisme » sans frein. Dans cet espace, la liberté académique tout comme la liberté d’informer sont réduites à une caricature monstrueuse de « liberté d’opinion » autorisant à dire n’importe quoi sans argumenter ni se confronter aux faits. Ce groupe est en passe de s’octroyer un quasi-monopole sur la distribution des livres et de devenir hégémonique dans le secteur éditorial : il possédera bientôt plus de 70 % des livres scolaires, la moitié des livres de poche, une centaine de maisons d’édition. Défendre la liberté académique impose de réagir à cette menace. Le 16 février 2022, une initiative fédérant des journalistes, des maisons d’édition, des associations, des syndicats et des chercheurs a appelé à une saisine de l’Arcom en prélude à une action judiciaire.

https://www.stopbollore.fr/

Considérant que la liberté académique sera menacée en France aussi longtemps que ce déluge de falsifications et de calomnies se poursuivra, nous avons décidé de soutenir cette initiative.

50 questions pour les candidates et les candidats à la présidentielle

Nous adressons aux équipes des candidates et des candidats à l’élection présidentielle une liste de questions qui intéressent l’ensemble de la société et qui permettent de mesurer la place de la recherche, de l’enseignement et de l’Université dans leur vision de notre avenir collectif. Les réponses seront publiées au fur et à mesure de leur réception, sur le site :

https://www.franceuniversite.fr/reponses/

Les questions sont organisées en neuf grandes sections :

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Avancer masqué

Avancer masqué

« Comme un acteur met un masque pour ne pas laisser voir la rougeur de son front ; de même, moi qui vais monter sur le théâtre de ce monde où je n’ai été jusqu’ici que spectateur, je parais masqué sur la scène. Quand j’étais jeune, à la vue de découvertes ingénieuses, je cherchais si je ne pourrais pas en faire par moi-même sans l’aide d’un guide ; et c’est ainsi que je remarquai peu à peu que je procédais suivant des règles fixes. »

Descartes, Méditations privées, 1619.

Une brève joyeuse, cette semaine, ainsi qu’un billet long sur l’avis du Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) intitulé : FFP2, reste-t-il quelqu’un dans l’appareil d’État capable de faire une bibliographie intègre ? Le billet est accompagné d’une bibliographie scientifique commentée sur les masques FFP2.

Gripper la machine

Nous sommes plus de 12 000 à avoir signé la pétition de défense d’un cadre national garantissant l’autonomie collective des universitaires et des chercheurs face au féodalisme bureaucratique et aux conflits d’intérêt. Des fuites font aujourd’hui état d’hésitations du ministère devant la mobilisation de la communauté académique. Plus que jamais, nous vous invitons à signer la pétition, si ce n’est déjà fait.

Après l’ajournement du « Parcoursup des masters » qui aurait dû être lancé cet hiver, il s’agirait de la deuxième reculade significative du ministère en quelques semaines. De plusieurs endroits, l’information nous remonte également que le gouvernement aurait reculé sur l’obligation de recourir à une certification de langue privée en licence, ce qui permet aux établissements de passer par certificat commun des universités, le CLES — à défaut de revenir sur le principe même consistant à conditionner l’octroi d’un diplôme à l’obtention d’une certification extérieure à ce diplôme. Nous y voyons autant de signes du fait qu’un travail de mobilisation sur le long terme ciblant les aspects concrets de la dépossession de nos métiers est de nature à gripper la machine. Sans être suffisantes, les motions et les pétitions ont leur part dans ce travail.

Mais s’il y a lieu de se féliciter de cette première reconnaissance du principe de jugement par les pairs, on ne saurait pour autant s’en satisfaire. Au-delà du fait que l’existant n’est déjà plus défendable, ces reculades partielles et probablement temporaires ne doivent en aucun cas servir à acheter l’assentiment des universitaires titulaires devant le sacrifice d’une génération de précaires. Nous renouvelons donc notre appel à idées concrètes pour contrecarrer le développement des Chaires de Professeur Junior. Nous avons déjà reçu plusieurs propositions (boycott des jurys, name & shame, saturation du système par des candidatures de permanents, etc.) et reviendrons vers vous prochainement à ce sujet.

FFP2 : reste-t-il quelqu’un dans l’appareil d’État capable de faire une bibliographie intègre ?

Comment fonctionne l’articulation entre les sphères scientifiques et les sphères décisionnaires ? Qui produit des « expertises » et selon quelle méthode ? La question des masques FFP2 nous permet d’éclairer les dysfonctionnements chroniques des instances supposées éclairer la décision publique.

La grève des enseignants du 13 janvier a surpris par son ampleur exceptionnelle. Que revendiquait-elle ? Une rationalité minimale dans la gestion sanitaire de l’École et donc une politique de réduction du risque fondée sur la disputatio conduite par la communauté des scientifiques ayant contribué à ce domaine. La transmission de SARS-CoV-2 se faisant par voie aérienne, il était logique de demander des masques FFP2, conçus pour la filtration des aérosols. Le 10 janvier, M. Véran déclara aux sénateurs : « On est assez loin d’après le HCSP d’étendre le FFP2 à d’autres catégories professionnelles. […] Y compris d’ailleurs dans le milieu des soignants. [Le port du FFP2 sera réservé à ceux] qui sont aujourd’hui considérés comme à risque parce qu’exposés à des gouttelettes. » Ce faisant, M. Véran témoignait de son ignorance du fait que la transmission par voie d’aérosol ne vient pas de gouttelettes mais de particules virales environnées de protéines, et suspendues dans l’air comme des particules de fumée. Du reste, le masque chirurgical est, lui, conçu pour protéger des « gouttelettes » de toux et parfaitement efficace dans ce cas.

Aussi attendions-nous avec impatience la parution de l’avis du Haut Conseil de Santé Publique (HCSP). Nous avons découvert à sa lecture qu’il ne prenait pas en compte la littérature scientifique fournie et solide montrant l’efficacité nettement supérieure des FFP2 pour filtrer des particules virales de 200 à 500 nanomètres. L’avis a été mis en ligne début février, plus d’un mois après sa rédaction. Il repose sur un travail bibliographique non exhaustif et choisi pour valider des conclusions rigoureusement inverses à celles de la littérature scientifique.

Il nous semble donc important d’établir une bibliographie conforme à la pratique scientifique, c’est-à-dire exhaustive, reposant sur des sources primaires, et traitant rationnellement de la résolution d’éventuelles controverses. Vous trouverez ci-dessous une réponse point à point aux éléments du rapport factuellement faux ainsi qu’une bibliographie commentée.

Il nous importe ici de comprendre comment un comité de 22 personnes, aucune n’ayant de légitimité scientifique sur la transmission aéroportée de SARS-CoV-2, peut produire un travail pareillement dépourvu de rigueur et d’intégrité. Au vu des éléments scientifiquement infondés qui sont rapportés, nous faisons l’hypothèse qu’aucun membre du comité n’a réalisé une méta-analyse de la littérature scientifique primaire : le rapport semble directement s’inspirer de sources secondaires de mauvaise qualité. La source internationale de désinformation sur les FFP2 est constituée d’un petit groupe de négateurs de la transmission aéroportée, qui occupent des positions stratégiques à l’Organisation Mondiale de la Santé dans la production des documents de synthèse. En son sein figure un opposant au masque, John Conly, qui est « Chair WHO Infection Prevention & Control R&D Expert Group ». Il a co-écrit un manuscrit proposant une synthèse erronée (et refusée jusqu’ici à la publication, bien que disponible en pré-publication) sur la transmission aéroportée, Heneghan et al. 2021, et deux synthèses tout aussi scandaleuses dans leurs traitements des faits, sur les masques FFP2, Jefferson et al. 2020 et Conly et al. 2020. Notons que Didier Pittet, autre négateur de la transmission aéroportée, est co-auteur de cette seconde synthèse. Proche de l’Élysée, Didier Pittet est chargé d’évaluer la politique sanitaire française sur le Covid.

Comment le rapport du HCSP parvient-il à contourner les multiples articles démontrant, par des mesures précises, la filtration des aérosols par les masques FFP2 ? (i) Il accorde simplement une valeur faible aux tests rapportés dans la littérature d’ingénierie. (ii) Il escamote l’article montrant en situation réelle, dans un hôpital, l’absence de contamination des soignants portant un FFP2, contrairement à ceux portant un masque chirurgical. (iii) Il valorise des études cliniques conçues par des médecins qui, ignorant ce que signifie une transmission aéroportée, n’ont fait porter le masque FFP2 qu’à proximité immédiate des patients. (iv) Il ignore l’étude clinique démontrant l’efficacité des masques FFP2 lorsqu’ils sont portés en permanence, et sa disparition avec un port intermittent. (v) Il se réfère à des « méta-analyses » amalgamant les études mal conçues avec l’étude démontrant qu’elles sont mal conçues, en utilisant des pondérations destinées à justifier l’idée pré-conçue.

Comment imaginer que personne au sein du cabinet ministériel n’ait commandé une étude en population réelle (par exemple à l’École) de l’efficacité relative des masques chirurgicaux et FFP2 ? Une énigme demeure : la France n’est pas le seul pays touché par ce mal bureaucratique des comités Théodule cooptés produisant des rapports conformes à la demande du politique, sans travail scientifique. Comment, malgré tout, le masque FFP2 a-t-il été recommandé dans de nombreux pays, qui ont accordé plus de confiance à la littérature primaire qu’aux rapports de l’OMS ? Nous devons manquer de chance en France puisque le rapport de l’ANSES sur les purificateurs d’air conclut lui aussi à l’inefficacité de ces dispositifs en… omettant de rendre compte du seul type de purificateur d’air qui fonctionne, celui à filtre HEPA.

Commentaire sur le rapport du HCSP

Résumé — « Le masque ne peut à lui seul réduire le risque de transmission ; il constitue une mesure parmi l’ensemble des mesures de protection à respecter (vaccination, hygiène des mains, ventilation des locaux, distanciation sociale, etc.). »

Cette phrase du résumé est proprement stupéfiante. L’ensemble de la littérature scientifique citée et commentée ci-dessous démontre au contraire que le masque FFP2, en usage réel, filtre 3 fois mieux les particules virales que les masques chirurgicaux. En imaginant une situation où tout le monde porte de tels masques, le risque de transmission est abaissé par le carré du pouvoir de filtration, puisqu’il y a un effet à l’inhalation et à l’exhalaison. Il n’existe à ce jour aucun article prouvant que la transmission manuportée constitue une voie de transmission significative. L’introduction de l’hygiène des mains, pendant les premières semaines de l’épidémie, a été efficace contre la gastro-entérite mais n’a affecté la transmission de SARS-CoV-2 que marginalement. Aucune étude clinique, aucune étude en population réelle n’a montré un effet significatif de l’hygiène des mains dans la transmission du virus SARS-CoV-2, par ailleurs importante pour de nombreuses épidémies. Enfin, la vaccination a bien contribué à réduire la transmission jusqu’au variant Delta, mais ce n’est pratiquement plus le cas pour Omicron BA.1. Les vaccins dont nous disposons actuellement ont été conçus pour solliciter une bonne réponse immunitaire humorale qui, en faisant barrière à l’expansion des foyers infectieux dans les tissus, protège contre les formes graves de la maladie. En revanche, leur capacité à stimuler une réponse immunitaire mucosale, qui protège contre les infections asymptomatiques dans les voies respiratoires hautes et contre la contagion, n’a été évaluée que pour Astrazeneca, en phase III, avec des résultats mitigés.

Résumé — « Le HCSP souligne qu’il paraît difficilement envisageable de proposer le port d’un APR de type FFP2 aux enseignants, du fait de son inconfort sur la durée avec gêne respiratoire et du risque de perte de ses performances de filtration attendues lors de la parole et des mouvements. »

Des masques FFP2 ont été portés par des enseignants depuis 2 ans, sans ressentir ni gêne respiratoire (conformément aux mesures de perte de charge), ni inconfort. Les « performances de filtration attendues lors de la parole et des mouvements » sont prises en compte dans les tests normatifs. Il est donc erroné de parler de « perte de ses performances » par rapport à ces normes de filtration.

Résumé — « De plus, il paraît illusoire d’organiser le contrôle et le respect des conditions d’utilisation optimale d’un tel masque, notamment la vérification de l’ajustement au visage lié au modèle et à la taille d’APR de type FFP2 mis à disposition.»

Les masques FFP2 sont beaucoup plus simples à porter correctement que les masques chirurgicaux, en modelant la barrette nasale. En particulier, les FFP2 ne peuvent pas être portés sous le nez, contrairement aux masques chirurgicaux. Les mesures en population réelle et en test clinique montrent que les performances des FFP2 sont significativement supérieures à celle des masques chirurgicaux sans procédure particulière de « vérification de l’ajustement. »

« Il n’existe pas d’étude clinique montrant l’efficacité des APR de type FFP2 en mesurant leur performance de filtration pour la protection des personnes de l’entourage de celui qui le porte (filtration de dedans en dehors, effet anti-projection). »

C’est factuellement erroné. Asadi et al. (2020) ont mesuré sur des volontaires le nombre de particules exhalées par l’avant du masque pour des FFP2. Ils trouvent une réduction de 74% du nombre de particules exhalées, comparable à ce qu’offrent les masques chirurgicaux. Le nombre de particules exhalées par les côtés du masque n’ayant pas été mesuré, et les masques chirurgicaux fuyant particulièrement par là, l’efficacité comparative des FFP2 est en réalité plus élevée.

p. 14 — « Il faut aussi limiter tous les gestes susceptibles de déclencher ou d’augmenter les fuites (comme par exemple le mouvement du visage comme la parole, un effort physique, la toux ou les éternuements …) »

C’est factuellement erroné. Les procédures de test des normes prennent justement en compte ces différentes situations, et l’efficacité donnée est moyennée pendant des exercices physiques, des mouvements de la tête, pendant la parole, etc. Pendant les essais d’ajustement il faut réaliser ces mouvements pour trouver le masque le mieux adapté à la morphologie. La norme EN149 préconise un essai de simulation de travail où les sujets doivent marcher, ramper et ramasser des objets en étant accroupis. Les fuites doivent être testées en bougeant la tête et en parlant, tout en marchant.

p. 14 — « Par conséquent, la plupart des organismes internationaux recommandent à l’utilisateur d’effectuer une vérification de l’ajustement après chaque mise en place d’un APR de type FFP2 afin de s’assurer que le masque est correctement porté et que l’ajustement du visage est correct. Cet ajustement correct est également indispensable pour les autres types de masques (usage médical ou grand public) même si cet ajustement n’est pas normé pour ces derniers. »

Une erreur de traduction probable de l’anglais a créé une confusion entre essai d’ajustement (réalisé une fois tous les ans avec un aérosol amer ou un compteur de particules pour voir si le masque est adapté à la morphologie) et test d’étanchéité (à faire à chaque port, en suivant la notice du masque, pour vérifier qu’il est bien scellé au visage). L’INRS détaille ces deux procédures dans son guide sur les appareils de protection respiratoire. Il n’existe pas de norme d’étanchéité des masques chirurgicaux sur le visage parce qu’ils ont été conçus pour protéger le porteur des postillons et des éclaboussures, pas des aérosols.

« Une étude visait à différencier les contributions de ces deux voies pour des particules d’une taille comprise entre 0,03 et 1 μm dans des conditions réelles de respiration. »

Le HCSP a omis de rendre compte du paragraphe de cet article très complet montrant que, malgré les fuites, les FFP2 ont 95% d’efficacité à la taille la plus pénétrante alors que les masques chirurgicaux ont à peine plus de 60%.

p. 7 — « Les études ayant examiné l’efficacité de divers masques faciaux et respiratoires dans la prévention des infections respiratoires prenant en compte différents virus sont contradictoires et non concluantes, en particulier en milieux de soins. Plusieurs méta-analyses suggèrent que les données sont insuffisantes pour déterminer définitivement si les appareils respiratoires de type N95 sont supérieurs aux masques à usage médical (chirurgical) dans la prévention des infections respiratoires aiguës transmissibles. »

Toutes les méta-analyses citées (Bartoszko et al. 2020, Barycka et al. 2020, Li et al. 2021, Offeddu et al. 2017, Smith et al. 2016, Tran et al. 2021, auxquelles on peut ajouter Long et al. 2020 et Jefferson et al. 2020 citées dans le rapport du HCSP sur le FFP2 pour le personnel soignant) agrègent tout ou partie de six essais cliniques, en controverse scientifique entre eux, sur l’efficacité du port de FFP2 pendant l’épidémie de grippe saisonnière. Quatre sont de MacIntyre et al. et trouvent tous un effet significatif des N95 (FFP2) face aux masques chirurgicaux. Les essais cliniques de Loeb et al. (2009) et Radonovich et al. (2019) ne trouvent pas d’effet significatif. Toutes les méta-analyses sauf une (Offeddu et al. 2017) en concluent que les N95 n’ont pas d’effet supplémentaire et qu’ils ne doivent pas être recommandés en population générale. La controverse entre MacIntyre et al. d’un côté et, de l’autre, Loeb et al. et Radonovich et al. est basée sur une différence de protocole : MacIntyre et al. font porter aux participants le N95 en continu, pendant toute la journée de travail. Radonovich et Loeb ne font porter les masques qu’à proximité des patients. Un des essais cliniques de MacIntyre et al. (2013) montre précisément que le port ciblé de N95 (FFP2) conduit à une réduction de transmission inférieure au port continu, et , qui est équivalent au port de masque chirurgical. Offeddu et al. sont les seuls à rendre compte de l’importance du port continu en excluant Loeb et al. 2009. Les autres auteurs, au mieux, ignorent la différence et comparent le port continu au port ciblé, et au pire (Jefferson et al. 2020) mélangent ensemble le bras ciblé et le bras continu de MacIntyre et al. 2013, alors même qu’il s’agit de l’étude démontrant l’effet significatif du port continu de FFP2 et le protocole problématique des autres tests. Le seul test clinique comprenant la nature de la transmission par voie d’aérosol, irréductible à la transmission de gouttelettes à proximité d’un patient, confirme les études d’ingénierie.

Ce débat est à relier à la notion de « procédure générant des aérosols » (PGA), des actes supposés à haut risque par la quantité d’aérosols qu’ils font exhaler au patient (voir la revue de Jackson et al., 2020). La respiration produit en continu des aérosols, en quantité variable suivant l’activité. Parler en émet 35 fois plus, et tousser 370 fois plus. Par contraste, l’oxygénothérapie à haut débit ou la ventilation non invasive à pression positive, universellement reconnues comme des PGA, en émettent à peine plus que la respiration au repos (Wilson et al., 2021). Il ne concerne pas la réduction de risque de transmission en population générale.

La méta-analyse de Jefferson et al. (2020) utilise les cinq mêmes essais cliniques, arrive à la même conclusion que Long et est erronée pour les mêmes raisons. Les auteurs (dont John Conly fait partie) mélangent le bras FFP2 ciblé avec le bras N95 continu de MacIntyre et al. (2013), alors même qu’il s’agit de l’étude démontrant l’effet significatif du port continu de FFP2 et le protocole problématique des autres tests.

p. 4 — « Les études présentaient toutefois d’importantes limitations (biais de rappel, informations limitées sur les situations dans lesquelles on portait le masque de protection respiratoire et concernant l’évaluation de l’exposition) et la plupart ont été réalisées dans des cadres où des gestes aérosolisants étaient effectués. »

Chu et al. (2020) est citée ici. Cette revue agrège des études observationnelles, principalement en Chine et au Vietnam, sur l’épidémie de SARS-CoV-1, de MERS et la littérature disponible sur SARS-CoV-2 au 3 mai 2020, il y a deux ans, et avant l’établissement du consensus sur la transmission aéroportée. Les auteurs trouvent un effet significatif des FFP2, même en tenant compte de possibles procédures générant des aérosols.

Bibliographie commentée

Les normes N95 (États-Unis NIOSH-42CFR84), FFP2 (Europe EN 149-2001) et KN95 (Chine GB2626-2006) sont équivalentes.

Mesures établissant l’efficacité de filtration d’un FFP2 autour de 90% contre 70% environ pour les masques chirurgicaux et 30% pour les masques en tissu. Le FFP2 est 3 fois plus efficace que le masque chirurgical :

[1] Qian, Y.; Willeke, K.; Grinshpun, S. A.; Donnelly, J.; Coffey, C. C. Performance of N95 Respirators: Filtration Efficiency for Airborne Microbial and Inert Particles. American Industrial Hygiene Association Journal 1998, 59 (2), 128–132. doi:10.1080/15428119891010389.

[2] Asadi, S.; Cappa, C. D.; Barreda, S.; Wexler, A. S.; Bouvier, N. M.; Ristenpart, W. D. Efficacy of Masks and Face Coverings in Controlling Outward Aerosol Particle Emission from Expiratory Activities. Sci Rep 2020, 10 (1), 15665. doi:10.1038/s41598-020-72798-7.

Mesures de la perte d’efficacité par fuites sur les côtés :

[3] Grinshpun, S. A.; Haruta, H.; Eninger, R. M.; Reponen, T.; McKay, R. T.; Lee, S.-A. Performance of an N95 Filtering Facepiece Particulate Respirator and a Surgical Mask During Human Breathing: Two Pathways for Particle Penetration. Journal of Occupational and Environmental Hygiene 2009, 6 (10), 593–603. doi:10.1080/15459620903120086.

[4] Cappa, C. D.; Asadi, S.; Barreda, S.; Wexler, A. S.; Bouvier, N. M.; Ristenpart, W. D. Expiratory Aerosol Particle Escape from Surgical Masks Due to Imperfect Sealing. Sci Rep 2021, 11 (1), 12110. doi:10.1038/s41598-021-91487-7.

Importance de l’ajustement des masques chirurgicaux :

[5] Brooks, J. T.; Beezhold, D. H.; Noti, J. D.; Coyle, J. P.; Derk, R. C.; Blachere, F. M.; Lindsley, W. G. Maximizing Fit for Cloth and Medical Procedure Masks to Improve Performance and Reduce SARS-CoV-2 Transmission and Exposure, 2021. MMWR Morb Mortal Wkly Rep 2021, 70 (7), 254–257. doi:10.15585/mmwr.mm7007e1.

Sur l’importance du fit check (essais d’ajustement en français, à ne pas confondre avec test d’étanchéité). Des utilisateurs non formés, cependant, ajustent spontanément leur masque correctement :

[6] Brosseau, L. M. Fit Testing Respirators for Public Health Medical Emergencies. Journal of Occupational and Environmental Hygiene 2010, 7 (11), 628–632. doi:10.1080/15459624.2010.514782.

[7] Rembialkowski, B.; Sietsema, M.; Brosseau, L. Impact of Time and Assisted Donning on Respirator Fit. Journal of Occupational and Environmental Hygiene 2017, 14 (9), 669–673. doi:10.1080/15459624.2017.1319569.

Étude épidémiologique sur SARS-CoV-2, en milieu hospitalier. Aucun des soignants qui portent un FFP2/3 n’ont été infectés (0 sur 180). 14 soignants sur 233 portant un masque chirurgical ont été infectés :

[8] Oksanen, L.-M. A. H.; Sanmark, E.; Oksanen, S. A.; Anttila, V.-J.; Paterno, J. J.; Lappalainen, M.; Lehtonen, L.; Geneid, A. Sources of Healthcare Workers’ COVID‑19 Infections and Related Safety Guidelines. Int J Occup Med Environ Health 2021, 34 (2), 239–249. doi:10.13075/ijomeh.1896.01741.

Étude épidémiologique sur SARS-CoV-2, en population générale. Étude rétrospective, sur une base déclarative, présentant une statistique limitée pour les personnes ne mettant jamais de masque et celles portant un FFP2. Le port du FFP2 divise le risque de contracter le virus par un facteur 2. Les incertitudes sur le risque de contracter le virus pour les porteurs de FFP2 sont de 25%, ce qui confirme les études menées en ingénierie, sans être intrinsèquement suffisant pour conclure :

[9] Andrejko, K. L.; Pry J. M.; Myers J. F.; Fukui N.; DeGuzman J. L.; Openshaw, J.; Watt, J. P.; Lewnard, J. A. ; Jain, S. Effectiveness of Face Mask or Respirator Use in Indoor Public Settings for Prevention of SARS-CoV-2 Infection — California, February–December 2021. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. ePub: 4 February 2022. doi:10.15585/mmwr.mm7106e1.

Essais cliniques mal construits, ne testant le port du masque qu’à courte distance des patients, contrairement au concept même de transmission aéroportée :

[10] Loeb, M.; Dafoe, N.; Mahony, J.; John, M.; Sarabia, A.; Glavin, V.; Webby, R.; Smieja, M.; Earn, D. J. D.; Chong, S.; Webb, A.; Walter, S. D. Surgical Mask vs N95 Respirator for Preventing Influenza Among Health Care Workers: A Randomized Trial. JAMA 2009, 302 (17), 1865–1871. doi:10.1001/jama.2009.1466.

[11] Radonovich, L. J., Jr; Simberkoff, M. S.; Bessesen, M. T.; Brown, A. C.; Cummings, D. A. T.; Gaydos, C. A.; Los, J. G.; Krosche, A. E.; Gibert, C. L.; Gorse, G. J.; Nyquist, A.-C.; Reich, N. G.; Rodriguez-Barradas, M. C.; Price, C. S.; Perl, T. M.; for the ResPECT investigators. N95 Respirators vs Medical Masks for Preventing Influenza Among Health Care Personnel: A Randomized Clinical Trial. JAMA 2019, 322 (9), 824–833. doi:10.1001/jama.2019.11645.

Essais cliniques bien construits :

[12] MacIntyre, C. R.; Wang, Q.; Cauchemez, S.; Seale, H.; Dwyer, D. E.; Yang, P.; Shi, W.; Gao, Z.; Pang, X.; Zhang, Y.; Wang, X.; Duan, W.; Rahman, B.; Ferguson, N. A Cluster Randomized Clinical Trial Comparing Fit-Tested and Non-Fit-Tested N95 Respirators to Medical Masks to Prevent Respiratory Virus Infection in Health Care Workers. Influenza and Other Respiratory Viruses 2011, 5 (3), 170–179. doi:10.1111/j.1750-2659.2011.00198.x.

Le port continu du masque pendant 80% de la journée de travail, au moins, est vérifié. Les N95 offrent une protection supérieure aux masques chirurgicaux contre des symptômes de maladie respiratoire (mais pas contre la grippe que très peu de participants ont contractée).

[13] MacIntyre, C. R.; Wang, Q.; Seale, H.; Yang, P.; Shi, W.; Gao, Z.; Rahman, B.; Zhang, Y.; Wang, X.; Newall, A. T.; Heywood, A.; Dwyer, D. E. A Randomized Clinical Trial of Three Options for N95 Respirators and Medical Masks in Health Workers. Am J Respir Crit Care Med 2013, 187 (9), 960–966. doi:10.1164/rccm.201207-1164OC.

Pour des raisons éthiques, il n’y a pas de bras de contrôle sans protection. Le port continu du N95 est supérieur à son port ciblé (uniquement en présence d’un patient), qui est équivalent au port de chirurgical. Tous types de virus respiratoires sont testés et pas seulement les symptômes cliniques de la grippe, ce qui rend l’essai clinique très sensible. Les N95 offrent une protection supérieure aux masques chirurgicaux contre des symptômes de maladie respiratoire ; les résultats ne sont pas significatifs pour la grippe (à noter que très peu de participants ont développé une grippe).

[14] MacIntyre, C. R.; Seale, H.; Dung, T. C.; Hien, N. T.; Nga, P. T.; Chughtai, A. A.; Rahman, B.; Dwyer, D. E.; Wang, Q. A Cluster Randomised Trial of Cloth Masks Compared with Medical Masks in Healthcare Workers. BMJ Open 2015, 5 (4), e006577. doi:10.1136/bmjopen-2014-006577.

Article comparatif entre les masques chirurgicaux et les masques en tissu, en faveur des premiers.

Sur les procédures générant des aérosols :

[15] Wilson, N. M.; Marks, G. B.; Eckhardt, A.; Clarke, A. M.; Young, F. P.; Garden, F. L.; Stewart, W.; Cook, T. M.; Tovey, E. R. The Effect of Respiratory Activity, Non-Invasive Respiratory Support and Facemasks on Aerosol Generation and Its Relevance to COVID-19. Anaesthesia 2021, 76 (11), 1465–1474. doi:10.1111/anae.15475.

L’activité respiratoire normale peut générer beaucoup plus d’aérosols que les thérapies respiratoires. Il faut redéfinir correctement quelles sont les situations à risque.

[16] Jackson, T.; Deibert, D.; Wyatt, G.; Durand-Moreau, Q.; Adisesh, A.; Khunti, K.; Khunti, S.; Smith, S.; Chan, X. H. S.; Ross, L.; Roberts, N.; Toomey, E.; Greenhalgh, T.; Arora, I.; Black, S. M.; Drake, J.; Syam, N.; Temple, R.; Straube, S. Classification of Aerosol-Generating Procedures: A Rapid Systematic Review. BMJ Open Respiratory Research 2020, 7 (1), e000730. doi:10.1136/bmjresp-2020-000730.

Une revue des différentes procédures générant des aérosols (PGA). La toux doit conduire à classer beaucoup plus de procédures comme PGA.

Méta-analyses. À une exception près, où les auteurs ont examiné la littérature scientifique primaire, les méta-analyses ont propagé les mêmes erreurs graves :

[17] Long, Y.; Hu, T.; Liu, L.; Chen, R.; Guo, Q.; Yang, L.; Cheng, Y.; Huang, J.; Du, L. Effectiveness of N95 Respirators versus Surgical Masks against Influenza: A Systematic Review and Meta-Analysis. Journal of Evidence-Based Medicine 2020, 13 (2), 93–101. doi:10.1111/jebm.12381.

Les auteurs ont déformé les résultats de MacIntyre 2013 : ce qu’ils appellent « experimental » est bien le bras avec le port de N95 en continu, mais ce qu’ils appellent « control » n’est pas le bras avec le port de masque chirurgical, mais le bras avec le port de N95 ciblé. La légende des figures « N95 respirators versus surgical masks » est donc fausse.

[18] Jefferson, T.; Jones, M. A.; Al-Ansary, L.; Bawazeer, G. A.; Beller, E. M.; Clark, J.; Conly, J. M.; Mar, C. D.; Dooley, E.; Ferroni, E.; Glasziou, P.; Hoffmann, T.; Thorning, S.; Driel, M. van. Physical Interventions to Interrupt or Reduce the Spread of Respiratory Viruses. Part 1 – Face Masks, Eye Protection and Person Distancing: Systematic Review and Meta-Analysis. medRxiv April 7, 2020. doi:0.1101/2020.03.30.20047217.

Une version plus récente (non citée par le HCSP) est disponible à l’adresse : doi:10.1002/14651858.CD006207.pub5.

[20] Chu, D. K.; Akl, E. A.; Duda, S.; Solo, K.; Yaacoub, S.; Schünemann, H. J. Physical Distancing, Face Masks, and Eye Protection to Prevent Person-to-Person Transmission of SARS-CoV-2 and COVID-19: A Systematic Review and Meta-Analysis. The Lancet 2020, 395 (10242), 1973–1987. doi:10.1016/S0140-6736(20)31142-9.

Les auteurs trouvent un effet significatif du port du masque FFP2.

[21] Bartoszko, J. J.; Farooqi, M. A. M.; Alhazzani, W.; Loeb, M. Medical Masks vs N95 Respirators for Preventing COVID-19 in Healthcare Workers: A Systematic Review and Meta-Analysis of Randomized Trials. Influenza and Other Respiratory Viruses 2020, 14 (4), 365–373. doi:10.1111/irv.12745.

[22] Barycka, K.; Szarpak, L.; Filipiak, K. J.; Jaguszewski, M.; Smereka, J.; Ladny, J. R.; Turan, O. Comparative Effectiveness of N95 Respirators and Surgical/Face Masks in Preventing Airborne Infections in the Era of SARS-CoV2 Pandemic: A Meta-Analysis of Randomized Trials. PLOS ONE 2020, 15 (12), e0242901. doi:10.1371/journal.pone.0242901.

[23] Li, J.; Qiu, Y.; Zhang, Y.; Gong, X.; He, Y.; Yue, P.; Zheng, X.; Liu, L.; Liao, H.; Zhou, K.; Hua, Y.; Li, Y. Protective Efficient Comparisons among All Kinds of Respirators and Masks for Health-Care Workers against Respiratory Viruses. Medicine (Baltimore) 2021, 100 (34), e27026. doi:10.1097/MD.0000000000027026.

[24] Offeddu, V.; Yung, C. F.; Low, M. S. F.; Tam, C. C. Effectiveness of Masks and Respirators Against Respiratory Infections in Healthcare Workers: A Systematic Review and Meta-Analysis. Clinical Infectious Diseases 2017, 65 (11), 1934–1942. doi:10.1093/cid/cix681.

[25] Smith, J. D.; MacDougall, C. C.; Johnstone, J.; Copes, R. A.; Schwartz, B.; Garber, G. E. Effectiveness of N95 Respirators versus Surgical Masks in Protecting Health Care Workers from Acute Respiratory Infection: A Systematic Review and Meta-Analysis. CMAJ 2016, 188 (8), 567–574. doi:10.1503/cmaj.150835.

[26] Tran, T. Q.; Mostafa, E. M.; Tawfik, G. M.; Soliman, M.; Mahabir, S.; Mahabir, R.; Dong, V.; Ravikulan, R.; Alhijazeen, S.; Farrag, D. A.; Dumre, S. P.; Huy, N. T.; Hirayama, K. Efficacy of Face Masks against Respiratory Infectious Diseases: A Systematic Review and Network Analysis of Randomized-Controlled Trials. J. Breath Res. 2021, 15 (4), 047102. doi:10.1088/1752-7163/ac1ea5.

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Désir d’endémie

Désir d’endémie

Au menu cette semaine, une série de brèves ainsi qu’un billet analytique intitulé : « Le désir d’endémie, un récit social dangereux ». L’espace médiatique a été saturé d’interprétations infondées du concept d’endémie et d’opinions hasardeuses sur la dynamique évolutive de SARS-CoV-2. Notre capacité à combattre le virus dans les années à venir dépend pourtant de choix stratégiques à faire aujourd’hui, sans confondre savoirs et croyances.

Vous pouvez continuer de signer cette proposition.

Défendre un réseau scientifique et universitaire national

Nous sommes déjà plus de 11 500 à avoir signé la pétition de défense d’un cadre national pour l’Université, à l’écriture de laquelle nous avons contribué. L’autonomie que nous défendons, celle des universitaires et des chercheurs, est incompatible avec le féodalisme bureaucratique qui nous est imposé en usurpant ce mot d’autonomie, pour mettre en œuvre une caporalisation et une dérégulation statutaire.

Et vous, serez-vous parmi les prochains signataires ?

Faire dérailler le système des « chaires de professeur junior »

Les motions se multiplient pour dire la vive inquiétude de la communauté académique devant le recrutement d’universitaires sur des contrats à durée déterminée baptisés « chaires de professeur junior ». Ces motions sont utiles pour diffuser les arguments et montrer que nous n’entendons pas en être complices, mais ne suffiront pas à en venir à bout. Nous lançons un appel à idées (nous contacter par mail) sur les manières de faire dérailler de manière effective ce système.

3 000 postes en moins au CNRS en 10 ans

« Si vous prenez deux bouteilles de piquette et que vous les mettez ensemble, ça fera pas un grand vin. » Antoine Petit, audition parlementaire du 2 février 2022.

M. Petit, reconduit par le président de la République à la tête du CNRS malgré la défiance de la communauté scientifique, a été auditionné par la représentation nationale. Il a fait état des résultats de la politique managériale suivie dans la période récente : entre 2010 et 2020, « le CNRS a perdu 11 % de ses effectifs en 10 ans, soit environ 3 000 postes.

Le reste de l’audition a été consacré aux différents volets de son programme : la création d’une chaîne « CNRS TV » pour porter une parole institutionnelle en lieu et place de la parole des chercheurs et d’un « CNRS startup Studio ». Les représentants de la majorité l’ont encouragé à mener une politique néo-maccarthyste contre la « gangrène » en SHS, présentant la loi de programmation pour la recherche comme la « boussole » à suivre par les chercheurs.

Les séminaires de Politique des sciences

Le séminaire PdS sur l’irrationalité a eu lieu le 24 Janvier 2022. Vous pouvez retrouver les quatre interventions de ce séminaire sur la chaîne de Politique des sciences.

Introduction

Philippe Huneman, Philosophe, IHPST (CNRS)

L’irrationalité, entre psychopathologie et idéologie

Sarah Troubé, Psychologue clinicienne, Maître de conférences en psychologie clinique et psychopathologie, Université Côte d’Azur, LIRCES.

La crédulité en doute

Marion Vorms, Philosophe, Université Paris I Panthéon Sorbonne.

Complotisme et scientisme — Les idées conservatrices incidentes de la profession et de l’idéal technoscientifique

Pierre France, Sociologue, Université Paris I Panthéon Sorbonne & Orient Institut, Beirut.

Colloque : penser et agir collectivement à l’université.

Nous attirons votre attention sur un colloque à l’organisation duquel des membres de RogueESR participent, et qui prend sa place dans la réflexion collective au long cours sur l’Université que nous voulons (revoir aussi sur la chaîne PdS le colloque Inventer l’Université)

Et maintenant on fait quoi ? Penser et agir collectivement à l’université.

Colloque-action, 23-24 mars 2022, UGA IMAG, Université de Grenoble

Dans quel état est l’université aujourd’hui ? Que pouvons-nous espérer des diverses mobilisations et de l’action collective ? Comment mettre les personnels et les étudiants au cœur des processus de décision à l’université ? 

Dans un contexte de crises multiples, locale, nationale, politique, économique, sanitaire, écologique, ce colloque permettra, pendant 24 heures (du 23 mars 13 heures au 24 mars 13 heures), d’aborder ces questions, de confronter et rassembler des points de vue, et d’ouvrir un espace collectif pour entendre, discuter, débattre et proposer.

Au jour le jour, nous assurons nos missions de recherche et d’enseignement, tout en continuant d’exiger des moyens à la hauteur de ces missions et en tentant de protéger les personnels de la surcharge. Cette gestion de la pénurie imposée atteint cependant ses limites, dans un contexte croissant d’individualisation du travail et de mise en compétition permanente. Nous proposons ici d’ouvrir le débat sur ce que nous voulons, et ce que nous ne voulons plus accepter. Il nous faut sortir de la sidération provoquée par le rythme effréné des restructurations et autres appels à projet, nous extraire des logiques managériales et concurrentielles de l’« excellence » et prendre le temps de réfléchir et de redéfinir collectivement le sens de nos métiers. 

L’objectif de ce colloque est de montrer que cette sidération ne doit pas nous empêcher d’agir et de réagir, qu’il est possible de résister à la fois individuellement et collectivement à des injonctions inacceptables et, in fine, de nous approprier, de manière collégiale et démocratique, les politiques scientifiques et éducatives de l’université.

Le colloque propose de partir du recueil d’expériences et de propositions venant des différents terrains de l’université (universitaires, chercheuses et chercheurs, personnels Biatss et ITA, précaires, étudiantes et étudiants) pour élaborer les bases de constats partagés et d’actions possibles.

Ces réflexions seront éclairées par des interventions de deux collègues universitaires, Annabelle Allouch, Maîtresse de Conférences en sociologie à l’université de Picardie-Jules Verne, chercheure associée à Sciences Po et visiting scholar à Harvard, et Julien Gossa, Maître de Conférence à l’Université de Strasbourg.

Tous les membres de l’université de Grenoble, enseignant·e·s et/ou chercheur·e·s, personnels techniques et administratifs, étudiante·s, précaires, sont invités à participer et à proposer s’ils le souhaitent, en amont de ce colloque, une contribution (de 3 mots à une page !), qu’elle porte sur un témoignage, une proposition de thème de débat, une analyse ou une proposition d’action.

Le désir d’endémie, un récit social dangereux

Le mot « endémique » est devenu l’un des plus galvaudés dans le traitement médiatique et politique de la crise du COVID-19. Ne nous trompons pas de concept : en épidémiologie, une infection est dite endémique lorsqu’elle devient permanente sur un territoire : ses taux d’incidences ne sont ni en hausse, ni en baisse sur une période donnée, un an en général. Certes, les rhumes courants sont endémiques. Ils le sont… tout comme la fièvre de Lassa, le paludisme, la peste et la poliomyélite dans certaines régions du monde.

Autrement dit, une maladie peut être endémique et représenter néanmoins une menace lourde pour les populations. Le paludisme a tué plus de 600 000 personnes en 2020. La même année, 10 millions de personnes ont contracté la tuberculose et 1,5 millions en sont mortes. Le caractère endémique ne signifie certainement pas que l’évolution a pour ainsi dire « apprivoisé » un agent pathogène et que la vie revient simplement à la « normale ».

Or, nombre d’hypothèses formulées en invoquant l’endémie induisent une acceptation implicite ou une complaisance déplacée à l’égard de la circulation incontrôlée du virus, et en particulier des variants de la famille Omicron. Beaucoup voudraient en effet interpréter la moindre virulence apparente de ce variant comme une preuve indéniable que le virus deviendrait inoffensif, qu’Omicron fournirait une opportunité de s’immuniser durablement à bon compte, et qu’une sortie de crise prochaine serait certaine. Ce pari sur nos vies est plus que risqué : il est d’ores et déjà regrettable.

C’est avec inquiétude et indignation que les communautés scientifiques et médicales, comme l’ensemble de ceux qui luttent sur le terrain contre la plaie des maladies infectieuses endémiques, ont accueilli la petite musique tendant à assimiler le passage à l’endémie à la certitude que le virus serait voué à devenir bénin, voire à faire de l’endémie un objectif à atteindre. Comment ne pas être atterrés de voir certains responsables politiques employer ce terme avec une désinvolture calculée ? Comment ne pas sursauter quand le chef du gouvernement espagnol propose de revoir la stratégie d’action en établissant une comparaison avec la grippe, elle aussi endémique ? La transition vers l’endémie serait selon lui une « grippalisation de la pandémie ». Même son de cloche au Danemark, en Angleterre, ainsi que pour plusieurs gouverneurs étatsuniens, estimant tous qu’il est temps de requalifier la pandémie en endémie. Cette opération sémantique semble autoriser un allégement de la surveillance et une levée des restrictions sanitaires. L’OMS a alerté sur ce renoncement à la vigilance, dépourvu de toute rationalité. Elle déclarait le 1er février, par la voix de son directeur général Tedros Adhanom Ghebreyesus : « Nous sommes inquiets du récit qui s’est installé dans certains pays selon lequel, en raison des vaccins, de la transmissibilité élevée d’Omicron et de sa moindre gravité, empêcher la transmission ne serait plus possible, et plus nécessaire. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. »

Pour tout infectiologue comme pour tout spécialiste des interactions hôte-pathogène en biologie de l’évolution, la frustration est grande lorsque ces dirigeants invoquent le mot « endémique » comme une justification à ne rien faire, ou presque. La politique de santé mondiale ne peut se borner au fait d’apprendre à « vivre avec » un rotavirus responsable des gastroentérites infantiles, une hépatite C ou une rougeole endémiques. En effet, postuler qu’une infection deviendra permanente ne dit rien de la hauteur du plateau d’incidence, ni de la sévérité des pathologies dans la phase endémique, qui dépendent fortement des décisions politiques locales et internationales, des comportements sociaux, de la structure démographique, ainsi que de la sensibilité et de l’immunité des populations concernées. La stabilité elle-même n’est pas non plus garantie : les infections endémiques peuvent donner lieu, à la faveur d’aléas météorologiques, ou géopolitiques, ou de l’émergence de nouveaux variants, à des flambées dévastatrices, à l’instar de la résurgence épidémique de la peste survenue à Madagascar en 2017, ou à des pandémies, comme ce fut le cas pour la grippe en 1918, 1957, 1968 et 2009.

Figure 1. Arbres phylogénétiques typiques de virus pour lesquels l’évolution est ou non gouvernée par une forte pression de sélection — en particulier immunitaire — (A) ou non (B). A. Les virus comme la grippe ou les coronavirus saisonniers se reconnaissent à la forme de leur arbre phylogénétique déséquilibré, en escalier : ils circulent et mutent ; en parallèle, l’immunité se met en place contre eux, conduisant à l’extinction progressive des branches ancestrales. Parmi les mutations, certaines conduisent à de nouveaux variants qui échappent à l’immunité ; leur branche prend de l’ampleur, jusqu’à ce que l’immunité se développe contre ces nouveaux variants, et ainsi de suite. Chaque nouveau variant est alors en général issu par mutation de l’une des dernières souches hégémoniques, en général par un saut évolutif limité qui lui permet un échappement immunitaire, partiellement prédictible. Ceci favorise la conception de vaccins, fondés sur la nature des principales souches en circulation au début de chaque saison grippale. B. Pour les virus qui ne sont pas soumis à pression constante, les différentes branches de l’arbre se perpétuent. De nouvelles souches virales peuvent émerger de toutes les branches comme de la racine de l’arbre, après s’être propagées un temps de façon silencieuse. On ne peut alors pas prédire une proximité du variant hégémonique avec le précédent. Adapté de Volz et al. PLoS Comput. Biol. 2013.

Ce que l’on peut attendre de l’évolution de SARS-CoV-2 demeure un sujet de controverse. Pour les virus respiratoires, l’endémicité s’accompagne en général d’une dynamique évolutive relativement régulière, sur la base de laquelle certains chercheurs formulent l’hypothèse qu’un mur immunitaire serait atteignable. Or, jusqu’à présent l’évolution de SARS-CoV-2 conserve une trajectoire instable, très différente de celle, relativement canalisée et prédictible, des virus respiratoires saisonniers (Figures 1 et 2). En l’absence de politiques de prévention, la taille du réservoir épidémique humain est de nature à conduire à une évolution virale rapide et imprévisible, ce qui favorise l’émergence de nouveaux variants, dont certains potentiellement plus dangereux. L’argument, malheureusement répandu, selon lequel tout virus ne peut évoluer au fil des mutations que vers des variants moins virulents est infondé. En particulier pour SARS-CoV-2, la transmission a lieu avant que le virus ne provoque une maladie grave ; par conséquent, sa virulence ne constitue pas une perte d’opportunité de transmission. Dès lors, aucune pression de sélection qui favoriserait l’émergence de variants plus bénins ne s’exerce. Du reste, chacun connaît des contre-exemples : les souches mutantes Alpha et Delta sont plus virulentes que la souche initiale, Wuhan-1. De même, la deuxième vague de la pandémie de grippe de 1918 a été beaucoup plus meurtrière que la première. Par ailleurs, même des variants intrinsèquement moins virulents comme ceux de la famille Omicron (BA.1 dont la vague est en cours et BA.2 dont la vague enfle) fragmentent l’organisation sociale et met en danger les plus vulnérables, en raison de sa haute transmissibilité et des réinfections massives qu’il engendre par sa capacité à échapper au système immunitaire.

Figure 2. Arbres phylogénétiques de la grippe (souche H3N2) (A), d’un coronavirus saisonnier (B), et du SARS-CoV-2 (C). SARS-CoV-2 ne présente pas à ce jour un arbre phylogénétique déséquilibré, en escalier. La souche Omicron n’est pas issue d’une mutation de la souche Delta, pas plus que la souche Delta n’était une mutation de la souche Alpha, mais chacune a émergé dans des branches bien plus anciennes de l’arbre phylogénétique. Jusqu’ici les nouvelles souches virales proviennent de mutations non détectées pendant des temps longs, donnant un arbre d’allure relativement équilibrée (comparable à la Figure 1B). A. Adapté des données de nextflu. B. Adapté d’Eguia et al. PLoS Pathog. 2021. C. Adapté des données de Nextstrain | Gisaid.

Le COVID-19 n’est pas la première pandémie à laquelle l’humanité doit faire face, ni son premier combat en matière de pathologies fortement évolutives. L’histoire de ces pathologies nous permet de connaître la variété des scénarios et la diversité des issues mais aussi de savoir que nous pouvons faire beaucoup pour limiter durablement son emprise sur la sociétés et nos vies. Nous devons éviter l’optimisme paresseux, produit de considérations politiciennes sans fondement. Nous devons prendre en considération, sans les minimiser, le nombre de malades, de cas d’invalidité et de décès causés par une circulation virale qu’on laisse filer. Dès lors, que faire ?

En premier lieu, il est impératif d’investir dans le développement de vaccins qui protègent contre un éventail plus large de variants, et soient efficaces contre leur transmission, ainsi que d’en favoriser la distribution planétaire par la levée des brevets et par le transfert des techniques d’encapsulation vers des sites de production localisés au plus près des populations.

Bien que des vaccins efficaces participent à la réduction de la pandémie, ils ne suffiront pas à eux seuls à éliminer le réservoir viral humain.[1] En ayant conscience que la quantité de virus en circulation risque encore de conduire à des vagues épidémiques de nouveaux variants, dont certains plus transmissibles et/ou plus virulents, il est impératif de mettre un terme à la propagation incontrôlée du virus, ce qui nécessite de mener une politique de santé publique intégrée. Nous devons par conséquent investir en connaissance de cause et utiliser — à l’échelle mondiale — toutes les stratégies de prévention dont nous disposons. Une politique de prévention digne de ce nom repose sur un maillage social de proximité associant un rôle d’information et de conseil, une sensibilisation à l’hygiène et au risque infectieux, une surveillance sanitaire locale par le contrôle des eaux usées et l’accès au dépistage, et une réactivité importante permettant des mesures d’isolement en cas de reprise de l’épidémie. La prise en compte du risque à sa juste mesure impose également — de la même manière que les zones d’endémie pour le paludisme, la dengue ou zika investissent dans des moustiquaires — de procéder à un investissement conséquent dans les équipements à même de protéger la population de l’infection, dans les transports, dans les lieux publics ou sur les lieux de travail. Ceci implique d’entreprendre la rénovation des bâtis et des transports en commun, de sorte à assurer leur ventilation optimale, associée à une filtration de l’air ou à sa purification à l’aide de dispositifs UV-C. Enfin, pour freiner la propagation virale dans les périodes de forte circulation, il est indispensable de donner à la population concernée un accès large à des masques de type FFP2 assortis de conseils d’utilisation, plutôt que de se cacher derrière un déni de leur performance pour justifier de leur pénurie.

La sévérité de la pathologie et le risque de flambées virales requièrent, outre un gros travail de prévention, un renforcement de l’accès aux soins pour toutes et tous, a contrario du déshabillage de la santé publique par la « république contractuelle ». Il est impératif de maintenir sur tout le territoire une médecine de proximité, mais aussi de rendre à l’hôpital les moyens d’assurer ses missions de service public, et donc de prendre en charge l’ensemble des patients atteints du COVID-19, sans compromettre le traitement des autres pathologies.

Penser que l’endémicité est à la fois bénigne et inévitable est plus qu’hasardeux ; c’est une hypothèse coupable : elle risque de conduire l’humanité à de nombreuses années supplémentaires de maladie, à des vagues imprévisibles d’épidémies et au sacrifice des personnes fragiles. Plus grave, elle banalise les morts et les souffrances physiques, morales, sociales qu’elle avalise, en particulier dans les populations les plus vulnérables. Or, du point de vue de toutes celles et tous ceux qui œuvrent à atténuer l’impact dévastateur des endémies actuelles, la perspective d’un SARS-CoV-2 endémique ne saurait être perçue comme un soulagement ou une porte de sortie. C’est, au contraire, laisser planer un danger auquel nous serons exposés dans la durée, et qui nécessitera de notre part un effort constant pour nous en prémunir. Cette perspective impose des engagements fermes de nos sociétés dans la surveillance, la prévention et le soin, à la hauteur des responsabilités qui nous incombent. Pour que le scénario du pire ne se produise pas.


[1] Plusieurs raisons indiquent que considérer une stratégie fondée sur le seul vaccin comme la clé du salut serait une erreur grossière. En premier lieu, si les vaccins actuels protègent bien contre les formes graves de la maladie, ils ne bloquent que de façon modérée (voire, quasi-nulle dans le cas d’Omicron BA.1) la capacité à être infectés dans les voies respiratoires supérieures et à transmettre le virus. Une partie de la population restera en outre toujours mal protégée, et en son sein, les personnes immunodéprimées, chez qui la persistance virale à long terme peut favoriser l’apparition de nouveaux variants. Par ailleurs, l’échappement immunitaire de nouvelles souches virales, dans leur course évolutive, impose de concevoir périodiquement des vaccins optimisés contre ces nouveaux variants et de reprendre la campagne vaccinale, à un rythme que l’industrie pharmaceutique mondiale ne semble pas capable de suivre à l’heure actuelle. Enfin, l’existence de réservoirs animaux du SARS-CoV-2 ne permet pas d’envisager une éradication et constitue une source d’émergence de nouveaux foyers infectieux, potentiellement associée à des variants capables d’échappement immunitaire.

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La voix de l’Université et de la recherche

La voix de l’Université et de la recherche

Quatre brèves cette semaine : (i) une nouvelle voix pour défendre l’Université et la recherche, (ii) le rappel du séminaire Politique des sciences sur l’irrationalité, (iii) la tribune appelant à constituer, enfin, un arsenal sanitaire et (iv) une pétition contre le contrôle intégral des primes et des promotions par les bureaucraties universitaires.

I. Une nouvelle voix pour défendre l’Université et la recherche

Il manquait une voix transpartisane pour défendre l’Université et la recherche dans le débat public. La bureaucratie de l’enseignement supérieur et de la recherche s’est dotée depuis longtemps d’associations pour défendre ses intérêts propres, contre l’intérêt général, au premier chef la Coordination des universités de recherche intensive françaises (CURIF, dont Mme Vidal était la trésorière) transformée depuis en « Udice », et la Conférence des Présidents d’Université, devenue récemment « France Universités ». Rappelons que ces associations sont financées par des cotisations réglées par les établissements et dont le montant n’est pas divulgué au commun des mortels : si certains d’entre vous disposent de documents permettant de les établir, nous nous engageons à les porter à la connaissance de la communauté. Nous invitons les présidents à payer désormais ces cotisations sur leurs deniers personnels, en faisant usage de leurs primes exécutives récemment revalorisées à 18 000€ annuels : l’austérité pour l’Université, c’est aussi le lucre pour ses liquidateurs.

Dans l’intervalle, les millions d’étudiants, d’universitaires, de chercheuses et de chercheurs, de personnels de soutien (ITA, BIATSS) sont dépouillés de représentation institutionnelle. Il faut le rappeler inlassablement : nous ne sommes pas les employés de l’Université, nous sommes l’Université.

Nous mettons donc à disposition de la communauté une plateforme de représentation : France Université & Recherche.

https://www.franceuniversite.fr/

Nous pensons cette plateforme comme une force de proposition et de visibilisation auprès de la sphère politique. À cette fin, nous y avons déposé les 50 propositions transpartisanes élaborées collégialement au printemps dernier. Le chiffrage peut être consulté ici. Nous publierons également les réponses des organisations politiques à cette interpellation, ainsi qu’une analyse des programmes présidentiels et législatifs pour l’ESR. Ces travaux ne suivront qu’un seul objectif : défendre l’autonomie concrète du monde savant vis-à-vis des pouvoirs politique, économique et religieux, c’est-à-dire promouvoir à la fois l’idée et les moyens d’une liberté académique positive (statuts, moyens de recherche pérennes, éthique et intégrité). Avec vous, nous porterons ces propositions pour sortir de 20 ans de contre-réformes de bureaucratisation, de précarisation et de paupérisation du supérieur.

Vous pouvez retrouver France Université & Recherche :

II. Séminaire de Politique des sciences : « Irrationalité » (rappel)

Le 24 janvier 2022, de 16h à 20h, Université de Lutèce, Amphithéâtre Lavoisier, Campus Saint-Germain-des-Prés, 45 rue des Saints-Pères, Paris 6ème.

Le séminaire sera retransmis sur la chaîne de Politique des sciences.

Le programme et l’annonce sont à retrouver sur le site de PdS.

  • Philippe Huneman, Philosophe, IHPST (CNRS) — Introduction
  • Sarah Troubé, Psychologue clinicienne, Maître de conférences en psychologie clinique et psychopathologie, Université Côte d’Azur, LIRCES — L’irrationalité, entre psychopathologie et idéologie
  • Marion Vorms, Philosophe, Université Paris I Panthéon Sorbonne — La crédulité en doute
  • Pierre France, Sociologue, Université Paris I Panthéon Sorbonne & Orient Institut, Beirut. — Complotisme et scientisme — Les idées conservatrices incidentes de la profession et de l’idéal technoscientifique

III. Un arsenal sanitaire large pour en finir avec la pandémie et prévenir les suivantes

« Pardon, qu’ils quittent deux secondes leur bureau et qu’ils regardent ce qui se passe dehors : le Zéro Covid est une utopie que même les îles totalement coupées du monde peinent à appliquer. »

Oliver Véran, Le Parisien, 20 mars 2021.

La tribune parue dans Libération a été ouverte à la signature de toutes et tous après que 1 700 universitaires et chercheurs l’ont signée.

Nous vous invitons à la faire circuler largement.

Pour répondre à certaines interrogations, nous voudrions prendre ici l’exemple d’un pays ayant mis en œuvre un arsenal sanitaire large : la Nouvelle-Zélande. La France a connu 127 000 décès dus au Covid (avec 20 % environ de sous-déclaration) et passé les 13 millions de cas confirmés, pour 67 millions d’habitants. Les proportions sont identiques en Guadeloupe et en Martinique, comparables en Corse, montrant que l’insularité n’est pas un paramètre pertinent. La Nouvelle-Zélande a connu, elle, 52 décès et 15 000 cas confirmés pour 5 millions d’habitants. Un rapport 100 (pour ne pas ergoter) ne peut venir exclusivement de conditions environnementales différentes : la politique sanitaire, et c’est heureux, a un effet.

Nous reviendrons prochainement dans un texte long sur les implications stratégiques d’une éventuelle transition vers l’endémie.

IV. Extension du féodalisme bureaucratique

Les vagues de réformes de l’Université ont été théorisées par Aghion et Cohen en 2004[1] en reprenant et complétant le contenu de la loi Devaquet de 1986. Elles ont ensuite été intégrées de manière programmatique dans le rapport de la commission Attali de 2008.[2] Elles visent d’une part à accentuer la différenciation des établissements d’enseignement supérieur de sorte à créer un marché par la mise en concurrence et d’autre part à leur donner une conformation d’entreprise privée. Elles s’articulent en quatre volets baptisés — quelle ironie ! — « autonomies » :

  • l’« autonomie » administrative : les établissements sont dotés d’un cadre juridique dérégulé, d’un conseil d’administration inspiré des sociétés de droit privé et entrent dans une « logique » de marques.
  • l’« autonomie » de recrutement, d’évaluation et de gestion des personnels : les recrutements, les primes et les promotions sont soumis à la technostructure universitaire plutôt qu’aux pairs, avec des contrats de droit privés (sortie de la fonction publique), une dérégulation des salaires et des primes et une généralisation de la précarité.
  • l’« autonomie » pédagogique : les filières universitaires sont organisées en marché par une mise en concurrence croisée des étudiants par les formations (sélection) et des formations par les étudiants, ce qui impose de mettre fin au cadre national des diplômes.
  • l’« autonomie » financière : dérégulation des frais d’inscription pour substituer le financement privé au financement par l’Etat, avec une phase transitoire de généralisation du crédit pour les étudiants et les établissements.

Sans surprise, les dernières déclarations de M. Macron devant la Conférence des Présidents d’Université égrènent tous ces poncifs, en appelant à « des gouvernances fortes », en reprenant une opposition éculée entre la « professionnalisation » dans des « filières courtes » et les politiques de recherche intensive, dans le but de mieux « exprimer les différences » entre établissements, et en posant de nouveaux jalons vers une dérégulation des frais d’inscription.

L’ensemble de ce projet managérial de long terme va à l’encontre du principe d’autonomie du monde savant vis-à-vis des pouvoirs politiques, économiques et religieux et de la liberté académique. C’est l’idée même d’Université qui est vidée de son sens. Comme on pouvait s’y attendre, le premier effet de cette politique, en dehors de la bureaucratisation, de la paupérisation et de la précarisation, est un décrochage scientifique de notre pays.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la suppression de toute instance nationale pour les primes de recherche et pour les promotions, en défense desquelles une pétition a été mise en ligne :

https://www.wesign.it/fr/education/carrieres-universitaires–pour-lequilibre-entre-le-local-et-le-national


[1] Philippe Aghion et Elie Cohen, Éducation et croissance. Rapport public du conseil d’analyse économique (2004).

[2] Jacques Attali et al. Rapport de la commission pour la libération de la croissance française (2007-2010).